ThesisPDF Available

Représentations des religions traditionnelles africaines : analyse comparative de réseaux régionaux et disciplinaires africains et occidentaux

Authors:

Abstract and Figures

Ce mémoire présente une réflexion critique sur différentes représentations des religions traditionnelles africaines (RTA) au sein de réseaux régionaux et disciplinaires africains et occidentaux. Dans un premier temps, plusieurs formes de représentations (cartographiques et graphiques) issues de milieux universitaires occidentaux sont explorées pour comparer le traitement des RTA. Cette exploration soulève le problème des catégorisations employées qui ne rendent pas compte de la diversité, du dynamisme, de la complexité et de l’importance des RTA; et de manière plus générale, cette analyse révèle un problème sur le plan de l’équité dans les représentations des religions du monde. À l’aide d’une analyse conceptuelle, un certain nombre de catégories utilisées pour définir les RTA, notamment celle de « religion ethnique », sont remises en question, tout comme la notion de religion du monde (world religion). Dans un deuxième temps, les stratégies de recherche utilisées pour retracer des réseaux de chercheurs africains sont présentées. Différents outils et ressources documentaires occidentaux sont analysés et évalués selon qu’ils donnent accès ou non à la production de chercheurs africains sur les RTA. L’analyse de ces documents, laquelle est inspirée d’une démarche d’analyse de discours, révèle à quel point la contribution des chercheurs africains est peu prise en compte à l’intérieur du corpus sélectionné. Or, l’exploration de la situation actuelle de l’enseignement et de la recherche sur les RTA dans certaines universités du Nigéria met en lumière la somme importante de travaux sur les RTA et la diversité des canaux de communication. En somme, ce mémoire démontre à quel point le savoir est localisé et lié aux ancrages culturels, disciplinaires et idéologiques des chercheurs. Il ouvre, à partir de l’analyse de textes africains, sur la question plus large de la difficulté de la représentation de l’unité et des particularismes des RTA. This thesis provides a critical analysis of several different representations of African Traditional Religions (ATR) as found within a number of regional and disciplinary networks in Western and African countries. First, numerous means of representation (geographical maps and graphics) from different western scientific media were used to examine different ways in which ATR are represented. This analysis reveals that the categorization systems employed in these media to represent ATR do not reflect the variety, vitality, complexity and significance of ATR; and, on a more general level, reveals a lack of equity in the representations of different world religions. A conceptual analysis puts into question a number of categories (e.g. “ethnic religion”) used to define ATR as well as the notion of world religion. Second, the research strategies that were used to identify African research networks are presented. Several different Western tools and documentary resources (Database, encyclopedic articles, etc) were evaluated on their usage and citations of African research on ATR. This analysis, which was drawn from a qualitative discourse analysis approach, highlights the limited importance that is given to African researchers. In contrast, our evaluation of RTA-related education and research in Nigerian universities reveals an enormous amount of RTA-related research as well as a diversity of communication channels. On a more general level, this thesis demonstrates the extent to which knowledge is localized and linked to the cultural, disciplinary, and ideological presuppositions of researchers, and, from the analysis of African documents, opens to the larger question of the difficulty to represent the unity and specificities of ATR.
Content may be subject to copyright.
Université de Montréal
Représentations des religions traditionnelles africaines :
Analyse comparative de réseaux régionaux et disciplinaires
africains et occidentaux
par
Émilie Tremblay
Faculté de théologie et de sciences des religions
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures
en vue de l’obtention du grade de maîtrise (M.A.)
en sciences des religions
Juin, 2010
© Émilie Tremblay, 2010
Université de Montréal
Faculté des études supérieures et postdoctorales
Ce mémoire intitulé :
Représentations des religions traditionnelles africaines :
Analyse comparative de réseaux régionaux et disciplinaires africains et occidentaux
Présenté par :
Émilie Tremblay
a été évalué par un jury composé des personnes suivantes :
Denise Couture, présidente-rapporteuse
Solange Lefebvre, directrice de recherche
Paul Sabourin, codirecteur
Olivier Bauer, membre du jury
i
Résumé
Ce mémoire présente une réflexion critique sur différentes représentations des
religions traditionnelles africaines (RTA) au sein de réseaux régionaux et disciplinaires
africains et occidentaux.
Dans un premier temps, plusieurs formes de représentations (cartographiques et
graphiques) issues de milieux universitaires occidentaux sont explorées pour comparer le
traitement des RTA. Cette exploration soulève le problème des catégorisations employées
qui ne rendent pas compte de la diversité, du dynamisme, de la complexité et de
l’importance des RTA; et de manière plus générale, cette analyse révèle un problème sur le
plan de l’équité dans les représentations des religions du monde. À l’aide d’une analyse
conceptuelle, un certain nombre de catégories utilisées pour définir les RTA, notamment
celle de « religion ethnique », sont remises en question, tout comme la notion de religion du
monde (world religion).
Dans un deuxième temps, les stratégies de recherche utilisées pour retracer des
réseaux de chercheurs africains sont présentées. Différents outils et ressources
documentaires occidentaux sont analysés et évalués selon qu’ils donnent accès ou non à la
production de chercheurs africains sur les RTA. L’analyse de ces documents, laquelle est
inspirée d’une démarche d’analyse de discours, révèle à quel point la contribution des
chercheurs africains est peu prise en compte à l’intérieur du corpus sélectionné. Or,
l’exploration de la situation actuelle de l’enseignement et de la recherche sur les RTA dans
certaines universités du Nigéria met en lumière la somme importante de travaux sur les
RTA et la diversité des canaux de communication.
En somme, ce mémoire démontre à quel point le savoir est localisé et lié aux
ancrages culturels, disciplinaires et idéologiques des chercheurs. Il ouvre, à partir de
l’analyse de textes africains, sur la question plus large de la difficulté de la représentation
de l’unité et des particularismes des RTA.
Mots-clés : Religions traditionnelles africaines, religions du monde, représentations, outils de
recherche documentaire, localisation du savoir, africism, internationalisation des universités.
ii
Abstract
This thesis provides a critical analysis of several different representations of African
Traditional Religions (ATR) as found within a number of regional and disciplinary
networks in Western and African countries.
First, numerous means of representation (geographical maps and graphics) from
different western scientific media were used to examine different ways in which ATR are
represented. This analysis reveals that the categorization systems employed in these media
to represent ATR do not reflect the variety, vitality, complexity and significance of ATR;
and, on a more general level, reveals a lack of equity in the representations of different
world religions. A conceptual analysis puts into question a number of categories (e.g.
“ethnic religion”) used to define ATR as well as the notion of world religion.
Second, the research strategies that were used to identify African research networks
are presented. Several different Western tools and documentary resources (Database,
encyclopedic articles, etc) were evaluated on their usage and citations of African research
on ATR. This analysis, which was drawn from a qualitative discourse analysis approach,
highlights the limited importance that is given to African researchers. In contrast, our
evaluation of RTA-related education and research in Nigerian universities reveals an
enormous amount of RTA-related research as well as a diversity of communication
channels.
On a more general level, this thesis demonstrates the extent to which knowledge is
localized and linked to the cultural, disciplinary, and ideological presuppositions of
researchers, and, from the analysis of African documents, opens to the larger question of
the difficulty to represent the unity and specificities of ATR.
Keywords: African Traditional Religions, World religion, Representation, Tools for
documentary research, Localization of knowledge, Africism, University's
internationalization.
iii
Table des matières
Introduction 1
Les RTA dans les représentations des religions du monde .............................................................1
Buts et utilité de la recherche ..........................................................................................................4
Localisation sociale et démarche de décentration............................................................................5
Structure du mémoire et stratégies méthodologiques......................................................................9
Chapitre 1 Représentations des RTA dans le savoir savant ....................................... 13
1.1 Qu’est-ce qu’une religion du monde (world religion) .........................................................14
1.2 Représentations graphiques et cartographiques des RTA....................................................16
1.3 Réflexion sur les catégories utilisées pour représenter les RTA..........................................20
1.3.1 La notion de religion tribale à l’épreuve de l’exemple yoruba.....................................21
1.3.2 La notion de religion ethnique à l’épreuve de la religion igbo ....................................26
1.3.3 Catégorisation retenue : religion traditionnelle africaine............................................32
1.4 Représentations de la diversité des RTA .............................................................................37
1.5 Les représentations des RTA dans le programme pédagogique Exploring Africa...............41
1.6 Les représentations des RTA dans des statistiques sur la diversité religieuse au Québec et
au Canada ......................................................................................................................................46
1.7 Conclusion : inégalité de traitement entre les religions?......................................................47
Chapitre 2 Comment retracer des réseaux chercheurs africains et leurs travaux sur
les RTA ....................................................................................................................... 49
2.1 Analyse de trois articles encyclopédiques occidentaux .......................................................51
2.1.1 Identification des documents.........................................................................................52
2.1.2 Définition de la relation sociale de communication .....................................................53
2.2 Quels sont les acteurs à qui la parole a été donnée dans les trois articles encyclopédiques?
56
2.2.1 Diverses catégories d’acteurs sociaux majoritairement européens .............................56
2.2.2 Des acteurs sociaux africains majoritairement formés en Occident ............................63
2.2.3 À qui a-t-on refusé la parole pour représenter les RTA?..............................................65
2.3 Diversité d’outils et de stratégies de recherche pour retracer les chercheurs africains et leurs
travaux ...........................................................................................................................................69
2.3.1 Premières stratégies de recherche : constituer un corpus pour identifier des réseaux
de chercheurs africains .............................................................................................................69
2.3.2 La recherche universitaire sur les RTA en Afrique de l’Ouest .....................................71
2.3.3 La situation universitaire nigériane : l’exemple de quatre universités du Sud ............74
2.3.4 Comparaison de trois bases de données (ATRIUM, ATLA et Worldcat)......................80
2.4 Analyse de trois articles synthèses de chercheurs africains .................................................83
2.4.1 Description des matériaux (construction des données sociologiques) ..............................83
2.4.2 Udobata Rufus Onunwa : classification selon trois courants nationalistes africains...84
2.4.3 Hebron Luhlanya Ndlovu : classification selon les démarches théologiques...............87
2.4.4 Christopher Ifeanyi Ejizu : classification selon les discours philosophiques et
théologiques ..............................................................................................................................88
2.5 Conclusion : l’internationalisation des universités favorise-t-elle la prise en compte des
savoirs africains .............................................................................................................................90
Chapitre 3 Comment représenter l’unité ou le particularisme des RTA? ................ 93
3.1 Description des matériaux....................................................................................................94
3.2 Dans les années 1960-70, unité ou diversité ........................................................................96
3.2.1 L’unité est au niveau racial et religieux (Idowu)..........................................................96
iv
3.2.2 La pluralité de religions correspond à la pluralité de peuples africains (Mbiti) .........98
3.3 Dans les années 1980-1990, développements de méthodologies pour répondre au débat
entre singulier et pluriel.................................................................................................................99
3.3.1 Favoriser les études comparatives (Ikenga-Metuh)......................................................99
3.3.2 La cultural area approach (Mbon) .............................................................................101
3.4 Dans les années 2000.........................................................................................................103
3.4.1 Africism : unité dans la diversité (Lugira)..................................................................103
3.5 Conclusion : tensions entre représentations et idéologies..................................................104
Conclusion générale ......................................................................................................... 106
Limites et recherches à poursuivre ..............................................................................................107
Bibliographie .................................................................................................................... 111
Annexe 1 : Cartes illustrant différentes représentations des religions dans le monde... i
Annexe 2 : Tableaux consultés............................................................................................ v
Annexe 3 : Liste des principaux auteurs cités .................................................................vii
v
Liste des tableaux
TABLEAU 1 - NB. DE RÉSULTATS (NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES) PAR MOTS-CLÉS DANS ATRIUM, ATLA ET
WORLDCAT..............................................................................................................................................80
TABLEAU 2 DISTRIBUTION DES APPARTENANCES RELIGIEUSES POUR LENSEMBLE DU QUÉBEC ...................... V
TABLEAU 3 - LE NOMBRE DE PUBLICATIONS PERSONNELLES DES 25 AUTEURS IDENTIFIÉS PRÉSENTS DANS
ATRIUM, ATLA ET WORLDCAT ............................................................................................................... VI
TABLEAU 4 - TABLEAU COMPARATIF DES PUBLICATIONS (PERSONNELLES ET GÉNÉRALES) PRÉSENTÉES POUR 25
AUTEURS PRÉSENTS DANS ATRIUM, ATLA ET WORLDCAT ...................................................................... VI
vi
Liste des figures
FIGURE 1- DOUZE RELIGIONS DU MONDE SELON LES RÉGIONS GÉOPOLITIQUES OÙ ELLES SONT NÉES ................15
FIGURE 2 - UNE REPRÉSENTATION DES RTA COMME DES RELIGIONS TRIBALES.................................................18
FIGURE 3 - REPRÉSENTATION OÙ LES RTA SONT CATÉGORISÉES DINDIGENOUS RELIGIONS...............................19
FIGURE 4 - EMPIRES ET ROYAUMES D'AFRIQUE DE L'OUEST AVANT LA COLONISATION EUROPÉENNE ...............27
FIGURE 5 - CARTE DES RELIGIONS DU MONDE OÙ AUCUNE DISTINCTION NEST FAITE ENTRE LES RTA..............37
FIGURE 6 - REPRÉSENTATION QUI MENTIONNE LA RELIGION YORUBA SANS LINTÉGRER PARMI LES RELIGIONS
DU MONDE ................................................................................................................................................39
FIGURE 7 - UNE REPRÉSENTATION QUI MET EN ÉVIDENCE PLUSIEURS PEUPLES AFRICAINS PRATIQUANT DES
« RELIGIONS INDIGÈNES ».........................................................................................................................40
FIGURE 8 - CARTE REPRÉSENTANT LA PRÉSENCE DES TROIS PRINCIPALES RELIGIONS AFRICAINES (RTA, ISLAM
ET CHRISTIANISME) PAR PAYS ET DE CERTAINES RELIGIONS PLUS MINORITAIRES .....................................43
FIGURE 9 - L'ÉTENDUE TERRITORIALE DES PRINCIPALES ÉGLISES CHRÉTIENNES AUX ÉTATS-UNIS....................45
FIGURE 10 - UNE REPRÉSENTATION QUI CRÉE LIMPRESSION QUE LE CHRISTIANISME EST LA SEULE RELIGION
PRATIQUÉE DANS PLUSIEURS RÉGIONS DU MONDE .......................................................................................I
FIGURE 11 - UNE REPRÉSENTATION QUI MET L'ACCENT SUR QUELQUES GRANDES CONFESSIONS DU
CHRISTIANISME ET DE L'ISLAM ...................................................................................................................II
FIGURE 12 - CARTOGRAPHIE DE RELIGIONS DU MONDE SELON LEURS POPULATIONS ..........................................III
FIGURE 13 - DISTRIBUTION DES RELIGIONS DU MONDE ...................................................................................... IV
vii
Liste des sigles
AASR : African Association for the Study of Religions
CERA : Centre d’études des religions africaines
IAHR : International Association for the History of Religions
IHERI-AB : Institut des Hautes Études et de Recherches Islamiques-Ahmed Baba
ISITA : Institute for the Study of Islamic Thought in Africa
NARC : National African Religion Congress
NASR : Nigerian Association for the Study of Religions
TWCF : Third World Conference Foundation
viii
À mes sœurs, Laurence et Pascale, qui ont été un modèle de
persévérance tout au long de mes recherches.
À tassi Philippine, dont la détermination, m’a inspirée durant
mon travail.
Aux jeunes de l’UJAD Jeunesse, en particulier Atsufui et Mensah.
Leur courage a été une grande source d’inspiration.
À ma précieuse amie Fama.
ix
Remerciements
Je n’aurais pu réaliser ce mémoire sans le soutien et le support de plusieurs
personnes. Je voudrais remercier tout particulièrement mes parents, Diane et Jean-Marie,
qui m’ont encouragée sans relâche et qui ont cru en ma capacité à réaliser cette recherche.
Je voudrais également remercier mon époux, Kudzovi, sur qui j’ai pu compter dans tous les
moments difficiles rencontrés. Il m’a aidée à apprendre le sens de l’effort pour travailler à
la réalisation de mes rêves.
Ce mémoire n’aurait pas été possible non plus sans le support de plusieurs
personnes qui m’ont aidée à m’outiller et à développer de nouvelles méthodes de travail. Je
voudrais remercier ma directrice de recherche, Solange Lefebvre, qui a contribué à ce que
je développe la rigueur intellectuelle nécessaire pour assumer la responsabilité de rendre
compte de la réalité et de représenter le point de vue des auteurs (sa logique et sa
congruence) qui ont des visions différentes des miennes d’une manière qui respecte leur
dignité. Je tiens aussi à remercier mon codirecteur, Paul Sabourin, avec qui j’ai commencé
à apprivoiser l’analyse qualitative de discours. Une démarche qui m’a permis d’être plus
consciente des enjeux liés à la production, à l’organisation et à la diffusion du savoir
savant, et de comprendre que la recherche est un processus d’apprentissage long et
progressif qui implique de nombreuses boucles de rétroactions.
Enfin, en travaillant avec un groupe de recherche, j’ai connu au cours de ma
maîtrise un environnement très exigeant qui m’a forcée à être plus consciente de mes
limites et à me décentrer de mon propre système de références. Un cheminement qui a été
source de profondes remises en question pour trouver le chemin entre ma vision idéalisée
du monde et ce qu’exige le fait d’aspirer à faire de la recherche à un niveau international et
à atteindre de hauts standards de qualité. Pour ce faire, il m’a fallu passer de la critique à
l’auto-critique, de la description superficielle à l’analyse et du tourisme intellectuel et de la
reproduction à la recherche. C’est en relevant ces défis qu’il a été possible de réaliser ce
mémoire. Je voudrais remercier tous celles et ceux qui m’ont aidée sur ce chemin.
1
Introduction
Les RTA dans les représentations des religions du monde
Le continent africain compte plus d’une cinquantaine de pays et territoires1, plus
d’un milliard de personnes (UNFPA, 2009: 91), une grande diversité linguistique – plus de
2000 langues, dont certaines, comme le swahili et le peul, sont parlées par des dizaines de
millions de personnes (Copinschi, 2006: 19) –, culturelle – plus de 6000 cultures ou
groupes ethniques (Lugira, 1999: 9) – et une grande diversité de patterns sociaux,
politiques, historiques et religieux (Chitando, 2008: 111 ; Coulon, 2002: 1). Cette diversité
s’organise également en de très grands ensembles (Pourtier 2002: 1). Par exemple, on
retrouve trois principales familles de religions : la diversité des écoles et des courants
musulmans, la diversité des confessions et des églises chrétiennes, environ 20 000
dénominations chrétiennes pour l’Afrique subsaharienne2 (Dorier-Apprill, 2008: 1) et les
« religions traditionnelles africaines » (RTA); ces dernières intéressant tout
particulièrement le présent mémoire. Des religions plus minoritaires y sont également
pratiquées comme l’hindouisme, le judaïsme, le bahaïsme, etc. De même, des systèmes de
croyances athées et agnostiques sont présents (Shorter, 1997: 1-5).
Devant la complexité de ces grandes aires religieuses, ma question de départ fut
donc celle-ci : comment nommer et représenter les religions africaines dites traditionnelles?
Comment rendre compte de la réalité contemporaine de ces religions? Comment
appréhender toute la diversité de confessions, d’orientations théologiques, d’influences
culturelles, sociales, etc., les traversant? Cette question surgissait d’un écart entre mes
observations et le traitement scientifique de ces religions en Occident. En effet, ayant passé
plusieurs années en Afrique de l’Ouest, particulièrement au Togo, j’y ai observé que les
RTA sont une source vivante et dynamique de valeurs sociales et culturelles de différents
peuples, et elles paraissent l’être également au sein des diasporas africaines présentes sur
tous les continents (Chidester, 2008: 314; Magesa, 1997: 28; Opoku, 1993: 80). Pourtant,
1 La plupart des sources consultées font mention de 53 pays et territoires. Certaines sources qui n’incluent pas
les Comores en mentionnent 52. D’autres font mention de 54 pays en incluant le Sahara occidental.
D’autres sources font mention jusqu’à 57 pays en incluant la Réunion, Mayotte et Sainte-Hélène.
2
j’ai constaté dans diverses interprétations savantes sur les RTA, notamment en science des
religions et en anthropologie, qu’elles sont souvent présentées comme des religions tribales,
indigènes ou ethniques, et très locales.
Mon premier questionnement renvoie simplement au nombre de croyants. Pourquoi
les RTA sont-elles encore représentées comme des religions tribales et hors du champ des
« world religions » alors que Roland Pourtier (2002: 2) et Gerrie ter Haar (2000: 1)
évaluaient le nombre de croyants de ces religions à plusieurs centaines de millions et David
Chidester, plus récemment, dans New Encyclopaedia of Africa (2008: 314), les plaçait au
huitième rang selon leur nombre d’adhérents à partir des statistiques compilées par
Adherents.com (2005)? Comment les RTA peuvent-elles être en même temps catégorisées
de religions ethniques, indigènes ou tribales, donc figurer comme ensemble composite, et
être classées comme « la » 8e religion en importance dans le monde en fonction du nombre
de croyants dans ce « website’s accounting of the major religions of the world » (Chidester,
2008: 314).
Plusieurs questions surgissent de cette observation. La question du nombre et de
l’importance soulève évidemment celle de l’organisation institutionnelle de ces centaines
de millions de personnes. Appartiennent-elles à des confessions, dénominations ou courants
très différenciés? Comment faire pour représenter cette complexité religieuse? Est-ce que la
caractéristique tribale correspond vraiment à quelque chose aujourd’hui? La notion de
religion ethnique est-elle plus appropriée pour catégoriser les RTA? Qu’est-ce qui fait que
l’on considère ou non une religion comme une « world religion » ? À partir de ces
catégories, peut-on concevoir les RTA comme des religions dynamiques qui se
renouvellent à l’intérieur des sociétés africaines contemporaines? Un élément central du
problème me paraît être celui-ci : peut-on regrouper les RTA sous une appellation
commune? En quelque sorte, pourraient-elles figurer comme un ensemble formant une
religion du monde, ce qui les sortirait d’une position marginale sur la scène internationale?
En effet, les ouvrages de référence et les sites Internet consultés qui les reconnaissent
comme telles ne sont ni centraux ni majoritaires.
2 J’utilise la notion « Afrique subsaharienne » malgré ses limites. En effet, cette partie du continent est
souvent opposée à l’Afrique du Nord ou au Maghreb, bien que ses frontières posent un certain nombre de
problèmes. Par exemple, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan ne sont pas uniquement au sud.
3
Dans ce mémoire, je me questionne sur la tension existante entre les représentations
encore largement répandues des RTA comme étant des religions tribales, indigènes ou
ethniques très différenciées et sans dénominateur commun, et les représentations qui
valorisent l’unité de ces religions, sous une dénomination générale comme RTA ou en
arguant qu’une RTA telle que la religion yoruba serait représentative de toute la diversité.
En d’autres mots, doit-on mettre l’accent sur les différences entre les RTA (conception
particulariste) ou plutôt identifier les similitudes (conception qui valorise l’unité)? Si l’on
prend l’exemple du christianisme, notons qu’on réunit sous une seule et même religion des
milliers de dénominations chrétiennes qui relèvent pourtant d’organisations religieuses
différentes. Certes, il est vrai que le catholicisme et le protestantisme regroupent chacun un
nombre élevé d’adeptes, et ce, sur les cinq continents. Mais ne peut-on en dire autant de
certaines RTA? Ce mémoire se penche sur cette question.
En amont de ce questionnement sur le paradoxe entre l’importance démographique
des RTA et leur marginalisation surgit celui sur les représentations des RTA dans les
universités occidentales. Quelle place est faite dans les ressources documentaires produites
dans les universités occidentales pour intégrer et présenter les savoirs élaborés dans les
universités africaines, particulièrement dans le contexte de l’internationalisation3 croissante des
milieux universitaires (Some et Khaemba, 2004; Knight, 1999; Crowther, Joris, Otten, et al.,
2000)? Comment présente-t-on la contribution des chercheurs africains? N’est-il pas
important que les programmes d’études universitaires initient à la fois les étudiants à un
savoir commun qui fait la spécificité d’une communauté, d’une nation ou d’un peuple tout
en valorisant les expériences, les réalités ainsi que les savoirs élaborés dans différents
contextes et milieux universitaires? Fazal Rivzi affirme à ce sujet :
3 Jean-Pierre Lemasson, professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, explique :
« L’internationalisation est avant tout comprise comme un processus institutionnel qui permet en quelque
sorte d’intérioriser, dans l’ensemble des activités et l’organisation universitaire, l’ouverture sur le monde,
et d’engager un processus interne de transformation pour agir plus directement sur la scène internationale
voire mondiale. L’idée d’intégrer sous le terme « internationalisation » des activités universitaires
multiples, sinon disparates, ne remonte qu’au début des années 1990 » (Lemasson, 1999: 2). En
expliquant de cette manière l’histoire du phénomène, la spécificité de l’internationalisation depuis les
années 90 serait le « processus d’intégration institutionnel ». Les universités auraient travaillé leur zone
d’influence sur la scène internationale d’une manière beaucoup plus intégrée. Donc, l’internationalisation
ne dépendrait plus seulement de l’initiative de certains professeurs, étudiants ou de certains départements.
Reste à voir comment se concrétise ce processus interne de transformation dont parle Lemasson.
Comment internationalise-t-on l’enseignement, la recherche et les services? Quelles transformations cela
4
Curriculum content should not arise out of a singular cultural base but should engage
critically with the global plurality of the sources of knowledge. It should not only respond
to the needs of the local community but should seek to give students knowledge and skills
that assist their global engagement. It should encourage students to explore how knowledge
is now produced, distributed and utilized globally. It should help them develop an
understanding of the global nature of economic, political and cultural exchange (2000: 7).
Pour réfléchir sur cet enjeu, le mémoire se penche sur les ressources documentaires et les
outils de recherche disponibles dans les universités québécoises, et pose la question :
donnent-elles accès à une pluralité de sources et de savoirs sur les RTA? Quelles sont les
représentations des RTA qui en émergent? Est-ce que les recherches plus récentes sur les
RTA ont amené de nouvelles pistes de réponses?
Buts et utilité de la recherche
Le présent mémoire met en scène et compare – sous un angle conceptuel et
sociologique – un certain nombre de représentations des RTA issues de quelques réseaux
de chercheurs africains et occidentaux dans différents types de ressources documentaires
(articles encyclopédiques, monographies, articles de périodiques, cartes, etc.). Je retiens ici
la définition de Pescosolido selon laquelle un réseau est un ensemble d’acteurs liés par des
relations et permettant la diffusion de modes d’actions et de pensées4 :
Social actors, whether individuals, organizations, or nations, shape their everyday lives
through consultation, information and ressource sharing, suggestion, support, and nagging
from others (White et al. 1976). Network interactions influence beliefs and attitudes as well
as behavior, action, and outcomes (Pescosolido, 2006: 210).
Pour avoir accès à cet échantillonnage très vaste, des choix seront faits, en visant au mieux
de notre connaissance une certaine représentativité. Ce mémoire ne vise ni à présenter un
portrait exhaustif des représentations des RTA ni à développer une nouvelle catégorisation
des RTA. Forcément incomplet, il n’explore qu’un nombre limité de voix parmi la
littérature existante, majoritairement de cultures chrétiennes, tout en présentant une
pluralité de positions. Il propose un début de réflexion pour identifier en quoi les
implique-t-il pour les savoirs enseignants et pour les contenus à enseigner, et comment cela s’articule-t-il
avec la structure, les besoins et les réalités des universités?
4 D’après Zuccala (2006: 6), le collège invisible est un ensemble de chercheurs ou de scientifiques en
interaction, partageant des intérêts de recherche analogues sur une « subject specialty », qui produisent et
communiquent de manière formelle et informelle les uns avec les autres même si leurs affiliations de
recherche sont distantes géographiquement. Les collèges invisibles sont généralement opposés aux
réseaux plus institutionnalisés où les rôles, statuts, responsabilités, tâches, etc. sont officiellement établis.
5
représentations des RTA sont relatives aux ancrages culturels5, disciplinaires, théologiques
et idéologiques des chercheurs ou des groupes (localisation sociale). Il tente, enfin, de
montrer comment le processus de sélection des matériaux (p. ex. les ressources
documentaires, les outils et les instruments de recherches) influence les résultats obtenus et
oriente la connaissance de son sujet.
Localisation sociale et démarche de décentration
La réalité ou la société pour le sociologue est d’abord
et essentiellement la connaissance qu’il en a ; ce
rapport est constitutif de la connaissance et des
modalités de connaissance par lesquelles il
l’appréhende, il est aussi constitutif de la place, du
rapport social qui le définit dans cette société, il est
constitutif enfin, il importe de l’ajouter, de sa propre
personnalité « culturelle ».
(Houle, 1979: 125)
Mon cheminement académique est ponctué de plusieurs séjours de terrain en
Afrique de l’Ouest. Après l’obtention de mon Diplôme d’études collégiales (DEC) en 2002,
un voyage au Sénégal a été un moment décisif, la naissance d’un désir de me familiariser
avec la complexité des sociétés africaines et leur diversité culturelle, sociale, etc. De retour
à Montréal, j’ai entrepris un baccalauréat en anthropologie. En 2004, durant mes études en
anthropologie, j’ai participé à un stage de coopération internationale au Togo avec le
Club 2/3 et l’ONG togolaise ADETOP, lequel stage a suscité beaucoup de questions en moi
et fortement bousculé ma conception du développement international. Avais-je reçu une
formation me permettant de transformer mon rapport au monde et de m’ouvrir à des
conceptions du monde6 différentes? Les représentations de l’Autre véhiculées dans la
formation permettaient-elles à nous, les jeunes, de saisir la complexité de l’environnement
dans lequel nous allions ou légitimaient-elles plutôt l’entreprise développementaliste? Les
5 « Culture as a set of basic assumptions defines for us what to pay attention to, what things mean, how to
react emotionally to what is going on, and what actions to take in various kinds of situations. Once we
have developed an integrated set of such assumptions – a “thought world” or “mental map” – we will be
maximally comfortable with others who share the same set of assumptions and very uncomfortable and
vulnerable in situations where different assumptions operate, because either we will not understand what
is going on, or, worse, we will misperceive and misinterpret the actions of others » (Schein, 2004: 32).
6 Selon Thérèse Colliot-Thélène, l’expression « conception du monde » évoque « de façon assez vague l’idée
d’une cohérence globale de représentations qui seraient propres, selon le cas à une époque, à une
culture, à un parti politique, plus rarement à un individu » (Colliot-Thélène, 2003: 1085). L’expression
« conception du monde » renverrait donc davantage à une conception collective incluant également des
6
projets étaient-ils construits de manière à favoriser l’équilibre dans la manière de présenter
les idéaux et les problèmes de chaque société? Après mon baccalauréat, en 2005, je suis
retournée au Togo et j’ai travaillé un an dans le milieu associatif togolais avec de jeunes
militants engagés pour valoriser les cultures et les savoirs africains. Cette expérience de
travail m’a fait prendre conscience de l’importance de poursuivre mes études pour me
former. En effet, les expériences de travail internationales, les voyages et ma formation
universitaire ne m’avaient pas outillée, d’une part, pour créer des ponts et apprendre à
négocier des espaces communs avec des personnes ayant des expériences religieuses, des
présupposés culturels et des systèmes de valeurs et de croyances différents; d’autre part,
pour appréhender et représenter la complexité d’autres religions, cultures ou civilisations.
J’ai entrepris mes recherches de maîtrise avec le désir de réfléchir sur les
catégorisations utilisées pour nommer les RTA et de mettre en scène les représentations
qu’en font différents réseaux de chercheurs d’Afrique subsaharienne, ce qui impliquait
d’identifier et de cartographier ces réseaux. Or, je n’anticipais pas la complexité de ce
champ de recherche, ce qui fait qu’un échantillon d’une cinquantaine d’auteurs me
paraissait représentatif, au départ, de l’ensemble de la production africaine sur les RTA. De
plus, mes stratégies de recherche me limitaient à ce qui est disponible dans les universités
nord-américaines et européennes de l’Ouest (par le biais des prêts entre bibliothèques) et
donc, elles ne me permettaient pas d’avoir un portrait de la pluralité des sources et des
savoirs sur les RTA. Par ailleurs, j’avais un préjugé tellement favorable à tout ce qui est
africain que je réduisais tout autant la portée et la diversité des travaux et des recherches
issues de milieux universitaires occidentaux. Plus je remettais en cause mes présupposés,
plus je réalisais que je ne connaissais rien à l’univers des bases de données, des outils de la
recherche documentaire et des enjeux liés à l’organisation, à la production et à la diffusion
du savoir savant. Au fil de mes recherches, j’ai donc eu un véritable choc en découvrant
l’ampleur de ce qui est produit sur le sujet des RTA dans les milieux universitaires africains
et la diversité des institutions et des réseaux de publications qui sont liés à ce domaine de
recherche, et bien entendu, mes explorations ne couvrent pas la totalité de ce qui est
produit.
aspects individuels. Cependant, pour d’autres auteurs, « conception du monde » et « vision du monde sont
plus complémentaires qu’opposées (voir la définition de world-view d’Ikenga-Metuh, p.100).
7
De plus, bien que je veuille comprendre et analyser les représentations des RTA de
différents chercheurs, je n’arrivais pas à bien rendre compte de leurs positions puisque je
cherchais les arguments me permettant de consolider mon propre point de vue. Apprendre à
lire autrement le contenu du matériau à l’étude pour une étudiante formée dans un contexte
postmoderniste qui accorde tous les droits au « je » créateur de sens, et accepter de ne pas
avoir les réponses toutes faites avant d’entreprendre la recherche sont les plus grands défis
que j’ai eus à relever. À cet effet, il m’a fallu apprendre à bien mettre en scène la réalité des
autres et à mettre en dialogue différentes positions (leur logique et leur congruence)
idéologiques et théoriques. Il s’agit d’une approche dialogique que j’ai très peu pratiquée
durant ma formation universitaire. Cela a nécessité, entre autres, de me familiariser avec
différentes perspectives méthodologiques et épistémologiques, et de développer de
nouvelles stratégies d’écriture pour me décentrer de mon système de référence (Lipiansky,
1999: 287)7. Un défi de taille, car comme l’explique Edgar H. Schein, spécialiste en
développement organisationnel :
Basic asumptions, like theories-in-uses, tend to be non confrontable and non-debatable,
and hence extremely difficult to change. To learn something new in this realm requires us
to resurect, reexamine, and possibly change some of the most stable portions of our
cognitive structure – a process that Argyris and others have called "double-loop learning,"
or "frame-braking" (Argyris et al., 1985; Bartunek, 1984). Such learning is intrinsically
difficult because the reexamination of basic assumptions temporarily destabilizes our
cognitive and interpersonal world, releasing large quantities of basic anxiety (Schein,
2004: 31).
Comment un apprenti chercheur peut-il objectiver sa démarche de recherche alors
qu’il est soumis, comme le mentionne le politicologue François-Pierre Gingras, à certaines
contraintes de la recherche scientifique ? Par exemple, l’état présent des connaissances
(« les limites imposées par l’état du savoir systématisé »), les évidences ou les certitudes du
sens commun (des suppositions a priori souvent inconscientes, voir Amiguet et Julier,
1996; Goyette et Lessard-Hébert, 1987), ses valeurs personnelles et les valeurs collectives
de sa société ainsi que la demande sociale8 (Gingras, 2003: 33-35). Des contraintes qui
7 La décentration est cette capacité d’enlever ses lunettes (perceptions, représentations, etc.), d’emprunter la
carte du territoire de l’autre et d’opérer des réajustements pour mieux comprendre sa réalité (logique et
cohérence) (Amiguet et Julier, 1996; Ladmiral & Lipiansky, 1989; Rist, 1988: 66).
8 Gingras définit la demande sociale comme « ces façons qu’a chaque société particulière de créer des
conditions plus ou moins favorables à l’exploration de diverses pistes de recherche scientifique »
(Gingras, 2003: 35). Il donne en exemple : le découpage arbitraire de certains champs de compétence et
disciplinaires; l’attribution et les priorités dans les subventions des recherches qui en favorisent certains et
8
influencent le choix des thèmes abordés, l’orientation, les instruments et les techniques
utilisés, les données et les conclusions qui sont tirées (Gingras, 2003: 34). La première étape
est sans doute de localiser son propre point de vue, de mettre en lumière ses propres
présupposés et « pré-jugés » dans le sens de Gadamer, c’est-à-dire, d’identifier la nature de
ses conceptions par rapport au sujet, pour parvenir à prendre la distance « objective »
nécessaire :
Gadamer’s use of the term prejudice is meant to underline the degree to which all our
anticipations and expectations of meaning are grounded in the expectations we acquire
from our history, from the views, concerns, interests, and assumptions of past generations,
from our training and education, and from the categorical frameworks we inherit from the
cultures and traditions to which we belong (…) But if prejudices are historically influenced
anticipations and if they are necessary conditions of understanding meaning, this
circumstance does not imply that all anticipations of meaning will turn to be adequate to
that which are trying to grasp (Warnke, 1997: 90).
Cet effort de « mise à distance », en sachant qui nous sommes, prend d’autant plus de
valeur quand le chercheur, même étudiant, introduit une discussion entre différents points
de vue. Je sens pour la première fois que mes recherches tentent à la fois de respecter le
point de vue des auteurs présentés, tout comme d’en faire une mise en situation qui laisse
de la place pour développer le mien et qui permet, je l’espère, de créer des ponts avec des
lecteurs ayant des positions épistémologiques, idéologiques et culturelles différentes des
miennes. Si mon ambition au départ était de situer un grand nombre de documents pour
comparer diverses catégories de représentations, les résultats présentés ici sont beaucoup
plus modestes. En effet, si l’on pense au temps et aux efforts à déployer pour comprendre
son propre milieu et sa propre culture alors on peut imaginer le temps à investir lorsque nos
recherches interpellent d’autres réalités culturelles et civilisationnelles9. Dans ce sens, mon
en défavorisent d’autres; l’utilisation de données « tronquées ou suspectes » ou encore la non-prise en
compte ou le « dénigrement de résultats qui ne cadrent pas avec les théories à la mode ou les intérêts
dominants », etc.
9 Le sociologue Ahmad Sadri explique l’importance de développer des unités d’analyse, comme la notion de
civilisation, plus large que la nation, le système de croyances ou encore le langage. Des unités d’analyse
qui « provides a metalanguage for addressing, and even transcending, cultural and ethnic differences »
(Sadri, 1998: 82). Il définit la notion de civilisation comme étant : « the accumulation of organized and
institutionalized rational responses of city-dwelling human societies to the challenges of their internal
order (e.g. political legitimacy, social administration, economy system, religious cosmology, legal
maxims, and libido economy), environment (e.g., technologies of food production and architecture) and
external enemies (technologies and organization of war and international relations). The practical and
instrumental side of these rational responses comprise the ‘material culture’ (e.g., art, architecture, and
technology) of a civilization while their substantive and normative aspects amount to its ‘nonmaterial
culture’, which imparts meaning to the natural and social world and informs the patterns of social,
9
mémoire s’inscrit dans un processus de recherche sur le long terme où ma position de fond
est que la représentation d’une religion, d’une culture, d’un système politique ou d’un
événement requiert une pluralité notamment de points de vue, d’idéologies, de théologies,
selon une éthique du pluralisme; et cela, peu importe le lieu, le temps ou la civilisation.
Structure du mémoire et stratégies méthodologiques
Ce mémoire se divise en trois chapitres. Le chapitre premier introduit le point de
départ de ma démarche de recherche avec l’identification d’un corpus de onze cartes des
religions du monde produites dans des milieux universitaires nord-américains et européens
de l’Ouest. L’exploration de ces cartes m’a amenée, dans un premier temps, à tenter un
début de recadrage10 conceptuel de certaines catégories qui y sont employées (religion
tribale, religion ethnique et world religion). J’ai fait ce recadrage à partir de l’exemple des
religions yoruba et igbo, et des recherches de plusieurs auteurs, notamment, l’historien
Adiele E. Afigbo*11, la spécialiste des religions « afro-américaines », Stefania Capone* et
le spécialiste en religious studies, David Westerlund*. À la suite de ce recadrage, j’ai
retenu une catégorisation – religions traditionnelles africaines – qui est utilisée dans le
présent mémoire. Dans un deuxième temps, l’exploration de ces cartes m’a conduite à
présenter une brève réflexion sur les représentations de la diversité des RTA que proposent
les cartes consultées et dans un programme pédagogique américain, Exploring Africa, dont
l’objectif est de montrer la diversité culturelle, sociale, politique, etc., du continent
africain12. En lien avec ces représentations, je me suis demandé comment sont introduites
les RTA dans les statistiques sur la diversité religieuse au Québec et au Canada. Deux
analyses statistiques ont été consultées13.
political, and economic behavior. Thus, civilizations contain the sedimentation of two layers of collective
rationality: a normative and substantive ‘core’ and a practical and instrumental ‘crust’ » (1998: 83-84).
10 D’après Paul Watzlawick, le recadrage signifie « modifier le contexte conceptuel et/ou émotionnel d’une
situation, ou le point de vue selon lequel elle est vécue, en la plaçant dans un autre cadre, qui correspond
aussi bien ou même mieux, aux « faits » de cette situation concrète, dont le sens, par conséquent change
complètement » (Watzlawick, Fisch et Weakland, 1975: 116).
11 L’astérisque (*) à la fin des mots indique de référer à l’annexe trois qui présente des informations
biographiques sur les principaux auteurs cités.
12 African Studies Center. (s.d.). Exploring Africa. En ligne. <http://exploringafrica.matrix.msu.edu/>
(consulté le 20/04/2010).
13 Eid, Paul. (2006). « Portrait religieux du Québec en quelques tableaux ». En ligne. <http://www.cdpdj
.qc.ca/fr/placedelareligion/docs/religion-Quebec-statistiques.pdf> (consulté le 28/03/2010); Statistique
10
Le deuxième chapitre présente les étapes de ma recherche documentaire (Boisvert,
2003: 86) pour retracer, cette fois, les chercheurs africains et leurs travaux sur les RTA, et
comparer certaines représentations qui se dégagent de ces interprétations savantes. Dans la
première section du chapitre, l’exploration de trois articles encyclopédiques (Chidester,
2008; Grottanelli et Baum, 2005 et Peel, 2001)14 qui présentent un portrait de l’historique
des études sur les RTA, pose le problème de la mise en valeur de ces chercheurs. Les
sections suivantes présentent les différentes stratégies mises en place pour avoir accès aux
réseaux de chercheurs africains : constitution d’un « échantillon »/corpus d’auteurs,
exploration de l’étude des RTA dans les universités de l’Afrique de l’Ouest,
particulièrement au Nigéria, comparaison de trois bases de données (ATRIUM, ATLA et
WorldCat), et analyse comparative de trois articles synthèses de chercheurs africains.
La première stratégie a consisté à sélectionner des auteurs en m’inspirant de la
technique d’échantillonnage par boule de neige : « In social science research, snowball
sampling is a technique for developing a research sample where existing study subjects
recruit future subjects from among their acquaintances. Thus the sample group appears to
grow like a rolling snowball » (Salganik et Heckathorn, 2004). J’ai donc augmenté mon
échantillon en ajoutant à chaque fois les auteurs cités par un auteur et ainsi de suite.
J’évoque ces étapes dans le mémoire compte tenu du fait qu’il porte une réflexion sur le
processus de recherche et sur ce qu’est le savoir. Puis, les travaux de quatre chercheurs
(Ezra Chitando, James L. Cox, Jacob K. Olupona et Jan G. Platvoet) ont été
particulièrement utiles pour avoir un aperçu du développement de la recherche universitaire
ouest-africaine sur les RTA, la deuxième stratégie de recherche pour retracer des réseaux de
chercheurs africains. La découverte de l’importance et du dynamisme de la recherche
universitaire sur les RTA au Nigéria, et donc, d’un nombre élevé d’auteurs et de documents
produits, de même que la comparaison de trois bases de données, m’ont amenée à
questionner les limites des ressources et des outils de recherche documentaire utilisés.
Canada. (2010). « Classification d’appartenance à une religion ». En ligne.
<http://www.statcan.gc.ca/concepts/definitions/religion_01-fra.htm> (consultée le 20/03/2010).
14 Chidester, David. (2008). « Religion and the Study of Africa ». In J. Middleton (ed), New Encyclopedia of
Africa. Farmington Hills, Charles Scribner’s Sons, p.313-316; Grottanelli, Vinigi. & Baum, Robert M.
(2005). « African Religions: History of Study ». In L. Jones (ed), Encyclopedia of Religion. Detroit,
MacMillan Reference USA, vol. 1, p. 111-119; Peel, John David Yeadon. (2001). « African Studies:
Religion ». In N. J. Smelser and P. B. Baltes (eds), International Encyclopedia of the Social & Behavioral
Sciences. Oxford, Elsevier Science, vol. 1, p. 259-263.
11
Enfin, comme troisième stratégie, trois articles synthèses de chercheurs africains (Onunwa,
1991; Ndlovu, 1997 et Ejizu, 1998) sélectionnés parmi ceux recensés à la suite de ces
recherches ont été analysés pour y comparer les réseaux de chercheurs mis en scène et leurs
représentations des RTA15. Ces articles ont été retenus puisqu’ils présentent divers réseaux
régionaux et disciplinaires africains.
Le troisième chapitre porte sur la représentation de l’unité ou du particularisme des
RTA et ce, à différentes époques, à partir de l’ère des indépendances africaines, et tente un
début d’analyse. J’ai retenu cinq auteurs pour comparer leur position dans ce débat, des
auteurs qui ont marqué l’étude des RTA ou qui ont développé plus récemment de nouvelles
approches (Idowu, Mbiti, Ikenga-Metuh, Mbon et Lugira)16. L’analyse ne portera que sur
un document de ces auteurs plutôt que sur leur œuvre entière, car il m’est apparu plus
pertinent dans le cadre de ce mémoire en fonction de mes objectifs de recherche, de mettre
en scène plusieurs positions, afin de bien illustrer l’existence de différentes visions des
RTA plutôt que de creuser le point de vue d’un auteur.
Il importe de mentionner également que dans les chapitres deux et trois, j’emprunte
certaines étapes d’une démarche d’analyse qualitative de discours en sociologie de la
connaissance (Sabourin, 2003 ; Houle, 1979). À cet effet, avant de me pencher sur les
textes africains et occidentaux retenus, je procède à l’une des étapes de la construction des
données sociologiques – la description des matériaux –, qui consiste à identifier les
documents et à définir la ou les relations sociales de communication les constituant
(Sabourin, 2008). La définition de la relation sociale de communication vise à approfondir
les propriétés ou les caractéristiques de ces matériaux (énonciateurs, intentionnalité,
15 Onunwa, Udobata Rufus. (1991). « African Traditional Religion in African Scholarship: An Historical
Analysis ». In E.M. Uka (ed.), Readings in African Traditional Religion: structure, Meaning, Relevance,
Future. Bern, Peter Lang, p.109-122.; Ndlovu, Hebron. L. (1997). « Interpretations of African Religions
by African Scholars ». ATISCA bulletin 7, p. 22-30; Ejizu, Ifeanyi Christopher. (1998). « Emergent key
issues in the study of African Traditional Religions ». Afrikaworld, 12 p. En ligne.
<http://www.afrikaworld.net/afrel/ejizu.htm> (consulté le 10/11/2009).
16 Idowu, Emmanuel Bolaji. (1973). African Traditional Religion: A Definition. Maryknoll, N.Y, Orbis
Books, 228 p.; Mbiti, John Sanuel. (1969). African religions and philosophy. New York, Praeger, 288 p.;
Ikenga-Metuh, Emefie. (1987). Comparative Studies of African Traditional Religions. Onisha, IMICO
Publishers, 288 p.; Mbon, Friday M. (1996). « Some Methodological Issues in the Academic Study of
West African Traditional Religions ». In J. Platvoet, J. Cox and J. O. K. Olupona (eds), The Study of
Religions in Africa: Past, Present and Prospects. Cambridge, Roots and Branches, p.172-182; Lugira,
Aloysius Muzzanganda. (2001). « Africism: A Response To the Onomastic Plight of African Religion ».
Religion and Theology, vol. 8, no12, p. 42-60.
12
destinataires, niveau de langage, mise en forme, etc.) afin de mieux cerner leurs
orientations idéologiques et disciplinaires, c’est-à-dire comme forme sociale de
connaissance17. Elle vise aussi à évaluer la pertinence ou l’utilité de ce matériau pour
comprendre les discours à l’étude. Pour ce faire, une série de questions sont fort utiles : Qui
parle? Au nom de qui? Quand? À qui? Pourquoi ce matériau a-t-il été écrit? Quels sujets y
aborde-t-on? En somme, bien que toutes les informations requises ne soient pas toujours
disponibles pour chacun des documents, je tente de tracer un portrait d’ensemble des
principales relations sociales de communication qui peuvent être dégagées des matériaux.
J’ai laissé de côté les questions concernant le niveau de langage et la mise en forme comme
je n’effectue pas une analyse sémantique de discours. Il est possible d’entrevoir la
localisation sociale du travail intellectuel, dont les représentations sont les traces, et de
mieux comprendre ce que les documents retenus valorisent comme étant du savoir sur le
sujet à l’étude en mettant en relation les représentations des RTA avec les informations
issues de la construction des données sociologiques. En effet, la structuration des
représentations n’a rien d’aléatoire, elle est le résultat d’un schéma organisateur particulier,
d’un modèle concret de connaissance spécifique à une localisation sociale.
Je procède ensuite à la description du contenu, qui consiste, dans le cas présent, à
décrire ce qui est dit concernant les RTA. En fait, pour la première et la deuxième série de
documents analysés dans le chapitre deux (les trois articles encyclopédiques occidentaux et
les trois articles synthèses africains), je me contente de retracer les types d’acteurs à qui la
parole est donnée de même que les représentations qu’ils font des RTA. Dans le
chapitre trois, la description de contenu porte spécifiquement sur la position des auteurs
dans le débat autour de la conception d’une RTA au singulier ou des RTA au pluriel.
17 Gilles Houle, dans L’idéologie, un mode de connaissance (1979), référant à Gilles Gaston Granger,
explique que l’idéologie « […] est au fondement de toute connaissance et le rapport science/idéologie non
plus relatif au vrai et au faux (ou à l’illusoire, l’imaginaire) mais relatif à des niveaux spécifiques
d’abstraction, constitutifs l’un de l’autre. » (Houle, 1979: 125-126). D’après Gilles Houle, les idéologies
ont de la valeur puisqu’elles sont la partie visible d’une pratique sociale spécifique et qu’elles permettent
aux chercheurs de comprendre les fondements de la vie sociale et de chercher ce qui distingue un groupe
ou une société d’un autre groupe ou d’une autre société de manière à développer des théories qui ne sont
pas enfermées dans l’expérience d’une seule société. Dans ce sens, les idéologies comme les cultures
seraient tout autant des prémisses partagées par des individus, des organisations, des sociétés qui
organisent leur rapport au monde à une époque et dans un espace donné qu’une interprétation des
expériences passées et présentes conduisant (Houle, 1979: 124-126). Cette mise en valeur des idéologies
semble être du même ordre d’idée que la valorisation que fait Gadamer des « pré-jugés » individuels et
13
Chapitre 1
Représentations des RTA dans le savoir savant
Notre intelligence construit des représentations des objets du
monde extérieur (sous formes d’idées, de concepts, de cartes,
de schémas, de théories..) qui nous permettent de nous
orienter dans ce monde et d’agir sur lui. Contre un réalisme
naïf ou ontologique, ces représentations ne donnent pas la
« nature » de l’objet; elles ne nous mettent pas en possession
d’une essence ou d’une substance avec lesquelles l’objet
aurait un rapport d’adéquation quasi parfaite (la vérité de
l’objet!). Mais contre l’idéalisme, elles ne sont pas non plus
de simples émanations du sujet; en effet, elles ne sont pas
sans lien véritable avec l’objet puisqu’elles permettent
d’avoir une prise sur lui.
(Donnadieu et Karsky, 2002: 79)
Comment nommer et représenter le phénomène religieux africain? Quelles notions
permettent de rendre compte des expériences et des réalités contemporaines de différents
peuples et de différentes communautés pour parvenir à une vision juste et équitable de ces
religions? Comment éviter de nourrir un préjugé trop favorable ou encore un exotisme
construisant une image idéalisée de l’autre, et de consolider des préjugés négatifs18? Avec
ces questions en tête, j’ai exploré plusieurs types de ressources documentaires, dont un
corpus de cartes géographiques des religions du monde afin de comparer le traitement des
RTA. Les outils visuels peuvent-ils nous aider à nous faire une représentation des RTA?
Quelles informations y sont données pour traduire la diversité religieuse mondiale? Peut-on
y percevoir les systèmes de valeurs de ceux qui conçoivent ces outils?
Avant de se pencher sur les cartes géographiques des religions du monde
sélectionnées et sur les catégorisations des RTA qui y sont utilisées, il m’apparaît pertinent
de poser une question préalable sur une des notions se trouvant au centre de mon
hypothèse : qu’est-ce qu’une religion du monde (world religion)? Quels sont les critères
collectifs pour mieux comprendre la nature des connaissances, de ce qui est jugé comme étant la vérité ou
la réalité dans une société.
18 La philosophe américaine Georgia Warnke explique : « Illegitimate prejudices, then, are not only those
that do not allow the unity of part and whole, but also those are held dogmatically and do not allow
either a text or the claims of another person to be understood in their ‘otherness’ or possible truth where
truth is understood as the illumination of an issue or subject-matter for us » (Warnke, 1997: 96).
14
considérés pour retenir ou non cette appellation selon les religions? Les explications de
l’anthropologue britannique Rosalind Shaw* et de l’historien nigérian Adiele E. Afigbo
sont introduites.
1.1 Qu’est-ce qu’une religion du monde (world religion)
Shaw (1990a: 340) explique que différents critères classificatoires, tels que l’origine
géographique, historique et l’orientation universaliste (prosélytisme), sont utilisés pour
définir la notion de world religion, qui est traduite ici par celle de religion du monde ou
grande religion. Elle mentionne également que la notion de religion du monde est parfois
utilisée comme un synonyme de religion universelle afin de marquer la supériorité
numérique ou encore pour référer à toutes les religions. De plus, elle explique que les
religions considérées la plupart du temps comme des religions du monde possèdent des
textes sacrés écrits, des doctrines explicitées et un ou des centres d’autorité. Des éléments
qui caractérisent, selon elle, les formes religieuses dominantes en Occident et excluent
d’autres formes religieuses. Concernant l’importance des sources écrites, Cox mentionne
que l’oralité est privilégiée dans diverses situations dans plusieurs des religions considérées
comme des religions du monde. Il rappelle également que plusieurs de ces religions,
comme le judaïsme et le christianisme, ont été orales avant que leurs récits ne soient
codifiés (Cox, 2007: 70). D’après Shaw, la définition de world religions, en fonction de
critères qui cadrent avec certaines formes religieuses dominantes, a entrainé la création
d’autres catégories pour les religions qui en sont exclues : religions traditionnelles,
primales, non-literate, primitives, archaïques, tribales, etc. (Shaw, 1990a: 341).
Afigbo introduit un autre critère pour définir cette notion. D’après lui, ce qui définit
une religion du monde, comme la religion igbo, c’est lorsqu’elle donne une explication du
monde ou du cosmos :
Yet it started and remained a World Religion in the sense defined in this paper, that is in
the sense that it explained to the Igbo their world or cosmos just as the religions evolved in
the Middle East, India and China explained to the peoples concerned their own worlds
thereby helping them to cope with the challenges posed by those worlds or cosmoses. That
is what religion is about and why each religion is a World Religion to those amongst whom
it evolved, and the teacher who brought it a World Teacher to his people, no more nor less
(Afigbo, 2006: 216).
15
Donc, d’après Afigbo, toutes les religions doivent être considérées comme des religions du
monde. Une position partagée également par Gerrie Ter Haar (2000: 13) et Kofi Asare
Opoku* (2004: 390). Par contre, Afigbo mentionne un certain nombre de critères qui
varient selon les auteurs et selon les sources : le nombre d’adhérents, l’étendue territoriale
ou géographique, la qualité et la performance de la structure organisationnelle, la
possession de textes sacrés écrits, la qualité, la quantité et l’importance des symboles, des
rituels et des cérémonies, le rôle perçu dans l’histoire, particulièrement dans la montée de
ce qui est connu comme des civilisations et le degré de familiarité avec la civilisation
occidentale (Afigbo, 2006: 207-208). À titre d’exemple, la figure 1 montre une
représentation qui met en valeur 12 religions du monde, dont les RTA ne font pas partie.
Figure 1- Douze religions du monde selon les régions géopolitiques où elles sont nées
Source : Schmidt et al. (2005). « Geopolitical Regions of the World and the Birthplaces of Twelve Major Living
Religions ». Patterns of Religion, 2e édition. Belmont, Wadswort.
© Wadsworth, a part of Cengage Learning, Inc. Reproduced by permission. www.cengage.com/permissions
Afigbo reconnaît une certaine valeur à cette liste de critères utilisés pour définir ce
qu’est une religion du monde, tout en les jugeant insatisfaisants puisqu’ils correspondent à
des dimensions superficielles de ce qu’est la religion. Il explique :
Religion, except at a very superficial and social level, is not a matter of monks and hoods,
of basilicas, cathedrals and mosques, of resplendent symbols, and dazzling ceremonies and
16
moving rituals, of sacred books and literatures or oven of towering organizational
hierarchies and ponderous bureaucracies. It is first and foremost about a God without a
beginning and without an End ans Its creation, a creation in which man (whose ultimate
essence is soul or spirit) is the centerpiece. Using the creation as platform or theatre man
seeks to understand this God and to return to It on the attainment of this understanding
(Afigbo, 2006: 208)
Ainsi, selon Afigbo, les RTA sont une world religion puisqu’elles proposent une
explication du monde ou du cosmos. Opoku, dans le même sens, affirme que les RTA
doivent être considérées comme « a whole system with a coherence of its own ». Il donne
cette définition des RTA :
African traditional religion represents our forefathers’ effort to explain the universe and
the place of man in it in their own way (Opoku, 1977: 13). [It] provides answers to the
stirring of the human spirit and elaborates on the profundity of the experience of the divine-
human encounter based on the ressources of Africa's own cultural heritage and insight. It
also provides answers to the ultimate questions posed by men and women in Africa, gives
meaning and significance to human life, explains the origin and destiny of human beings,
how everything in the world came into being and the relationship that should exist between
them (Opoku, 1993: 79).
Notre concept de base ainsi défini, passons à présent à l’analyse de diverses formes
de représentations des RTA.
1.2 Représentations graphiques et cartographiques des RTA
En relation avec notre questionnement de départ, soit les représentations qui se
dégagent de certains réseaux de chercheurs occidentaux et la réduction ou la généralisation
des RTA, l’examen d’un corpus de 11 cartes représentant les religions du monde paraît
pertinent. Pour constituer ce corpus, j’ai d’abord sélectionné des cartes dans des ouvrages
encyclopédiques et dans des atlas disponibles dans les bibliothèques universitaires
montréalaises, comme l’Atlas des religions dans le monde (2000) dirigé par Ninian Smart,
une traduction française de l’Atlas of the World’s Religions (1999). Ensuite, j’ai cherché ce
même type de cartes dans des manuels académiques sur les religions du monde destinés aux
étudiants collégiaux et universitaires tels que Patterns of Religion (2004), édité par Schmidt,
Sager, Carney et al., et World Religion (2003), édité par Warren Matthews. Ces deux
ouvrages ont été publiés chez Wadsworth, une maison d’édition rattachée au groupe
américain Cengage Learning. Puis, j’ai également identifié des cartes sur Internet telles que
la Map of World Religions (2001), produite par l’Office of the Geographer, US Department
of State (voir la figure 5, p. 37), et la General Contemporary Distribution of the World’s
17
Dominant Religions (2002), produite par The Global Education Project (voir la figure 6,
p. 39)19. Enfin, j’ai identifié des cartes provenant d’un programme éducatif en ligne (j’y
reviendrai dans la section 1.5) afin d’avoir une diversité de sources.
Les catégories qui sont utilisées dans mon corpus de cartes pour indiquer les
religions traditionnelles africaines sont les suivantes : religions tribales, religions
indigènes20, religions indifférenciées, religions locales, religions ethniques et religions
primales21. Des catégories qui réfèrent à des conceptions souvent critiquées comme étant
coloniales, évolutionnistes et également associées à des rapports de hiérarchisation
idéologique, culturelle, politique, etc., pour différencier les populations-institutions
africaines des populations-institutions européennes (DeBoeck, 2007; Taylor, 2004; P’Bitek,
1970; Ikenga-Metuh, 1987; Westerlund, 1985; Thomas, 2005).
La figure 2 est tirée du Student Atlas of Anthropology (2003) produit par McGraw-
Hill/Dushkin, une maison d’édition anglaise (voir p.18). Cette figure met en évidence
l’utilisation de la catégorie : « animism (tribal)22 » pour une vaste partie de l’Afrique
19 The Global Education Project est une ONG canadienne qui a plus de 15 années d’expérience dans la
« publishing fact-packed educational wall posters » et la production d’évènements pour éduquer et
sensibiliser sur des enjeux importants (GEP, 2004).
20 Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier définissent la notion de religion indigène comme faisant
référence « au lien étroit entre une société et son territoire, au caractère d’écosystèmes, de ‘microclimats’
que présentent ces religions ». D’après eux, la diffusion de ces religions reste limitée « même lorsqu’elles
ont accompagné la constitution d’empires comme ceux du Mali ou de l’Amérique centrale. Les guerres
entre ethnies ont pu aboutir à des assimilations, mais le concept de conversion, l’idée qu’une religion
puisse se détacher de son lieu d’émergence pour avoir une finalité universaliste, sont tout à fait étrangers
à ces cultures » (1997: 1155). Affirmer que toutes les religions africaines sont locales ou qu’elles
s’inscrivent dans un microclimat, n’est-ce pas nier les transformations et les déplacements qu’ont connu
les populations de même que la portée beaucoup plus importante de certaines religions? James L. Cox,
qui définit les religions indigènes comme des « kinship-based, localized religious traditions » (Cox, 2007:
53, 69-70), mentionne justement que certaines religions, telles que les Yoruba du Nigéria ou encore « The
contemporary Mwari (Mwali) or High God shrines in southwest Zimbabwe », sans être globales sont
régionales et sont « non-kinship based » (2007: 71-72). Il recommande l’utilisation du terme Indigenous
Religions accompagné de qualificatifs géographiques, ethniques ou linguistiques.
21 Turner définit les religions primales comme étant les : « most basic or fundamental religious forms in the
overall history of mankind and that they have preceded and contributed to the other great religious
systems. In other words, there are important senses in which they are both primary and prior » (Shaw,
1990: 341). Cox explique que la notion de primal religions, suggérée par John V. Taylor en 1963 a été
introduite comme catégorie alternative à celle de religion primitive (Cox, 1996: 55). Il s’oppose à
l’utilisation de cette catégorie, qui aurait servi à justifier les théories missionnaires chrétiennes (Cox,
2007: 4). En effet, explique-t-il, les RTA ont été décrites comme des « praeparatio evangelica » ou
comme contenant les « seeds of the Gospel » (Opoku, 1993: 69). Shaw (1990: 342) rejette aussi ce terme
puisqu’il aurait été dès le départ opposé à celui de « grandes religions ».
22 À propos de cette catégorie, Graham Harvey (2006) explique que pour Edward B. Tylor : « animism
identifies a ‘primitive’ but ubiquitous religious category error, namely ‘the belief in souls or spirits’ (an
18
subsaharienne. À certains endroits, la présence d’autres religions est indiquée par la
mention de lettres correspondant au christianisme, à l’islam, au judaïsme et à l’hindouisme.
Figure 2 - Une représentation des RTA comme des religions tribales
Source : Allen, John.L. (2003). « World Religions ». In Student Atlas of Anthropology. 1ère éd., McGraw-Hill/Dushkin, p.
102-103. Mapping Globalization Project. En ligne. <http://qed.princeton.edu/index.php/User:Student/World_Religions>.
La figure 3 (voir p. 19), tirée de l’Encyclopedia Britannica (2003), quant à elle, met
en évidence l’utilisation de la catégorie « indigenous religion » pour une partie de l’Afrique
subsaharienne. Une partie qui est moins vaste que dans le cas de la figure 2, puisque d’autres
religions sont indiquées à l’intérieur du même espace. Cependant, seulement une à deux
religions (ou branches d’une religion) sont mentionnées par pays. C’est le cas du Nigéria qui
est présenté comme étant divisé entre musulmans sunnites et chrétiens protestants. Seule la
Zambie est présentée comme n’ayant pas une religion dominante.
expansive grouping of ‘entities that are beyond empirical study’). […] The old usage constructed animists
as people who did not distinguish correctly between objects and subjects, or between things and
persons ». Harvey, quant à lui donne cette définition : « Animists are people who recognize that the world
is full of persons, only some of whom are human, and that life is always lived in relationship with others.
Animism is lived out in various ways that are all about learning to act respectfully (carefully and
constructively) towards and among other persons. Persons are beings, rather than objects, who are
animated and social towards others (even if they are not always sociable) » (Harvey, 2006: xi, 3, 5-6).
19
Comment se fait-il que des catégories, critiquées par de nombreux chercheurs
depuis plusieurs décennies, soient encore utilisées aujourd’hui comme en témoigne la série
de cartes consultées? En effet, David Westerlund, professeur de religion comparée à la
Stockholm University, analysait déjà, en 1985, dans African Religion in African
Scholarship: A Preliminary Study of the Religious and Political Background, que plusieurs
catégories de termes consolidaient la hiérarchisation des religions entre elles. Il mentionnait
les catégories suivantes : des termes ethnocentriques (primitif, sauvage, natif, tribu),
des termes christocentriques (paganisme, païen, idolâtrie), des termes évolutionnistes (non-
civilisés, sauvage, barbare, primitif, sous-développé) et enfin, des termes
anthropocentriques, utilisés, entre autres par des anthropologues occidentaux qui auraient
consolidé, selon lui, la « discontinuity line of thought » (animisme, fétichisme, totémisme,
culte des ancêtres, witchcraft, sorcery) (Westerlund, 1985: 27-29, 46-47).
Figure 3 - Représentation où les RTA sont catégorisées d’indigenous religions
Source : Encyclopedia Britannica. (2003). « Map of World Religion ». En ligne. < http://www.myconfinedspace.com/
2007/07/30/map-of-world-religions/agnostics-unite/ > (consulté le 12/04/2010).
Westerlund faisait également mention dans cet ouvrage (1985) de notions
inadéquates utilisées pour désigner Dieu dans les RTA telles que High god et Supreme
Being (1985: 29-30). Ces notions ont été fortement critiquées, notamment par E. Bolaji
20
Idowu* et J. Omosade Awolalu* (Olupona, 1993: 46-47). Idowu et Awolalu, professeurs et
chercheurs influents de l’École d’Ibadan au Nigéria, considéraient que ces notions
mettaient l’accent sur une conception de Dieu comme un « remote God » ou un
« deus otiosus », une conception qu’ils réfutaient23. L’École d’Ibadan, comme l’École de
Chicago aux États-Unis, a eu une très grande influence sur la recherche dans plusieurs
disciplines, notamment les religious studies et l’histoire, pour remettre en question la vision
des africanistes occidentaux :
The Ibadan School of History played a significant role in initiating the new methodology,
emphasizing the use of oral material as the necessary means of giving a voice to Africans
in their own history » (Ajayi, 1999: 385). The Ibadan School of History was the
father/mother of African history and perhaps also for a time the foremost flag-bearer of
those same disciplines not only on the African continent but also throughout the world. […]
As already mentioned here in this paper, the Ibadan School of History has attracted the
attention of many students of African history, African historiography and other related
disciplines (Afigbo, 2005: 495-96).
De même, la notion de « polythéisme » a également été critiquée par Idowu et Awolalu
puisque, selon eux, les divinités et les dieux secondaires, malgré leur rôle important dans
les croyances et les pratiques africaines, ne sont pas sur le même pied que Dieu, le Créateur
(Westerlund, 1985: 30)24. Comment est-il possible, dans ce cas, de traduire ces phénomènes
complexes? Comment élaborer des représentations traduisant la réalité contemporaine des
religions traditionnelles africaines?
1.3 Réflexion sur les catégories utilisées pour représenter les RTA
Mon premier constat lié aux catégories utilisées pour représenter les RTA, peut être
formulé comme suit : est-il possible à partir de ces catégories de concevoir les RTA dans
23 Selon cette conception, Dieu s’est retiré de la gestion des affaires humaines après la création. Donc, il n’est
pas impliqué au quotidien et les croyants s’y adressent rarement de manière directe. Alors qu’Idowu et
Awolalu expliquent au sujet de la religion yoruba qu’« Olódùmarè, the Yoruba supreme God » n’est pas
seulement le Créateur puisqu’il est : « far from being a remote God, rather, he is the one essential factor
by which the life, and beliefs of the Yoruba people were centered » (Olupona, 1993: 247).
24 À ce propos, le théologien nigérian Emefie Ikenga-Metuh (1987: 118) explique que dans beaucoup de
religions, les relations entre l’être humain et le Créateur nécessitent des intermédiaires, des médiateurs :
« All religious system known to the studies of religions recognize the need of some form of mediators to
facilitate man’s approach to the Supreme Beings. These mediators could be spiritual beings – deities,
angels, saints, ancestors, spirit-forces or they could be human agencies, priests, medicine-man, prophets,
diviners or kings, etc. Monotheistic systems which recognize other spiritual beings besides God, try in
different ways to reconcile belief in these spiritual beings with the belief in the unity of God » Ainsi,
pourquoi la présence de « spiritual beings » tels que les anges et les saints dans le catholicisme n’en
21
toute leur complexité et de les voir comme des sources vivantes de valeurs sociales et
culturelles pour des centaines de millions de personnes, c’est-à-dire comme des religions
dynamiques qui se renouvellent à l’intérieur des sociétés contemporaines? De plus, ces
catégories permettent-elles d’évaluer l’influence et la portée sociale de ces religions?
Examinons de plus près certaines de ces catégories à partir des débats et critiques soulevés
par quelques auteurs qui les ont revisitées.
1.3.1 La notion de religion tribale à l’épreuve de l’exemple yoruba
L’auteur et anthropologue ougandais Okot P’Bitek* proposait de proscrire déjà, en
1970, l’utilisation de la notion de tribu pour décrire les peuples africains :
The term has become synonymous with people living in primitive or barbaric conditions.
And each time it is used, as in the sentence, “I am a Kikuyu by tribe,” the implication is
that the speaker is a kikuyu who lives in a primitive or barbaric condition. And when we
read of “tribal law,” “tribal economics,” or “tribal religion,” Western scholars imply that
the law, economics or religion under review are those of primitive or barbaric peoples.
(P’Bitek, 1970: 14-15).
Questionnée en effet par l’anthropologie contemporaine, cette notion est encore
utilisée aujourd’hui. Par exemple, dans un document préparé pour la Banque mondiale,
Robert J.A. Goodland définit la tribu comme étant un groupe social fondé sur une parenté
réelle ou supposée ou un groupe social comprenant des familles, des clans, généralement
des « hunter-gatherers, shifting agriculturalists, herders, simple farmers, or fisherfolk »
occupant un territoire géographique spécifique, un groupe qui ne serait pas intégré à la
société nationale dans le pays où il se trouve (Goodland, 1982: 7).
Si l’on prend l’exemple du peuple yoruba, cette notion n’apparaît-elle pas
inappropriée? En effet, selon Mamora (2006), les Yorubas sont 100 millions de personnes à
travers le monde25. Mamora spécifie néanmoins que certains auteurs préfèrent un chiffre
plus conservateur d’une cinquantaine de millions et d’autres sources lues estiment la
altèrerait pas sa nature monothéiste alors que la présence des saints, des ancêtres et des divinités dans les
RTA en ferait une religion polythéiste?
25 Concernant la présence yoruba dans le monde, Mamora avance qu’il y a des communautés au Bénin, au
Togo, en Sierra Leone et dans diverses régions du continent africain au nombre d’environ 10 millions
(2006: 2). De même, les communautés yorubas regrouperaient au Brésil environ cinq millions de
personnes, à Cuba environ un million, à Porto-Rico, à Trinidad et dans le reste des Caraïbes environ un
demi-million. Aux États-Unis et au Canada, on compterait 10 millions de Yorubas, un nombre similaire
22
population yoruba à une trentaine de millions. De ce nombre entre 15 et 30 millions
pratiqueraient la religion yoruba (Eliade et Couliano, 1991: 12-13; Wilson, 1991;
Adherents.com 2001) dans différents pays et régions du monde, principalement au Nigéria
et dans les pays environnants (Bénin, Togo, Sierra Leone, etc.), mais également aux États-
Unis, au Brésil, dans les Caraïbes, etc. (Mamora, 2006). En ce qui concerne les États-Unis,
Stefania Capone, chercheuse au CNRS qui travaille sur la diffusion des religions « afro-
américaines » aux États-Unis et en Europe et à leur transnationalisation, affirme, dans Les
dieux sur le Net: L’essor des religions d’origine africaine aux États-Unis (1999: 51) :
On ne connaît pas le nombre exact de pratiquants de la santeria ou culte lucumi26 aux États-
Unis. Selon une enquête menée en 1988, on estime entre 50 000 et 100 000 le nombre de
fidèles seulement dans le sud de la Californie. Los Angeles serait le troisième centre de la
santeria aux États-Unis, après Miami et New York. Selon les mêmes estimations, environ la
moitié des 500 000 Cubains immigrés à Miami serait des pratiquants actifs ou occasionnels
de cette religion. En 1979, le New York Times Magazine avançait le chiffre d’un million de
fidèles pour la ville de New York. Selon d’autres sources, il y aurait environ quatre millions
de santeros aux États-Unis, la plupart concentrés en Floride, sur la Côte Est et dans l’Ouest.
La zone d’influence de la religion yoruba27 va donc bien au-delà du Nigéria, une
conséquence, notamment des déplacements de populations africaines au XVIIIe et au
XIXe siècle liés à la traite transatlantique des esclaves. George Brandon explique à cet
effet :
During the 18th and 19th centuries, thousands of Yoruba, Bini, Ewe, and Fon people were
enslaved, uprooted, and imported to the Americas. In some locations in the Caribbean
pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe, alors qu’en Asie, leur nombre se chiffrerait à deux millions
et demi.
26 Capone explique que le terme santería, courant à Cuba, ne plait pas à la majorité des pratiquants, bien
qu’entré dans la littérature spécialisée à partir des années 1940. Elle mentionne que le premier à l’avoir
utilisé est Rómulo Lachatañteré qui contestait le terme brujería (sorcellerie). Elle explique aussi
qu’actuellement aux États-Unis « la plupart des initiés dans les villes à forte dominante latina, telle que
Miami, se diront des pratiquants de la santería, comme ils le faisaient dans leur pays d’origine. Mais, dans
les cercles « réafricanisants » et dans certaines maisons de culte qui essaient d’effacer toute influence
catholique, ce terme sera remplacé par Ocha ou « religion lucumí ». De même lorsqu’on passe des
maisons latinas aux afro-américaines, qui mettent en avant l’origine africaine de cette religion, on
emploiera alors de préférence l’expression « religion yoruba », estompant ainsi les liens de dépendance
rituelle des maisons afro-cubaines. […] La « religion lucumí » est le nom donné à la santería cubaine,
lorsqu’on veut souligner ses origines africaines, le terme lucumí désignant à Cuba les esclaves yoruba »
(Capone, 2005: 14-15). Ainsi, d’après elle, l’emploi de santería ou religion lucumí varie selon le rôle
attribué au catholicisme dans ces religions. Ces deux termes sont donc plus ou moins péjoratifs selon le
contexte culturel et ils nous renseignent aussi sur la localisation sociale de ceux qui les utilisent.
27 Plusieurs termes sont mentionnés dans les exemples qui, selon les auteurs, réfèrent à la religion yoruba ou
à des variantes de cette religion présentes dans les Amériques ou encore à des religions distinctes qui ont
une origine yoruba : anago, candomblé, lukumi/lucumi, macumba, orisha-voodoo, regla de ocha, religion
ifa/ifaism, shango, vaudou, religion des orishas, kele, santeria, umbanda.
23
Islands and South America, they were able to reestablish the worship of the orisha and
maintain it during slavery and after its abolition (Brandon, 2009: 503).
Par ailleurs, l’historien Afigbo mentionne que certains auteurs définissaient les
tribus comme étant des sociétés statiques; en témoigne la old theory of static ‘tribal’
societies et la hamitic hypothesis qui niaient l’existence de changements initiés par les
sociétés africaines28. Pour revenir à l’exemple de la religion yoruba, il apparaît clairement
qu’elle s’est transformée et adaptée, notamment aux contacts des cultures et des
environnements dans les pays et les régions du monde où elle s’est implantée. Ces
transformations ont donné naissance aux religions candomblé, macumba ou umbanda au
Brésil ; à Ifa et à l’orisha-voodoo aux États-Unis ; à la religion lucumi/lukumi, régla de
ocha ou santeria à Cuba ; à la religion shango à Trinidad et en Grenade ; à la religion
vaudou en Haïti et à la religion kele à Sainte-Lucie (Ogundayo, 2009: 329; Capone, 2005:
14, 316-317; Brandon, 1993; Chidester, 2008: 315) 29.
Conséquemment, on retrouve des lieux et des sites religieux yorubas tels que le
village d’Oyotounji30, fondé dans les années 1970 aux États-Unis (Caroline du Sud), par
Adefunmi, un leader du « nationalisme culturel »31 et un des fondateurs du mouvement
orisha-voodoo, ainsi que des centres d’initiation à la religion Ifà (Ifa College). Il en est de
même au Brésil où, d’après Timothy K. Gall, dans le Worldmark Encyclopedia of Culture
& Daily Life (1998: 14-15), il existerait plus de 1000 temples de la religion candomblé
seulement pour la ville de Salvador de Bahia. De même, des organisations et des forums
28 Les recherches d’Afigbo ont permis de faire la démonstration que les Igbos ont su initier des changements
et manifester de grandes capacités d’adaptation et de créativité indépendamment des colonisateurs arabes
et occidentaux, une démonstration qui contredit les théories occidentales affirmant leur attitude immuable
(Afigbo, 1981: 2-3, 6).
29 Selon l’anthropologue Dénètem Touam Bona (2006), il importe de mentionner que les religions d’autres
peuples africains, comme les Fon et Ewe ont également contribué à façonner ces religions. À titre
d’exemple, Smart affirme dans l’Atlas des religions dans le monde (2000) : « À la Jamaïque, par
exemple, il existe un mélange de pratiques et de notions akan (par exemple, obeah) et bakongo (par
exemple, kumina). La santería à Cuba est un amalgame de pratiques religieuses largement yoruba et
catholiques. Le vaudou à Haïti, en revanche, a été influencé par la religion des peuples de la langue fon
du Bénin (anciennement Dahomey) » (Smart, 2000: 206).
30 Voir le site internet du village d’Oyotounji au : <http://www.oyotunjiafricanvillage.org/?id=1>.
31 Selon Stefania Capone : « À partir des années soixante, le nationalisme noir nord-américain recentra ses
activités autour d’une politique de « restauration culturelle », qui s’exprima dans le mouvement de
« retour aux racines » ou de « back to Black ». L’une des organisations à s’engager dans ce processus fut
l’US Organization, fondée par Maulana Karenga, le créateur du rituel du Kwanzaa en 1966, dont le but
déclaré était « la création, la recréation et la circulation de la culture noire. (Karenga, 1988: 28). […] Le
nationalisme noir prit la forme d’un retour, aux niveaux esthétique et conceptuel, à la Terre-mère, un
24
internationaux témoignent du dynamisme de cette religion. On peut citer, notamment le
National African Religion Congress (NARC)32 et l’International Congress of Orisa
Tradition and Culture, appelé aussi COMTOC ou OrisaWorld Congresses33, dont un des
objectifs est de « revitalize and rejuvenate the Orisa Culture and all its traditions ». La
santeria, l’orisha-voodoo et le candomblé sont-ils des religions distinctes ou des variations
d’une même tradition religieuse yoruba? Les croyants de ces religions se reconnaissent-ils
une appartenance à la religion yoruba? D’après Brandon (2009: 589; 1993: 2), elles sont
moins des religions indépendantes que des variantes de la tradition yoruba, au même titre
qu’il y a des variantes régionales et doctrinales à l’intérieur du christianisme, du judaïsme,
de l’islam, etc. Une position également partagée par Capone qui explique dans Les Yoruba
du Nouveau Monde: Religion, ethnicité et nationalisme noir aux États-Unis :
Au sein de la « religion yoruba », existe une pléthore de dénominations distinctes qui
évoquent toutes le lien de continuité avec un passé africain : Orisha-Voodoo, Ifaism,
Anago, Ifá-Orisha ou Africanism. Chacune d’elles renvoie à une pratique réafricanisée de la
« religion yoruba » ou de la « religion des orisha ». Les pratiquants de ces variantes
religieuses considèrent la santería, la religion lucumí et la religion yoruba comme des
systèmes apparentés, dont les différences ne sont invoquées qu’à des moments précis et
dans des buts particuliers (Capone, 2005: 14-15).
Capone rapporte que dans les dernières années, au sein des forums internationaux,
un mouvement est né pour unifier toutes les religions qui ont une origine yoruba sous le
nom de « religion des orisha » (Capone, 2005: 280), bien que cette position ne fasse pas
l’unanimité. Elle cite, par exemple, les propos (2004) de Miguel « Willie » Ramos, un
oriaté cubain-américain (spécialiste des systèmes divinatoires dans la santeria) :
[N]ous ne sommes pas des Yoruba, nous sommes des Cubains qui pratiquent une religion
lucumí, pas une religion Yoruba. Notre origine est Oyo, mais pour nous l’Alaafin est
retour qui n’était pas physique, mais symbolique. Il fallait reconnaître les racines africaines des Noirs
nord-américains et se libérer du poids de l’éducation et de la culture blanches » (Capone, 2005: 103).
32 La création du National African Religion Congress (NARC) avait cinq objectifs : « représenter les
religions africaines au niveau national et international; affirmer la liberté religieuse; garantir le droit de
réaliser les cérémonies et les rituels, incluant les sacrifices d’animaux; assurer le droit d’effectuer des
cérémonies publiques; lutter contre toute discrimination venant d’autres religions. Le National African
Religion Congress vise également la certification des prêtres et prêtresses des religions d’origine africaine
ayant été dûment initiée dans leurs traditions respectives. Le NARC se présente donc comme une instance
supérieure à même de garantir les compétences de chaque initié par l’émission d’une sorte de carte
d’identité, ce qui faciliterait la célébration de mariages, baptêmes et services funéraires comme n’importe
quelle autre religion aux États-Unis » (Capone, 2005: 301-02, 306).
33 L’organisation mondiale OrisaWorld regroupe des praticiens et des chercheurs liés par leur intérêt de
recherche ou d’enseignement pour la tradition, la religion et la culture Orisa. Ses membres proviennent de
plus de 50 pays. Voir le site Internet de l’organisation au <http://www.orisaworld.org/>.
25
Shangó, pas un être humain. Parce que, lorsque nous avons été séparés [en raison de
l’esclavage], nous nous sommes aussi séparés politiquement. L’Alaafin d’Oyo n’est rien
pour nous, pas plus que l’Ooni d’Ifé. […] Pour nous, tous ces titres africains n’ont plus
aucun sens, c’est comme ça à Cuba, mais aussi au Brésil. Nous partageons une religion, pas
une culture. Nous partageons un aspect de la culture Yoruba, pas sa totalité (Capone, 2005:
316).
Cet extrait met en évidence les tensions existant entre différents groupes, certains cherchant
à se rattacher aux Yorubas du Nigéria ; d’autres cherchant à défendre leur spécificité.
Les Afro-Américains, souvent initiés par les Yoruba au Nigéria, voudraient imposer
l’autorité de l’Arabá d’Ilé-Ifé, le chef du culte d’Ifá au Nigéria, et de l’Ooni, le roi de cette
ville sacrée, à l’ensemble des cultes d’origine africaine en Amérique. De leur côté, les
initiés dans la religion lucumi, qui revendiquent eux aussi une identité yoruba, essaient de
résister aux pressions des Yorubas du Nigéria et des « Yoruba » Nord-américains. (Capone,
2005: 249)
Pour conclure cette section, les différentes stratégies de transmission de la foi
yoruba de même que les liens entre la religion yoruba au Nigéria et dans les Amériques ne
témoignent-ils pas de sa vitalité et de ses transformations historiques? La religion yoruba
n’a-t-elle pas fait la preuve de son dynamisme en s’adaptant à diverses réalités culturelles
dans différentes régions du monde? Est-il juste de la définir comme une religion tribale
alors que sa diffusion est connue dans différents pays, à l’extérieur de son lieu d’origine,
qu’elle a subi de nombreux changements au cours des siècles, par exemple, dans les
Amériques, et qu’elle regroupe un très grand nombre de croyants appartenant à des nations,
à des ethnies et à des cultures différentes? Il est difficile de soutenir une telle position après
avoir pris connaissance de l’étendue de sa présence sur les continents africain et américain,
espaces auxquels se limitent actuellement mes recherches34. La religion yoruba n’est-elle
pas un bel exemple illustrant que la notion de religion tribale est inadéquate pour montrer
les développements et les ramifications de cette religion? En maintenant l’utilisation de
cette notion, encore aujourd’hui, pour entretenir une vision ethnique, locale, ahistorique de
la religion yoruba ou des RTA en général, ne faisons-nous pas la preuve de notre
méconnaissance des enjeux africains contemporains?
34 La zone d’influence de la religion yoruba est beaucoup plus grande que l’espace dont j’ai fait mention.
Cependant, comme mes recherches se sont limitées à l’exploration des liens entre les continents africain
et américain, particulièrement grâce aux travaux de Stefania Capone, je ne suis pas en mesure de me
prononcer sur l’ensemble de sa zone d’influence, par exemple, les relations entre l’Afrique et l’Asie.
26
1.3.2 La notion de religion ethnique à l’épreuve de la religion igbo
À quoi réfère la notion d’ethnie35? La notion de religion ethnique est-elle plus
appropriée pour catégoriser les RTA? Si on prend la définition de l’anthropologue français
René Bureau, dans Encyclopédie des religions (1991: 134), les religions ethniques, telles
que les religions africaines, sont locales, liées à un territoire et à un peuple donné alors que
les religions universalistes sont liées à des civilisations marquées notamment par
l’éclatement de l’ethnie, la vie urbaine et l’économie cumulative. Cette définition me
semble problématique, car elle ne traduit pas les mouvements de populations et les
spécificités historiques des peuples africains. On peut se demander : quelles recherches ont
été utilisées pour affirmer que toutes les RTA sont liées à un territoire précis? Quelles
méthodologies, les auteurs de ces études ont-ils employés, pour arriver à de telles
conclusions? Le théologien belge Léon de Saint-Moulin explique au sujet du rapport au
territoire :
Selon l'avis de Jan Vansina, la période pré-coloniale ne connaissait pas l'isolement des
sociétés imposé par les frontières politiques et administratives introduites par la
colonisation. Les mondes lunda et swahili, par exemple, étaient très vastes et les voyages
des explorateurs démontrent qu'il existait de multiples routes commerciales à travers toute
l'Afrique centrale (Saint-Moulin, 2001: 24).
D’ailleurs, l’histoire de certains empires africains illustre bien que les peuples
africains ont vécu des transformations sociales et institutionnelles fondamentales. On peut
nommer, par exemple, l’Empire du Ghana (Wagadu) du VIIIe au XIIe siècle (mais
possiblement bien avant, vers le Ve s.), l’Empire du Mali, du IXe au XVIe siècle, s’étendant,
à son apogée, sur une superficie plus grande que l’Europe occidentale, et l’Empire Songhay
ou Songhaï du XIVe au XVIIe siècle36. On peut également nommer certains grands
35 « […] l’expression ethnie (comme celle de tribu) reste longtemps d’usage exclusivement ecclésiastique.
Elle dénote, par opposition aux chrétiens, les peuples païens ou « gentils », qu’en langage séculier on
appellera d’abord nations ou peuples, puis, à partir du XIXe siècle, race et tribus, alors même que la
science en charge de leur description s’appelle depuis la fin du XVIIIe siècle ethnologie ou ethnographie.
Au début du XXe siècle, ces termes sont progressivement concurrencés ou supplantés par divers
néologismes, comme le français « ethnie », (ré)inventé par Vacher de Lapouge en 1896, ou les termes
allemands ethnicum et ethnikos. Leur apparition est concomitante avec le déplacement des substantifs
jadis utilisés : nation est désormais réservée aux États « civilisés » de l’Occident, peuple, en tant que sujet
d’un destin historique, est trop noble pour les sauvages (du moins en français), race, centré maintenant sur
des critères purement physique, est trop général ; sorte de « nation » à rabais, l’ethnie se définit par une
somme de traits négatifs » (Taylor, 2004: 242).
36 L’Empire du Mali, à son apogée, entre le XIIe et le XVIe siècle, couvrait presque la totalité du Sénégal, de
la Gambie et de la Guinée actuelle ainsi qu’une partie de la Mauritanie, du Mali et du Niger, incorporant
27
royaumes tels que celui d’Igbo Ukwu, fondé au IXe siècle par les Igbos, et ceux d’Oyo et
d’Ife fondés au XVe siècle par les Yorubas dans l’actuel Nigéria (voir la figure 4).
Figure 4 - Empires et royaumes d'Afrique de l'Ouest avant la colonisation européenne
Source : La figure 4 est un montage fait à partir de la carte suivante : New World Encyclopedia. (2008). « African-
civilizations-map-pre-colonial ». New World Encyclopedia. En ligne. <http://www.newworldencyclopedia
.org/entry/Image:African-civilizations-map-pre-colonial.svg> (consulté le 10/04/2010).
Ces empires et ces royaumes africains se sont construits autour d’alliances
religieuses, politiques et culturelles en fonction, par exemple, des mariages ou des
conquêtes, comme en Europe. Ils ont couvert de vastes territoires (voir la figure 4) et ils ont
entraîné des mouvements et des déplacements de populations importants :
The medieval empires of Ghana, Mali, and Songhai that controlled the western Sudan had
no fixed geopolitical boundaries or singular ethnic or national identities. Although each
empire possessed important political and economic centers, such as Ghana's Kumbi Saleh
and Songhai's Gao, it is not certain that these were permanent capitals. Instead, the
empires may have had "floating" capitals that shifted between a number of urbanized
entre 40 et 50 millions de personnes. « The fourteenth-century traveler Ibn Battuta visited ancient Mali a
few decades after Musa's death and was much impressed by the peace and lawfulness he found strictly
enforced there. The Mali empire extended over an area larger than Western Europe and consisted of
numerous vassal kingdoms and provinces » (The Metropolitan Museum of Art, 2000c). L’Empire
Songhay, qui succéda à l’Empire du Mali « which erodes through a period of secession disputes and
power conflicts », s’étendit sur un territoire encore plus vaste, pénétrant davantage l’intérieur du Mali et
du Niger. À l’apogée de l’Empire Songhay à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, les cités de
Timbuktu et de Djenné étaient des centres culturels islamiques majeurs, où l’on retrouvait plusieurs
universités, tout en étant des pivots centraux pour le commerce à l’intérieur de l’empire et avec d’autres
régions de l’Afrique (The Metropolitan Museum of Art, 2000b).
28
centers or traveled with their ruling monarchs. Above all, the empires of the western Sudan
were unified by strong leadership, kin-based societies, and the trade routes they sought to
dominate (The Metropolitan Museum of Art, 2000a).
Comment affirmer que les RTA sont des religions ethniques alors que les frontières
nationales actuelles sont en partie celles héritées des découpages coloniaux, dont ceux
établis lors de la Conférence de Berlin en 1884-188537, où les puissances occidentales de
l’époque (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie, Belgique, Hollande, etc.) ont fixé les
règles de la colonisation38? D’autant plus que, selon Guy DeBoeck, la notion d’ethnie a fait
son apparition :
[…] comme élément obligatoire du discours de description de l'Afrique qu'au XIXe siècle,
[qu’] au moment de la colonisation "lourde", soit la prise du contrôle politique direct, plein
et entier de tout le continent par les puissances européennes - d'abord concurrentes pendant
le "scramble", puis, finalement, amenées à s'entendre sur un partage pacifique en marge de
la Conférence de Berlin de 188539.
Cependant, l’historienne et africaniste française Catherine Coquery Vidrovitch, qui
reconnaît aux ethnies « des racines qui leur confèrent un niveau de réalité certain », estime
que cette position doit être nuancée :
[D]epuis une vingtaine d’années, des chercheurs ont popularisé l’idée de "l’invention
ethnique". Il s’agit moins, évidemment d’invention que de transformation, pour deux
raisons : du côté colonial, le souci était de fixer les populations. On a donc dessiné des
frontières linéaires, délimité des circonscriptions, grossièrement calquées dans l’ensemble
sur des espaces ethniques antérieurs... Donc, on a systématisé les différenciations tout en
cherchant, bien entendu, à diviser pour régner… ; du côté des Africains, il s’est agi de
résister à l’intrusion coloniale (Durand-Dastes, 2004).
Les découpages territoriaux de cette époque se sont faits indépendamment de la
répartition géographique des cultures, de l’organisation de l’espace des populations
conquises et des institutions politiques et religieuses préexistantes. Ils ont donc entraîné,
37 Gouteux (2006) explique : « Entre 1880 et 1910, la course à l'Afrique, la compétition entre États européens
pour s'emparer de territoires en Afrique » (Pieterse, 2003) est attisée par des considérations stratégiques
(notamment le contrôle des routes maritimes ouvertes vers l'Inde) et économiques (l'Europe connaît alors
une conjoncture défavorable). Ainsi, « dès 1895, la mission civilisatrice devient l'idéologie officielle de
l'empire colonial français » (Vergès, 2003, pp 194) en même temps qu'elle participe de l'élaboration de
l'identité nationale française. La France s'installe dans l'entreprise coloniale en même temps que dans la
troisième République naissante: S'ébauchent alors « les fondements de ce qui va constituer une culture
coloniale à la française » (Blanchard, Lemaire, 2003, pp 7).
38 « Acte général de la conférence de Berlin de 1885 ». Digithèque MJP. En ligne. <http://mjp.univ-
perp.fr/traites/1885berlin.htm> (consulté le 25/08/2009).
39 DeBoeck, Guy. (s.d.). « Dis Bwama, tu n’as pas vu mon ethnie ». En ligne.
<http://www.congoforum.be/fr/congodetail.asp?subitem=20&id=7038&Congofiche=selected>.
29
comme tout déplacement de populations ou conquêtes, des changements majeurs. Donc,
n’est-il pas erroné d’affirmer que la religion de chaque ethnie est confinée sur un territoire
spécifique, ce que défendait Bureau? Les pratiques religieuses n’ont-elles pas été colorées
par les rencontres entre les populations? N’ont-elles pas subi des transformations?
Par exemple, les Igbos comptent entre 20 et 25 millions de personnes au Nigéria
(Changa, 2009: 333; JoshuaProject, 2009), principalement dans les États du Sud-Est40,
mais on recense une diaspora importante aux États-Unis et dans plusieurs pays africains
environnants (Bénin, Cameroun, Guinée Équatoriale, Ghana, Niger, etc.). Selon R. Chude
Bob-Duru (2000: 100), 13 peuples composent les Igbo-Speaking Peoples au Nigéria :
Aro/Bende, Ebonyi (Ogu-Ukwu/Afikpo), Ika (Western Igbo), Ikwer àre/Etche, Isu/Okigwe
(Orlu and Okigwe), Mbaise/Obowo, Ndoki (Akwette/Azumini/Ogoni/Opobo/Ubani/ Bonny),
Ngwa, Oka/Nri (Awka), Onicha (Onitcha, Nnewi/Uzouwani, Oru (Riverine Igbo, East, and
West), Uratta (Owerri/Ngor) et Wawa (Udi/Ngwo/Nsukka) (Bob-Duru, 2000: 100).
Afigbo explique que les peuples igbos ne sont pas regroupés sous « the umbrella of
a single state or evolve state systems of any great size » (Afigbo, 1981: 1-2). Donc, selon
lui, retracer l’histoire des spécificités démographiques, culturelles, politiques, sociales,
religieuses, etc., de ces différentes communautés est un défi de taille d’autant plus qu’il
explique que les outils méthodologiques mis en place au moment où il a commencé ses
recherches, à la fin des années 1960, étaient limités. De même, démontrer que malgré ces
spécificités, les Igbos se reconnaissent entre eux est également tout un défi. Les historiens
Toyin Falola et Matthew Heathon expliquent à cet effet qu’en matière de politique les Igbos
partagent « a basis structural and functional similarity », laquelle permet l’élaboration de
règles et de conventions par leurs leaders et hommes d’État, pour régir les relations internes
et externes entre ces communautés (Falola et Heaton, 2005: 3). Selon Afigbo, le fait d’avoir
une organisation sociopolitique axée sur l’autonomie des communautés et des groupes
d’intérêts a permis à chacun d’entre eux de se développer selon les besoins et les priorités
de leurs membres.
40 Ils sont majoritaires dans cinq États : Abia, Anambra, Ebonyi, Enugu et Imo, et également présents dans
les États suivants : Delta et Rivers. Voir OnlineNigeria. (2010). « Igbo People ». En ligne.
<http://www.onlinenigeria.com/finance/?blurb=668> (consulté le 26/05/2010).
30
Les travaux d’Afigbo sur l’histoire des Igbos permettent de comprendre comment
les mouvements de populations entrainent des transformations, notamment dans les
pratiques culturelles et religieuses au point où, selon les régions, elles peuvent devenir
complètement différentes (métissage, syncrétisme, processus d’indigénisation entre
différentes religions). L’exploration de ces travaux montre qu’il n’est pas aisé de définir la
notion d’ethnie.
En 1981, dans Rope of Sand, Studies in Igbo History and Culture, Afigbo montre
que la religion igbo s’est développée différemment selon les régions (hypothesis of a Igbo
cultural development). Pour ce faire, il réinterprète le matériel existant sur les Igbos et
compare plusieurs groupes Igbos, notamment à partir de leurs traditions orales, pour sortir
du particularisme des études ethnographiques qui ne prennent pas en compte une
compilation des différences et des similitudes régionales (Afigbo, 1981: 4).
Pour expliquer la diversité des pratiques igbos, Afigbo met en évidence différentes
périodes de déplacements dans leur histoire. Cette diversité de pratiques sociales,
religieuses et culturelles, écrit-il, est le résultat d’emprunts à des institutions de peuples
voisins (Kwa speaking groups et les Benue-Congo speaking peoples) et de processus
d’adaptation à des environnements différents liés aux processus d’immigration, à des
contacts commerciaux, à des mariages entre groupes, à des processus d’absorption des
minorités ou des immigrants, et à des déplacements causés par des conflits ou des guerres
(Afigbo, 1981: 14-15, 18; Oguagha, 1992: 362). Afigbo donne plusieurs exemples
d’institutions et de pratiques igbos empruntées à d’autres peuples voisins: « The traditions
of the Ohuhu, Ngaw, Eastern and North-Eastern Igbo also rich in accounts of fierce
encounters with various sections of the Benue-Congo-speaking people » (Afigbo,
1981: 14)41.On peut mentionner, premièrement, certaines formes de sociétés secrètes :
Among the most important of the institution and practices borrowed by the eastern Igbo
from their Benue-Congo neighbours was the highly developed secret society as a vital
instrument of social control. This is not to say that secret societies are entirely alien to
indigenous Igbo society. It is found in the form of Mmo or Mmanwu or omaba or Odo in
many other parts of Igbo land. By impersonating ancestral spirits they had a role to play in
social control, as in promoting relaxation and conviviality. But the political role of these
41 Philip Adigwe Oguagha mentionne que des développements internes à l’« igboland » ont également
influencé leurs voisins (Oguagha, 1992: 362).
31
indigenous Igbo secret societies was not as articulated as was that of secret societies
among the Benue-Congo peoples of the Cross River plain and valley (Afigbo, 1981: 20).
Un autre exemple donné par Afigbo est le « age-set and age-grade system with
formal rites of passages », un système emprunté aux peuples Benue-Congo de la Cross
River :
To be sure in all Igbo land there is a general recognition of, and respect for, the distinction
between children, youths and elders, with each having its own functions and privileges. But
not in all Igbo communities was the transition from one stage to the other marked by a
formal rite (Afigbo, 1981: 21).
Selon Afigbo, la diversité dans les pratiques religieuses provient également de
l’adaptation à de nouveaux milieux et leurs environnements physiques influençant la vision
cosmologique sur laquelle se modèle à son tour l’organisation sociale et les systèmes de
valeurs.
With regard to the growth of the characteristic Igbo cosmology the Nri corpus of myth
makes mention of Chukwu (Chiukwu) who after creating men, sending smiths to dry the
land, making the land bring forth food and instituting the market days and marketing was
never mentioned again as playing any part in the daily life of the people. On the other hand
it was Ani or Ala that now became so important to the Igbo that it became one of the most
vital functions of the Eze Nri to preside over its worship. This development is in accord
with the otiose character of Chukwu (the High or Supreme God) in Igbo cosmology, and
the domination of the Igbo world by the Earth goddess (Afigbo, 1981: 9).
De plus, d’après Afigbo (1981: 9), en fonction de l’histoire d’Eze Nri, Chukwu, le
Dieu créateur, aurait joué un rôle beaucoup plus important au cours de la période des
chasseurs-cueilleurs. Mais, avec le développement de l’agriculture, Ani (ou Ala), la déesse
de la terre, aurait joué un rôle de plus en plus central, puisque le lien à la terre se serait
accru :
But with the coming of agriculture Igbo gaze would appear to have been switched from the
skies above to the earth below, with Aka displacing Chukwu into remote inactivity. (The
place occupied by the worship of Ala in Igbo cosmology, as well as its rather capricious
character, may also be explained by the increasingly intensive exploitation of the land and
the consequent impoverishment of the soil especially on the Igbo plateau (Afigbo,
1981: 10).
Ainsi, l’exemple de la religion igbo n’illustre-t-il pas combien il est problématique
de définir les RTA comme des religions ethniques? Par ailleurs, pourquoi classerait-on la
religion igbo ou la religion yoruba comme des religions ethniques et non comme des
religions du monde, alors que le judaïsme est classé comme une world religion sur toutes
32
les cartes consultées? Pourtant, le nombre de croyants de cette dernière religion, entre 13 et
14 millions (Adherents.com 2007; Schmidt, Roger, Sager, Carney, et al., 2005) est inférieur
au nombre de croyants de la religion yoruba (voir la figure 6, p. 48)? Qui plus est, les
religions dites « du monde », notamment le judaïsme42, s’inscrivent souvent dans une
dynamique d’appartenance ethnique.
L’historien kényan Hannington Ochwada, dans Holy People of the World: A Cross-
Cultural Encyclopedia (2004), souligne justement qu’il est faux d’affirmer que toutes les
RTA sont liées à l’ethnie. Une telle affirmation démontre, selon lui, l’incompréhension de
la diversité des structures sociales des peuples africains.
1.3.3 Catégorisation retenue : religion traditionnelle africaine
La notion de religion traditionnelle africaine43 a été proposée par Geoffrey
Parrinder* dans les années 1950, pour remplacer les appellations telles que religions
primitives ou religions tribales (Cox, 2007: 17; Walls, 2004: 213). Elle a ensuite été reprise
par des générations de chercheurs africains et occidentaux (Van Rinsum, 2004: 25), mais
elle a également été contestée. Parrinder, dans West African Religion (1949), son premier
ouvrage, compare, à partir d’études ethnographiques, les systèmes religieux de trois peuples
africains avec lesquels il travaille (Ewe, Akan et Yoruba). Cette comparaison lui permet de
tirer les conclusions que ces systèmes religieux sont assez semblables pour parler d’une
structure commune de la religion ouest-africaine, et en même temps qu’il y a assez de
différences entre eux pour reconnaître que le fonctionnement de ces systèmes n’est pas le
même (Walls, 2004: 208). Platvoet rappelle que Parrinder spécifiait que sa « West African
Religion » était une construction :
42 Certaines conceptions du judaïsme ne montrent-elles pas que l’appartenance religieuse est liée à une
identité ethnique? En effet, le président israélien Shimon Peres décrit le peuple juif en termes de « peuple
élu », de « nation ayant une seule terre et une seule origine ethnique ». Dans For the Future of Israel
(1998), il explique : « You cannot be completely Jewish without speaking Hebrew– that was our concept
at the time; you cannot be fully Jewish without believing in one Lord in heaven; you cannot be Jewish if
you don’t live in the state of the Jewish people, where Judaism was born » (Peres, 1998: 19).
43 Lugira mentionne qu’il y a des ambiguïtés dans l’utilisation du terme RTA par Parrinder : « In his paper to
the “XIth International Congress Association for the History of Religion”, Parrinder asserts that ‘The
traditional religions of Africa are three: tribal religion, Christianity and Islam.’[…] And yet when he
writes his Religions in Africa, “Traditional Religion” is made to be one of the major components of those
religions that included Christianity and Islam » (Lugira, 1996: 35).
33
[…] developed from data on four categories of beliefs in God, divinities, ancestors, and
charms, and that there were significant differences between the single religions in some of
these departments, such as the place of God in West African traditional religions, whether
he was supreme, as among the Akan, or a primus inter pares, as among the Yoruba
(Platvoet, 1996: 114)
Dans African Traditional Religion (1954), Parrinder affirme, cette fois, à partir
d’études comparatives de peuples de différentes régions de l’Afrique subsaharienne (Bantu,
Nilotique, etc.) que les ressemblances entre les RTA sont plus importantes que les
différences au niveau régional : « in religious beliefs there is great similarity between many
parts of the continent that cuts across racial origins perhaps because or contacts over the
centuries » (1954: 10-11). La diversité des croyances et des pratiques de ces religions, selon
lui, ne justifie donc pas le rejet d’une appellation commune. Au même titre que
l’homogénéité des religions comme le christianisme, l’hindouisme et l’islam est beaucoup
moins réelle qu’apparente et malgré tout, ces religions sont enseignées et étudiées sous une
même appellation (1954: 10). Selon lui, les méthodes anthropologiques ont également
exagéré la diversité des religions africaines (Parrinder, 1954: 11).
D’après Peel, Parrinder a cherché un terme analogue à ceux utilisés pour désigner
les « religions du livre ». Si son entreprise a de louable qu’elle cherchait à mettre les
religions africaines sur le même pied que ces religions et à en traiter de manière plus
systématique, Platvoet considère que cette appellation est homogénéisante:
It stressed their beliefs in the Supreme Being, gods, ancestors, their philosophy and
cosmology much more than their rituals, and thereby intellectualized them. And it put an
emphasis on what they had in common with Christianity and other ‘major religions’: their
prayers to God, other prayers, sacrifices, sacred people and sacred places’ and how their
beliefs were activated in ‘the cycle of life’, thereby shaping them after the ‘Judaeo-
Christian template’ (Platvoet, 1996: 114).
De plus, Platvoet critique la représentation de Parrinder qui dépeint la RTA comme
un phénomène anhistorique, une représentation « eurocentrée » qui rappelle son bagage et
son engagement comme missionnaire de l’Église anglicane : « […] Parrinder presented
‘African traditional religion’ in the ahistorical, de-contextualized manner in which
Christian theologians usually present ‘Christian doctrine’ » (Platvoet, 1996: 114).
34
Une autre critique, celle-là de Laura Grillo (1999), porte sur la définition
anhistorique de la tradition44 qui suggère, « an unchanging way of life persisting to the
present » (Grillo, 1999: 6). Une définition qui favorise, selon Shaw, une lecture
essentialiste de ces religions : « ancient, static, pure » (Shaw, 1990a: 341). Bien que la
notion de religions traditionnelles se voulait une catégorisation plus positive que celle de
religion primitive, Shaw mentionne qu’elle n’en demeure pas moins opposée à la notion de
religions du monde (world religions). Une opposition qui s’inscrit dans l’héritage des
théories évolutionnistes du XIXe et du XXe siècle en anthropologie qui opposaient des
modes de pensées « primitifs » à des modes de pensées « modernes » (1990a: 342). Elle
mentionne également que des chercheurs utilisent cette notion sans adhérer à cette
hypothèse et cherche plutôt à la redéfinir. D’après Grillo, les RTA subissent les mêmes
pressions que toutes les religions : continuité avec le passé, adaptation aux évènements
historiques et aux circonstances sociales, et innovation en relation avec les ressources et les
contraintes de l’environnement (Grillo, 1999: 6). Une explication qui rejoint celle d’Afigbo
selon laquelle la religion et la culture igbo du Nigéria et des pays environnants se sont
transformées, notamment, en fonction des relations avec des groupes ou avec des peuples
voisins, au contact de leurs institutions et dans le processus d’adaptation à des
44 Cette attitude à considérer que certaines cultures et sociétés sont enfermées dans la tradition de même que
dans la répétition de « comportements traditionnels » alors que les sociétés modernes s’en seraient libérées
(conceptions évolutionnistes et linéaires de l’histoire ) est contestée par le sociologue Gilbert Rist : « Parce
qu'il n'existe aucune société qui ne soit fondée sur des traditions et des croyances, rien n'indique que la
société occidentale en soit dépourvue, même si celles-ci sont différentes de celles des autres sociétés. Il
faut donc refuser le « grand partage » entre « tradition » et « modernité », car la modernité elle-même
s'inscrit dans une tradition » (Rist, 2001: 40). Par conséquent, selon Rist (1988: 60-80), on retrouve dans
toute société les dimensions suivantes :
- des savoirs et des personnes inscrites à l’intérieur d’une structure de pouvoir autorisées à les
transmettre;
- une histoire à laquelle la communauté est rattachée par ses croyances et qui fonde son ordre social;
- des actes et/ou des paroles autorisés enracinés dans un langage qui délimite les contours du réel,
structure le temps et l’espace, ordonne les regards, hiérarchise les valeurs et inscrit les pensées dans un
moule;
- des interprétations du sens de la vie en nombre limité pour orienter l’agir individuel et collectif, et
assurer la reproduction sociale;
- des processus afin de désamorcer les dangers qui menacent l’ordre social et ralentir le changement
et/ou les transformations sociales;
- des croyances rationnelles et irrationnelles, des héros, des lieux d’affrontement autorisés, des mythes,
des rituels et des officiants pour actualiser ces dogmes;
- et une littérature orale (contes, légendes, mythes, cinéma, téléroman, etc.) et des œuvres artistiques
(livres, sculptures, tissages, etc.) visant à transmettre une vision du monde, des prémisses et des
présupposés, des valeurs et des idéaux afin de mettre en scène les ressorts de l’âme, de libérer les
fantasmes et de les domestiquer, de favoriser l’expression de l’inconscient tout en divertissant.
35