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François Drouin
Président du Directoire
du Crédit Foncier
Édito
Le marché du logement en France a été marqué
entre la Libération et le début des années 80 par
trois chocs : la reconstruction, l’urbanisation et
le développement des flux migratoires.
A l’issue de cette période active en matière de
construction, la stabilisation relative de la population
et de l’habitat avait conduit les acteurs du logement
à penser qu’une production de l’ordre de 300 000
logements par an était suffisante.Aujourd’hui,les
phénomènes démographiques et sociologiques
qui travaillent en profondeur la société française
provoquent une explosion de la demande qui
sera, selon toute vraisemblance, durable. Et selon
certains experts, le retard accumulé en matière
de construction excèderait aujourd’hui le million
de logements.
Parmi les nombreuses causes qui contribuent à cette
crise de l’offre,quatre semblent particulièrement
représentatives:
• La divortialité, tout d’abord, est passée en France
de 16 % en 1960 à plus de 43 % en 2003,
chaque divorce générant en moyenne un besoin
supplémentaire de 0,7 logement.
• L’allongement de la durée de vie joue elle aussi un
rôle majeur,à travers notamment le ralentissement
"mécanique" de la rotation du parc ou encore
l’apparition de besoins spécifiques en matière
de logements adaptables à la perte d’autonomie,
idéalement situés en centre-ville.
• Une montée des exigences "hédonistes" est
également observable chez nos concitoyens.
L’aspiration à "plus d’espace", portée par
l’amélioration du niveau de vie, constitue un
facteur structurel du prix de l’espace habité.Un
nombre croissant de ménages "habiterait ainsi
séparément pour mieux vivre ensemble".
• Enfin, la confirmation de "modes de vie nomades",
qu’ils soient générés par une mobilité profes-
sionnelle forcée ou choisie,ou par des migrations
de villégiature propres à l’Europe du Nord, est
un phénomène qui semble lui aussi amené à
s’amplifier.
Dès lors, comment répondre à ces défis et
que construire ? Comment évaluer les impacts
géographiques de ces évolutions, dont les
manifestations ne touchent pas le territoire de
manière homogène ? Comment éviter l’extension
anarchique des villes ou le « mitage » de zones
rurales mal desservies par les transports en
commun, phénomènes tous deux peu compatibles
avec les exigences d’un développement durable ?
Quel sera l’impact géographique de contraintes
professionnelles croissantes en termes de mobilité,
avec une concentration des emplois dans quelques
grandes zones d’activité économique? La demande
de logement des baby-boomers nationaux comme
européens confirmera-t-elle sa concentration dans
les zones attractives du sud, au risque d’aggraver
l’éviction des populations locales du marché
immobilier ? Et comment éviter l’enracinement
de « poches de pauvreté » dans les zones urbaines
moins attractives et qui modifie la notion même
de banlieue ?
Certes, les pouvoirs publics ont perçu l’ampleur
du choc quantitatif qui caractérise aujourd’hui la
demande de logement. La loi de cohésion sociale
a permis de réels efforts en direction d’une relance
de la construction sociale. En 2005, les mises en
chantier ont atteint la barre des 410 000, dont
80 000 logements locatifs sociaux. Les dispositifs
d’accession à la propriété ont eux aussi été
considérablement renforcés. Et la récente Loi
Engagement National pour le Logement marque
une nouvelle étape importante qui complète les
actions déjà engagées.
Il n’empêche que les mutations sociologiques
qui font l’objet de cette étude sont à l’œuvre
en profondeur depuis déjà longtemps et que
leurs effets, visibles aujourd’hui, seront demain
incontournables. L’étude que le Crédit Foncier
de France a sollicitée auprès de l’équipe du
Professeur Laurent Batsch, de l’Université de
Paris-Dauphine, et avec le concours de M.Denis
Burckel, parvient, tant sur le plan national que
régional, à en analyser tous les contours,de façon
à la fois minutieuse et synthétique.
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Sommaire
08
>Le défi des « 500 000 » 00
>Le mal-logement
13
>Des seniors
par millions
22
>Famille instable
cherche logement
29
>Vivre ensemble
et habiter séparément
36
>La conquête
de l’espace
00
>Un étalement urbain
sans limite ?
00
>De la mobilité contrainte
au mode de vie nomade
00
>Migrations : touristes du
Nord, travailleurs du Sud
>Conclusion :
Un sujet de société majeur
>Liste des personnes rencontrées
>Bibliographie
>Sigles
54
>L’entre soi ou l’illusion
perdue de la mixité
Introduction
La situation du logement en France relève d’un paradoxe apparent. D’un côté, la montée des prix est assez forte,durable
et généralisée à tout le territoire pour témoigner qu’il ne s’agit pas principalement d’un mouvement spéculatif, mais
qu’elle traduit une insuffisance globale de l’offre. De l’autre côté, les indicateurs relatifs aux conditions de logement
sont « au vert » : la proportion de ménages propriétaires de leur logement est croissante, le nombre de personnes par
logement diminue,la surface occupée par ménage s’étend,le taux de surpeuplement est en baisse,le confort des logements
s’améliore, le niveau des mises en chantier bat ses records.
Alors,que comprendre ? Les résidents en France n’ont jamais été aussi nombreux à posséder des logements aussi spacieux
et aussi confortables. Et ils n’ont jamais été aussi nombreux à vouloir toujours plus de m2… Le paradoxe n’est qu’apparent :
quand la promesse d’une satisfaction devient perceptible, alors le besoin éclot, non plus comme une aspiration enfouie,
mais comme une demande économique. D’où les questions posées par tous les acteurs du logement : pourquoi une
telle demande émerge-t-elle avec autant de force aujourd’hui ? quelles en seront l’intensité et la permanence ? quels
besoins quantitatifs va-t-elle engendrer ?
Cette tendance de fond devrait encourager l’optimisme : elle souligne que la demande est portée par
la croissance du niveau de vie.En contrepoint,les fortes exigences des ménages solvables entraîne
un effet d’exclusion de ménages moins aisés,qui « paient » la hausse par leur éloignement des
centres.Et cette éviction des résidents n’est pas anodine :il en va du rapport au territoire,
de la vie de la famille, de l’environnement social. Combien sont-ils celles et ceux qui
pourraient nourrir le sentiment qu’ils « ne peuvent plus vivre chez eux » ?
04
Permanence et évolution des besoins
Au cours des cinq dernières décennies, les conditions générales de
logement en France ont connu de notables améliorations. Au début
des années 1950, un ménage sur trois vivait dans une situation de
surpeuplement. Le confort restait très rudimentaire,seulement 5 % des
logements disposant d’installations sanitaires et de toilettes à l’intérieur.
Aujourd’hui, 8 logements sur 10 possèdent à la fois ces installations
sanitaires et le chauffage central. Les grands ensembles construits
durant les années 1960 ont permis à de nombreux ménages d’accéder
au confort et à plus d’espace. Le nombre de personnes par logement
(taux d'occupation) est passé de 3,10 en 1946,à 2,76 en 1982 et à 2,31
en 2004, tandis que la taille moyenne des logements passait de 2,7
pièces en 1946 à 4 pièces en 1996. La démocratisation de l’accès au
crédit immobilier a aidé un nombre croissant de ménages à devenir
propriétaires :57 % étaient propriétaires de leur résidence principale
en 2004 contre 35 % en 1954.Ces données rappellent que les tensions
actuelles s’inscrivent dans une dynamique positive, d’élévation du niveau
d’exigence des ménages. Si le défi quantitatif est toujours là, la situation
du logement n’est pas assimilable à une simple « crise de pénurie ».
Les caractères qualitatifs de la demande sont trop prégnants pour
être négligés.
L’amélioration de l’habitat a été le fruit d’une politique volontariste mettant
l’accent sur la production en masse de logements très standardisés.
Longtemps, il aura suffi aux responsables de la politique du logement
de calibrer le développement de l’offre sur la croissance démographique.
Il est progressivement apparu que la baisse du taux d’occupation des
logements ne suffisait plus à satisfaire la demande latente. La pression
sur les prix des années 2000 révèle aussi un déséquilibre structurel,
même si elle est encouragée par un facteur financier conjoncturel (le
niveau des taux d’intérêt).La demande a changé de nature :elle n’émane
plus seulement de couples qui s’installent et veulent abriter leur famille.
Elle est nourrie par des comportements de décohabitation et de
multi-habitation.
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Le marché de l’immobilier subit aujourd’hui les effets d’un véritable « choc
sociologique »,produit par plusieurs tendances lourdes :les recompositions
familiales (divorces, familles monoparentales), le vieillissement de la
population, les changements dans les modes de vie, les exigences
d’adaptation et de mutation en matière d'emploi.Quantitativement,la
demande globale de logements croît,car les nouveaux comportements
élèvent le nombre de ménages potentiels aspirant à occuper un logement.
Qualitativement, les caractéristiques de la demande exprimée ou
potentielle évoluent. La demande s’est démultipliée parce que le
modèle « 1 ménage = 1 famille » a vécu.
Une personne par logement ?
La demande de logements s’alimente de la transformation du
comportement des ménages. Jusqu’où ira la baisse régulière du taux
d’occupation des logements ? Tend-on vers un taux d’occupation de
une personne pour un logement ?
Le choc sociologique procède de tendances qui convergent toutes pour
dénoncer l’insuffisance de l’offre. On sait les principales composantes de
ce choc. L’allongement de la durée de vie a comme corollaire mécanique
de ralentir la rotation du parc existant.L’aspiration individuelle à plus
d’espace s’exprime dès que le niveau de revenu permet d’en payer le prix.
La mobilité s’accroît, qu’elle soit imposée (pied à terre professionnel)
ou choisie (résidence seconde). Les frontières géographiques deviennent
mouvantes pour les touristes venus du Nord ou pour les travailleurs
et les familles immigrés du Sud. Les familles se font et se défont, se
décomposent et se recomposent,multipliant l’espace occupé par chacun.
Il ne s’agit plus seulement pour les accédants de « mettre sa famille
à l’abri » ou d’acheter son logement pour ne plus dépendre d’un
bailleur ou encore d’accumuler une épargne forcée.Car de nouveaux
comportements se diffusent qui multiplient les lieux de résidence.
Les taux d’intérêt sont-ils plus forts
que la sociologie ?
A l’évidence, la demande a été soutenue par des conditions de
financement favorables. Le niveau des taux d’intérêt consentis aux
ménages a fait baisser le coût de l’endettement. De plus,l’allongement
de la durée des emprunts de la part des établissements de crédit (jusqu’à
25 ou 30 ans) a permis d’augmenter l’endettement des ménages sans
alourdir la charge mensuelle de leur remboursement.La combinaison
des taux bas et des amortissements longs a autorisé les ménages à
accroître le niveau de leur endettement sans accroître pour autant
leur taux d’effort. Dès lors, ces conditions de financement favorables
ont constitué une incitation à se porter acquéreur, sans attendre
l’accumulation d’une épargne préalable aussi longtemps que par le
passé. La demande est ainsi portée par des primo-accédants davantage
endettés, mais aussi par des investisseurs qui profitent d’une double
aubaine financière (les taux) et fiscale (les dispositifs défiscalisants).
Au regard de ces conditions financières favorables,de quel poids pèsent
les considérations sociologiques ? L’évolution du comportement des
ménages n’est-elle pas ancienne et de très long terme ?
Assurément, les conditions d’emprunt n’ont pas été seulement facilitantes,
elles ont joué un rôle déclencheur.A l’inverse,un resserrement de l’accès
au crédit pourrait provoquer un mouvement de repli et donner le signal
d’une décélération des transactions et d’un retournement de l’évolution
des prix. En ce sens, la capacité d’endettement des ménages continuera
de jouer un rôle déterminant dans la solvabilisation de la demande.
Mais celle-ci obéit à des déterminants sociologiques structurels.Même
si le mouvement d’acquisitions devait être contrarié par une hausse
du coût de la dette, une forte demande latente subsisterait.
Le marché de l’immobilier résidentiel est porté par des tendances
sociologiques lourdes qui démultiplient la demande très au-delà de la
seule dynamique démographique. Ces tendances sous-jacentes se sont
révélées à la faveur d’une conjoncture particulièrement favorable au
crédit immobilier. Mais elles agissent dans la durée et leurs effets
survivront aux retournements conjoncturels. L’intensité de la
demande de logements et sa signification sociétale représentent des
défis pour les acteurs économiques et politiques de l’habitat. Il n’en
va pas seulement de la construction de logements à un rythme soutenu,
il en va aussi d’un sujet très sensible : le rapport des habitants à «leur»
territoire.
7
Le défi des « 500 000 »
a demande de logements est
difficile à quantifier parce qu’elle
est difficile à qualifier. Pourtant
on prend ici le risque de chiffrer les
besoins de logement à l’horizon des
quinze prochaines années. Cet exercice
de prévision intègre les projections
démographiques, ainsi que des
hypothèses relatives au comportement
des ménages.
Les projections de la demande
potentielle de logements effectuées
par l’INSEE constituent une base
remarquable, qui isole les facteurs
démographiques et sociologiques
dans l’évolution de la demande.
Parce que les travaux de l’INSEE
font référence, ils permettent
de mesurer sur quels points les
anticipations ont pu être démenties.
Et l’analyse rétrospective vise
à comprendre pourquoi l’évolution
réelle a pu déjouer les prévisions.
Dans ses dernières projections publiées
(2001), l’INSEE faisait l’hypothèse que
les changements de comportements
des ménages devaient peu alimenter
la demande de logements : le « choc
sociologique » semblait derrière nous.
Force est de constater que le choc
est devant nous. Dès 2005, l’évolution
réelle s’écartait des projections
de 2001.A l’avenir, l’écart par rapport
à ces projections se creusera en raison
de la baisse du taux d’occupation
en résidences principales, ainsi que
de l’augmentation des résidences
secondaires et des logements vacants.
Enfin, le « retard accumulé » depuis
quelques années dans la construction
renforce la pression de la demande
potentielle.
8
L
Les projections de besoins en logement s’appuient d’abord sur l’impact de la dynamique
démographique. Celle-ci devrait susciter un besoin de quelques 150 000 logements en
moyenne par an à horizon de 2020. Mais ce n’est que moins d’un tiers de la demande
à venir. Des facteurs sociologiques accroîtront la pression chaque année :
• les migrations contribueront pour 75 000 logements par an ;
• la quête de l'espace et la réduction du nombre de personnes par ménage
augmenteront la demande de quelques 110 000 logements ;
• les comportements plus mobiles des ménages pour 110 000 logements
secondaires,occasionnels et vacants.
A ces facteurs nourrissant la demande, s’ajoute l’effet des destructions et changements
d’usage à hauteur de 50 000 environ.
Le défi est bien de l’ordre de 500 000 par an.
IL Y A 30 ANS, ON LOGEAIT ICI
18 FOYERS DE 4 PERSONNES…
AUJOURD’HUI, IL Y A
5 CÉLIBATAIRES, 2 DIVORCÉS
ET 11 SENIORS !…
RASSUREZ-VOUS, VOUS N ’ÊTES
PAS SCHYZOPHRÈNE...
Les composantes de l’augmentation des ménages
(Projections INSEE 2001, en milliers)
Hausse annuelle 1950-1990 1990-1999 2000-2005 2005-2010 2010-2020 2020-2030
Nombre de personnes par ménage 2,9 2,48 2,35 2,28 2,1 1,95
Déformation de la pyramide des âges 190 192 178 149 142
Modifications des comportements 62 48 38 22 10
TOTAL 362 252 240 216 171 152
L’évolution future du nombre de ménages
Quatre composantes contribuent à l’évolution globale du nombre
de ménages : l’évolution naturelle de la population ; le solde net
des migrations ; la répartition de la population en classes d’âge ; les
changements de comportement. Parce qu’elles sont difficiles à isoler,
les trois premières composantes sont regroupées par l’INSEE sous
une même rubrique « déformation de la pyramide des âges ».
Les prévisions 2001 soulignaient la prépondérance des causes démo-
graphiques. Tandis que l’influence des comportements sociologiques
sur le nombre de ménages devait décliner.
Les projections les plus récentes (INSEE,2006) sur la seule population
modifient peu les prévisions liées à la déformation de la pyramide des âges.
Ces actualisations ont un impact mineur sur le logement. L’INSEE
corrige en particulier l’estimation des flux migratoires : le scénario
2001 se fondait sur un solde net de 50 000 personnes par an, soit
environ 20 000 ménages ; en 2006, le scénario central évalue le solde
migratoire à 100 000 personnes par an, soit environ 40 000 ménages.
Or, les estimations les plus récentes de l’INSEE sur les flux migratoires
(120 000 personnes par an entre 1999 et 2004) se rapprochent
encore de notre évaluation du nombre de nouveaux ménages issus
de l’immigration à 75 000 personnes par an dans l’avenir.
l’
O
bservateur
de l’immobilier 9
Evolution du nombre de ménages entre 1999 et 2003
Une autre évolution,encore plus nette,concerne le nombre de personnes
par ménage. En effet,ce nombre s’est avéré l’année 2005 inférieur de 0,03
à la prévision faite cinq ans plus tôt (2,31 au lieu de 2 ,34). Un tel écart,
imputable à des motifs sociologiques et non démographiques, est ténu
et il doit être apprécié avec prudence. Mais ce petit nombre décimal
correspond à une sous-estimation du nombre de nouveaux ménages de
60 000 par an dans les prévisions de 2001. L’effet de la taille des ménages
sur leur nombre n’aurait donc pas ralenti comme on le prévoyait (il était
censé passer de 62 000 par an dans les années 1990 à 48 000 par an dans
les années 2000-2005). Il aurait en réalité fortement augmenté, et serait
à l’origine de la formation de quelques 110 000 (48 000 + 60 000)
nouveaux ménages par an.
En résumé, la demande de résidences principales a été largement
sous-estimée du fait de flux migratoires accélérés (+40 000 ménages)
par an, soit le double des prévisions 2001) et d’un “desserrement
sociologique” en hausse (+ 110 000 par an, soit 60 000 de plus par
rapport aux mêmes prévisions).
Si l’impact de ce « desserrement » de la taille des ménages (110 000 par an)
se confirmait,venant s’ajouter à la nouvelle hypothèse de solde net migratoire
(75 000 par an), les projections seraient substantiellement modifiées.
Projections corrigées
Hausse annuelle 2005/10 2010/20 2020/30
Déformation de la pyramide des âges 233 204 197
Modifications des comportements 110 110 110
TOTAL 343 314 307
Source : projections Paris-Dauphine
Résidences secondaires et occasionnelles :
une forte hausse à venir
Le nombre de résidences secondaires et occasionnelles augmente
régulièrement, mais leur part dans le parc global de logements diminue
depuis les années 1990.
Résidences secondaires et occasionnelles
1962 1968 1975 1982 1990 1999 2005 2010
% de l’ensemble du parc 5,9 6,9 8,0 9,6 10,7 10,1 10,1 10,1
Hausse annuelle en milliers 10 29 26
Source : projections de l’INSEE en 2001
Les projections 2001 faisaient l’hypothèse d’un maintien de la proportion
des résidences secondaires et occasionnelles,en rupture avec la baisse
observée dans les années 1990. En 2004 (recensement), les résidences
secondaires et occasionnelles ont encore régressé en proportion à
10% du parc, passant d’environ 3 000 000 à 3 050 000 avec un rythme
annuel d’accroissement de 10 000 comme dans les années 1990.
A l’avenir, les étrangers et les seniors solvables pourraient relancer la
demande de résidences secondaires ou secondes.Si celle-ci ne retrouvait
que la moitié du taux de croissance observé entre 1962 et 1990
(+0,15% par an du parc total), elle porterait le taux de résidences
secondaires à 11% du parc total en 2020. Ceci représenterait une
augmentation du parc de 65 000 logements par an.
>LE DÉFI DES « 500 000 »
10
Nombre et taux de résidences secondaires en 2003
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Logements vacants :
après la baisse, la hausse…
Le taux de vacance augmente lorsque la demande est couverte par
une offre en augmentation rapide et il baisse lorsque la demande
peine à être satisfaite, comme ce fut le cas à partir du milieu des
années 1980.
Logements vacants
1962 1968 1975 1982 1990 1999 2005 2010
% de l’ensemble du parc 5,2 6,8 7,7 7,8 7,2 6,9 6,9 6,9
Hausse annuelle en milliers 11 20 18
Source : Projections de l’INSEE en 2001
La stabilisation du taux de logements vacants envisagée en 2001 ne s’est
pas vérifiée puisqu’en 2004 (recensement), le taux a encore baissé
fortement à 6%. Le nombre de logements vacants est ainsi descendu
de 1 970 000 à 1 800 000, à un rythme annuel inédit de près de 35 000.
Trois facteurs conduisent néanmoins à envisager un renversement de
tendance. D’abord,avec un taux de 6%,la vacance atteint son étiage des
années 1960. De plus, la vacance correspond à un besoin technique en
cas de déménagement :cette vacance de friction ne peut être,en moyenne,
inférieure à deux ou trois mois. Et l’augmentation du taux de mobilité
annelle entraînera à sa suite la vacance de friction. Enfin,la vacance peut
procéder d’une inadaptation fonctionnelle (taille des logements inadaptée
par rapport à la taille des ménages ; équipements insuffisants par exemple
pour des personnes âgées) ou d’une inadéquation géographique (excès
de logements dans les zones délaissées comme certaines zones rurales
ou de régions du Nord ou au sein des agglomérations). Or, ce type de
vacance est susceptible de se développer, sauf si la forte tension sur
le marché devait inciter les occupants à accepter des conditions de
logement moins satisfaisantes.
Finalement, si le taux de vacance remontait en quinze ans à près de
7%, comme au début des années 1990, alors le parc de logements
vacants atteindrait le nombre de 2 500 000 en 2020, soit 700 000 de
plus en quinze ans. Dans cette hypothèse,la croissance annuelle serait
proche de 45 000 logements, en raison d’une mobilité accrue des
ménages.
11
Part des logements vacants au sein de l’ensemble des logements en 2003
Construire encore plus
L’hypothèse de l’INSEE (2001) sur les destructions et les changements
d’usage des logements (30 000 par an,comme dans les années 1990) dans
le parc banal peut être maintenue.En revanche, les politiques publiques
vont augmenter le besoin de construction dans deux secteurs.En premier
lieu, le plan national de rénovation urbaine (PNRU),opérationnel depuis
début 2005 et prolongé jusqu’en 2013,entraînerait 250 000 démolitions
et reconstructions de logements HLM. De plus, la lutte contre les
logements insalubres lancée en 2001 concernerait 400 000 à 600 000
logements selon le « pôle national de lutte contre le logement indigne ».
Même si les démolitions du PNRU peuvent être étalées dans le temps,
notamment en raison de la pression de la demande de logements sociaux,
il est plausible de prévoir au moins 10 000 démolitions-constructions
supplémentaires par an dans les quinze prochaines années.
La lutte contre l’insalubrité nécessite également, dans les cas extrêmes,
des regroupements ou démolitions de logements.A raison d’un traitement
de 100 000 logements indignes dans les cinq prochaines années (soit
20 000 par an), objectif affiché par le pôle national (ordonnance du 15
décembre 2005),le besoin de constructions supplémentaires à ce titre
approche 5 000 logements par an.Cette hypothèse peut être,à ce stade,
prolongée sur les prochaines années.
Le flux de construction au titre de besoins autres que la demande des
ménages peut ainsi être raisonnablement évalué à 45 000 au lieu de
30 000 par an dans les années 1990.Dès lors,le besoin de constructions,
évalué par l’INSEE à 320 000 pour les années 2000 à 2005,puis à 245 000
par an seulement à partir de 2010, augmenterait au contraire très
fortement jusqu’à près de 500 000 par an d’ici à 2010 et de 490 000
par an au-delà.
Ces chiffres sont supérieurs à ceux, déjà exceptionnels, des mises en
chantier de 2005-2006 (420 000 à 440 000). Ils laissent penser que la
conjoncture actuelle du bâtiment ne constitue pas un simple rattrapage
mais une situation durable pour plusieurs années.
Cette situation est imputable pour un tiers seulement à la dynamique
démographique. L’importance relative des comportements sociologiques
dans la variation de la demande est nouvelle et remarquable.
Les effets du choc sociologique sont devant nous. L’insuffisance de
logements est source d’insatisfaction pour les nombreux ménages
devant retarder la décohabitation,la séparation (des personnes divorcées
continuent à habiter ensemble) ou le confort de la multi-habitation.
Cette insatisfaction accumulée n’impose pas en elle-même un rattrapage
mécanique de construction, mais elle renforcera à l’avenir la pression
des comportements sur la demande de logements ; elle contribuera
surtout à privilégier le logement dans l’affectation des moyens budgétaires,
de la part des individus comme des pouvoirs publics.
Notre chiffrage prospectif à horizon de 2020 ne revendique pas le statut
d’une planification du futur, il n’a pas la prétention d’enfermer l’avenir
dans un scénario unique, il n’est pas pour autant spéculatif.
Avec un nombre de 500 000 logements supplémentaires par an,nous
tirons les conséquences quantitatives d’une conviction : les facteurs
démographiques et surtout sociologiques qui portent la demande
d’aujourd’hui ne sont pas conjoncturels.
Le besoin de construction de logements à échéance de 2020 (en milliers/an)
INSEE 2001 NOS HYPOTHÈSES ECART
2005-2010 2010 - 2020 2005-2010 2010-2020 2005-2010 2010-2020
Résidences principales 216 171 343 314 127 143
Dont Motifs liés à la pyramide des âges 158 129 158 129 0 0
Dont Migrations 20 20 75 75 55 55
Dont Desserrement sociologique 38 22 110 110 72 88
Résidences secondaires et occasionnelles 29 26 65 65 36 39
Logements vacants 20 18 45 45 25 27
T
otal demande potentielle 265 215 453 424 188 209
Destructions & changements d’usage 30 30 45 45 15 15
Variation du nombre de logements 295 245 498 469 203 224
Source : calculs Paris-Dauphine (INSEE 2001 pour la pyramide des âges)
>LE DÉFI DES « 500 000 »
12
Des seniors par millions
e « vieillissement de la
population » résulte à la fois
de l’allongement de la durée
de vie moyenne des individus et de
l’arrivée de générations nombreuses
à l’âge des « seniors ». Les plus
de 60 ans formeront un tiers de la
population en 2050. Les changements
de comportements des seniors ont
un impact d'autant plus important
qu'ils concernent désormais des
générations nombreuses.
Ainsi, le vieillissement provoque déjà
certains effets connus sur la demande
de logement, comme le ralentissement
de la rotation du parc. Ces effets
seront partiellement corrigés par
un comportement résidentiel plus
actif de la part de retraités
particulièrement solvables dans les
quinze prochaines années. De même,
la prise de conscience des contraintes
du quatrième âge va-t-elle modifier
les caractéristiques des logements.
13
L
L’allongement de la durée de vie et la croissance de la population des seniors ont des effets en chaîne :
• la rotation du parc de logements s’en trouve ralentie ;
• ce ralentissement concerne particulièrement des logements relativement spacieux, adaptés aux dimensions d’une famille, alors que les enfants
adultes ont déjà quitté le domicile parental ;
• la longue période de retraite active laisse aux seniors qui en ont les moyens le loisir d’entretenir deux résidences, parfois plus ;
• la perspective d’une retraite longue renforce la mobilité de confort lors du passage à la retraite et la mobilité de précaution à l’approche de
la dépendance ;
• l’anticipation de cette période de la vie commence à guider les stratégies résidentielles des ménages actifs ;
• la période du quatrième âge fait place à des trajectoires résidentielles spécifiques dont le retour au centre-ville n’est qu’une forme parmi d’autres ;
• même si la phase de dépendance est différée plutôt qu’elle est n’est rallongée,les difficultés de mobilité ou les exigences médicales ouvrent
la voie à des programmes d’adaptation fonctionnelle des logements occupés par les « anciens »
C’EST BIEN LE
CENTRE-VILLE,
MAIS COMMENT
VEUX-TU QUE
J’EMMÉNAGE
LÀ ?...
C’EST À PEINE
DEUX FOIS
PLUS GRAND
QUE L’ARMOIRE
NORMANDE
DE MA SALLE
À MANGER !!
L’inexorable vieillissement de la population
Les plus de 60 ans étaient 17% de la population en 1970 et 21% en 2005. Ils seront près de 30% de la population en 2030 et de 32% en 2050.
L’espérance de vie à la naissance augmente d’un an en moyenne tous les quatre ou cinq ans et elle devrait continuer à progresser d’au moins
cinq ans jusqu’en 2030, voire huit ans en 2050.
Nombre et part des plus de 60 ans et des plus de 85 ans
1965 1970 1985 2000 2005 2010 2015 2020 2030 2050
Les plus de 60 ans
En millions 8 9 10 12,1 12,6 14,1 15,7 17,0 19,7 22,3
Part de la population totale 18% 17% 18% 20,6% 20,8% 22,7% 24,6% 26,2% 29,3% 31,9%
Les plus de 85 ans
en milliers 450 680 1 236 1 055 1 500 1 850 2 000 4 800
% de la population totale 0,9% 1,2% 2,2% 1,8% 2,4% 2,9% 3,0% 6,8%
Espérance de vie à la retraite 13 ans 26 ans 28 ans 28 ans
65>78 58>84 60>88 62>90
Les projections de l’INSEE (France métropolitaine) de 2006 sont fondées sur un scénario dit central : fécondité à 1,8 enfant/femme ; mortalité tendancielle ; solde migratoire positif
chiffré à 100 000 personnes/an. Les projections d'espérance de vie sont de Paris-Dauphine.
L’espérance de vie à 60 ans augmente plus vite que les prévisions : en
2004, elle excède les prévisions de 1999 d’au moins 0,3 année pour
les hommes comme pour les femmes.
Espérance de vie à 60 ans
1994 2000 2001 2003 (p) 2004 (p)
Hommes 19,7 20,4 20,6 20,8 21,5
Femmes 25 25,6 25,7 25,6 26,5
Source : INSEE
À partir de 2006,l’arrivée au-delà de 60 ans des générations du baby-boom
nées de 1946 à 1973 apportera un flux annuel de l’ordre de 300 000
personnes à la catégorie des seniors. L’INSEE projette à l’horizon
2050 que 22,3 millions d’habitants seront âgés de plus de 60 ans (soit
85 % de plus qu’en 2000). Ils représenteront alors 32 % de la population
totale (estimée à 70 millions d’habitants) contre 21% en 2005.La France
métropolitaine comptera deux fois plus de personnes de plus de 75 ans
(10,9 millions) et quatre fois plus de personnes de plus de 85 ans (4,8
millions) qu’aujourd’hui.
Le vieillissement entraîne mécaniquement une augmentation du nombre
de ménages. Il induit en particulier une montée en proportion des
ménages composés d’une personne, dans la mesure où plus de la moitié
des personnes vivant seules sont des personnes de plus de 60 ans.
Personnes seules selon l’âge en 1968 et 1999 (% de la tranche d’âge)
Age 60-64ans 65-69 ans 70-74 ans 75-79 ans 80-84 ans 85-89 ans
1968 15 22 28 33 31 26
1999 18 22 30 38 43 42
Source : INSEE
La sous-occupation
Le vieillissement induit une certaine sous-occupation des logements :
les personnes âgées conservent un domicile de dimension familiale,
après que les enfants ont quitté le domicile. Les seniors ont de fortes
réticences à déménager pour un logement plus petit : ils tiennent à
conserver leurs meubles et leurs souvenirs de vie, ils veulent aussi
accueillir les descendants. Ce phénomène est très prégnant dans le
logement HLM où le sous-peuplement augmente de 15% chez les 40-59
ans (aux âges où les enfants quittent les parents), puis encore de 15%
au-delà de 60 ans pour atteindre durablement son palier à 65 ans2.Il
procède donc surtout d'un maintien dans les lieux quelle que soit
l'évolution de la taille du ménage et reflète le « blocage » de certaines
familles en HLM durant toute leur vie.
Le secteur privé connaît aussi le relatif sous-peuplement des logements
des seniors.Mais,les déménagements,quand ils ont lieu,se font le plus
souvent vers un logement plus petit : 60% des locataires de plus de
60 ans vont vers un logement plus petit contre 25% qui s’agrandissent.
>DES SÉNIORS PAR MILLIONS
14
2 - Le sous-peuplement d’un logement est présumé s’il existe au moins une pièce en plus que la norme arbitrairement fixée : deux pièces pour les adultes concernés, une pièce
supplémentaire pour deux enfants.
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Sans nécessairement basculer vers le locatif, les personnes âgées
déménagent pour du neuf (2/3 des déménagements des « 60-69 ans »)
et pour du collectif (57% avant 75 ans, 83% au-delà de 85 ans).
Schématiquement, les seniors mobiles lors du départ à la retraite
préfèrent la propriété, si possible en maison individuelle et surtout
dans le neuf.Au-delà de 75 ans, la faible mobilité conduit à privilégier
la prévention de la dépendance, surtout en institution ou en famille.
Une mobilité résidentielle réduite, mais…
La mobilité résidentielle diminue avec l’âge. Entre 1998 et 2002,
moins de 10% des plus de 65 ans ont emménagé, alors que le taux
d’emménagement moyen fut de 6% sur une seule année. Quand il y a
mobilité, c’est une mobilité de proximité, d’autant plus que l’âge est
plus avancé : 15% des seniors ont déménagé à l’intérieur du même
département entre 1990 et 1999 et 7% seulement hors du département.
Cette mobilité se fait surtout vers les zones rurales : la proportion de
personnes âgées parmi les arrivants récents y est double de celle des
pôles urbains.
Les conséquences de la mobilité des seniors n’en sont pas pour autant
négligeables. Quand elles sont mobiles entre 65 et 75 ans, les personnes
âgées accroissent plutôt les tensions du marché immobilier :elles migrent
vers des régions déjà vieillissantes et sous pression immobilière, ou
reviennent en centre ville sur des marchés tendus. Cette caractéristique
est d’autant plus vérifiée que les seniors les plus mobiles sont aussi les
mieux dotés en patrimoine.
L’entrée d’une personne âgée en institution ne remet pas toujours
sur le marché le logement quitté, même si le besoin de financement
du séjour en institution peut précipiter la cession du logement. Le
coût de résidence en institution restant à charge dépassait en moyenne
de 420€la pension perçue par un retraité de plus de 80 ans (chiffres
2003 de la Cour des Comptes). Or, les plus de 80 ans sont encore
propriétaires à 64% ; en estimant que la moitié des logements de
propriétaires en institution reste vacante,environ 170 000 logements
sont ainsi concernés en 2005.L’augmentation de l’accueil en institution
(de 5 000 à 10 000 par an) devrait se traduire par une hausse du taux
de vacance des logements ainsi quittés ; un effet mécanique d’environ
5 000 logements par an sur la vacance est donc plausible.
… stabilité du statut résidentiel
Parmi les retraités, la moitié des emménagés récents (moins de quatre
ans) n’a pas changé de statut (tableau 2-4). En incluant les départs en
institution, les sorties de la propriété durant la retraite se reportent
pour moitié seulement vers le locatif (HLM et privé) et pour moitié
sur le logement gratuit (hébergement en famille) ou en institution.
Finalement, le changement de statut reste très limité jusqu’en fin de vie :
les plus de 80 ans restent davantage dans leur propriété que la moyenne
(56%) et la moitié de ceux qui la quittent, surtout après 75 ans, y sont
contraints par la difficulté de rester indépendant.
Statut d’occupation des ménages « emménagés récents » dont la personne de référence a plus de 60 ans
Propriétaires Accédants Locataires Locataires Autres Nombre
non accédants à la propriété du parc social du parc privé statuts total
60-74 ans 35% 14% 22% 24% 5% 551 000
75-84 ans 28% 1% 31% 32% 7% 175 000
85 ans et plus 15% 1% 35% 39% 9% 49 000
Nombre total 243 000 76 000 197 000 214 000 44 000 775 000
Source : INSEE (2002), Driant, Rosso,Vignal (2005).
15
Vers de nouvelles « stratégies »
résidentielles des seniors
Le « rapport au logement » de la plupart des seniors recouvre une
forte dimension patrimoniale attachée à la propriété de la résidence
principale. La propriété limite les frais de logement et garantit le
maintien dans les lieux : 65% des actifs de 50 à 65 ans mentionnent la
résidence principale comme une modalité de préparation financière
de la retraite et la moitié des 50-65 ans envisagent sa cession pour
financer la dépendance (Observatoire des Caisses d’épargne). Et le
logement offre le support de la transmission patrimoniale aux
enfants.
Au-delà de cet attachement, les nouveaux retraités envisagent une durée
de vie valide suffisamment longue pour concevoir un véritable projet
immobilier adapté à cette période de la vie. Il se traduit principalement
par une nouvelle mobilité à l’entrée en retraite et,pour ceux qui en ont
les moyens, par une double résidence.
La retraite : retardée mais rallongée
Le nombre de retraités (et personnes d’âge équivalent) non dépendants
est resté stable autour de 6 millions de personnes pendant les 20 années
de 1965 à 1985, il a ensuite plus que doublé entre 1985 et 2005 pour
atteindre 12 millions, en raison de l’écartement des limites d’âge :
abaissement de l’âge de la retraite et allongement de l’espérance de vie.
Si l’âge de départ en retraite restait constant, le nombre de retraités
atteindrait 19 millions environ sous le double effet du gonflement des
effectifs de chaque génération (+5 millions) et de l’élévation de l’âge
du décès (+5 ans d’ici à 2035).
Par ailleurs, l’âge de la dépendance est retardé davantage que la durée de
vie ne s’allonge. D’un côté, l’âge effectif de la retraite a baissé,de l’autre
l’âge de la dépendance a reculé : il s’ensuit que la durée de retraite
valide a beaucoup augmenté, elle est passée d’environ dix ans à la fin
des années 1960 (de 65 ans à moins de 75 ans) à environ vingt-quatre
ans en 2005.
>DES SÉNIORS PAR MILLIONS
16
Âge moyen de la personne de référence du ménage (résidences principales) 2003
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Cependant, les politiques d’augmentation de l’âge de départ en
retraite devraient produire progressivement leurs effets.D’ici à 2050,
la durée de vie valide augmentera (huit ans), davantage que la durée
de vie (six ans). Mais la durée de retraite valide n’augmentera plus
dans les mêmes proportions que depuis 35 ans : sans doute encore
de deux à trois ans, soit 10% d’ici à 2030 et de trois à quatre ans,soit
15% d’ici à 2050.
La perspective d’une retraite longue est intégrée depuis plusieurs
années, même si une stratégie résidentielle active de la part des
seniors est encore peu perceptible. Mais elle pourrait se développer,
au fur et à mesure que les « nouveaux seniors » prendront conscience
que la durée de retraite non dépendante approche les deux tiers de
la durée de la vie active. La génération des baby-boomers, qui a innové
dans bien d’autres comportements sociaux (le rôle des femmes, en
particulier) pourrait aussi innover en matière d’habitat à la retraite,
avec une conscience plus claire de la durée de vie au troisième et au
quatrième âge.
Grand-parent : une fonction d’avenir…
44% des personnes préparant leur retraite attendent de cette période
qu’elle leur permette de s’occuper davantage des petits-enfants
(Observatoire des Caisses d’épargne). Cette fonction concerne d’abord
un nombre élevé de seniors :12,6 millions en 1999 dont 98% habitent
à leur domicile. Les grands-parents sont majoritaires dans la population
après 57 ans ; 83% des plus de 80 ans ont des enfants et des petits-
enfants.Nos contemporains ne deviennent pas grand-parents plus jeunes
qu’à la génération précédente, mais en meilleure forme physique, et
se trouvent plus en phase intellectuelle et culturelle avec les plus jeunes
(un senior sur cinq a un abonnement « Internet »).
L’instabilité conjugale et économique confère un rôle de soutien aux
grands-parents restés en couple (un quart seulement des 50-64 ans
ont connu une rupture hors veuvage) et disposant de ressources stables
et convenables.
Ainsi, le comportement très hédoniste des retraités des années 1980
pourrait laisser la place à des préoccupations familiales fortes de la
part de grands-parents plus inquiets de l’avenir et plus mobilisés par
leurs petits-enfants en raison de la divortialité élevée des parents.Dès
lors, des retraités jeunes s’impliquent dans la vie et le logement des
petits-enfants en étant prêts à déménager éventuellement loin pour les
rejoindre et/ou pour entrer dans un logement permettant de les recevoir
(deux tiers des 60-64 ans gardent régulièrement leurs petits-enfants).
Une nouvelle mobilité
Les déménagements de la résidence principale au moment de la retraite
sont portés par trois motivations.
• Le mouvement vers le soleil et/ou la mer. Selon l’INSEE, les
migrations interrégionales des « plus de 60 ans » bénéficient à toutes
les régions du Sud, principalement le Languedoc-Roussillon, l’Aquitaine,
la région Midi-Pyrénées, la région PACA, mais aussi d’autres zones
littorales comme le Poitou-Charentes.
• Le retour au pays. Il concerne des régions qui voient partir leurs
jeunes et revenir les retraités : Corse, Bretagne, Basse-Normandie,
Limousin, Pays de la Loire et même Bourgogne et Centre. L’Ile-de-
France, qui attire le plus de jeunes, voit partir le plus grand nombre
de retraités : ils sont 43% des retraités à avoir changé de régions
entre 1990 et 1999.
• La proximité des enfants. Les grand-parents retraités se rapprochent
des enfants partis plus tôt vers des régions attrayantes : celles qui
présentent un solde migratoire positif élevé pour toutes les tranches
d’âge sont les quatre régions continentales du Sud. Une enquête de
l’INED constate que 14% des personnes enquêtées habitent le même
quartier qu’au moins un membre de leur famille,30% la même commune
et 51% dans la même commune ou dans une commune limitrophe.
Au-delà de la courbe nationale,la tendance au vieillissement est
particulièrement marquée dans certaines régions, avec une part de
personnes âgées supérieure à la moyenne (21,3% de plus de 60 ans
en 1999) : 29,4% en Limousin et 25,5% en Auvergne grâce aux retours
au pays ;25,7% en Poitou-Charentes,25,1% en Midi-Pyrénées,25% en
Languedoc-Roussillon, 24,1% en PACA, 24% en Aquitaine,et seulement
16,5% en Ile-de-France avec.
La tension sur le marché immobilier s’accroît dans les zones d’arrivée
de seniors, d’autant plus que le différentiel de prix entre la région
parisienne et la province confère un pouvoir d’achat immobilier élevé
aux nouveaux arrivants en provenance d’Ile-de-France. Une partie des
installations de jeunes seniors correspond toutefois à des transformations
de résidences secondaires en résidences principales. Selon l’INSEE, la
concentration s’accentuera moins à cause du solde migratoire positif
de seniors qu’en raison de l’augmentation de la longévité des seniors
déjà installés.
En 2030, la part des plus de 60 ans devrait atteindre 40% en Limousin,
38,5% en Poitou-Charentes, 38,1% en Auvergne, régions déjà les plus
« âgées » en 1999 et dont l’écart à la moyenne augmentera.En revanche,
les quatre régions du Sud verront la part des seniors se rapprocher de
la moyenne car elles attireront encore plus de jeunes que de personnes
âgées.
En outre, les catégories socio-professionnelles les plus mobiles
augmentent en nombre : les cadres qui représentaient 14% de la
population active en 1982 passeront à 22% en 2015. Or, 30% des
cadres et professions libérales déménagent entre 55 et 64 ans dont
la moitié hors de leur département, contre 18% seulement des ouvriers,
17
3 - L’entrée en retraite effective ou en pré-retraite avec des droits comparables diffère de l’âge légal : elle est passée de 65 ans à la fin des années 1960 à 58 ans en 2000.
En 2005, la moitié seulement des 55-59 ans sont actifs.
dont la part dans la population régresse. Cette évolution contribuera
aussi à développer la mobilité des jeunes seniors. Un doublement des
déménagements des « 60-75 ans » dans les quinze prochaines années
est une hypothèse plausible, avec une demande de près de 10 000
logements par an au titre de la vacance frictionnelle entre le sortant
et le nouvel entrant.
La double résidence
La résidence secondaire est de plus en plus perçue comme une résidence
à part entière, pas seulement comme une résidence de vacance. La
« double résidence » se substitue à la « résidence secondaire ».
Le choix d’une résidence secondaire répond à des motivations diverses,
dont plusieurs sont liées à la retraite. En 2002, la moitié des crédits
pour résidences secondaires étaient contractés par les « 50-65 ans ».
En y ajoutant les achats hors crédit, plus fréquents à ces âges, les
plus de 50 ans représentent bien plus de la moitié des acquéreurs
de résidences secondaires.
Les conditions de ressources sont déterminantes pour l’acquisition de
la seconde résidence. Les ménages aisés (plus de 5,5 fois le SMIC) sont
proportionnellement trois fois plus nombreux chez les acquéreurs de
résidences secondaires (45%) que chez les acquéreurs de logements
en général. Les générations approchant maintenant les 60 ans auront
des ressources plus faibles mais leur patrimoine propre ou hérité sera
plus important. Sur les 800 000 résidences secondaires actuelles de
seniors (environ 10% des seniors contre environ 6% de l’ensemble de
la population), environ 200 000 appartiennent à des ménages entrant
en retraite (60 à 64 ans) ; un doublement de la part des jeunes retraités
possédant une résidence secondaire (qui passerait de 10% à 20%)
susciterait ainsi une augmentation de 40 000 résidences secondaires
par an. Le maintien de ce rythme pendant quinze ans porterait les
résidences secondaires des seniors à environ 1,4 million.
Cette hypothèse de 40 000 résidences secondaires par an pour les
jeunes retraités (+10% de jeunes retraités double-résidents) est
confortée par le fait qu’environ 15% des « 60-64 ans » ont hérité d’un
logement, dont une grande partie de la valeur peut être réinvestie en
résidence secondaire. En effet, près des trois quarts des jeunes retraités
sont déjà propriétaires de leur résidence principale ; de plus, dès la
décennie 1990, la moitié des achats de résidences secondaires se faisait
sans crédit immobilier.
La « démocratisation » des résidences secondaires va renforcer un
triple mouvement.
• Leur relative petite taille en limitera la charge : un quart des résidences
secondaires sont des studios ou des deux pièces.
• Leur inclusion dans un immeuble collectif en facilitera la gestion : déjà
40% sont dans ce cas. Entre 1973 et 2002, les résidences secondaires
rurales sont passées de 60% à 50% ; les villes de moins de 100 000
habitants accueillent 35% des résidences secondaires contre 25% en
1973. Les seniors achètent plus volontiers du neuf (47% des achats
neufs) que de l’ancien (38%) ce qui peut également en faciliter l’entretien.
• L’augmentation des prix des résidences secondaires va se poursuivre
avec des effets d’exclusion sur les ménages locaux.
Dépendance et hébergement collectif
ne font pas bon ménage
Avec le vieillissement de la population, le nombre des personnes
dépendantes et de celles hébergées en collectivité, augmente. Après
une période relativement stable,les quinze prochaines années verraient
le nombre des dépendants augmenter nettement (+25%) selon l’INSEE
et la DREES, même si cette croissance est moins élevée que celle de
l’ensemble des seniors (+33% pour les plus de 60 ans, +90% pour les
« plus de 85 ans »). L’offre d’hébergement collectif,qui reste marginale,
nécessitera un nombre élevé de logements adaptés pour le maintien
à domicile des personnes de grand âge, conformément à un souhait
très répandu chez celles-ci.
La dépendance augmente relativement peu
Le nombre de personnes dépendantes varie peu parce que de la durée
moyenne de dépendance a stagné, sinon légèrement baissé depuis
trente ans.On compte 800 000 personnes dépendantes sur 12,5 millions
de personnes de plus de soixante ans ; la durée de la dépendance
quand elle survient est de 4,4 ans. La phase d'hébergement collectif
(hors foyer-logement) dure moins d’un an. Certes, à partir de 86 ans,
la part des personnes devant recourir à un aidant devient majoritaire
(Observatoire des Caisses d’épargne, 2004). Mais, à l’inverse, selon
l’INSEE, d’ici à 2040, l’âge moyen de survenance de la dépendance
reculera de cinq ans, plus que l’espérance de vie (trois ans). Ainsi,
l’allongement de la durée de vie semble avoir un effet négligeable sur
la durée de la dépendance des personnes âgées. L’âge d’entrée en
dépendance est retardé, de sorte que la durée de cet état n’est pas
significativement affectée.
Le développement des maladies dégénératives qui frappent les patients
pendant des durées plus longues peut également affecter significativement
le nombre de personnes dépendantes : entre 600 000 et 850 000
personnes sont en maladie dégénératives en 2005 et entre 135 000
et 165 000 cas nouveaux cas sont diagnostiqués par an. Sauf progrès
thérapeutique majeur, cette évolution risque de s’accélérer avec le
vieillissement ; déjà 40% des nonagénaires souffrent de troubles
psychiques ou intellectuels.
Les projections de l’INSEE sur le nombre de personnes dépendantes
(selon la méthode des quotients de mortalité ou la méthode des modes
de vie) montrent que, dans l’hypothèse « moyenne », l’augmentation
du nombre de personnes dépendantes proviendra principalement des
générations de plus de 85 ans au cours des dix à quinze prochaines
années ;environ la moitié des personnes âgées de plus de 85 ans seraient
dépendantes. Le nombre de personnes dépendantes approcherait
1 million en 2020, et 1, 2 million en 2040.La hausse serait de l’ordre
de 200 000 personnes seulement d’ici à 2020.
>DES SÉNIORS PAR MILLIONS
18
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Le quatrième âge : plus nombreux et plus exigeant
A partir de 2005, une rupture nette se produit. Les générations nées
après la Première Guerre mondiale arrivent aux âges de dépendance
fréquente et sont sensiblement plus nombreuses que celles nées pendant
la guerre. Les plus de 85 ans passent de 450 000 en 1970 à environ
1 million en 1990, 1,236 en 2000, 1,055 en 2005,et on en prévoit 1,5
en 2010 et 2 millions en 2020.Après avoir stagné entre 1990 et 2005,
leur nombre va donc doubler dans les 15 prochaines années.A partir
de 2030,une nouvelle augmentation de même ampleur (près d’un million
en quinze ans) devrait se produire,avec l’arrivée des baby-boomers à
l’âge de la dépendance.
Dans les faits, la demande d’hébergement collectif sera amplifiée, car la
proportion des plus de 85 ans parmi les dépendants sera plus élevée :
50% environ contre 40% en 2005. De plus, la fréquence de la vie en
institution restera relativement élevée au grand âge. Les éventuels
aidants familiaux (enfants et conjoints) seront eux-mêmes déjà âgés
et probablement moins nombreux selon l’INSEE :2,6 aidants pour un
homme en 2020 contre 2,8 en 2000 ; et 2 pour une femme en 2040
contre 2,2 en 2000.
Le maintien à domicile : souhaité et nécessaire
Les structures d’accueil pour personnes âgées se répartissent
principalement entre unités hospitalières, maisons de retraite et
logements-foyers. Les premières offraient en 2003 76 000 lits soit
en unités de soins de longue durée (USLD), soit en longs séjours ou
centres spécialisés, notamment pour les malades d’Alzheimer.
Les maisons de retraite,avec 436 000 places et 414 000 résidents,
hébergeaient environ 225 000 personnes de plus de 85 ans en 2005.
Il faut y ajouter 153 000 places en logements-foyers, avec 148 000
résidents.Ainsi, environ 5% des seniors (650 000 sur un peu moins de
13 millions) vivent en collectivité. Les quelques 500 000 places offertes
(hors logements-foyers) sont occupées par des dépendants (35% d’entre
eux, soit 275 000 personnes) et par des valides (2% d’entre eux, soit
200 000 personnes).
Les projections de la demande d’hébergement collectif à quinze ans
s’appuient sur plusieurs hypothèses « à comportement inchangé dans
le choix entre maintien à domicile et entrée en institution ». Une
hausse de 33% des « plus de 60 ans » imposerait de créer 160 000
places supplémentaires (hors logements-foyers). Une augmentation
de 90% des « plus de 85 ans » imposerait à elle seule 200 000 places
supplémentaires ; les « plus de 85 ans » restent en 2005 à domicile
pour près de 80%, la moitié de ceux-ci ayant recours à un aidant ; ils
sont 225 000 en hébergement collectif (hors foyers-logements).
L’augmentation relativement faible du nombre de dépendants,majoritaires
en hébergement collectif, limiterait le besoin supplémentaire à 70 000
places au titre des dépendants et à 80 000 au titre des valides, soit
150 000 places au total. Le Commissariat général au plan estimait en
septembre 2005 le besoin minimal à 40 000 places d’ici à 2010.
La demande d’entrée en institution se situe entre 150 000 et 200 000
places supplémentaires « à comportement inchangé » en quinze ans,
soit au moins 10 000 par an hors foyers-logements. Elle sera surtout
contrainte par une offre limitée. Entre 1996 et 2003, 26 000 places
seulement (logements-foyers compris), soit moins de 4 000 par an,
ont été réalisées. Les plans « vieillesse et solidarité » pour 2004-2007
et « solidarité grand âge » pour 2007-2012 fixent l’objectif à 5 000
par an. A « comportement inchangé », la moitié des demandes ne
seraient pas satisfaites en 2020, soit un manque de 80 000 à 100 000.
Cette pression poussera à la « médicalisation » de certaines maisons
de retraite. Une grande partie des 200 000 dépendants supplémentaires
de plus de 85 ans pourrait ainsi être accueillie en hébergement collectif,
bloquant alors l’entrée de personnes moins âgées et plus valides.
Le comportement des seniors, en partie contraint par cette pénurie,
privilégiera donc le maintien à domicile qui concernera en 2020 environ
80 000 personnes supplémentaires, mais l'impact de celui-ci sur la
demande de logements, de quelques milliers par an, est relativement
négligeable.
En revanche,les besoins en termes d'aménagement des logements seront
considérables. Une partie des 200 000 dépendants supplémentaires
d’ici 2020 devront être maintenus à domicile dans des logements très
médicalisés : les logements ordinaires dans lesquels vivent des dépendants
passeront de 500 000 en 2005 à 600 000 en 2020. Par ailleurs, la
demande de logements ordinaires adaptés aux personnes de plus de
85 ans non dépendantes va au moins doubler en quinze ans,de 800 000
à 1 600 000 alors qu’elle était restée stable depuis quinze ans.
L’explosion démographique des troisième et quatrième âges sera
presque entièrement absorbée par le logement ordinaire. Il est vrai
que le maintien à domicile répond au souhait de la grande majorité
des personnes âgées, désireuse de préserver leurs repères au moment
même où elles se sentent diminuées physiquement. Ce maintien à
domicile est encore plus fréquent en ville où il est sans doute plus
aisé à organiser et où l’offre collective est particulièrement réduite
ou coûteuse.
19
Quel type d’habitat pour les seniors ?
Les résidences avec services répondent à des besoins de facilités et
de sécurité. Elles ont pu satisfaire une clientèle urbaine. Mais si l’âge
d’entrée en Hespérides n’a pas augmenté, ce type d’habitat supporte
des charges d’entretien et de fonctionnement doubles ou triples de
celles d’un logement ordinaire.Après avoir commercialisé 65 Hespérides
de 1976 à 2001, COGEDIM a renoncé à poursuivre la promotion de
ces programmes.
En revanche, à la campagne près des villes ou près de la mer, les
Seniorales inspirées des « gated communities » (résidences fermées)
créées aux Etats-Unis dans les années 1960 et lancées en France par une
société toulousaine en 2002, attirent des baby-boomers propriétaires.
Ces résidences pour seniors offrent des équipements de détente,
ainsi que la sécurité d’un portail et d’un gardien-régisseur, l’agrément
de maisons de plain-pied avec force domotique, et l’espace nécessaire
pour accueillir la famille, avec de grandes chambres et des patios.Elles
bénéficient des prix fonciers ruraux et répartissent les charges sur un
grand nombre de résidents Ces formules qui connaissent un réel succès
aux Etats-Unis (10 millions d’habitants) et dans les pays anglo-saxons
peinent à véritablement se diffuser en France : six résidences de 50 à 60
pavillons existent actuellement et cinq sont en préparation uniquement
dans le Sud. Elles se heurtent à la peur de la ghettoïsation à la fois de la
part des seniors craignant un enfermement accélérateur de vieillissement
et de la part du corps social attaché à la mixité.
Personnes dépendantes :retour aux centres ?
L’allongement futur de la durée de retraite non dépendante sera
progressive et limitée (3 ans de plus s’ajoutant à 24 ans dans les 25
prochaines années). Son impact sur les comportements résidentiels
devrait rester contenu.Cependant,la dépendance des personnes âgées
est susceptible de les conduire à renoncer à la maison individuelle,
surtout si celle-ci est éloignée des centres. Lourd à entretenir, organisé
sur plusieurs niveaux et éloigné des services et des commerces
indispensables, le pavillon est mal adapté aux personnes dépendantes.
Son abandon est une solution logique, déjà observée par plusieurs
promoteurs en régions.
Les statistiques confirment la polarisation des seniors dans les villes-
centres (tableaux 2-5 et 2-6) : 45% des ménages dont la personne de
référence a de plus de 80 ans vivent dans des communes de plus de
20 000 habitants contre 41% des « 60-64 ans ».Les villes-centres qui ont
perdu de la population jusqu’en 1990,ont vu leur population augmenter
à partir de 1990 (+ 20 000 habitants de 1990 à 1999). Et l’habitat en
maison individuelle se réduit après 70 ans.
Ménages âgés vivant dans les villes de plus de 20 000 habitants (%)
60 /64 ans 80 ans et +
41% 45%
Source : INSEE, enquête logement 2002
Type de logement des personnes âgées en 2002 (%)
Maisons 60/64 ans 65/69 ans 70/74 ans 75/79 ans 80 ans et +
individuelles 65% 70% 65% 62% 59%
Source : INSEE, enquête logement 2002
Le retour vers un centre à l’approche de la dépendance est contredit
par quelques constats : plus de la moitié des emménagements dans du
neuf des « 60-69 ans » entre 1997 et 2001 se sont effectués en maisons
individuelles. Le maintien en pavillon est facilité par le développement
des services à la personne et par la généralisation de la conduite
automobile par les deux membres des couples âgés.L’installation près
des services et commerces de la commune d’origine serait préférée
au déménagement vers la ville-centre.
Accueillir la dépendance : des formules alternatives
Outre le maintien à domicile ou l’entrée en institution spécialisée,des
solutions alternatives se développent. Les foyers-logements, classés
dans la catégorie des « logements ordinaires » en constituent le volet
collectif le plus important. Ils accueillent des personnes âgées dans des
studios adaptés et sécurisés permettant une indépendance de vie tout
en bénéficiant sur place ou à proximité de services complémentaires
(repas,loisirs,animations).Leur nombre stagne à environ 155 000 places
(DREES).
D’autres formules sont expérimentées,moins fondées sur la médicalisation
que sur l’adaptation de l’environnement.Le monde HLM a contribué,avec
l’Association nationale pour le développement des nouvelles résidences
avec services pour les personnes âgées (ANRESPA), à faire émerger
des solutions innovantes, telle que « Papyloft » en Normandie avec
des pavillons groupés et sécurisés autour d’un espace de convivialité,
ou telle que des « béguinages » dans le Douaisis conçus comme des
résidences de quinze à vingt T2 et T3,avec entrée commune sécurisée
et « maîtresse de maison ».
Enfin, la médicalisation partielle avec la présence permanente d’une
infirmière et d’un médecin constitue une modalité d’évolution d’autant
plus appréciée que la part des personnes déclarant un problème de santé
devient majoritaire dès 73 ans (Observatoire des Caisses d’épargne).
Ces formules restent encore marginales (quelques centaines de logements
concernés) avec des coûts de réalisation ou d’aménagement encore
discriminants (15 à 20% de la valeur d’un logement ordinaire). Leur
implantation à proximité des domiciles actuels pourra en assurer le
développement si elles offrent une alternative moins stigmatisante
que l’entrée en hébergement collectif.
>DES SÉNIORS PAR MILLIONS
20
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Ainsi, la faible mobilité des plus de 75 ans et leur attachement à leur
cadre de vie sont des freins au retour en ville à l’approche de la
dépendance. De même, les solutions expérimentales alternatives au
maintien à domicile restent-elles peu diffusées.Pour autant,la maîtrise
de parcours résidentiels par les retraités devrait accroître la mobilité
des plus âgés et conduire ceux-ci à préparer plutôt qu’à subir l’entrée
progressive dans la dépendance. Ce mouvement s’appliquera à des
générations nombreuses : si le taux d’emménagement des « plus de
75 ans » devait doubler en quinze ans, en 2020 14% d’entre eux
auront emménagé depuis moins de quatre ans, soit 150 000 par an,
trois fois plus qu’actuellement.De plus,avec une vacance moyenne de
trois mois,la demande supplémentaire au titre de la vacance s’élèverait
à environ 25 000 logements,avec une montée en puissance sur quinze
ans, soit plus de 2 000 logements par an.
Aménager son « chez soi » pour y vieillir dignement
Le nombre de personnes dépendantes à domicile avec médicalisation
forte augmentera. Surtout, la concentration des cas lourds dans un
hébergement relativement plus limité fera « exploser » la demande
de logements adaptés aux besoins de personnes en faible dépendance
ou en risque d’accident. Selon le Conseil Economique et Social,le sujet
de l’adaptabilité et de l’accessibilité concernerait à des degrés divers
5,8 millions de personnes, dont une majorité de personnes âgées.Plus
d’un million de personnes seraient gênées pour accéder à leur lieu
d’habitation et 870 000 rencontreraient des difficultés pour s’y mouvoir.
Finalement, si la moitié seulement des logements des « 75-90 ans »
restés à domicile faisait l’objet de demandes d’adaptation, le parc
concerné pourrait atteindre quelques deux millions de logements en
quinze ans, soit environ 12% du parc.
Ces demandes seront d’autant plus nombreuses que le niveau de
confort des logements des personnes âgées est souvent inférieur au
standard moyen. Selon l’ANAH, la moitié des 130 000 logements
locatifs privés où manquent deux éléments de confort est occupée par
des personnes de plus de 60 ans. Et les « plus de 60 ans » représentent
encore 72% des 276 000 logements très inconfortables occupés par
des propriétaires.
Techniquement, le confort de vie prolongé et les normes de
l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) ont introduit des
exigences d’accessibilité des bâtiments (ascenseurs, escaliers à petites
marches), de facilité de déplacements internes sans risque (portes
larges, couverture des aspérités), d’aménagement des pièces d’eau
(douche à banquettes, barres de maintien, cuisines « sécurisées ») ou
de facilité de gestes quotidiens (volets roulants électriques,interphone).
Selon l’ANAH, l’objectif n’est pas de créer des « logements spécialisés »
spécifiques mais bien d’améliorer le plus grand nombre de logements
existants pour les rendre habitables en toute sécurité par des personnes
âgées. Les politiques publiques, organisées à partir des schémas
gérontologiques départementaux, commencent seulement à traduire
cet objectif d’adaptation des logements.
La prise en charge lourde des dépendants, dont le nombre augmente
faiblement, représente un défi budgétaire et social moins difficile à
relever que l’adaptation fonctionnelle des logements aux besoins de leurs
occupants très âgés. Le maintien à domicile qui répond au souhait des
personnes concernées passera par des aménagements techniques lourds.
Le ciblage social d’aides financières limitées sur les propriétaires occupants
susciterait sans doute un décollage de tels travaux d’aménagement.
Le vieillissement de la population ne concerne pas seulement la santé
publique ou le système de financement des retraites : il modifie les projets
de vie des ménages actifs et il influence la demande de logements, en
quantité et en qualité.
Quant aux perspectives à long terme au-delà de 2020, le débat est ouvert
entre deux scénarios. Pour certains, le risque existe d’une offre excédentaire
de logements. De nombreuses personnes âgées bénéficieraient d’un
patrimoine immobilier transmis par leurs parents, au moment où elles
auront déjà réalisé leur propre projet immobilier, alors même que la
pression démographique des jeunes s’atténuera.C’est l’hypothèse d’une
demande saturée.
Pour d’autres, au contraire, les retraités de 2030 seraient moins souvent
propriétaires que les retraités d’aujourd’hui, car ils ne disposeront pas
des mêmes revenus que les retraités actuels ;en outre, ils ne bénéficieront
pas de transmissions immobilières aussi généreuses qu’aujourd’hui.Nos
retraités post-2020 pourraient finalement assumer une situation dégradée.
C’est l’hypothèse d’une demande insolvable.
21
Famille instable
cherche logement
es structures familiales ont tendu
au 20ème siècle à la reproduction
du modèle de la famille nucléaire,
formé d’un père, d’une mère
et de leurs enfants. Leur organisation
s’inscrivait dans un contexte
où le mariage, hautement valorisé,
inaugurait un parcours résidentiel
ascendant se concluant par l’acquisition
d’une maison individuelle. Le modèle
a prévalu jusqu’au début des années
1970, allant jusqu’à impulser pour
une large part le développement
de l’accession à la propriété.
Depuis lors, « la boussole des
indicateurs démographiques s’affole »
selon l’expression d’Hervé Le Bras :
le mariage est en perte de vitesse,
le nombre de divorces connaît une
augmentation rapide et les naissances
hors mariage se multiplient, dans un
contexte de baisse de la natalité. On
assiste à la diffusion de configurations
familiales telles que les familles
monoparentales et recomposées,
ainsi que de nouvelles séquences
du cycle de vie dont la multiplication
remet en cause l’image d’un modèle
familial homogène et d’une trajectoire
résidentielle linéaire.
L’instabilité des familles multiplie
les situations transitoires. En matière
de logement, elle provoque des allers
et retours entre les parcs,engendre
des changements de statut d’occupation
et modifie les besoins en taille et en
type de logement selon que les familles
se constituent autour de la première
mise en couple, s’agrandissent avec
l’arrivée d’un enfant, éclatent sous
le coup d’une rupture conjugale, font
l’expérience de la monoparentalité
ou se recomposent autour d’une
seconde union.
22
L
La famille n’est plus ce qu’elle était…
• La mise en couple est dissociée du mariage, dont le statut social se dévalorise avec
constance ;
• Entre la décohabitation juvénile et l’installation en couple, il y a le temps de l’expéri-
mentation, entre deux logements individuels ;
• La naissance des enfants est retardée, mais le taux de natalité en France est élevé
comparativement à d’autres Etats ; la taille des logements ne devrait pas être
indifférente à celle des familles…
• Les couples, mariés ou non, se séparent à une fréquence presque majoritaire ; et
quand ils se reforment, la cohabitation ne s’impose pas immédiatement ; couple
échaudé…
• La monoparentalité peut être une situation difficile, notamment pour ces mères qui
supportent la double charge de l’emploi et de l’éducation des enfants ; beaucoup
composent ces ménages pauvres surreprésentés dans le parc immobilier social ;
• La séparation des couples est de plus en plus accompagnée d’une garde alternée des
enfants : chacun de ceux-ci occupe alors une chambre chez Maman et une autre
chez Papa…
Au commencement était le mariage…
Quelques 29,6 millions de personnes, soit sept adultes sur dix, vivent
en couple aujourd’hui. Cette part s’accroît naturellement avec l’âge :
minoritaire de 18 à 24 ans, la vie en couple concerne plus d’une
personne sur deux à partir de 25 ans, puis trois sur quatre à partir de
32 ans, le taux de vie en couple culminant vers 55 ans pour les hommes
et vers 40 ans pour les femmes.
Mais la part des Français qui vivent en couple diminue régulièrement
depuis une vingtaine d’années. La vie en couple recouvre en outre des
formes diversifiées qui induisent chacune des comportements résidentiels
spécifiques. Les couples mariés se distinguent des autres couples qui,
toujours plus nombreux, ont fait le choix d’une union libre ou de
ceux qui, certes moins fréquemment, vivent ensemble mais habitent
séparément ou sont unis par les liens du Pacs.
Le mariage : entre tradition et déclin
L’évolution de longue période des comportements à l’égard du mariage
tient en quelques constats:
• on se marie moins, en nombre comme en proportion,
• on se marie de plus en plus après avoir cohabité… et conçu des enfants,
• on se marie de plus en plus vieux.
Cinquante ans de déclin du mariage…
Année Mariages dont légitimant Taux Âge moyen
un enfant ou plus de nuptialité au 1er mariage
Milliers % pour 1 000 hommes femmes
habitants
1954 314,5 5,8 7,3 26,0 23,2
1964 347,5 5,9 7,2 25,0 22,7
1974 394,8 6,0 7,5 24,6 22,5
1984 281,4 10,1 5,1 25,9 23,9
1994 253,7 21,9 4,4 28,7 26,7
2004 271,6 29,0 4,5 30,8 28,8
Champ : France métropolitaine
Source : INSEE, Bilan démographique
Malgré un recul très prononcé,le mariage continue de concerner plus
de 80% des personnes qui vivent en couple. Son repli ne se traduit
pas tout à fait par le recul de la vie en couple puisqu’il est quasiment
compensé par la montée de la cohabitation. D’abord, la cohabitation
hors mariage s’est banalisée, comme la façon la plus courante de débuter
la vie en couple .C’est aujourd’hui le cas de neuf couples sur dix,contre
moins d’un sur cinq dans les années 1970. Ensuite, le nombre de couples
qui ne légalisent jamais leur union a considérablement augmenté.
De ce point de vue, la première expérience de vie en couple s’est
d’abord substituée au mariage puis a elle-même commencé à être
retardée. Le recul a même été plus net que pour le mariage. Il accentue
la hausse générale de l’âge moyen au premier mariage, ainsi que la
considérable progression des naissances hors mariage et le recul de
l’âge au premier enfant.
Naissances totales et naissances hors mariage depuis 1965
Total Hors mariage %
1965 862 333 50 888 5,9
1975 745 065 63 429 8,5
1985 768 431 150 492 19,6
1995 729 609 274 210 37,6
2005 - - 47,4
Champ : France entière (métropole et départements d’outre-mer, enfants nés vivants
Source : INSEE
Des comportements résidentiels spécifiques selon le type d’union ?
Mariés et concubins n’ont pas les mêmes comportements résidentiels.
Tandis que les premiers, plus solides et plus féconds, s’avèrent plus
mobiles au moment de leur union, davantage propriétaires et plus
enclins à vivre en maison individuelle dans le périurbain, les seconds
sont plus nombreux à être locataires et à vivre en appartement, dans
les centres-villes ou en première couronne.
Mais les comportements tendent à converger.Alors que dans les années
1980 encore, la naissance d’enfants chez les cohabitants incitait à la
demande d’un logement social plutôt qu’à l’acquisition d’un toit, la
cohabitation hors mariage ne semble plus être un frein à l’accession
à la propriété.
On peut se demander dès lors si, la cohabitation évoluant rapidement
et sous des formes multiples, elle ne tendra pas à reproduire des
comportements auparavant associés plus spécifiquement au mariage.
À l’inverse, les couples mariés partageant de plus en plus souvent les
expériences des cohabitants en faisant précéder la légalisation de
leur union par leur installation commune, n’adopteront-ils pas les
comportements qui caractérisent l’union libre ?
Les valeurs associées au mariage ne sont pas étrangères aux cohabitants
et les expériences des mariés ne manquent plus d’évoquer le mode de
vie de l’union libre. Pour tous,l’installation commune diffère le mariage
après avoir elle-même été reportée par une période plus ou moins
longue de résidence séparée.Accentué par le recul de l’âge à la première
union, au premier mariage et au premier enfant, le retardement de
l’installation commune marque les trajectoires résidentielles. Il en
multiplie les étapes,diversifie les cycles,modifie les temps et bouscule
les rythmes. Il diffère l’accession à la propriété, elle-même assujettie
à la constitution de la famille.
l’
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bservateur
de l’immobilier 23
4 - L’INED (Institut National des Etudes Démographiques) définit la vie en couple comme « la vie commune sous le même toit,pendant six mois ou davantage, avec ou sans mariage ».
L’irrésistible montée des divorces…
Si on se marie moins souvent et plus tardivement,le mariage se révèle
aussi moins résistant au temps… Conjuguée à la multiplication des
ruptures d’unions libres,la hausse des divorces contribue à augmenter
le nombre des ménages et à maintenir une forte pression sur le marché
du logement. Elle modifie les termes de la demande en intervenant sur
le type de logement et sur le statut d’occupation des ex-conjoints.
Depuis le milieu des années 1960,le nombre des divorces a régulièrement
augmenté, passant de 9% des mariages de l’année dans la période
1945-1965 à 40% en 2000.
Pour les couples mariés, la rupture intervient également plus tôt
qu’auparavant, la fréquence maximale étant située à quatre ans de
mariage. Mais la montée des divorces a sa propre dynamique et les
enfants de couples divorcés sont eux-mêmes statistiquement plus
enclins à se séparer. Plus précoces et plus fréquentes, leurs unions
sont aussi plus fragiles. Au milieu des années 1980 déjà, 25% des
enfants de parents séparés rompaient leur union, contre moins de
15% des enfants de parents non séparés ; 15% des premiers mariages
d’enfants de couples séparés se soldaient par un divorce, contre 10%
quand le couple parental avait subsisté.
Milieu familial perturbé pendant l’enfance, mariage précoce ainsi que
position basse dans la hiérarchie sociale sont décisifs.
Un facteur de mobilité résidentielle descendante
La croissance du nombre de divorces a remis en cause le modèle
résidentiel qui, fondé sur la stabilité de la famille,tend à l’accession à la
propriété d’une maison individuelle après un passage dans le locatif privé
social ou privé. En causant ou en renforçant la fragilité économique
et financière des membres de la famille éclatée, le divorce entraîne
souvent la revente du bien acheté à crédit et un retour vers le secteur
locatif. De point d’aboutissement, la maison individuelle devient un
moment du parcours résidentiel.
Le divorce est l’un des cas où la propriété occupante n’est pas
protectrice. Parmi les ménages mobiles, ceux qui sont passés du statut
de propriétaire à celui de locataire invoquent deux fois plus souvent des
raisons familiales,en particulier la séparation.Leur situation est d’autant
plus critique que le divorce, de plus en plus précoce, intervient à un
moment du cycle de vie familiale où les efforts sont intenses au plan
financier, notamment en raison de l’investissement effectué pour
accéder à la propriété avant la séparation.
De même, les ménages qui passent du logement individuel au logement
collectif sont deux fois plus nombreux à avoir connu une séparation
que l’ensemble des ménages mobiles (27,6% contre 13,3%). Dans ce
cas, la séparation est même la première cause de mobilité évoquée,
avant la naissance (11,6%), le départ d’un enfant (11,2%), la formation
du couple (6,9%) et le décès de l’un des conjoints (6,1%).
Mobilité induite par un événement affectant la composition
du ménage
Evénement Mobilités Type
> 50 km (%) de mobilité (%)
Même Même Même Autre Total
commune département région région
Naissance 17,5 39,1 34,9 10,9 16,8 100
Décès 17,9 48,6 28,9 7,1 15,4 100
Départ
d’un enfant 19,2 42,4 32,7 6,1 18,8 100
Formation
du couple 25,1 31,9 34,6 13,6 19,9 100
Séparation 16,4 38,4 37,9 9,7 14,0 100
Au moins un
événement 19,3 38,9 34,2 10,1 16,8 100
Source : Enquête logement 2002, INSEE (Minodier 2006)
Mobilité descendante : raisons familiales et autres (%)
Evènements Ménages Ménages Ensemble
propriétaires ayant quitté des ménages
devenus une maison pour mobiles
locataires un appartement
Mobilité contrainte 6,5 11,8 8,3
Raisons professionnelles 15,2 14,8 14,7
Raisons familiales 41,8 33,3 17,4
Logement trop cher 4,5 6,0 3,9
Logement trop petit 6,8 9,7 21,1
Changement de statut 0,4 3,0 16,3
Changement
d’environnement 9,1 5,4 9,7
Autres raisons 15,8 16,0 8,6
Ensemble 100 100 100
Source : Enquête logement 2002, INSEE (Minodier 2006)
Evénements vécus et mobilité descendante (%)
Evènements Ménages Ménages Ensemble
propriétaires ayant quitté des ménages
devenus une maison pour mobiles
locataires un appartement
Une naissance 10,6 11,6 34,4
Un décès 4,3 6,1 3,0
Le départ d’un enfant 13,4 11,2 6,9
La formation du couple 8,0 6,9 10,7
Une séparation 39,2 27,6 13,3
Un autre événement 3,8 3,8 3,2
Source : Enquête logement 2002, INSEE (Minodier 2006)
>FAMILLE INSTABLE CHERCHE LOGEMENT
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l’
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de l’immobilier
Monoparentalité et trajectoire résidentielle
La monoparentalité concerne les familles constituées d’un parent
vivant sans conjoint avec ses enfants dans un même logement.Avec
l’augmentation des divorces et des séparations, elle a pris une place
importante dans le paysage familial français. Le nombre d’adultes
concernés est passé de 720 000 en 1970 à 1 600 000 en 1999. En
proportion, les ménages monoparentaux représentent aujourd’hui
18% des ménages avec un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans et
15% des enfants de moins de 25 ans (près de 3 millions au total).
Diversité de la monoparentalité
La monoparentalité n’est pas nouvelle mais avec la montée du divorce,
elle a changé de dimension et de cause : alors que dans les années
1960, la majorité des parents de familles monoparentales étaient
veufs (55%), la part des veufs au sein de tels ménages n’est plus que
de 11% en 2000. A l’inverse, les divorcés représentent aujourd’hui
près de 50% des parents de familles monoparentales, contre environ
15% dans les années 1960.
De plus en plus issues d’une rupture d’union, les familles monoparentales
sont aussi de plus en plus féminines. En 1990 déjà, plus de 86% des
familles monoparentales étaient constituées autour d’une mère et de
sa progéniture et 88% des enfants de moins de quinze ans vivant dans
une famille monoparentale habitaient avec leur mère. Les familles
monoparentales ont tendance à rajeunir, à être issues de ruptures
d’unions impliquant le choix d’un parent gardien et ces tendances
induisent une proportion d’hommes plus restreinte.
Comparées aux autres chefs de famille avec enfants à charge,les « mères
célibataires » exercent beaucoup moins fréquemment une activité
professionnelle, ont un niveau d’instruction moins élevé et sont plus
sévèrement touchées par le chômage (23% des mères seules contre
15% des mères en couple). Quand elles travaillent, elles sont aussi
plus nombreuses à recourir à un temps partiel.Enfin,selon leur niveau
d’étude et leur position sociale, elles élèvent plus ou moins seules
leurs enfants,se remettent plus ou moins vite en couple et maintiennent
de plus ou moins bonnes relations avec leur ancien conjoint.
Niveau d’éducation et monoparentalité (%)
Aucun Du CEP au Bac ou Total
diplôme BEP ou CAP supérieur
Pères en couple 15 52 33 100
Pères de famille monoparentale 15 58 27 100
Mères en couple 16 47 37 100
Moins de 35 ans 16 43 41 100
35 ans et plus 16 49 35 100
Mères de famille monoparentale 20 48 32 100
Moins de 35 ans 30 46 24 100
35 ans et plus 17 49 34 100
Source : Les Cahiers de l’INED, n°156, 2005
Des conditions de logement dégradées
Avec des ressources nettement inférieures aux parents qui vivent en
couple, les familles monoparentales rencontrent pour la plupart des
difficultés de logement. C’est chez ces familles souvent captives que
la part de propriétaires est la plus faible et que le taux d’insatisfaction
est le plus fort à l’égard du logement occupé et du quartier habité.
Les familles monoparentales sont aussi beaucoup plus souvent
locataires que l’ensemble des ménages et des couples avec enfants et
davantage dans le secteur social que dans le parc privé.Leurs conditions
se rapprochent de celles des ménages pauvres.Si leur niveau de vie est
en moyenne inférieur à celui des autres ménages, même les familles
monoparentales qui ont un niveau de vie aisé vivent plus fréquemment
dans un logement défini comme surpeuplé, c’est-à-dire auquel il manque
au moins une pièce par rapport à la composition du ménage.
Pour toutes ces raisons, les familles monoparentales sont nombreuses
à ne pas être satisfaites de leur logement.Elles ne le sont pas non plus
de leur quartier. Ces deux motifs d’insatisfaction les orientent vers la
recherche d’appartements familiaux situés dans les centres-villes ou
en proche couronne...jusqu’à ce que la perspective de la recomposition
familiale ne redéfinisse leurs besoins. La monoparentalité recouvre
souvent des situations provisoires et multiplie les phases de transition
dans les trajectoires résidentielles plus qu’elle n’entrave durablement
leur dynamique.
25
Conditions de logement et type de ménage (en %)
Statut d’occupation Nombre de pièces Conditions de logements jugées
Propriétaire Loc.HLM Manque Manque Insuffisantes Très
1 pièce 2 pièces ou plus insuffisantes
Père de famille monoparentale 50 24 11 3 7 0
Mère 1 enfant 30 39 13 1 6 7
de famille 2 enfants 28 42 13 3 9 4
monoparentale 3 enfants ou plus 18 59 21 14 18 10
1 enfant 59 17 5 1 5 2
Couple 2 enfants 66 16 5 1 5 2
3 enfants ou plus 59 26 13 5 9 3
Autres ménages 56 14 10 0 4 2
Ensemble des ménages 56 17 9 1 5 2
Source : Drees, Etudes et résultats, n°389, avril 2005
>FAMILLE INSTABLE CHERCHE LOGEMENT
26
Part des familles monoparentales ANAH
l’
O
bservateur
de l’immobilier 27
Recompositions familiales et modes
de cohabitation
En 1999, au moment où l’INED réalise son « Enquête Famille », 40% des
onze millions de personnes déclarant avoir connu une rupture d’union
ont reformé un couple. En matière de logement, la complexité des
situations nées des recompositions familiales implique de considérer
la pluralité des lieux de vie familiale. Elle suppose de saisir les liens de
famille tels qu’ils se développent hors des murs de la maison,autant que
les modalités par lesquelles des familles se forment par la corésidence
en dehors de liens consanguins.
Familles recomposées :de plus en plus « nombreuses » en quantité
et en taille
En 1999, 1,6 million d’enfants (8,7% des moins de 25 ans) vivaient
dans une famille recomposées. Entre 1990 et 1999, leur nombre avait
globalement augmenté de 11% tandis que la part des familles recomposées
dans lesquelles vivaient des enfants d’unions différentes (actuelles et
précédentes) avait connu une hausse de 13%.
Plus une rupture a lieu tôt dans la vie, plus les chances de recomposer
un couple sont grandes : toutes choses égales par ailleurs, une séparation
intervenant entre 25 et 29 ans offre deux fois plus de chances de
recomposition qu’une rupture entre 35 et 39 ans. La tendance
générale vaut pour tous, mais elle est plus prononcée pour les femmes
que pour les hommes : tandis que pour les premières, la probabilité
de « refaire sa vie » est cinq fois plus élevée entre 25 à 29 ans qu’entre
50 et 54 ans, elle n’est qu’une fois et demie plus élevée pour les
seconds. Pour les hommes également, plus l’âge de fin d’études est
élevé, plus la chance de retrouver un conjoint est grande. Pour eux,
une position sociale élevée favorise la remise en couple après une
première rupture. Pas pour les femmes.Alors que le fait d’être mère
réduit la probabilité de retrouver un conjoint, les pères ont davantage
tendance à se remettre en couple que les autres. Leur descendance
ne les empêche pas de refaire leur vie et rend même la présence
d’une nouvelle conjointe plus fréquente.
Les familles par type
Types de famille 1990 1999 Evolution
Effectif %Effectif % 1990-1999 (%)
Traditionnelle 7 083 000 77,6 6 474 000 73,4 - 8,6
Monoparentale 1 397 000 15,3 1 640 000 18,6 17,4
Recomposée 646 000 7,1 708 000 8,0 9,6
Dont aucun enfant n’est du couple actuel 310 000 3,4 328 000 3,7 5,8
Avec enfant du couple actuel et précédente union 336 000 3,7 380 000 4,3 13,1
Ensemble 9 123 000 100 8 822 000 100 - 33
Source : Les Cahiers de l’INED, n°156, 2005
Nombre et proportion d’enfants par type de famille
Enfants vivant dans des familles… 1990 1999 Evolution
Effectif % Effectif % 1990-1999 (%)
Traditionnelles 13 620 000 69,3 12 004 000 65,7 - 11,9
Monoparentales 2 248 000 11,4 2 747 000 15,0 22,2
Recomposées 1 429 000 7,3 1 583 000 8,7 10,8
Dont enfants avec demi-frères ou demi-sœurs 1 056 000 5,0 1 068 000 5,8 1,1
Enfants sans demi-frère ou demi-sœur 386 000 2,0 515 000 2,8 33,4
Source : Les Cahiers de l’INED, n°156, 2005
Les « espaces de vie » des familles recomposées
Dans les familles recomposées, il existe peu de lieux où le couple
parental d’origine et les enfants se retrouvent. L’espace habité ne se
résume pas au logement du parent gardien mais peut prendre la forme
d’un véritable « archipel résidentiel » dont font partie les logements
des parents et des grands-parents ainsi que les résidences secondaires.
Ces espaces de vie sont fondamentaux pour tisser les liens au sein
des familles recomposées puisque dans ce cas, c’est l’adresse qui unit
et plus seulement le patronyme.
Selon la typologie de Catherine Bonvalet et de Céline Clément
(2006), au moins deux logiques de recomposition et de trajectoires
résidentielles existent.
• « S’unir mais préserver la distance » : cette logique est conçue sur le
modèle de pérennité.Elle suppose que chacun des nouveaux conjoints
garde son propre logement et perçoit donc des revenus relativement
conséquents. Elle peut être liée à un besoin d’indépendance, mais
aussi au désir du parent gardien de préserver ses enfants en assurant
leur stabilité.
• « Avoir un chez nous » : cette logique fait prévaloir la cohabitation
du couple. Il en existe deux formes. La première, la « cohabitation par
agrégation », constitue la plus fréquente. Elle consiste en l’installation
de l’un des conjoints dans le logement de l’autre,en général dans celui
du parent gardien car il est plus grand. Mais cette option conduit à
des difficultés de gestion d’un espace malgré tout considéré comme
étroit et souvent inadapté au respect de l’intimité de chacun.
L’alternative est d’emménager dans un nouveau logement. Dans ce
cas, le logement participe au processus de régulation et de cohésion
de la nouvelle famille. Mais cette fois, le projet familial doit composer
avec le passé,le mode de vie domestique et le mobilier de chacun, ce
qui ne va pas sans multiplier les tensions...
Garde et résidence des enfants
Jusqu’à l’institution de la garde alternée en 2002,les enfants de couples
séparés ne manquaient pas de circuler entre le domicile de leurs deux
parents. Mais les pratiques développées étaient différentes de celles
de la résidence alternée qui, reposant sur le développement d’une
véritable « coparentalité », induit de nouveaux besoins d’espace pour
chacun des enfants résidant dans deux familles.
Dans le cadre d’une garde alternée, les enfants sont élevés par leurs
deux parents et partagent leur temps de manière équilibrée entre les
deux. En 2004, le dispositif a concerné 105 000 enfants. En général, il
concerne des séparations non conflictuelles à l’issue desquelles les
parents conservent de bonnes relations.Il s’agit de couples plutôt jeunes,
disposant de revenus supérieurs à la moyenne et partageant les frais
d’entretien de l’enfant, en général à égalité.
La garde alternée suppose également que les parents demeurent à
proximité l’un de l’autre. Pour expliquer le choix d’habiter dans le
même quartier, les parents invoquent le besoin de garder la même
école et de maintenir la continuité des liens d’amitiés des enfants.
Mais dans le périurbain, ce choix engendre des dépenses importantes
puisqu’il exige l’entretien de deux voitures et d’autres dépenses liées
à l’absence de services dans ces tissus peu denses.
Eclatée, recomposée, la famille contemporaine bouscule le modèle construit au 19e siècle autour d’un mariage stable, de la figure de la mère au
foyer et de l’autorité du pater familias. Désormais, la famille est à géométrie variable. Ses fluctuations au gré des alliances et des ruptures, obligent
à intégrer la multiplication des lieux d’habitat à tous les âges de la vie.
La « famille recomposée » est trop fréquente pour qu’on continue d’y voir une déviance par rapport à une norme. Les couples se font et se défont
banalement. Les logements accueilleront des familles monoparentales et recomposées autant ou plus que des familles nucléaires traditionnelles.
L’effet quantitatif du dédoublement des résidences pour les couples séparés et leurs enfants participe de cette forte demande d’origine « sociologique ».
>FAMILLE INSTABLE CHERCHE LOGEMENT
28
Vivre ensemble
et habiter séparément
e nombre de personnes par
ménage occupant un logement
décline régulièrement. Comme
si les individus cultivaient le goût
de l’habitat solitaire. Faut-il y voir
l’expression d’une inexorable montée
de l’individualisme ? Pas sûr. Dans le
domaine de l’habitat, le « vivre seul »
n’est pas synonyme d’isolement,
encore moins d’enfermement.
Il convient plutôt d’interpréter
les comportements nouveaux
comme la quête du temps choisi :
l’habitat séparé laisse plus de liberté
à l’individu de choisir les formes
et les moments de ses activités
sociales et familiales. Cela peut
susciter quelques tensions dans
l’éducation des enfants, mais n’induit
pas que les individus cultiveraient
l’isolement comme valeur suprême.
La montée de l’hédonisme, qui se
traduit dans l’habitat solitaire pour
ceux qui ont les moyens financiers
de l’assumer, ne réduit pas le besoin
de socialisation des individus. Il en
déplace les formes.
Mais attention : parmi les
« ménages célibataires », beaucoup
n’ont pas choisi ce mode ; ils ont
perdu leur conjoint ou n’ont pas
reformé de couple, ils sont en
situation de mobilité professionnelle,
ou ils sont étudiants.
Il reste que les différentes causes
de l’habitat solitaire ajoutent leurs
effets pour augmenter fortement
la demande de logements.
29
L
Entre ceux qui aspirent à vivre seuls et ceux qui y sont contraints, le nombre de ménages
solitaires augmente avec continuité. La montée de la classe d’âge des seniors augmente
mécaniquement la proportion des petits ménages dans la population. La décomposition
des familles va dans le même sens. Les étudiants contraints de s’éloigner du domicile
parental constituent aussi des ménages « mono».
Au-delà de ces solitaires par obligation, une évolution comportementale s’est dessinée
qui révèle une préférence pour l’habitat solitaire. C’est l’expression de la quête d’espace,
mais plus encore d’une volonté d’autonomie. Les célibataires de l’habitat choisissent le
moment et le lieu de la sociabilité, et cette liberté a un prix élevé. Nouvel hédonisme ?
Précaution devant le coût de la décohabitation ? Prudence d’engagement après des
expériences de couples éphémères ?
Là encore, les comportements changeants des ménages viennent percuter les facteurs
traditionnels de la demande de logement.
BONNE SOIRÉE MON AMOUR,
JE T’AIME TRÈS FORT…
À TROIS ON RACCROCHE !
La décohabitation juvénile,
tardive mais stabilisée
L’âge auquel les enfants quittent le foyer familial est l’un des facteurs
agissant sur la demande de logements. Les jeunes cultivent une
préférence certaine pour l’indépendance résidentielle. Ils ont tendance
à décohabiter même lorsqu’ils ne sont pas en couple, contrairement
à leurs parents et grands-parents, dont le départ du domicile familial
coïncidait avec le mariage.Pourtant, dans les années 1980 et 1990, les
jeunes ont eu tendance à rester plus longtemps au domicile parental.
Inégal selon les sexes,le recul de l’âge moyen à la décohabitation familiale
contrebalançait alors en partie l’augmentation du nombre de personnes
seules (+26% entre 1990 et 1999).Il tenait à au moins quatre facteurs.
• L’allongement des études. L’âge auquel la majorité des jeunes termine
ses études précède de deux ans celui auquel la majorité d’entre eux
décohabite : le développement des études supérieures a retardé le
départ du domicile parental
• Le chômage et la précarisation de l’emploi. Au début des années
1970, à peine plus de 5% des ménages dont le chef était âgé de
moins de 25 ans se trouvaient au-dessous du seuil de pauvreté, ils
sont 20% aujourd’hui. La hausse du chômage des jeunes, le retard à
l’accès à un emploi rémunérateur et la faiblesse des revenus ont
entamé la solvabilité des jeunes, malgré les aides au logement et les
dispositifs spécifiques.
• Les difficultés d’accès au logement. La rigidité du marché locatif
ainsi que l’augmentation des prix rendent l’accès à l’indépendance
résidentielle difficile en l’absence de garanties financières suffisantes.
La cherté des loyers concerne d’autant plus les jeunes résidant en ville
que le mètre carré y coûte 40 à 50% plus cher pour les petits logements.
Les jeunes s’avèrent d’autant plus contraints qu’ils continuent d’aspirer
massivement à la propriété et que l’accession nécessite un apport
personnel… qui résulte lui-même d’une activité préalable.
• Mode de vie et aspirations. Le recul de l’âge de la décohabitation
tient aussi aux changements du mode de vie et des aspirations.
Aujourd’hui par exemple,il est plus facile d’avoir une vie amoureuse
stable sans quitter le domicile parental.
Allongement des études, rapport à l’emploi, marché immobilier et
modes de vie ont contribué au retardement du départ au domicile
parental. Mais, contrairement aux idées reçues, le recul de l’âge à la
décohabitation s’est stabilisé, à 21 ans pour la majorité des filles et à
25 ans pour la majorité des garçons. Cependant, la situation familiale,
économique, sociale et géographique des jeunes continue de différencier
les pratiques juvéniles.
• Situation familiale et décohabitation. Selon leur situation familiale,
les enfants ne décohabitent pas au même âge. Les enfants de parents
séparés accèdent à l’indépendance résidentielle les premiers.
Viennent ensuite les enfants qui résident avec un beau-parent ou un
nombre élevé de frères et de s?urs. Ceux-là, lorsqu’ils vivent dans
une famille recomposée en particulier, s’installent dans un logement
indépendant un an et demi à deux ans plus tôt que les enfants de
parents unis. Ils font pourtant des études à peine plus courtes que
les seconds et ont des ressources économiques comparables.
• Situation économique et décohabitation. Le revenu des parents
joue de façon complexe sur la décohabitation ou son contraire, la
co-résidence. Un revenu élevé allant souvent de pair avec un logement
de qualité, il ne manque pas d’inciter les enfants à retarder leur
départ, d’autant qu’il favorise aussi le subventionnement de leur
consommation.
Plus généralement,l’aide des parents s’est considérablement développée.
Entre 1992 et 1997, la proportion d’hommes ayant bénéficié d’un départ
aidé avant 24 ans a doublé et celles des femmes a augmenté de plus de
50%.Les départs aidés ayant lieu trois ans avant les départs indépendants
pour les hommes et près de deux ans avant pour les femmes, leur
développement permet d’atténuer les obstacles à la décohabitation.
Il permet aux jeunes de quitter le domicile parental avant d’accéder
à l’indépendance.
Du point de vue de l’enfant, c’est la fin des études et l’activité pro-
fessionnelle qui déterminent l’accès à l’indépendance résidentielle,
davantage que la situation familiale et les revenus des parents. En
donnant accès à l’emploi, la fin des études multiplie les possibilités
d’indépendance par deux et demi ou trois pour les hommes et par
trois ou quatre pour les femmes.
Taux de co-résidence chez les jeunes selon l’activité
Taux de Différence
co-résidence 2001-1984
1984 1996 2001
Actif en emploi 24,6 26,2 26,9 2,3
Chômeur 53,1 50,3 47,1 -6,1
Etudiant 72,1 60,5 59,9 -12,2
Autres 24,3 37,7 16,9 -7,4
Ensemble 32,7 37,5 35,6 2,8
Source : Economie et statistique, n°381-382, 2005
• Situation sociale, situation résidentielle et cohabitation. Le recul de
l’âge moyen de décohabitation familiale n’affecte pas de la même
manière toutes les catégories sociales : tandis que les enfants des
milieux populaires ont tendance à rester chez leurs parents en raison
de leur faible rémunération, ceux des familles aisées décohabitent
plus tôt.
Cependant, le milieu d’origine des parents est moins déterminant
que la qualité de leur logement et leur statut d’occupation. Dans le
choix au départ, c’est la localisation du domicile, sa taille et l’intimité
qu’il permet ou non de préserver qui priment. S’ajoute le statut
d’occupation : la co-résidence est la plus fréquente quand les
parents sont locataires du secteur social et la moins fréquente
lorsqu’ils sont locataires du secteur privé. La qualité du domicile
parental tient aussi à la qualité des services alentours.
• Situation géographique et décohabitation. Les loyers élevés dans les
>VIVRE ENSEMBLE ET HABITER SÉPARÉMENT
30
l’
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de l’immobilier
grandes villes découragent les projets de décohabitation.A l’inverse,
résider loin des centres universitaires et des lieux d’emploi constitue
une forte motivation ou contrainte à la décohabitation. Les probabilités
de départ sont multipliées par deux pour les jeunes hommes dont
les parents ne résident ni dans l’agglomération parisienne ni dans
une autre grande agglomération. Elles sont supérieures d’un tiers
pour les jeunes femmes ayant les mêmes origines géographiques.
Grands consommateurs de services, les jeunes sont essentiellement
des urbains :en 2002,6% des ménages dont la personne de référence
était âgée de moins de 26 ans vivaient dans l’agglomération parisienne
et 43% dans des villes de plus de 200 000 habitants hors agglomération
parisienne.
Un processus fait d’allers et retours
Le départ du domicile parental est un processus plutôt qu’une rupture.
Il s’accompagne de périodes de double résidence et d’allers-retours
(tableau 4-2). D’après l’enquête Logement de l’INSEE (2002), 13% des
« 18-20 ans » utilisent plus d’un logement régulièrement et parmi les
18-29 ans, autant ont eu un logement indépendant avant de revenir
chez leurs parents.
En fait, un premier départ sur cinq s’avère provisoire. Le retour au
domicile parental est provoqué neuf fois sur dix par des difficultés
professionnelles.Il peut aussi résulter de l’interruption de l’aide familiale
à la fin des études, ainsi que de problèmes de santé ou de famille et
de déboires sentimentaux.
La situation résidentielle des jeunes (en %)
Hommes Femmes
Résidence 19-29 ans dont 19-29 ans dont
19-24 ans 25-29 ans 19-24 ans 25-29 ans
Chez les parents
- A temps plein,jamais parti 38 56 17 27 43 10
- Absent plus de la moitié du temps, jamais parti 2 3 1120
- De retour après un premier départ 8 8 10 6 7 5
Dans un logement personnel
- Payé par les parents 11 16 6 12 18 6
- Payé par le jeune 41 17 66 54 30 79
Ensemble 100 100 100 100 100 100
Source : Economie et statistique, n°337-338, 2000.
Décohabiter pour cohabiter : le cas de la colocation
Les années 2000 ont vu se développer la colocation. Le phénomène
s’impose d’abord aux jeunes comme une réponse à la hausse des
loyers. Il concerne 6% des étudiants, soit environ 140 000 personnes.
En Ile-de-France, il est nettement plus développé à Paris et dans la
petite couronne qu’en grande couronne : la colocation autorise des
localisations centrales, inaccessibles financièrement pour un étudiant
isolé. Elle offre une alternative matérielle aux difficultés d’entrée dans
le logement en réduisant la charge locative de 30% en moyenne et les
charges courantes de 20%. Elle répond aussi à la nostalgie de la vie
étudiante pour des trentenaires « branchés Friends » qui recherchent
la convivialité et l’indépendance. De plus en plus d’actifs sont séduits
:une enquête réalisée par l’IPSOS en 2006 pour le site Apartager.com
révèle que 20% des « 15-44 ans » ont déjà partagé ou partagent un
logement.
Les effets de la colocation sur la demande de logements sont multiples.
La colocation étudiante va très probablement davantage favoriser la
décohabitation que la baisse de la demande de logements individuels.
En revanche, le développement de la colocation non étudiante,
principalement en logement locatif privé urbain, renforcera la
demande de grands logements.
31
L’habitat solitaire
La famille contemporaine est tiraillée par une tension entre solitude
et partage. L’individu cherche un compromis ambitieux et exigeant
entre les avantages de la vie en solo et ceux de la vie à deux ; il veut
être seul et « avec ».Mais comment être « libres ensemble » ?
L’accroissement du nombre de ménages d’une seule personne reflète un
changement social profond.Outre le veuvage,la décohabitation des jeunes,
le recul de l’âge à la mise en couple et la divortialité contribuent au
desserrement des ménages.Aujourd’hui, près de 8 550 000 personnes
vivent seules, soit 14% de la population, et près de 33% des ménages
ne sont composés que d’une personne. En 1962, le phénomène ne
concernait que 6% de la population et à peine 20% des ménages.
Ces évolutions modifient la nature des besoins en logements. Les
personnes seules habitent souvent dans des logements collectifs
proches des centres-villes. Elles sont attirées par les lumières de la
ville : équipements, transports, loisirs.Mais contrairement à l’intuition,
l’augmentation des « petits » ménages n’implique pas un besoin accru de
petits logements.D’abord parce que la France en possède déjà un stock
important, ensuite parce que la population vieillit et que l’aspiration à un
logement plus grand s’accroît avec l’âge, enfin parce que le divorce suscite
une demande de logements familiaux plutôt que de petits logements.
Retard à la décohabitation et… à la première mise en couple
Jusque dans les années 1970, les jeunes quittaient leurs parents pour se
mettre en couple ou pour rejoindre un emploi au loin.Se marier était
le seul moyen, surtout pour les femmes, d’accéder à l’indépendance.
Aujourd’hui, lorsqu’ils quittent le domicile parental, les jeunes le font
plus souvent pour habiter seuls. Ils vivent moins en couple que les
autres classes d’âge et plus souvent seuls (58% des jeunes ménages en
2002 contre 30% de la population).
Le mode de vie des jeunes a changé. Il est caractérisé par une préférence
accrue pour l’indépendance résidentielle ainsi que par le recul de
l’âge à la première mise en couple et au mariage. Mais comme pour
la décohabitation, des facteurs conjoncturels jouent également dans le
recul de l’âge à la mise en couple. La concomitance est remarquable
entre les dates d’inflexion des indicateurs conjoncturels de formation des
unions et l’évolution du chômage des jeunes. Les difficultés d’insertion
des jeunes dans le marché du travail n’affectent pas de la même manière
les parcours des hommes et des femmes : tandis que les hommes
attendent généralement d’avoir trouvé un emploi pour se mettre en
couple, les femmes ne tardent pas à se mettre en couple après la fin
de leurs études.
Retard à la mise en couple et… à la cohabitation
L’âge moyen à la mise en couple a sensiblement augmenté depuis plusieurs
décennies.La tendance s’accompagne d’une désaffection pour le mariage,
et la part des couples non mariés a quadruplé entre 1990 et 1999,passant
de 3% à 12%. Corrélée au vieillissement de la population et au recul de
l’âge au premier enfant,elle se traduit par la baisse du nombre de couples
avec enfants (de 46% en 1962 à 39% en 1999).
En outre,la mise en couple n’entraîne plus nécessairement la cohabitation.
Aujourd’hui en effet,l’installation commune intervient plus tardivement
dans les trajectoires de couples. Elle suit une période de « double
résidence » dont la particularité est qu’elle peut être compatible avec
le sentiment de vivre en couple.
L’habitat solitaire renvoie à une demande d’autonomie personnelle et à
une dévalorisation des liens de dépendance vis-à-vis des personnes et
des institutions telles que le mariage. Il permet de concilier individualisme
et vie de couple, d’échapper aux inconvénients de la conjugalité tout en
bénéficiant de l’un de ses avantages majeurs :la reconnaissance sociale
d’avoir trouvé l’équilibre entre réussite professionnelle et stabilité
affective. L’idéal reste la vie en couple, pas le célibat.
Vivre seul en France et dans six de ses régions en 2004
Population Personnes Pers.seules Pers.seules Pers.seules Ménages
des vivant parmi les parmi les parmi les Célibataires d’une
ménages seules 20-29 ans (en %) 30-49 ans (en %) 50 et + (en %) (en %) personne
Ile-de-France 11 176 351 1 692 880 19,4 15,3 26,2 40,4 35,4
Nord-Pas-de-Calais 3 948 243 460 411 12,8 8,6 23,9 34,4 29,1
Lorraine 2 267 930 298 297 16,8 10,3 23,3 33,0 31,0
Midi-Pyrénées 2 666 064 393 219 23,3 12,0 22,2 35,0 33,1
Rhône-Alpes 5 794 093 813 449 19,3 11,8 24,3 34,9 32,7
PACA 4 572 964 689 974 17,6 12,0 25,8 33,0 34,0
Province 48 052 739 6 701 995 18,6 11,0 23,8 33,6 32,2
France 61 013 481 8 539 031 18,4 11,8 24,1 35,3 32,6
Source : INSEE, recensement de 2004
>VIVRE ENSEMBLE ET HABITER SÉPARÉMENT
32
l’
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de l’immobilier
Enfin, le « vivre ensemble mais habiter séparément » correspond à une
forme d’union encore moins rigide que l’union libre et plus facilement
adaptable aux aléas de la vie conjugale. Il relève d’une sorte d’hédonisme
qu’on aurait tort d’assimiler à un individualisme exacerbé, car il repose
sur le plaisir d’être ensemble, mais dans des moments choisis.
Avec le recul de l’âge à la mise en couple,la multiplication des périodes
intermédiaires entre la décohabitation et l’installation commune
diversifie la demande de logements, tant du point de vue du nombre
de pièces que du type d’habitat. Elle accroît également la demande en
allongeant la période pendant laquelle chacun des membres du couple
conserve son logement et partage son temps entre deux domiciles.
C’est le « deux pour deux ».
Les couples « SDC » : Sans Domicile Commun…
Après s’être diffusées chez les jeunes, des formes de conjugalité non
cohabitante se développent depuis quelques années chez des couples
plus âgés avec enfants.C’est parmi les personnes séparées en particulier
qu’ont tendance à se former des « couples sans domicile commun ».
La logique « s’unir mais préserver la distance » peut relever d’un
choix durable, voire définitif, mais elle s’avère rarement irrévocable.
Elle est plus souvent transitoire et correspond à une nouvelle étape
du cycle de vie, une sorte de sas de décision. S’en suivent des périodes
plus ou moins longues de semi-cohabitation liées soit à une prudence
accrue depuis une première séparation, soit à la présence d’enfants.
Lorsqu’elles sont prolongées jusqu’au départ des enfants du domicile
parental,celles-ci rappellent que le logement peut constituer un rempart
entre des enfants qui ne se sont pas choisis. Ce peut être aussi un
moyen de préserver son nouveau conjoint et de maintenir sa vie de
couple en dehors des enfants.
Ainsi, la « cohabitation intermittente » permet d’alterner vie commune
et vie indépendante dans son propre logement,vie avec et sans enfants.
Elle peut glisser vers une « cohabitation alternée » où les partenaires
conservent chacun leur logement tout en vivant continuellement
ensemble chez l’un ou chez l’autre. Ce partage du temps recouvre
des situations différentes :selon l’âge des enfants et la nécessité ou pas
de partager leur quotidien, il peut prendre la forme d’une mobilité
hebdomadaire suivant le sens des déplacements des enfants ou allant
quasiment à contresens !
Dans tous les cas, les pratiques des couples semi-cohabitants sont
rarement synonymes d’un refus d’engagement. Elles sont une étape
avant la recomposition,sinon une façon d’être ensemble séparément,
à l’échelle du couple et de la famille. En renforçant la diversification
des configurations familiales en revanche,elles fragmentent la demande
de logement en plus de l’augmenter.
Mode de vie des personnes selon l’âge et le sexe en 1999
18-24 ans 25-29 ans 30-44 ans 45-59 ans 60-74 ans 75 ans et + Ensemble
Chez leurs parents
Femmes 60,9 15,0 3,0 1,1 0,3 0,0 27,4
Hommes 75,5 29,1 7,6 2,2 0,5 0,0 33,8
Seul
Femmes 13,5 15,4 8,2 11,8 27,3 48,4 14,7
Hommes 11,3 18,0 13,5 11,5 13,2 20,0 10,4
En couple sans enfant
Femmes 13,2 27,3 8,6 32,7 53,7 23,9 20,8
Hommes 6,0 25,6 11,0 27,2 64,7 62,8 22,0
En couple avec enfants
Femmes 5,0 32,7 66,9 42,2 8,2 1,5 26,1
Hommes 1,8 19,6 61,6 52,1 15,1 5,2 27,6
En famille monoparentale
Femmes 1,7 4,9 10,9 9,4 4,6 4,5 5,6
Hommes 0,1 0,3 1,4 2,4 1,2 1,4 1,0
Autres
Femmes 5,7 4,6 2,5 2,8 5,8 21,6 5,4
Hommes 5,4 7,4 4,9 4,6 5,3 10,6 5,1
Source : 18-30 ans : roulez jeunesses !, L’Observatoire Caisse d’Epargne, 2005
33
>VIVRE ENSEMBLE ET HABITER SÉPARÉMENT
34
Part des ménages composés d’une seule personne
l’
O
bservateur
de l’immobilier
L’effet quantitatif des recompositions
familiales et du « vivre seul »
Les nouveaux comportements en couple et hors couple ont pour
conséquence de multiplier les ménages à une personne augmentant
ainsi la demande de logements. La part des ménages à une personne
est passée de 20,2% en 1968 à 31% en 1999 et à 32,8% en 2004, la
part des divorcés et célibataires parmi les plus de quinze ans de 30,4%
en 1975 à 43,5% en 2000 et 46,1% en 2005 chez les hommes, et de
24,5% à 37,9% et 40,5% chez les femmes.
Les modes de vie solitaires (hors veuvage) ont augmenté de moitié
en une trentaine d’année à un rythme constant, y compris ces cinq
dernières années. Il en résulte une hausse de la part des ménages
composés d’une personne, à raison de 0,35% par an en moyenne. La
demande de résidences principales pour une personne augmente à ce
titre, d’environ 85 000 unités par an alors qu’au taux d’occupation
moyen de 2,3,ces 85 000 personnes auraient habité 35 000 logements
seulement. Le seul effet de l’augmentation des ménages à une personne
accroît donc la demande d’environ 50 000 logements par an.
L’hypothèse d’une accélération de ce mouvement conduirait à anticiper
une demande accrue de 80 000 logements par an d'ici 2020, pour
plusieurs raisons.
D’abord,l’âge de la décohabitation juvénile ne recule plus depuis plusieurs
années. Les facteurs extra-familiaux qui incitaient à rester chez ses parents,
tels que l’allongement de la durée des études, semblent « plafonner ».
Les conditions familiales du maintien régressent aussi : les enfants de
familles traditionnelles qui décohabitent le plus tardivement sont de
moins en moins nombreux (600 000 de moins entre 1990 et 1999)
tandis qu’à l’inverse les enfants des familles séparées ou monoparentales,
qui partent plus tôt (jusqu’à deux ans plus tôt pour les enfants de
familles recomposées) sont de plus en plus nombreux (+ 300 000 entre
1990 et 1999). Une réduction d’un an de l'âge de la décohabitation
conduirait sur une cohorte d’environ 800 000 personnes à une demande
supplémentaire de 480 000 logements (et à condition que 20% seulement
d’entre eux habitent seul comme c’est le cas actuellement des 20-29
ans). Si cet avancement d’un an se réalisait en 15 ans, l’impact annuel
approcherait 30 000 logements.
De plus, l’âge du premier mariage n’a pas cessé de reculer : de trois
ans entre 1984 et 1994, de deux ans entre 1994 et 2004.La mise en
couple est aussi retardée : un recul d’un an à un an et demi des mises
en couple conduirait chaque année 700 000 personnes à rester un mois
de plus dans deux logements au lieu d’un, avec une demande annuelle
ainsi accrue de 30 000 logements environ. Seule la colocation, en
expansion rapide, viendrait réduire la demande, d’environ 10 000
logements par an.
Enfin, les familles monoparentales réduisent le taux d’occupation par
rapport au modèle familial traditionnel.Avec l’hypothèse d’une poussée
ralentie des divorces (qui font plus de la moitié des motifs de constitution
des familles monoparentales) et d’une progression au même rythme
que ces dix dernières années des autres motifs de monoparentalité,
le nombre de familles monoparentales passerait de 1,6 million en 2005
à 2 millions en 2020, accroissant de 400 000 logements la demande
par rapport au maintien du nombre de familles traditionnelles. Ceci
implique environ 25 000 logements supplémentaires par an.
En admettant que l'effet « colocation » (-10 000 logements par an) soit
à peu près compensé par les couples vivant séparés et les divorcés
restés seuls, l'impact global du « vivre seul » atteindrait effectivement
plus de 80 000 logements par an : 30 000 au titre de la décohabitation
juvénile plus précoce, 30 000 logements en raison du recul de la mise
en couple et 25 000 pour les familles monoparentales.
Par ailleurs, le développement de la garde alternée créerait une
demande de logements plus grands, dotés d’une ou deux chambres
supplémentaires).En trois ans,la garde alternée a touché environ 100 000
enfants. Si le nombre d'enfants sortant de cette garde par décohabitation
égalait ceux y entrant dans douze ans, le maximum d'enfants touchés
serait atteint avant 2020 à environ 500 000. Sachant que la demande
de chambre supplémentaire ne viendrait pas d'une moitié de parents
ayant un appartement et surtout une maison suffisamment grande et
que certaines fratries dorment à deux par chambre, 150 000 demandes
de logements plus grands pour garde alternée sont envisageables au
pic de 2020.
L’habitat solitaire augmente dans le même temps où les économies liées
à la cohabitation (partage de coûts fixes) ont aussi augmenté. Il semble
que le coût de l’habitat solitaire est jugé moins élevé que les inconvénients
de la « promiscuité » liée à la cohabitation. C’est dire la force des
aspirations qui sous-tendent le comportement des « consommateurs »
de logement.
35
La conquête de l’espace
our un ménage comme pour un
groupe social ou une population,
l’amélioration du niveau de vie
dans le long terme modifie la structure
des dépenses en faveur du logement :
quand la contrainte financière se des-
serre, les ménages veulent plus d’es-
pace, pour leur résidence principale
mais aussi à travers l’acquisition de
secondes résidences.
36
P
La famille Martin-Desloges pourrait être classée parmi les cadres supérieurs ou les professions libérales.
Faisons avec elle l’état des lieux occupés par ses membres… Les deux enfants, étudiants l’un en province, l’autre en échange international,
occupent chacun un studio de 25m2. Les parents ont conservé le pavillon en banlieue ouest où les enfants ont grandi et où ils sont heureux
de revenir : 180m2. L’hiver,on se partage l’occupation du studio de La Plagne : 30m2. Madame Martin a hérité de ses parents un pied à terre
en Bourgogne que le couple ne s’est pas résigné à vendre, car les week-ends y sont agréables : 100m2. Quant aux parents de Monsieur, ils
occupent un appartement dans une commune de la couronne : 120m2.
Sur les trois générations, et pour six occupants, la famille Martin-Desloges totalise 480m2, soit 80m2en moyenne par personne...
La préférence pour l’espace
Tous les ménages ne sont pas logés à même enseigne que les Martin-
Desloges, car tous n’ont pas les moyens de conserver ou d’occuper
un tel espace :si la surface moyenne par personne a beaucoup augmenté
ces vingt dernières années (+6 m2),elle n’excède pas 37 m2.Le cas des
Martin-Desloges illustre cependant un phénomène sociologique et
économique de dimension « micro » et « macro ».L’espace habitable
participe de ces besoins fortement contraints par le revenu disponible
des ménages : tout relâchement de cette contrainte libère la quête de
l’espace. Dès que le revenu disponible atteint un niveau qui permet de
constituer une épargne confortable, celle-ci est spontanément orientée
vers l’immobilier. Quand le revenu d’un ménage augmente, la part
consacrée aux biens d’équipement augmente aussi.
La tendance se vérifie aussi à l’échelle macro : quand le revenu national
s’élève, la préférence pour le logement suit. Au-delà des mauvaises
conjonctures, la tendance longue est à l’amélioration du niveau de vie
et celle-ci accroît la propension à dépenser pour le logement.Elle est
à la diminution du taux d’occupation : en cinquante ans, celui-ci est
passé de 3,10 à 2,31 personnes par logement.
Part du budget des ménages consacrée au logement (en %)
Année 1965 1975 1985 1995 2005
Logement, chauffage, éclairage 13,6 17,5 20,5 23,1 24,7
Equipement du logement 9,0 8,7 6,9 6,2 5,8
Ensemble 22,6 26,2 27,4 29,3 30,5
Source : INSEE, Comptes nationaux.
IL NE
ME RESTE
PLUS QU’À
TROUVER
UNE FEMME
ET DES
ENFANTS…
Appartements : du rêve à la réalité
« Un bon logement est un grand logement » :la formule de Jean Nouvel
fait l’unanimité. Pendant la seconde moitié du 20ème siècle, tandis que
le logement gagne en confort, la surface moyenne des habitations a
globalement augmenté et le logement moyen a gagné une pièce (il en
comporte quatre aujourd’hui). Certes, la superficie varie en fonction
du statut d’occupation et du type d’immeuble : si la surface moyenne
des logements a globalement atteint 90 m2, elle est de 106,5 m2pour les
propriétaires et inférieure à 70 m2dans le parc locatif. De même, tandis
que les propriétaires disposent de 114 m2en maison individuelle et
de 77 m2en appartement, les locataires se contentent respectivement
de 86 et 62 m2et de 68,5 m2et 56,4 m2lorsqu’ils résident en HLM.
Surface moyenne des logements en 2002 selon la période
de construction
En m2Individuel Collectif Ensemble
Jusqu’en 1948 107,5 60,5 91,0
De 1949 à 1974 102,8 68,3 82,6
De 1975 à 1981 112,9 68,3 95,3
De 1982 à 1992 110,9 64,8 95,3
De 1993 à 1996 119,2 59,9 90,6
De 1997 à 2001 114,4 60,5 94,0
Ensemble 108,3 65,2 89,6
Source : Jacquot (2006), Données sociales. La société française
Cependant, les programmes les plus récents de la promotion immobilière
privée s’inscrivent en contradiction avec cette tendance séculaire à
l’agrandissement de l’habitat. Avec leurs 50m2, les T3 ont perdu pas
moins de 10 m2, parfois davantage.
La tendance à comprimer les surfaces des appartements n’empêche pas
de reproduire des plans conventionnels, à ceci près qu’elle conduit à
sacrifier des espaces tels que l’entrée et le couloir.C’est le renversement
d’une évolution historique qui a conduit à la spécialisation des espaces
domestiques, afin de répondre à l’évolution des relations familiales et
sociales ainsi qu’à la quête de l’intimité. La suppression des dégagements
ou des espaces de distribution afin de réduire les surfaces marque un
retour au mélange des genres.En particulier, le statut de la pièce commune
se banalise en un lieu de passage :on y entre directement,on la traverse
pour rejoindre les chambres et on y installe la cuisine « américaine » :
entre espace de circulation, entrée, living,cuisine et salle à manger, le
séjour nouveau est-il arrivé ?
L’organisation de l’espace
En France, les logements se structurent traditionnellement autour de la
double partition jour-nuit et public-privé. Celle-ci distingue l’entrée,
le séjour et la cuisine d’un côté, les chambres et la salle de bains de
l’autre. Cette typologie est encore d’actualité mais survivra-t-elle aux
tendances les plus récentes ? Et quelle en est la réalité aujourd’hui ?
Pour mieux l’approcher, une visite permet de confronter l’état de
chacune des pièces avec la perspective de son évolution.
• Le séjour. Carrefour de la maison,le salon accueille de nombreuses
activités.Le mobilier y organise donc des zones distinctes :en formant
des limites,des pleins et des vides,il construit une seconde architecture.
Mais à y regarder de près, les espaces spécialisés qui structurent le
séjour (coin télé, coin hi-fi, bibliothèque, repas) sont détournés en
permanence : « les enfants travaillent sur la table à manger, les
parents s’assoient par terre » remarquent le consultant marketing
Jean-François Magescas (Bellanger 2000).Et la diversité des activités
qui se déploient dans le salon le dessert parfois. « Le salon est un
espace bruyant où il se passe trop de choses » écrit la sociologue
Monique Eleb.Ce qui pousse chacun à s’isoler. Pour l’architecte Yves
Jaeglé, « la disposition classique, avec un grand séjour autour duquel
s’organise toute la vie de la maisonnée, au détriment des autres pièces,
a vécu ».Et le designer Philippe Starck de conclure à la mort du salon,
cet espace « issu de traditions obsolètes et de rapports sociaux datant
du XIXe siècle ».
Ces observations promettent au séjour d’être dépassé et en particulier,
supplanté par la cuisine comme pièce à vivre et par les chambres
comme espace de retrait.Mais les sondages d’opinion les contredisent,
en réaffirmant l’importance de cette pièce aux yeux des habitants.
C’est la pièce pour laquelle les Français sont le moins prêts à consentir
un sacrifice de surface. Après une longue période où les fonctions
du salon-salle à manger étaient confondues au sein d’une seule pièce,
la tendance actuelle va même vers une séparation de ces fonctions
et distingue les parties repas et détente, voire télévision. On veut
plus d’espace, toujours plus d’espace.
• La cuisine.Entre espace technique voué à la préparation des repas et
pièce à vivre accueillant aussi bien les membres de la famille que les
proches,la cuisine a changé.Elle empiète sur la fonction du salon mais
n’en a pas tout à fait la vocation. L’entremêlement des fonctions a en
tout cas transformé les apparences.Autrefois objet d’aménagements
standardisés, la cuisine tend aujourd’hui à être de plus en plus
personnalisée : plutôt que d’être meublée par un cuisiniste avec des
éléments uniformes, elle est parée de meubles distincts trouvés ici
ou là et jonchée d’instruments en tout genre auxquels s’ajoutent
Evolution de la population et taux d’occupation
1946 1954 1962 1968 1975 1982 1990 1999 2004
Population 40,5 42,7 46,4 49,7 52,6 54,3 56,6 58,9 60,4
Résidences principales 13,1 13,4 14,6 15,8 17,7 19,6 21,5 23,9 25,3
Taux d’occupation 3,10 3,18 3,19 3,14 2,96 2,76 2,63 2,47 2,31
Source : Piron (2005), « Population et desserrement résidentiel », Document de travail
l’
O
bservateur
de l’immobilier 37
chaînes hi-fi et téléviseurs. Philippe Starck s’en félicite : il la préfère
en épicerie-buvette, plutôt qu’en laboratoire sans fouillis, ni salissures.
Cependant, la cuisine reste avant tout un espace dédié au repas et
à sa préparation. Les nouvelles habitudes alimentaires (grignotage,
déstructuration des menus, livraisons, etc.) n’y changeront rien, prédit
François Bellanger, en rappelant que ce sont les mêmes franges de
la population qui utilisent les surgelés la semaine et passent des
heures à cuisiner le week-end. Les ménages continuent de vouloir
manger dans leur cuisine. Cette pièce aussi veut grandir.
• La chambre. Elle reste essentiellement vouée au repos mais tend
à accueillir de nouvelles activités : travail, télévision, musique,
gymnastique… Le phénomène touche les jeunes qui, depuis longtemps,
ont fait de leur chambre un espace à la fois de travail,de détente et
de convivialité,mais il concerne aussi les parents aujourd’hui.Pour ces
derniers,la chambre est devenue une bulle,un sas.Elle est aussi la pièce
la plus intime du logement et en ceci, un espace fermé non seulement
à la vue mais aussi à l’ouïe. Cette évolution rappelle que le souhait
des ménages,lorsque cela est possible,est que la chambre des parents
soit éloignée de celle des enfants. La valorisation de l’autonomie de
chacun des membres du foyer et la complexification des configurations
familiales expliquent cette attente. Leur conséquence est la construction
d’un univers parental formant une maison dans la maison avec sa
chambre, son dressing et sa salle de bains.
Mais ces pratiques trouvent leur limite dans la petite taille de beaucoup
de chambres, avec leurs dix m2,les chambres constituent un espace
limité et la tendance n’est pas à leur extension. Il faut dire que lorsque
les gens rentrent dans leur chambre, c’est tout de même neuf fois
sur dix pour s’allonger.D’ailleurs, ont-ils vraiment envie d’y travailler
et de voir leur ordinateur au réveil ?
• La salle de bain. En harmonie avec le culte de l’épanouissement
personnel et du bien-être corporel, la salle de bains aussi est susceptible
d’embrasser de nouvelles fonctions. Les professionnels notent un
surinvestissement de cette pièce qui, de lieu de passage, semble
devenir un lieu de soins, une sorte de boudoir dont l’aménagement
fait l’objet de la même attention que l’on a accordée à la cuisine
dans les années 1970. Certains anticipent que la salle de bains, en
tant qu’espace dédié au corps, pourrait évoluer vers une sorte de
mini salle de sport avec espalier mais aussi jacuzzi et sauna.D’autres
au contraire rappellent que les tentatives de commercialiser ce type
d’équipement ont été vaines.
L’aspiration à faire de la salle de bains une « salle de bien » exprime
les inclinations contemporaines à l’hédonisme. Mais là encore, les
surfaces sont réduites, les fenêtres font souvent défaut, l’espace ne
manque pas d’être encombré par le linge en l’absence de buanderie…
et les usages persistent, qui promettent que la salle de bains restera
le simple endroit où l’on se lave, on se parfume et on se pèse...
Le poids des traditions…
En matière d’aménagement,tandis que des projections promettent de
profondes transformations,le dessin des logements accuse un certain
décalage avec les changements de comportements. Certes, on y
observe des évolutions comme, par exemple, l’apparition de coins
bureau en réponse à la diffusion rapide de l’outil informatique et au
travail à domicile, mais celles-ci sont timides et le plan des logements
reste conventionnel.
Les cuisines s’ouvrent bien,mais le principe n’est pas nouveau :à l’aube
des années 1950 déjà, Le Corbusier ouvrait les cuisines sur les séjours
de sa Cité radieuse à Marseille tout en les filtrant avec un passe-plat.
L’expérience a été renouvelée maintes fois jusqu’à constituer un
motif récurrent quoique décliné sous des formes diverses : après le
passe-plat ont suivi le bar, la demi-cloison privée de porte, la cloison
vitrée à mi-hauteur, la cloison percée d’une imposte vitrée, la boîte
transparente, la porte coulissante etc. La cuisine ouverte a du succès car
elle associe la souplesse et la convivialité.Mais la délimitation des fonctions
spatiales requiert leur fermeture. Les maîtres d’ouvrage l’ont bien
compris qui limitent l‘ouverture à l’installation de portes coulissantes.
Quant à la salle de bains,les usages du corps nu en font un espace aussi
clos que celui des toilettes. Les dispositifs expérimentés par l’architecte
Yves Lion au début des années 1990 à Villejuif et à Champs-sur-Marne
en révèlent la complexité : face à la suppression de la salle de bains
commune au profit de salles d’eau ouvertes et placées dans chaque
chambre, de nombreux chassés-croisés ont été observés ; les parents
utilisent la douche de leurs enfants tandis que les seconds viennent
prendre leur bain dans la baignoire installée dans la chambre-bain des
premiers. Le dispositif donne leur autonomie aux adolescents mais
lorsqu’il est utilisé par deux adultes ou deux enfants partageant la même
chambre,il bute sur les exigences de la pudeur. Il se heurte également
au partage des accessoires de toilette (serviettes, gants, brosses à
cheveux, etc.) dont les chassés-croisés perturbent le respect, ainsi
qu’à l’intimité des chambres dont la traversée ne peut être contournée
en présence d’invités pour avoir accès aux salles de bain.Yves Lion en
viendra à fermer les salles de bains tout en continuant de les inclure
dans le domaine des chambres.
Les usages du logement s’inscrivent dans des traditions qui se transforment
très lentement. Aujourd’hui, les signes précurseurs n’ont pas raison
des habitudes.Mais l’obstacle à l’innovation architecturale se situe d’abord
dans le coût du logement. La qualité de vie apportée par le logement
tient pour beaucoup à sa localisation et à son environnement immédiat,
pas à son organisation intérieure dont plus de neuf Français sur dix se
déclarent satisfaits.Leurs attentes n’étonnent plus,tant elles évoquent
des classiques : les ménages veulent une cuisine permettant de prendre
ses repas, des espaces de rangement, un local pour le linge, une pièce
réservée au travail, une salle de bains plus grande... en somme, plus
d’espace, encore plus d’espace.
Le prix et l’emplacement sont d’autant plus déterminants que la hausse
des prix de l’immobilier rend insupportable tout surcoût associé à des
dispositifs innovants. Le coût est la première limite aux investissements
qualitatifs.Alors que la « haute qualité environnementale » (HQE) procure
un bénéfice à long terme avéré (économies d’entretien, de charges,
d’électricité et de gaz), elle représente une dépense supplémentaire
volontiers fustigée au regard d’un niveau de prix déjà élevé.
>LA CONQUÊTE DE L’ESPACE
38
Les attentes d’ici à 2020 exprimées dans l’opinion
Question : en pensant aux évolutions de votre logement d’ici à 2020, chacune des évolutions suivantes vous paraîtrait-elle très, plutôt, plutôt pas
ou pas du tout importante ?
Très Plutôt S/T Plutôt pas Pas du tout S/T pas NSP Total
important important important important important important
Un jardin de plein pied
ou un jardin sur votre terrasse 38 37 75 10 15 25 -- 100
Une pièce réservée au travail 30 37 67 16 16 35 1 100
Un dressing (pour ranger les vêtements) 28 38 66 17 16 33 1 100
Une cuisine plus grande 26 37 63 20 16 36 1 100
Un salon plus grand 23 39 62 20 17 37 1 100
Une salle de bain plus grande 25 36 61 21 17 38 1 100
Des pièces modulables (dont on peut modifier
les superficies selon l’évolution de la famille) 22 33 55 22 22 44 1 100
Une cheminée 20 30 50 24 26 50 -- 100
Une plus grande hauteur de plafond 6 10 16 34 49 83 1 100
Source : Ipsos, Le Moniteur, 1999 (Felzines 2005)
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Les vecteurs de l’amélioration du logement dans l’opinion
Question : dans cette liste, quels sont les trois éléments à améliorer en priorité,pour vous offrir une meilleurs qualité de vie ?
% Rang
L’environnement, le quartier 43 1
Le coût du logement (loyer, prix d’achat) 35 2
La proximité de commerces 26 3
Le dynamisme de la région 26 3
Les moyens de transport pour les trajets quotidiens 24 5
Le logement (taille, confort, disposition) 23 6
La proximité de votre lieu de travail ou celui de votre conjoint 16 7
La proximité de votre famille ou de vos amis 16 7
La proximité d’écoles 14 9
Les moyens de transports nationaux pour de grands trajets 8 10
La valeur patrimoniale potentielle de votre logement 8 11
Sans opinion 6--
Source : Sofres pour l’association Habitat et humanisme et La Croix, 2005 (Felzines 2005)
Les critères de satisfaction dans l’opinion
Question : en ce qui concerne votre logement, êtes-vous plutôt satisfait ou plutôt mécontent de chacun des domaines suivants ?
Plutôt satisfait Plutôt mécontent Total
Son confort 93 7 100
Son organisation intérieure (plan, distribution) 91 9 100
Sa localisation (emplacement, quartier) 89 11 100
Sa taille (surface, nombre de pièces) 88 12 100
Sa sécurité contre le vol 75 23 100 (2 NSP)
Son isolation sonore et acoustique 73 27 100
Source : Ipsos, Le Moniteur, 1999 (Felzines 2005)
39
La maison individuelle :
l’espace, toujours l’espace
L’aspiration à la maison individuelle ne se dément pas. Entre 1984 et
2004,le nombre de résidences principales individuelles a augmenté de
29%, contre 24% pour les logements collectifs.
Résidences principales : « l’individuel » toujours attractif
Ménages 1984 1994 2004
Total 20 407 22 982 25 913
Individuel 11 227 12 927 14 538
Collectif 9 179 10 054 11 375
En % 1984 1994 2004
Individuel 55,0% 56,2% 56,1%
Collectif 45,0% 43,7% 43,9%
Source : INSEE.
La taille moyenne des maisons individuelles, qui atteint presque le
double des appartements en immeuble collectif (115m2contre 63m)
suffirait à expliquer le succès des premières. Mais la maison est plus
qu’un vaste logement.
La maison individuelle est la plus flexible. Pour l’adapter à la configuration
de leur famille, ses occupants ne manquent pas d’accroître sa surface
habitable en gagnant sur la cave, les combles, le jardin ou le garage.
L’agrandissement vise à ajouter des chambres supplémentaires mais il
ne s’agit pas tant d’attribuer une chambre à chacun que d’éclater les
espaces de vie jusqu’alors concentrés dans le séjour.Il répond à une
diversification et une individualisation des activités.
Ainsi, la maison individuelle constitue un espace moins contraint que celui
de l’appartement et apporte plus de jeu à sa perpétuelle réappropriation.
La maison individuelle offre un champ d’expérimentations nombreuses
à l’ardeur transformatrice des familles !
En favorisant sa propre élaboration par l’habitation,la maison individuelle
offre également plus de possibilités dans la construction de ces sas qui
distinguent l’extérieur et l’intérieur, le public et le privé.Après la clôture
plus ou moins légère qui sépare et cache, toute une série d’espaces
de transition viennent en appui aux stratégies dont les relations sociales
sont l’objet : le seuil de la maison, l’entrée, le salon, etc. sont autant
de paliers dont le franchissement progressif renseigne sur la nature
de la relation. La maison individuelle constitue le lieu par excellence
de l’intimité domestique, mais elle s’ouvre aussi à des personnes qui
ne font pas partie du foyer. Elle n’est pas le signe d’un individualisme
exacerbé mais d’une sociabilité choisie.
Enfin, la maison individuelle répond aussi au besoin d’environnement
exprimé par les Français. Son jardin,même petit,est le lieu de tous les
investissements.Il est un prolongement de l’espace intérieur du logement
mais aussi une évocation de la nature à laquelle tous disent aspirer.
L’augmentation des dépenses que son aménagement engendre le
prouve : elles augmentent deux fois plus que la croissance de la
consommation totale des ménages.
Ce type d’habitat optimise l’arbitrage entre la qualité de vie et le coût
du logement. Il remplira encore longtemps cette fonction. En même
temps, les comportements semblent marquer des inflexions. D’abord
parce que l’étalement urbain engendre des coûts individuels et collectifs
croissants. Ensuite parce que l’investissement patrimonial et affectif
dans la maison individuelle évolue.
Si la maison individuelle n’a rien perdu de son attractivité, elle paraît
moins sacralisée et moins investie d’un projet définitif. L’idée d’un
retour en logement collectif urbain traverse non seulement l’esprit
mais les pratiques de ménages avant même d’atteindre l’âge des
seniors. Et la fréquence plus grande des recompositions familiales
banalise la mobilité résidentielle. Le choix de la maison individuelle est
de moins en moins un billet sans retour.
Toujours plus d’espace : l’adage s’applique à un ménage comme à une
population, quand son niveau de vie s’améliore. Plus de m2par personne,
plus de maisons par ménage. La croissance démographique et l’élévation
du niveau de vie moyen induisent naturellement une hausse durable du
prix du m2.
>LA CONQUÊTE DE L’ESPACE
40
L’entre-soi ou l’illusion
perdue de la mixité
a quête d’entre-soi est une
donnée sociale permanente.
Depuis la première Révolution
industrielle, elle a abouti à une
distinction croissante entre quartiers
bourgeois et quartiers populaires.
Mais le processus n’est pas linéaire
et les frontières géo-sociales ne
cessent de bouger. L’évolution
de la stratification sociale a induit
une diversification de l’entre-soi
résidentiel. Selon la logique du
« qui se ressemble s’assemble »,
la dynamique de conquête d’un
quartier par une nouvelle catégorie
sociale peut aller jusqu’à l’éviction
des populations d’origine. Pour ces
dernières, qui doivent quitter les
villes-centres pour le périurbain,
il s’agit plutôt d’un « entre-soi
contraint ». Il en va de même pour
les ménages « captifs » des cités HLM
des banlieues ou du parc social de fait
des centres-villes.
L’ancrage résidentiel est un vecteur
d’identité qui fournit au ménage un
cadre stable et l’entre-soi participe
à cette construction identitaire.
Avoir un voisinage qui partage certaines
caractéristiques socioprofessionnelles
et un mode de vie,permet de renforcer
le sentiment d’appartenance sociale et
d’affirmer son statut en se distinguant
des autres couches sociales. En outre,
la perspective de se retrouver avec
des personnes de même position
sociale est porteuse de relations
de sociabilité privilégiées, notamment
entre les enfants.A cela s’ajoute l’attrait
symbolique de la « bonne adresse ».
41
L
La spécialisation de l’espace urbain résulte de stratégies individuelles et de processus
collectifs de localisation :
• L’augmentation de la population des cadres et des classes moyennes s’est accompa-
gnée de la multiplication des lieux de l’entre-soi ;
• L’entre-soi est recherché pour lui-même à travers le choix d’un quartier socialement
homogène, d’une résidence sécurisée ou d’un lotissement gardé ;
• L’entre-soi peut également être le produit non voulu de la gentrification de quartiers
populaires.
Les disparités d’attraction selon les quartiers suscitent des comportements sélectifs de
la part des ménages :
• Consécutivement à la désindustrialisation et à la montée de l’économie tertiaire, les
centres-villes sont devenus socialement plus homogènes, à de rares exceptions
comme Marseille ;
• Les ménages « populaires » tendent à déserter les centres, se diluant en lointaine
périphérie ou dans le rural. En première approche, l’opposition entre le centre et la
périphérie rend compte de la fragmentation urbaine et sociale. Mais dans le détail,
tous les espaces urbains offrent des situations contrastées.
AVEC LA VUE
QUE J’AI DE
MA TERRASSE…
ON PEUT DIRE
QUE LA MIXITÉ
SOCIALE…
C’EST MON
QUOTIDIEN !
De la sécurisation au concept
de la résidence fermée
Si l’aspiration à vivre au milieu de ses semblables reste toujours
déterminante, le goût de l’entre-soi est aujourd’hui très largement lié
à la recherche de la sécurité.La montée des formes et des sentiments
d’insécurité nourrit les aspirations à la sécurisation de l’habitat. Dans
les villes, en deux décennies, les digicodes,les interphones, les portes
blindées et les caméras se sont généralisés tandis que les services de
gardiennage commencent à refaire leur apparition. On pénètre ici
dans le monde des résidences fermées.
L’avenir des résidences fermées et du modèle
des « Gated communities »
Une étape a été franchie avec le développement des « gated communities »
ou ensembles résidentiels fermés et sécurisés,parfois fustigés comme les
« ghettos de riches ».Véritables enclaves dans la ville, ces résidences
fermées nées aux Etats-Unis se diffusent dans le monde sous des formes
variées : immeubles dans les villes denses, « clubs périurbains » ou
lotissements sécurisés.
En France,le phénomène est localisé et prend plutôt la forme d’immeubles
collectifs de petite taille.La résidence collective close sous vidéo-surveillance
a fait la notoriété d’un promoteur comme Monné-Decroix dans la région
toulousaine. Refermées sur elles-mêmes, ces résidences comprenant
un espace paysager intérieur, voire une piscine ou un court de tennis
attirent les cadres qui,happés par le dynamisme de la région,trouvent
en ces programmes une réponse immédiate à leurs attentes de confort
et d’entre-soi.
Au Sud de la France, mais aussi en Ile-de-France, le succès des résidences
et lotissements clos est corrélé à la montée des sentiments d’insécurité
mais tient aussi à une demande de « tranquillité ». Les ménages qui
élisent résidence dans ces ensembles aspirent à un contrôle minimal du
quartier et des espaces communs. Dans une société qui s’est diversifiée
socialement, qui vante les vertus de la mobilité et qui cultive l’instabilité
professionnelle et familiale, l’habitat devient un refuge.
L’attrait des services : les « gated communities » pour seniors
Une étude internationale des « gated communities » pour seniors
(lotissements de maisons ou résidences, en location ou en acquisition)
réalisée en 2004 par Bouygues Immobilier, souligne l’attrait qu’exerce
l’offre de services et d’activités auprès des seniors, même si ce type
d’habitat ne s’est pas ancré en France. Outre un haut niveau de sécurité,
ces résidences fermées disposent d’équipements de proximité (golf,tennis,
country-club, piscine, clubs d’activités sportives et culturelles,restaurants,
centre médical) et proposent de nombreux services (surveillance,
jardinage, assistance à domicile). Certaines « gated communities »
sont de véritables villes dans la ville avec leurs propres hôpitaux, églises,
police, supermarchés.La plus grande d’entre elles,« Sun City » à Phoenix
(Etats-Unis), comprend 40 000 habitants ! La taille moyenne en Europe
est 100 à 150 lots contre 500 à 1 000 lots aux Etats-Unis.
Dans leurs argumentaires de vente,les promoteurs mettent en avant la
possibilité d’avoir un style de vie actif dans un contexte de confort et de
sécurité, de combiner l’indépendance du logement avec la socialisation
dans une communauté de pairs.Les promoteurs ne vendent pas seulement
des logements, mais aussi un mode de vie.
Le principe de fermeture allié à la recherche de l’entre-soi conduit à
la création de « clubs privés » en rupture avec l’espace urbain et opérant
une privatisation rampante de l’espace public. Les « gated communities »,
en particulier celles pour seniors, retrouvent l’esprit des clubs fermés,
dont les clubs anglo-saxons de notables ou les clubs sportifs « select »
créés à la fin du 19esiècle ont été les précurseurs avec leur principe
du parrainage et leurs cotisations élevées.
De l’entre-soi à l’action contestaire : le « NIMBY »
L'entre-soi ne se limite pas à la recherche d’un voisinage constitué de
personnes du même milieu social. La conscience d’avoir des intérêts
communs à défendre est de nature à transformer l’entre-soi en
mobilisation collective. La défense de la tranquillité et de l’intégrité de
l’environnement immédiat des riverains est la cause principale de ces
mobilisations contestataires. Là encore, on a pu observer les prémices
de ces mobilisations locales aux Etats-Unis, d’où provient l’expression
« NIMBY » : « Not In My Back Yard ».Autrement dit, pas question de
construire des logements sociaux, une voie rapide ou une déchetterie
au bout de ma cour ou de mon jardin !
Ce type de mobilisation n’est pas nouveau en France.L’achèvement
de l’autoroute A14 passant sous la forêt de Saint-Germain a été retardé
de trente ans,notamment du fait de l’action d’associations écologiques.
La construction de la fameuse radiale Vercingétorix, l’autoroute devant
relier le sud de la région parisienne au grand centre d’affaires alors en
projet autour de la gare Montparnasse, a finalement été abandonnée
à la suite de la levée de boucliers qu’elle a suscitée auprès des riverains.
Ces mobilisations sont aujourd’hui en forte augmentation. D’où des
conflits d’aménagement qui font obstacle aux projets des pouvoirs
publics ou à ceux des promoteurs. A la frontière de la démocratie
participative et du lobbying,le « NIMBY » constitue un contre-pouvoir
que les élus locaux ne peuvent plus ignorer.
On note à Lyon,par exemple,aussi bien des mobilisations de quartier
contre les nuisances des restaurants, bars et discothèques, que des
actions de plus grande envergure contre l’extension de l’aéroport
Saint-Exupéry, ou encore contre la construction d’une autoroute
contournant l’agglomération lyonnaise à l’Ouest. Dans les six
agglomérations enquêtées,on retrouve un même front du refus envers
des programmes visant à densifier l’habitat, ou à implanter des HLM.
>L’ENTRE-SOI OU L’ILLUSION PERDUE DE LA MIXITÉ
42
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Gentrification et embourgeoisement
des quartiers anciens
La gentrification participe à ce mouvement général d’embourgeoisement
des villes-centres,mais elle s’en distingue.Le processus de gentrification
s’opère dans des quartiers populaires anciens dont le parc de logements
est souvent en mauvais état. Les acteurs à l’origine de ce processus
ont des caractéristiques différentes de la bourgeoisie traditionnelle.
Le terme de gentrification est apparu dans les années 1960 pour rendre
compte du retour dans les quartiers anciens au centre de Londres de
ménages des classes moyennes venus de la périphérie. Depuis les
années 1980, le phénomène se traduit en France par l’arrivée en
nombre de jeunes cadres et de professions intellectuelles dans les
quartiers anciens de la plupart des centres-villes. La gentrification
s’inscrit dans un contexte socioculturel favorable à la revalorisation
du patrimoine architectural. Contrairement aux années 1950 à 1970,
l’idéologie moderniste ne dicte plus de manière exclusive sa loi sur
l’habitat et l’urbanisme. Il n’est plus question de faire table rase des
quartiers anciens pour construire des immeubles révolutionnaires,
des gratte-ciel ou des voies d’accès. En y multipliant les opérations de
réhabilitation,les pouvoirs publics agissent dans le sens de la valorisation
des centres historiques. Cette politique rencontre les attentes des
résidents sensibles à la qualité architecturale du bâti, au charme de
l’habitat ancien et à l’animation d’un « quartier-village ».
Portrait des bobos
Le thème de la gentrification a émergé dans les médias avec la figure
du « bobo », contraction des termes « bourgeois » et « bohème ».Mais
qui sont les bobos ?
• Ils appartiennent aux professions intermédiaires et aux professions
intellectuelles : architectes,enseignants, journalistes, artistes ou cadres.
Ils sont plutôt jeunes et ne disposent pas d’un patrimoine familial
important.
• Ils ne recherchent pas le mode de vie de la bourgeoisie traditionnelle
des quartiers huppés. La dimension culturelle occupe une place
fondamentale dans leur mode de vie.
• Ils valorisent le multiculturalisme et la mixité sociale, se démarquant
ainsi des ménages aisés qui recherchent l’entre-soi.
• Les bobos aspirent à habiter dans un « quartier-village »,ils valorisent
l’habitat ancien, ses qualités architecturales ou son originalité. Ils
investissent leur quartier, sont enclins à « sortir » et à s’impliquer dans
la vie associative.
Les étapes du processus de gentrification
La gentrification d’un quartier repose sur le remplacement de populations
modestes ou pauvres par des vagues successives de groupes sociaux
hétérogènes.Chacune est mue par ses logiques propres,qu’elles soient
culturelles, symboliques, de sociabilité, fonctionnelles, patrimoniales
ou économiques. Les sociologues et urbanistes s’accordent à distinguer
plusieurs étapes dans le processus de gentrification.
• 1ère étape : le déclin du nombre des ouvriers et artisans. Il est
consécutif à la disparition ou au déplacement de certaines activités
hors des villes-centres (désindustrialisation). Ces catégories sont
peu à peu remplacées par des employés. La gentrification s’amorce
véritablement avec l’arrivée ultérieure des « pionniers » (artistes,
étudiants, squatteurs alternatifs) qui s’emploient à la rénovation des
logements qu’ils ont acquis à bas prix, avant même qu’une réhabilitation
ne soit entreprise par les pouvoirs publics à plus large échelle.
• 2eétape : la valorisation du quartier.Parallèlement à la valorisation
de l’habitat, se développent des lieux de socialisation (bars, galeries
d’arts, salles de spectacles, etc.). Les nouveaux habitants, même s’ils
ne restent pas confinés dans leur quartier, font un usage intensif des
ressources du quartier et fréquentent les commerces de proximité
traditionnels.
• 3eétape : l’arrivée des cadres supérieurs.Quand s’intensifie le départ
des ouvriers et des employés qui se reportent sur la banlieue ou les
espaces périurbains, le quartier a alors largement entamé sa phase
de réhabilitation et les prix de l’immobilier ont suivi. Le décalage
entre les habitants historiques du quartier (plus âgés, de milieux
populaires) et le style des nouveaux habitants et des commerces va
en s’accroissant.Le prix et l’exiguïté des logements concernés dans ces
quartiers attirent des célibataires ou des couples sans enfants qui ont
une forte propension à consommer des équipements culturels et
des lieux de sorties qu’offre la proximité du centre-ville.
• 4eétape : parfois, l’embourgeoisement. La gentrification d’un quartier
peut déboucher sur son embourgeoisement, si le quartier est largement
investi par des cadres supérieurs. L’embourgeoisement s’accélère
notamment lorsque le quartier fait l’objet d’opérations immobilières
de standing, de programmes de réaménagement de l’espace public et
de réhabilitation de bâtiments.Au contraire,la mauvaise accessibilité d’un
quartier, la proximité de zones urbaines sensibles, la médiocre qualité
du bâti ou encore la gêne induite par une animation trop bruyante
constituent autant d’obstacles au phénomène d’embourgeoisement.
43
La gentrification à Lyon :un cas d’école
Lyon est devenue la troisième ville la plus chère de France (hors
agglomération parisienne), après Nice et Marseille. Le prix moyen du m2
habitable a triplé entre 1997 et 2005, passant de 995 €à 3 100 €.
L’augmentation des prix a été d’autant plus rapide que ceux-ci ont
« rattrapé » un retard important pour une ville à forte attractivité
économique et démographique. Dans certains quartiers du centre-ville,
la gentrification a également apporté sa contribution à la flambée des
prix. Le « Vieux-Lyon » peut être considéré comme un cas d’école en
matière de gentrification et la transformation du quartier Saint-Georges,
amorcée à la fin des années 1970, en est un bon exemple.
Au début des années 1970,comme le montre Jean-Yves Authier (2003),
Saint-Georges était encore un quartier populaire et pauvre, avec un
habitat ancien en état de délabrement. Il a progressivement fait l’objet
d’une reconquête par des vagues successives de ménages jeunes
appartenant aux couches moyennes souvent marginales,parfois aisées.
Aujourd’hui, les acteurs de ce processus,exerçant le plus souvent des
professions intermédiaires et intellectuelles supérieures, se mêlent
aux étudiants et aux retraités,ainsi qu’aux ménages populaires encore
présents. A la différence des quartiers Saint-Jean et Saint-Paul du
Vieux-Lyon qui ont connu un processus analogue, Saint-Georges ne
s’est pas embourgeoisé au point d’avoir une population homogène.
Ce processus, dû aux transformations des composantes sociologiques
de la demande de logement, n’aurait pas vu le jour sans le rôle des
pouvoirs publics. Les quartiers du Vieux-Lyon, datant de la Renaissance,
ont été sauvés de la démolition par la loi Malraux de 1962. Ils ont à
ce titre bénéficié d’interventions des pouvoirs publics et de l’ANAH
à travers des OPAH (Opérations Programmées d’Amélioration de
l’Habitat). Ces opérations de réhabilitation de quartiers initialement
vétustes ont accéléré leur gentrification jusqu’à renouveler complètement
l’image de ces quartiers.
Embourgeoisement et gentrification de la capitale
La tendance est à l’embourgeoisement de Paris intra muros et de
certaines communes de la première couronne.La part des ouvriers et
des employés de la capitale est passée de 66 % en 1954 à 35 % en 1999,
tandis que la part des chefs d’entreprise, des cadres et des professions
intermédiaires est montée de 35% à 65%. Dans un contexte général
de recul de l’emploi à Paris,les emplois tertiaires sont passés entre 1962
et 1999 de 1 984 096 à 1 600 815, tandis que les emplois industriels
se sont effondrés de 575 750 à 134 009 ! Depuis le début des années
1960, Paris a perdu 750 000 habitants. Cette évolution s’explique par
des facteurs démographiques et par la baisse de la taille des ménages,
mais aussi par le phénomène d’embourgeoisement entraînant une
montée des prix et un desserrement urbain, les couches aisées étant
plus « consommatrices » d’espace.
Les quartiers les plus riches de la capitale, traditionnellement bourgeois,
restent le 7e, le 8eet le 16e, avec une forte prédominance des cadres
supérieurs. Mais les prix à l’achat et le niveau des loyers sont plus élevés
dans le 6eet le 4earrondissements. Ceux-ci arrivent en tête juste
avant le 16earrondissement.Mises à part quelques différences au sein
du peloton de tête, les prix reflètent bien la hiérarchie des arrondis-
sements selon la richesse de leurs habitants, tout en présentant des
écarts moins forts.
Ressources moyennes des ménages en 2003 et parts HLM
Arrondissements Ressources en % Part de logements(%)
des plafonds HLM HLM-SEM
7e365 0,7
16e328 2,9
8e325 3,7
6e279 2,1
4e205 4,4
1e192 2,2
5e180 3,2
17e169 12,0
3e168 4,1
9e165 2,8
15e154 11,5
2e153 2,5
14e143 10,7
12e130 15,2
11e118 9,3
13e115 16,5
10e111 9,6
18e106 14,4
20e98 27,0
19e97 33,7
Ville de Paris 156 12,9
Île-de-France 121 21,2
France entière 100 15,3
Source : Filocom-ANAH 2003;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
Paris :ressources moyennes des ménages en 2003 et parts HLM
Source : Filocom-ANAH 2003 ; Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
>L’ENTRE-SOI OU L’ILLUSION PERDUE DE LA MIXITÉ
44
0
50
100
150
200
250
300
350
400
7e 16e 8e 6e 4e 1e 5e 17e 3e 9e 15e 2e 14e 12e 11e 13e 10e 18e 20e 19e
Ressources des ména ges en % des plafonds HLM à Paris
l’
O
bservateur
de l’immobilier
Prix et loyers par m2(€) dans les arrondissements parisiens (2005)
Prix des appartements Valeur locative
Arrondissements récents et anciens* dominante
(dominante) (m2/mois)
6e 7 500 22
4e 7 200 21
7e 7 000 21
1er 6 600 20
5e 6 500 19
16e Nord 6 400 19
8e 6 200 19
17e Ouest 6 200 18
3e 6 000 19
2e 5 700 18,5
16e Sud 5 600 18
15e 5 500 17
14e 5 400 16
11e 5 200 16
9e 4 950 17
10e 4 800 14
13e 4 800 16
12e 4 710 17,5
17e Est 4 600 16
18e 4 200 16
20e 4 040 16,5
19e 3 680 17
* Hors biens exceptionnels, valeurs de convenance et situations exceptionnelles.
Source : Crédit Foncier 2006
Source : Crédit Foncier 2006
Part des différentes PCS dans l’ensemble de la population
de 5 arrondissements (en %)
7earr. 15earr. 16earr. 17earr. 19earr.
Agriculteurs exploitants 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0
Artisans, commerçants,
chefs d'entreprise 4,5 2,8 4,9 3,6 2,9
Cadres, professions
intellectuelles supérieures 22,3 23,2 20,0 19,7 11,5
Professions intermédiaires 8,1 12,7 8,0 11,8 12,3
Employés 9,6 11,1 10,2 12,3 15,6
Ouvriers 2,6 3,3 2,7 5,0 8,2
Retraités 17,0 17,0 17,2 15,9 13,7
Sans activité professionnelle 35,9 30,0 37,1 31,5 35,8
Total 100 100 100 100 100
Source : INSEE-APUR, 1999.
L’embourgeoisement de l’Est parisien est en cours. Il a été favorisé par
l’aménagement de nouveaux quartiers comme les anciennes halles au
vin, transformées en quartier Saint-Émilion dans le 12earrondissement.
Avec auparavant la construction du Palais Omnisport et du ministère
des Finances, le quartier Bercy a totalement changé de visage. Sa
population de cadres et professions intellectuelles supérieures est
passée de 680 à 2 412 personnes entre 1982 et 1999. Leur part dans
la population a doublé, pour atteindre 16,9 %. Sur l’autre rive de la
Seine, le 13earrondissement bénéficie de l’achèvement de la ZAC
Tolbiac.On y observe également une diminution de la part des
couches populaires au profit des cadres et professions intellectuelles,
même si cette évolution est moins prononcée qu’à Bercy.
45
Paris, quartier de Bercy (12e) :
évolution socioprofessionnelle (en %)
PCS 1982 1999
Agriculteurs exploitants 0,1 0,0
Artisans, commerçants et chefs d'entreprise 2,8 2,1
Cadres et professions intellectuelles supérieures 8,2 16,9
Professions intermédiaires 9,9 15,1
Employés 21,4 15,3
Ouvriers 11,5 6,3
Retraités 14,3 9,2
Autres personnes sans activité professionnelle 31,7 35,0
Total 100,0 100,0
Source : INSEE-APUR, 1999.
Paris, quartier de la gare d’Austerlitz (13e) :
évolution socioprofessionnelle (en %)
PCS 1982 1999
Agriculteurs exploitants 0,0 0,0
Artisans, commerçants et chefs d'entreprise 2,1 2,1
Cadres et professions intellectuelles supérieures 9,0 12,8
Professions intermédiaires 11,0 13,4
Employés 18,2 16,9
Ouvriers 11,3 7,8
Retraités 10,3 14,1
Autres personnes sans activité professionnelle 38,2 32,9
Total 100 100
Source : INSEE-APUR
Mais le meilleur exemple de gentrification est celui du quartier de la
Bastille, encore à majorité ouvrière dans les années 1950. Peu à peu,
la composition sociale s’est modifiée au profit des employés et bientôt
des retraités, avec le vieillissement de la population. Pionniers de la
gentrification de ce quartier, les étudiants et les artistes ont contribué
au renouvellement des commerces (restaurants, bars, galeries d’art)
et au rajeunissement de la population.Une deuxième vague correspond
à l’arrivée des classes supérieures,avec des personnes travaillant dans
le tertiaire, et des professions intellectuelles. L’évolution du quartier
a finalement progressivement conduit à son embourgeoisement,tandis
que la gentrification se poursuit au nord,le long du canal Saint-Martin.
L’évolution des catégories socioprofessionnelles
du quartier de La Bastille entre 1982 et 1999 (en %)
Le 20earrondissement connaît des évolutions similaires. Il attire des
ménages jeunes appartenant aux couches moyennes-supérieures,
notamment grâce à ses maisons ouvrières du 19esiècle et au charme
de certaines rues anciennes. Mais la moindre centralité du quartier et
surtout la part importante de logements sociaux (34 % contre 11 % dans
le 11e) sont de nature à dissuader l’arrivée en nombre de familles aisées
avec enfants et donc à faire obstacle au processus d’embourgeoisement.
C’est aussi le cas de nombreux quartiers de Paris en raison de la qualité
médiocre ou disparate de l’habitat,de la trop petite taille des logements
et de leur relatif inconfort. A Paris, environ 60 % des appartements
sont des studios ou des 2 pièces.La surface habitable moyenne n’est que
de 54,6 m2(43,5 m2dans le 18e!),contre 74 % en moyenne dans les pôles
urbains français. Environ 10% des logements sont encore sans WC
et/ou sans salle de bain à l’intérieur. Enfin, Paris se caractérise aussi
par l’importance de la pauvreté, plus que dans les autres départements
d’Ile-de-France : 12% des Parisiens vivent en dessous du seuil de
pauvreté. Paris intra muros compte neuf zones urbaines sensibles
(ZUS) : principalement dans le 18e,19
eet 20e, mais aussi dans le 10e,11
e
et le 17earrondissement.
Surface habitable moyenne des villes-centres en 2003
Surface (m2)
Paris 54,6
Lyon 66,3
Marseille 64,7
Lille 60,8
Toulouse 63,6
Nancy 64,8
Moyennes des pôles urbains français 74,0
France entière 81,4
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
>L’ENTRE-SOI OU L’ILLUSION PERDUE DE LA MIXITÉ
46
l’
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de l’immobilier
A Lille : des situations contrastées
Dans les années 1970, le Vieux-Lille,alors très délabré, accueillait une
population essentiellement composée de ménages modestes ou
pauvres, de personnes âgées et d’immigrés. Depuis, il a connu un net
embourgeoisement. Le facteur déterminant a été, à la fin des années
1970, l’importante opération de rénovation urbaine impulsée par la
ville. La loi a permis de protéger ce quartier qui s’est gentrifié avant
de réellement s’embourgeoiser, comme en témoignent la rue de la
Monnaie et la rue Royale avec leurs magasins chics, leurs bistrots
branchés et leurs galeries d’art.
Aujourd’hui,on entrevoit une amorce de gentrification dans les quartiers
de Wazemmes et de Moulin,au sud du Vieux-Lille. Mais le processus reste
lent et incertain malgré des politiques volontaristes de renouvellement
urbain et l’installation de la faculté de Droit de Lille 2 à Moulin. Ces
deux quartiers pâtissent encore d’une mauvaise réputation et de la
présence d’un quartier sensible (Lille-Sud) de l’autre côté de la ligne
aérienne de métro.Si à Wazemmes et à Moulin les prix sont tirés vers le
haut,c’est donc surtout en raison de la présence de nombreux étudiants
de l’Université catholique. La gentrification se limite quant à elle aux
« courées », anciens logements ouvriers rénovés pour des étudiants
ou achetées par des jeunes ménages des classes moyennes.
Les limites de l’embourgeoisement programmé :
l’exemple de la rue de la République à Marseille
A Marseille, les couches supérieures ont déserté le centre-ville au
profit de la périphérie et d’Aix-en-Provence. Les experts interrogés
n’observent pas pour le moment de phénomène de gentrification des
quartiers anciens de Marseille.Le parc assez vétuste y accueille
principalement des populations pauvres, souvent immigrées. Toute
opération de réhabilitation d’envergure posera le problème du
relogement de ces populations. Le cas du quartier du Panier (2ème),
proche du Vieux-Port, illustre l’échec d’une gentrification programmée.
La requalification du cadre de vie n’a pas eu les effets escomptés.
L’accompagnement de la population en place n’a pas été effectué et
les confrontations entre les différentes générations d’occupants ont
incité certains parmi les plus récents à repartir.
Mais c’est la transformation en cours de la rue de la République, située
entre le Vieux-Port de Marseille et la zone Euroméditerranée, qui
attire le plus l’attention à Marseille. Les deux propriétaires-bailleurs
des immeubles haussmanniens de la rue ont fait le pari d’en transformer
le peuplement à travers une politique de réhabilitation et de vente à la
découpe, mais beaucoup de professionnels restent dubitatifs sur les
chances de succès de cette entreprise. Les prix à la vente et à la location
sont selon eux trop élevés. Les appartements sont mal distribués,
avec de grands couloirs et des chambres petites qui donnent sur des
puits de lumière plutôt que sur de véritables cours intérieures.Les T3
atteignent la surface de 100 m2et les alentours de la rue ne sont pas
au niveau de qualité de cette belle avenue. Il faudra beaucoup de
temps pour les requalifier.
L’histoire semble se répéter puisque déjà à l’époque d’Haussmann, la
bourgeoisie locale avait dédaigné d’habiter cette avenue construite
spécialement pour elle. L’échec financier avait été cuisant pour la
Compagnie Immobilière, propriétaire des immeubles. Par la suite, la
vocation de la rue de la République a été d’accueillir les habitants en
ascension sociale et provenant des quartiers pauvres de Marseille,
notamment du Panier.Avant l’opération de réhabilitation, la rue de la
République constituait un parc social de fait important. Pour l’avenir,
le scénario le plus probable est celui de l’achat des appartements restants
par des particuliers investisseurs.La proximité d’Euroméditerranée et
du Vieux-Port, la présence du métro et d’un tramway (en construction),
ainsi que le développement à venir de commerces de standing plaident
dans ce sens. Si l’embourgeoisement se fait, ce sera moins par des
Marseillais aisés, que par des cadres arrivant à Marseille et cherchant
à louer.
A l’échelle d’un quartier, le processus de gentrification crée de la mixité
sociale dans un premier temps. Les nouveaux arrivants des classes
moyennes cohabitent avec les ouvriers, les employés, les artisans et les
retraités présents de longue date.
A l’échelle des villes-centres, les processus de gentrification, voire
d’embourgeoisement accompagnent et accélèrent l’hémorragie des
classes modestes et moyennes. Il en résulte une augmentation globale
des disparités avec une prédominance des deux extrémités de la
pyramide sociale : d’un côté, les classes moyennes-supérieures et
supérieures des quartiers chics ou embourgeoisés et, de l’autre, les
catégories défavorisées, souvent d’origine immigrée, vivant dans le parc
social de fait, parfois très vétuste.
La gentrification va de pair avec l’amélioration de l’habitat, soit en
l’initiant, soit en se développant à la suite de politiques publiques de
réhabilitation. Il en résulte une valorisation du patrimoine architectural
des quartiers concernés, ainsi que l’arrivée de nouveaux commerces et
le développement de services et d’activités culturelles. Ces évolutions
sont favorables à l’émergence de micro-marchés de l’immobilier. La
montée des prix qui s’ensuit accélère l’éviction des populations initiales,
voire celle des pionniers de la gentrification lorsque celle-ci aboutit à un
embourgeoisement massif du quartier.
47
La spirale
du mal-logement
elon une trajectoire typique des
«Trente glorieuses » (1945-1975),
un jeune ménage débutait par
la location, éventuellement en HLM,
poursuivait par l’achat d’un petit
logement puis d’un pavillon après
l’arrivée des enfants.Aujourd’hui,
l’ascenseur social et résidentiel est
souvent en panne. Dans un contexte
de forte hausse des prix immobiliers
et des loyers,le parcours résidentiel
d’une partie de la population se bloque.
L’insuffisance de la production
de logements accroît les difficultés
des ménages les plus modestes.
Cette situation renforce les déséquilibres
entre les territoires avec l’éviction des
couches populaires des centres-villes
et la concentration de la pauvreté dans
des espaces de plus en plus cloisonnés.
Al’entre-soi choisi, fait écho un entre-soi
subi, celui des exclus du logement,
des ménages pauvres ou modestes
confrontés au mal-logement dans
le parcsocial de fait, et des habitants
des ZUS captifs de leur logement
sociaux et de leurs conditions de vie
dégradées.
Les difficultés actuelles du logement
social doivent être analysées dans
le cadreplus général de blocagede
la chaîne du logement. Le parc social
est saturé et les parcours résidentiels
sont semés d’obstacles conduisant
au mal-logement des plus pauvres.
La promotion de la mixité dans
l’habitat peine à produire ses effets.
2
S
Le logement social a longtemps joué un rôle de promotion résidentielle, permettant à
des ménages modestes d’accéder à des conditions de logement décentes en termes
d’espace, de confort et de localisation. Mais la concentration de difficultés économiques
et sociales sur la population de certains quartiers est à l’origine d’une dégradation des
conditions d’habitat :
•La spirale de la déqualification et de la disqualification s’est enclenchée, en particulier
dans certains grands ensembles HLM dont la conception est aujourd’hui remise en
cause.
•Faute de logements sociaux en nombre suffisant, les populations les plus fragiles se
reportent sur un parc social de fait qui, s’il est en diminution, offre des conditions de
logement trop souvent inférieures aux normes d’un confort minimal.
Tandis que les aspirations à l’espace et à l’autonomie s’épanouissent pour les ménages que
l’amélioration de leur niveau de vie autorise à mieux s’équiper en logement, une partie
de la population vit donc un sentiment de relégation dans un habitat et un environnement
pénalisant de tous les points de vue : scolarité, qualité de vie, sécurité, emploi, etc .
La panne de l’« ascenseur résidentiel »
On n’a jamais construit autant d’habitations neuves depuis 20 ans. La
construction a atteint des sommets en 2005, avec 401 000 logements
mis en chantier, contre 300 000 en 1995. Mais, comme le souligne
Michel Mouillart, seulement 40% visent une clientèle modeste (160 000
prêts à Taux Zéro,logements locatifs avec limitation de loyer, logements
HLM), contre 70 % avant 2000 (environ 200 000). En outre, les disparités
sont fortes d’une région à l’autre. Les étapes du parcours sont très
marquées par le niveau de revenu : les locataires HLM se situent à
1062 €par mois par unité de consommation en 2001, les locataires
privés à 1 410 €et les propriétaires à 1 606 €.L’accès aux différents
parcs de logement est rendu difficile à de nombreux ménages, et pas
seulement aux plus modestes d’entre eux. Les jeunes ont plus de mal
àse loger que leurs aînés ; le logement HLM n'est plus un tremplin ;
le passage à la location privée est financièrement très pénalisant ; et
l'accession à la propriété se complique pour de nombreux ménages.
Un accès au parcHLM plus long
L’un des signes du blocage de l’« ascenseur résidentiel » est l’augmentation
du nombrede demandeurs d'HLM. Il est passé de 3,3% des ménages
en 1984 à 4,3% des ménages en 2002. En 2004,seulement un tiers des
demandeurs de logement HLM ont pu êtresatisfaits, soit 433 000 sur
1300 000 demandeurs. En Ile-de-France, les demandeurs d'HLM
représentaient 6,7% des ménages en 2002 : c’est une une proportion
des une fois et demie plus élevée que la moyenne nationale (4,3%).
AParis (avec ses 14% de logements sociaux), les « 100 000 demandeurs »
devront attendrestatistiquement 7 ans avant d'obtenir satisfaction
(14 500 attributions en 2005). Ces chiffres incluent les demandeurs
habitant déjà en HLM.
La baisse de la mobilité des ménages en HLM témoigne aussi du blocage
où ils se trouvent :elle est passée de 13% en 1999 à un peu plus de 10%
en 2004, alors que dans le même temps la mobilité de l’ensemble des
ménages augmentait légèrement. Compte tenu des évolutions du
marché, les ménages modestes sont incités à conserver leur avantage
en HLM. Dans les zones où l'écart avec les loyers privés se creuse, la
mobilité est encore plus limitée. C’est tout particulièrement le cas en
Ile-de-France où le taux de mobilité est seulement de 8,2%.
Un accès au parc locatif privé financièrement pénalisant
En moyenne, en 2005, les loyers privés sont 45% plus élevés que les
loyers HLM dans les agglomérations de moins de 20 000 habitants,et
130% en agglomération parisienne. Ces différences se sont accentuées
de 34% entre 1993 et 2004,en moyenne nationale,en raison notamment
du recul des logements « loi de 1948 » (2% du parc en 2005) et du
parc social de fait.
Rapport entre loyers privés et loyers HLM
1996 2002
Paris 2,18 2,61
Proche banlieue parisienne 1,86 2,17
Grandes agglomérations 1,19 1,47
Source : Enquêtes logements.
La difficulté croissante du passage dans le parc privé se lit également
àtravers l’augmentation du taux d'effort des ménages pour se loger,
c’est-à-dire de la part de leur revenu disponible affectée au logement.
Le taux net d’effort(après aides personnelles au logement) est passé
d’environ 10% dans les années 1960, àprès de 13% en 1988 et à plus
de 16% en 2002. Ce taux d’effort atteint 25,7% chez les locataires à
bas revenudu secteur privé.
Taux d’effortnet des ménages (en %)
Les ménages à bas revenu disposent d’un niveau de vie par unité de consommation inférieur
àla moitié de la médiane des revenus
Source : INSEE
l’
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bservateur
de l’immobilier 3
L’accession à la propriété :un rêve devenu inaccessible pour certains
En France comme dans tous les pays d'Europe occidentale,la part des
propriétaires progresse : 37% en 1950,54,3% en 1996,et près de 57% en
2005. Cette expansion répond à une aspiration répandue des locataires ;
selon différentes enquêtes, ils sont entre 50% et 66% à vouloir devenir
propriétaires. Pourtant, le nombre des « accédants » (propriétaires
remboursant encore un emprunt) a très peu augmenté entre 1984 et
2002, alors que le nombre de propriétaires n'ayant plus d'emprunt à
charge a cru de plus de 50% pendant la même période. L'évolution
des prix depuis 1998 réduit la primo-accession des plus modestes ou
leur impose des choix d'implantation pénalisants (zones dévalorisées,
éloignement des centres villes ou de leur emploi).
Entre 1999 et 2005,le revenu disponible brut des ménages a progressé
de 25,8% quand les prix des logements anciens gagnaient 90,1% et
ceux des logements neufs 72,4%. L’achat d’un logement représentait
3 années de revenus en 1995 et 3,9 années en 2003,et 4,2 années en
Ile-de-France. Le Crédit Foncier indique qu'entre 2000 et 2005 les
ménages de primo-accédants ont perdu 20% de leur pouvoir d'achat
immobilier en dépit de la baisse des taux d'intérêt.
Selon Michel Mouillart, sur 680 000 acheteurs avec emprunt en 2000,
340 000 gagnaient moins de trois SMIC et 100 000 plus de cinq SMIC.
En 2005, sur 750 000 achats avec emprunt,250 000 seulement gagnaient
moins de trois SMIC, et 150 000 plus de cinq SMIC. Les ouvriers et
les employés qui représentaient 40,4% des accédants en 1999, ne
représentent plus que 33,8% en 2004. L’évolution est inverse chez les
cadres qui représentent 32,2% des accédants en 2004, contre 20,8%
en 1999.Alors que les fonds propres des acheteurs déjà propriétaires
passent de 90% de la valeur d'acquisition dans les années 80 à près de
95% en 2002,l'emprunt passe de moins de 50% chez les primo-accédants
dans les années 80 à 62% de la valeur de l'acquisition en 2002. Les
ménages s'endettent donc davantage et sur des durées plus longues.
Des exclus aux mal logés
L’exclusion du logement renferme une grande diversité de situations.
Une partie de la demande potentielle ne s’exprime plus et nombre de SDF
sont dans une situation d’abstention et de repli. D’autres ont trouvé
des solutions alternatives au domicile personnel ou ont « accepté » un
niveau élevé d’inconfort dans le parc social de fait. Mais la réduction
de ce dernier accroît les difficultés de logement pour les ménages les
plus précaires.
La condition des plus pauvres
Dans son rapport 2006,la Fondation Abbé Pierre estime à environ 700 000
le nombre de personnes qui restent « aux portes du logement »,dont
100 000 SDF ; 150 000 hébergés dans le cadre de dispositifs collectifs ;
de 150 000 à 300 000 personnes contraintes à un hébergement chez
des proches et 300 000 autres qui vivent dans des conditions atypiques
(hôtels occupés de façon permanente, meublés et garnis, chambres
indépendantes, habitations de fortune et constructions provisoires).
Selon la Fondation,40% des personnes hébergées chez des tiers n'ont
pas d'autre choix de logement.
En outre, 220 000 contentieux d’impayés sont jugés chaque année. Si
le nombre de ménages en situation d'impayé de loyer de plus de deux
mois a régressé de 315 000 en 1996, à 286 000 en 2002, le nombre
de décisions de justice prononçant l'expulsion a en revanche progressé
de 71 000 à 103 000 entre 1999 et 2004 (+45 %). Les expulsions
effectives passent d’environ 5 000 par an, entre 1997 et 2000, à plus
de 9 000 par an en 2003, année record.
La pauvreté n’est plus seulement l’affaire des chômeurs et des exclus.
Une fracture traverse aujourd’hui le monde du travail avec l’augmentation
des « travailleurs pauvres » (environ 1 million en 2001). Les six aires
urbaines retenues dans l’étude se caractérisent toutes par une part
importante de ménages pauvres dans la ville-centre, avec cependant
une nuance à apporter dans le cas de Paris, du fait du clivage est-ouest
particulièrement structurant (carte 20a). On retrouve des proportions
élevées de ménages pauvres dans certaines zones des pôles urbains
(est de Lyon,nord de Nancy, villes de Roubaix et Tourcoing au sein de
l’agglomération lilloise). Dans les espaces périurbains, cette part diminue
(mais dans une moindre mesure dans le cas de Marseille et Lille),pour
augmenter aux franges des aires urbaines, où sont « refoulés » les
ménages qui ne peuvent plus se loger à proximité des villes-centres.
Les territoires ruraux, en particulier dans la moitié sud de la France,
possèdent également une part importante de ménages pauvres.
>LA SPIRALE DU MAL-LOGEMENT
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l’
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de l’immobilier
Un parc social de fait inconfortable mais en repli
Le nombre de personnes vivant en France dans l’inconfort et le
surpeuplement approcherait 5,5 millions de personnes, selon la
Fondation Abbé Pierre.En 2002,4,5 millions de personnes,soit 5% du
total des ménages, vivaient en surpeuplement. Après un net recul
entre 1973 et 1992, le nombre de logements surpeuplés a repris une
croissance lente pour atteindre 1 226 000 logements en 2004.On estime
à 300 000 le nombre de logements nécessaires pour que seulement
la moitié des ménages en surpeuplement revienne au taux d'occupation
moyen de 2,4, au lieu de 3,65 aujourd’hui.
Selon l’INSEE,1 037 000 personnes habitent en situation de surpeuplement
accentué (voir définition), ce qui représente 218 000 logements. La moitié
d’entre eux habite la région parisienne ; la moitié aussi a plus de trois
enfants ; un tiers vit en HLM et un autre tiers en locatif privé.
Evolution du nombre de logements surpeuplés
Source : INSEE, Enquêtes logement
5
Part des ménages à revenus inférieurs à 30% des plafonds HLM
Surpeuplement selon l’INSEE et suroccupation selon l’ANAH
Selon la définition de l’INSEE, un ménage est dit en situation de
surpeuplement si le logement qu’il occupe ne comporte pas un nombre
de pièces suffisant compte tenu du nombre de personne dont il se
compose. Selon les conventions de l’INSEE, sont nécessaires : une pièce
de séjour, une pièce pour la personne de référence et son éventuel
conjoint, une pièce pour chaque couple n’incluant pas la personne de
référence, une pièce pour les autres personnes de 19 ans et plus ne
vivant pas en couple, une pièce par enfant dans le cas général, une
pièce pour deux enfants s’ils sont du même sexe ou ont moins de 7 ans.
Avec cette définition, une personne seule habitant un studio est en
situation de surpeuplement. Le surpeuplement est dit « léger » s’il
manque une pièce par rapport au standard ; il est dit « accentué »
s’il manque au moins deux pièces.
Selon la définition de l’ANAH, un ménage est en situation de suroccupation
« légère » lorsque la superficie du logement est inférieure à la norme
suivante :16 m2pour la première personne et 11 m2par personne en plus.
La suroccupation est dite « lourde » au-dessous de 9 m2par personne.
La base de données Filocom confirme le phénomène du surpeuplement
accentué à partir de la notion de « suroccupation lourde ». La
suroccupation lourde concerne encore 319 000 ménages (chiffres 2003),
qui habitent pour la plupart dans les pôles urbains. Paris arrive très
largement en tête des six villes étudiées, avec un taux de suroccupation
lourde deux fois supérieur à celui de Marseille, et cinq fois supérieur
à celui de Lyon. Cette part plus aiguë de la suroccupation se réduit
rapidement (recul de 70% entre 1999 et 2003).
La carte 19 montre l’ampleur du phénomène de suroccupation à
Paris et dans sa première couronne, comparativement à Marseille
(excepté le centre ancien et les quartiers nord) et à Lyon.A Paris, la
suroccupation ne se limite pas aux quartiers populaires et à la proche
couronne, où elle est forte : elle touche également des quartiers plus
aisés de la capitale.
Suroccupation lourde des logements dans les différentes zones
françaises
Nombre Part ménages Evolutions
de ménages (%) 1999-2003 (%)
France entière 319 038 1,26 -70,3
Aires urbaines 282 090 1,44 -70,9
Pôles urbains 260 702 1,65 -71,5
Couronnes
périurbaines 21 388 0,57 -61,7
Communes
multipolarisées 7 331 0,62 -56,9
Pôle d'emploi
de l'espace rural 9 511 0,71 -67,7
Couronne des pôles 634 0,60 -59,8
d'emploi de l'espace rural
Autres communes 19 446 0,62 -65,8
de l'espace à dominante rurale
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
Suroccupation lourde dans les six villes-centres
Nombre Part ménages Evolutions
de ménages (%) 1999-2003 (%)
Paris 65 334 5,8 -51,2
Lyon 2 618 1,1 -90,2
Marseille 8 757 2,4 -62,4
Lille 1 711 1,6 -89,9
Toulouse 1 825 0,9 -93,9
Nancy 426 0,8 -95,5
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
Selon l’INSEE,les ménages pauvres ont un taux de surpeuplement de 28%,
contre 10% des autres ménages. Il manque au moins une pièce pour
32 % d’entre eux. Mais les locataires HLM sont moins souvent à l’étroit :
25%, contre 42 % dans le parc privé et 15% pour les propriétaires
pauvres.
Outre le surpeuplement,l’insalubrité persiste également :elle concernerait
de 400 000 à 600 000 logements et toucherait un peu plus d’un million
de personnes. On observe une diminution du nombre de logements
insalubres.En revanche, le nombre de copropriétés en difficulté augmente.
Environ 625 000 ménages vivent dans des copropriétés dégradées
(250 000 logements). En 1999, un peu plus d’un million de logements
locatifs privés n’offraient pas tous les éléments de confort de base
(WC, salle d’eau,système de chauffage) ;ils se localisaient à 73% dans
les espaces urbains.
>LA SPIRALE DU MAL-LOGEMENT
6
l’
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bservateur
de l’immobilier
Le rôle du parc social « de fait », sans solution de rechange…
Les quartiers anciens du centre de Marseille illustrent le rôle du parc
social de fait dans l’accueil de populations particulièrement défavori-
sées, notamment celui des populations immigrées récemment arri-
vées en France. Le 3ème arrondissement ne compte pas moins de
57,2% de ménages pauvres au sein du parc privé. Dans le 1er arron-
dissement, qui ne comprend que 7,4% de logements sociaux, la part
des ménages pauvres atteint un niveau particulièrement élevé (46,2%)
(tableau 7.4) ; il s’agit d’un parc particulièrement inconfortable, voire
insalubre. Il existe ailleurs qu’à Marseille des phénomènes compara-
bles de ghettoïsation d’une partie du parc ancien, mais ils sont limités
à certains quartiers ou îlots, comme les Pentes de la Croix-Rousse à
Lyon, le quartier de Wazemmes à Lille, ou la Goutte d’Or à Paris.
Dans le cas de l’agglomération parisienne, les communes de plus 10
000 habitants ayant une part de locataires pauvres du privé supé-
rieure à 35% des ménages se situent hors de la ville-centre dans les
zones ayant par ailleurs une part élevée de logements sociaux.
Communes des Bouches-du-Rhône ayant une part très élevée
de locataires pauvres du secteur privé (en %)
Commune Part des ménages Part Présence
pauvres du parc privé (1) HLM de ZUS
Marseille 3e57,2 17,8 ZUS
Marseille 15e51,5 38,4 ZUS
Marseille 2e47,7 12,1 ZUS
Marseille 1er 46,2 7,4 ZUS
Marseille 14e46,1 35,6 ZUS
Berre-l’Etang 35,6 26,2 *
(1) : Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds
HLM.
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
7
Carte 19 : Part des logements en suroccupation lourde
au sein de l’ensemble des ménages
Communes du Nord ayant une part très élevée de locataires
pauvres du secteur privé (en %)
Commune Part des ménages Part Présence
pauvres du parc privé (1) HLM de ZUS
Denain 51,0 25,7 ZUS
Roubaix 46,2 40,7 ZUS
Hautmont 40,3 32,0 ZUS
Anzin 39,3 26,9 ZUS
Vieux-Condé 39,1 24,5 ZUS
Saint-Pol-Sur-Mer 39,0 44,0 ZUS
Douchy-Les-Mines 37,4 34,8 ZUS
Jeumont 36,4 35,1 ZUS
Bruay-sur-L'Escaut 36,1 19,1 ZUS
Fourmies 35,3 33,0 *
(1) : Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds
HLM.
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
Communes d’Ile-de-France ayant une part très élevée de
locataires pauvres du secteur privé (en %)
Communes Département Part des ménages Part Présence
de plus de pauvres du parc HLM de ZUS
10 000 habitants privé (1) (%)
Grigny Essonne 46,3 42,0 ZUS
Clichy-sous-Bois Seine-Saint-Denis 45,4 30,3 ZUS
Garges-lès-Gonesse Val-d'Oise 40,8 47,9 ZUS
Aubervilliers Seine-Saint-Denis 40,3 41,2 ZUS
Courneuve (La) Seine-Saint-Denis 37,1 51,0 ZUS
(1) : Ménages pauvres : ceux dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des
plafonds HLM.
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
La tendance est à la réduction du parc social de fait. Les hôtels bon
marché, qui ont longtemps servi de passage obligé aux nouveaux
arrivants dans les grandes villes, ont vu leur nombre rapidement
décroître durant les dernières décennies.A Paris, il y avait 18 000
chambres d'hôtel meublées en 2002,contre 80 000 chambres en 1970.
Souvent très vétustes,ils sont démolis ou rachetés par des marchands
de biens pour être réhabilités et vendus « à la découpe ». Ceux qui
ont survécu continuent à jouer un rôle essentiel dans le logement des
plus défavorisés. Cependant, le nombre de ces hôtels est en forte
diminution. Les logements en loyers « loi 1948 » suivent la même
pente descendante.
Ainsi, le parc privé accueillant des populations modestes tend à disparaître
progressivement,ce qui,dans un contexte d’insuffisance de production
de logements sociaux,pose le problème du relogement de populations
précaires. L’opération de réhabilitation de l’habitat de la rue de la
République à Marseille en est un bon exemple.La réduction nécessaire
de l’inconfort peut avoir pour effet paradoxal de limiter le parc de
logements accessibles aux plus modestes.
Un parc HLM insuffisant confronté
à des phénomènes de paupérisation
Selon les données Filocom de 2003, 15,3% des ménages métropolitains
habitent des logements HLM-SEM, soit 3,9 millions de ménages. Les
locataires HLM sont moins mobiles que les locataires du privé. Les
nouveaux entrants sont plus pauvres que les sortants,ce qui déséquilibre
un peu plus les segments du parc HLM les plus en difficulté, en particulier
dans les « zones urbaines sensibles » (ZUS).
Des habitants de plus en plus pauvres en HLM
Les ménages pauvres représentent 28,8% des demandeurs HLM, et
12,5% de la population française. Chaque année 125 000 logements
sociaux, soit le quart de l’offre, vont à des ménages ayant des ressources
inférieures à 20% des plafonds. Pour une personne seule en région
parisienne, cela représente l’équivalent d’un revenu de 350 €par mois
et de 310 €dans les autres régions. Pour un ménage de 4 personnes,
cela équivaut à 825 €par mois à Paris, 760 €dans le reste de l’Ile-
de-France et 595 €dans les autres régions. Pourtant 65% ont des
revenus leur permettant théoriquement d’entrer en HLM. Parmi les
locataires du secteur privé en 2003, 17,2% sont des ménages pauvres
(revenus inférieurs à 30% des plafonds HLM) et 25,1% sont des ménages
modestes (revenus entre 30% et 60% des plafonds), soit respectivement
892 500 et 1 301 000 ménages selon les données Filocom.Le parc social
accueille des demandeurs de plus en plus « sociaux ». La part des 2,8
millions de ménages à bas revenus en logement HLM a presque doublé
entre 1988 et 2002. En 2002, 42% des bas revenus ayant déménagé
depuis moins de 4 ans sont entrés en HLM.
Répartition des ménages par statut d'occupation (en %)
1988 2002
Ménages Ensemble Ménages Ensemble
à bas revenus des ménages à bas revenus des ménages
Propriétaires 47 54 35 57
Locataires
du parc privé 19 20 24 20
Locataires HLM 19 17 32 17
Source : INSEE, Enquêtes logements.
Depuis les années 1980, la part des ménages les plus modestes
(appartenant au premier quartile de revenu) dans le parc social est
passée de 12% en 1973 à 36% en 2002, la part des ménages du
deuxième quartile restant relativement stable.A l’opposé,la part des
ménages du quatrième quartile a considérablement chuté de 24% en
1973 à 9% en 2002.
>LA SPIRALE DU MAL-LOGEMENT
8
l’
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de l’immobilier
Répartition des locataires dans le parc social selon leurs revenus
(en %)
Source : INSEE, Enquêtes logement 1973-2002.
Les habitants des HLM sont davantage chômeurs (21,9% en 1999)
que les locataires du privé (15,6%) et surtout que les propriétaires
(8,5%). Les bénéficiaires de minima sociaux représentent 11% des
locataires sociaux.
Sont également sont aussi surreprésentées en HLM : les familles
monoparentales (: 15,6% en en 2002 contre 6,2% dans l'ensemble des
ménages), les familles nombreuses (13% contre 7% hors HLM) et les
familles immigrées (17,9% contre 10% en moyenne). L'appauvrissement
des habitants des HLM confine ceux-ci dans le logement social, ce qui
rend encore plus difficile l'accès aux nouveaux ménages modestes.
D’autant que l'offre supplémentaire de logements sociaux plafonne et
ne privilégie pas les bas loyers. Le parc HLM ne s’accroît qu’au rythme
de 32 000 à 35 000 logements par an depuis 1998.La production nouvelle
est partiellement compensée par les ventes par les bailleurs sociaux
et par les démolitions. Et chaque année, l’offre de location est réduite
par le ralentissement de la mobilité en HLM. Ainsi, l'offre totale de
location HLM était de 433 000 logements en 2004, contre 495 000
logements en 1999.
L’ensemble de la chaîne du logement se trouve perturbée, avec la
hausse des prix et des loyers, la baisse de la mobilité, et la difficulté
de se loger pour un nombre croissant de ménages.
La « ghettoïsation spatiale » des cités classées en ZUS
Les quartiers d’habitat social renvoient à des réalités très diverses
selon les lieux et les populations. La France compte 751 zones urbaines
sensibles (ZUS),dont 717 en métropole.Beaucoup de grands ensembles
conçus pendant les années 1950 et 1960 pour faire face à la pénurie
de logement, sont passés du statut de cité « dortoir » à celui de cité
« repoussoir ». Les émeutes de novembre 2005 ont attiré l’attention
sur la crise sociale et économique des cités. Cependant, en-dehors de
la région parisienne, la plupart des ZUS ne recouvrent pas des grands
ensembles périphériques aux agglomérations. Des quartiers anciens
des villes-centres sont également classés en zones urbaines sensibles,
y compris à Paris qui en compte neuf.
En 1999,4,67 millions de personnes vivaient en ZUS,soit un habitant sur
treize en France métropolitaine. De fait, 62 % des habitants des ZUS
résident en HLM. La population moyenne d’une ZUS est de 6 500
habitants.Cette moyenne cache de fortes différences de taille, le rapport
pouvant aller de 1 à 100. Quatre-vingt-dix ZUS ont une population
supérieure à 20 000 habitants.
Les zones urbaines sensibles
Les ZUS sont des territoires infra-urbains définis par l’Etat pour
être la cible prioritaire de la politique de la ville, en fonction des
considérations locales liées aux difficultés que connaissent les habitants
de ces territoires. La loi du 14 novembre 1996 de mise en oeuvre
du pacte de relance de la politique de la ville distingue trois niveaux
d'intervention :
• Les zones urbaines sensibles (ZUS) : 751 dont 717 en métropole.
• Les zones de redynamisation urbaine (ZRU) : 410 dont 396 en
métropole.
• Les zones franches urbaines (ZFU), au nombre de 44, dont 38 en
métropole.
Dans les années 1960-1970, les grands ensembles accueillaient une
population diversifiée d’ouvriers, d’employés, de jeunes ménages des
classes moyennes, d’enseignants, etc. Aujourd’hui, les caractéristiques
sociologiques des habitants sont très typées et celles des nouveaux
arrivants le sont encore davantage.D’après les chiffres du recensement
de 1999, les ouvriers et les employés représentent 65% des actifs des
ZUS. Celles-ci accueillaient 27% de ménages pauvres contre 9% en
moyenne urbaine. Le taux de chômage en ZUS est le double de la
moyenne nationale. Les revenus par unité de consommation y sont
inférieurs de 40% à la moyenne nationale. Le taux d’échec solaire y
est aussi plus élevé : le retard scolaire est déjà d’un an au moins en
CE2, soit presque le double de la moyenne nationale. Les HLM en
ZUS abritent plus de familles nombreuses, mais aussi plus de familles
éclatées et monoparentales, et plus de familles étrangères : 18%
d'immigrés contre 7,5% en moyenne nationale. Beaucoup d’emplois
sont précaires (CDD,intérim ou stages) :c’est le cas de 20% des actifs
ayant un emploi, contre 13,8 % en France.
La région Ile-de-France est particulièrement confrontée au problème
des territoires paupérisés. La population des ZUS y est plus jeunes et
moins diplômée, plus touchée par le travail précaire et le chômage et
elle comprend une proportion plus forte de populations issues de
l’immigration.
9
La faible mobilité des habitants des HLM en ZUS
La mobilité dans les ZUS est plus faible encore que dans le parc HLM
hors ZUS. La diminution de 5,3% du nombre d’habitants entre 1990
et 1999 (passant de 4,94 millions à 4,67 millions) pourrait laisser croire
le contraire. Or,« toutes choses égales par ailleurs »,les habitants des
ZUS ont la mobilité la plus faible par rapport aux locataires hors ZUS
(Debrand et Taffin,2005),.Les ZUS apparaissent comme des zones de
relégation d’où il est difficile de sortir. Outre la discrimination liée à
l’appartenance sociale et à l’origine ethnique des habitants, le seul fait
d’habiter un quartier déqualifié ajoute un handicap supplémentaire pour
trouver un logement ou un emploi. En 2005, l'observatoire des ZUS
constatait que les populations les plus fragiles ont tendance à rester en
ZUS alors que les trajectoires sociales ascendantes s'accompagnent
souvent d'un départ. Le départ des ménages les plus solvables, favorisé
par les aides de l’État pour l’accession à la propriété,accélère le phénomène
de paupérisation des grands ensembles HLM.
Si la mobilité est faible, le départ continu des uns n’est pas rapidement
compensé par l’arrivée de nouveaux ménages, surtout dans les cités
HLM ayant une image dégradée.Il s’ensuit une durée de vacance élevée.
La vacance de plus de 3 mois y est de 3,2%, contre 1% dans les HLM
hors ZUS. Pour autant, les loyers y sont à peine moins élevés,environ
8%, que dans les autres HLM.
Les jeunes les moins diplômés retardent leur autonomie résidentielle :
43% des « 16-39 ans » sont partis entre 1990 et 1999 contre 45% dans
les quartiers hors ZUS. Quand ils déménagent, ils sont plus nombreux
à emménager en ZUS. Sur 3,4 millions de personnes habitant en ZUS
en 1990 et ayant déménagé avant 1999,un million a réaménagé en ZUS.
La concentration de la pauvreté dans les HLM en ZUS
Dans les six aires urbaines étudiées, on a pu relever, grâce aux données
Filocom (2003), les communes de plus de 10 000 habitants ayant la part
la plus élevée de locataires HLM pauvres ou la part la plus élevée de
logements sociaux (tableaux 7-8 à 7-11). La presque totalité de ces
communes comprend des quartiers classés en ZUS.Les critères retenus
pour établir cette liste sont les suivants : au moins 35% des ménages
gagnent moins de 30% des plafonds HLM et/ou la présence d’au moins
50% de logements sociaux.
Dans l’agglomération de Nancy, aucune commune de plus de 10 000
habitants ne remplit l’un de ces deux critères. Dans l’agglomération
de Toulouse, seule la ville-centre répond à l’un des deux critères, avec
36,1% de ménages pauvres, pour seulement 14,7% de logements
HLM. L’essentiel de ces ménages habite le quartier du Mirail.Les aires
urbaines de Paris, Marseille et Lille comportent un nombre important
de communes de plus de 10 000 habitants,avec une forte concentration
de ménages pauvres.A quelques exceptions près, en régions parisienne
et lilloise, il y a une forte corrélation entre la part HLM et la part de
locataires HLM pauvres.Les ZUS de ces communes correspondent alors
à des ensembles HLM. En revanche, les quartiers les plus pauvres de
Marseille présentent deux visages : celui des grands ensembles HLM
des quartiers nord et celui des arrondissements du centre ancien,
avec un parc social de fait plus important que le parc HLM. Le record
est détenu par le 1er arrondissement de Marseille, classé en ZUS, avec
ses 65,7% de ménages pauvres en HLM. Or la paupérisation de cet
arrondissement se poursuit : entre 1999 et 2003, les ressources de
ses habitants ont diminué de 11,8% !
Ile-de-France : communes de plus de 10 000 habitants à forte part de HLM-SEM et de ménages pauvres (en %)
Communes de plus Départements Part des ménages Part des ménages Présence Evolution
de 10 000 habitants pauvres en HLM-SEM (1) en HLM-SEM (2) de ZUS des ressources 1999-2003
Clichy-sous-Bois 93 38,5 30,3 oui 3,6
Pierrefitte-sur-Seine 93 37,7 37,2 oui -2,7
Montfermeil 93 36,8 14,7 oui 4,1
Montereau-Fault-Yonne 77 36,9 50,5 oui -1,0
Osny 95 36,5 22,3 non -7,0
Grigny 91 35,9 42,0 oui -2,4
Garges-lès-Gonesse 95 35,4 47,9 oui *
Corbeil-en-Essonne 91 35,2 39,9 oui 2,6
Bobigny 93 31,6 52,6 oui -2,2
Bonneuil-sur-marne 94 18,0 61,5 oui 3,7
Courneuve (La) 93 33,4 51,0 oui *
Dugny 93 24,1 70,9 oui *
Gennevilliers 92 23,0 61,4 oui 2,0
Nanterre 92 24,4 54,8 oui -2,1
Orly 94 21,7 58,3 non 3,1
Stains 93 32,4 59,7 oui -2,4
Valenton 94 24,6 58,7 oui 2,6
Villeneuve-la-Garenne 92 19,6 50,9 oui *
Villetaneuse 93 32,8 62,5 oui -1,3
(1) Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds HLM. - (2) En gras : les communes ayant une part HLM inférieure à 20 %.
* Evolution comprise entre 2,3% et 3,4%.- Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
>LA SPIRALE DU MAL-LOGEMENT
10
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de l’immobilier
Nord : communes à forte part de HLM-SEM et de ménages pauvres (en %)
Communes de plus Part des ménages Part des ménages Présence Evolution
de 10 000 habitants pauvres en HLM-SEM (1) en HLM-SEM (2) de ZUS des ressources 1999-2003
Anzin 42,9 26,9 oui 3,2
Bruay-sur-l'Escaut 39,2 19,7 oui 8,0
Condé-sur-l'Escaut 39,4 33,1 oui 5,5
Denain 47,7 25,7 oui 7,2
Douchy-les-Mines 44,0 34,8 oui 5,0
Fourmies 35,8 33,0 non *
Grande-Synthe 35,2 60,2 oui 2,5
Hautmont 52,6 32,0 oui 7,3
Hem 38,0 38,0 oui *
Jeumont 46,2 35,1 oui 5,6
Marly 37,0 32,3 oui 5,4
Maubeuge 46,2 30,9 oui 10,8
Mons en Baroeul 36,9 38,4 oui 1,5
Raismes 37,4 24,1 oui 0,90
Roubaix 41,8 40,7 oui *
Saint-Pol-sur-Mer 35,9 44,0 oui *
Sin-le-Noble 44,1 19,3 oui 6,8
Tourcoing 31,9 28,0 oui *
(1) Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds HLM. - (2) E n gras : les com munes a yant une pa rt HLM inférieure à 20 %.
* Evolution comprise entre 2,3% et 3,4%. Source :Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
Bouches-du-Rhône : communes à forte part de HLM-SEM et de ménages pauvres (en %)
Communes de plus Part des ménages Part des ménages Présence Evolution
de 10 000 habitants pauvres en HLM-SEM (1) en HLM-SEM (2) de ZUS des ressources 1999-2003
Marseille 1er 65,7 7,4 oui -11,8
Septèmes-les-Vallons 56,0 13,3 non 10,7
Marseille 2ème 53,7 12,1 oui 1,5
Marseille 14ème 50,4 35,6 oui -3,2
Marseille 15ème 49,4 38,4 oui 1,5
Marseille 13ème 48,4 35,2 oui *
Marseille 16ème 46,7 22,0 oui 5,3
Arles 44,0 18,9 oui -3,4
Marseille 3ème 40,8 17,8 oui -5,9
Miramas 40,4 35,5 oui -3,1
Chateaurenard 39,7 11,3 non 2,8
Port-de-Bouc 39,4 38,8 oui 5,2
Vitrolles 37,0 30,7 non 1,9
Berre-l'Etang 36,7 26,2 non 2,6
Salon-de-Provence 36,2 21,9 oui 1,6
Tarascon 36,1 8,4 oui -8,2
(1) Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds HLM.- (2) En rouge : le s commu nes ayant u ne par t HLM i nférieure à 20 %.
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
11
Rhône : communes à forte part de HLM-SEM et de ménages pauvres en (%)
Communes de plus Part des ménages Part des ménages Présence Evolution
de 10 000 habitants pauvres en HLM-SEM (1) en HLM-SEM (2) de ZUS des ressources 1999-2003
Rillieux-la-Pape 26,9 52,3 oui *
Saint-Fons 26,1 55,8 oui *
Vaulx-en-Velin 37,7 53,7 oui *
(1) : Ménages pauvres : dont les ressources sont inférieures ou égales à 30 % des plafonds HLM.
* Evolution comprise entre 2,3% et 3,4%.
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
A la recherche d’une nouvelle
mixité sociale
Le modèle d’une trajectoire résidentielle ascendante pour tous a
vécu.Tout se passe depuis quelques années comme dans un « jeu de
chaises musicales » dans lequel les « bons habitants » repoussent les
autres,plus vulnérables financièrement et socialement.Ainsi, les classes
moyennes quittent les quartiers « boboïsés » des centres-villes pour
les quartiers populaires les plus proches,type Porte de Paris à Montreuil
en Seine-Saint-Denis dont les occupants plus modestes sont chassés
soit par « des opérations de résorption d’habitat insalubre », soit par
l’augmentation des loyers. Ceux-ci partent alors dans des cités HLM.
Ils bloquent ainsi l’accès aux HLM aux plus démunis contraints à des
expédients comme l’hébergement ou les exigences des marchands de
sommeil dans les hôtels.Et la restauration d’une mixité sociale,largement
admise dans son principe, peine à se concrétiser dans les faits.
Un consensus sur des objectifs difficiles à mettre en pratique
Dans ce contexte de repli d’une partie du logement HLM et du logement
social de fait, la mixité sociale est devenue une question centrale pour
les politiques du logement et de l’habitat. Il en va de la cohabitation dans
une même commune de couches sociales différentes.La mixité sociale
s’évalue notamment à la part de logements sociaux dans une commune.
De plus en plus de parcours résidentiels contournent certaines zones
géographiques (trop chères ou au contraire trop difficiles) et certains
types de logements, soit par stratégies d’évitement de la part de
ménages à l’aise financièrement,soit par impossibilité d’accéder à un parc
de logements suffisamment confortables pour les ménages modestes.
Les objectifs de mixité sociale dans l'habitat, tels qu’ils ont pu être
exprimés dans la loi relative à la Solidarité et au Renouvellement Urbains
de 2000 (SRU),peinent à se concrétiser. Un tiers des communes ayant
un taux de logements sociaux inférieur au seuil de 20% préfèrent en effet
payer des pénalités plutôt que d’accueillir des logements sociaux.
Le défi quantitatif est de taille. Les réflexions sur le Schéma directeur
de l’Ile-de-France (SDRIF à adopter en 2007) ont montré que pour
passer à 30% de logements sociaux en 25 ans, il faudrait que plus d'un
logement neuf sur deux soit un logement social pendant 25 ans.
De même, à Paris, la règle de 25% de logements sociaux dans tout
programme privé réalisé dans les communes en déficit de logements
sociaux permettra de construire 200 à 250 HLM par an seulement.
A l’insuffisance quantitative globale de logements sociaux face à la
demande, s’ajoute leur inégale répartition dans le territoire. La carte
17 montre que le logement social se concentre autour des grandes
agglomérations, principalement dans un tiers nord-ouest de la France,
dans la région Rhône-Alpes et dans l’agglomération de Marseille. Les
pôles urbains regroupent 84 % du parc social.
Communes de plus de 10 000 habitant ayant la plus faible part
de ménages en HLM-SEM en 2003 (en %)
Communes Part HLM-SEM Communes Part HLM-SEM
Paris 10ème 0,0 Triel-sur-Seine (78) 3,8
Paris 11ème 0,7 Le Vesinet (78) 4,1
Paris 16èmee 1,3 Viroflay (78) 4,2
Paris 1er 2,1 Morangis (91) 4,4
Paris 2ème 2,1 Orsay (91) 4,8
Paris 3ème 2,2 Boulogne-Billancourt (92) 4,9
Paris 4ème 2,5 Neuilly-sur-Seine (92) 5,0
Paris 5ème 2,6 Ville-d'Avray (92) 5,5
Paris 6ème 2,8 Le Raincy (93) 5,6
Paris 7ème 2,8 Ormesson-sur-Marne (94) 5,8
Paris 8ème 3,2 Perreux-sur-Marne (Le) (94) 5,9
Paris 9ème 3,2 Saint-Mandé (94) 6,1
Bois-d'Arcy (78) 3,2 Saint-Maur-des-Fossés (94) 6,2
Chatou (78) 3,5 Sucy-en-Brie (94) 6,2
Le Chesnay (78) 3,6 Vincennes (94) 6,5
Maisons-Laffitte (78) 3,6 Arnouville-lès-Gonesse (95) 6,7
Marly-le-Roi (78) 3,7 Enghien-les-Bains (95) 6,8
Source : Filocom-ANAH 2003 ;Traitements : Dauphine et Crédit Foncier.
En queue de peloton du logement social, parmi les communes de plus
de 10 000 habitants appartenant aux six aires urbaines retenues, on
trouve 34 communes d’Ile-de-France.
>LA SPIRALE DU MAL-LOGEMENT
12
l’
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de l’immobilier 13
Carte 17 : Part des HLM-SEM au sein des résidences principales
carte
Dans le détail,la ville apparaît comme une mosaïque autour des quartiers
bourgeois des villes-centres qui coexistent avec des logements sociaux
de fait pour pauvres,des banlieues pavillonnaires qui voisinent avec des
cités HLM. Mais à plus large échelle, les grandes agglomérations sont
structurées socialement soit en cercles concentriques,soit en « parts
de gâteau » dont la ville-centre est le cœur. La carte 20 représentant
la distribution des revenus sur le territoire des six agglomérations
étudiées fait clairement apparaître les disparités socio-spatiales.
Le mal-logement, l’insuffisance du parc social et la dégradation d’une
partie de celui-ci appellent des politiques du logement, de l’habitat et
de la ville ambitieuses, allant au-delà du strict cadre du logement social.
Car l’ensemble de la chaîne du logement est bloquée pour une part
croissante de la population, englobant non seulement les ménages les
plus modestes mais de plus en plus des ménages des couches moyennes.
>LA CONQUÊTE DE L’ESPACE : LE PREMIER « LUXE »
14
Carte 20 : Répartition des communes
selon la proportion des revenus des ménages
Un étalement urbain
sans limite ?
’extension géographique
des agglomérations caractérise
toutes les grandes métropoles
régionales, à l’image de ce que fut
la croissance de l’Ile-de-France.
La saturation des centres, la montée
des prix, la recherche de la maison
individuelle et l’intérêt des élus
àattirer de nouveaux habitants,
ont contribué à développer la
périurbanisation et à nourrir
la croissance des communes rurales
sous influence urbaine. En contrepoint,
l’étalement urbain induit des effets
négatifs en termes de transport
(coût et temps) et d’accès à une série
d’activités et de services. Cependant,
la densification de l’espace urbain,
plus facilement évoquée aujourd’hui
par les politiques et les experts
ne saurait êtreimposée ; elle ne peut
qu’être le résultat d’un mouvement
des ménages, dès lors qu’ils seront
convaincus que la qualité des logements
«en ville » compense avantageusement
bien les attraits du jardin en périphérie…
15
L
L’étalement urbain se poursuit dans les agglomérations françaises. Il se nourrit d’une aspiration à la maison individuelle, qui reste forte, et de
la quête d’un espace financièrement abordable. Pourtant le rythme de la péri urbanisation se ralentit, il est moins élevé que dans les années
1970-1980.
•Des signes d’un « retour au centre » apparaissent, notamment du fait du l’attrait des quartiers centraux ayant fait l’objet de rénovations et
offrant l’attrait de services de proximité.
•Les communes rurales sous influence urbaine connaissent un rythme élevé de croissance démographique, comme si un nouveau modèle de
périurbanisation s’imposait, dans lequel ce sont les campagnes qui « rattrapent » la ville.
•La densification des villes-centres et de leur banlieue influera sur le rythme à venir de l’étalement urbain, à condition d’être acceptée par les
habitants.La qualité des logements offerts dans les villes-centres sera déterminante pour contrebalancer les qualités attribuées à la maison
individuelle.
JE TRAVAILLE À PARIS
ET J’HABITE
EN BANLIEUE…
ÀORLÉANS ?
NON À LILLE !
Périurbanisation et dynamiques
d’étalement urbain
Un bon indicateur du développement de la périurbanisation est fourni
par la distance entre les communes ayant la plus forte croissance
démographique et le centre de l’aire urbaine : cette distance est
passée en moyenne de 15 km durant la période 1990 et 1999 à 25 km
aujourd’hui pour les communes de moins de 10 000 habitants. Cet
étirement est plus sensible encore pour les communes rurales situées
à 30 km en moyenne du centre des aires urbaines. Dans certains cas,
la ville se construit selon un mode polycentrique, sur le modèle d’une
«ville archipel ». C’est le cas d’agglomérations comme Lille-Roubaix-
Tourcoing, Grasse-Cannes-Antibes, Bayonne-Anglet-Biarritz ou encore
Aix-Marseille, et à plus grande échelle de l’agglomération parisienne.
L’étalement urbain est contrebalancé depuis quelques années par des
flux inverses de retour au centre.L'hémorragie des villes-centres s'est
arrêtée. Nombre d’entre elles retrouvent le chemin de la croissance,
après avoir connu un déclin durant la période 1975-1990,et une certaine
stabilisation entre 1990 et 1999. De plus, on observe des phénomènes
de densification des banlieues dans des villes comme Amiens, Pau ou
Poitiers,Toulouse, Rennes et Orléans.Le taux de croissance annuel de
la population des couronnes périurbaines des villes de plus de 10 000
habitants s’est ralenti, passant de 2,85% entre 1975 et 1982, à 2,05 %
entre 1982 et 1990 et à 1,19% sur la période 1990-1999.
Evolution des 73 villes de plus de 100 000 habitants
Taux d’évolution annuel moyen (en %)
1975-1982 1982-1990 1990-1999
Villes-centres -0,64 -0,17 0,15
Banlieues 0,83 0,84 0,41
Couronnes périurbaines 2,85 2,05 1,19
Ensemble des 73 aires urbaines 0,51 0,65 0,44
Source : INSEE, recensements.
>LA CONQUÊTE DE L’ESPACE : LE PREMIER « LUXE »
16
Territoire vécus : Organisation territoriale de l’emploi et des services 2002
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Les aires urbaines et leurs composantes
• L’extension du périurbain pavillonnaire a conduit l’INSEE à utiliser la
notion d’« aire urbaine », qui va au-delà de l’espace de l’agglomération
composé d’une commune-centre et de sa banlieue. Une aire urbaine
mesure l’influence de la ville au sens économique du terme. Elle est
constituée d’un pôle urbain offrant au moins 5 000 emplois sur son
territoire et d’une couronne périurbaine regroupant toutes les communes
alentour dont au moins 40% des actifs travaillent dans l’ensemble de
l’aire. L’INSEE dénombrait 354 aires urbaines en 1999,où habitaient
77% des Français. Les limites des aires urbaines évoluent avec le
basculement de communes rurales dans la catégorie « périurbaine ».
L’INSEE actualise donc régulièrement le nombre et la composition
des aires urbaines.
• Un pôle urbain est une unité urbaine (agglomération) comptant 5 000
emplois ou plus. Il comprend une ou plusieurs villes-centres et des
communes de banlieue.
• Une commune multipolarisée est une commune ou unité urbaine
dont 40 % ou plus des actifs résidents vont travailler dans plusieurs
aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec aucune d’entre elles.
• Une commune est dite rurale si elle n’appartient pas à une unité
urbaine
Des modes d’étalement différenciés
Les contraintes géographiques, le degré de morcellement communal,
la résistance ou non des milieux agricoles, la disponibilité foncière et
la politique intercommunale influent sur la forme de l’étalement
urbain. Bessy-Pietri (2000) a distingué trois types de développement
urbain pour les villes de plus de 100 000 habitants :
• Un étalement régulier, avec une croissance bien répartie entre la
ville-centre, la banlieue et la couronne périurbaine. C’est aussi le cas
de 42 des « 73 » aires urbaines de plus de 100 000 habitants prises
en compte, sur la période 1990-1999, comme Paris et Marseille-Aix-
en-Provence.
• Une croissance dynamique des banlieues (Toulouse). Le nombre
d’aires urbaines dans ce cas est passé de 19 à 12 entre 1975 et 1999.
• Une croissance « en tenailles » de la ville-centre et de l’espace
périurbain, les banlieues restant au contraire en retrait sur le plan
démographique (17 villes en 1999 contre 4 sur la pério