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QUATRIÈME PARTIE
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14. Théorie de la coopération entre concurrents :
organisations marchés et analyse de réseaux
Emmanuel Lazega
La concurrence sans merci et son évitement
Dans le contexte de la division du travail sophistiquée et de la
financiarisation des économies contemporaines une majorité d’in-
dividus et d’organisations qui participent aux efforts des appareils
de production sont mis en concurrence de plus en plus ouverte.
Cette mise en concurrence a un effet paradoxal : d’une part, elle
individualise les acteurs de l’économie ; d’autre part, elle crée des
interdépendances d’une complexité inédite entre eux (fonction-
nelles, cognitives, relationnelles, etc.). En effet, les acteurs au tra-
vail, individuels ou collectifs, ont besoin, pour accomplir leurs
tâches, de ressources multiples et hétérogènes et de partenaires
d’échanges – les sources de ces ressources – eux-mêmes de plus
en plus nombreux et hétérogènes. Dans ce contexte incertain, ces
acteurs – que François Bourricaud (1961) appelait les « associés-
rivaux condamnés à vivre ensemble », formule faisant écho à
celle de « partenaire-adversaire » de Raymond Aron (1962) –
coopèrent fréquemment sur certains projets tout en restant
concurrents sur d’autres.
L’entrepreneur est fortement incité à jouer le jeu complexe de
cette coopération entre concurrents. Une part cruciale de son tra-
vail consiste à saisir des opportunités d’affaires qui lui permettent
d’éviter d’être mis en concurrence ouverte par ses partenaires
tout en les mettant eux-mêmes en concurrence ouverte. Mais ces
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opportunités sont difficiles à saisir ; leur durée de vie, du point de
vue d’un acteur individuel, est souvent courte. Le seul moyen de
se donner une chance d’en saisir quelques-unes dans les flux dis-
continus d’opportunités est de s’assurer d’une capacité de durer,
d’attendre en cherchant à se placer stratégiquement au carrefour
de ces flux. Cela crée les premières incitations à, et les premiers
espaces pour, la coopération entre concurrents potentiels et l’or-
ganisation micro- et macropolitique des marchés.
À cette première incitation s’ajoute le danger menaçant la
rentabilité d’une entreprise dans une économie de marché : la
déclaration de guerre économique ouverte qui cherche à saper la
position des concurrents par la baisse des prix. Des oligopoles
émergent notamment pour protéger les entrepreneurs de cette
concurrence. Les entrepreneurs entretiennent leurs accords tacites
ou déclarés, sur un prix commun considérablement supérieur aux
frais ou coûts de revient, et donc sur une rente partagée. Les
marchés à structures oligopolistiques sont ainsi la règle plutôt que
l’exception.
Devenu oligopoliste l’entrepreneur doit chercher un équilibre
entre deux objectifs parfois contradictoires. D’une part de repro-
duire le marché en coopérant avec ses concurrents qui sont en
fait des collègues. Il peut pour cela jouer sur le rapport qua-
lité/prix (White, 1981), c’est-à-dire sur les prix et les volumes,
mais aussi sur les qualités et leurs définitions, par exemple en
innovant, en changeant fréquemment de modèles pour abaisser la
désirabilité d’un produit et le remplacer par d’autres, en propo-
sant des prestations sur mesure (Karpik, 2007). Une grande partie
du travail des entrepreneurs consiste ainsi à trouver une « niche
de qualité » qui soit relativement non concurrentielle, ce qui évite
d’avoir à éliminer le concurrent, qui n’en est plus vraiment un :
lorsqu’ils y parviennent, les oligopolistes sont plus collègues que
concurrents, leur production n’étant pas la même. D’autre part,
l’entrepreneur garde à l’esprit la menace d’une guerre écono-
mique et ne peut jamais tout à fait écarter le danger de la faillite.
Par extension, il prévoit aussi, ouvertement ou secrètement, des
stratégies d’élimination de concurrents. Reste que les occasions de
mettre en œuvre ces stratégies sont assez rares.
Les affinités de la théorie et du modèle de White (2001) avec
l’analyse des marchés oligopolistiques sont manifestes. White part
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des efforts des producteurs pour constituer des marchés viables.
Ce modèle ne part pas d’une loi de l’offre et de la demande. La
viabilité d’un marché tient ici au fait que les producteurs se posi-
tionnent sur une échelle de qualité et différencient leurs produits
en fonction de ce qu’offre la concurrence (Favereau et al., 2002).
Un marché de producteur est composé au départ d’entrepreneurs
concurrents et interdépendants. Leur interdépendance tient à leur
intérêt commun à maintenir en vie une série de marchés différen-
ciés avant tout par le niveau de qualité des produits offerts au
consommateur. White propose une typologie de marchés au sein
desquels les entreprises concurrentes sont structuralement équiva-
lentes au sens où elles ont des caractéristiques approximativement
semblables. Les structures relationnelles caractérisant chacun de
ces marchés sont construites sur les relations formelles et infor-
melles entre producteurs se surveillant mutuellement et se compa-
rant sans cesse entre eux. Les autres bases de similitude sont déri-
vées des principaux efforts de ces producteurs pour trouver une
« niche » (combinaison propre de qualité du produit, de volume
de vente et de profit) qui leur permet d’adapter leur offre, sou-
vent localement, et de se distinguer. La construction collective de
la qualité implique ainsi que la viabilité du marché vient du col-
lectif, et que c’est la structure d’ensemble du marché viable qui
crée le partage des rentes.
Dans la variété des marchés possibles définis par le modèle de
White tous ne sont pas nécessairement viables. Les entreprises ne
parviennent pas toujours à établir une combinaison stable de
concurrence et de coopération, à s’entendre pour que survive la
structure du marché. Les relations de pouvoir et les contraintes
qu’elles font peser sur les négociations sont donc cruciales dans ce
modèle. Sur ce type de marché, par définition, l’échange n’est
jamais bilatéral, toujours multilatéral et stratégique.
Il en va de même pour la concurrence par les qualités qui
suppose au moins de chercher à découvrir ce que les concurrents
savent et préparent, afin d’anticiper et de contrer les effets de
leurs stratégies. Ceci finit, là aussi, par supposer une certaine
proximité entre entrepreneurs, en particulier dans une économie
fortement technologisée s’appuyant sur des connaissances techni-
ques et scientifiques en forte évolution. La concurrence par les
qualités ne cherche pas nécessairement une qualité « idéale ».
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La R&D et l’usage intensif de la publicité, par exemple, peuvent
relever d’une concurrence par les qualités. La R&D peut pro-
duire un changement technlogique en redéfinissant des standards
intégrant de l’obsolescence programmée aux produits d’un seg-
ment spécifique de marché. Cette activité de R&D n’en a pas
moins été le déclencheur, au cours de la fin du XXesiècle, de
vagues d’alliances stratégiques et d’affaiblissement progressif des
lois antitrust – avant que ces dernières ne soient remises en cause
par des logiques plus financières.
Par le biais des ententes sur les prix ou des alliances visant
l’innovation (technique écologique, juridique, ou autre), la coopé-
ration entre concurrents est devenue – après le capital, le travail
et les ressources naturelles – un quatrième facteur de production.
Dans les écrits des professeurs de gestion ou dans ceux des écono-
mistes théoriciens des jeux, ce phénomène est désormais connu
sous le nom de « coopétition » (Nalebuff et Brandenburger, 1996)
ou de « stratégies collectives » (Bresser et Harl, 1986) menées par
des entreprises concurrentes, en particulier dans les secteurs dits
knowledge intensive (Von Hippel, 1987 ; Hamel et al., 1989 ; Lado
et al., 1997). Cette littérature utilise de plus en plus l’approche
sociologique de l’encastrement de l’activité contractuelle dans les
réseaux sociaux pour identifier les stratégies relationnelles infor-
melles et « non économiques » nécessaires à la stabilisation de la
concurrence oligopolistique (Bengtsson et Kock, 2000 ; Ibert,
2004 ; Dumez et Jeunemaître, 2005 ; Perret et Josserand, 2003).
Le problème des théories gestionnaires est ainsi de définir où et
comment entrer en concurrence partielle ou localisée.
À l’échelle des États-nations cette coopération entre concur-
rents a fait l’objet de travaux classiques. L’histoire des différentes
manières dont la concurrence a été régulée dans divers pays
(Chandler, 1990) montre, par exemple, que les cartels ont été
plus facilement acceptés en Allemagne (pays fortement exporta-
teur qui acceptait la coopération entre concurrents à l’intérieur
de ses frontières tout en encourageant une concurrence agressive
à l’extérieur du territoire national) qu’aux États-Unis (pays où les
entreprises se sont longtemps contentées de leur marché national
gigantesque), officiellement du moins. Gerlach (1992) applique
cette perspective au cas du Japon où, dans le cadre de ce qu’il
appelle alliance capitalism, les réseaux d’entreprises remplacent les
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cartels mais exercent la même fonction régulatrice de la
concurrence.
Les différences entre formes institutionnelles du capitalisme
montrent que l’équilibre entre coopération et concurrence est le
résultat de négociations entre forces politiques. Les facteurs
comme la forte concentration de la propriété l’existence d’une
structure centre-périphérie rassemblant en une clique centrale les
plus grandes entreprises dans le réseau des liens interlocks (lien
entre deux entreprises dû au fait qu’une ou plusieurs personnes
siègent à la fois dans le conseil d’administration de l’une et de
l’autre), l’intégration systématique du secteur bancaire et financier
dans les conseils d’administration, l’accumulation par les élites des
conseils d’administration de fonction dans les associations syndi-
cales patronales, tous ces facteurs favorisent la coopération entre
entreprises concurrentes et donc l’existence d’un capitalisme aussi
coopératif que compétitif (Windolf et Beyer, 1996).
La nature négociée, politique et temporaire de ces équilibres
implique que la participation à l’action collective entre concur-
rents à l’échelle interorganisationnelle – par exemple dans les
« partenariats » entre donneurs d’ordres et sous-traitants, dans les
programmes communs de R&D, dans les districts industriels ou
les pôles de compétitivité – requiert des coordinations complexes1.
Ce chapitre présente une théorie sociologique de la coopération
entre concurrents et de ces coordinations complexes basée sur
une approche et une modélisation néo-structurale, synthèse entre
une théorie de l’action, une analyse relationnelle des processus
sociaux et une identification des structures d’opportunités et de
leurs effets (en termes de performance ou de discriminations) à
l’échelle méso- et macrosociale (Lazega, 2006).
Cette coordination exige de la part de l’entrepreneur, un tra-
vail et des investissements relationnels et symboliques. La sélec-
tion de partenaires d’échanges n’est pas un choix rationnel au
sens étroit du terme. Elle a une dimension symbolique qui réside
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1. Cela ne signifie pas qu’il faille confondre des coopérations horizontales
comme celles des entreprises contrôlées de manière familiale dans les districts indus-
triels de l’Italie du Nord (Lazerson et Lorenzoni, 1999) avec des formes plus verti-
cales de coopération, le plus souvent encore plus contrainte ou forcée, des relations
de sous-traitance ou de « partenariat » industriel. Voir à ce sujet l’abondante littéra-
ture d’économie industrielle.
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dans la définition d’identités, dans la construction d’un langage
commun complexe, de critères d’évaluation des activités, dans le
recours à des institutions capables de promouvoir ou d’écarter,
d’inclure ou d’exclure, et enfin dans l’attribution de degrés varia-
bles de confiance dans l’échange. La confiance est ainsi un indi-
cateur très général de la dimension symbolique de toute relation
et de tout échange. Une relation étant définie de manière duale
comme un canal pour la circulation de ressources et comme un
engagement vis-à-vis du partenaire d’échange, la confiance carac-
térise à des degrés divers, la qualité de cet engagement. Ce qui
n’exclut pas la possibilité d’échanges « forcés », sans confiance,
dans lesquels l’entrepreneur ajoute les menaces aux promesses,
deux de ses tactiques les plus basiques (Villette et Vuillermot,
2006).
Ce travail et ces investissements relationnels s’appuient sur des
structures relationnelles personnalisées qui facilitent des processus
caractéristiques de la coopération entre concurrents – même
lorsque ces derniers restent à l’affût d’occasions de se défaire des
contraintes imposées par leur coopération. À défaut de cet
échange social la coordination complexe et l’action collective
entre concurrents seraient beaucoup plus coûteuses, voire impos-
sibles. Ces structures relationnelles sont complexes, multiniveaux.
Une distinction analytique nette doit ainsi être faite entre « réseau
d’entrepreneurs » (de personnes) et « réseaux d’entreprises ». De
même, une articulation tout aussi nette doit être reconstruite
entre les deux niveaux (Lazega et al., 2007, 2008). Les structures
relationnelles à l’échelle interorganisationnelle n’existent que
parce qu’elles sont construites par des acteurs concurrents et
interdépendants appartenant à des milieux sociaux observables
ethnographiquement (dans leur vie associative, voire mondaine,
et son travail réflexif), aussi bien dans leur relative spécificité et
clôture que dans leurs points communs et recouvrements (Lazega,
1996).
Si l’une des stratégies de base des entrepreneurs est l’investisse-
ment relationnel et symbolique la résultante au niveau collectif est
la construction d’une discipline sociale elle-même dépendante des
processus sociaux déclenchés par ces investissements. En sociologie
économique, au cours des trente dernières années, la description
de cette discipline a pris la forme d’études de l’encastrement des
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transactions économiques dans les relations et les normes sociales
(là où ces transactions économiques étaient supposées exister par
elles-mêmes et dans le calcul maximisateur à court terme). Nous
proposons d’aller au-delà du constat de l’encastrement de l’écono-
mique dans le social (et même au-delà de la dialectique entre
encastrement et désencastrement) pour articuler discipline sociale
et processus sociaux grâce à leur modélisation par l’analyse de
réseaux sociaux et organisationnels dans les mondes des affaires. Il
faut pour cela revenir à la définition de la relation socio-écono-
mique à la fois comme le lieu de la circulation de ressources hété-
rogènes et comme le lieu d’un engagement, c’est-à-dire d’une pro-
messe, d’une obligation ou d’une convention morale introduisant
la durée dans cet échange de ressources et présupposant un dispo-
sitif de contrôle social et de résolution des conflits rendant cette
promesse crédible. On illustrera plus bas cette articulation entre
discipline sociale et processus sociaux au moyen de plusieurs
exemples (apprentissages, solidarités, contrôles et régulation).
Enfin si la coopération durable entre acteurs économiques
potentiellement concurrents, ou concurrents de fait, dépend, dans
un premier temps, de formes variables de discipline sociale entre
eux, elle dépend aussi, dans un second temps, de la connaissance
et de la prise en compte de cette discipline par les pouvoirs
publics et leurs stratégies de contrôle social des marchés. En effet,
ces formes de coopération entre concurrents posent aujourd’hui
des questions politiques nouvelles dans les sociétés contemporai-
nes du fait d’un déplacement des frontières entre marchand et
non marchand, entre privé et public. La privatisation croissante
des services publics, par exemple, et l’influence croissante des
marchés et du monde des affaires sur les politiques publiques
(voire l’entrée du monde des affaires dans l’appareil d’État), ren-
dent ces frontières plus poreuses et instables. Dans ces conditions,
la sociologie économique néo-structurale procure, à travers la
mise au jour de cette discipline sociale, une nouvelle lisibilité du
monde des affaires, caractérisé par la discrétion et l’opacité. Cette
lisibilité contribue à l’examen des formes complexes de coordina-
tion entre entrepreneurs interdépendants. Elle peut aussi contri-
buer à la protection de l’intérêt général pour des marchés requé-
rant un contrôle social de plus en plus sophistiqué dans la
connaissance des interdépendances entre entrepreneurs.
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L’échange social : le travail relationnel
et symbolique de l’entrepreneur
Les organisations en général qu’il s’agisse d’administrations
publiques ou d’entreprises privées, unipersonnelles ou multinatio-
nales, ne conduisent pas leurs affaires de manière isolée. Elles
sont nécessairement dépendantes de certaines ressources (Salancik
et Pfeffer, 1977) qui les forcent à nouer des liens de coopération
avec d’autres organisations, et ces relations s’expriment au sein
d’un cadre juridique et social plus ou moins défini1. Levine et
White (1961) avaient déjà jeté les bases d’une analyse des rela-
tions interorganisationnelles en termes d’échanges et de dépen-
dances de ressources (Aldrich et Marsden, 1988). Ces ressources
interorganisationnelles, échangées à travers des liens multiplexes,
et pouvant consister en de l’apprentissage, des biens, des services,
ne sont pas forcément de nature monétaire ou purement
fonctionnelle.
On pourrait croire que les relations et les échanges sociaux ne
comptent pas dans un univers âpre où les donneurs d’ordres con-
traignent implacablement les sous-traitants pour « créer de la
valeur » où les financiers s’entendent collectivement pour dévalo-
riser les entreprises qu’ils souhaitent racheter à bas prix et contrô-
ler aux dépens de l’entrepreneur, où des cartels et des ententes en
matière de brevets et de licences finissent par verrouiller les mar-
chés en apparence les plus neufs. Mais c’est précisément de l’ana-
lyse des conditions dans lesquelles les relations sociales comptent
dans l’économie que part la sociologie économique néo-structu-
rale. Elle s’appuie notamment sur les premières utilisations de
540 La concurrence comme relation sociale
1. Pour les affinités de notre approche avec celle de la sociologie française des
organisations et de son analyse stratégique, notamment pour l’étude des interdépen-
dances de ressources et des relations de pouvoir, voir Lazega (1994). Mais ces affini-
tés ne ramènent pas le néo-structuralisme à une simple variante de cette sociologie. Il
s’appuie sur une théorie de l’action et de la rationalité sociale qui donne une place
plus importante que ne le faisaient Crozier et Friedberg au travail identitaire et sym-
bolique (Sainsaulieu, 1977 ; Stryker, 1980), à l’interprétation des règles (Reynaud,
1989 ; Favereau, 1994).
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l’analyse de réseaux sociaux en sociologie économique. C’est en
effet essentiellement dans le cadre d’une cette théorie de l’encas-
trement (embeddedness) des transactions économiques dans des rela-
tions sociales – une thèse retournant celle de Karl Polanyi (1942)
sur la séparation des sphères économiques et sociales – que les
analyses des réseaux sociaux ont contribué à la sociologie écono-
mique de la fin du XXesiècle (Granovetter, 1985 ; Swedberg,
1994 ; Steiner, 1999). Étudier les relations d’affaires seulement
comme des contrats, même complexes, ne rend pas compte de
l’existence et de l’importance de la personne des entrepreneurs,
de leurs échanges sociaux, de la dimension symbolique de leurs
interactions, de leurs engagements mutuels (volontaires ou forcés),
de leurs jeux institutionnels et politiques, bref de la construction
sociale des marchés et de l’existence, derrière les transactions
marchandes, d’un milieu social qui configure la structure
d’opportunités des acteurs.
Dans les sections suivantes on décrit d’abord, en termes néo-
structuraux, le travail relationnel et symbolique de l’entrepreneur
qui cherche à renforcer ces équilibres oligopolistiques, puis les
processus que ce travail rend possible. Les multiples formes de
coopération entre concurrents, et les modes de coordination com-
plexes qui en résultent, s’analysent grâce à la mise en évidence de
processus sociaux qui la facilitent.
Que ce soit dans sa recherche de clientèle ou avec ses pairs
l’entrepreneur travaille à établir des relations personnalisées qui
relèvent le moins possible de l’échange unique pour acquérir une
forme ou une autre de capacité de durer. Ce travail de lutte contre
la précarité est fait d’ « investissements relationnels » (Coleman,
1990) et de gestion des interdépendances qui suivent une rationa-
lité sociale. Nous utilisons le concept de rationalité sociale dans un
sens large (Lazega, 1992, 2003) et l’attribuons aux entrepreneurs
qui tentent de gérer leurs interdépenances relationnelles. Il relève
donc d’une forme d’échange social (Blau, 1964 ; Steiner, 1999).
Par exemple, étudiant les relations de pouvoir et de dépendance
dans les marchés financiers, Baker (1990) a examiné empirique-
ment les relations des entreprises avec leur banque comme indica-
teur de la relation de l’entreprise avec le marché. Il montre que
l’on est dans ce cas plus proche d’un modèle qu’il appelle « rela-
tionnel » et personnalisé que d’un modèle impersonnel.
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La coopération entre concurrents suppose ainsi un travail
relationnel et symbolique important fait d’échanges sociaux. Les
entreprises utilisent aussi ces comportements socialement ration-
nels à des fins qui ne sont pas immédiatement et directement
orientées vers les activités purement productives. Dans de telles
situations et en ce qui concerne de nombreuses activités, le calcul
des coûts-bénéfices, bien que formellement et mécaniquement
accompli, possède une dimension artificielle. Pour une entre-
prise A, estimer précisément le prix d’une opération de collabora-
tion ponctuelle entre les scientifiques de son propre service
de R&D et ceux d’une entreprise B est un exercice formellement
envisageable ; mais cet exercice est un pari qui ne définira jamais
clairement les coûts de cette opération ou la valeur marchande de
ses résultats. Pour les mêmes entreprises, investir pour soutenir
une campagne politique est aussi une dépense mesurable en ter-
mes monétaires, mais le montant de cette forme d’investissement
ne peut se réduire à un prix tel qu’il est habituellement déterminé
sur un marché (une valeur rationnelle qui peut être associée à un
revenu établi).
L’importance de l’échange social apparaît dans les études de
la relation entre le capital social de l’entrepreneur et les formes
diverses de performance économique (survie croissance, pro-
fits, etc.) (Burt 1992, 2005 ; Comet, 2007 ; Delarre, 2005 ; Flap
et al., 1998 ; Ingram et Roberts, 2000 ; Uzzi, 1999). En particu-
lier, pour Burt (1992), un acteur est d’autant plus performant
qu’il dispose d’un réseau étendu et déconnecté, c’est-à-dire riche
en trous structuraux (en absence de relations directes entre ses
contacts). Enrichissant l’analyse de Burt, Comet (2007) montre
que les petits artisans du bâtiment dépendent de leurs concur-
rents – tour à tour sous-traitants et donneurs d’ordres – pour
une part considérable de leurs marchés. Elle met notamment en
évidence l’importance des caractéristiques sociotechniques des
entreprises dans l’explication de la création et du rendement du
capital social de ces entreprises. Par contexte sociotechnique, elle
fait référence au contexte social lié aux relations d’interdépen-
dance dans le processus de production et au contexte technique
lié au degré de variabilité des tâches accomplies par ces entre-
preneurs. En fonction de ces caractéristiques, ses analyses la
conduisent à distinguer trois principales catégories de petites
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entreprises dans le bâtiment : les entreprises relais, les entreprises
expertes et les entreprises dépendantes. Que ce soit en termes de
marges bénéficiaires ou d’efficacité productive, le rendement de
leur capital social s’explique par des mécanismes sociaux diffé-
rents liés aussi bien aux contraintes du chantier qu’au type de
relation sociale entretenue avec les « pairs ». La majorité des
dépenses ou investissements relationnels et symboliques ne peu-
vent être traduits en un calcul explicite des coûts et des bénéfi-
ces. Le prix à payer pour essayer de structurer son environne-
ment dans le sens d’une « Pareto protection » n’est pas un prix
exclusivement marchand.
Un autre exemple est fourni par l’étude de Pina-Stranger
(2008) sur les relations informelles qu’entretiennent les entrepre-
neurs scientifiques dans l’industrie des biotechnologies en France.
Ces entrepreneurs doivent faire face à un très haut niveau de
risque : des contraintes réglementaires très exigeantes pour l’enre-
gistrement des produits une durée de développement des produits
rarement inférieure à dix ans, des besoins capitalistiques qui ne
peuvent être satisfaits que par un nombre très limité d’acteurs
financiers, notamment le capital risque, sans compter les difficul-
tés relatives aux prescriptions thérapeutiques dans le domaine des
sciences de la vie. Ces entrepreneurs évoluent dans un environne-
ment où la concurrence est omniprésente : ils doivent se battre
pour accéder aux subventions de l’État, pour être logés dans un
incubateur, être admis dans un pôle de compétitivité, accéder aux
investissements privés ou pour décrocher un contrat avec une
société pharmaceutique. Dans ce milieu social, l’examen des
réseaux de conseil qu’entretiennent environ 140 entrepreneurs du
secteur montre que, en l’absence de toute relation contractuelle,
les dirigeants de ces différentes sociétés sont « encastrés » dans
des relations multiples, souvent réciproques, configurant ainsi un
système de solidarité directe et indirecte. Dans des business model
très « ouverts », fondés sur l’entretien d’une multiplicité de con-
trats avec différents types de partenaires (investisseur, banque
d’affaires, fournisseurs, agences d’enregistrement, instituts
publiques, etc.), l’entrepreneur scientifique ne compte souvent
que sur ses pairs parce qu’ils ont des expériences et des intérêts
semblables.
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La discipline sociale entre concurrents
La nécessité d’acquérir la capacité de durer et ce travail rela-
tionnel et symbolique conduisent l’entrepreneur à des tentatives de
structuration de ses contextes d’interaction et de négociation.
Cette structuration cherche à protéger et à rentabiliser ces investis-
sements relationnels. Parallèlement, elle incite l’entrepreneur à
s’autorestreindre, au moment de sélectionner ses partenaires
d’échanges et au cours de ses négociations avec autrui. Cette auto-
restriction porte sur la définition de ses propres intérêts individuels
et de l’étendue du champ de ses revendications, ainsi que sur
l’exercice de son pouvoir individuel – notamment de son pouvoir
d’exploitation. Cette autorestriction est contextuelle, mais elle est
synonyme d’une capacité de politisation qui incite l’acteur à intro-
duire la durée dans ses échanges. L’échange social conduit ainsi
l’entrepreneur à une forme d’autodiscipline sociale qui s’appuie en
fait sur une endogénéisation (une perception et une prise en
compte) des structures relationnelles. Cette endogénéisation prend
la forme de l’entretien ou de la construction de niches sociales
ainsi que celle d’une entrée dans la concurrence de statut social.
Pour comprendre le fonctionnement contemporain de la coo-
pération entre concurrents, la théorie néo-structurale donne deux
dimensions à cette notion générale de discipline sociale perçue
comme légitime par les acteurs. Une première dimension se situe
au niveau individuel et s’observe dans le travail relationnel et
symbolique. Les acteurs sont équipés d’une rationalité sociale
grâce à laquelle ils investissent dans les relations et gèrent leur
interdépendance par l’échange social multiplexe et à la construc-
tion de projets communs. La mise en œuvre de cette rationalité
sociale aboutit à la création de formes structurales qui aident les
acteurs à protéger leurs investissements relationnels. Parmi ces
formes, la création ou l’entretien de niches sociales ainsi que l’en-
gagement (volontaire ou forcé) dans la concurrence de statut sont
des activités à la fois socialement disciplinantes et socialement
rationnelles pour la gestion des échanges sociaux, en particulier
avec des concurrents, potentiels ou réels, par les quantités ou par
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les qualités. Sous l’angle individuel, cette discipline sociale est
autant une autodiscipline considérée comme légitime qu’un ordre
social imposé de manière arbitraire.
La seconde dimension se situe au niveau collectif. Les investis-
sements relationnels et la création de ces formes structurales
déclenchent ou facilitent le déploiement de processus sociaux
dans le collectif. La solidarité particulariste (et les discriminations
qui l’accompagnent), l’apprentissage collectif, le contrôle social, la
régulation et bien d’autres processus fondamentaux de la vie
sociale – grâce auxquels la coordination entre concurrents est
possible – témoignent de l’existence, à l’échelle du collectif, de
cette discipline sociale. Ces processus ne sont pas mécaniques au
sens où ils existent indépendamment des efforts intentionnels des
individus. Mais ils échappent, à un moment ou à un autre, aux
efforts de gestion des individus, même s’ils sont facilités par les
formes structurales créées pour organiser les échanges sociaux.
L’existence de la discipline sociale n’entraîne pas nécessaire-
ment une amélioration de la performance ou des chances de survie
d’une organisation. La politisation des échanges repose toujours
sur les définitions des intérêts, lesquelles ne sont pas nécessaire-
ment convergentes dans un collectif. Bien au contraire : cette poli-
tisation s’appuie souvent sur des re-hiérarchisations des allégeances
(ou recompositions identitaires) dont la violence est trop souvent
ignorée par les théories de la socialisation. Dans la mesure où
l’existence de cette discipline sociale, au sens défini plus haut,
découle, en partie, d’une rationalité sociale de l’acteur qui tente de
structurer ses contextes d’interaction, de modifier – autant que
possible – sa structure d’opportunité, la politisation des échanges
n’a pas nécessairement d’effets mécaniquement prévisibles, ni pour
l’acteur ni pour l’observateur, sur la performance économique.
Action socialement rationnelle
et endogénéisation des structures
La sélection des partenaires d’échange n’étant pas un choix
rationnel au sens étroit du terme, l’approche néo-structurale pré-
suppose une forme de rationalité sociale de l’acteur soutenant à la
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fois l’échange social et l’échange marchand. L’échange social
inclut le calcul (sous toutes ses formes) mais aussi des activités sym-
boliques telles que les jugements de pertinence, les engagements et
les investissements relationnels (basés sur la gestion des frontières
et les identifications) et les jugements de valeur (négociation de
valeurs précaires) qui permettent aux acteurs de contextualiser et
de politiser leurs échanges et leurs calculs, au moins en sélection-
nant des groupes de référence, des autorités et des allégeances. On
peut ainsi proposer une théorie des jugements de pertinence qui
qualifient une décision de « bien informée » dans un contexte de
rationalité limitée et procédurale. Il n’y a pas de mode de coordi-
nation des actions économiques sans coordination des jugements
de pertinence sur ces actions. Comme dans l’économie des
conventions, le langage et l’interprétation des règles sont conçus ici
comme inhérents à la constitution de l’homo oeconomicus – qui n’est
plus une simple machine à calculer. La définition de la qualité, par
exemple, s’appuie sur ce type de jugement. Ce qui est pertinent ou
« approprié » n’est pas seulement conforme à une norme (ou
représentation, ou convention), mais à une norme partagée par
tous ceux qui se reconnaissent comme partageant aussi une iden-
tité et le sentiment d’une appartenance collective portée par un
représentant (au sens politicien du terme).
De ce point de vue, les acteurs investissent dans les relations
pour agir au niveau méso : soit pour se déplacer au sein d’une
structure d’opportunité donnée, soit pour chercher à la modifier
pour restructurer leur contexte d’interaction et d’échanges. S’ils
en ont les moyens et les capacités, ils peuvent le faire, par
exemple, au moment de la sélection de partenaires d’échanges.
Ces sélections ne sont ni aléatoires, ni entièrement libres, ni entiè-
rement déterminées. Elles sont elles-mêmes sujettes à des
contraintes normatives et relationnelles héritées du passé. Mais
elles reflètent l’idée que les acteurs investissent dans les relations
et qu’ils pensent (à tort ou à raison) que ces investissements seront
mieux protégés dans des « niches sociales » où les autres parta-
gent des identités communes et des règles d’exclusivité. Par ail-
leurs, les investissements relationnels ne sont pas indépendants
des comparaisons et des rivalités de statut. En effet, les acteurs
doivent définir les termes de leurs échanges sociaux et le statut
social offre une position enviable pour négocier ces termes.
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Les systèmes de niches sociales interorganisationnelles
La recherche, la construction ou l’entretien de niches sociales
est un premier moyen de chercher à modifier à son avantage une
structure d’opportunité. La niche sociale d’un entrepreneur peut
être définie comme le sous-ensemble de collègues-concurrents
avec lesquels il/elle a des relations spécialement denses, multi-
fonctionnelles, durables et liées, directement ou indirectement, à
ses activités de production. Elle constitue donc un ensemble de
partenaires privilégiés dans l’échange de ressources multiples, à
l’échelle intra- ou interorganisationnelle, entre lesquels le compor-
tement opportuniste est suspendu. Cette niche n’a de sens que
dans un système de niches identifiable grâce à une modélisation
en termes d’équivalence structurale (White et al., 1976). Elle est
détectable dans un milieu social par sa forte cohésion relation-
nelle, ou même par la présence d’un système d’échange généra-
lisé qu’elle finit par engendrer. Un système d’échange généralisé
renvoie à l’existence d’une réciprocité différée et indirecte dans le
milieu observé. Les cycles relationnels qui représentent cette
forme de réciprocité indirecte sont les indicateurs d’une forme de
solidarité et de discipline sociale plus rare et difficile à construire
que l’échange restreint, basé sur une réciprocité plus fréquente
mais purement directe et dyadique. Il s’agit cependant d’une
entité dont les contours précis sont parfois difficiles à saisir, pour
ses membres comme pour l’observateur.
Si le sociologue déduit son existence à partir de la cohésion
relationnelle observée, les acteurs utilisent davantage comme cri-
tère une certaine homogénéité et homophilie sociale. En effet,
l’usage des similitudes (par exemple le fait de travailler dans le
même bureau, d’être de même spécialité, parfois un même statut
hiérarchique) fournit des critères d’identité fréquemment utilisés
par les acteurs en quête de partenaires d’échanges. Les chefs
d’entreprise cherchent souvent des niches sociales utilisant l’ap-
partenance à des groupes ethniques (Saxenian, 1994), même si
cela ne les prédispose pas forcément à l’altruisme lorsque c’est
leur survie qui est en jeu. Forte densité et relative homogénéité
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sociale constituent donc des traits caractéristiques de la niche
sociale que l’entrepreneur cherche à intégrer ou à construire.
Le caractère multifonctionnel d’une niche signifie que plu-
sieurs ressources peuvent y être échangées par ses membres. De
fait, un tel espace est construit pour permettre des trocs multiplexes
de ressources sans équivalent général, c’est-à-dire des échanges de
ressources qui ne sont pas évaluées de manière purement comp-
table et à court terme. L’identification des niches sociales a des
implications pour la compréhension de l’activité économique. En
résumé, la construction de niches est donc stratégique ; mais une
fois construites, elles permettent à leurs membres, même s’ils sont
des concurrents potentiels, de suspendre provisoirement un com-
portement opportuniste, un calcul économique à court terme, et
de coopérer. Les économistes des conventions le font apparaître
au plan contractuel (Favereau, 1997 ; Chaserant, 2003). La cons-
truction ou l’entretien de niches sociales sert à diminuer les coûts
de transaction mais aussi à résister partiellement à la mise en
concurrence ouverte venant d’ « en haut ».
L’hétérogénéité et la congruence des formes de statut
à l’échelle interorganisationnelle
La conquête ou l’entretien du statut de l’ « importance » de
l’individu dans le collectif, qui présupposent la participation à la
concurrence de statut, constituent un autre moyen de chercher à
modifier à son avantage la structure d’opportunité. Le statut
social est un point d’appui incontournable de ces stratégies de
restructuration. En effet, les multiples dimensions du statut social,
déjà définies par Max Weber (1920), peuvent être mesurées
comme des concentrations de ressources différentes. Avec des
mesures comme celles qu’offre l’analyse de réseaux sociaux
(essentiellement des mesures de centralité et de prééminence),
c’est une hétérogénéité endogène des formes de statut (et non seu-
lement exogène comme chez Weber) qu’il devient possible
d’identifier. La concurrence de statut donne accès à des mandats
de représentant du collectif, au contrôle des ressources, à l’auto-
rité, à la capacité de définir les termes des échanges sociaux, mais
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aussi à conserver une certaine autonomie et résister partiellement
à la mise en concurrence ouverte venant d’ « en haut ».
Étudiant les situations d’incertitude qui caractérisent le mar-
ché, Podolny (1993) montre que les entreprises utilisent des éva-
luations du statut comme indicateur de qualité et critère de sélec-
tion de leurs partenaires d’échange. Un entrepreneur qui a une
forte réputation travaille moins avec un entrepreneur qui n’a
aucune réputation. Les acteurs possédant du statut inspirent
confiance, attirent les consommateurs qui recherchent la sécurité,
et sont capables de définir en leur faveur les termes de l’échange
avec ceux qui en possèdent moins. Mais le statut a plusieurs
dimensions. Le sociologue identifie et localise ainsi, dans les orga-
nisations et dans les marchés, des formes variables de pouvoir et
de statut, ainsi qu’une hiérarchie entre des formes hétérogènes et
interdépendantes de statut. On peut faire l’hypothèse, par
exemple, que les mesures de congruence et/ou de non-con-
gruence de ces formes de statut, avec leurs effets de motivation
des acteurs et d’allocation des ressources, sont cruciales pour la
compréhension des processus d’équilibrage des pouvoirs au sein
d’oligopoles. L’oligopole ne peut procéder au maintien d’une
forme d’intégration entre entrepreneurs qu’en utilisant cette hété-
rogénéité et cette interdépendance des formes de statuts. C’est
souvent la condition pour que les rivalités entre oligarques
conduisent à l’équilibre.
La concurrence de statut a un sens d’autant plus fort au
niveau interorganisationnel que la concurrence économique est
oligopolistique. Sans cette hétérogénéité et ces formes de
congruence (ou de non-congruence) de statut, on ne comprend
pas l’importance des « petits » acteurs du système. Par exemple,
les avocats ont toujours été des intermédiaires facilitant le com-
merce. Les gros cabinets d’avocats d’affaires internationaux sont
des « petits » acteurs de la globalisation des marchés. Leur poids
dans le monde des affaires à cette échelle (grand commerce inter-
national) tient à une forme de centralité qui provient elle-même
du fait qu’ils sont en permanence en situation de médiateurs et
de conflits d’intérêts. Ils ont ainsi un important pouvoir de média-
tion dans les contrats commerciaux entre entreprises multinatio-
nales (ils détiennent des informations cruciales sur les deux par-
ties) et travaillent d’une certaine façon à leur respect ou à leur
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renégociation éventuelle. Ce rôle de médiation est d’autant plus
important dans les contrats commerciaux internationaux en
l’absence d’un véritable droit des affaires international et de
règles de marché stabilisées. Les conflits d’intérêts sont donc, dans
un cas comme celui-ci, des indicateurs d’accumulation de formes
hétérogènes et considérées comme non congruentes de statut
social. Cette position de force conduit à une très grande indépen-
dance vis-à-vis des instances de régulation internationale et à des
prix des prestations pouvant atteindre les niveaux les plus élevés
(relativement aux prix des prestations des cabinets qui n’assurent
pas une telle médiation).
La concurrence de statut a ainsi un sens évident pour la ges-
tion de la coopération entre concurrents économiques. Dans les
oligopoles où l’échange social contribue au maintien d’équilibres
instables entre concurrents par les quantités, le statut est une
forme d’avantage acceptable dans la définition des termes de ces
échanges sociaux. Mais la concurrence de statut est aussi à la fois
une manifestation et un instrument de la concurrence par les
qualités. En effet, le statut social s’acquiert par la définition d’un
critère de qualité et par la capacité de l’imposer comme un stan-
dard dans une industrie donnée. Lorsque des oligopolistes affir-
ment qu’ils appartiennent à un univers de concurrence par la
qualité, ils sont engagés dans une concurrence de statut visant à
définir ce qu’est la qualité.
Niches sociales et statut social
au niveau interorganisationnel
Les formes structurales et les différenciations horizontales et
verticales que constituent les niches sociales et les statuts sociaux
facilitent la coopération entre concurrents. Il est important pour
le sociologue de l’économie de pouvoir les identifier, car ces for-
mes sont le moyen par lequel les acteurs socialement rationnels
cherchent à structurer les contextes de leurs interactions et de
leurs échanges lorsqu’ils sont mis en concurrence ouverte. Il faut
noter ici que les efforts de la part des entrepreneurs interdépen-
dants, de structuration du contexte des échanges, dont ces formes
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témoignent, ne signifient pas que les acteurs ignorent que leur
contexte est déjà juridiquement structuré. Même au sein d’un
ordre juridique, la structuration reste à bien des égards politique
et variable, surtout dans le domaine de la concurrence où la jus-
tice administrative ou judiciaire, sans même parler de l’arbitrage
« privé », disposent d’un fort pouvoir souverain d’appréciation et
d’interprétation.
Précisons que l’articulation entre le fait de rechercher à la fois
des niches et du statut au niveau interorganisationnel mérite une
attention toute particulière. Dans un milieu social donné, les
entrepreneurs individuels n’ont de cesse de se regrouper en niches
sociales, qui sont des espaces de suspension rationnelle de la
rationalité marchande, où les membres savent pouvoir obtenir à
coût réduit des ressources qualitatives dont ils ont besoin pour
être performants (reconnaissance, droits, etc.). Cependant, cette
tendance intrinsèque au travail des entrepreneurs produit une
fragmentation et n’est pas sans risque. D’où l’intérêt de la compé-
tition statutaire. Les entrepreneurs sont engagés dans cette com-
pétition, parce que le statut leur permet d’être en position de
force dans les négociations (internes ou externes à leur niche).
Mais le statut est une notion deux fois réflexive : c’est l’autorité
(ou le mandat) que confère la reconnaissance collective de l’im-
portance de la contribution individuelle au collectif. Cette compé-
tition recrée paradoxalement de la cohésion lorsque le système de
niches a un effet centrifuge. À l’échelle interorganisationnelle, par
exemple, il est parfois indispensable pour des grandes entreprises
de s’entendre pour s’imposer à toutes le standard technologique
de l’une d’entre elles, sans lequel les marchés de tout leur
domaine s’effondreraient.
Endogénéisation des structures
et processus sociaux fondamentaux
Tant qu’elle en reste au niveau des stratégies des acteurs pri-
vés, individuels ou collectifs, cette théorisation de l’autodiscipline
sociale peut-elle expliquer la coopération entre concurrents ?
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Nous avons admis que les jugements de pertinence des acteurs
mènent à la détection de formes et à une prise en compte de ces
formes – dans la gestion des relations – que nous avons appelées
endogénéisation. L’action socialement rationnelle face à la mise
en concurrence ouverte, l’endogénéisation de la structure par les
entrepreneurs interdépendants ne sont pas en elles-mêmes suffi-
santes pour stabiliser des structures oligarchiques et rendre effi-
ciente la coopération entre concurrents. Cette efficience provient
de ce que les investissements relationnels et l’endogénéisation de
la structure déclenchent et entretiennent des processus sociaux fonda-
mentaux qui facilitent la coopération entre concurrents.
C’est ce que la recherche néo-structurale décline plus analyti-
quement dans l’étude de processus distincts. On peut illustrer l’ar-
ticulation entre discipline sociale et processus sociaux au moyen
de quatre exemples de processus « génériques ».
Apprentissage et socialisation
Dans des sociétés et des économies hautement technologisées
qui valorisent la recherche et la créativité exploitant cette techno-
logie, l’apprentissage collectif représente un processus vital
(Lazega, 1995). Il est très étudié dans le domaine de la gestion,
notamment de l’échange de savoirs tacites (Polanyi, 1967 ;
Cohenand Levinthal, 1990 ; Nonaka, 1994) entre firmes concur-
rentes. Le processus d’apprentissage dans les alliances stratégiques
et l’importance de l’échange social pour cet apprentissage ont fait
l’objet de nombreuses théories et observations. Les entreprises
établissent des alliances parce qu’elles espèrent bénéficier des res-
sources auxquelles ces liens sont susceptibles de donner accès. Les
entreprises sont particulièrement attirées par les apports de
connaissances que procurent de telles alliances avec d’autres
entreprises éventuellement titulaires de nouveaux savoir-faire et
de nouvelles compétences (Kogut et Zander, 1996 ; Powell et al.,
1996).
Ainsi les organisations à la recherche d’avantages concurren-
tiels quantitatifs et qualitatifs se surveillent mutuellement (White,
1981) mais au niveau de sophistication où se situe la recherche
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technologique contemporaine, elles cherchent à apprendre les
unes des autres tout en essayant de se concurrencer sur des
aspects de stratégie tels que le partage du marché (voir, entre
bien d’autres, Von Hippel, 1987 ; Kogut et Zander, 1996 ; Doz,
1996 ; Hamel et al., 1989 ; Khanna et al., 1998). Dans ce travail
d’apprentissage, l’accumulation de ressources complémentaires
dans des projets de R&D s’accompagne systématiquement d’inte-
ractions sociales et de relations informelles (Larson, 1992 ; Gulati,
1995 ; Tsai, 2002), plus ou moins collusives (Lado et al., 1997)
mais décisives dans l’échange de connaissances tacites.
Un autre exemple est fourni par Lomi et Pattison (2006) qui
proposent une étude empirique de l’organisation de la production
dans le « partenariat » industriel entre les entreprises du secteur
de la « production de véhicules à moteur » en Italie du Sud au
début des années 1990. Les relations examinées sont celles qui
organisent les transferts ou échanges de trois ressources entre
« partenaires » (donneurs d’ordres et sous-traitants, voire entre
sous-traitants, bien que cette terminologie ne soit pas toujours
bien perçue par tous les protagonistes eux-mêmes) : la fourniture
de composants, les transferts de technologie et les investissements
financiers (prise de participation dans le capital d’une entreprise
« partenaire »). Lomi et Pattison trouvent des régularités dans les
sous-structures locales des réseaux de relations multiples observés
entre ces entreprises. Leur analyse révèle par exemple une ten-
dance claire à la cooccurrence des liens de transfert de techno-
logie et des relations d’investissement financier ; les deux relations
sont des procédés complémentaires de contrôle et de gestion des
interdépendances interorganisationnelles (alors qu’on aurait pu les
supposer exclusifs l’un de l’autre). La constitution de petites
niches interorganisationnelles grâce, entre autres, aux relations de
transfert de technologie joue donc ici un rôle central dans les
processus d’apprentissage à l’échelle interorganisationnelle.
Enfin, la concurrence de statut joue un rôle fondamental pour
ces processus dans des domaines où les entrepreneurs investissent
davantage dans la concurrence par la qualité, comme par
exemple les professions libérales (Karpik, 2007). Là où les acteurs
dépendent les uns des autres pour des échanges d’avis et de
conseils – le plus souvent non facturables – obtenus auprès de
collègues « réputés », le caractère collectif de la fabrication/certi-
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fication de la qualité correspond ainsi à des coûts cachés et portés
par le milieu ( « la profession » ), ses institutions et ses acteurs les
plus centraux. C’est le cas aussi dans la recherche scientifique à
l’échelle nationale et internationale où l’apprentissage collectif
basé sur la circulation de conseils informels dépend fortement de
la stratification sociale interne du milieu et donc d’une petite
oligarchie de collègues à fort et multiple statut social.
Solidarités particularistes et discriminations
Un deuxième processus social facilitant l’action collective
entre entrepreneurs interdépendants relève des phénomènes de
solidarité particularistes ; il porte sur la création, souvent dans des
niches sociales au sein du collectif, d’un système informel
d’échange généralisé et multiplexe. Ce système aide les membres
à échanger plusieurs types de ressources hétérogènes liées à la
production, directement ou indirectement, permettant une circu-
lation durable tout en suspendant partiellement le comportement
perçu comme opportuniste. On l’a déjà mentionné, l’analyse de
réseaux « complets » permet d’observer, dans un milieu organisé,
la présence de sous-structures relationnelles cycliques caractéri-
sant la réciprocité indirecte et différée – et par extension la pré-
sence de ce processus et de ses implications éventuelles pour
l’existence de discriminations directes ou indirectes. Le rappro-
chement analytique entre la notion de niche sociale et celle de
solidarité particulariste, ainsi mesurée par l’existence de récipro-
cité indirecte, tient à ce que la seconde repose notamment sur les
frontières et les normes définies dans la première.
Les études néo-structurales fondées sur l’observation des liens
multiplexes dans les « champs » interorganisationnels (DiMaggio,
1986) sont encore trop rares parce que les données de ce type
sont sensibles, stratégiques et difficilement accessibles. Les liens
visibles entre les grandes familles au sein des élites, par exemple,
ne constituent (probablement) plus une base solide pour l’analyse
de la discipline sociale au sein du monde des affaires, comme cela
a pu être le cas pour le capitalisme du XIXesiècle dans ses diffé-
rentes formes (Berle et Means, 1932 ; Chandler, 1977). L’étude
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des groupes d’entreprises est tout aussi difficile : les ressources qui
y circulent doivent être partageables et appropriables, à la fois
aux niveaux national et international. L’imprévisibilité et l’incerti-
tude sont transférées vers les sous-traitants ou vers certaines caté-
gories d’employés ; ceux qui se trouvent au plus bas maillon de la
chaîne (dont le contrat de travail devient de plus en plus
« flexible ») encourent le maximum de risques et de coûts. La
structure sociale est ainsi la clef qui permet de dévoiler le
processus de répartition, de délégation des risques, mais aussi
d’exploitation.
Malgré cette rareté des exemples classiques de l’existence de
processus solidaires dans les marchés sont de plus en plus nom-
breux, même lorsqu’on les distingue de simples descriptions de
l’encastrement des transactions économiques dans des relations
sociales dyadiques. Distinguant entre relations d’amitié « pures »
et relations d’amitié d’ « affaires », Ingram et Roberts (2000)
montrent par exemple que l’existence de relations amicales entre
managers dans l’industrie hôtelière haut de gamme à Sidney – un
contexte de concurrence par la qualité plus que par les prix –
augmentent la performance de leurs hôtels concurrents. Les
réseaux d’amitié sont efficaces lorsqu’ils sont cohésifs et qu’ils per-
mettent de rendre des services (en renvoyant des clients), d’échan-
ger des informations et des conseils d’ordre général, d’atténuer la
concurrence en fixant des prix plancher, de se regrouper contre
le comportement concurrentiel trop agressif, de s’aider en termes
de carrières, voire de s’embaucher mutuellement. Ils expliquent
ce résultat par l’idée que les relations d’amitié stabilisent les nor-
mes d’échange entre ces managers. La performance, dans leur
cas, est mesurée par le taux d’occupation des chambres des
hôtels, le chiffre d’affaires et le prix moyen des chambres.
Autre exemple, celui des groupes d’entreprises français (1991
à 1999) étudiés par Delarre (2005). Ces groupes constituent des
entités sociales nouvelles caractérisées par des échanges denses et
multiples entre les entreprises qu’ils contiennent. Le phénomène
empirique des alliances stratégiques offre ici la possibilité d’obser-
ver des niches basées sur les liens d’échanges multiples entre par-
tenaires. Delarre décrit les différents types de ressources circulant
à l’intérieur des groupes : financements, personnels, expertise,
contrôle, etc. Cependant, en dépit de cette cristallisation en une
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telle entité sociale, les groupes d’entreprises conservent une
importante malléabilité leur permettant de perdurer sur le long
terme. En renouvelant rapidement (turnover de 15 % par an) les
membres des holdings qu’ils administrent, les groupes maintien-
nent une veille constante vis-à-vis des évolutions des marchés. Les
groupes se montrent ainsi capables de gérer le problème fonda-
mental du « paradoxe de l’encastrement » : n’étant ni trop, ni
trop peu « encastrés », c’est-à-dire immobilisés en une configura-
tion collective cohésive et stable, ils peuvent trouver un équilibre
qui peut expliquer leur domination sur l’économie française
contemporaine. Ce qui ne les empêche pas d’encourager leurs
personnels à acheter des actions dans les entreprises du groupe
qui seront très rapidement revendues ou liquidées.
Un troisième exemple de recherche identifiant des formes de
solidarité basées sur l’existence de niches sociales dans un secteur
économique est celle d’Eloire (2007) sur les marchés de la restau-
ration lilloise. Eloire trouve une combinaison originale mais géné-
ralisable, de différenciation horizontale en termes de niches socia-
les et de stratification verticale du métier et des réseaux des
restaurateurs en termes de statuts sociaux. Ses analyses de
réseaux sociaux sur des données d’enquête recueillies auprès d’en-
viron 300 restaurateurs explorent des formes de solidarité limitée
permettant une coopération entre concurrents. Par exemple, le
réseau de discussions de conjoncture entre ces restaurateurs est
un des éléments de leur observation mutuelle au sens whitien.
Eloire détecte ainsi une forme d’homophilie spécifique : les res-
taurateurs semblent avoir une plus forte propension à citer et à
être cités par des collègues dont les établissements appartiennent
au même type de marché. Lorsque l’on sait que les acteurs du
marché de la restauration haut de gamme sont plus centraux et
tout aussi homophiles et exclusifs que les autres, on identifie une
tendance au recouvrement entre structure économique et struc-
ture sociale, ainsi que l’existence d’une niche sociale qui structure
ce milieu et dans laquelle les restaurateurs haut de gamme parta-
gent aussi des informations intéressantes concernant des sujets
aussi variés que le personnel, les fournisseurs, la cuisine, les pro-
duits ou les charges de l’entreprise. Comme les discussions de
conjoncture, le transfert ou échange d’informations intéressantes
possède un caractère informel, mais apparaît de façon beaucoup
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plus confidentielle et sélective. D’une part, le calcul des centralités
de degré sur le réseau montre que l’information est très inégale-
ment distribuée entre les professionnels ; d’autre part, il apparaît
que les acteurs du marché paradoxal sont relationnellement plus
actifs. Dans les deux réseaux ainsi structurés par l’homophilie de
niche et de statut, Eloire dégage une tendance aux choix dyadi-
ques homophiles ainsi qu’à la réciprocité indirecte des liens, indi-
cateur de formes de solidarité particularistes entre ces restaura-
teurs. Il trouve la trace de formes d’échange généralisé entre
restaurateurs qui ne sont pas des concurrents directs. En
revanche, le fait que ces niches ne semblent pas exister au sein de
chaque type de marché, tend à dévoiler le caractère discriminant
et stratégique de cette forme de solidarité limitée entre
concurrents. Celle-ci tendant à émerger entre acteurs appartenant
plutôt à des types de sous-marchés différents et stratifiés.
Contrôle et résolution des conflits
Un troisième processus, celui du contrôle social du monde des
affaires, semble facilité par l’existence de niches sociales et par la
reconnaissance et l’acquisition de diverses formes de statut. Il faut
cependant noter que peu de recherches néo-structurales exami-
nent l’importance des niches et de la concurrence de statut pour
le contrôle et la mise en œuvre des règles. À l’échelle interorgani-
sationnelle, les niches sociales sont bien plus souvent identifiées
comme des sources de déviance et de corruption ou considérées
comme des infractions aux lois antitrust. Or, plus encore qu’au
niveau intra-organisationnel, l’investissement des organisations
dans les relations privilégiées entre elles, soulève le problème des
investissements relationnels qui s’avèrent après coup avoir été des
investissements « à fonds perdus » (quand les partenaires se com-
portent de façon opportuniste). Les processus sociaux, en plus des
mécanismes juridiques, s’avèrent aussi nécessaires ici pour traiter
les questions du passager clandestin de premier et de second
ordre.
Une première approche sociologique du contrôle social du
monde des affaires insiste sur l’utilisation par les acteurs de
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méthodes ex ante basées sur la réputation, considérée par les éco-
nomistes institutionnalistes comme un puissant mécanisme de
gouvernance (Macaulay, 1963 ; Raub et Weesie, 1993). L’entre-
preneur qui souhaite entretenir des relations économiques à long
terme avec ses partenaires est soucieux de sa réputation. Mais
cette réputation ne lui appartient pas ; elle est le produit des éva-
luations et des critiques, par ses partenaires et par le milieu des
autres entrepreneurs, portant sur son comportement, sa fiabilité,
sa solvabilité, etc. La formation des réputations dans l’univers
marchand n’a pas fait l’objet d’analyse de réseaux sociaux et
organisationnels, et les études n’en restent qu’à la surface de
l’analyse de tous ces processus qui aident les acteurs économiques
interdépendants à se surveiller et à se sanctionner mutuellement
avant même le recours aux procédures juridiques.
Une autre approche consiste à observer le fonctionnement des
institutions juridiques formelles activées par les entrepreneurs
pour résoudre leurs conflits (Cheit et Gersen, 2000), et de la
manière dont la société tente d’exercer un contrôle sur eux. Une
étude du contrôle social du monde des affaires par les tribunaux
de commerce consulaires en France montre comment la concur-
rence de statut social permet à une institution de résolution de
conflits entre entrepreneurs de perdurer pendant près de cinq siè-
cles. Les enquêtes et analyses menées par Lazega et Mounier
(2003 ; Lazega et al., 2008) sur des données de réseaux longitudi-
nales recueillies auprès d’environ 230 juges du tribunal de com-
merce de Paris exposent une forme de contrôle social très
ancienne assurant la coopération dans le monde des affaires pari-
sien (et au-delà). On pourrait lire le fonctionnement de cette insti-
tution simplement sous l’angle d’une forme d’ « encastrement ins-
titutionnel » des marchés, cette institution exerçant une fonction
de résolution de conflit et de sanction spécialisée dans ce
domaine. En effet, le monde des affaires a d’abord, au cours de
l’histoire, créé ses propres régulations. Mais il a très tôt recouru à
l’État pour obtenir de meilleurs moyens d’officialisation et de
sanction de ses normes. Les juges consulaires de ce tribunal agis-
sent comme juges individuels ainsi que comme représentants (en
théorie sans mandat spécifique) de la communauté d’affaires
locale. Mais l’analyse organisationnelle et structurale permet de
dépasser, là aussi, la simple perspective de l’encastrement. En
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effet, les juges ne sont pas rémunérés, mais ils sont élus/cooptés
pour une durée totale maximale de quatorze ans par les membres
de la Chambre de commerce de leur localité. La moitié d’entre
eux a une formation juridique. 29 % (entre 2000 et 2005) d’entre
eux proviennent du secteur de la banque finance, une surrepré-
sentation évidente qui, dans la plupart des pays européens et dans
les pays anglo-saxons, soulèverait la question de l’impartialité de
cette juridiction et des juges en situation de conflits d’intérêts ou
d’apparence de conflits. Mais l’institution présuppose que ses
juges zélés seront entièrement vertueux malgré le peu de distance
qui existe parfois entre le juge et le justiciable. L’examen de la
dynamique des réseaux de conseil entre ces magistrats montre
que les banquiers ayant une formation juridique ont un statut
social (« épistémique » très élevé dans ce tribunal, qu’ils y exer-
cent une influence de plus en plus forte sur leurs collègues, en
particulier lorsqu’il s’agit de prendre des décisions de justice dans
des conflits pour lesquels le droit des affaires français donne aux
magistrats un pouvoir souverain d’appréciation, d’interven-
tionnisme et de punitivité dans des problèmes qui se posent au
cœur de l’activité marchande (concurrence déloyale, dom-
mages et intérêts, conflits entre actionnaires majoritaires et
minoritaires, etc.).
Cette étude montre qu’un statut social spécifique, celui de
juge consulaire, est créé à l’échelle interorganisationnelle pour
faciliter l’exercice du contrôle social du monde des affaires local
dans un cadre de régulation conjointe des marchés. La question
se pose de savoir si cette forme de statut facilite de la même
manière la résolution de conflits entre petites et grosses entrepri-
ses ou des conflits entre producteurs et consommateurs. Mais l’a-
nalyse en termes de statut social spécifiquement dédié à la résolu-
tion du problème du passager clandestin de second ordre (celui
qui, observant un acte de déviance, n’intervient pas pour rappeler
à l’ordre et sanctionner) fait progresser la connaissance du fonc-
tionnement du contrôle social du monde des affaires. L’équiva-
lent des niches sociales à la fois intra- et interorganisationnelles
apparaît au sein de cette institution dans l’opposition entre, par
exemple une clique de juges banquiers-juristes et celle des juges
issus du BTP (qui s’opposent en matière de punitivité et d’inter-
ventionnisme). L’articulation entre niches et statuts semble ici
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faciliter le contrôle social des marchés mais au prix de la domina-
tion de ce tribunal par la banque et par ses critères de justice
commerciale (Lazega et Mounier, 2008).
Régulation et institutionnalisation
Un quatrième processus consiste dans la redéfinition des
règles du jeu par les entrepreneurs interdépendants. Ce processus
régulatoire est en fait un processus d’institutionnalisation, d’adap-
tation institutionnelle, voire de désinstitutionnalisation. Là encore,
les concurrents coopèrent pour établir un langage de référence,
des règles communes. Dans ce domaine, la sociologie néo-structu-
rale dialogue avec les économistes institutionnalistes (convention-
nalistes et régulationnistes) pour lesquels le rôle joué par les règles
et les institutions, qu’elles soient formelles ou informelles, est cru-
cial pour expliquer la coopération et la gestion des risques par les
entrepreneurs, voire le fonctionnement et la performance des
marchés en général (Boyer et Saillard, 1995 ; Favereau et Lazega,
2002).
Même dans un système égalitaire, on observe que tous ne
défendent pas leurs intérêts régulatoires avec la même efficacité
(Selznick, 1956). Il ne s’agit pas d’affirmer simplement que le plus
fort impose ses règles : l’analyse de réseaux montre plutôt que ce
sont les acteurs qui occupent des formes non congruentes de sta-
tut social qui sont les plus influents dans cette définition des règles
prioritaires car ils associent à leur pouvoir (le contrôle de ressour-
ces dont les autres ont besoin) une forme de légitimité (une capa-
cité de parler de manière crédible au nom du collectif). Cette
approche de la construction de la légitimité dans les réseaux de
relations crée un lien entre normes ou valeurs d’une part, inté-
rêts, pouvoir et structure de l’autre. La concurrence de statut
(définie notamment, dans sa dimension relationnelle, au moyen
de mesures de centralité dans les réseaux sociaux) est un élément
crucial du processus régulatoire, qu’il aboutisse à de réels change-
ments ou à de la résistance au changement. En effet, une dyna-
mique particulière caractérise la régulation : celle d’une négocia-
tion oligarchique de valeurs précaires (Lazega et Mounier, 2002).
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Le processus de régulation, au sens de la définition des règles qui
organisent l’activité marchande, présuppose que les entrepreneurs
peuvent devenir des « entrepreneurs institutionnels » actifs dans la
construction sociale de leurs marchés.
Comme le montre le fonctionnement du tribunal de com-
merce français, l’intervention du monde des affaires dans le pro-
cessus de régulation a toujours existé. Mais elle devient de plus en
plus systématique au fur et à mesure que l’État « régulateur » fixe
des cadres juridiques généraux et vagues, laissant aux acteurs du
marché concerné la tâche de définir la substance des règles en
vigueur. Penalva (2007) offre à cet égard un excellent exemple de
ce type de processus de régulation en examinant la construction
sociale, en France, d’un marché financier dit « socialement res-
ponsable » promouvant des fonds « éthiques ». Les acteurs de ce
marché sont très hétérogènes. Des religieuses y côtoient des ban-
quiers, des gestionnaires de portefeuilles, des analystes financiers,
des agences de notation sociale et environnementale ou des syndi-
calistes. Les opérateurs pensent pouvoir trouver leur clientèle sur
le futur marché des retraites par capitalisation et de l’épargne
salariale. Penalva examine une étape intermédiaire de la cons-
truction de ce marché, la coopération entre entrepreneurs institu-
tionnels cherchant à imposer chacun sa conception du « sociale-
ment responsable ». En effet, dans ce marché, les titres sont
sélectionnés non seulement pour la performance financière des
entreprises, mais également en fonction de considérations
sociales, environnementales, voire éthiques.
La discipline sociale de ce milieu est mise au jour par l’analyse
de sa structure relationnelle. L’étude ethnographique identifie sur
le marché de l’investissement socialement responsable (ISR), deux
types de relations importantes : la collaboration et l’amitié
(entendue par les acteurs dans un sens plus ou moins utilitariste).
L’analyse des réseaux de collaboration et d’amitié entre les prin-
cipaux entrepreneurs institutionnels de ce marché en 2005
montre que, au stade observé de sa construction, il repose sur un
équilibre entre une forte coopération économique et une forte
concurrence sociale. Même s’il n’y a pas de barrières à l’entrée
de ce marché, il existe des barrières sociales et informelles pour y
devenir un acteur central, un véritable entrepreneur institution-
nel. Ces barrières sociales sont relatives à la conception du
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« socialement responsable » et permettent de faire le lien entre la
structure et la conception que les acteurs se font de la qualité de
leur produit. Si l’accès au marché est gratuit, l’activité régulatoire
est « payante » au sens où, pour devenir un acteur important de
ce marché, il faut s’y investir d’une manière personnelle. L’amitié
y est un lien utilitariste qui permet, à ce stade, d’équilibrer la col-
laboration pour le « bien commun » (la construction collective du
marché lui-même) et la concurrence sociale, pour préserver un
minimum les intérêts particuliers. Du fait de la concurrence de
statut qui règne dans ce milieu, certains acteurs ont les moyens de
devenir des entrepreneurs efficaces de la construction sociale de
ce marché à plus d’un titre : ils disposent de différentes ressour-
ces, économiques, relationnelles, symboliques, qui leur permettent
de peser sur la régulation. Après avoir émergé grâce à l’action
des agences de notation extra-financière, qui ont créé le marché
sur la base d’une norme technique, le marché est repris en main
par les financiers. Ces derniers, grâce à des stratégies de
cooptation complexes, imposent leur vision d’intégration de l’ISR
à toute la finance.
Cette régulation du monde des affaires n’est pas nécessaire-
ment accomplie par les entrepreneurs en face à face avec le poli-
tique. On l’a vu plus haut, des professions libérales telles que les
avocats d’affaires, les banquiers d’affaires ou les consultants
jouent, surtout à l’échelle internationale, un rôle de médiation
important d’un point de vue régulatoire. Ce rôle de médiation est
d’autant plus important dans les contrats commerciaux interna-
tionaux en l’absence d’un véritable droit des affaires internatio-
nal, de règles de marché stabilisées (Flood, 2007). Par le biais de
lobbyistes, les entreprises contribuent largement aux campagnes
des partis politiques dans les pays anglo-saxons (Useem, 1984 ;
Mizruchi, 2007 ; Carruthers, 1998) en échange de politiques
publiques spécifiques et d’une reconnaissance de l’autorité du
régime politique. En France, Bertrand et al. (2007) ont examiné
les échanges de « faveurs » entre chefs d’entreprises et politiciens
français provenant des mêmes grandes écoles. Leur travail
montre, entre autres, que les décisions de licencier interfèrent
avec le calendrier des élections politiques – les industriels les
annonçant après les élections, même s’il en coûte beaucoup à
l’entreprise. En échange, les entreprises gérées par de hautes
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directions bien introduites auprès du personnel politique paient
moins d’impôts et reçoivent davantage de subsides.
La concurrence de statut et la multidimensionnalité du statut
permettent ainsi à certains entrepreneurs institutionnels, dans le
monde des affaires, d’entretenir l’inertie et les blocages aux chan-
gements de règles du jeu ou, au contraire, de surmonter ces blo-
cages : pouvant perdre sur certains plans parce qu’ils gagnent sur
d’autres (du fait notamment de leur accumulation de plusieurs
formes de statut social non congruentes), ils parviennent à vendre
la stagnation ou le changement à tout le système d’acteurs. En
cela encore, une forme d’endogénéisation de la structure aide au
déploiement d’un processus très complexe.
Le processus de régulation du monde des affaires est aujour-
d’hui ouvertement caractérisé par une très grande polynormati-
vité (Lazega et Mounier, 2008). La coordination sur un marché
implique, face aux quantités, des prix et des qualités. C’est
notamment à travers la concurrence par les qualités qu’une plu-
ralité d’ordres normatifs partiellement autonomes procure au
monde des affaires de nombreuses sources de régulation. Le poids
relatif du droit par rapport aux autres types de normes dépend de
la force que l’État et les institutions publiques mobilisent pour
peser sur cette régulation conjointe dans des situations concrètes
d’action économique. Dans le monde des affaires, le droit occupe
une position de primauté par rapport aux autres normes non pas
seulement du fait de la primauté de l’État, mais parce que les
acteurs de l’économie, en particulier le monde des affaires, ont la
capacité de participer à la définition du droit par le processus de
régulation conjointe.
Interdépendance des processus et dynamique des structures
La liste des processus sociaux qui facilitent l’action collective
entre concurrents et qui sont modélisables par l’analyse de
réseaux est indéfinie parce que tous les processus sociaux ont une
dimension relationnelle. D’autres processus relationnels et infor-
mels caractérisant l’action collective entre entrepreneurs interdé-
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pendants ont fait l’objet de formalisations néo-structurales : les
processus d’intégration d’assimilation, de cooptation, d’équili-
brage des pouvoirs, d’évaluation de la qualité de la production,
d’appropriation, de mobilisation (Varanda, 2005), d’extraction de
performances économiques, de discrimination, de désolidarisation
et d’exploitation.
Ces processus qui, ensemble, contribuent à rendre possible la
coopération entre concurrents, sont liés de manière dynamique,
par exemple par des effets de rétroaction. La redéfinition des
règles peut engendrer de nouvelles solidarités. Les croyances nor-
matives issues du processus de régulation affectent les choix de
conseillers, et donc l’apprentissage. Les controverses dynamisent
en partie l’évolution des structures facilitant l’apprentissage collec-
tif. Elles contribuent à la formation endogène des contraintes que
les acteurs peuvent ou non considérer ensuite comme légitimes et
auxquelles ils se soumettent plus ou moins « volontairement ». La
recherche sur l’articulation de ces processus n’en est qu’à ses
débuts. Leur contribution relative à une forme de discipline
sociale qui organise le monde des affaires dépend du mode de
coordination spécifique observé entre les entrepreneurs d’un
« domaine de marché » (Berkowitz, 1988).
L’articulation des processus interdépendants a aussi un effet
sur les formes structurales reconstituées par l’observateur et
endogénéisées par les acteurs. Ces effets sont à l’origine de la
dynamique des structures relationnelles : de nouvelles règles peu-
vent un effet inattendu de reconfiguration d’un système de
niches ; certaines modalités d’exercice du contrôle social peuvent
encourager l’émergence de nouvelles formes de statut social et
modifier les principes de congruence articulant entre elles les
formes hétérogènes de statut en vigueur. À leur tour, les nou-
veaux processus qui résultent de ces changements rendent pos-
sible de nouveaux modes de coordination entre concurrents
interdépendants. Pour mieux comprendre ce que signifie entre-
prendre dans ce contexte interpersonnel, interorganisationnel et
dynamique, la sociologie économique néo-structurale doit encore
développer des méthodes combinant l’étude systématique de
données longitudinales et multiniveaux sur les identités, les tra-
jectoires (au long cours), les réseaux d’échanges et les représenta-
tions (ou controverses).
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Il y a de fortes chances pour que cette dynamique des structu-
res et des modes de coordination entre entrepreneurs interdépen-
dants se développe car les pouvoirs publics et le monde des affai-
res y ont tout deux intérêt. Les uns pour exercer de manière plus
sophistiquée leur rôle de « régulateur » (l’expertise, dans ce
domaine, est aujourd’hui rarement du côté de l’État), les autres
dans le cadre de la conception de leur stratégie d’affaires, mais
aussi de leurs efforts de « capture » des institutions et de leur par-
ticipation à la définition des politiques économiques et sociales.
Contrôle social du monde des affaires
et structures d’opportunités
Ces éléments de théorie de la coopération entre concurrents
ouvrent sur deux programmes de recherche en sociologie écono-
mique.
Le premier concerne protection de l’intérêt général par la
redéfinition du contrôle social du monde des affaires. L’un des
enjeux de la théorie néo-structurale est la redéfinition du rôle de
l’État dans la protection de l’intérêt général. L’État régulateur
contemporain restructure en permanence ses relations avec les
marchés et les acteurs du monde des affaires auxquels il appar-
tient lui-même. Il le fait en imposant des cadres réglementaires au
sein desquels les acteurs socio économiques jouent des parties iné-
gales, dans des rapports de forces et de pouvoirs caractéristiques
du système d’action oligopolistique, pour définir la substance des
règles. Les formes contemporaines de coopération entre concur-
rents posent donc aux pouvoirs publics de nouveaux problèmes
de contrôle social des marchés et du monde des affaires. Dans un
monde où la mise en concurrence des acteurs devient de plus en
plus ouverte, la coopération devient aussi, paradoxalement, le
« quatrième facteur » de production. L’examen de la discipline
sociale et de la coopération entre concurrents dans la société
organisationnelle et marchande permet de jeter un regard nou-
veau sur les modèles d’affaires des entreprises contemporaines et
sur les formes de protection de l’intérêt général adaptées. Quelles
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exemptions accorder en matière de politique de la concurrence
par les prix ou par la qualité ? En cas de crise financière, quelle
banque sauver de la faillite avec l’argent des contribuables ?
Comment procéder à des incitations à la R&D dans tel domaine
de marché spécifique ? Quelles formes de « gratuité » est accep-
table dans les marchés bifaces ? Des questions anciennes sont
posées d’une manière nouvelle. La problématique de la coopéra-
tion entre concurrents mène ainsi à une réévaluation du rôle et
de l’organisation de l’État dans son rapport aux marchés et à la
régulation conjointe et polynormative (Lazega et Mounier, 2002)
du monde des affaires. Si la concurrence ne va jamais sans la
coopération, il n’y a pas de sens, pour le sociologue néo-structu-
ral, à ne considérer que l’une d’entre elles, détachée de l’autre,
comme c’est le cas dans les politiques qui affirment installer,
entretenir et protéger exclusivement la concurrence ouverte.
Prendre en compte les formes de la coopération entre
concurrents rompt clairement avec les approches néo-libérales
centrées uniquement sur la concurrence.
Le second programme concerne les effets de cette coopération
entre concurrents à l’échelle macrosociale. Le concept principal
d’articulation entre organisation et stratification sociale entre
niveaux méso et macro, est le concept de « structure d’opportu-
nité » (proposé par Robert Merton ou Tilly [1999]). À travers
l’observation des efforts – plus ou moins idéalisés, coûteux et
(in)efficaces – des acteurs pour modifier cette structure d’opportu-
nité, le néo-structuralisme rejoint une approche relationnelle et
processuelle des différenciations et comparaisons sociales construi-
tes au niveau micro et méso, approche qu’il reste à articuler avec
une sociologie économique de la stratification et de la reproduc-
tion des inégalités ou discriminations sociales (Breiger, 1990 ;
Frank, 1985 ; Tilly, 1999).
Une lisibilité supplémentaire dans ces deux domaines résulte
de l’utilisation de l’analyse de réseaux socioéconomiques qui
reconstituent les systèmes d’interdépendances interorganisation-
nels. Le monde des affaires s’est déjà approprié cette capacité de
modélisation parce qu’elle améliore ses décisions « stratégiques ».
Sans discipline sociale dans les échanges interorganisationnels, les
alliances stratégiques, la recherche et développement, les formes
diverses de partenariat industriel et de lobbying auprès du politique
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n’existeraient pas. Mais l’État régulateur, qui cède aux opérateurs
privés ou à la « société civile économique » (Lazega, 2008) la
définition de dimensions cruciales de l’intérêt général et des poli-
tiques sociales et économiques, comme il l’a fait par le passé avec
les professions libérales, n’en a pas moins besoin de cette
connaissance des systèmes d’interdépendance et des processus
sociaux.
Partir du niveau méso et d’une théorie de la coopération entre
concurrents pour renforcer ces programmes traditionnels de la
sociologie n’est pas une approche qui nie, par exemple, la solida-
rité redistributive au niveau macro. C’est au contraire une
approche de l’action collective qui montre que la redistribution
au niveau macro est le fait d’institutions et de processus d’institu-
tionnalisation et de désinstitutionnalisation, basées sur des luttes
politiques dans des systèmes d’action et d’interaction toujours
déjà structurés et en voie de restructuration. La sociologie écono-
mique devrait être la première spécialité des sciences sociales
concernée par la relation entre le méso et le macro. Le marché
« libre » est fait pour être imposé aux autres à plus bas que soi
dans la hiérarchie organisationnelle et sociale. Or, nous ne savons
que peu de choses systématiques sur la manière dont cette dimen-
sion mésosociale de la société contemporaine s’articule avec des
tendances macrosociales lourdes pour peser de manières variables
sur les contraintes et opportunités d’acteurs hétérogènes, forts ou
faibles. Dans ce domaine de l’articulation du méso et du macro
par la sociologie économique, tout ou presque reste à faire.
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