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Arts et Savoirs
22 | 2024
Transmission des savoirs équestres
La transmission française de la méthode de
débourrage de Jordanus Rufus (XIIIe-XVIe siècles)
The French Transmission of Jordanus Rufus’s Breaking-in Method (13th-16th
centuries)
Camille VoVanQui
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/aes/7503
DOI : 10.4000/12xni
ISSN : 2258-093X
Éditeur
Université Gustave Eiffel
Référence électronique
Camille VoVanQui, «La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (XIIIe-
XVIe siècles)», Arts et Savoirs [En ligne], 22|2024, mis en ligne le 15 décembre 2024, consulté le 16
décembre 2024. URL: http://journals.openedition.org/aes/7503 ; DOI: https://doi.org/10.4000/12xni
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La transmission française de la
méthode de débourrage de Jordanus
Rufus (XIIIe-XVIe siècles)
The French Transmission of Jordanus Rufus’s Breaking-in Method (13th-16th
centuries)
Camille VoVanQui
1 Les premiers chapitres du De medicina equorum (c.1250), un traité vétérinaire écrit en
latin par Jordanus Rufus, chevalier et maréchal de l’empereur FrédéricII, contiennent
une méthode de débourrage originale, la plus ancienne connue à ce jour pour le bas
Moyen Âge en Europe occidentale. Ce texte scientifique a eu un tel succès qu’il est
traduit dès le treizième siècle dans diverses langues vernaculaires, telles que l’italien, le
français, l’allemand, l’hébreu ou l’occitan. Il en existe actuellement 226 manuscrits1.
Sept manuscrits en français, datant du treizième au seizième siècle, présentent la
méthode de débourrage. Deux autres traductions françaises l’excluent: l’une n’existe
qu’à l’état de fragment qui omet les chapitres hippologiques et la seconde se concentre
sur les chapitres hippiatriques2.
2 Cette méthode, censée être appliquée sur un cheval âgé de deux à trois ans, élevé à
l’état sauvage, fait appel à des pratiques encore d’actualité aujourd’hui, telles que la
désensibilisation, et insiste sur la douceur et la patience. Elle démontre une grande
connaissance empirique du cheval, de son comportement et de ses réactions à
différents stimuli. Rufus souligne qu’une partie de sa méthode est le résultat de ses
propres expérimentations. Le reste semble reposer sur des traditions équestres
transmises oralement et aujourd’hui disparues. La méthode décrit donc comment
capturer le poulain sauvage, lui mettre le licol et l’apprivoiser peu à peu. Elle détaille
l’introduction du mors, puis celle du cavalier –qui doit d’abord monter à cru– et de la
selle. Enfin, sont donnés plusieurs exercices montés, au pas, au trot, et au galop, pour
finir de débourrer le cheval, développer son équilibre et accroître sa confiance envers
son cavalier, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte, à cinq ans selon le traité. De
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nombreuses indications sont également fournies sur la manière de nourrir et de garder
le cheval, témoignant d’une observation attentive des habitudes des chevaux vivant à
l’état sauvage.
3 Les manuscrits français contenant la méthode se répartissent en deux familles.
4 1. Trois d’entre eux, tous du quatorzième siècle, présentent une version de la méthode
de débourrage proche de celle du texte latin tel qu’il est présenté dans l’édition réalisée
par Jérôme Molin en 1818. Il s’agit des manuscrits:
L: Paris, Bibliothèque nationale de France, nouvelles acquisitions latines, 1553.
R: Reims, Bibliothèque municipale, MS991.
W: Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg.Lat.1212.
5 Cette version, s’appliquant à un contexte militaire, est implicitement destinée aux
chevaux de guerre et inclut une série d’exercices pour les préparer à la bataille.
6 Un manuscrit, datant du quatorzième siècle, contient une version remaniée de la
méthode, moins précise que les autres mais proche des manuscrits cités
précédemment:
C: Catania, Biblioteca Regionale Universitaria, Vent.27.
7 2. Trois autres manuscrits, des XIIIe, XIVeet XVIe siècles, contiennent des versions
abrégées de la méthode, omettant les exercices militaires et étant plus générale et plus
facile à mettre en pratique: elle ne contient pas, par exemple, de recommandation sur
le fait de changer le mors ou encore d’arracher certaines dents. Il s’agit des manuscrits:
B: Paris, Bibliothèque nationale de France, MSfonds français25341 (XIIIe siècle).
V: Vatican, Biblioteca Apolstolica Vaticana, Reg.Lat.1177 (XIVe siècle).
E: Bethesada, U.S. National Library of medicine, E66 (XVIe siècle).
8 Enfin, cette version a été reprise par le maréchal Guillaume de Villiers, en 1456, dans
son traité vétérinaire écrit en Normandie rurale, suggérant une adaptation à un
contexte potentiellement agricole:
G: Paris, Bibliothèque nationale de France, MSfonds français1287.
9 Le texte de Guillaume de Villiers n’est pas à proprement parler une traduction de
Rufus, mais il donne un aperçu de sa popularité et de la manière dont la méthode a pu
être réutilisée dans un autre contexte.
10 Dans chaque famille, des différences existent entre les manuscrits, visibles à travers les
erreurs, modifications, omissions et ajouts des copistes et traducteurs. Certaines
transformations sont délibérées, reflétant soit un souci de clarification, soit des
opinions divergentes de la part des copistes, ou encore répondant à une certaine
perception du cheval, empreinte de symbolisme et liée à la manière dont les destriers
étaient idéalisés. Aucun des manuscrits n’est illustré, ce qui laisse parfois le texte sujet
à des interprétations divergentes lorsque le sens de certains conseils n’est pas clair.
11 Cet article étudiera les origines et la transmission de la méthode de débourrage de
Jordanus Rufus telle qu’elle est présentée dans ces sept manuscrits français –huit si
l’on compte celui de Guillaume–, démontrant comment le texte original a pu servir de
base à de multiples réinterprétations afin d’être adapté à différents types de chevaux
médiévaux, du destrier au simple roncin. Chaque copiste et traducteur a participé à
l’élaboration et peut-être à l’expérimentation de nouvelles techniques issues de celles
de Rufus, témoignant de la mise en pratique de la méthode. Ces transformations ont
permis de renouveler cette méthode et de la garder vivante, y compris lors du passage
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du savoir équestre du Moyen Âge à l’équitation de la Renaissance. On peut noter,
toutefois, que malgré le nombre de manuscrits médiévaux du De medicina equorum, ce
traité n’a pas connu de grande fortune imprimée, contrairement, par exemple, à celui
de Lorenzo Rusio3. Il n’existe pas d’imprimés de la version française du texte de Rufus
et seulement cinq imprimés, publiés entre 1492 et 1563 de la version italienne4. Malgré
le fait qu’elle puisse s’appliquer à de nombreux types d’équidés, destinés à des usages
différents, la méthode de Rufus avait sans doute une certaine spécificité médiévale, liée
aux techniques de combat, comme les charges à la lance couchée, ou bien à une
conception particulière du cheval associée à l’image littéraire du destrier, ce qui
pourrait expliquer pourquoi sa diffusion a été limitée par la suite.
La méthode de débourrage de Jordanus Rufus
Résumé de la méthode
12 Le manuscrit originel du De medicina equorum étant perdu, il est impossible de savoir à
quel point les copies et traductions y sont fidèles. De plus, aucune édition moderne du
texte latin n’existe5. Si certaines éditions critiques en langue vernaculaire ont été faites,
la présence de différentes familles de manuscrits et de variations parfois majeures
rendent leur composition et les choix éditoriaux difficiles6. À défaut d’un manuscrit
source, l’édition latine de Jérôme Molin, qui utilise principalement un seul manuscrit
du XIIIe siècle est un outil intéressant pour comparer les variations des différentes
familles de manuscrits, notamment en ce qui concerne la méthode de débourrage
contenue dans les trois premiers chapitres du traité7.
13 Le premier chapitre traite de la conception du poulain. Étant donné le contexte
militaire –Rufus était un chevalier et écrivait pour l’aristocratie–, ce poulain est
supposé être un mâle, destiné à devenir un destrier: les chevaliers ne montaient en
effet que des étalons, pour des raisons à la fois pratiques –liées à leur plus grande
agressivité ou à leur aptitude pour certaines allures– et symboliques –liées à
l’importance donnée à la masculinité8. Rufus recommande que le poulain soit conçu au
printemps pour une naissance l’année suivante à la même saison. Selon lui, l’étalon
utilisé pour la saillie ne doit avoir que cette fonction, pour produire plus de sperme et
un poulain plus grand. Peu de choses sont dites sur la jument, sinon qu’elle ne doit pas
être enfermée pour éviter l’avortement. Elle ne doit pas être trop grasse ni trop maigre,
afin que le poulain se développe de manière optimale.
14 La naissance du poulain a lieu en liberté dans les montagnes, sans doute en référence
aux paysages de la Sicile et de l’Italie du Sud d’où Rufus était originaire. Les manuscrits
français gardent tous cette recommandation mais il est difficile de savoir si elle a été
mise en pratique. Étant donné la valeur des destriers, il est probable qu’ils ont plutôt
été gardés dans des parcs, à l’abri des prédateurs et d’autres dangers. Le deuxième
chapitre décrit comment, au printemps de ses trois ans, le poulain doit être capturé et
gardé dans une écurie en compagnie d’un cheval déjà domestiqué afin d’être
apprivoisé: il apprend à porter un licol et à être touché sur tout le corps. Le troisième
chapitre donne des recommandations sur la routine quotidienne des chevaux à l’écurie,
mentionne les couvertures qu’ils doivent porter et les saisons auxquelles on peut leur
faire faire de l’exercice –qui doit être modéré au plus chaud de l’été et au plus froid de
l’hiver. Puis, un sous-chapitre décrit comment le débourrage proprement dit doit être
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effectué. Le mors est introduit en premier: Rufus conseille d’en choisir un doux, qui
fasse le moins mal possible au cheval, et surtout de le recouvrir de miel pour le rendre
plus agréable pour le poulain et le pousser à le reprendre plus facilement la fois
suivante. Après le travail en main pour apprendre au cheval d’accepter ce mors et d’y
répondre, le cavalier monte à cru. Enfin, la selle est mise. Une fois qu’elle est acceptée,
des exercices sont faits à différentes allures. Par exemple, on fait travailler l’équilibre
du cheval en lui faisant prendre le trot et le petit galop dans des champs en jachère.
15 La version abrégée (mss.B, V et E) de la méthode s’arrête là, tandis que la version
longue (mss.L, R et W) donne plus de détails. Il y est écrit comment tenir le cheval en
hyperflexion (avec l’encolure incurvée et le nez touchant la poitrine), comment
l’entraîner à passer près des échoppes des forgerons (pour qu’il ne craigne pas le bruit
du métal), comment le faire entrer et sortir d’un groupe d’autres chevaux, et comment
introduire le grand galop, petit à petit, sur des distances de plus en plus longues, pour
préparer les charges à la lance couchée. Ces manuscrits contiennent également une
description de différents types de mors, jugés selon leur sévérité, et recommandent
l’extraction de quatre dents, pour mieux accommoder le mors. Ces éléments sont
surtout utiles pour l’éducation des destriers; leur absence dans la version abrégée est
tout aussi significative, soulignant qu’ils ne s’appliquaient pas à un contexte non
chevaleresque. En effet, toutes ces étapes n’auraient que peu d’intérêt pour de simples
roncins ou même pour des chevaux servant seulement au transport, rallongeant le
débourrage sans présenter d’utilité concrète. La méthode abrégée permet simplement
d’éduquer un cheval au mors, à la selle et aux trois allures tout en créant une base sur
laquelle peuvent se greffer plusieurs utilisations du cheval dans des contextes variés.
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Figure
Le Rustican, Pierre de Crescens. Cette image montre un cheval (à gauche), monté en hyperexion: son
nez touche presque sa poitrine, son encolure est incurvée et son chanfrein est en deçà de la verticale.
BnF Fr. 12330 Folio 214v (1480-1485), Bibliothèque nationale de France
16 Les sources potentielles de Rufus sont sujettes à débat parmi les historiens. Certains
pensent qu’il a pu avoir accès à des sources arabes ou byzantines9. Il est probable qu’il
ait eu, soit directement, soit via d’autres auteurs, connaissance de Xénophon: on
trouve un passage dans sa méthode –décrivant comment le cavalier, une fois qu’il est
sur le dos de son cheval, doit prendre soin de ne pas le laisser aller de l’avant avant
d’avoir ajusté ses habits– qui semble reprendre en partie Xénophon10. Un autre passage
est très semblable, celui qui explique pourquoi il ne faut pas battre le cheval pour le
forcer à passer près d’un endroit qui lui fait peur11. Bien sûr, il est possible que Rufus
soit simplement arrivé aux mêmes conclusions que Xénophon grâce à son observation
du comportement des chevaux. Il est également possible que certaines observations de
Xénophon soient passées dans la culture équestre commune et aient été transmises
oralement, de génération en génération, leur origine ayant été oubliée. Rufus aurait
également pu s’inspirer de méthodes byzantines héritières de Xénophon12. Sinon, les
deux auteurs diffèrent sur un certain nombre de points, comme la position de la tête du
cheval: Xénophon s’oppose à l’hyperflexion de la tête et de l’encolure, tandis que Rufus
la recommande13.
17 Quelques passages dans certains des manuscrits français, notamment B, citent Aristote,
en particulier pour des commentaires sur les effets de la nature: «Car si com dit
Aristotes, li bon philozofes, car les yaues plus sont couranz formant et plus sont froides,
tant moins norrissent et mains encressent les chevax.»14 Si ce passage se trouve bien
dans le texte latin, il n’y est pas associé à Aristote15. Dans le dixième chapitre du Livre
VIII de l’Histoire des animaux d’Aristote, on trouve un passage expliquant que le fait de
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boire augmente l’appétit des chevaux et que certaines eaux les fortifient, passage qui a
peut-être inspiré cet extrait du De medicina equorum. Quoi qu’il en soit, la citation du
nom d’Aristote dans B pourrait signaler une volonté de la part du copiste/traducteur de
faire référence à d’autres auctoritates, pour donner plus de poids aux propos de Rufus.
18 Rufus souligne à plusieurs reprises que ses conseils sont fondés sur sa propre
expérience. Il n’y a pas de raison de penser que cela ne soit pas le cas: la méthode de
débourrage démontre une grande connaissance du cheval, sur le plan psychologique
comme sur le plan physiologique, qui se retrouve dans les chapitres hippiatriques. La
justesse des observations de Rufus explique que sa méthode ait été par la suite reprise
par des auteurs tels que Lorenzo Rusio ou Pierre de Crescens. Quant à certaines
techniques qu’il recommande, comme le fait de mettre du miel sur le mors, elles sont
passées dans la pratique courante et sont toujours utilisées aujourd’hui.
Une méthode spéciquement médiévale: l’importance du cheval
sauvage
19 L’originalité de la méthode fait tout son intérêt. Rufus l’a élaborée pour répondre à un
objectif clair: transformer le cheval en un destrier loyal et efficace sur le champ de
bataille. Ce texte s’inscrit donc dans un contexte culturel précis et répond à un certain
nombre d’idéaux et d’idées médiévales au sujet du cheval. Ces préconceptions se
retrouvent dans la littérature de l’époque, notamment chez les encyclopédistes du XIIIe
siècle. Par exemple, Brunet Latin décrit le destrier comme un animal d’une grande
intelligence, capable de reconnaître son maître entre tous les hommes, participant au
combat à coups de dent et de sabots, ayant conscience des enjeux de la bataille et,
souvent, ne se laissant monter que par un seul homme, comme le Bucéphale
d’Alexandre le Grand16. Il souligne aussi que les chevaux peuvent pleurer des larmes de
tristesse à la mort de leur maître. Cette affirmation est erronée, étant donné que les
chevaux n’ont pas la capacité physiologique de verser des larmes de chagrin, et fait
référence à un passage de l’Iliade dans lequel les chevaux d’Achille pleurent Patrocle17.
Toutefois, son inclusion dans le texte et la généralisation qui s’y applique pourrait
témoigner d’un désir de la part des hommes du Moyen Âge d’avoir avec leurs chevaux
une relation non seulement pratique mais aussi émotionnelle18. Destrier et chevalier
étaient indissociables, non seulement dans l’imaginaire collectif mais aussi dans la
pratique: homme et animal deviennent une seule créature sur le champ de bataille,
reliés par l’armure que tous deux portent, cheval et armes étant des prolongements
physiques du corps du chevalier19. L’association du chevalier et de sa monture marque
l’imaginaire médiéval et bien que les connaissances des encyclopédistes, qui étaient
avant tout des compilateurs, viennent d’auteurs antiques, comme Pline, par exemple,
l’on voit bien, dans le cas du destrier, l’intégration des qualités du cheval antique à un
idéal chevaleresque s’appliquant aux destriers.
20 De nombreux éléments de la méthode de Rufus favorisent l’idée d’un cheval se
rapprochant de l’idéal décrit par Brunet Latin. Plusieurs précautions sont prises pour
privilégier le développement d’une relation de confiance, avec beaucoup d’insistance
sur la douceur et la patience, bien que, vers la fin de la méthode, la nécessité de
contrôler le cheval et de le soumettre à sa volonté prime, avec une utilisation délibérée
de la douleur lors de l’extraction des dents. La douleur du cheval, dont on cherche à
identifier la source puis à la réduire quand il s’agit de le soigner, peut être aussi utilisée
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pour le soumettre totalement à son cavalier, une attitude qui se renforcera avec les
pratiques d’équitation à la Renaissance20. Rufus recommande de remettre le mors
quelques jours après cette extraction, expliquant que les chairs de la gencive n’auront
pas eu le temps de cicatriser et qu’à cause de la douleur ressentie, le cheval répondra
mieux au mors. Malgré tous les soins dont le cheval était entouré au début de son
apprivoisement, le plus important, finalement, était sa soumission totale aux ordres de
son cavalier, vitale dans un contexte militaire.
21 Un des éléments les plus importants et originaux de la méthode par rapport à ce que
l’on trouve dans les textes antiques est le fait qu’elle s’applique à un cheval sauvage. En
effet, le cheval né dans les montagnes reste libre de vagabonder, auprès de sa mère,
sans contact avec les hommes jusqu’à son sevrage à l’âge de deux ans. Ensuite, il peut
rester libre une année supplémentaire dans les montagnes21. Rufus justifie cette
décision pour des raisons physiologiques, soulignant les effets bénéfiques sur la santé
du cheval et le fait que ses sabots et ses jambes serontde meilleure qualité22. L’un des
manuscrits, W, s’éloigne un peu des propos de Rufus et utilise le mot «franc» pour
décrire les effets sur le cheval:
«Combien que je dy quant a cecy qu’il est chose convenable que le cheval soit
nourri en bonne et habondante pasture jusques a la fin de trois ans sans sa mere et
sans aultre jument car par le bon air et par la bonne pasture qu’il treuve es camps, il
en sera plus franc et aura plus grant liberté de corps et aura les membres meilleurs
sans tache et plus vigoreux» (W, fo3v).
Ce mot peut être compris de plusieurs façons: le cheval pourrait se mouvoir de
manière plus libre, ou bien il pourrait développer un tempérament plus noble. Cette
dernière interprétation va de pair avec l’idéal chevaleresque présenté par les
encyclopédistes selon lequel le cheval doit partager les qualités de son maître.
Concrètement, élever les chevaux à l’état sauvage peut altérer leur tempérament de
manière positive: parce qu’ils ont été confrontés à différents défis environnementaux
et à des stimuli variés, ils s’endurcissent pour faire face à des conditions difficiles
comme celles d’un champ de bataille et développent par ailleurs leur instinct de survie.
Chez des étalons, cela pourrait se manifester par leur «participation» au combat,
attaquant leurs «ennemis» (les chevaux du camp opposé). L’emploi de «franc»
pourrait donc refléter l’influence de la perception et de la représentation littéraire des
destriers sur le copiste/traducteur de W.
22 L’image du cheval sauvage est présente dans la littérature courtoise. Bucéphale, le
destrier d’Alexandre le Grand, en est un bon exemple. Dans la version donnée par
Alexandre de Paris, Bucéphale est tellement sauvage qu’il est anthropophage: non
seulement il ne se laisse monter par personne, mais il dévore quiconque entre dans la
cage où il est gardé23. Une fois dressé par Alexandre, il devient un destrier parfait,
l’accompagnant dans les batailles jusqu’à sa mort. Bayard, le cheval-faé de Renaud de
Montauban, est un autre exemple de cheval sauvage. Dans son cas, c’est après sa
séparation de Renaud que sa sauvagerie se manifeste. Dans la version donnée par le
manuscrit La Vallière, le cheval-faé est condamné à mort par Charlemagne et jeté dans
une rivière. Il s’échappe et s’enfuit dans la forêt où il vivrait encore, fuyant le contact
des hommes24. Encore une fois, il répond à un certain idéal de la représentation du
destrier: ne pouvant plus être avec le maître qu’il s’était choisi, il n’en acceptera aucun
autre.
23 Le fait de garder les chevaux dans les conditions sauvages décrites dans le De medicina
equorum n’est pas une invention de Rufus. Laisser des troupeaux de juments évoluer
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librement dans les forêts et les landes était une pratique relativement courante; ces
juments sont citées dans le Domesday Book sous le nom d’equae sylvestres25. Cette pratique
était aussi mentionnée au IXe siècle dans le Capitulare de Villis de la cour de
Charlemagne. Albert le Grand décrit, dans son De animalibus, des chevaux sauvages,
vivant dans les forêts, distingués de leurs congénères domestiques par leur couleur,
gris souris avec une raie de mulet26. Au bas Moyen Âge, les equi sylvestres étaient
probablement des roncins et sommiers, de races natives de la région, les destriers étant
de trop grande valeur pour que l’on prenne le risque de les laisser vagabonder
librement. Les recommandations de Rufus étaient-elles vraiment mises en pratique? Si
elles l’étaient, il est probable que les jeunes destriers étaient plutôt gardés dans de
larges parcs leur donnant une liberté relative27.
24 Élever les chevaux dans des conditions sauvages n’était pas recommandé par les
agronomes latins comme Varron, qui conseillaient au contraire de commencer
l’apprivoisement alors que le poulain était encore sous la mère. Ce conseil est repris par
Pierre de Crescens, qui l’ajoute à ceux qu’il tire de Rufus28. Les chevaux n’étaient
certainement pas tous élevés dans des conditions de semi-liberté et le débourrage de
certains destriers devait commencer très tôt. Cette recommandation de Rufus semble
donc être une originalité de sa part, ayant fait plus ou moins d’émules, et se reposant
sur l’observation des effets de ces conditions de liberté sur le développement physique
et psychologique du cheval.
La connaissance du cheval
25 Rufus connaissait bien les chevaux qu’il avait sans doute observés dans différents
contextes. Il donne des indications sur la croissance du cheval, soulignant que le
débourrage ne doit absolument pas se faire avant que le cheval n’ait deux ans, au risque
de le blesser29. Il précise aussi que le cheval n’est adulte qu’à partir de cinq ans, fondant
ses observations sur la croissance et l’évolution de sa dentition. Il estime à deux ans
l’âge de la maturité sexuelle du jeune étalon, ce qui est juste. Sa recommandation de ne
le séparer de sa mère qu’à ce moment reflète le sevrage naturel, tel qu’il a lieu dans les
troupeaux sauvages, à l’opposé du sevrage artificiel, effectué brutalement alors que le
cheval n’a que quelques mois30. Plus respectueux du cheval, le sevrage naturel diminue
considérablement tout stress potentiellement dommageable, physiquement ou
psychologiquement pour le poulain.
26 Rufus recommande les exercices et l’environnement qui permettront un
développement physique optimal pour le cheval. Ses connaissances biologiques sont
combinées à un savoir important sur la psychologie du cheval, qui explique les soins
dont Rufus l’entoure au moment de son apprivoisement. Il dit notamment de ne pas se
mettre en colère contre le cheval, au risque qu’il développe des vices. Si Rufus insiste,
comme nous l’avons vu précédemment, sur la nécessité de garder le poulain tout juste
arrivé à l’écurie en compagnie d’un cheval déjà domestiqué, c’est parce qu’il a
conscience de la nature sociale des chevaux31. La présence d’un autre équidé est donc
nécessaire pour rassurer le poulain, faciliter son apprivoisement, et limiter le
traumatisme lié à la capture et à l’enfermement dans une écurie, après trois années de
vie en liberté.
27 L’apprivoisement du poulain se fait grâce à un processus de désensibilisation: le cheval
est confronté à un stimulus, ici le toucher, de manière progressive, jusqu’à ce qu’il
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l’accepte sans peur. Ce toucher doit se faire sur le corps et les membres du cheval, pour
l’habituer aux humains, avec qui il n’a pas vraiment eu de contact, et pour le préparer à
porter l’équipement. Rufus insiste sur le fait que ce toucher doit être doux et que
l’homme en charge de le réaliser doit faire preuve de patience. Aucune durée de temps
n’est donnée: la désensibilisation doit s’effectuer tous les jours, aussi longtemps que
nécessaire. Il y a, dans la méthode, un vrai souci de faire en sorte que les progrès du
cheval se fassent sans précipitation, et que chaque étape soit parfaitement acquise
avant de passer à la suivante. Rufus laisse beaucoup de latitude à la personne en charge
du débourrage pour qu’elle décide du rythme à adopter: il s’adresse à des lecteurs qu’il
considère suffisamment compétents pour mener à bien le débourrage en l’adaptant à
chaque poulain.
28 Rufus utilise également le conditionnement32. Le fait de couvrir le mors de miel
correspond à du renforcement positif, qui associe quelque chose –le mors– à une autre
chose procurant du plaisir au cheval –le miel– pour que ce plaisir soit assimilé au
premier élément. Un processus similaire apparaît lors du passage où Rufus indique la
manière de se comporter lorsque le cheval est effrayé. Selon Rufus, si le cheval était
battu, il associerait ce qui lui fait peur à la douleur infligée par le cavalier. Il s’agit là
d’une autre forme de conditionnement, bien comprise par Rufus qui avait déjà dû
l’observer.
La méthode complète
Les manuscrits
29 Trois manuscrits français présentent une version complète de la méthode de Rufus, L,
R, et W, qui incluent les recommandations spécifiques aux destriers mentionnées plus
haut. Le manuscrit L est bilingue, contenant les textes latin et français. Il date de 1320
environ et mesure 260x190 mm33. Composé de 31 feuillets, il est incomplet34. Chaque
page présente le texte latin, sur deux colonnes, entouré de deux autres colonnes
contenant la traduction française. Il se pourrait que le scribe ait été italien, étant donné
que la graphie est proche de celle des livres rédigés par des scribes italiens de la cour
papale d’Avignon35. Ce texte a pu être produit pour servir au débourrage et à l’entretien
des chevaux de la cour papale. Étant donné le souci d’inclure à la fois le texte latin et sa
traduction, ce manuscrit aurait aussi pu avoir été conçu dans une perspective plus
théorique que pratique. La présentation des deux versions, latine et française, pourrait
aussi mettre en valeur le texte originel tout en présentant une traduction accessible. Le
rôle des traducteurs médiévaux de traités vétérinaires et médicaux était, entre autres,
de développer un vocabulaire scientifique en langue vulgaire. De ce fait, présenter la
traduction aux côtés de sa source pouvait donner des références utiles à un public
érudit36. Des mots latins apparaissent dans le texte français et des mots français dans le
texte latin, notamment en ce qui concerne certains sous-titres. Cela pourrait montrer la
facilité de passage d’une langue à l’autre pour le traducteur, témoignant de la diglossie
de nombreux clercs37. La présence des deux langues dans ce manuscrit reflète leur
coexistence alors que se constituait le savoir scientifique, d’autant plus qu’il date du
début du XIVe siècle, une période pendant laquelle le lexique vernaculaire scientifique
était encore en pleine évolution38.
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30 Le manuscrit R date de 1390 et mesure 329x243mm. Il est composé de 72 feuillets, le
traité de Rufus occupant les feuillets 54r à 70v. Le reste du manuscrit contient une
compilation tirée du De animalibus d’Albert le Grand. La version du De medicina equorum
qu’il contient est une copie d’une traduction faite par François du Tronchoy après
138639. Cette traduction, dont l’original est perdu, était dédiée à Jehan du Luxembourg
(c.1370-1397), seigneur de Beaurevoir40. Traduire le texte en langue vernaculaire rend
son utilisation plus facile, notamment pour donner des instructions au personnel d’un
haras. François du Tronchoy insiste sur le fait qu’il a traduit mot à mot mais des
erreurs, ou du moins des transformations, dans le texte –comparé au latin et aux
autres traductions– soulèvent la question de savoir quelle a été sa source. François du
Tronchoy aurait pu utiliser une version latine déjà fautive, ou bien il aurait pu
commettre des erreurs de traduction. Les erreurs auraient aussi pu être introduites par
le copiste du manuscrit R. François du Tronchoy déclare, dans son incipit, venir de
Vernon sur Seine (Normandie). Il n’y a pas d’indications sur le lieu de rédaction de la
traduction, mais les origines de François du Tronchoy et sa dédicace à Jean de
Luxembourg de Beaurevoir, laissent supposer qu’il s’agirait du Nord de la France. La
copie de la traduction, donc le manuscrit R, appartenait en revanche à Guy de Roye
(1340-1409), archevêque de Reims à partir de 1390, dont le nom est écrit à deux reprises
à la fin du manuscrit. Il venait de Roye, en Picardie, non loin de Beaurevoir, ce qui peut
expliquer la façon dont il a obtenu le manuscrit à partir duquel R a été copié. Un
colophon à la fin du manuscrit R déclare qu’il a été complété à Avignon, le 3 mars 1390
par Guillaume de Breuil, un copiste de Guy41. Ces informations soulignent la
dissémination de la version vernaculaire du De medicina equorum parmi les élites: le
texte originel de François du Tronchoy voyagea sans doute de Beaurevoir à Roye, puis à
Avignon et le manuscrit R voyagea d’Avignon à Reims. Le R est le plus volumineux des
manuscrits français étudiés ici et il aurait été difficile à manier au quotidien. Cela
pourrait indiquer une production faite dans une perspective plus intellectuelle que
pratique, pour préserver l’information contenue dans le texte original, d’autant plus
que Guy de Roye joua un rôle essentiel dans l’élaboration de la bibliothèque de Reims42.
31 Le manuscrit W est à la fois le plus complet et le plus mystérieux des manuscrits
français étudiés ici. Datant du XIVe siècle, il mesure 158x112 mm et est composé de 81
feuillets43. Le texte de Rufus occupe les feuillets 1 à 80, le folio 81 contenant des recettes
vétérinaires ajoutées par le copiste. De tous les manuscrits, c’est le plus petit. De ce fait,
il aurait été pratique à transporter, ce qui pourrait suggérer une utilisation plus
courante, malgré le manque d’annotations, quoique l’on y trouve l’ajout plus tardif,
peut-être du XVe siècle, d’une formule magique à la fin du traité. Comme ceux des
autres manuscrits dont l’origine est inconnue, il pourrait s’agir soit d’une traduction
directe du latin, soit d’une copie d’un texte vernaculaire perdu aujourd’hui. Il diffère
légèrement de l’édition de Molin, contenant notamment de petits ajouts clarifiant le
propos. Cela suggère soit qu’il a été réalisé par un copiste/traducteur connaissant bien
les chevaux, soit qu’il vient d’une tradition plus proche du texte originel de Rufus44.
D’un point de vue logique, pratique, hippologique et didactique, la qualité de ce texte
est la meilleure, comparée aux autres traductions45.
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
Arts et Savoirs, 22 | 2024
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Différences notables dans la méthode de débourrage
32 À propos de l’organisation des chapitres et des étapes de la méthode de débourrage, les
manuscrits L, R et W suivent à peu près le même agencement. Une des différences les
plus importantes concerne l’usage des éperons. En effet, on trouve dans l’édition de
Molin la préconisation de monter le cheval pour la première fois sans selle ni éperons46.
Si les manuscrits L et R conseillent de monter à cru, ils omettent de signaler qu’il faut
retirer les éperons. Cela pourrait être une simple omission au moment de la copie ou de
la traduction. Toutefois, chez Molin, un autre passage un peu plus loin explique que le
cavalier doit se servir d’une cravache pour frapper le cheval d’un côté puis de l’autre
afin de lui apprendre à tourner47. La cravache remplace les éperons en renforçant
l’action de la jambe et des rênes. Ce passage est supprimé dans les manuscrits L et R: le
refus d’abandonner les éperons est donc délibéré étant donné que les instructions sur
l’instrument qui les remplace sont omises, ce qui suit une certaine logique. Cette
version du texte est également reprise par Pierre de Crescens dans l’Opus ruralium
commodorum, soit parce qu’il a utilisé un manuscrit qui omet également ces
instructions, soit parce qu’il n’a pas voulu inclure la recommandation sur l’abandon des
éperons48. Enlever les éperons au moment de débourrer le cheval est à la fois logique et
sûr, d’autant plus que ce débourrage se fait à cru. En effet, non seulement le cheval n’a
pas appris à répondre aux éperons, mais en plus, le cavalier, manquant de stabilité en
l’absence de selle, risquerait de blesser le cheval par inadvertance. Le manuscrit R
ajoute un conseil, celui de monter avec les jambes le plus en avant possible, ce qui
permettrait d’avoir les talons, et donc les éperons, s’ils sont gardés, plus loin des flancs
du cheval, renforçant la suggestion de garder les éperons, ce qui semble un acte
délibéré plutôt qu’un oubli du traducteur49. Le refus d’abandonner les éperons pourrait
s’expliquer par la portée symbolique de ces derniers, représentatifs du statut
chevaleresque, qui prime alors sur les préoccupations liées à l’intégrité physique du
cheval.
33 Le manuscrit W conserve la recommandation d’enlever les éperons. Il ajoute également
la précision que la cravache utilisée pour tourner doit être employée sur l’encolure du
cheval: «en le frappant sur le col d’une verge»50. Cela correspond à une interprétation
particulière du conseil: la cravache aurait pu être utilisée sur les flancs du cheval, à
l’arrière de la jambe, d’autant plus si son rôle était de remplacer les éperons. Utiliser la
cravache sur l’encolure rend son passage d’un côté et de l’autre plus facile et permet de
la garder dans une seule main. C’est sans doute pour cette raison que le copiste/
traducteur du manuscrit W a décidé de clarifier le propos, simplifiant sa mise en
pratique. Dans un autre passage indiquant le moment où il faut saigner le cheval
(quatre fois par an, à chaque saison), il ajoute des mois précis, mars, juillet, septembre
et décembre, absents de l’édition de Molin ou des autres manuscrits français51. Il est
aussi le seul manuscrit à indiquer clairement que le cavalier risque de tomber du cheval
au moment du débourrage, et ce à deux reprises52. Il s’agit d’un détail réaliste,
contrastant avec les autres versions du texte qui présentent un débourrage fluide, se
faisant sans accroche. Cette vision est telle dans le manuscrit R que celui-ci transforme
le conseil de chevaucher le cheval, en se faisant d’abord accompagner par un homme à
pied, en recommandation de le monter sans compagnie, peut-être pour répondre à
l’idéal d’un cheval n’obéissant qu’à un seul maître53. Il y a plusieurs raisons derrière les
transformations des propos de Rufus. Dans le cas du manuscrit R, un certain idéal
chevaleresque, empreint de symbolique, pousse le traducteur à changer certains
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
Arts et Savoirs, 22 | 2024
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passages qu’il considère comme menaçant cette image. Dans le cas du manuscrit W,
c’est plutôt la volonté de faciliter la mise en pratique qui prime.
34 Le manuscrit L omet un certain nombre d’autres passages comme la description de la
manière dont l’orge doit être tamisée avant d’être donnée au cheval, afin de contenir
moins de poussière (qui le ferait tousser), présente dans les manuscrits W et R. Le
manuscrit L ne contient pas non plus la recommandation de frotter la bouche du cheval
avec du sel et du vin afin de le pousser à boire, pourtant présente dans les autres
manuscrits ainsi que chez Molin54. Il omet également le passage indiquant les mois
pendant lesquels il faut monter le cheval avec modération. Étant donné que certains
feuillets sont manquants dans ce manuscrit, il est difficile de déterminer s’il présentait
d’autres omissions. Pour ce qui est de la méthode de débourrage telle qu’elle est
présentée dans les manuscritscomplets, le manuscrit L contient le plus d’omissions, la
plus importante étant celle des éperons, parce qu’elle aurait un impact pratique
important sur le débourrage du cheval. L’absence de cette précision, aussi bien dans le
manuscrit L que dans le R nous détermine à considérer le manuscrit W comme le plus
complet en ce qui concerne la question du débourrage. La présence d’ajouts qui
clarifient le texte et le rendent plus réaliste, tout en soulignant que le débourrage peut
mal se passer, fait de ce manuscrit, de provenance inconnue, un outil essentiel pour
comprendre la science hippologique médiévale.
Le manuscrit de Catane
35 Un quatrième manuscrit présente une version du texte qui se rapproche plus de la
méthode complète que de la méthode abrégée, sans pouvoir être intégré de manière
satisfaisante à l’une des deux familles. Il s’agit du manuscrit C, conservé à la
bibliothèque universitaire de Catane. Mesurant 227x170mm, il est composé de 85
feuillets. Le texte de Rufus occupe les feuillets 60r à 85r. Il pourrait venir de l’Orient
latin, étant donné que l’écriture est similaire à celle trouvée sur des documents venant
de Chypre et du Royaume de Jérusalem55. Il date de la fin du XIVe siècle et le même
scribe a copié l’ensemble du recueil56. Ce manuscrit se distingue des autres par la
présence de textes religieux à ses côtés57: sa copie aurait pu être faite dans la
perspective de constituer une collection générale de textes, plutôt qu’un recueil
spécialisé de textes vétérinaires destiné à un usage pratique.
36 La version du De medicina equorum est très modifiée, avec des abréviations et un
remaniement de l’ordre des chapitres58. Pour ce qui est de la méthode de débourrage,
toute référence à la jeunesse sauvage du cheval est supprimée. Cela pourrait refléter
une prise de distance par rapport à la question de la garde des chevaux en semi-liberté
qui pourrait augmenter le risque de blessures dues aux conditions météorologiques, au
terrain ou aux prédateurs, comme les loups. Le débourrage est également accéléré, et
respecte moins le bien-être physique et psychologique du cheval. Il est possible que le
traducteur/copiste ait eu moins de connaissances équestres que celui d’un manuscrit
comme le W, par exemple. En revanche, la recommandation de garder le poulain en
compagnie d’un autre cheval au début de son débourrage est conservée, démontrant
l’utilité de ce conseil.
37 Une des étapes omises est la monte à cru sans les éperons. Le manuscrit C recommande
de mettre la selle juste après l’introduction du mors59. Cela signifie que le travail à pied
qui devait intervenir après l’introduction du mors est supprimé. Seules comptent, ici, la
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rapidité de la progression du cheval. Bien que des paragraphes entiers soient supprimés
dans les diverses parties du traité, tous les exercices destinés aux destriers qui
caractérisent la version complète, l’hyperflexion, l’habituation au bruit, l’extraction des
dents, le travail de groupe et le galop de charge, sont conservés. Cela souligne
l’importance de ces étapes pour la réussite du débourrage des destriers, au-delà des
premières étapes de son apprivoisement. Nous pouvons également noter la volonté
manifeste de conserver ce savoir.
La méthode abrégée
Les manuscrits
38 Trois manuscrits contiennent la méthode de débourrage abrégée, où les instructions
sur l’éducation du cheval s’achèvent après l’exercice du petit galop dans les jachères.
Toutefois, la plupart des étapes de l’apprivoisement du poulain sauvage et de son
débourrage sont conservées. Les trois manuscrits contiennent bien la recommandation
d’enlever les éperons au moment de monter pour la première fois sur le dos du cheval.
En revanche, tous les trois évoquent l’utilisation d’un matériau différent pour la corde
avec laquelle il faut capturer le poulain sauvage. Molin et la version complète
soulignent que la corde doit être faite en laine, et non en lin ou en chanvre60.
Cependant, les manuscrits abrégés signalent qu’elle doit être en laine mêlée de lin ou de
chanvre61. Cette différence pourrait être due à une erreur de traduction, ou bien elle
pourrait résulter d’une expérimentation de différents matériaux. Par ailleurs, ces
manuscrits ne contiennent pas un passage, présent dans la version complète, sur les
fers du cheval, présenté comme un sous-chapitre intitulé Ad ferrandum equum chez
Molin, ou encore la technique pour le forcer à boire en lui frotttant la bouche de sel62.
L’absence de mention des fers pourrait laisser supposer qu’ils n’étaient pas utilisés sur
tous les équidés; en effet, ils représentent un coût et un entretien supplémentaire
peut-être difficile à justifier dans le cas de simples sommiers utilisés pour le transport
de marchandises.
39 Le plus ancien des manuscrits abrégés, le B, date du XIIIe siècle. Il mesure 205x125mm
et est composé de 46 feuillets. Les feuillets 1 à 30 contiennent le De medicina equorum,
écrit sur parchemin. Les feuillets 31 à 46 contiennent des recettes vétérinaires du XVIe
siècle, écrites sur papier.63 Ce manuscrit sert de base à l’édition critique de Brigitte
Prévot. Sa provenance est inconnue et le copiste/traducteur est anonyme. Prévot
souligne que des erreurs dans le manuscrit suggèrent que le copiste ne connaissait pas
bien les chevaux ou leur vocabulaire64. Toutefois, pour ce qui est des chapitres sur le
débourrage, il n’y a pas de réel contre-sens concernant les techniques employées ce qui
signifie qu’il aurait pu être copié ou traduit à partir d’un texte élaboré par quelqu’un
connaissant les chevaux. Selon Prévot, il s’agit probablement de la copie d’une
traduction65. Le folio 46v porte la signature de «Jehan Leblond». Il est tentant
d’associer ce personnage au poète de ce nom, seigneur de Branville, né à Evreux en
Normandie en 1502 et mort en 1553. Cela pourrait signifier qu’au XVIe siècle au moins,
ce manuscrit était en Normandie. Le fait que d’autres recettes vétérinaires ont été
ajoutées au manuscrit, peut-être pour le compléter ou bien pour mettre à jour les
connaissances contenues, pourrait suggérer que le texte de Rufus continuait alors
d’être utilisé. Le manuscrit est de petite taille et la disposition du texte est très claire.
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Les premières lettres de chaque paragraphe sont alternativement rouges ou bleues,
facilitant la consultation du texte.
40 Il y a beaucoup de similarités entre les manuscrits B et V. Prévot émet l’hypothèse
qu’ils ont été traduits à partir du même texte latin66. La structure des deux manuscrits
est identique et les variantes pourraient être dues à des erreurs de copie. Le manuscrit
V date du XIVe siècle et mesure 196x138mm. Son origine est inconnue. Il est composé
de 68 feuillets. Le De medicina equorum occupe les feuillets 1 à 48, tandis que le reste du
manuscrit contient des conseils vétérinaires divers. Les feuillets 1 à 13 ont été très
endommagés par l’humidité, rendant le haut des pages difficiles à lire67. Les recettes
vétérinaires additionnelles ont été écrites par au moins deux scribes différents, certains
feuillets semblent avoir été ajoutés à une date ultérieure68.
41 Le manuscrit E, du XVIe siècle, est le plus récent de ceux contenant la méthode abrégée.
Il mesure 205x140mm et est composé de 56 feuillets. Le traité de Rufus se trouve aux
feuillets 1 à 46, tandis que les feuillets 47 à 57 contiennent un traité sur l’anatomie
humaine composé par «mestre Andrin de Lion». La traduction est faite en dialecte
picard, ce qui suppose une origine du Nord de la France. La présence de la méthode
abrégée suggère des liens avec les manuscrits B et V, mais il n’est pas clair si le
manuscrit E a été copié sur l’un des deux ou sur une autre traduction aujourd’hui
perdue. Ils pourraient également venir d’une tradition latine différente de celle qui a
transmis la méthode complète. Tout comme les deux autres manuscrits abrégés, le
manuscrit E est petit et facile à manipuler. Le fait qu’il date du XVIe siècle pourrait
témoigner de la popularité de cette version qui aurait continué d’être utilisée trois
siècles après sa création.
Guillaume de Villiers
42 Il importe de noter que la méthode abrégée fut reprise par Guillaume de Villiers, ou
Boscage, qui écrivit, en 1456, un traité d’hippiatrie français69. D’après Yvonne Poulle-
Drieux, Guillaume de Villiers était un maréchal exerçant dans la campagne normande
dont le traité est conservé en trois manuscrits70. Ses sources sont principalement Rufus
et Theodorico Borgognoni. Dans les chapitres vétérinaires, Guillaume ajouta des
recommandations concernant les maladies oculaires ainsi que des formules magiques.
43 Des feuillets 6r à 11r, le manuscrit contient la méthode de débourrage abrégée.
Quelques variations présentes dans le manuscrit V se trouvent aussi dans le G, ce qui
pourrait signifier que le manuscrit V était l’une de ses sources. Si cela était le cas, cela
voudrait dire que le manuscrit V circulait en Normandie, comme le B, et que les
manuscrits abrégés étaient plus répandus dans le Nord de la France. Dans cette partie,
Guillaume fait des ajouts, se rapportant notamment à la jument. Il recommande qu’elle
ne soit pas travaillée lorsqu’elle est pleine71. La simple idée que la jument puisse être
montée évoque un contexte non chevaleresqueet non militaire: dans ce dernier, les
étalons seraient les seuls à être montés. Dans le passage concernant la reproduction,
Guillaume, qui utilise alors Varron comme source, recommande également d’appliquer
une herbe sur le penis de l’étalon pour rendre la jument plus réceptive à ses avances et
faciliter la saillie72.
44 Les feuillets 15r à 19v présentent une répétition de l’exposé de la méthode de
débourrage, qui semble être une version fautive de la méthode complète. Elle contient,
par exemple, le passage sur l’extraction des dents, mais omet celui sur l’accoutumance
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
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au bruit ou sur l’exercice de groupe, ainsi que d’autres détails. Est ajouté un passage sur
la jument, presque identique à celui trouvé dans les précédents feuillets, ainsi qu’un
passage sur la castration du cheval. Ce rajout laisse penser que ce manuscrit était conçu
dans un contexte non chevaleresque, peut-être agricole. Le texte contient aussi
l’indication que les poulains sont plus facilement dressés quand ils sont jeunes,
contredisant le texte de Rufus, qui déclare au contraire qu’un dressage trop jeune est
délétère, en faisant appel à une nouvelle auctoritas, tout comme l’avait fait Pietro de
Crescentis73. La présence de ces deux versions de la méthode suppose l’utilisation d’au
moins deux manuscrits contenant des traductions différentes de Rufus, auxquels
auraient été ajoutées des informations venant d’autres auteurs. Les fautes et omissions
dans la version des feuillets 15r à 19v, qui la rendent plus difficile à mettre en pratique,
pourraient laisser penser qu’elle était moins utile dans un contexte rural ou agricole
que la version abrégée des feuillets 6r à 11r, gardée telle quelle. Cette version fautive
pourrait également venir d’une réinterprétation faite par un autre auteur, inconnu,
plutôt que d’un texte clairement associé à Rufus.
Mise en pratique, vocabulaire et transmission orale
45 L’existence de la méthode abrégée ainsi que sa longévité semblent témoigner d’une
adaptation du texte original pour le mettre en pratique dans des contextes divers. Il
permet par exemple d’effectuer le débourrage d’autres chevaux et pas seulement des
destriers. Tous les passages supprimés se rapportent au débourrage des destriers ou
bien sont susceptibles d’être difficiles à mettre en pratique. Prenons l’exemple de
l’extraction des dents: elle n’aurait pas d’utilité si le cheval n’était pas destiné à porter
des mors très ouvragés. De plus, les dents concernées par cette extraction ne sont pas
clairement désignées dans le texte. Rufus dit qu’il s’agit de quatre dents, nommées
«scalliones», deux d’un côté et deux de l’autre, explicitement sur les mâchoires du bas,
sans plus de précision74. L’adjectif «plains» est utilisé pour les décrire dans les
manuscrits W et R, ce qui pourrait évoquer des molaires en raison de leur forme,
éloignant l’hypothèse qu’il s’agisse des canines ou des dents de loup dont l’extraction
serait plus logique75. Toutefois, étant donné que le texte originel de Rufus n’est pas
connu, on peut supposer que des erreurs de copie ou de traduction aient obscurci le
sens d’origine, d’autant plus que le texte latin, chez Molin et dans le manuscrit L, utilise
en fait l’adverbe «plane» pour signifier que ces dents gênent complètement le mors. Le
manuscrit L ne traduit pas ce mot exactement, le remplaçant par l’adjectif «planes»76.
Il pourrait donc y avoir soit une erreur dans les manuscrits français, soit un
éclaircissement délibéré d’une indication peu claire dans le texte originel avec une
précision sur la forme des dents. En se référant soit à des pratiques qu’ils connaissaient,
soit à ce qu’ils considéraient être logique, les traducteurs ont décidé qu’il fallait
qualifier ces dents plus précisément.
46 Quelles que soient ces dents, leur extraction serait difficile et dangereuse en l’absence
de sédatif ou de substance anesthésiante ou désinfectante. Elle risquerait aussi de
rendre le cheval inutilisable pendant une période indéterminée et d’être suivie d’une
guérison difficile. De plus, étant donné que la raison de cette opération est l’utilisation
de mors ouvragés, il est surprenant que ce ne soit pas les mors qui soient modifiés,
plutôt que la bouche du cheval. Le cheval est physiquement modelé et transformé pour
se conformer aux attentes des hommes, avec les mors, les fers, ou encore l’hyperflexion
décrite dans la version complète. La version abrégée met moins cela en relief,
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
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présentant une vision plus simple de l’éducation du cheval, ce qui pourrait expliquer en
partie sa longévité. L’absence du passage sur les dents pourrait également témoigner
d’un refus d’instrumentaliser la douleur du cheval.
47 Les variations dans le vocabulaire employé pour décrire et même nommer les dents
sont liées à des hésitations anatomiques mais indiquent également que la traduction en
langue vernaculaire devait s’accompagner de la création d’un lexique scientifique. Ce
dernier a été étudié dans le cadre de la médecine humaine, à travers, par exemple,
l’œuvre d’Evrart de Conty, médecin du XIVe siècle ayant traduit en français les Problèmes
d’Aristote, en se fondant sur des versions latines de ce traité77. Un vocabulaire
spécialisé a également dû être développé dans le cadre de l’hippiatrie, ainsi que de
l’hippologie. Le fait que Rufus ait rédigé son traité en latin démontre son intention d’en
faire un texte de référence, écrit dans une langue savante qui légitime ses propos et
donne à leur auteur une certaine autorité. Cela a cependant soulevé la question du
vocabulaire scientifique vernaculaire que ses traducteurs ont dû employer. Dans les
chapitres hippiatriques, il est souvent semblable à celui utilisé pour la médecine
humaine, avec des hésitations similaires sur la manière de traduire certains concepts
ou parties du corps: les traducteurs avaient recours à des néologismes, calques
sémantiques ou encore mots vernaculaires employés couramment78.
48 Prenons pour exemples les termes désignant les entraves. Rufus utilise plusieurs mots
latins pour les décrire dans le passage où il explique lesquelles mettre au poulain: «et
ejus pedes anteriores pedica de lana composita vinculentur, nec non uni pedum
posteriorum fune lanea alligando, quod dicitur traginellus»79. Le dernier mot,
traginellus, désignant l’entrave du pied postérieur, est le plus spécifique; il fait
clairement référence à un outil courant, du moins dans la région d’origine de Rufus et
on peut supposer qu’un mot vernaculaire a été latinisé, comme sous-entendu par
l’expression «quod dicitur». En effet, son étymologie est peu claire: on peut le
rapprocher du latin tragula désignant une sorte de filet, du latin médiéval traginare
signifiant «traîner» ou encore du verbe italien trarre dont un des sens est «tirer». Ce
passage a été repris avec de nombreuses variations dans les manuscrits français80.
49 Traginellus est traduit par travail dans les manuscrits E, W et C, sans doute en référence
au travail du maréchal-ferrant, utilisé pour immobiliser les chevaux (voir figure: le
cheval à droite est dans un travail)81. Toutefois, cette traduction ne reflète pas ce que
Rufus voulait dire, étant donné que le travail est une structure en bois, plutôt qu’une
fine corde de laine. Cela témoigne d’une hésitation sur la manière de traduire le mot
employé par Rufus et sur la description d’un outil qui n’était peut-être pas connu des
traducteurs ou il était probablement moins utilisé dans certaines régions. Les
traducteurs font alors référence à un mot vernaculaire désignant un instrument bien
connu même s’il n’est pas celui décrit par Rufus.
50 Les manuscrits B et V utilisent trainel qui évoque le résultat des entraves, forçant le
cheval à traîner les pieds; cela se rapproche plus du sens de traginellus. Le manuscrit R
ne donne pas de nom spécifique pour l’entrave du pied postérieur, utilisant simplement
cordelle qui a pour mérite de souligner clairement la nature de l’entrave en évitant le
problème de la traduction d’un mot problématique. L’inclusion d’une traduction de
traginellus dans certains manuscrits pourrait être due à la volonté de conserver cette
précision de l’auctoritas Rufus plutôt que de clarifier le propos étant donné que les
traducteurs ne savaient peut-être pas ce qu’il désignait.
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
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51 Le manuscrit bilingue est le seul à ne pas donner de vocabulaire précis pour les
entraves, se référant uniquement au matériau de l’entrave, la laine. Toutefois, l’adjectif
predicta («susdite») est clairement une mauvaise copie du mot pedica («entrave»)
trouvé chez Molin. Il semblerait que le copiste/traducteur n’ait pas eu une bonne
connaissance du lexique équestre et que cela ait influencé son interprétation du
propos. Cependant, le manuscrit L est le seul à donner la même version que Molin en
gardant le conseil d’utiliser la laine pour l’entrave des membres postérieurs. Les autres
utilisent le lin ou le chanvre, ou bien omettent ce matériau (R et C). Le manuscrit W
utilise le mot bois qui peut désigner la partie ligneuse d’une plante comme le lin. La
forme empige dont le manuscrit W se sert pour décrire les entraves des membres
antérieurs est étonnante et semble proche du verbe empigier signifiant «enduire de
poix», insistant sur l’impossibilité du cheval à avancer, ou pourrait évoquer l’idée d’un
piège82. Comme dans le cas de la corde utilisée pour capturer le poulain, le conseil
d’utiliser des matériaux différents pourrait résulter soit d’une erreur de traduction, soit
d’une expérimentation de différents outils, ou bien encore d’une spécificité régionale.
52 Ces enjeux lexicologiques reflètent des questionnements lors du passage du latin au
français. Les traducteurs doivent choisir soit de traduire les mots en conservant le sens
qu’ils pensent que Rufus leur donnait, soit de les remplacer par un vocabulaire courant
se référant à des outils familiers. C’est sans doute là une des particularités des traités
hippiatriques: certes, un lexique savant est utilisé, surtout dans les chapitres
vétérinaires, mais nombre d’actions faisaient partie de la pratique courante et les
instruments recommandés avaient déjà une appellation spécifique, notamment dans les
chapitres dédiés à l’hippologie. Certaines des adaptations du traité de Rufus, à travers
l’intégration d’un vocabulaire équestre usuel, mettent l’accent sur cette pratique ainsi
que sur la transmission orale des connaissances équestres. Alors que le latin reflète un
discours savant, souvent hérité des auteurs antiques, le français témoigne de la
nécessité de la mise en pratique83. Le but de la méthode était d’être appliquée. Plusieurs
des manuscrits étudiés ici ont pu être conçus dans une perspective pratique comme le
laisse croire leurs dimensions réduites leur permettant d’être facilement transportables
et consultables sur le terrain. La traduction en langue vernaculaire elle-même témoigne
du désir de faciliter son partage et son application: le texte devient compréhensible
par un plus grand nombre de personnes et ses instructions sont plus facilement
transmises.
53 La version abrégée des manuscrits, plus simple, donne plus de liberté d’interprétation
au lecteur par rapport aux conseils de Rufus. Cette liberté d’interprétation est une
dimension importante de la méthode médiévale, y compris dans la version complète.
En effet, Rufus s’adresse à des connaisseurs, des «gens de cheval» qui ont peut-être
même déjà débourré des poulains. Son texte repose, pour être totalement
compréhensible, sur un apport extérieur de connaissances. Par exemple, bien que le
matériau de la corde avec laquelle le cheval est capturé soit décrit avec soin, rien n’est
dit sur le processus de capture lui-même: comment les poulains sont-ils descendus de
leur montagne natale et combien d’hommes sont impliqués? Ces omissions ne sont pas
surprenantes: étant donné que garder les chevaux en semi-liberté était une pratique
courante, leur capture faisait partie de traditions équestres bien connues, répandues et
transmises oralement de génération en génération. Rufus considérait que ses lecteurs
les connaissaient; ce qu’il rapporte, ce sont ses innovations, décrites et justifiées, qui
La transmission française de la méthode de débourrage de Jordanus Rufus (xiii...
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s’imbriquent dans les traditions connues par ses lecteurs, les contredisent, ou les
complètent.
54 La liberté laissée par Rufus à ses lecteurs explique aussi certaines réinterprétations
faites par les copistes. Sa méthode de débourrage était conçue pour être appliquée et
Rufus s’attendait à ce que les utilisateurs du texte interprètent certains passages à leur
guise. C’est pourquoi il répète à plusieurs reprises que c’est le cavalier qui décide de la
durée d’application de certaines étapes, ou certaines actions, comme le changement du
mors pour un plus fort, sont optionnelles, dépendant du cavalier mais aussi des progrès
individuels de chaque poulain. Destinée à être mise en œuvre sur un être vivant, la
méthode de débourrage était conçue pour s’adapter à lui, pour être mouvante, vivante
elle aussi. Finalement, ce sont de nombreuses voix que l’on entend dans les manuscrits,
celle de Rufus d’abord, mais aussi celle des copistes et traducteurs, parfois anonymes,
parfois nommés.
55 La version abrégée devait être complétée par des traditions orales permettant de
différencier le débourrage en fonction de l’usage auquel le cheval était destiné.
Certaines de ces traditions peuvent être devinées dans les silences de la méthode.
D’autres pourraient être entrevues dans les instructions de Rufus. En effet, si Rufus
insiste tant sur l’importance de ne pas débourrer le cheval trop jeune, on peut supposer
que c’est parce que le dressage de jeunes poulains était relativement répandu. De
même, l’insistance sur le fait d’enlever la selle et les éperons laisse entendre que ce
n’était pas toujours le cas – ce qui est confirmé par l’absence de ces conseils dans
certains des manuscrits. C’est un monde équestre foisonnant et divers que nous laisse
entrevoir ce texte unique: seule source écrite originale, il ne signifie pas qu’il n’y avait
qu’une seule méthode de débourrage. Celle de Rufus n’en est qu’une parmi tant
d’autres, aujourd’hui disparues. Et, à travers ses réinterprétations au cours des siècles,
ce texte lui-même devient multiple. Ce n’est plus une méthode qui existe mais
plusieurs, se fondant sur une même base mais s’en éloignant plus ou moins, y compris
quand la paternité de Rufus est revendiquée.
Conclusion
56 La méthode de débourrage de Jordanus Rufus est la seule source écrite originale sur ce
sujet au bas Moyen Âge, bien qu’elle ait inspiré de nombreux autres auteurs. Elle donne
un aperçu unique des mentalités médiévales et des connaissances scientifiques de
l’époque sur le cheval et sa psychologie. La traduction française de la méthode est
transmise par sept manuscrits, appartenant à deux familles distinctes. La première suit
dans les grandes lignes le texte latin, tandis que la seconde l’abrège de manière logique
et systématique. Il est possible que la version abrégée ait été conçue pour être
appliquée sur une plus grande variété de chevaux tandis que la méthode complète
concerne avant tout des destriers. La longévité de la méthode abrégée, encore copiée au
XVIe siècle, atteste son efficacité. Par ailleurs, dans tous les manuscrits, la méthode fait
l’objet d’une transformation plus ou moins poussée par les copistes, soit à cause
d’erreurs, soit délibérément. Les modifications délibérées sont les plus intéressantes et
témoignent d’un dialogue entre Rufus et ses héritiers, dialogue qu’il semble avoir
souhaité étant donné la liberté qu’il laisse à ses lecteurs, attendant implicitement qu’ils
fassent, comme lui, leurs propres expériences.
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NOTES
1. 101 de ces manuscrits sont en latin et 125 en langues vernaculaires: voir Martina Giese, “Die
frühen lateinischen Pferdeheilkunden des Mittelalters: Forschungsbilanz und
Forschungsdesiderata”, dans Chevaux, chiens, faucons. L’art vétérinaire antique et médiéval à travers
les sources écrites, archéologiques et iconographiques, Anne-Marie Doyen-Higuet et Baudouin Van den
Abeele (dir.), Louvain-la-Neuve, Brepols, 2017, p.209-250.
2. Ce sont les manuscrits Udine, 159 et Londres, Wellcome Library, MS546/5.
3. Boudewijn Commandeur, “On Horses – Two Medieval Authors, Their Manuscripts, Early
Printed Books and Illustrations”, dans Figurations animalières à travers les textes et l’image en Europe
du Moyen-Âge à nos jours Essais en hommage à Paul J.Smith, Alisa van de Haar et Annelies Schulte
Nordholt (dir.), Leiden, Brill, 2022, p.147.
4. Ibid.
5. Les historiens continuent d’utiliser l’édition réalisée par Jérôme Molin en 1818, considérée
comme relativement fiable: Jordanus Rufus, Jordani Ruffi Calabriensis Hippiatria, éd.Jérôme Molin,
Padoue, Typis Seminarii Patavini, 1818.
6. Il existe une édition critique de la version française, réalisée par Brigitte Prévot. Elle utilise
certains des manuscrits étudiés ici (B étant son manuscrit de base, avec des ajouts venant de R et
de V): Brigitte Prévôt, La Science du cheval au Moyen Âge: le traité d’hippiatrie de Jordanus Rufus,
Paris, Klincksieck, 1991.
7. Le manuscrit utilisé par Molin est le suivant: Venise, Biblioteca Nazionale Marciana
Lat.Cl.VII24.
8. Voir, par exemple, Andrew Miller, “Tails of Masculinity: Knights, Clerics, and the Mutilation of
Horses in Medieval England”, Speculum, vol.88, 2013, no4, p.958-995.
9. Irina Mattioli, «L’entretien d’un animal essentiel: rapports entre les traités et la pratique dans
l’hippiatrie italienne du XIIIe siècle» Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, 153, 2022, p.33-53.
10. «Equitator verumtamen, postquam equum suaviter descenderit, eum non removeat, donec
sibi pannos actet, ut convenit, qui equus exinde quietum assumit ob commodum equitantis»
(Molin, op.cit., p.11). Le texte de Xénophon est le suivant: «Ἐπειδάν γε μὴν καθέζηται, πρῶτον
μὲν ἠρεμεῖν δεῖ διδάσκειν τὸν ἵππον, ἕως ἂν καὶ ὑποσπάσηται, ἤν τι δέηται, καὶ ἡνίας ἰσώσηται
καὶ δόρυ λάβῃ ὡς ἂν εὐφορώτατον εἴη.» (Xénophon, On Horsemanship (with original text), dans
Xenophon: in seven volumes, VII, Scripta minora, traduit par G.W.Bowersock et E.C.Marchant,
Cambridge, Massachusetts, 1925, VII, 8).
11. «Si vero per dicta loca transirer trepidaverit, vel pavescet, idem equus saevis verberibus
virgae, vel calcaribus non cogatur, sed convenienti verbere leviter eumdem blandiendo ducatur»
(Molin, op.cit., p.14). La version de Xénophon est la suivante: «Οἱ δὲ πληγαῖς ἀναγκάζοντες ἔτι
πλείω φόβον παρέχουσιν· οἴονται γὰρ οἱ ἵπποι, ὅταν τι χαλεπὸν πάσχωσιν ἐν τῷ τοιούτῳ, καὶ
τούτου τὰ ὑποπτευόμενα αἴτια εἶναι.» (Xénophon, op.cit., VI, 15).
12. André Monteilhet, «Xénophon et l’art équestre», Bulletin de l’Association Guillaume Budé, n°2,
juin 1957, p.35.
13. Xenophon, On Horsemanship, trad. par Amy Bonnette, dans Xenophon: The Shorter Writings, éd.
de Gregory A. McBrayer, Ithaca (N.Y.), Cornell University Press, 2018, p.270.
14. B, f°3r.
15. «Nota quoque quod aquae quanto frigidores et velociores exsistunt, tanto minus equum
nutrient et reficiunt» (Molin, op.cit., p.8).
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16. Brunetto Latini, Li livres dou tresor, éd. de Francis J.Carmody, Berkeley, University of
California Press (University of California Publications in Modern Philology, 22), 1948, lxii + 458p.
Réimpr.: Genève, Slatkine, 1975; 1998.
17. Homère, Iliade, XVII, 424-440.
18. George Waring, Horse Behavior, Norwich, New York, Noyes Publishing, 2003, p.36.
19. Susan Crane, “Chivalry and the Pre/Postmodern”, Postmedieval 2, 2011, p.69-87, en ligne,
https://doi.org/10.1057/pmed.2010.49
20. Augustin Lesage, «Observation et instrumentalisation de la douleur du cheval dans la
littérature technique du XVIe siècle», Histoire, médecine et santé, 21, printemps 2022, en ligne,
https://doi.org/10.4000/hms.5767.
21. «Assero tamen quod si in sufficientibus pascuis usque ad aetatem trium annorum equus
libertatem haberet per bona pascua sine societate jumentorum, melius et salubrius fore equo; eo
quod camois jugiter coutendo, aer et libertas in equi corpore et in membris sunt naturaliter
conservantia sanitatem, specialiter crura fiunt munda omnium macularum, et per omnia
Meliora.» (Molin, op.cit., p.4)
22. Cette recommandation va de pair avec le souci hippiatrique qui parcourt tout le traité.
23. Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, éd. de E.C.Amstrong et al., Paris, Librairie Générale
Française, 1994.
24. Les Quatre fils Aymon ou Renaud de Montauban, éd. de Jean Subrenat et Micheline de Combarieu
du Grès, Paris, Gallimard, 1983.
25. Charles Gladitz, Horse Breeding in the Medieval World, Dublin, Four Courts Press, 1997,
p.143-145, 159, 163.
26. Albertus Magnus, De Animalibus libri XXVI nach Cölner Urshrift, éd. de Herman Stadler, Munster,
Aschendorff, 1920, p.1378. La raie de mulet est une marque, due au gène Dun, portée par un
certain nombre de races primitives (voir Freyja Imsland et al., “Regulatory Mutations in TBX3
Disrupt Asymmetric Hair Pigmentation that Underlies Dun Camouflage Color in Horses”, Nature
Genetics, 2015).
27. Voir, par exemple, Carly Ameen, et al., “Interdisciplinary Approaches to the Medieval
Warhorse”, Cheiron: The International Journal of Equine and Equestrian History, vol.1, 2021, no1,
p.84-103.
28. Petrus de Crescentiis, Ruralia Commoda: Das Wissen des vollkommenen Landwirts um 1300, Dritter
Teil: Buch VII-XII, éd. de Will Richter, Heidelberg, Editiones Heidelbergenses, 1998, p.32-33.
29. Cela est encore reflété aujourd’hui par de nombreuses pratiques modernes.
30. R.C.Apter, D.D.Householder, “Weaning and Weaning Management of Foals: A Review and
Some Recommendations”, Journal of Equine Veterinary Science, vol.16, 1996, no10, p.428-435.
31. «Et quia omne simile naturaliter appetit suum simile, cum aliquo sui generis salubrius
conducatur.» (Molin, op.cit., p.4)
32. Le conditionnement est communément utilisé dans les techniques de débourrage modernes.
33. Antonio Montinaro, La Tradizione del De medicina equorum di Giordano Ruffo, Milan, Biblioteca
di Carte Romanze, 2015, p.180.
34. Des feuillets manquent entre ceux numérotés 8v et 9r, ainsi qu’entre ceux numérotés 16v et
17r.
35. Ibid.
36. Sur le rôle des traducteurs de textes scientifiques, voir par exemple: Pieter De Leemans,
Michele Goyens et An Smets (dir.), Science Translated: Latin and Vernacular Translations of Scientific
Treatises in Medieval Europe, Leuven University Press, 2013.
37. Joëlle Ducos, «Latin et textes scientifiques francais: bilinguisme, ignorance et terminologie»,
dans Approches du bilinguisme latin-francais au Moyen Age, S.Le Briz et G.Veysseyre (dir.),
Turnhout, Brepols, 2010, pp. 81-98 , ici p.82.
38. Ibid.
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39. Antonio Montinaro, op.cit., p.167.
40. «A son excellent et strenuissime seigneur Monseigneur Jehan de Lucembourc de Biaureveoir
et d’Anguyen et des contes de Brianne et de Conversan seigneur. Je, votre petit serviteur François
du Tronchoy de Vernon sur Seinne, pour votre plaisir et utilité de votre mareschaucie, votre
instance et pour votre commandement, translatay un livre de marschaucye, lequel est en latin, et
si le ramenrray de mot a mot en langage françois sanz rien muer moy de sa substance.» (R,
fo54r)
41. Colette Jeudy, «Traductions françaises d’œuvres latines et traductions médicales à la
bibliothèque cathédrale de Reims d’après l’inventaire de 1456/1479,» Scriptorium, t.47, 1993,
n°2, p.178.
42. Jacqueline Le Braz, «La bibliothèque de Guy de Roye, archevêque de Reims (1390-1409)»,
Bulletin d’information de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, bulletin n°6, 1957, p.67-100.
43. Antonio Montinaro, op.cit., p.164.
44. Ce texte est perdu ou encore non identifié.
45. Lorsque Brigitte Prévot a réalisé son édition critique de la version française du De medicina
equorum, ce manuscrit avait été mal identifié comme un manuscrit latin, ce qui explique qu’il
n’ait pas été choisi comme manuscrit de base.
46. «Deinde, sine strepitu et tumultu, sine sella et sine calcaribus, suavius et levius quam poterit,
equitetur.» (Molin, op.cit., p.11)
47. «Et paulatium parvo passu ducatur, eumdem a dextris et a sinistris saepius revolvendo
quadam virga ipsum percutiendo decenter, et si expedierit, ductor aliquis antecedat pedes, sicut
dictum est superius, summo mane vel summo diluculo usque ad mediam tertiam per loca plana et
non saxea, donec equitator eum quocumque placet sine ductore conducat et societate» (Molin,
op.cit., p.11).
48. Petrus de Crescentiis, op.cit., p.36.
49. «Et cellui qi le chevauchera doit mettre ses piez devant le plus qu’il peust.» (R, fo56r.).
50. W, fo10r.
51. «Or doit on savoir que pour melx garder la santé du cheval l’on le doit saigner de la vayne du
col acostumee quatre fois l’an selon la distinction des quatre temps c’est assavoir printemps, esté,
autumpne et yver si come ou mois de mars, ou moys de juillet, ou mois de septembre et ou moys
de decembre et a chascune fois on le doit saigner suffisamment.» (W, fo9v)
52. «Et se ainsy est qu’on ne le puisse chevaucher au commencement sans cheoir, on le puet
mener a pié.» (W, fo10v)
53. «Touz les jours a l’aube du jour iusques a demie tierce ou a heure de prime, le doit mener par
les plus belles voyes ou il n’y ait point de pierres, sanz compaignie.» (R, fo56r)
54. «Et quia equus nisi bibat sufficienter ad plenum, non posset carnes assumere competentes,
utile satis videtur abluere saepe os equi interius, et fricare cum sale frequenter vino fortissimo
madefacto, quoniam ob hoc equus libentius aquam assumet.» (Molin, op.cit., p.8)
55. Edith Brayer, «Un manuel de confession en ancien français conservé dans un manuscrit de
Catane (Bibl. Ventimiliana, 42)», Mélanges d’archéologie et d’histoire, t.59, 1947, p.160.
56. Brayer, op.cit., p.156.
57. Les autres textes qui le composent sont tous religieux: «Proverbes de Salomon», «Traité de
confession», «Descente de Saint Paul en enfer», «Symbole de Saint Athanase»,«Questions de
la foi catholique» de Thomas d’Aquin.
58. Brayer souligne que les textes religieux eux aussi ont été modifiés par le copiste, supposant
une interprétation personnelle de tout le contenu.
59. «Et soit oint le mors d’un poy de miell ou d’autre choze douse a ce qu’il le puisse ressever
plus volentiers et mains de mal li fera en la bouche et ameement li doit hom metre la sele et
monter sus.» (C, fo65r)
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60. «Dico igitur quod laqueari debet equus tam leviter quam suaviter laccio grosso et forti,
decenter de lana composito, eo quod lana est ad hoc habilior propter mollitiem suam, canape,
lino, vel suo aliquo coaequali.» (Molin, op.cit., p.4)
61. «Et la corde doit estre de laine ou de chanvre ou de lin pource que la laine et le lin est
ensemble, la corde en devient plus mole et plus convenable a l’office de lacier les pouleins.» (B,
fo1v-2r)
62. Molin, op.cit., p.9.
63. Deux feuillets, entre les feuillets 30v et 31r ont été découpés pour faciliter l’ajout des feuillets
en papier.
64. Brigitte Prévot, op.cit., p.16.
65. Ibid., p.27.
66. Ibid., p.21.
67. Le folio 1v est presque entièrement illisible.
68. Il s’agit des feuillets entre 50v et 68r, le texte sur 68r étant la continuation de celui sur 50v.
69. Cette date pourrait être celle du traité lui-même ou bien du manuscrit le contenant.
70. Yvonne Poulle-Drieux, «La Médecine des chevaux ou “Maréchalerie” dans l’Occident latin au
Moyen Âge», Bulletin de la société française d’histoire de la médecine et des sciences vétérinaires, 7,
2007, p.4-25, ici p.12.
71. «Et gardez bien que quant la jument sera prains qu’elle ne soit point fort travailler pour faire
chevauche ne pour trop grant faiz ne pour estre mise en estroit lien, car toutes cestes choses
pourroient faire avorter la jument et fuir le poulain ou ventre.» (G, fo6v)
72. «Et se la jument ne veult souffrir l’estallon, prentz une herbe qui est dicte squille ou de ortie
et la pilles fort puis prenes suc ou jus et y moullez ou trempes le membre genital de l’estaillon.»
(ibid.)
73. «Toutesfoiz Ypocras dit que de tant que le poulain est plus jeune de tant est plus rusé a
chastier et apprendre le chevester.» (G, f o16r)
74. Molin, op.cit., p.15.
75. R, f o57r.
76. W, fo14r; L, fo8r.
77. Voir les études recueillies par Joëlle Ducos et Michèle Goyens (dir.) dans Traduire au XIVe siècle:
Evrart de Conty et la vie intellectuelle à la cour de Charles V, Paris, Honoré Champion, 2015.
78. Michèle Goyens, Joëlle Ducos et Fleur Vigneron, “Terminology at the End of the Middle Ages in
France” dans History of Terminology, Kara Warburton et John Humbley, John Benjamins (dir.),
Amsterdam, (à paraître), doi: 10.1075/tlrp.
79. Molin, op.cit., p.6.
80. Famille abrégée: «et les .ii. piez devant soient laciez d’une corde de laine. Et .i. des piez
derries soit liez d’une corde de chanvre ou de lin, et soit apelez trainel» (B, fo2r); «li pie devant
soient lacie d’une pasture de laine, et uns des piez derriere soit loiez d’une corde de chanvre ou
de lin, et ce apele on trainel» (V, fo3v); «les pies de devant soient lachiet d’une pasture de laine
et un des pies derrière soit lies d’une corde de chanvre on de lin et che est eppelles travail» (E,
fo4v). Famille complète: «Si comme il est par devant dit les pies de devant soient lies d’une
doulce et forte empige de laine et l’un dez pies de desriere soit lie a un bois c’est a savoir un
travail» (W, fo5v); «et les piez devant lier de pastoures de lainne et encore un pie derriere lie
d’une cordelle aceulz devant, qu’il ne puisse aller en avant» (R, fo55v); «Apres, les pies devant
de celui soient liez de la devant dite laine apareilliee. Et enseurchetout, en liant es pies derriere
un lian de laine, ace qu’il ne puisse aler avant en aucune manière». / «Item eius pedes anteriores
predicta lana composita vinculentur nec non in parte novim pedum fasciem lanea alligando» (L,
fo3v); «Et les .ii. pies devant entravers et que hom li met .i. traviau deriere» (C, fo63v).
81. Travail vient du latin tripalium en référence à sa structure avec trois pieux.
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82. Voir la définition d’empigier dans le Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500), Version 2023, en
ligne, http://www.atilf.fr/dmf/definition/empigier.
83. Joëlle Ducos, op.cit., p.90.
RÉSUMÉS
La seule méthode originale de débourrage existant pour l’Europe occidentale du bas Moyen Âge
se trouve dans les premiers chapitres du De medicina equorum (circa 1250) de Jordanus Rufus. Sept
traductions en moyen français de ce texte existent, datant du XIIIe au XVIe siècles. Les variations
qu’elles présentent reflètent une adaptation de la méthode en fonction des types de chevaux à
laquelle elle était appliquée, destriers ou simples roncins. C’est en raison de son adaptabilité que
cette méthode, reposant sur les expérimentations de son auteur, sur ses connaissances
scientifiques et sur une multitude de traditions équestres aujourd’hui disparues, a traversé les
siècles.
The only original method for breaking-in horses in Western Europe in the late medieval period is
found in Jordanus Rufus’ De medicina equorum (c.1250). Seven Middle French translations of this
text exist, dating from the 13th to the 16th centuries. The variations found in them reflect an
adaptation of the method to the different types of horses to which it was applied, from destriers
to simple rounceys. It is because of the versality of this method, which relies on its author’s
experimentations, on his scientific knowledge, and on a multitude of now lost equestrian
traditions, that it remained relevant through the centuries.
INDEX
Mots-clés : débourrage des chevaux, chevaux médiévaux, traité vétérinaire, traditions équestres
médiévales, tradition manuscrite
Keywords : breaking-in of horses, medieval horses, veterinary treatise, equestrian traditions,
manuscript tradition
AUTEUR
CAMILLE VOVANQUI
Université d’Exeter (UK), Centre for Medieval Studies
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