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L’inégalité des chances sur le marché du travail urbain en Afrique de l’Ouest

Authors:

Abstract

oui
1
L’inégalité des chances sur le marché du travail urbain en Afrique de
l’Ouest
Laure Pasquier-Doumer, IRD-DIAL,
pasquier@dial.prd.fr
Version février 2009
Plusieurs études ont montré que les marchés du travail africains sont compartimentés en
segments dans lesquels les structures et mécanismes en matière de salaires, de perspectives
professionnelles et de sécurité de l’emploi diffèrent (Brilleau, Roubaud et Torelli 2005). Pour
comprendre la dynamique des marchés du travail africains, il est alors essentiel de
comprendre ce qui détermine l’accès aux différents segments, et en particulier le rôle de
l’origine sociale.
Plus le positionnement sur le marché du travail dépend de l’origine sociale et moins le
principe d’égalité des chances défini par Rawls (1971) est respecté. En effet, selon ce
principe, « en supposant qu’il y a une répartition des atouts naturels, ceux qui sont au même
niveau de talent et de capacité et qui ont le même désir de les utiliser devraient avoir les
mêmes perspectives de succès, ceci sans tenir compte de leur position initiale dans le système
social » (Rawls 1971 p.104). En plus de répondre à un objectif de justice sociale, l’égalité des
chances sur le marché du travail répond à un critère d’efficacité économique, comme le
souligne le rapport sur le développement de la Banque mondiale de 2006, qui place la
réduction de l’inégalité des chances au cœur des politiques en matière de développement.
Réduire les inégalités des chances sur le marché du travail permet en effet une meilleure
allocation du capital humain, à savoir là où ses rendements sont les plus élevés.
Les littératures économique et sociologique montrent l’existence de plusieurs mécanismes à
l’origine d’une transmission intergénérationnelle de la position sur le marché du travail. La
situation professionnelle des parents peut avoir un effet direct sur la détermination de situation
professionnelle à travers la transmission de trois types de capitaux, le capital physique, le
capital humain ou encore le capital social. La situation professionnelle des parents peut leur
permettre d’accumuler du capital physique qu’ils peuvent ensuite transmettre à leurs enfants.
Or, dans un contexte de contrainte du crédit, l’héritage d’un capital physique conditionne
l’accès aux catégories socio-professionnelles qui supposent un investissement initial
(Banerjee et Newman, 1993). Les parents accumulent ensuite à travers leur profession du
capital humain, qui peut prendre différentes formes. Une première forme est la connaissance
d’un métier, d’un savoir-faire. Une autre forme est celle d’un patrimoine informationnel qui
permet la connaissance d’un milieu professionnel et des actions optimales à mener lorsqu’on
y évolue ou encore la connaissance sur ses capacités à exercer certaines professions. La
transmission de ce capital humain peut conduire les individus à choisir la même profession
que leurs parents (Hassler et Mora 2000, Galor et Tsiddon 1997, Sjörgen 2000). Les parents
peuvent enfin acquérir dans l’exercice de leur profession un capital social, en particulier un
réseau social ou des valeurs liées à une profession qu’ils peuvent transmettre à leurs enfants,
leur facilitant ainsi l’accès à cette profession (Lin, Vaughn et Ensel 1981).
2
Mais la situation professionnelle des parents peut également avoir un effet indirect sur la
position de leurs enfants sur le marché du travail, en déterminant leur niveau d’éducation, qui
à son tour conditionne la situation professionnelle. De nombreux auteurs ont en effet montré
que l’origine sociale est déterminante dans l’acquisition d’éducation, notamment via
l’imperfection des marchés de capitaux, la transmission intergénérationnelle des aptitudes,
ou encore en conditionnant la motivation à étudier1
Bien que l’Afrique soit, après l’Amérique Latine, le continent où les inégalités de revenu sont
les plus élevées (Banque mondiale, 2005), il n’existe à notre connaissance pour l’Afrique que
trois études comparatives sur la dynamique de ces inégalités. Ces trois études sont celle de
Bossuroy et Cogneau (2008), de Cogneau et alii (2007) et de Cogneau et Mesp-Somps
(2008). Toutes trois utilisent les mêmes données, à savoir des enquêtes représentatives de cinq
pays africains, le Ghana, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, la Guinée et Madagascar. Alors que la
troisième s’intéresse à l’inégalité des chances en termes de revenus, les deux premières
. La situation professionnelle des parents
peut en effet à la fois conditionner les ressources disponibles des parents pour éduquer leurs
enfants mais aussi la motivation des enfants à étudier et les rendements attendus de
l’éducation.
L’objectif de ce chapitre est double. Il vise tout d’abord à comparer le degré d’inégalité des
chances sur le marché du travail dans sept capitales économiques ouest africaines, à savoir
Abidjan, Bamako, Dakar, Cotonou, Lomé, Niamey et Ouagadougou. Le degré d’inégalité des
chances est défini ici comme l’association nette entre la position sur le marché du travail des
individus et celle de leur père, c’est-à-dire l’association indépendamment de l’évolution
structurelle du marché du travail. Cette comparaison permet d’identifier les caractéristiques
des pays présentant les degrés les plus élevés d’inégalité des chances et d’apporter des
éléments pour évaluer les différentes thèses expliquant les différences entre les pays en termes
d’inégalités des chances.
Le deuxième objectif est d’estimer pour chacune des villes dans quelle mesure la situation
professionnelle du père agit directement sur le positionnement sur le marché du travail ou si
son effet est indirect, à travers l’éducation. Les implications en termes de politiques publiques
sont très différentes dans les deux cas. Dans le premier cas, les politiques visant à égaliser les
chances doivent agir directement sur le marché du travail, dans le second cas, elles doivent
agir en amont, sur le système éducatif.
Les études comparatives de l’inégalité des chances ou la mobilité sociale s’inscrivent dans un
courant de la sociologie quantitative qui cherche à évaluer quels sont les facteurs expliquant
les différences entre pays. Du fait de la rareté des données, il n’existe que très peu d’études
comparatives portant sur les pays en développement, la plupart s’intéressant aux pays
développés (Erikson et Goldthorpe 1992). Quelques rares études intègrent dans leur base de
données un nombre très faible de pays en développement (Grusky et Hauser 1984,
Ganzeboom, Luijkx et Treiman 1989) en leur appliquant la même stratification sociale que
celle des pays développés. Or comme l’ont montré plusieurs auteurs, cette stratification n’est
pas à même de prendre en compte la spécificité du marché du travail des pays en
développement, caractérisé par une prédominance du secteur informel (Benavides 2002,
Pasquier-Doumer 2005). C’est pourquoi il est nécessaire de mener des études spécifiques aux
pays en développement pour tenir compte de la structuration dans ces pays du marché du
travail.
1 Pour une revue de littérature sur le sujet, se référer à Haveman et Wolfe (1995).
3
traitent de la mobilité sociale. Elles se heurtent toutefois à la comparabilité des classifications
professionnelles dans les différentes enquêtes, en particulier pour l’activité du père, obligeant
les auteurs à agréger fortement ces classifications pour ne retenir que deux groupes, les
activités agricoles et les activités non-agricoles.
Les données des enquêtes 1-2-3 offrent à la fois un niveau de détail très fin sur la situation
professionnelle du père et une excellente comparabilité, ce dernier point étant la faiblesse de
la plupart des études comparatives de ce type (Björklund et Jäntti 2000). Elles permettent
donc une analyse détaillée de l’inégalité des chances, intégrant plusieurs dimensions du
marché du travail, à savoir le secteur institutionnel mais aussi la catégorie socio-
professionnelle.
La première partie de ce chapitre est consacrée à la présentation du contexte et des données.
Dans la deuxième, nous nous intéressons à l’inégalité des chances dans l’accès aux secteurs
institutionnels et dans la troisième à l’inégalité des chances dans l’accès aux catégories socio-
professionnelles. La dernière partie présente les conclusions.
1. Contexte et données
Cette étude s’intéresse aux capitales économiques des sept pays francophones de l’Union
Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), à savoir le Bénin, le Burkina Faso, la
Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo2
Pendant la période coloniale, ces sept pays ont tous appartenu à l’Afrique Occidentale
Française, à l’exception du Togo
.
Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Togo, tous quatre pays côtiers, présentent un
niveau de richesse dans l’ensemble supérieur aux pays enclavés que sont le Burkina Faso, le
Mali et le Niger. Cette distinction entre les pays côtiers et les pays enclavés est encore plus
marquée lorsqu’il s’agit de l’indice de développement humain (cf. annexe 1).
3
Les données utilisées sont pour chaque pays la phase 1 des enquêtes 1-2-3 menées en 2001-
2002 dans les capitales économiques des pays de l’UEMOA. Ces enquêtes permettent de
connaître pour chaque enquêté le niveau d’éducation du père et de la mère mais aussi la
catégorie socio-professionnelle, le type d’entreprise ainsi que la branche d’activité du père
quand l’enquêté avait 15 ans. Un tel niveau de détail sur la situation professionnelle du père
est très rare dans les pays en développement. Les formulations des questions ainsi que les
modalités de réponses sont en outre identiques d’une ville à l’autre, ce qui permet une
comparaison robuste des villes avec un niveau de détail élevé, la plupart des études sur les
inégalités des chances devant souvent arbitrer entre ces deux dimensions. La spécification de
l’âge de l’enquêté au moment où le père exerçait l’activité décrite, à savoir 15 ans, permet de
. Leur système administratif a donc largement été influencé
par le système français. Or, comme le suggèrent Cogneau et alii (2007), l’identité du
colonisateur pourrait influencer à long-terme la structuration sociale du pays et en particulier
l’inégalité des chances. En comparant cinq pays, les auteurs montrent en effet que pour ces
pays, l’inégalité des chances économiques est beaucoup plus générale dans les ex-colonies
françaises que dans les ex-colonies anglaises. A partir de 1960, ces sept pays ont connu des
évolutions politiques diverses, présentées de manière très simplifiée dans l’annexe 1.
2 En dehors de ces sept pays, l’UEMOA inclut un huitième membre, la Guinée-Bissau.
3 Le Togo actuel a été de 1885 à 1914 une colonie allemande puis de 1919 à 1960 une colonie française sous
tutelle internationale.
4
s’assurer que tous les pères étaient plus ou moins dans la même période de leur cycle de vie,
en particulier professionnel, et qu’il s’agit de l’activité qu’il exerçait peu de temps avant
l’insertion de leurs enfants sur le marché du travail. La comparabilité entre l’activité des
individus et celle de leur père est garantie si les individus se situent à la même période de leur
cycle de vie que leur père. C’est pourquoi nous avons retiré de l’échantillon tous les individus
de moins de 35 ans en supposant qu’avant cet âge, ils n’ont pas encore atteint la maturité
professionnelle de leur père quand ils avaient 15 ans. En ne gardant que les actifs occupés et
dont le père travaillait, nous disposons alors d’environ 1500 observations par ville. Les taux
de non-réponses sont présentés en détail dans l’annexe 2.
Ces données ne permettent pas en revanche d’avoir une vision représentative de la structure
du marché du travail pour l’ensemble de la génération des pères. Nous n’observons en effet
que la situation professionnelle des pères dont les enfants exercent une activité dans l’une des
sept capitales économiques ouest-africaines au moment de l’enquête. Ces données autorisent
cependant l’analyse, et la comparaison entre les pays, du changement de contexte
professionnel qu’ont vécu les familles vivant actuellement dans les principaux centres
urbains, et surtout la force du lien entre la situation sur le marché du travail des habitants de
ces centres et celle de leur père, qui constitue la mesure de l’inégalité des chances retenue
dans cette étude4
2. Inégalité des chances dans l’accès aux secteurs institutionnels
.
Dans cette partie, nous cherchons à savoir si le fait d’avoir un père ayant exercé dans un
certain secteur institutionnel procure un avantage comparatif pour accéder à ce même secteur.
Si tel est le cas, plusieurs questions se posent. Pour quel secteur cet avantage est-il le plus
marqué ? L’inégalité des chances dans l’accès à un secteur institutionnel est-elle de même
ampleur dans les sept villes ? Son intensité varie-t-elle d’un secteur à l’autre de la même
façon entre les sept villes ? Qu’est-ce qui distingue les villes offrant le moins d’égalité des
chances des autres villes ? Quel est le lien causal entre le secteur institutionnel d’un individu
et celui de son père ? Le lien est-il direct ou indirect via l’éducation ?
2.1. Evolution des secteurs institutionnels
La définition des secteurs institutionnels retenue ici vise à refléter le phénomène de
segmentation du marché de l’emploi (Barlet et De Vreyer, 2009) dans les capitales de
l’UEMOA en distinguant le secteur formel du secteur informel. Les individus enquêtés sont
donc considérés comme exerçant une activité dans le secteur informel s’ils travaillent dans
une entreprise enregistrée. Nous ne savons pas en revanche si l’entreprise dans laquelle
travaillait le père était ou non enregistrée. C’est pourquoi nous avons considéré que les pères
exerçaient dans le secteur informel s’ils travaillaient dans une micro-entreprise, une entreprise
associative, pour un ménage ou à leur compte. Nous avons ensuite différencié au sein du
secteur formel les travailleurs du secteur public et para-public de ceux du secteur privé formel
afin de tester l’hypothèse d’accès au secteur public plus fortement conditionné par l’origine
4 Il aurait été souhaitable de comparer la profession des femmes à celle de leur mère, la mère étant le principal
référent potentiel de ces premières. Cependant, comme toutes les études sur la mobilité sociale, on est alors
confronté à une perte d’observations trop importante du fait du faible taux d’activité des mères. Le choix
méthodologique de prendre le père comme référent a pour conséquence de sous-évaluer en général la mobilité
des femmes.
5
sociale que l’accès au secteur privé formel. Les trois secteurs considérés sont donc le secteur
public et para-public, le secteur privé formel et le secteur informel.
La répartition des actifs selon le secteur institutionnel est assez différente selon les villes. A
Bamako, Ouagadougou et Niamey, le secteur public emploie une part significativement
plus élevée de la population active qu’à Abidjan, Dakar, Lomé ou Cotonou (autour de
20% contre 14% en moyenne dans les quatre autres villes). A Ouagadougou et Niamey, la
part du secteur public s’est de plus fortement accrue entre les pères et leurs enfants, alors qu’à
Dakar, Lomé ou Cotonou, elle a connue l’évolution inverse (Graphique 1)5
Les différences dans la répartition des actifs travaillant dans le secteur informel sont moins
évidentes. Il n’existe pas de différence significative entre les pays. En revanche, Niamey,
Ouagadougou, Bamako et Abidjan s’opposent aux autres villes quant à l’évolution du secteur
informel entre les pères et leurs enfants. Dans ces villes, les actifs travaillent moins souvent
dans le secteur informel que leur père, alors que c’est le contraire dans les autres villes
(Graphique 1)
.
6
Graphique 1 : Répartition des actifs enquêtés et de leur père selon le secteur institutionnel
.
Concernant le secteur privé formel, les pays ont tous connu la même évolution, la part de ce
secteur s’étant accrue entre les pères et leurs enfants dans les sept capitales. Abidjan et
Dakar se démarquent toutefois quant à l’ampleur de leur secteur privé formel : la part
des actifs occupés au moment de l’enquête dans le secteur privé formel y est deux fois plus
élevée que dans les autres villes (20% contre 11% en moyenne).
5 Si l’on ne considère que les enquêtés nés dans la ville, afin de se rapprocher d’un échantillon plus représentatif
de la distribution des secteurs institutionnels des pères exerçant dans la ville, Ouagadougou et Niamey se
distinguent toujours des autres villes car on n’y observe aucune décroissance significative de la part du secteur
public entre les pères et leurs enfants.
6 Avec le sous-échantillon des enquêtés nés dans la ville, Ouagadougou, Abidjan et Niamey s’opposent aux
autres villes avec la part des actifs dans le secteur informel n’augmentant pas significativement entre les pères et
leurs enfants.
6
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
2.2. Des secteurs institutionnels plus ou moins distants socialement selon les pays
L’objet de cette partie est d’évaluer dans quelle mesure l’accès à un secteur institutionnel est
conditionné par le secteur institutionnel du père et de comparer les villes selon ce critère.
Puisque les villes se caractérisent par des distributions et des évolutions différentes des trois
secteurs institutionnels, il s’agit donc de mesurer le lien entre le secteur institutionnel de
l’enquêté et celui de son père, quelles que soient les distributions des actifs parmi les enquêtés
et leur père. Ce lien correspond à la mobilité sociale nette encore appelée dans la littérature la
fluidité sociale. La fluidité sociale mesure donc le rapprochement des chances relatives, selon
le milieu social d'origine, d'atteindre telle ou telle position sociale. Une analyse par les
« rapports de chances relatives » - encore appelés coefficient de reproduction ou en anglais
odds ratio- permet la comparaison des villes selon le degré de fluidité sociale qu’elles offrent.
Les rapports de chances relatives traduisent le résultat de la concurrence entre les individus
dont le père exerçait dans des secteurs institutionnels distincts pour atteindre un secteur plutôt
qu’un autre. Plus précisément, ils représentent l’inégalité relative entre deux individus, dont le
père exerçait respectivement dans le secteur i et le secteur i’, pour atteindre le groupe j’ plutôt
que j. Il est défini comme suit :
''
''
''
'
'
'
'
ijji
jiij
ji
ji
ij
ij
jj ii
nn
nn
n
n
n
n
OR ==
ij
n
est le nombre d’observations dans la cellule (i, j) de la
matrice de transition dont les lignes i représentent les trois secteurs institutionnels du père et
les colonnes j les secteurs institutionnels de l’enquêté.
La chance d’atteindre un secteur j’ plutôt que j est
'
'jj ii
OR
fois supérieure pour un individu
dont le père travaillant dans le secteur i’ que pour un individu dont le père exerçait dans le
secteur i. Si le rapport des chances relatives vaut 1, avoir un père du secteur i’ n’apporte pas
d’avantage comparatif par rapport à avoir un père du secteur i pour atteindre j’. Plus le rapport
s’éloigne de 1 et plus la fluidité sociale entre deux secteurs institutionnels est faible. La
caractéristique des rapports de chances relatives est qu’ils donnent une mesure de
l’association statistique entre deux variables indépendamment des distributions marginales.
0
5
10
15
20
25
30
% d'actifs dans le secteur public
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
% d'actifs dans le secteur informel
Pères
Enquêtés
7
Le graphique 2 présente pour les sept villes les rapports des chances relatives entre le secteur
public et le secteur privé formel, entre le secteur public et le secteur informel et enfin entre le
secteur privé formel et le secteur informel.
8
Graphique 2 : Rapports des chances relatives entre les trois secteurs institutionnels
A- Rapports des chances relatives entre secteurs public
et privé formel B- Rapports des chances relatives entre secteurs public
et informel
C- Rapports des chances relatives entre secteurs privé
formel et informel
D- Ensemble des rapports des chances relatives
Note : Pour chaque ville, la valeur centrale, représentée par un losange, correspond au rapport des chances
relatives. Les bornes inférieure et supérieure, représentées par un segment, correspondent aux bornes d’un
intervalle de confiance à 90%.
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
La comparaison des graphiques 2A, 2B et 2C, représentée par le graphique 2D, apporte un
premier enseignement. Dans la plupart des villes, le passage entre le secteur public et le
secteur informel est le moins fluide socialement. Autrement dit, la distance sociale entre le
secteur informel et le secteur public est généralement bien plus élevée que celle entre le
secteur public et le secteur privé formel ou que celle entre le secteur privé formel et le
secteur informel. En revanche, la distance sociale entre le secteur privé formel et le secteur
public est dans la majorité des villes sensiblement la même que la distance sociale entre le
secteur privé formel et le secteur informel. A Bamako par exemple, un individu dont le père
travaillait dans le secteur public a environ 6 fois plus de chances d’accéder au secteur public
qu’un individu dont le père exerçait dans le secteur informel. Son avantage comparatif est
trois fois moindre si on le compare cette fois à un individu dont le père travaillait dans le
secteur privé formel. L’avantage relatif dans l’accès au secteur privé formel d’un individu
« originaire » du secteur privé formel par rapport à un individu « originaire » du secteur
informel est de la même ampleur : il a deux fois plus de chances que ce dernier d’avoir un
emploi dans le secteur privé formel.
0
1
2
3
4
5
6
7
8
OR Public vs Privé formel
0
1
2
3
4
5
6
7
8
OR Public vs Informel
0
1
2
3
4
5
6
7
8
OR Privé vs Informel
0
1
2
3
4
5
6
7
8
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Public/Privé
Privé/Informel
Public/Informel
Dakar
Cotonou
Abidjan
Bamako
Niamey
Ouaga.
9
Ce constat n’est cependant pas vrai pour toutes les villes. A Lomé et Cotonou, les distances
sociales entre les secteurs sont quasiment les mêmes. De plus, à Cotonou, avoir un père
travaillant dans le secteur public n’offre pas un avantage dans l’atteinte du secteur public
relativement à avoir un père travaillant dans le secteur privé formel : deux individus dont les
pères travaillaient respectivement dans le secteur privé formel et dans le secteur public ont 1,7
fois plus de chances (=1/0,6) d’échanger leur position que de travailler dans le même secteur
que leur père. Ainsi, en observant les tables de mobilité, il apparaît qu’à Cotonou, la moitié
des individus exerçant dans le secteur privé formel ont un père qui travaillait dans le secteur
public. Cette proportion se situe plutôt autour de 30% dans les autres villes. Rappelons par
ailleurs que Cotonou est la ville où la part des pères travaillant dans le secteur public est la
plus élevée. Niamey présente enfin la particularité d’une distance sociale entre les secteurs
privés formel et informel plus faible que celle entre le secteur public et le secteur privé
formel.
L’examen de ces graphiques permet ensuite de comparer les villes à l’aune de la fluidité
sociale qu’elles offrent dans le passage intergénérationnel d’un secteur institutionnel à un
autre. Dans l’ensemble, les différences entre les villes sont plus importantes lorsqu’il
s’agit de la fluidité entre le secteur public et le secteur informel, puis entre le secteur
public et le secteur privé formel. Les distances sociales entre le secteur privé formel et le
secteur informel ne diffèrent pas significativement entre les villes, à l’exception de
Ouagadougou qui présente une distance sociale significativement supérieure à celles
observées à Abidjan et Dakar.
Concernant la fluidité sociale entre le secteur public et le secteur privé formel, deux
groupes de villes s’opposent : Niamey et Ouagadougou se caractérisent par une rigidité
sociale significativement plus élevée qu’à Cotonou, Abidjan et Dakar puisque les
intervalles de confiance entre ces deux groupes sont disjoints. A Niamey, avoir un père dans
le secteur public multiplie par 4 les chances de travailler dans le public par rapport à avoir un
père dans le secteur privé formel. Ce rapport n’est que de 1,1 à Abidjan, signifiant une quasi-
égalité des chances dans l’accès au secteur privé formel entre des individus « originaires » du
public et ceux du privé.
Les mêmes groupes se retrouvent lorsqu’il s’agit de la fluidité entre le secteur public et
le secteur informel, à la différence que Bamako rejoint le groupe des villes les moins fluides.
A Cotonou, Lomé, et Dakar, le rapport des chances relatives est en moyenne de 2,4 alors qu’à
Niamey, Ouagadougou et Bamako, il est en moyenne de 5,3.
La modélisation log-linéaire UniDiff7
β
permet de synthétiser ces résultats et de proposer un
classement des villes en prenant en compte simultanément ces trois dimensions. Elle permet
en effet de donner une mesure synthétique de la façon dont l’association entre deux variables
qualitatives le secteur de l’enquêté et celui du père- diffère selon une troisième variable, la
ville, et ce quelle que soit les modalités des deux variables qualitatives considérées. Cette
mesure synthétique est appelée paramètre ou encore paramètre d’intensité. Cette
modélisation est présentée plus en détail en annexe 3. L’évolution du paramètre d’intensité
résume donc la variation entre les villes des inégalités sociales dans l’accès à un secteur
7 Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson & Goldthorpe (1992),
Xie (1992).
10
institutionnel. Par convention, on fixe la valeur du paramètre à 1 pour Dakar. Un paramètre
supérieur à 1 (respectivement inférieur à 1) signifie une intensité plus forte (respectivement
moins forte) d’inégalité des chances. Plus précisément, cela suppose que tous les rapports des
chances relatives (odds ratios) augmentent avec la même intensité
j
β
entre Dakar et l’autre
ville considérée, et ceci pour les trois secteurs institutionnels. Les paramètres de chaque ville
sont présentés dans le graphique 3. La significativité des différences entre chacun des
paramètres a été systématiquement testée (cf. annexe 3), ce qui a permis de définir des
groupes de villes, représentés sur le graphique.
Graphique 3 : Paramètres d’intensité du lien entre secteur institutionnel des individus et de
leur père (paramètres béta du modèle UniDiff)
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Lecture : le paramètre d’intensité d’Abidjan n’est pas significativement différent de celui de Lomé ou de
Bamako mais est significativement différent de celui de Niamey. Celui de Bamako n’est pas significativement
différent de celui de Niamey ou d’Abidjan mais est significativement différent de celui de Lomé.
Cette analyse montre que les sept capitales d’Afrique de l’Ouest offrent des chances bien
différentes dans l’accès aux secteurs institutionnels. Deux groupes de villes émergent. Les
villes côtières Dakar, Cotonou, Lomé, Abidjan forment le premier groupe. Elles ont en
commun un faible degré d’inégalité des chances relativement aux autres villes. A
l’inverse, Bamako, Niamey, Ouagadougou ont un degré d’inégalité des chances presque
2/3 plus élevé que celui de l’autre groupe. La frontière entre les deux groupes se confond
pour Abidjan et Bamako8
8 Cette opposition entre ville côtières et villes enclavées est robuste au changement de la définition du secteur
informel : si nous définissons le secteur informel de l’enquêté de façon identique à la façon dont il est définit
pour les pères, à savoir travailler dans une micro-entreprise, pour un ménage ou à son compte, Ouagadougou,
Niamey et Bamako s’opposent par leur degré d’inégalité des chances élevé à Cotonou, Lomé, Dakar et Abidjan,
avec une frontière qui toutefois se confond pour Abidjan.
.
11
Notons que dans l’étude de Cogneau et alii (2007), la Côte d’Ivoire, seul pays commun à cette
étude, offre un degré d’inégalité bien plus élevé que celui observé dans les deux pays
anglophones étudiés (Ouganda et Ghana).
Les villes appartenant au groupe présentant le moins de fluidité sociale sont les capitales de
pays partageant un certain nombre de caractéristiques (cf. annexe 1). Le Mali, le Burkina Faso
comme le Niger sont des pays enclavés. Parmi les sept pays étudiés, ils présentent les plus
faibles indices de développement humain. Les niveaux d’éducation et d’alphabétisation y sont
les plus bas. A l’inverse, les taux de mortalité ou de malnutrition y sont les plus élevés.
L’urbanisation y est plus faible qu’ailleurs puisque la population rurale représente une part
beaucoup plus importante de la population qu’au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au
Togo. Les indices de fécondité y sont de plus supérieurs d’au moins un point à ceux observés
dans les quatre autres pays.
Ces résultats semblent rejoindre la théorie libérale de la mobilité sociale (Parsons 1960, Blau
et Duncan 1967, Treiman 1970) selon laquelle plus une société est industrialisée et plus les
critères de sélection sur le marché du travail sont méritocratiques, à travers notamment
l’accroissement de la demande pour le travail qualifié ou de l’urbanisation qui créé une
mobilité géographique et diminue le sentiment de communauté. Cependant, l’échantillon des
pays, comprenant sept observations, est trop petit pour en tirer une réelle conclusion.
Un autre constat est que les villes où l’inégalité des chances est la plus forte ne sont pas les
plus inégalitaires en termes de revenus d’après les Gini calculés à partir des mêmes enquêtes9
2.3. Le rôle de l’éducation dans l’inégalité des chances d’accéder aux secteurs
institutionnels
.
Ce résultat diffère de l’analyse comparative de Cogneau et alii (2007) portant sur le Ghana,
l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, Madagascar et la Guinée. Cette différence de résultat peut
s’expliquer par le fait que les pays que nous considérons ont des degrés d’inégalité de revenu
trop proches pour pouvoir saisir un lien entre l’inégalité des chances et l’inégalité de revenu,
ce qui n’est pas le cas de l’étude de Cogneau et alii.
Enfin, contrairement à certaines thèses sociologiques (Parkin 1971), il ne pas semble y avoir
de lien entre le régime politique et le degré d’inégalité des chances : les trois pays dans
lesquels l’inégalité des chances est la plus élevée ne présentent pas plus de similarités entre
eux qu’avec les autres pays (cf. annexe 1).
L’analyse précédente propose une vision globale de l’inégalité des chances dans l’accès aux
différents secteurs institutionnels. Elle ne prend cependant en compte qu’une seule dimension
de l’origine sociale, le secteur institutionnel du père. Elle ne donne ensuite aucune
information sur le lien causal entre le secteur institutionnel du père et celui de ses enfants.
L’effet du secteur institutionnel du père est-il direct ou bien détermine-t-il une autre
caractéristique des individus comme leur niveau d’éducation qui à son tour va influer sur
l’accès à un secteur institutionnel ?
9 L’inégalité en termes de revenu est mesurée par le coefficient de Gini sur les revenus dans la capitale.
12
Cette partie vise à affiner les résultats précédents en considérant une définition plus large de
l’origine sociale comprenant le lieu de naissance et l’ethnie et en tenant compte du niveau
d’éducation des individus, afin d’éclaircir par quel canal transite l’effet de l’origine sociale
sur l’accès à un secteur institutionnel.
Pour ce faire, nous estimons dans un premier temps pour chaque ville un modèle logit
expliquant la probabilité d’accéder à un secteur institutionnel plutôt qu’aux deux autres en
fonction de quatre dimensions de l’origine sociale (le secteur institutionnel du père, si le père
a été ou non scolarisé, le lieu de naissance et l’ethnie) tout en contrôlant par le sexe des
enquêtés. Il s’agit du modèle 1 pour l’accès au secteur public, du modèle 3 pour l’accès au
secteur privé formel et du modèle 5 pour l’accès au secteur informel. Notons que l’ethnie est
mesurée ici comme l’appartenance à l’ethnie la plus représentée dans la ville, à l’exception de
la Côte d’Ivoire où la référence est d’appartenir aux groupes ethniques des Akan, des Krou ou
des Mandés du Sud10
Secteur d'activité
afin de tester l’hypothèse d’une division sociale du travail basée sur
« l’ivoirité ». Dans un second temps, nous estimons les mêmes modèles mais en incluant le
niveau d’éducation des enquêtés. Ce sont les modèles 2, 4 et 6 pour respectivement l’accès au
secteur public, au secteur privé formel et au secteur informel. Si dans ces modèles l’origine
sociale a toujours un effet significatif, cela signifie que l’origine sociale a un effet direct sur
l’accès aux secteurs institutionnels. Si l’effet n’est plus significatif, alors l’effet de l’origine
sociale est indirect puisqu’il influence le niveau d’éducation atteint qui lui-même détermine le
secteur institutionnel. Le tableau 1 présente les rapports des chances relatives obtenus par
l’estimation de ces modèles logit (au total 6×7 = 42 modèles).
Tableau 1 : Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès aux secteurs public,
privé formel et informel
Public
Privé formel
Informel
Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5 Modèle 6
Père dans le public ou
para-public (ref.
Informel)
Cotonou
1,2 0,8 2,9 2,5 0,4 0,6
Dakar
2,1 1,1 1,8 1,6 0,4 0,6
Lomé
2,3 1,4 1,8 1,4 0,4 0,6
Abidjan
2,5 1,6 1,0 0,8 0,6 1,0
Bamako
4,0 2,2 1,0 0,8 0,3 0,6
Niamey
3,0 1,5 2,2 1,5 0,3 0,5
Ouagadougou
3,5 1,6 1,8 1,3 0,3 0,6
Père dans le privé (ref.
Informel)
Cotonou
0,9 0,6 1,8 1,4 0,8 1,3
Dakar
1,4 1,1 1,5 1,2 0,6 0,8
Lomé
1,1 0,8 1,7 1,5 0,7 0,9
Abidjan
2,0 1,8 0,8 0,7 0,8 1,0
Bamako
2,3 1,9 1,0 0,9 0,6 0,7
Niamey
0,8 0,4 2,8 2,5 0,6 1,0
Ouagadougou
1,5 0,6 2,0 1,5 0,5 1,2
Est né dans
l'agglomération de …
Cotonou
0,5 0,5 1,0 1,2 1,6 1,4
Dakar
0,9 0,8 1,1 1,0 1,0 1,2
Lomé
0,6 0,7 0,9 0,8 1,5 1,5
Abidjan
0,9 0,9 1,3 1,2 0,9 0,9
Bamako
1,0 0,8 1,7 1,6 0,8 0,8
10 Le groupe des Akan comprend notamment les ethnies Baoulé, Agni, Ebrié, celui des Krou les ethnies Bété,
Krou et Bakoué, celui des Mandés du Sud les ethnies Gouro, Dan et Gagou. Ces groupes sont ici opposés à ceux
des Mandés du Nord (Dioula, Malinké, Koro, etc.) et au groupe ethnique Voltaïque (Koulango, Lobi, Birifor,
etc.).
13
Niamey 0,9 0,7 1,4 1,3 1,0 1,1
Ouagadougou
0,8 0,8 1,1 1,1 1,2 1,1
Appartient à l'ethnie
majoritaire
Cotonou
1,4 1,3 0,9 0,9 0,8 0,9
Dakar 0,9 0,9 0,7 0,7 1,4 1,4
Lomé
0,7 0,8 1,1 1,1 1,2 1,1
Abidjan 4,4 2,2 2,0 1,4 0,3 0,5
Bamako
1,0 1,2 0,7 0,7 1,3 1,1
Niamey 1,2 1,4 0,9 0,9 0,9 0,8
Ouagadougou
0,5 1,0 0,5 0,6 2,5 1,5
Sexe (ref. Femme)
Cotonou
3,1 1,6 4,8 3,0 0,2 0,3
Dakar 2,0 1,6 4,1 4,2 0,2 0,2
Lomé
3,4 1,8 5,8 4,0 0,2 0,3
Abidjan 2,3 1,2 4,6 3,6 0,2 0,3
Bamako
1,6 1,1 6,8 6,2 0,3 0,3
Niamey 1,8 1,3 4,6 3,8 0,3 0,4
Ouagadougou
2,1 1,6 2,9 2,6 0,3 0,4
Père a été à l'école
Cotonou
2,1 1,2 1,2 0,7 0,5 1,1
Dakar 1,6 1,4 1,8 1,5 0,5 0,6
Lomé
1,1 0,6 1,6 1,3 0,7 1,2
Abidjan 1,2 0,7 2,0 1,7 0,5 0,7
Bamako
1,5 0,9 1,3 1,2 0,6 0,9
Niamey 1,7 0,9 1,3 1,0 0,5 1,1
Ouagadougou
1,1 0,7 1,6 1,3 0,7 1,3
Education primaire
complète ou 2ndaire 1
incomplète (ref. <
primaire complet)
Cotonou
5,1 2,2 0,3
Dakar 5,2 2,0 0,3
Lomé
3,4 2,5 0,3
Abidjan 5,5 2,6 0,3
Bamako
3,4 1,4 0,5
Niamey 4,8 2,8 0,2
Ouagadougou
6,3 2,7 0,2
Education 2ndaire 1
complète et plus (ref. <
primaire complet)
Cotonou
17,2 7,4 0,0
Dakar 13,2 2,9 0,1
Lomé
13,5 3,4 0,1
Abidjan 25,0 2,8 0,9
Bamako
19,9 2,3 0,1
Niamey 18,1 3,3 0,0
Ouagadougou
24,5 3,5 0,0
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Lecture : D’après le modèle 1, avoir à Dakar un père dans le secteur public multiplie par 2,1 le « odd » 11
11 Le odd, ou en français la côte est le rapport de deux probabilités complémentaires. Il s’agit dans ce cas de la
probabilité de travailler dans le secteur public divisée par la probabilité de ne pas travailler dans le secteur
public.
de
travailler dans le public par rapport à un père qui travaille dans le secteur informel. Autrement dit, la probabilité
de travailler dans le secteur public divisée par la probabilité de ne pas y travailler augmente toutes choses égales
par ailleurs de 110% lorsque le père a travaillé dans le secteur public plutôt que dans le secteur informel.
Note : les odd ratios en gras correspondent à des coefficients significatifs au seuil de 10%.
Accès au secteur public
14
Les modèles 2 montrent que les villes les moins fluides, à savoir Bamako, Niamey et
Ouagadougou sont caractérisées par un effet propre du secteur institutionnel du père
sur l’entrée dans le secteur public, indépendamment de l’effet qu’il a pu avoir dans la
détermination du niveau d’éducation : dans ces villes, toutes choses égales par ailleurs, avoir
un père ayant exercé dans le secteur public augmente significativement les chances de
travailler dans le secteur public, par rapport à avoir un père travaillant dans le secteur
informel. Ces chances sont multipliées par 2,2 à Bamako et par 1,6 et 1,5 à Ouagadougou et
Niamey. Ainsi, dans les capitales des trois pays enclavés de l’UEMOA, la situation
professionnelle du père a un effet direct dans l’accès au secteur public, à travers la
transmission d’un capital humain autre que l’éducation (connaissance d’un milieu
professionnel, savoir-faire, goût pour le secteur public, etc.), ou encore d’un capital social.
A Bamako et Niamey, le fait d’avoir un père travaillant dans le secteur privé formel a par
ailleurs un effet significatif sur l’atteinte du secteur public, relativement au fait d’avoir un
père exerçant dans le secteur informel. Cet effet est positif à Bamako et négatif à Niamey. Ces
résultats traduisent la faible distance sociale entre les secteurs privés formel et informel à
Niamey, et entre le secteur public et le secteur privé formel à Bamako, déjà observées dans le
graphique 2D et qui se maintiennent lorsque l’on prend en compte d’autre dimensions de
l’origine sociale, le niveau d’éducation ou encore le genre.
A Niamey, l’inégalité des chances est renforcée par le rôle significatif de l’ethnie dans l’accès
au secteur public. Appartenir à l’ethnie Djerma augmente en effet ses chances d’accéder au
secteur public, et ce quels que soient son niveau d’éducation, son sexe, son lieu de naissance
ou l’activité de son père. A l’inverse, cela diminue significativement la probabilité d’intégrer
le secteur informel (modèle 6). Les Djerma, bien que minoritaires dans le pays (22% de la
population contre 56% pour les Haoussa12), occupent la partie ouest du pays et sont par
conséquent l’ethnie la plus représentée à Niamey. Les Djerma sont par ailleurs les premiers à
avoir occupé les postes de cadres dans l’administration et l’armée coloniales. C’est également
de cette ethnie que sont issus les trois dirigeants à la tête du Niger depuis l’indépendance
jusqu’en 199313
12 Gazibo 2009
13 Hamani Diori de 1960 à 1974 ; Seyni Kountché de 1974 à 1987 ; Ali Saïbou de 1987 à 1993.
.
En revanche, Niamey comme Bamako sont les seules villes avec Abidjan où, à niveau
d’éducation identique et une fois l’ethnie, le lieu de naissance et le secteur institutionnel et la
scolarisation du père pris en compte, être une femme ne constitue pas un désavantage dans
l’accès au secteur public.
Dans les autres villes, avoir un père exerçant dans le secteur public n’a pas d’effet dans
l’accès à ce secteur. Une fois pris en compte son effet sur le niveau d’éducation atteint, le
secteur institutionnel du père n’est plus déterminant pour intégrer le secteur public, à
l’exception de Cotonou et Abidjan où avoir un père dans le secteur privé constitue un
désavantage à Cotonou et un avantage à Abidjan par rapport à avoir un père dans le secteur
informel. Plus qu’une transmission intergénérationnelle de la position sur le marché du
travail, ces résultats traduisent pour Cotonou une faible distance sociale entre les secteurs,
notamment public et privé formel et pour Abidjan une forte distance sociale entre secteurs
public et informel alors que les secteurs publics et privés formels sont très proches (cf.
graphique 2D). C’est pourquoi on peut conclure qu’à Dakar, Cotonou, Lomé et Abidjan, le
rôle du secteur institutionnel du père dans l’atteinte du secteur public s’exerce par un
canal indirect, en déterminant le niveau d’éducation. D’autres dimensions de l’origine
sociale interviennent cependant dans l’accès au secteur public.
15
A Cotonou et à Lomé, le secteur public est plus ouvert, toutes choses égales par ailleurs, aux
migrants, définis comme les individus nés en dehors de la ville. Ce résultat n’est pas très
intuitif. On s’attendrait plutôt à ce qu’être né dans la ville permette de générer un capital
social qui favorise l’entrée dans le secteur public. Ce résultat peut s’interpréter comme un
favoritisme envers les individus issus de certaines régions dans le recrutement des secteurs
public et para-public. En comparant, parmi les individus occupés qui ne vivent pas depuis
toujours dans la capitale, la distribution des secteurs institutionnels des actifs occupés selon le
département de résidence avant migration à la capitale, on note que les préfectures où la part
du secteur public est surreprésentée sont Kozah, pour le Togo, préfecture d’origine des
présidents Gnassingbé Eyadéma père et fils14, et Natitingou pour le Bénin, département de
naissance du président Mathieu Kérékou15
14 Présidents du Bénin de 1967 à nos jours.
15 Président du Bénin entre 1972 et 1991 et entre 1996 et 2006.
. A Cotonou, l’inégalité des chances selon sa région
de naissance est renforcée par un effet significatif de l’ethnie pour intégrer le secteur public :
appartenir à l’ethnie des Fon, ethnie majoritaire à Cotonou, multiplie, toutes choses égales par
ailleurs, par 1,3 la probabilité de travailler dans le secteur public.
A Abidjan, l’ethnie a également un effet significatif sur l’accès au secteur public. Appartenir
aux groupes ethniques des Akan, des Krou et des Mandés du Sud augmente significativement
les chances d’atteindre le secteur public –elles sont multipliées par 2,2- par rapport à ceux qui
appartiennent aux groupes ethniques des Mandés du Nord ou des Voltaïques. On retrouve le
même résultat pour l’accès au secteur privé formel et le résultat inverse pour le secteur
informel (modèles 4 et 6). Ce résultat va dans le sens de la thèse d’une division sociale du
travail basée sur « l’ivoirité » et qui oppose les ethnies dites autochtones du Sud aux
ethnies dites allogènes du Nord : « Sous le régime d'Houphouët-Boigny, (…) en milieu
urbain, l'intégration économique et sociale des étrangers se faisait de manière relativement
aisée, sous la forme d'une division sociale du travail, héritée de la politique de mise en valeur
coloniale, qui pouvait se résumer par la formule suivante: aux Ivoiriens “de souche” (selon
les mots en vigueur aujourd'hui pour désigner les populations du Sud), les emplois salariés
dans l'administration et les grandes entreprises publiques ou parapubliques; aux étrangers et
aux ressortissants du Nord (notamment dioula), le petit commerce, le transport et les petits
métiers du secteur informel. » (Banégas 2009).
Accès au secteur privé formel
Parmi les villes les moins fluides, seule Niamey est caractérisée par un effet direct de la
position du père sur le marché du travail dans l’accès au secteur privé formel (modèle 4).
Dans cette ville, on observe une reproduction sociale dans le secteur privé formel puisque
avoir un père travaillant dans le privé augmente significativement les chances d’y travailler
soi-même. A Ouagadougou et Bamako cependant, d’autres dimensions de l’origine sociale
conditionnent l’accès au secteur privé formel. A Ouagadougou, à caractéristiques égales, les
Mossi ont moins de chances d’accéder au secteur privé formel que les individus appartenant
aux autres ethnies. Ceci s’explique par leur plus grande présence dans le secteur informel
(l’appartenance à l’ethnie majoritaire a un effet significatif dans le modèle 6). A Bamako, le
lieu de naissance donne un avantage comparatif dans l’accès au secteur privé formel : être né
à Bamako favorise significativement cet accès. Une interprétation à ce résultat est qu’être né à
Bamako –et implicitement y avoir passé la majorité de sa vie- permet le développement d’un
réseau social nécessaire à l’insertion professionnelle dans le secteur privé formel.
16
Dans les villes les moins fluides, le secteur institutionnel du père n’a pas d’effet direct
dans l’accès au secteur privé formel, à l’exception de Dakar et Cotonou, où être
« originaire » du secteur public procure un avantage par rapport à être « originaire » du
secteur informel. A caractéristiques égales, les travailleurs dont le père travaillait dans le
secteur public ont 2,5 fois plus de chances à Cotonou et 1,6 à Dakar d’exercer dans le secteur
privé formel. Il n’y a donc pas reproduction sociale mais une passerelle intergénérationnelle
allant du public vers le privé. En revanche, les autres dimensions de l’origine sociale n’ont pas
d’effet significatif sauf à Dakar où comme à Ouagadougou, l’appartenance à l’ethnie
majoritaire (les Wolofs) diminue la probabilité d’intégrer le secteur privé formel et augmente
celle de participation au secteur informel.
Notons enfin que dans toutes les villes, le désavantage des femmes relativement aux hommes
est plus important lorsqu’il s’agit d’intégrer le secteur privé formel plutôt que le secteur
public.
Accès au secteur informel
Les sept villes ne se distinguent pas vraiment quant au rôle du statut professionnel du
père dans l’accès au secteur informel (modèle 6). A l’exception d’Abidjan, avoir un père
qui a travaillé dans le secteur informel augmente dans toutes les villes la probabilité de
travailler soi-même dans le secteur informel, par rapport aux individus dont le père
travaillait dans le secteur public, et ce quel que soit son niveau d’éducation. A Abidjan, il n’y
a pas d’effet direct significatif du statut du père.
En revanche, l’effet de l’appartenance à l’ethnie majoritaire est différent selon les pays : il est
nul à Cotonou, Lomé et Bamako, significativement positif à Dakar et Ouagadougou et
significativement négatif à Abidjan et Niamey, comme déjà évoqué.
Il en est de même pour le lieu de naissance : être né dans la ville augmente la probabilité de
travailler dans le secteur informel à Cotonou et Lomé. Cet effet est le pendant de l’effet
négatif d’être né dans la ville sur l’accès au secteur public.
Dans toutes les villes, enfin, le sexe est un facteur discriminant dans l’accès au secteur
informel, les femmes ayant une probabilité plus forte que les hommes d’y travailler.
Inégalité des chances scolaires
Il est intéressant de mettre ces résultats en regard de l’inégalité des chances scolaires observée
dans les sept villes. L’inégalité des chances scolaires correspond à l’association entre le
niveau scolaire des individus et leur origine sociale, après avoir pris en compte l'état des
distributions de ces deux variables. Autrement dit, en définissant l’origine sociale par le
niveau scolaire du père, l’égalité des chances est vérifiée lorsque les individus, dont les pères
ont un niveau scolaire i, ont la même probabilité d’atteindre un niveau scolaire j que les
individus dont les parents ont un niveau scolaire j, et ceci quels que soient les niveaux
scolaires i et j. Nous avons considéré ici trois niveaux scolaires16
16 Inférieur au primaire complet, compris entre le primaire complet et le 1er cycle du secondaire incomplet,
supérieur ou égal au 1er cycle du secondaire complet.
. Pour comparer les sept
17
agglomérations à l’aune du critère d’inégalité des chances scolaires, nous avons à nouveau
recours à la modélisation log-linéaire UniDiff et au paramètre
β
d’intensité issu de cette
modélisation et qui résume la variation entre les villes des inégalités sociales dans l’accès à un
niveau scolaire. Par convention, on fixe à nouveau la valeur du paramètre à 1 pour Dakar. Les
paramètres de chaque ville sont présentés dans le graphique 4.
Graphique 4 : Paramètres d’intensité du lien entre niveau d’éducation des individus et de leur
père (paramètres béta du modèle UniDiff)
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Le classement des villes selon le degré d’inégalité des chances est le même lorsqu’il s’agit
des chances scolaires que lorsqu’il s’agit des chances d’accès à l’un des trois secteurs
institutionnels : Cotonou, Dakar et Lomé présentent la plus faible rigidité sociale, puis
par ordre croissant, Abidjan, Bamako, Niamey et Ouagadougou. Pour l’inégalité des
chances scolaires, le classement est robuste au choix de la variable d’origine sociale : les pays
occupent les mêmes positions respectives si l’origine sociale est mesurée par le secteur
institutionnel du père.
Les tests de significativité des différences entre les paramètres des sept villes permettent de
définir trois groupes de villes, représentés sur le graphique 4. Cotonou, Dakar et Lomé se
caractérisent par un même degré d’inégalité des chances, plus faible que dans les quatre autres
villes ouest africaines. L’analyse des odd ratios indique que dans ces trois villes, un individu
dont le père a au moins terminé le collège à environ 7 fois plus de chances de terminer lui-
même le collège qu’un individu dont le père n’a jamais terminé le primaire. Abidjan, Bamako
et Niamey présentent une inégalité des chances dans l’accès à l’éducation d’un tiers
supérieure à celle observée pour le premier groupe de villes. La valeur du odd ratio présenté
pour le groupe précédent se situe pour ce groupe autour de 17. Ouagadougou se distingue
enfin de toutes les autres villes par des inégalités de chances scolaires particulièrement
élevées. Le odd ratio précédant vaut 25 pour cette ville.
Ces résultats éclairent les résultats précédents et permettent d’établir une typologie des villes
selon le lien causal qui unit le secteur institutionnel des individus à celui de leur père :
0
0,5
1
1,5
2
2,5
Cotonou
Dakar
Lomé
Abidjan
Bamako
Nia mey
Ouagadougou
18
- A Cotonou, Dakar et Lomé, l’inégalité des chances dans l’accès au secteur
institutionnel est modérée, relativement aux autres villes, et le secteur
institutionnel du père a un effet principalement indirect sur l’accès à un secteur
institutionnel, en conditionnant le niveau d’éducation atteint par les individus.
- A Abidjan, le lien entre secteur institutionnel des individus et de leur père est
également surtout indirect. L’inégalité des chances scolaires y est cependant plus
élevée que dans les trois précédentes villes, ce pourquoi Abidjan se trouve à la
frontière du groupe précédent en termes d’inégalité des chances dans l’accès au
secteur institutionnel.
- Bamako, Niamey et Ouagadougou cumulent un effet direct du secteur
institutionnel du père sur celui des individus à un effet indirect via l’éducation
relativement élevé. Ces deux effets cumulés font que ces villes appartiennent au
groupe dans lequel l’inégalité des chances dans l’accès à un secteur institutionnel
est la plus forte.
Ainsi, à Cotonou, Dakar, Lomé et Abidjan, une politique visant à réduire l’inégalité des
chances scolaires permettrait de réduire en grande partie l’inégalité des chances d’accès
aux différents secteurs institutionnels (encadré 1). En revanche, à Bamako, Niamey et
Ouagadougou, une telle politique ne serait pas suffisante si l’effet direct observé de la
position du père s’explique par l’existence d’un capital informationnel ou social transmissible
que les parents ont pu accumuler grâce à leur position sur le marché du travail. A long terme
cependant, l’égalisation des chances scolaires, en modifiant profondément les normes et
valeurs de la société, pourraient réduire l’effet direct de la situation du père sur la position sur
le marché du travail.
Encadré 1 : Quelles politiques pour réduire l’inégalité des chances en Afrique?
A- Réduire l’inégalité des chances scolaire en agissant sur l’offre éducative
1. Orienter les dépenses publiques en éducation vers les plus défavorisés. Plusieurs études ont montré qu’en
Afrique, les dépenses publiques en éducation ne bénéficient pas prioritairement aux plus défavorisés. Pour
remédier à cela, certains pays se sont dotés d’une carte scolaire afin d’identifier les zones et les populations non
desservies par les services scolaires et ainsi de rendre plus équitables les choix d’investissement dans de
nouveaux établissements ou l’allocation des enseignants. Cette pratique est cependant loin d’être généralisée.
D’autres pays ont opté pour de nouvelles méthodes d’allocation des ressources scolaires comme les subventions
par élèves qui sont envoyées aux établissements pour couvrir les dépenses non salariales pratiquées dans de
nombreux pays anglophones, mais également au Rwanda, à Madagascar et au Bénin. En Afrique du Sud la
subvention par élève allouée aux établissements est d’autant plus élevée que l’école scolarise des enfants
défavorisés ou est située dans un environnement pauvre. Des normes d’allocation des enseignants plus
favorables aux établissements défavorisés ont été fixées, privilégiant un nombre d’élèves par enseignant plus
faible dans les établissements défavorisés. Ces mesures ont contribué à réduire les inégalités entre écoles
publiques qui étaient très fortes du temps de l’apartheid. Néanmoins, malgré ces mesures, les coûts unitaires les
plus élevés continuent à être observés dans les 20% d’établissements publics qui scolarisent les élèves des
familles les plus aisées, du fait de la difficulté à envoyer enseignants qualifiés dans les zones défavorisées, et
l’impossibilité d’imposer des normes trop différentes d’allocation des enseignants entre établissements.
2. Rendre la scolarité plus abordable en supprimant les frais de scolarité dans l’enseignement primaire.
Un des premiers pays à avoir appliqué une telle mesure en Afrique fut le Malawi en 1991. Les effets ont été
notables dès son introduction, comme l’atteste l’augmentation de l’effectif scolarisé qui est passé de 1,7 à 2,9
millions d’enfants entre deux ans. L’Ouganda a suivi en 1997, et a connu une hausse comparable des effectifs
d’élèves. Depuis de nombreux pays leur ont emboîté le pas, comme le Cameroun en 1999, la Tanzanie en 2001,
la Zambie en 2002, Madagascar en 2003 et le Burundi en 2005. Dans tous ces pays, cette réforme a eu un impact
considérable sur la scolarisation des enfants, en particulier celle des enfants les plus défavorisés et des zones
rurales mais n’ont pas eu d’impact positif sur la rétention des élèves les plus défavorisés, notamment du fait d’un
19
mauvais accompagnement de cette réforme créant une forte détérioration de la qualité des conditions
d’enseignement.
3. Rendre l’offre d’éducation plus flexible et l’adapter aux besoins des élèves les plus défavorisés, en
assouplissant certaines réglementations qui entravent la scolarisation (obligation de présenter un certificat de
naissance pour une première inscription ou d’être inscrit par ses parents, exclusion des filles enceintes ou ayant
accouché), en modifiant le calendrier scolaire pour qu’il soit en phase avec le calendrier agricole ou encore en
développant des programmes spécifiques à certains groupes défavorisés (orphelins du sida, enfants soldats ou
handicapés, etc.).
4. Donner accès à une bonne éducation aux enfants démunis les plus brillants. Une autre stratégie suivie par
certains pays est d’encourager les élèves les plus brillants à s’inscrire dans de bonnes écoles préparant à
poursuivre des études longues. De nombreux pays africains entretiennent ainsi des établissements de prestige :
internats ou collèges/lycées de prestige où sont scolarisés les meilleurs élèves appelés à poursuivre des études.
Tout dépend de la manière dont est assurée la sélection et si notamment les enfants des zones rurales et des
milieux défavorisés y sont équitablement représentés. Des pratiques proches de quotas ont été envisagées
(comme en Tanzanie) mais rarement efficacement et équitablement mises en œuvre dans la durée. D’autres pays
ont mis en place des mesures ciblées sur les groupes sous-représentés. L’Inde a développé des internats spéciaux
pour des élèves des castes sous-représentées. Elle a aussi des internats gratuits pour les filles des zones rurales et
encourage ainsi leur scolarisation dans le secondaire. Ce type de mesure est encore peu développé en Afrique
compte tenu de son coût mais il pourrait être appelé à se développer.
B- Réduire l’inégalité des chances scolaire en agissant sur la demande de scolarisation
1. Réduire les coûts indirects de la scolarisation. Plusieurs programmes visent à réduire les coûts indirects des
plus défavorisés et stimuler ainsi leur demande scolaire. Les programmes de transferts conditionnels et
d’alimentation scolaires sont parmi les plus populaires. Les programmes de transferts conditionnels, très
développés en Amérique latine, consiste à verser une allocation mensuelle aux familles les plus pauvres sous
condition qu’elles envoient leurs enfants à l’école. Les évaluations d’impact de ces programmes concluent
généralement qu’ils permettent d’augmenter significativement la scolarisation des pauvres et leur rétention dans
le système scolaire. En Afrique de tels projets sont en cours d’expérimentation, sous forme pilote, dans un
certain nombre de pays (Tanzanie, Nigéria, Kenya, Zimbabwe) mais généralement sans conditionnalité (Malawi,
Zambie, Ghana, Mozambique). Aucune évaluation de l’impact de ces programmes n’a pu encore être menée. Les
programmes d’alimentation scolaire existent dans de nombreux pays en Afrique. De nombreuses études ont mis
l’accent sur l’impact positif de ce type d’intervention sur la participation des élèves et sur leur assiduité en cours.
Il améliore les capacités d’apprentissage des élèves les plus nécessiteux et constituent une incitation pour les
familles d’envoyer et de maintenir les enfants à l’école. Ces programmes sont d’autant plus efficaces qu’ils
interviennent tôt dans le cursus scolaire, qu’ils ciblent les écoles qui scolarisent le plus d’enfants très pauvres et
vulnérables.
2. Accroître l’éducabilité des enfants. Les premières années de la vie jouent un rôle clef dans la formation du
cerveau humain. Or, une mauvaise hygiène et alimentation, de mauvais traitements au cours de la petite enfance
peuvent perturber de manière irrémédiable le développement physique, mental, cognitif et affectif des nouveaux
nés et des enfants. Les programmes portant sur la petite enfance qui combinent des interventions en santé,
vaccination, nutrition et stimulation peuvent aider à réduire les inégalités dans le développement cognitif des
enfants et ce d’autant plus qu’ils sont mis en place tôt.
C- Réduire l’inégalité des chances en agissant sur le marché du travail
1. Améliorer l’accès à l’information sur les opportunités d’emploi. Les canaux formels de recherche
d’emploi sont très peu utilisés en Afrique. Dans les capitales de l’UEMO, seuls 10% des actifs ont trouvé leur
emploi à travers les canaux formels de recherche d’emploi. Le taux d’inscriptions des demandeurs d’emploi
auprès d’une agence d’emploi est très faible notamment du fait d’une mauvaise connaissance de ces agences :
65% des chômeurs non-enregistrés le sont car ils ne connaissent pas l’existence d’une telle agence. Ainsi, rendre
les agences d’emploi plus efficientes et mieux connues permettrait un accès plus équitable au marché du travail.
2. Permettre aux plus défavorisés d’accéder au marché du crédit. Si la transmission directe
intergénérationnelle de la position sur le marché du travail se fait à travers la transmission d’un capital physique,
alors rendre plus égalitaire l’accès au capital physique en améliorant l’accès au marché du crédit devrait
contribuer à l’égalisation, des chances sur le marché du travail.
20
3. Aider les plus défavorisés à se créer un réseau social utile dans la recherche d’emploi. Dans les capitales de
l’UEMOA, plus de 60% des actifs ont fait appel à leur réseau social pour trouver leur emploi. Même si les
caractéristiques et les modes de formation de réseaux sociaux sont encore très méconnus en Afrique, il
semblerait qu’une politique visant à développer le réseau social des plus défavorisés permettrait de réduire
l’inégalité des chances sur le marché du travail. Pour ce faire, une piste est de développer les partenariats entre
les entreprises privées et publiques et les organismes de formation accueillant les plus défavorisés.
3. Inégalité des chances dans l’accès aux catégories socio-professionnelles
Pour caractériser l’inégalité des chances sur le marché du travail dans les capitales ouest
africaines, il est important de ne pas seulement considérer l’accès aux secteurs institutionnels
mais aussi la catégorie socio-professionnelle (CSP). Les enquêtes 1-2-3 définissent neuf CSP,
en distinguant, à l’instar du schéma de classes de Goldthorpe (1980) les professions selon les
relations au travail, en particulier en distinguant ceux qui achètent le travail des autres, ceux
qui n’achètent pas le travail des autres mais qui ne vendent pas le leur et ceux qui vendent leur
travail. Etant donné le faible effectif de quatre de ces CSP, la classification retenue comporte
cinq modalités, les trois premières définissant le salariat :
- Cadre, ingénieur, agent de maîtrise et assimilé
- Employé, ouvrier
- Manœuvre
- Patron, employeur
- Travailleur indépendant, aide familial, apprenti
Bien que le secteur institutionnel et la CSP soient fortement corrélés -pour tous les pays, le
coefficient de corrélation dépasse 0,65-, cette corrélation est loin d’être parfaite, comme le
montre le tableau 2 qui croise le secteur institutionnel aux CSP agrégées pour distinguer les
catégories salariées des catégories non-salariées. Si le secteur public ne comprend que des
salariés, entre 10 et 35% du secteur privé formel comportent des emplois non-salariés et entre
5 et 15% du secteur informel comprend des emplois salariés. Ainsi, près d’un quart des
emplois salariés se trouvent dans le secteur informel, contre la moitié dans le secteur public.
Les résultats obtenus pour les secteurs institutionnels ne sont donc pas forcément les mêmes
que ceux pour les CSP.
Tableau 2 : Lien entre le secteur institutionnel et les catégories professionnelles salariées
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
3.1. Evolution des catégories socio-professionnelles
En termes d’évolution, Cotonou, Lomé et Dakar ne connaissent pas de changement
significatif dans la répartition des catégories socio-professionnelles entre les actifs occupés au
Part des salariés dans chaque secteur
Dakar Cotonou
Ouagadougou
Abidjan Bamako Lomé Niamey
Public et para-public 100 100 100 100 100 94 100
Privé 90 80 82 92 65 84 83
Informel 13 611 16 810 15
Total 40 30 36 44 31 30 40
Part de chaque secteur dans le salariat
Dakar Cotonou
Ouagadougou
Abidjan Bamako Lomé Niamey
Public et para-public 34 51 56 29 57 46 52
Privé 43 33 23 47 25 30 23
Informel 22 15 21 24 18 24 25
Total 100 100 100 100 100 100 100
21
moment de l’enquête et leurs pères (tableau 3). Ce n’est pas le cas de Ouagadougou,
Niamey, Bamako et Abidjan où l’on observe une forte diminution des indépendants, qui
étaient par rapport aux autres villes surreprésentés parmi les pères. La part des indépendants
parmi les enquêtés est par conséquent très similaire entre les villes. A Ouagadougou, Niamey
et Abidjan, cette diminution des indépendants a été compensée par une augmentation
des catégories salariées en particulier des cadres. Pour les patrons, employeurs ainsi que
les manœuvres, les effectifs sont trop réduits pour déceler des différences significatives entre
les pays et entre les pères et leurs enfants17
Part dans la
population des
travailleurs des…
.
Tableau 3 : Répartition des actifs occupés et de leurs pères selon la CSP
(%)
Parmi les
pères
Parmi les
enquêtés
de 35 ans
et plus
Différence
Significativité
de la
différence
Salariés
Cotonou
34
29
-5
NS
Lomé
30
30
-1
NS
Dakar
39
39
0
NS
Bamako
26
30
4
NS
Ouagadougou
21
36
15
***
Niamey
21
39
18
***
Abidjan
23
45
22
***
Cadres
Lomé
12
8
-4
NS
Dakar
13
12
-2
NS
Cotonou
15
14
-1
NS
Bamako
16
17
2
NS
Abidjan
10
17
7
**
Ouagadougou
7
15
8
**
Niamey
9
19
10
***
Employés/ Ouvriers
Cotonou
17
12
-6
NS
Dakar
23
20
-2
NS
Lomé
16
17
1
NS
Bamako
8
10
1
NS
Niamey
9
12
3
NS
Ouagadougou
10
13
3
NS
Abidjan
11
21
10
***
Indépendants
Abidjan
71
42
-30
***
Niamey
78
58
-20
***
Ouagadougou
78
59
-18
***
Bamako
72
61
-11
***
Lomé
67
63
-4
NS
Cotonou
63
62
-1
NS
Dakar
58
58
-1
NS
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Note : ***, ** signifie une différence significative au seuil de respectivement 1%, 5% ; NS : différence non-
significative au seuil de 5%.
17 Si nous ne considérons que les natifs de la ville, les résultats restent inchangés pour Ouagadougou et Niamey
qui connaissent une augmentation des cadres et une diminution des indépendants significatives. Ce résultat reste
vrai lorsque que nous excluons les cadres du secteur public. En revanche, Dakar, Cotonou, Abidjan, Bamako et
Lomé connaissent une diminution des catégories socio-professionnelles salariées, à savoir les cadres, les
employés et ouvriers, les manœuvres et une augmentation significative des emplois non salariés, à savoir les
patrons, employeurs et les indépendants, aides familiales et apprentis.
22
3.2. Des inégalités des chances dans l’atteinte de catégories socio-professionnelles
proches de celles dans l’accès aux secteurs institutionnels
Tout comme pour le secteur institutionnel, nous cherchons à mesurer le lien entre la catégorie
socio-professionnelle de l’enquêté et celle de son père, quelles que soient les distributions des
actifs parmi les enquêtés et leur père. Pour ce faire, nous avons à nouveau recours aux
rapports des chances relatives qui, rappelons-le, traduisent la concurrence entre deux
individus dont les pères appartenaient à des CSP distinctes dans l’atteinte d’une CSP plutôt
qu’une autre. Le graphique 5 présente pour les sept villes les rapports des chances relatives
pour l’ensemble des CSP et le graphique 6 permet de comparer les villes selon les rapports
des chances relatives des CSP les plus représentées.
Graphique 5 : Rapports des chances relatives entre l’ensemble des CSP
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Le graphique 5 nous montre que pour toutes les villes, les distances sociales sont les plus
élevées lorsqu’elles unissent une CSP salariée à une CSP non salariée : à Dakar, Cotonou,
Lomé et Ouagadougou, le rapport des chances relatives le plus élevé est celui entre les cadres
et les patrons ou employeurs ; à Abidjan, Bamako et Niamey, c’est celui entre les cadres et les
indépendants.
Graphique 6 : Comparaison des villes selon les rapports des chances relatives entre les CSP
0
5
10
15
20
25
30
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
C / EO
EO / P
C / P
C / I
EO / I
P / I
Dakar Cotonou Lomé Abidjan Bamako Niamey Ouagadougou
C: Cadres
EO: Employés ou Ouvriers
P: Patron
I: Indépendants
23
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Note : Pour chaque ville, la valeur centrale, représentée par un losange, correspond au rapport des chances
relatives. Les bornes inférieure et supérieure, représentées par un segment, correspondent aux bornes d’un
intervalle de confiance à 90%.
Un premier résultat du graphique 6 est qu’il n’y a pas de différence significative entre les
villes quant à la distance sociale entre les catégories salariées que ce soit entre les cadres et
les employés (graphique 6A), entre les cadres et les manœuvres ou encore entre les
manœuvres et les employés ou ouvriers : pour toutes ces CSP, les intervalles de confiance des
rapports des chances relatives se chevauchent18
18 Du fait d’un nombre réduit de manœuvres, les intervalles de confiance pour les OR comprenant cette CSP sont
très larges.
. De la même façon, les villes ne se
distinguent pas en termes de distance sociale entre les catégories non-salariées, à savoir
entre les indépendants et les patrons ou employeurs (graphique 6B). Il faut toutefois noter que
les intervalles de confiance sont très larges de par le faible effectif de patrons et employeurs.
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10 A- OR Cadres versus Employés, ouvriers
0
2
4
6
8
10
12
14
16 C- OR Cadres versus Indépendants
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10 B- OR Patrons employeurs versus Indépendants
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10 D- OR Employés, ouvriers versus Indépendants
0
1
2
3
4
5E- OR Salariés versus Non salariés
24
En revanche, les villes n’offrent pas les mêmes distances sociales entre les CSP salariées
et les CSP non-salariées, en particulier entre les cadres et les indépendants (graphiques
6C et 6E). Les quatre villes côtières Dakar, Abidjan, Lomé et Cotonou présentent une
fluidité sociale significativement plus élevée qu’à Bamako, Niamey et Ouagadougou
entre les CSP salariées et les non-salariés. En ce qui concerne la distance sociale entre les
cadres et les indépendants, un enfant de cadres à Cotonou ou à Dakar, a quatre fois plus de
chances qu’un enfant d’indépendant d’être lui-même cadre plutôt qu’indépendant. A Bamako,
Niamey et Ouagadougou, ce rapport est multiplié par trois.
La modélisation log-linéaire Unidiff permet de proposer un classement des villes selon une
mesure synthétique des inégalités sociales dans l’accès aux cinq différentes CSP définies ici
(cf. annexe 3). Le graphique 7 présente pour les sept villes la valeur du paramètre d’intensité,
toujours en normalisant cette valeur à 1 pour Dakar.
Graphique 7 : Paramètres d’intensité du lien entre la CSP des individus et celle de leur père
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Les pays se classent dans les mêmes groupes lorsqu’il s’agit de l’inégalité des chances
dans l’accès à un secteur institutionnel que lorsqu’il s’agit de l’inégalité des chances
dans l’accès à une CSP. Là encore, Bamako, Niamey et Ouagadougou se distinguent des
autres villes par leur niveau élevé d’inégalité des chances.
3.3. Le rôle de l’éducation dans l’inégalité des chances d’accéder aux CSP salariées
Tout comme pour le secteur institutionnel, il est nécessaire de s’interroger sur le lien de
causalité entre la CSP du père et celle de son enfant. Nous cherchons donc à nouveau à savoir
si la CSP du père a un effet direct sur l’atteinte d’une CSP ou si son effet est indirect en
conditionnant le niveau d’éducation atteint. L’analyse précédente ayant montré que les villes
s’opposent principalement quant à leurs distances sociales entre CSP salariées et CSP non
salariées, nous avons choisi de ne distinguer dans un premier temps que deux catégories
socio-professionnelles, celle des salariés (cadres, employés, ouvriers, manœuvres) et celle des
non salariés (patrons, employeurs, indépendants, aide familial, apprenti). Pour chaque ville,
nous estimons donc deux modèles logit expliquant la probabilité d’appartenir à une CSP
25
salariée, le second modèle incluant dans les variables explicatives le niveau d’éducation des
individus. Les résultats de ces estimations, présentés sous la forme des odd ratios, se trouvent
dans le tableau 3.
Tableau 3 : Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès aux CSP salariées
Catégorie professionnelle Salarié
Modèle 1 Modèle 2
Père salarié
(ref.
Indépendant
ou patron)
Cotonou
2,1
1,6
Dakar 2,0 1,4
Lomé
2,2
1,6
Abidjan 1,6 1,3
Bamako
3,7
2,5
Niamey 3,4 2,1
Ouagadougou
3,8
2,0
Est né dans
l'agglomération
de …
Cotonou
0,5
0,6
Dakar 0,8 0,7
Lomé
0,7
0,7
Abidjan 0,9 0,9
Bamako 1,1 0,9
Niamey 0,9 0,7
Ouagadougou
0,7
0,7
Appartient à
l'ethnie
majoritaire
Cotonou 1,2 1,1
Dakar 0,7 0,6
Lomé 0,8 0,9
Abidjan 3,0 1,9
Bamako 0,8 1,0
Niamey 1,2 1,3
Ouagadougou
0,4
0,7
Sexe (ref.
Femme)
Cotonou
5,3
3,3
Dakar 3,7 3,7
Lomé
6,3
4,2
Abidjan 7,0 5,4
Bamako
3,8
3,5
Niamey 3,9 3,8
Ouagadougou
4,1
4,2
Père a été à
l'école
Cotonou
1,5
0,9
Dakar 1,7 1,4
Lomé 1,0
0,7
Abidjan 2,0 1,4
Bamako
1,4
0,9
Niamey 1,7 0,8
Ouagadougou 1,4 0,8
Education
primaire
complète ou
2ndaire 1
incomplète
(ref. < primaire
complet)
Cotonou
2,9
Dakar 2,8
Lomé
2,4
Abidjan 2,2
Bamako
2,3
Niamey 4,6
Ouagadougou
4,2
Education Cotonou
10,2
26
2ndaire 1
complète et
plus (ref. <
primaire
complet)
Dakar 6,6
Lomé 5,7
Abidjan 6,2
Bamako 12,9
Niamey 18,0
Ouagadougou 24,1
Source : Enquêtes 1-2-3 phase 1, calculs de l’auteure. Champs : les individus de 35 ans et plus
Lecture : À Cotonou, avoir un père salarié multiplie par 2,1 le odd d’avoir un emploi salarié. Autrement dit, la
probabilité d’avoir un emploi salarié divisée par la probabilité d’avoir un emploi comme indépendant ou patron
augmente de 110% lorsque le père a un emploi salarié, plutôt que non salarié, toutes choses égales par ailleurs.
Note : les odd ratios en gras correspondent à des coefficients significatifs au seuil de 10%.
La comparaison des modèles 1 et 2 montre que pour toutes les villes, à l’exception
d’Abidjan, l’effet de la CSP du père a un effet direct sur l’atteinte d’une CSP salariée
plutôt qu’une CSP non salariée. De plus, il apparaît que les villes caractérisées par le niveau
le plus élevé d’inégalité des chances dans l’atteinte d’une CSP (Ouagadougou, Bamako et
Niamey) sont également celles dans lesquelles l’effet direct de la CSP du père est le plus
important. Ainsi, ces villes cumulent aux effets indirects les plus élevés (les inégalités des
chances scolaires y sont les plus importantes et la CSP est plus fortement conditionnée par
l’éducation qu’ailleurs) les effets directs les plus conséquents.
Les autres dimensions de l’origine sociale ont des effets similaires à ceux observés dans
l’atteinte d’un secteur institutionnel. L’ethnie a le même effet à Abidjan et à Niamey que celui
constaté dans l’accès au secteur public : à Abidjan, l’appartenance aux groupes ethniques des
Akan, des Krou et des Mandés du Sud augmente significativement les chances d’être salarié
par rapport à ceux qui appartiennent aux groupes ethniques des Mandés du Nord ou des
Voltaïques ; à Niamey, les Djerma ont plus de chances, toutes choses égales par ailleurs,
d’être salariés que les individus des autres ethnies. A Dakar et à Ouagadougou, l’ethnie a le
même effet que dans l’accès au secteur privé formel dans la mesure où l’appartenance à
l’ethnie wolof pour Dakar et Mossi pour Ouagadougou diminue la probabilité d’être salarié.
Le fait d’être né dans la ville représente à Lomé et Cotonou, tout comme pour l’accès au
secteur public, un handicap dans l’atteinte de CSP salariées. Dakar, Niamey et Ouagadougou
sont également concernées par ce phénomène.
Dans un second temps, nous estimons l’accès aux quatre principales CSP, c’est-à-dire les CSP
les plus représentées, à savoir les cadres, les employés ou ouvriers, les patrons ou employeurs
et enfin les indépendants, en distinguant cette fois pour les pères les indépendants agricoles
des indépendants non-agricoles. Les résultats de l’estimation des modèles logit correspondant
sont présentés dans l’annexe 4. Ils montrent que l’effet direct de la CSP du père concerne
principalement l’accès aux CSP d’employés ou ouvriers, de patrons ou employeurs et enfin
d’indépendants. En revanche, pour l’accès aux CSP de cadres, l’effet de la CSP du père est
principalement indirect, à travers son rôle sur le niveau d’éducation atteint. L’opposition entre
Ouagadougou, Bamako et Niamey d’une part et Dakar, Abidjan, Lomé et Cotonou d’autre
part se vérifie dans l’atteinte des CSP d’employés ou ouvriers et d’indépendants. Dans les
trois premières villes, l’effet direct de la CSP du père contribue dans une plus grande mesure à
la reproduction sociale que dans les quatre villes côtières. En revanche, cette opposition n’est
plus vérifiée lorsqu’il s’agit de l’atteinte de la CSP de patrons ou d’employeurs : l’effet direct
de la CSP du père est plus élevé à Dakar et à Abidjan qu’à Bamako ou Niamey. Rappelons
toutefois que cette CSP est assez peu représentée elle représente en moyenne sur les 7 villes
27
6,9% des actifs, contre 15,4% pour les cadres ou les employés et ouvriers et 56,1% pour les
indépendants- avec pour conséquence des résultats moins robustes pour cette CSP.
4. Conclusion
A partir de données parfaitement comparables, cette étude montre que dans les sept capitales
ouest africaines considérées, l’origine sociale a un rôle déterminant dans le positionnement
sur le marché du travail. Cependant, les villes n’offrent pas le même degré d’inégalité des
chances : les trois villes de pays enclavés et présentant les plus faibles niveaux de
développement humain et de richesse sont caractérisées par un niveau plus élevé d’inégalité
des chances que les villes côtières. Ce classement des villes en deux groupes est robuste au
choix de la variable de résultat considérée, à savoir la catégorie socio-professionnelle, le
secteur institutionnel ou encore le niveau déducation, avec toutefois une frontière un peu
floue entre Abidjan et Bamako. En moyenne, Bamako, Niamey, Ouagadougou ont un degré
d’inégalité presque deux tiers plus élevé que celui observé à Dakar, Abidjan, Lomé et
Cotonou lorsqu’il s’agit de l’accès aux secteurs institutionnels ou de la catégorie socio-
professionnelle et de moitié plus élevé en termes d’accès à l’éducation.
A l’exception de Bamako, Niamey et Ouagadougou, les canaux de transmission
intergénérationnelle des inégalités sont principalement indirects lorsqu’il s’agit de l’accès aux
secteurs institutionnels public et privé: l’atteinte d’un de ces secteurs institutionnels dépend
essentiellement du niveau d’éducation, sachant que la situation professionnelle des parents
détermine ce niveau d’éducation. Ceci explique que la fluidité sociale soit la plus faible entre
le secteur public et le secteur informel puisque le secteur public est le secteur qui valorise le
plus l’éducation et attire les plus éduqués, le secteur informel se situant à l’autre extrême
(Kuepie, Nordman et Roubaud 2008, Dimova, Nordman et Roubaud 2008).
En revanche, en plus de ce canal indirect via l’éducation, l’accès au secteur informel ou à une
catégorie socio-professionnelle salariée et pour Bamako, Niamey et Ouagadougou l’accès au
secteur public dépendent directement de la situation professionnelle des parents. Les chances
d’exercer un emploi dans le secteur informel sont beaucoup plus élevées toutes choses égales
par ailleurs si le père exerçait lui-même dans le secteur informel. De même, accéder à une
catégorie socio-professionnelle salariée (cadre, employé, ouvrier, manœuvre) plutôt que non-
salariée (patron, employeur, indépendant, aide familial, apprenti) est favorisé par le fait
d’avoir un père ayant appartenu à une catégorie salariée. Enfin, à Bamako, Niamey et
Ouagadougou, la probabilité de travailler dans le secteur public augmente significativement
lorsque le père exerçait dans le secteur public, toutes choses égales par ailleurs. Cette
transmission intergénérationnelle directe pourrait s’expliquer par l’existence d’un capital
informationnel ou social transmissible que les parents ont pu accumuler grâce à leur position
sur le marché du travail.
Cette étude montre également que la situation professionnelle n’est pas la seule dimension de
l’origine sociale à influer sur la position sur le marché du travail. A Niamey, Ouagadougou,
Dakar et Abidjan, l’ethnie a un effet sur la position sur le marché du travail, même une fois
pris en compte le fait d’être migrant ou non. L’appartenance à l’ethnie Djerma à Niamey et
aux groupes ethniques des Akan, des Krou et des Mandés du Sud à Abidjan augmente
significativement les chances d’atteindre le secteur public ou d’être salarié et diminue celles
de travailler dans le secteur informel. A Dakar et Ouagadougou, l’appartenance aux ethnies
les plus représentées dans la ville, respectivement les Wolofs et les Mossi, diminue la
28
probabilité d’intégrer le secteur privé formel ou d’être salarié et augmente celle de participer
au secteur informel. A Cotonou, Lomé et Bamako, c’est le fait d’être migrant qui affecte la
position sur le marché du travail. Il constitue un avantage à Cotonou et Lomé dans l’atteinte
du secteur public et d’un emploi salarié et un désavantage à Bamako dans l’accès au secteur
privé formel. A Niamey et Ouagadougou, être migrant constitue également un avantage dans
l’atteinte d’un emploi salarié.
29
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31
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32
Annexe 1: Présentation synthétique des 7 pays d’Afrique de l’ouest
considérés
Tableau A : Evolution politique simplifiée dans les 7 pays
Tableau B : Indicateurs de développement et d’inégalité
PIB par
tête $
constant
2000)(b)
Indice de
Gini sur
les
revenus
dans la
capitale(d)
Population
rurale (% de la
population
totale)(b)
Indicateur de
développement
humain
(Rang)(a)
Malnutrition
poids par
âge (% parmi
les moins de
5 ans)(b)
Indice de
fécondité (#
naissances
par
femme)(b)
Taux de
mortalité
(pour 1000
hab.)(b)
Bénin
313
0,53
58
0,420 (158)
23
6
13
Burkina Faso
230
0,56
83
0,325 (169)
34
7
18
Côte d'Ivoire
623
0,58
56
0,428 (156)
21
5
17
Mali
208
0,58
70
0,386 (164)
33
7
18
Niger
153
0,58
79
0,277 (172)
40
8
22
Sénégal
424
0,54
53
0,431 (154)
23
5
12
Togo
248
0,57
67
0,493 (141)
25
6
12
Taux d'alphabétisme (%
parmi les 15 ans et plus)(c) Taux d'achèvement du
primaire (e) Taux brut de
scolarisation(e)
Bénin
35
53
99
Burkina Faso
22
27
50
Côte d'Ivoire
49
48
78
Mali
19
27
61
Niger
29
27
64
Sénégal
39
51
85
Togo
53
78
100
Sources : (a) PNUD 2002 ; (b) WDI 2000 ; (c) WDI 2004 ; (d) Enquêtes 1-2-3, Amegashie et alii (2005), (e)
UNESCO/BREDA 2005, données de 2003/2004.
1960-1964 1965-1969 1970-1974 1975-1979 1980-1984 1985-1989 1990-1994 1995-1999 2000-2004
Sénégal
2000- (PSD)
Bénin
Burkina Faso
1960-1966 1977-1980 1983-1987
Côte d'Ivoire
1993-1999 1999-
Mali
Togo
Niger
1991-1996 1996-1999 1999-
Démocratie
Dictature favorable aux pays occidentaux
Dictature marxiste-léniniste
Instabilité politique
1960-1974
1974-1991
1960-1968
1968-1991
1960-2000 (P.S)
1960-1993
1987-
1966-1977
1960-1967
1967-2005
1972-1990
1991-
1960-1972
1992-
33
Annexe 2 : Les non-réponses sur la situation du père
Le tableau C présente la répartition des actifs occupés de 35 ans et plus selon le statut
d’activité du père et permet d’évaluer les taux de non-réponses sur l’activité du père.
Tableau C : Répartition des actifs occupés de 35 ans et plus selon le statut d’activité du père
Les actifs occupés de 35 ans
et plus
Nombre
d'individus
dont le père
travaillait
Répartition des individus selon le statut d'activité
du père (%)
Père
travaillait
Père ne
travaillait
pas
Père
absent
Ne sait
pas
Total
Dakar
1814
69
15
9
7
100
Cotonou
1554
74
12
13
1
100
Ouagadougou
1563
75
16
8
1
100
Abidjan
1467
83
7
8
2
100
Bamako
1473
75
9
12
4
100
Lomé
1352
80
6
12
2
100
Niamey
1440
73
14
11
2
100
Moyenne
1523
75
11
10
3
100
En moyenne, on connaît le statut d’activité de 86% des pères. Dans 10% des cas, le père était
absent lorsque l’individu avait 15 ans et n’était donc pas la personne de référence. Nous ne
connaissons malheureusement pas le statut de la personne qui aurait pu remplir ce rôle. Les
analyses de cette étude ne prennent en compte que les individus dont le père travaillait
lorsqu’ils avaient 15 ans, soit en moyenne 75% des individus. On n’exclut donc de
l’échantillon un quart des actifs occupés de 35 ans et plus. Cette exclusion est potentiellement
source de biais. Cependant, puisque l’analyse repose sur une comparaison des sept villes,
nous pouvons supposer que les biais vont dans le même sens d’une ville à l’autre, d’autant
plus que les répartitions des types de non-réponses sont très proches dans les sept villes.
Ainsi, les résultats basés sur la comparaison des villes ne devraient pas être sensibles à
l’exclusion d’une partie de l’échantillon.
Le tableau D montre les taux de non-réponses parmi les 35 ans et plus sur l’éducation du père.
Dakar présente un taux de non-réponses anormalement élevé. Une analyse plus fine suggère
que ces non-réponses correspondent aux pères qui n’ont jamais été à l’école. En effet, la part
des pères non-scolarisés à Dakar est particulièrement faible : 44% contre 69% en moyenne
dans les autres villes. C’est pourquoi nous avons choisi de recoder toutes les non-réponses à
Dakar en supposant qu’elles correspondaient à des pères non-scolarisés. Cette hypothèse est
cependant forte. Par conséquent, les résultats concernant Dakar et intégrant le niveau
d’éducation du père doivent être pris avec circonspection.
Tableau D : Taux de non-réponses parmi les 35 ans et plus sur l’éducation du père
Les 35 ans et plus
Taux de non-réponses
sur l'éducation du père
(%)
Sans
recodage
Avec
recodage
Dakar
42
0
Cotonou
0
0
Ouagadougou
5
5
34
Abidjan
2
2
Bamako
14
14
Lomé
6
6
Niamey
6
6
Moyenne
11
5
Annexe 3 : Présentation de la modélisation de différence uniforme (UniDiff)
La modélisation log-linéaire permet d’analyser comment l’association entre deux variables
qualitatives diffère selon les modalités d’une troisième variable, les villes dans cette étude. Le
principe de l’estimation par les modèles log-linéaires est de reconstituer une table de
contingence formée par ces trois variables en faisant des hypothèses sur les interactions entre
les variables. Le modèle estime la fréquence observée de chacune des cellules de la table de
contingence par la méthode du maximum de vraisemblance en prenant en compte plus ou
moins d’interactions entre les variables.
Pour illustrer la méthodologie des modèles log-linéaires, lapproche est détaillée pour une
table de contingence à deux dimensions. Tester les interactions entre les variables pour une
table à deux dimensions revient à tester lindépendance entre les deux variables qui forment
cette table. Supposons quen ligne soit représenté le secteur institutionnel du père O, à i
modalités, et en colonne, le secteur institutionnel de son enfant D à j modalités. Si les deux
variables sont indépendantes, alors, par définition :
n
nn
n
nn
n
ji
I
iij
J
jij
ij
..
==
ij
n
est la fréquence de la cellule formée par la ligne i et la
colonne j, n l’effectif total de la table. L’expression, sous forme logarithmique équivaut à :
jiij
nnnn
..
lnlnlnln ++=
Nous cherchons maintenant à tester, grâce aux modèles log-linéaires, quelles sont les
interactions entre les deux variables. Le modèle log-linéaire de référence est celui qui n’inclut
aucune interaction entre les variables. Il s’écrit :
D
j
O
iij
F
λλµ
++=)ln(
ij
F
est la fréquence estimée de la cellule
),( ji
. Elle est égale, sous l’hypothèse
d’indépendance, à :
n
nn
Fji
ij
..
=
Le paramètre
µ
est une constante. Il est la moyenne des logarithmes de l’ensemble des
fréquences estimées de la table :
=
I
i
J
jij
F
IJ )ln(
1
µ
Le paramètre
O
i
λ
est l’écart à la moyenne
µ
dont est responsable la variable
O
:
= J
jij
O
iF
J
µλ
)ln(
1
le paramètre
D
j
λ
l’écart à la moyenne
µ
dont est responsable la variable
E
:
= I
iij
D
jF
I
µλ
)ln(
1
35
Si les deux variables sont indépendantes, alors le modèle de référence reproduit parfaitement
la table observée. Nous obtenons :
jinF
ijij
,=
;
nln=
µ
;
nni
O
ilnln .=
λ
;
nn j
D
jlnln .=
λ
Si ce n’est pas le cas, un test par la statistique de vraisemblance conduit à rejeter l’hypothèse
selon laquelle les fréquences estimées
ij
F
ne sont pas significativement différentes des
fréquences observées
ij
n
. Il faut alors introduire un nouveau paramètre dans le modèle, une
interaction entre O et D,
OD
ij
λ
qui est le logarithme du rapport entre la vraie fréquence de la
cellule et la fréquence qu’elle aurait si les deux variables étaient indépendantes :
D
j
O
iij
OD
ij
F
λλµλ
+= )ln(
. Le modèle devient alors le modèle saturé :
OD
ij
D
j
O
iij
F
λλλµ
+++=)ln(
.
Dans le cadre de notre problématique, lutilisation de la modélisation log-linéaire est la plus
adaptée car elle permet de tester des hypothèses sur les rapports des chances relatives (odds
ratio).
Pour une table à trois dimensions, nous cherchons à tester les différentes interactions entre les
variables. Soit une table de contingence formée par trois variables O à I modalités, D à J
modalités, et V à K modalités.
Le modèle de référence qui suppose l’indépendance entre toutes les variables est le suivant :
V
k
D
j
O
iij
F
λλλµ
+++=)ln(
Dans ce modèle, la fréquence estimée est :
2
......
n
nnn
F
kji
ij
=
et les paramètres sont obtenus à
partir des formules suivantes :
∑∑∑
=I
i
J
j
K
kijk
F
IJK )ln(
1
µ
,
=
J
j
K
kijk
O
i
F
JK
µλ
)ln(
1
,…
Le modèle UniDiff19
jik
OD
ji
DV
kj
OV
ki
D
i
V
k
O
ikji
F
,,,,,,
)ln(
ψβλλλλλλµ
+++++++
=
, sans être le modèle saturé, introduit une triple interaction entre le
secteur institutionnel de la personne, son origine sociale et la ville considérée. Il teste donc
l’effet de se situer dans une ville plutôt que dans une autre, sur le lien entre le secteur
institutionnel de la personne et celui de son père. Il est défini ainsi :
ji,
ψ
est un paramètre qui traduit la forme de l’association statistique entre le secteur
institutionnel de la personne et celui de son père,
k
β
est un paramètre qui exprime, pour la
ville k considérée, la force relative de cette association. Si pour une ville le coefficient
β
est
fixé à 1 (
1
1=
β
), un paramètre inférieur à 1 pour une autre ville k signifie que le lien entre
l’origine sociale et la position sur le marché du travail est plus lâche dans la ville k que dans la
ville 1. A l’inverse, si
1>
k
β
, le lien est plus fort ou autrement dit, la fluidité est plus faible.
Le modèle est dit uniforme car il suppose que tous les rapports des chances relatives (odds
ratios) varient dans le même sens et avec la même intensité
k
β
entre la ville 1 et la ville k : si
le lien se relâche, il se relâche avec la même force pour les trois secteurs institutionnels.
Sous cette hypothèse, les rapports de chances relatives deviennent :
( )
OD
ij
OD
ji
OD
ji
OD
ijk
k
jj ii
OR ''''
'
'
ln
ψψψψβ
+=
19 Modèle log-multiplicatif « Uniform Difference », introduit dans la littérature par Erikson & Goldthorpe
(1992), Xie (1992).
36
A travers le paramètre
k
β
, les rapports de chances relatives dépendent de la ville k. D’une
ville k à une ville k+1, tous les rapports de chances relatives évoluent dans le même sens et
avec la même intensité, fonction des
k
β
, et ceci quels que soient les secteurs institutionnels
d’origine et de destination, i, i’, j, j’. Si les
k
β
décroissent d’une ville à l’autre, alors, on peut
parler de plus d’égalité des chances dans la dernière ville.
On a testé ensuite si les différences de
k
β
entre les villes sont significatives. Pour ce faire, on
estime le modèle UniDiff en imposant l’égalité des coefficients
k
β
pour deux des sept villes.
On compare ensuite les statistiques des rapports de vraisemblance entre le modèle contraint et
le modèle non contraint. La différence entre ces deux statistiques suit une loi de χ2 à 1 degré
de liberté. De ce fait, si la différence des rapports de vraisemblance est supérieure à la valeur
du quantile à 95% dun χ2 à 1 degré de liberté, la différence est significative, i.e. le degré
d’inégalités des chances est significativement différent entre les deux villes.
37
Annexe 4 : Estimation logit des effets de l’origine sociale sur l’accès à 4
différentes CSP
Catégorie
professionnelle
Cadres Employés
Ouvriers
Patrons
Employeurs
Indépendants
Modèl
es 1
Modèl
es 2
Modèl
es 3
Modèl
es 4
Modèl
es 5
Modèl
es 6
Modèl
es 7
Modèl
es 8
Père
Cadre
(ref.
Indépend
ant
agriculteu
r)
Cotonou 3,02 1,17 1,70 1,24 1,07 1,11 0,37 0,69
Dakar 5,12 1,28 0,99 0,90 1,79 1,91 0,40 0,90
Lomé 2,34 0,88 1,50 1,43 1,16 0,81 0,44 0,79
Abidjan 3,96 1,62 0,59 0,66 1,10 1,23 0,60 1,18
Bamako 7,01 1,73 2,32 2,13 1,55 1,68 0,12 0,31
Niamey 5,09 1,08 1,74 2,29 2,28 2,69 0,17 0,37
Ouagado
ugou
6,37 0,92 2,16 1,77 1,32 1,21 0,14 0,52
Père
Employé
Ouvrier
Manœuvr
e (ref.
Indépend
ant ou
patron
agriculteu
r)
Cotonou 0,98 0,53 2,01 1,70 1,12 1,01 0,63 0,86
Dakar 3,00 1,36 1,14 0,91 1,07 1,12 0,52 0,85
Lomé 1,14 0,63 2,24 1,83 0,80 0,62 0,51 0,74
Abidjan 1,19 0,92 1,16 1,15 1,02 1,05 0,82 0,92
Bamako 1,99 0,92 2,69 2,40 0,83 0,88 0,43 0,59
Niamey 3,15 1,38 2,31 2,09 1,04 1,14 0,36 0,60
Ouagado
ugou
2,55 0,62 2,65 1,91 1,47 1,33 0,26 0,52
Père
Indépend
ant
Patron
hors
agricultur
e (ref.
Indépend
ant ou
patron
agriculteu
r)
Cotonou 1,11 0,64 0,94 0,81 1,73 1,61 0,82 1,11
Dakar 2,26 1,15 0,77 0,66 2,57 2,49 0,87 1,36
Lomé 0,79 0,57 1,18 1,18 1,10 0,83 0,95 1,18
Abidjan 1,29 1,13 0,48 0,46 2,18 2,22 1,06 1,17
Bamako 1,66 0,95 0,93 0,86 1,09 1,15 0,94 1,27
Niamey 1,14 0,47 1,15 1,01 1,62 1,71 1,10 1,61
Ouagado
ugou
1,86 1,06 0,54 0,44 3,09 2,95 0,74 1,06
Est né
dans
l'agglomé
ration de
Cotonou 0,54 0,64 0,88 0,89 0,96 0,96 1,70 1,62
Dakar 0,65 0,53 1,15 1,14 0,98 1,12 1,26 1,31
Lomé 0,79 0,76 0,68 0,71 1,66 1,74 1,17 1,13
Abidjan 0,79 0,83 1,19 1,16 1,18 1,18 0,87 0,86
Bamako 0,97 0,82 1,19 1,11 1,22 1,18 0,86 0,97
Niamey 0,91 0,69 0,88 0,87 0,66 0,66 1,22 1,35
Ouagado
ugou
0,58 0,57 1,04 1,01 1,24 1,24 1,38 1,35
Appartien
t à
Cotonou 1,22 1,15 1,03 0,96 1,07 1,14 0,84 0,87
Dakar 1,04 1,21 0,66 0,66 0,97 0,99 1,52 1,58
38
l'ethnie
majoritair
e
Lomé 0,49 0,53 1,00 1,01 1,03 1,04 1,19 1,14
Abidjan 4,14 1,61 1,71 1,63 0,73 0,75 0,44 0,69
Bamako 0,97 1,28 1,12 1,10 0,90 0,87 1,19 1,09
Niamey 1,07 1,54 1,05 0,96 1,03 1,07 0,82 0,76
Ouagado
ugou
0,39 0,84 0,73 0,87 1,01 1,07 2,31 1,45
Sexe (ref.
Femme)
Cotonou 3,89 1,49 3,33 2,69 2,10 2,05 0,17 0,26
Dakar 2,72 1,67 3,29 4,10 2,09 2,56 0,25 0,25
Lomé 3,58 1,60 5,51 3,89 4,66 3,53 0,12 0,18
Abidjan 3,89 1,95 4,23 4,28 1,00 1,03 0,16 0,20
Bamako 2,25 1,33 2,81 2,88 5,90 5,94 0,17 0,18
Niamey 1,93 0,92 3,01 3,46 2,85 2,88 0,23 0,23
Ouagado
ugou
2,24 1,47 2,52 2,41 5,29 5,21 0,19 0,16
Père a été
à l'école
Cotonou 1,64 0,86 1,45 1,32 0,95 0,91 0,72 1,08
Dakar 1,44 1,11 1,75 1,71 1,07 0,93 0,60 0,70
Lomé 2,17 1,70 0,81 0,60 1,36 1,26 0,89 1,27
Abidjan 1,73 1,02 1,45 1,39 0,93 0,98 0,48 0,65
Bamako 1,33 0,82 1,06 1,10 0,60 0,61 1,09 1,40
Niamey 1,89 0,70 1,04 1,13 0,88 0,91 0,62 1,25
Ouagado
ugou
1,50 1,20 0,91 0,78 1,25 1,18 0,80 1,20
Education
primaire
complète
ou
2ndaire 1
incomplèt
e (ref. <
primaire
complet)
Cotonou 9,93 3,12 1,61 0,34
Dakar 12,40 2,51 0,80 0,36
Lomé 6,33 3,55 1,99 0,38
Abidjan 11,61 2,64 1,19 0,41
Bamako 10,41 2,01 0,91 0,49
Niamey 58,35 3,11 0,95 0,20
Ouagadougou 27,56 3,93 1,52 0,21
Education
2ndaire 1
complète
et plus
(ref. <
primaire
complet)
Cotonou 147,8
4
2,32 1,00 0,12
Dakar 109,3
4
1,32 1,19 0,13
Lomé 76,71 3,35 2,48 0,13
Abidjan 137,0
3
0,85 0,72 0,14
Bamako 184,6
0
1,02 0,89 0,07
Niamey 1000,
98
0,35 0,79 0,05
Ouagadougou 388,5
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1,45 1,21 0,02
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Femmes et emploi informel dans la wilaya de Béjaia (Algérie) : un modèle probit Résumé Nous identifions les déterminants de l’accès des femmes au secteur informel, grâce à un modèle probit appliqué sur un échantillon de 726 femmes actives tiré d’une enquête ménages réalisée à Bejaia en 2012. Trois théories sont testées : la théorie des stratégies de survie des ménages, la théorie du capital humain et les théories féministes. Le revenu du chef de ménage et la taille du ménage ont un effet négatif sur l’accès des femmes au secteur informel. La faiblesse du niveau d’éducation accentue la probabilité d’intégrer le secteur informel. Mots clés : emploi informel, genre, modèle probit, segmentation du marché du travail. Women and Informal Employment in the Wilaya of Bejaia (Algeria): a Probit Model Abstract We identify the determinants of women's access to the informal sector, thanks to a probit model applied to a sample of 726 active women drawn from a household survey conducted in Bejaia in 2012. We test the theory of household survival strategies, human capital theory and feminist theory. The income of the household head and household size have a negative effect on women's access to the informal sector. A low level of educational attainment increases the probability of entering the informal sector. Keywords: gender; informal employment; labour market segmentation; probit model. JEL : O17, J24, J16
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Le présent rapport fournit un ensemble de données et d’éléments permettant d’apprécier les évolutions spectaculaires du secteur de l’éducation, de l’économie et du marché de travail en Afrique. Il vise à mieux mettre en adéquation formation et emploi et formule des propositions concrètes pour investir dans des marchés porteurs grâce à une analyse détaillée du capital humain.
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Inequality of Opportunity in the Urban Labour Market in West Africa This paper aims at evaluating to what extent one’s position in the labour market is determined by his social background and what explains differences between seven West-African capital cities. Does the father’s position influence directly the occupational situation of his children through the transmission of informational, social or physical capital gained in the course of his career? Or does it play an indirect role through determining the educational level of his children? In the first case, reducing inequality of opportunities means improving labour markets efficiency and in the second case, it means improving educational policy.
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This paper reanalyzes 3-stratum intergenerational mobility classifications, assembled by Hazelrigg and Garnier for men in 16 countries in the 1960s and 1970s. Log-linear and log-multiplicative models are used to compare mobility regimes and to estimate effects of industrialization, educational enrollment, social democracy, and income inequality on immobility and other parameters of the mobility process. Several models of mobility fit the data equally well, so criteria of plausibility and parsimony are applied to choose one model of stratum-specific immobility and another model of vertical mobility with uniform immobility. We find substantial similarity in mobility and immobility across countries, but the exogenous variables do explain systematic differences among countries. Cross-national variations are complex because most of the exogenous variables have different effects on different parameters of the mobility regime. Relative to other factors, industrialization and education have weaker effects on mobility regimes than has usually been supposed.
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I propose the log-multiplicative layer effect model for comparing mobility tables. The model constrains cross-table variation in the origin-destination association to be the log-multiplicative product of a common association pattern and a table-specific parameter. Like Yamaguchi's (1987) uniform layer effect model, the log-multiplicative layer effect model provides one-parameter tests and thus facilitates analysis of the difference in "vertical mobility" between two mobility tables. Compared to the uniform layer effect model, the log-multiplicative layer effect model is far more flexible in specifying the origin-destination association. Virtually all two-way mobility models can be incorporated into the log-multiplicative layer effect model while retaining their usual interpretability. All that is required is that the tables being compared have a common pattern for the origin-destination association. Properties of the new model are demonstrated using three data sets previously analyzed in comparative mobility research. The same methodology can be generalized to the analysis of multiple two-way contingency tables if the two-way association of primary interest is specified to follow a common pattern, albeit with different levels, across the tables.