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Le document vivant : ouvrir les images iconiques de la performance: Les Seven Easy Pieces de Marina Abramović et de Babette Mangolte

Authors:
Le document vivant :
ouvrir les images iconiques
de la performance
Les Seven Easy Pieces de Marina Abramovi´c
et de Babette Mangolte
Anne Bénichou
Université du Québec à Montréal
Les Seven Easy Pieces que Marina Abramović a présentées au Solomon
R. Guggenheim Museum à New York en  ont suscité tant de com-
mentaires que l’on peut se demander s’il est pertinent d’y revenir sept
ans plus tard et s’il est possible d’apporter de nouveaux points de vue aux
débats houleux que l’événement a provoqués. Qui plus est, la rétrospective
Marina Abramović : e Artist Is Present qui s’est tenue au Museum of
Modern Art à New York en  a relancé la polémique et a suscité une
recension critique tout aussi volumineuse. Le nœud du débat : le parti
pris de l’artiste de reconstituer live des performances du passé, celles de
ses pairs ou les siennes.
Dans son introduction au catalogue Seven Easy Pieces et dans le fasci-
cule qui était distribué au musée lors de l’événement, Abramović explique
que ses reenactments de performances s’inscrivent dans une entreprise
de documentation : « e only real way to document a performance art
202  
piece is to re-perform the piece itself. » Une assertion que la plupart des
commentateurs ont vigoureusement réfutée. Ces derniers y ont plutôt
vu une œuvre spectaculaire procédant de l’appropriation très libre de
performances phares des années  et , à la fois un hommage aux
artistes chers à Abramović, une revendication d’une place privilégiée
dans la grande Histoire de la performance, une mythication de l’artiste
désormais entérinée par les institutions muséales hégémoniques. À ma
connaissance, seule Jessica Santone, à l’occasion d’un article paru en 
dans la revue Leonardo, a analysé les Seven Easy Pieces dans la perspec-
tive documentaire que l’artiste revendiquait. Or, ce point de vue, bien
qu’étonnant au premier abord, me semble des plus pertinents. Il permet
de dépasser les apories dans lesquelles les débats tendent à s’enliser : l’assi-
milation du reenactment à l’institutionnalisation et à la spectacularisation
de la performance ; le clivage documentation/reenactment qui n’est qu’une
reformulation de l’opposition que beaucoup établissent encore entre le
direct et le médiatisé, même si une grande partie des œuvres performa-
tives transgressent cette opposition depuis les années .
À la suite de Santone, je proposerai d’aborder les Seven Easy Pieces en
tant que documentation de performances historiques. Je montrerai com-
ment ces documents vivants s’articulent aux formes plus traditionnelles
de documentation, tels la photographie, le lm, la vidéo, les récits, qui
prennent dès lors valeur de scripts, selon un phénomène complexe de pro-
duction interdocumentaire. J’analyserai la part importante de réinvention
des œuvres dans cette entreprise de reconstitution, non pas comme perte
inéluctable de l’original comme le propose Santone selon une conception
derridienne de larchive, mais en tant que « volonté d’archive » au sens où
l’entend André Lepecki. À ses yeux, les reenactments actualisent certaines
virtualités qui sont contenues dans les œuvres reprises, mais qui n’ont pas
encore été explorées.
Si l’on accepte l’idée que le reenactment est un document vivant
qui actualise l’œuvre « originale », qu’en est-il de la documentation des
reenactments ? Ramène-t-elle les œuvres et leur représentation vers un
régime plus traditionnel de documentation ? Procède-t-elle d’un paradoxe,
comme beaucoup le prétendent ? À partir du lm que Babette Mangolte
a réalisé à la demande d’Abramović, Marina Abramović : Seven Easy
Pieces (), je montrerai que le document de reenactment relève de la
même « volonté d’archive », qu’il est à la fois une remédiation des images
   203
iconiques des performances historiques et une « machine à actualiser » le
présent du document vivant, à le reperformer.
L’objectif est de dégager des Seven Easy Pieces, au-delà des polémiques
qu’elles ont suscitées, de nouvelles formes de transmission de la perfor-
mance qui dépassent les dichotomies caduques entre les notions d’œuvre
et de documentation, de direct et de médiatisé, de document vivant et
d’archive domiciliée.
Des documents sources aux reenactments
Les Seven Easy Pieces qu’Abramović a présentées durant une semaine du
 au  novembre  sont constituées de cinq reenactments de perfor-
mances de la deuxième moitié des années  et du début de la décennie
suivante d’artistes emblématiques de l’histoire de la performance (Body
Pressure, , de Bruce Nauman ; Seedbed, , de Vito Acconci ; Action
Pants : Genital Panic, , de VALIE EXPORT ; la première partie de
Action Autoportrait(s), , de Gina Pane ; How to Explain Pictures to
a Dead Hare ?, , de Joseph Beuys), de la reprise d’une performance
d’Abramović issue de la même période (Lips of omas, ) et d’une
nouvelle performance qu’elle avait créée pour l’occasion (Entering the
Other Side). Tous les soirs, Abramović performait au rez-de-chaussée
de la rotonde du Guggenheim, au centre de laquelle une scène ronde et
surélevée avait été érigée. Chaque pièce durait sept heures, de cinq heures
à minuit, sans interruption, l’artiste étirant considérablement la durée de
certaines œuvres « originales » et forçant le public régulier du musée à
passer à proximité de la scène pour se diriger vers la sortie, à la fermeture
des salles d’exposition.
Dans ce texte, je ne m’attacherai qu’aux cinq premières pièces parce
qu’elles relèvent du reenactment de performances d’autres artistes et
posent des dés comparables sur le plan de la documentation. Abramović
n’avait assisté à aucune d’entre elles, et ne les connaissait qu’à travers la
documentation, souvent pauvre, qui avait été diusée parcimonieuse-
ment dans les livres, les magazines et quelques expositions. L’artiste dut,
en premier lieu, entreprendre une recherche documentaire : rencontre
des artistes ou de leurs ayants droit, quête d’images photographiques,
lmiques ou vidéographiques complémentaires dans les fonds d’archives
privés et publics.
204  
Chacun des reenactments présentait des dicultés singulières. La
reprise de Body Pressure de Nauman ne posait a priori pas de problèmes,
puisque la pièce, dans l’esprit des performances conceptuelles, consiste
en des instructions invitant les personnes à presser les diérentes parties
de leur corps contre un mur [gure]. Présentée pour la première fois à la
galerie Konrad Fischer en , et régulièrement réexposée depuis, Body
Pressure prend la forme de feuilles de papier rose empilées, sur lesquelles
les instructions de Nauman sont imprimées, et que les spectateurs peuvent
prendre et ramener chez eux. Un exemplaire est aché au mur, an de
désigner la galerie comme lieu possible d’activation de la pièce. L’œuvre
Figure 1. Bruce Nauman, Body Pressure, impression oset,
édition illimitée, ×cm, .
   205
peut rester à son état virtuel ou être performée dans lespace d’exposition
ou ailleurs. Nauman ne l’a jamais interprétée en public. Du point de vue
de la préservation et de la documentation, l’œuvre de Nauman porte en
elle-même les conditions de sa perpétuation, puisque les instructions sont
réimprimées à chaque exposition, et les modalités d’interprétation sont
totalement ouvertes.
La réitération d’Abramović s’inscrit parfaitement dans la logique
allographique de l’œuvre de Nauman. Toutefois, ses choix interprétatifs
soulèvent des interrogations. Abramović interprète Body Pressure contre
une vitre, an de rendre visibles et exposables les parties de son corps
comprimées contre la surface du verre. Sa performance était accompagnée
de l’enregistrement de sa lecture des instructions. Elle fusionnait ainsi
deux modes distincts dexistence de l’œuvre allographique, le script et
l’interprétation.
Cette reprise de Body Pressure dès le premier soir des Seven Easy
Pieces permet de rappeler qu’un bon nombre de performances ont été
conçues pour être réinterprétées, et que le mode allographique est déjà
bien inscrit dans l’histoire de la performance. Seule, parmi les cinq œuvres
que l’artiste s’approprie, à répondre à un régime allographique, Body
Pressure autorise en quelque sorte Abramović à opérer un changement
de régime des quatre œuvres suivantes.
Vito Acconci performa Seedbed en janvier , à la galerie Sonnabend,
durant deux semaines. Il t surélever une section du plancher de la gale-
rie an de construire une rampe susamment haute pour pouvoir s’y
glisser. Hors de la portée des regards, il s’adonna deux fois par semaine
à de longues séances de masturbation de six heures, au cours desquelles
il murmurait et s’adressait aux visiteurs qui marchaient au-dessus de lui
dans la galerie vide, instaurant un dialogue érotique à travers le plancher.
La documentation de cette performance est assez paradoxale. Une photo-
graphie en noir et blanc de la galerie vide avec une spectatrice a maintes
fois été reproduite. Un lm  mm de  minutes a également été réalisé.
Une grande partie du document montre l’artiste allongé sous la rampe,
alors que la performance reposait sur son invisibilité. D’autre part, le lm
est dépourvu de bande sonore, alors que l’expérience de l’œuvre reposait
essentiellement sur la voix de lartiste et les bruits de sa prestation sous le
plancher. À l’exception d’un texte qu’Acconci publia dans Avalanche en
 et qui contenait quelques courts extraits des types de paroles qu’il
206  
énonçait, aucune information sur l’interaction que l’artiste établissait avec
son public n’était accessible à Abramović.
La reprise de Seedbed exigea une part importante de réinvention
et de réinterprétation en raison des lacunes de la documentation et du
changement de sexe du performeur. Abramović dut inventer son propre
langage, ses propres modalités d’interpellation du public, une ambiance
sonore adéquate, et repenser le dispositif. Elle performa cachée sous
la scène circulaire érigée au centre de la rotonde. Des escaliers furent
aménagés an de permettre au public de monter et de s’installer juste
au-dessus de l’artiste.
Le reenactment d’Action Pants : Genital Panic de VALIE EXPORT
présenta des dicultés également liées au manque de documentation,
mais de façon beaucoup plus criante puisqu’il n’existe aucune trace de
la performance de l’artiste autrichienne. Seuls des récits assez divergents
relatent sa prestation dans un cinéma expérimental (ou pornographique
selon les sources) de Munich en . Vêtue d’un jean dont l’entrejambe
était découpé, l’artiste déambula, raconte-t-on, à travers les rangées de
sièges, invitant les membres d’un public surtout masculin à regarder son
sexe plutôt que les images à l’écran. L’année suivante, en souvenir de cette
performance, l’artiste se t photographier dans la même tenue par Peter
Hassmann [gure]. Assise sur un banc, à l’extérieur, les pieds nus, les
cheveux crêpés, les jambes écartées, elle tient une arme dans ses mains
et xe l’objectif. Des aches sérigraphiées furent réalisées et diusées
dans les rues et les places publiques. En , l’une des photographies
prises par Hassmann en  fut tirée à vingt exemplaires et mise en
circulation. Dans la même tenue, avec la même arme, mais chaussée de
sandales à talons, VALIE EXPORT pose dans un espace intérieur, assise
sur une chaise, son pied droit au sol, l’autre appuyé sur le montant d’une
deuxième chaise. C’est cette image de , la plus éloignée de la pres-
tation originale dans la salle de cinéma munichoise d’un point de vue
temporel et factuel, qu’Abramović « rejoue » dans les Seven Easy Pieces.
Dans la tradition du tableau vivant, elle reconstitue une représentation
iconique plutôt qu’une performance, un glissement qui, dans la perspec-
tive d’une démarche documentaire et historique, soulève de nombreuses
interrogations à cause de son parti pris criant d’inauthenticité.
La performance Action Autoportrait(s) : mise en condition/contrac-
tion/rejet que Gina Pane avait présentée à la galerie Stadler à Paris
   207
Figure 2. VALIE EXPORT (Waltraud Höllinger), Action Pants: Genital Panic, 
(photographie de Peter Hassmann). Sérigraphie, , × , cm. Col lection du Musée
National dArt Moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Photographie : Philippe
Migeat. © CNAC/MNAM/Distribution : RMN`Grand Palais / Art Resource, New
Yor k .
208  
le  janvier  se déroulait en trois temps, la mise en condition, la
contraction et le rejet, évoquant les phases d’un accouchement. Au
cours de la première phase, Pane restait allongée sur un lit métallique
sous lequel des bougies brûlaient. Dans la deuxième, dos au mur, elle
entaillait avec une lame de rasoir ses lèvres, l’intérieur de sa bouche,
puis le bout de ses doigts. Enn, à genoux, elle se gargarisait avec du
lait et recrachait le liquide mélangé à son sang dans un bol vide. Action
Autoportrait(s) était minutieusement scénarisée et se déroulait dans trois
salles diérentes. Une première pièce, blanche, accueillait les visiteurs
avec des séries de photographies et des artefacts sous vitrines compo-
sant un double autoportrait de Pane, en femme et en artiste. La Mise
en condition se déroulait dans une deuxième salle peinte en noir. Les
deux autres actions avaient lieu dans une troisième pièce, blanche, sur
les murs de laquelle étaient projetées, pour Contraction, des images de
femmes se manucurant les mains.
Pane avait très tôt développé des modalités de documentation de ses
actions, encadrant la production des images réalisées par sa photographe
attitrée, Françoise Masson, et leur diusion tant dans les médias que dans
les expositions. À la suite dAction Autoportrait(s) et selon sa méthode de
travail habituelle, Pane réalisa trois montages d’images, qu’elle nommait
« constats photographiques ». Elle les exposa accompagnés des objets
qu’elle avait utilisés. Le Musée national d’art moderne–Centre Georges
Pompidou (MNAM) t l’acquisition de l’ensemble de ce corpus, ainsi que
des captations vidéographiques, en deux temps, à la n des années
et au début des années , et l’exposa en , quelques mois avant
que ne se tiennent les Seven Easy Pieces, lors de l’exposition Gina Pane,
Terre–artiste–ciel.
La reprise de cette performance par Abramović soulève plusieurs
interrogations. Pane assumait pleinement la transmission de ses
performances, qui existaient sous deux formes, live et documentaires. De
plus, les archives d’Action Autoportrait(s) étaient facilement accessibles.
De surcroît, l’exécutrice testamentaire de Pane, Anne Marchand, autorisa
Abramović à rejouer uniquement la première action, Mise en condition,
une décision qui contraria l’artiste. Enn, l’étroite articulation de la per-
formance et de l’exposition des photographies et des artefacts en guise
d’autoportraits de Pane ne pouvait pas être recréée. Seul le lit métallique
fut dupliqué à partir des photographies par le personnel du musée.
   209
La performance de Joseph Beuys, How to Explain Pictures to a
Dead Hare ? eut lieu le  novembre  à la galerie Alfreda Schmela à
Dusseldorf, à l’occasion du vernissage d’une exposition des dessins de
l’artiste. D’une durée de trois heures, la performance ne pouvait être
vue que de l’extérieur de la galerie close, par la vitrine. Beuys, le visage
couvert de miel et de feuille d’or, était assis sur un tabouret berçant un
lièvre mort dans ses bras. Puis, il se leva, marcha d’une œuvre à l’autre,
murmurant des mots à l’animal. Il se déplaça également à quatre pattes,
en tenant les oreilles du lièvre dans sa bouche et en manipulant ses pattes
pour simuler la marche. À la n de la performance, la porte de la galerie
fut ouverte, les spectateurs entrèrent alors que l’artiste s’assit de nouveau.
How to Explain Pictures to a Dead Hare ? a certes été documentée,
mais sans que l’artiste n’ait donné d’instructions quant à la production de
ces documents, contrairement à Pane. Ute Klophaus qui a photographié
de nombreuses performances de Beuys réalisa plusieurs clichés en noir
et blanc, très granuleux, selon son esthétique habituelle. La plus célèbre
montre Beuys assis, le lièvre dans ses bras, dans une pose qui évoque les
tableaux de vierges à lenfant. Reproduit dans tous les livres d’histoire de
l’art du esiècle, le cliché de Klophaus a acquis une valeur iconique. Une
vidéo montrant le déroulement des actions dans la galerie fut également
réalisée. Elle est régulièrement montrée dans les expositions consacrées à
l’artiste. Cest ce document vidéographique qu’Abramović a utilisé pour
la reprise de cette performance dans les Seven Easy Pieces.
Comme Action Autoportrait(s), How to Explain Pictures to a Dead
Hare ? est indissociable de l’exposition des dessins de lartiste à la gale-
rie Alfreda Schmela, un contexte qu’il est impossible de recréer. Enn,
comme pour Seedbed, la translation d’un genre à l’autre constitue un dé
important, puisqu’il s’agit ici d’interpréter l’une des grandes gures de
l’artiste moderne masculin, le chaman.
Une production interdocumentaire ?
Est-il possible, avec Abramović, de considérer les Seven Easy Pieces comme
une production documentaire, ayant comme parti pris le document
vivant, le reenactment ? Revenons sur les arguments de l’artiste dans le
fascicule et le catalogue d’exposition. Elle y aborde la préservation et la
transmission de la performance, non pas à une échelle individuelle, sous
210  
la forme d’appropriation ou de reprise (citation, parodie, etc.), mais à un
niveau institutionnel . C’est pourquoi il était impératif à ses yeux que les
Seven Easy Pieces aient lieu dans un musée et non dans un espace consacré
à la performance, même si elles s’inscrivaient dans la programmation de
la biennale Performa. Ce contexte institutionnel renforçait la prise de
position de l’artiste en faveur d’une documentation vivante, le reenact-
ment. « Seven Easy Pieces also spoke to the fact that performance only
makes sense if it’s live, and we have to establish some kind of framework
about how it can be done […]. »
La proposition d’Abramović est damener la performance vers le
régime allographique de la musique, c’est-à-dire den faire un art d’inter-
prétation. Elle compare la performance à une composition musicale pou-
vant être exécutée de multiples fois à partir des documents qui dès lors
peuvent tenir lieu de partition. Elle insiste sur la part de réinterprétation
des exécutions (les reenactments), la contemporanéité (dans le sens de
recontextualisation dans le monde contemporain) qu’il faut leur insuer,
tout en préservant une part de « vérité » de l’œuvre originale. « I feel the
need not just to personally re-experience some performances from the past,
but also to think about how they can be re-performed today in front of a
public that never saw them. »
La principale diculté, toujours selon l’artiste, est le manque de
documentation, voire son absence, surtout pour les premières perfor-
mances qui étaient de surcroît réalisées devant un public très limité. De
nombreuses informations se sont donc transmises oralement, laissant
une part importante aux spéculations et aux projections. L’ambition
d’Abramović est d’assurer à la performance une place à part entière dans
l’histoire de l’art : « is proposed new model could give performance art,
which started as a transitory movement, a stable grounding in art history. It
would lead to better dialogue between dierent generations of performance
artists and would guarantee a clearer position for performance as a more
artistic discipline. »
Ces intentions furent vivement critiquées. Dans Art in America,
Nancy Princenthal refuse d’appréhender les Seven Easy Pieces en tant que
documentation et reenactment : « e nal performance was a new work
she conceived for the Guggenheim. » Elle y voit de surcroît une commer-
cialisation de la performance :
   211
By treating the irremediably category–resistant performance form as if it were,
say, popular music, and translating “ instructions” as “score”, a performance
could be re-presented by anyone with the necessary stamina and determina-
tion (no small qualications). If the original artists were credited and paid,
the whole messy medium could be brought into the world of copyright and
distribution and licensing fees–in a word, into the marketplace.
Lors d’une conférence au Musée d’art contemporain de Montréal,
puis dans un article paru dans TDR : e Drama Review, Amelia Jones
réitéra la critique, selon des termes similaires. Dans le catalogue même
de l’exposition, Erika Fischer-Lichte, qui signe l’un des essais, réfute la
possibilité d’envisager les documents des performances originales comme
des scripts à interpréter.
Toutefois, si lon appréhende la notion de document dans une pers-
pective susamment ouverte, les Seven Easy Pieces peuvent être appré-
hendées en tant que production documentaire. En , dans un court
ouvrage intituQu’est-ce que la documentation ? et considéré comme l’un
des textes fondateurs des sciences de l’information, voire leur manifeste,
Suzanne Briet met en avant un nouveau paradigme de la documentation.
Condamnant l’étroitesse de la dénition traditionnelle du document,
une preuve tangible à l’appui d’un fait, elle en formule une plus ouverte :
« tout indice concret ou symbolique, conservé ou enregistré, aux ns de
représenter, de reconstituer ou de prouver un phénomène ou physique ou
intellectuel . » « Une étoile est-elle un document ? Un galet roulé par un
torrent est-il un document ? Un animal vivant est-il un document ? Non.
Mais sont des documents les photographies et les catalogues d’étoiles,
les pierres d’un musée de minéralogie, les animaux catalogués et exposés
dans un Zoo. » Briet prend l’exemple d’une espèce dantilope découverte
en Afrique. Un spécimen ramené vivant à Paris pour le Jardin des plantes
deviendrait un document pour une discipline et sa communauté de
chercheurs. Une multitude de documents dérivés en serait générée : des
articles dans les journaux, des livres illustrés de planches d’aquarelles, de
dessins et de photographies, des émissions à la radio ou à la télévision,
l’enregistrement du cri de l’animal, le spécimen empaillé après sa mort et
exposé au Museum d’histoire naturelle, etc. Cette chaîne de productions
documentaires, étroitement liée aux nouvelles techniques de reproduc-
tion et de circulation de l’information, crée de nouveaux savoirs inter-
documentaires : « La documentation […] peut dans certains cas aboutir
212  
à une création véritable, par juxtaposition, sélection et comparaison de
documents et production de documents auxiliaires. Le contenu de la
documentation est alors interdocumentaire. »
Si le spécimen vivant de l’antilope africaine, une fois ramené à Paris
et exposé au Jardin des plantes, est un document susceptible de générer
d’autres types de documents, pourquoi la recréation en direct de perfor-
mances historiques dans un musée ne procéderait-elle pas aussi d’une
production interdocumentaire ? Rien n’interdit d’avancer cette idée. Pas
même le fait qu’Abramović soit une artiste, les artistes de la performance
ayant souvent assumé la production documentaire relative à leur pratique
artistique et à celle de leurs collègues. Les reenactments répondent en tous
points à la dénition du document que propose Briet qui, rappelons-le,
n’est pas forcément matériel et a pour fonction de désigner un phénomène
en le reconstituant ou en le représentant.
De plus, les Seven Easy Pieces s’inscrivent dans une chaîne de pro-
ductions documentaires : les performances originales ont généré des
documents lmiques, vidéographiques, photographiques, textuels, qui
ont eux-mêmes permis la recréation des performances à partir desquelles
seront produits de nouveaux documents à laide de technologies nouvelles.
Dans ce processus, les artistes ou leurs ayants droit, les archivistes, les
conservateurs de musée, les bibliothécaires, les documentalistes, les his-
toriens et les théoriciens dart collaborent dans la perspective de produire
de nouveaux savoirs interdocumentaires sur les performances du passé.
Une « volonté d’archive »
Dans un essai intitulé « Marina Abramović’s Seven Easy Pieces : Crit ical
Documentation Strategies for Preserving Art’s History », Jessic a
Santone a d’emblée accepté la perspective documentaire de la démarche
d’Abramović. En réponse au célèbre essai « An Archival Impulse », da ns
lequel Hal Foster associe les esthétiques contemporaines de l’archive à
un sentiment de perte irrémédiable du passé, Santone propose un autre
paradigme : la production artistique de documentation. En produisant
de la documentation en guise d’œuvres d’art, les artistes rééchissent et
participent à la médiatisation du passé, à sa mise en récit, à la production
des représentations historiques. Leur démarche répond à un sentiment
d’incomplétude de l’histoire.
   213
Dans la lignée des propos d’Abramović, Santone envisage les Seven
Easy Pieces à la croisée de deux pratiques documentaires, celle menée
par les artistes dans leurs œuvres et celle conduite par les institutions
muséales pour la préservation des arts qualiés de « time based media ».
Selon Santone, cette articulation est dicile à cause des façons très dié-
rentes selon lesquelles les artistes et les institutions envisagent la valeur
d’authenticité du document. Les institutions muséales y restent très atta-
chées et tendent à instaurer une hiérarchie selon ce critère de conformité
à un original. Les pratiques artistiques de documentation, au contraire, se
développent à partir de l’idée d’une impossibilité d’atteindre l’original et
travaillent avec des documents multiples, hybrides, intriqués les uns aux
autres, sans hiérarchies. « [T]he layers of documentation around the idea of
an original, around a fragment or single moment of the thing itself, cannot
be thought of as nested hierarchically in terms of value. Each document
touches at its root the idea of the original, and then moves out from there,
diverging in various ways, connecting to other documents, and producing
an accumulation that is best understood collectively. » Avec une sensibilité
très derridienne, Santone associe les choix interprétatifs dAbramović
pour ses reenactments, en l’occurrence l’étirement temporel et la répéti-
tion des actions, à cette impossibilité et au désir doriginal qu’elle génère
paradoxalement. Bien que l’analyse de Santone soit d’une grande acuité
quant à la question de la documentation, elle ne me semble pas accorder
susamment d’attention aux partis pris esthétiques d’Abramović : son
intérêt pour la longue durée qu’elle explore dans son propre travail, ainsi
qu’une relecture féministe d’œuvres historiques. La diculté qu’éprouve
Santone est d’articuler sur le plan théorique la production interdocu-
mentaire et l’interprétation artistique. Autrement dit, comment penser
l’interprétation artistique au sein d’une production interdocumentaire ?
Dans un texte récent portant sur le phénomène actuel de reprises
d’œuvres chorégraphiques du passé, « e Body as Archive : Will to
Re-enact and the Aerlives of Dances », André Lepecki avance la notion de
« volonté d’archive » (« will to archive ») qu’il distingue des thèses de Foster
et de Santone qui relèvent, selon lui, de conceptions trop nostalgiques des
rapports entre le passé et la contemporanéité. Les réexions de Lepecki
me semblent particulièrement intéressantes pour analyser les Seven Easy
Pieces et pour articuler la production interdocumentaire et le parti pris
interprétatif dont elles relèvent.
214  
À ses yeux, le reenactment consiste à activer des champs de possibi-
lités ou de virtualités contenus dans une œuvre : « I am proposing “will
to archive” as referring to a capacity to identify in a past work still non-
exhausted creative elds of “impalpable possibilities” (to use an expres-
sion from Brian Massumi). ese elds […] that “concern the possible”
(Massumi) are always present in any past work and are that which re-enact-
ments activate. » Le reenactment traite les matériaux chorégraphiques
historiques selon une approche active (plutôt que réactive) et générative
(plutôt qu’imitative). Il ne xe pas une œuvre dans sa singularité origi-
nale, mais au contraire l’ouvre, la délie, actualise ses « nombreuses com-
et incompossibilités que son instanciation originale garde en réserve,
virtuellement ».
Le reenactment opère un recouvrement de l’archive et du corps. Le
corps y devient une archive vivante qui, avec sa mobilité, sa précarité, son
indétermination, résiste à la domiciliation archivale et aux ordres qu’elle
impose : « the body as archive re-places and diverts notions of archive away
from a documental deposit or a bureaucratic agency dedicated to the (mis)
management of the “past” ». Le reenactment ébranle également l’autorité
de l’auteur sur son œuvre que Lepecki considère comme l’une des formes
de domiciliation les plus contraignantes : « that major force in a work’s
forced domiciliation : the author’s intention as commanding authority
over a work’s aerlives ». Lepecki voit là l’impératif éthique et politique
du reenactment : il faut suspendre l’économie de l’autorité auctoriale qui
ge et ferme l’œuvre pour la réinventer et créer une œuvre nouvelle. Il
appelle à une forme d’autonomie de l’œuvre à l’égard de son auteur, an
qu’elle se transmette à travers les corps des danseurs, des chorégraphes,
du public, qu’elle traverse les périodes historiques, les espaces, les genres
et les barrières légales du copyright.
Lepecki n’évacue toutefois pas de ce processus la documentation et
les archives des œuvres chorégraphiques originales. Il prend l’exemple du
chorégraphe et interprète Martin Nachbar qui a réinterprété récemment
Aectos Humanos, une série de cinq pièces sur les aects de lexpression-
niste allemande Dore Hoyer. En , un an avant sa mort, elle les avait
dansées devant la caméra, pour en garder la trace. Nachbar a travaillé à
partir de ce lm. Il a également rencontré une ancienne danseuse, âgée
de plus de  ans, qui avait appris les pièces directement d’Hoyer et était
autorisée à les transmettre.
   215
À même sa performance, Nachbar explique son processus de travail
à travers diérentes sections : les archives ou le dépôt de documents, le
souvenir, puis le reenactment : « Maybe the storehouse will be systematized
and become an archive. And then the archive will become visible through
my body. So, when these three elements connect and form a critical point :
What will happen ? What will come out at the other side of this point ? »
Selon Lepecki, ce « point critique » autour duquel s’articulent l’archive, la
mémoire et le corps est le phénomène de l’actualisation. Dans ce proces-
sus, l’archive devient un espace de réécriture ; elle produit une diérence
qu’il convient de penser sous le signe de la création et non de l’échec. Elle
est dès lors performative.
La notion de « volonté d’archive » permet de mettre l’interprétation
artistique au cœur de la production interdocumentaire. Dès lors, l’écart
entre les Seven Easy Pieces et les performances du passé n’est plus attri-
buable à un impossible retour à l’événement original ou à l’incapacité de
le représenter, mais bien à cette actualisation. Ainsi, l’on pourrait facile-
ment attribuer le choix d’Abramović de performer l’image iconique de
VALIE EXPORT, au lieu de remettre en scène la performance du cinéma
munichois, au manque de documentation et à l’imprécision des récits
qui relatent l’événement original. Je vois là, au contraire, un parti pris
interprétatif de lœuvre de VALIE EXPORT, une approche pleinement
« active » et « générative » de son œuvre.
Si de nombreuses photographies de performance atteignent une cer-
taine iconicité à travers les usages qui en sont faits (due à la tendance des
historiens d’art et des éditeurs à sélectionner toujours les mêmes images),
le cliché de VALIE EXPORT en guerrière exhibant et protégeant son sexe
fut minutieusement scénographié par l’artiste dans la perspective de son
impact visuel et médiatique. Comme l’a démontré récemment Sophie
Delpeux, l’image dans ses formes les plus proches des médias, de la publi-
cité et de leurs rhétoriques est centrale dans la pratique performative de
VALIE EXPORT. En , lorsqu’elle abandonne le patronyme de son
mari pour son nom d’artiste, elle réalisa un autoportrait imitant une
publicité de cigarettes, dans lequel elle apparaissait en consommatrice
fatale et prêtait ses traits au logo. Comme le dit Delpeux, en adoptant « une
marque et […] son logo à la place de son état civil », VALIE EXPORT se
lançait comme produit sur le marché de l’art, et se jetait dans une société
du spectacle dans laquelle l’image et le réel étaient tenus pour interchan-
216  
geables. En , elle se t tatouer une jarretière sur le haut de la cuisse.
Elle t réaliser plusieurs photographies de ce tatouage, selon un cadrage
serré qui ne montrait que ses jambes et son bas-ventre, an de donner à
ce dessin et au corps qui le portait la dimension d’une « icône sexuelle »
et d’un « fétiche ».
La photographie de Genital Panic s’inscrit dans cette lignée. VALIE
EXPORT y joue à la fois le modèle et le metteur en scène d’une femme
hypersexualisée, oerte et menaçante. Avec ce projet, elle amorçait une
réexion autour de l’idée d’un « cinéma en expansion » qui instaurerait des
glissements entre la projection cinématographique et le monde réel, et vice
versa. De plus, en produisant cette icône en référence à un événement qui
s’était déroulé un an auparavant et qui n’avait laissé aucune trace, VALIE
EXPORT orchestrait la na issance d’un mythe dest iné à se perpétuer à travers
les témoignages et les rumeurs. Dans la production discursive que consti-
tuent ces récits, l’image joue un rôle d’embrayeur parce qu’elle participe à
l’actualisation des énoncés. De la part dAbramović, performer l’embrayeur
plutôt que le référent auquel l’image ne renvoie pas me semble être une solu-
tion juste et judicieuse qui s’inscrit dans la démarche de VALIE EXPORT,
négociant entre la fabrique d’icônes féminines et l’intervention dans le
monde réel. De plus, cette proposition a le mérite de ne pas réduire la per-
formance d’EXPORT à une représentation singulière, de la laisser ouverte
et par conséquent de ne pas interrompre la construction et la transmission
du mythe. En performant l’image, Abramović le relance de plus belle.
Enn, parce que les Seven Easy Pieces en tant que production inter-
documentaire se tiennent dans un musée et sont produites en collabo-
ration avec l’institution muséale, performer l’image plutôt que recréer
la performance permet de prendre en compte ce contexte d’énonciation
qu’est le musée : l’expérience strictement visuelle des œuvres que cette
institution privilégie, les modalités du regard qu’instaure son architecture,
le phallocentrisme de son histoire encore très prégnant. Les Guerrilla Girls
constatèrent, encore en , que les galeries d’art moderne et contem-
porain du musée voisin, le Metropolitain Art Museum, comptaient 
d’artistes femmes, mais que   des nus étaient féminins !
L’acquisition par la plupart des musées internationaux s’intéressant
à l’histoire de la performance de la série d’aches de Genital Panic pro-
duites en  ne rend que plus intéressant le choix d’Abramović. Le fait
qu’elle n’ait pas privilégié la même image, mais une autre, moins connue
   217
bien qu’issue de la même série et mise en circulation plus récemment,
signale de façon discrète son parti pris interprétatif. Il y a bien au sein de
la production interdocumentaire une interprétation artistique.
Une « machine à actualiser le présent »
Dans son analyse des reenactments d’œuvres chorégraphiques, Lepecki
ne dit rien des images et des documents qui sont générés. Pourtant, les
reenactments ont l’image pour horizon. Ils sont captés avec des tech-
nologies contemporaines sophistiquées et participent dès lors d’une
remédiation des images des œuvres « originales ». Des œuvres que nous
ne connaissions qu’à travers des photographies et des lms en noir et
blanc, muets, granuleux, souvent ous, sont désormais disponibles en
images numériques haute dénition, aux couleurs vives et brillantes, aux
contours nets, accompagnées de bandes audio capables de rendre toute la
richesse de l’environnement sonore. Ce « devenir image » du reenactment
en annule-t-il la charge critique ? Ramène-t-il l’œuvre reperformée vers le
régime de l’archive domiciliée ? Contribue-t-il à une réattribution aucto-
riale ? À partir du lm de Babette Mangolte, Marina Abramović : 7 Easy
Pieces (), je tenterai de montrer que le reenactment et sa documen-
tation, au lieu de se contredire et de s’annuler, peuvent participer d’une
même entreprise d’actualisation des œuvres, d’une commune « volonté
d’archive ». J’avancerai également que le lm, comme le reenactment, est
performatif, même s’il est de l’ordre de la représentation.
Les Seven Easy Pieces ont été lmées en continu par une caméra
xe braquée sur la scène depuis les étages de la spirale du Solomon R.
Guggenheim Museum. Les  heures de captations étaient rediusées
les jours suivants sur sept écrans plats installés au rez-de-chaussée de la
rotonde, chacun dédié à l’une des sept performances. Après l’événement,
ces documents furent déposés aux archives de l’institution où lon peut
les consulter.
Parallèlement, Abramović invita Mangolte à réaliser un lm. Formée
à l’ancienne École nationale de la photographie et de la cinématographie
à Paris, au milieu des années , Mangolte a photographié et lmé la per-
formance, la danse et le théâtre expérimentaux de la scène new-yorkaise
des années  : les chorégraphes de la Judson Dance eatre (Yvonne
Rainer, Simone Forti, Trisha Brown, Steve Paxton), ainsi que Joan Jonas,
218  
Robert Whitman, Richard Foreman, Robert Wilson, etc. Au début des
années , elle amorce une série de lms sur la reprise d’œuvres perfor-
matives et chorégraphiques du passé. Ainsi, en , Four Pieces by Morris
est consacré à quatre performances que Robert Morris avait conçues au
début des années  et interprétées seul ou avec d’autres artistes (et que
Mangolte n’avait jamais vues). Morris les reconstruisit uniquement pour
la caméra de Mangolte, an de transmettre aux nouvelles générations une
esthétique propre aux œuvres performatives des années , basée sur une
désinvolture gestuelle et un étirement temporel. Abramović s’adressa à
Mangolte à cause de sa connaissance des performances des années  et
de son intérêt pour les reprises. La réalisatrice n’avait toutefois assisté à
aucune des œuvres originales à l’exception de Seedbed.
Le projet de faire un lm des Seven Easy Pieces fut perçu comme une
contradiction par la plupart des commentateurs, le reenactment et la docu-
mentation étant tenus pour des démarches opposées. Ainsi, Iain Millar,
dans lArt Newspaper, conclut son analyse du lm en armant que la seule
expérience pertinente était « davoir été là ». Dans Artforum, Johanna
Burton, plus nuancée, souligne le paradoxe inhérent au reenactment :
« an image becomes live only to become another image ». Elle reproche
également que dans ce processus de captation, l’acte de documenter prend
valeur de performance : « e lming of Pieces was itself a performance,
with Babette Mangolte dely choreographing a eet of cameras and crew ».
Corollairement, regrette-t-elle, les performances sont mises en scène dans
la perspective des images à produire.
Ces propos réitèrent les débats soulevés par les captations des per-
formances des années  et . Irrité par l’eet de la présence des pho-
tographes sur les participants de ses premiers happenings, Kaprow les
intégra aux actions an de mieux les contrôler. Dans la scénographie
soignée de ses performances, Pane prévoyait les déplacements de sa
photographe, Françoise Masson, et du cameraman dont les présences
obstruaient parfois la vue aux spectateurs. Et que dire des nombreuses
performances qui consistaient en la médiatisation des actions, comme
celles de Joan Jonas ? De plus, ces critiques omettent de penser la spécicité
des rapports de la documentation aux reenactments, et non à la perfor-
mance en général. Enn, elles semblent faire l’économie d’une analyse
attentive du lm de Mangolte, sans doute à cause de son esthétique très
diérente des œuvres antérieures de la réalisatrice.
   219
Le lm de Mangolte propose, me semble-t-il, une réexion sur ce que
signie lmer le reenactment. La réalisatrice parvient à y intriquer les
temporalités hétérogènes et disjointes propres à ce type d’entreprise. Le
lm procède à la fois d’une actualisation de lexpérience du reenactment
en tant que document performé et d’une remédiation des images iconiques
des performances historiques à partir desquelles Abramović a travaillé,
et qu’il contribue à délier. Des eets de réel et de présence donnent au
spectateur l’impression de faire lexpérience directe des reenactments ;
tandis que d’autres procédés l’invitent au contraire à interroger cette
transparence de la représentation en en révélant le caractère construit et
les politiques du regard qui y sont en jeu.
Dans ses écrits et ses entretiens, Mangolte revendique pleinement ces
eets de présence et de réel. À maintes reprises, elle arme son parti pris
d’authenticité et d’objectivité dans son travail de documentation photo-
graphique et lmique de la performance, même si bien entendu elle est
parfaitement consciente des problèmes que posent ces notions. Dans son
autobiographie publiée dans la revue October en , elle explique que
les images qu’elle réalisait dans les années  reposaient sur un certain
type de rapport de la photographie au réel, sur la quête d’une « vérité pho-
tographique » : « What was that truth ? e photo had to project an ideal
notion of the aesthetics of the piece : that was my mission. e truth of the
photography lay in not betraying the other, the artist, whose performance
piece it was. » En , lors d’une conférence, « Filming Performance »,
elle réitère ce souci d’authenticité qu’elle dénit de nouveau comme une
volonté de rendre compte de la réalité des œuvres lmées. Dans « Life
in lm : Babette Mangolte », elle reconnaît le caractère construit de cette
authenticité : « Objectivity if desirable, has to be built. It is not a given46 ».
Ou encore : « ere is no lm reality that is not faked, but what you can fake
has to be true. » Avec les Seven Easy Pieces, la question se complexie.
Car, de quelles authenticité, vérité ou réalité des œuvres s’agit-il ? Celles
des performances originales, celles de leur documentation, ou celles des
reenactments ?
Filmé en HD Cam Sr, un format numérique haute dénition qui
confère aux images netteté, brillance et éclat, Marina Abramović : 7 Easy
Pieces joue d’eets de réel et de présence incontestablement réussis. Outre
la technologie haute dénition qui y contribue, cette illusion procède de
la combinaison de plusieurs stratégies : une attention à la physicalité du
220  
corps de la performeuse ; une amplication du son ; une synchronisation
parfaite de l’image et du son ; une compression temporelle capable de
rendre compte de la durée étirée des performances ; une place privilégiée
accordée aux spectateurs.
Dès l’ouverture, dans un texte déroulant à l’écran, Mangolte arme
son parti pris de ramener le corps, sa physicalité, au cœur du lm :
« Performance, time based art, features the physicality of the artist’s body in
front of a live audience. » Il fallait rendre compte des eets que l’étirement
temporel extrême des performances avait sur le corps d’Abramović, la
capacité de l’artiste à repousser ses limites physiques et psychologiques.
Mangolte traque les signes d’épuisement d’Abramović et multiplie les
gros plans sur son visage ou des parties de son corps particulièrement
sollicitées : les soubresauts d’un membre, la pâleur du visage, la transpi-
ration qui perle puis qui goutte, les larmes qui surgissent et se mélangent
à la sueur, une main qui se crispe, le basculement du bassin et les contor-
sions du torse pour contrer l’endolorissement, le soue, les soupirs, les
gémissements, etc.
La trame sonore du lm précise et enveloppante donne au spec-
tateur l’impression d’être dans l’espace réel. Dès la première image, le
brouhaha nous projette au cœur de la rotonde. La précision des bruits
enregistrés crée par moments une certaine polysensorialité. Ainsi, dans
Conditionning, le crépitement des bougies active chez le spectateur des
réminiscences olfactives (l’odeur de la parane) ou tactiles (la sensation
de chaleur, qui atteint une certaine intensité lorsque l’image montre la
lueur rousse de la bougie sur le tissu de la combinaison d’Abramović). La
trame sonore guide le regard du spectateur sur ce qui lui est donné à voir.
Elle construit également une sorte de narration en modulant les moments
d’intensité, de tensions extrêmes et de calme.
Mangolte s’est employée à synchroniser parfaitement le son et l’image,
tout le long du lm. La bande-son procède du montage d’enregistrements
issus de plusieurs microphones qui avaient été distribués dans l’espace du
musée, chacun enregistrant les  heures de performance, an dassurer
un vaste éventail de possibilités au moment du mixage. La complexité de
ce travail de montage est remarquable dans la séquence consacrée à Body
Pressure, puisqu’il fallait faire coïncider, malgré les coupes et les com-
pressions, la lecture des instructions de Nauman et les actions réalisées.
Une écoute attentive permet de constater que le texte est entièrement
   221
fragmenté et remonté, tout en étant parfaitement reconnaissable, intel-
ligible et synchrone avec les actions performées. Dans un entretien avec
Scott Macdonald, Mangolte explique que la synchronisation du son et de
l’image amplie lecacité de l’eet de réalité qu’elle cherche à produire :
I think that most of the work which uses tactics of disjunction in terms of
sound and image and of discourse totally loses impact and credibility, because
the lms work much faster than your brain can work. e viewer just gets the
surface of things, which don’t sink in on an emotional level somehow.
L’un des grands dés du lm Marina Abramović tient à la longueur
des performances, et à la nécessité de ramener leur durée de sept heures
à treize minutes environ, tout en rendant compte du parti pris esthétique
d’Abramović d’un étirement temporel extrême. Chaque séquence doit
condenser une accumulation de moments. Cette diculté est accrue par
le médium même, le lm numérique, qui transmet mal le sens de la durée,
selon Mangolte. Dans Une histoire de temps, elle explique à ce sujet :
Dans l’univers du numérique, le temps est encodé dans l’image matricielle,
il ne peut y avoir dentropie. Avec l’algorithme de compression de l’image
numérique, seul est renouvelé ce qui change, dans le plan. Ce qui, dans le
plan, est semblable reste tel quel dans l’image numérique, contrairement au
grain d’émulsion qui ne cesse de se transformer d’une image à l’autre dans
l’image lmique.
Comment a-t-elle procédé ? Tout le lm est presque exclusivement
constitué de plans xes, rapprochés, intermédiaires ou éloignés, de
durées variables, montrant Abramović performant ou le public regar-
dant ou écoutant. Cette succession de plans xes crée un eet photogra-
phique, amplié par la netteté des images et les contours parfaitement
délimités. Ce rendu photographique, en partie imposé par le statisme
des performances d’Abramović, instaure une certaine lenteur, un étire-
ment temporel. De plus, chaque plan xe permet de condenser plusieurs
moments de la performance et relève d’un feuilletage de temporalités.
Ce travail de démontage et de remontage temporels ne se fait pas au
détriment de la uidité du lm et de la vraisemblance. Le passage de la
clarté à l’obscurité dans la rotonde du Guggenheim, à la tombée de la nuit,
permet de situer les actions dans le temps et de leur attribuer la lenteur
d’un crépuscule. Ce procédé confère à Marina Abramović une facture
très diérente des autres lms de Mangolte qui privilégient le corps en
222  
mouvement. Formée au contact des chorégraphes de la Judson Dance
eater, et s’interrogeant très tôt sur la représentation photographique
et lmique du mouvement, la réalisatrice a développé une approche qui
privilégie les passages plutôt que les poses.
Enn, la place très importante accordée aux spectateurs, particuliè-
rement dans les séquences consacrées aux trois premières performances,
donne l’impression « davoir été là ». Ainsi, dans Seedbed où Abramović
est invisible, tout repose sur le public qui écoute les propos érotiques de
l’artiste. Mangolte établit une très grande proximité avec les membres du
public, donnant au spectateur l’impression d’être parmi eux. La caméra
s’attarde sur les réactions de chacun, des hommes, des femmes, des
couples, des groupes d’amis, des mères avec leurs lles, de tous les âges :
un homme touche délicatement le haut-parleur qui amplie la voix de
l’artiste ; certains prennent des notes ; d’autres lisent la brochure qui a été
distribuée ; une femme sourit ; etc. Un crescendo est aménagé : certains,
presque que des hommes, se mettent à frapper du pied sur le plancher an
de communiquer avec l’artiste ; plusieurs s’allongent au sol, et l’un d’entre
eux s’adonne à une véritable scène d’accouplement à travers le plancher.
Tous ces procédés, la physicalité du corps performant, le son, sa
synchronisation avec l’image, la compression temporelle pour restituer
la longue durée, l’importance accordée aux spectateurs, donnent non seu-
lement l’impression à celui qui regarde le lm « d’être là », dans la rotonde,
mais génèrent une impression de contemporanéité : ce qui est vu à l’écran
semble être en train de se passer, juste maintenant. Dans un court texte
publié dans un numéro récent de la revue PAJ A Journal of Performance
and Art consacré à la performance de la scène new-yorkaise, Mangolte
appréhende le lm comme une « machine à actualiser le présent », à
fabriquer de la contemporanéité :
Filmmakers conceptualize time into three dierent blocks : the present time of
the shoot ; the given time in the narrative concept of the lm ; and the present
moment when the lm is seen. e editing and nal sound mix of the lm
must be structured to regenerate a present each time it is projected. Films are
constructed to appear current at the time of projection […]. e nal aim of
lmmaking is to create a machine that actualizes the present, one that manu-
factures “contemporaneity”.
On peut aisément envisager cette contemporanéité comme une forme
de performativité. Ce qui se joue dans le lm n’est pas la représentation
   223
de ce qui a eu lieu dans le musée, mais advient dans l’espace lmique
seulement, à travers le langage cinématographique, les cadrages, le
montage des séquences visuelles, le mixage sonore. Il en est ainsi de la
séquence de Genital Panic particulièrement saisissante dans laquelle on
voit alternativement le visage pâle de l’artiste trempé de sueur et de larmes
et les visages des spectateurs immobiles, empathiques, saisis par cette
douleur si lisible, tandis que tous les bruits s’étouent progressivement.
Cette scène n’a lieu que dans le lm de Mangolte. Elle advient à travers
le montage et le mixage sonore. C’est pourquoi il me semble possible
d’avancer que le lm est performatif, dans le sens qu’il produit de nou-
veaux reenactments. Comme le corps-archive de Nachbar, le document
lmique est un espace de réécriture ; il génère de la diérence.
Remédiation des icônes et partis pris interprétatifs
Aussi ecaces soient-ils, ces eets de présence et de contemporanéité,
cette transparence de la représentation sont contrecarrés dès le début du
lm par l’exposition et le déploiement du dispositif par lequel et à travers
lequel nous regardons, nous incitant d’emblée à nous interroger sur notre
statut de spectateur et sur les modalités du regard que nous portons à la
fois sur la performance dAbramović et sur sa représentation. Dès lors,
la réception du lm se fait sous un double registre : une fascination pour
le pouvoir de réalité des images, et une conscience aiguë des modalités
de médiatisation.
Le premier plan révèle les sept écrans alignés dans la rotonde des-
tinés aux images de la captation de la caméra xe, Mangolte insistant
d’emblée sur le caractère médiatisé des Seven Easy Pieces. Le deuxième
plan montre en contre-plongée la rotonde avec sa verrière, sa spirale dont
les étages ressemblent à des loges de théâtre depuis lesquelles les specta-
teurs regardent. Certains y ont déjà pris place. Un employé met en route
la caméra xe dirigée vers la scène. Une chorégraphie des regards est ainsi
déployée : Mangolte lme la rotonde depuis la position d’Abramović,
inversant le sens convenu des regards ; sa caméra lme la caméra xe qui
est braquée sur elle, ainsi que les spectateurs qui lobservent. Les points de
vue sont multiples et une mobilité est établie entre chacun d’eux. Le spec-
tateur du lm les emprunte tour à tour. Régulièrement, ces chorégraphies
visuelles sont rejouées. Ainsi, dès les premières images de Body Pressure,
224  
on aperçoit une femme regarder dans l’un des télescopes installés sur les
étages an de permettre aux spectateurs d’observer la performance en gros
plan, annonçant les multiples plans rapprochés que la caméra de Mangolte
nous montrera, et la reprise de cette image plus tard dans Genital Panic.
Ou encore, dans Seedbed, on voit un cameraman tourner sa caméra vers
le public resté hors de la scène, un simple geste qui souligne la hiérarchie
des spectateurs que le dispositif scénique induit : ceux qui sont montés sur
la scène, ceux qui sont restés à sa périphérie, et ceux qui regardent tous
les autres depuis les étages. Comme l’explique Mangolte, « In many ways
everything I’ve done in performance, including my latest lm of Marina
Abramović’s Seven Easy Pieces, is about how you look at what you see
and how being a spectator is at the core of performance as an art form ».
Un autre aspect qui contribue à perturber la transparence de la
représentation et surtout ses eets de présence et de contemporanéité
est les résurgences des images du passé, les images iconiques des perfor-
mances, qui ponctuent le continuum du lm. À maintes reprises, dans les
séquences consacrées à Genital Panic, à Action Autoportrait(s), et à How to
Explain Pictures to a Dead Hare ?, des plans reconstituent les images des
performances historiques qui ont pris avec le temps une valeur iconique :
la photographie de VALIE EXPORT, plusieurs images des « constats
photographiques » de Pane, la célèbre photographie de Beuys en Madone.
Le spectateur y reconnaît le même cadrage, la même pose, tout en étant
saisi par la distance qui sépare ces images. « L’image de la Madone » qui
ponctue comme un leitmotiv toute la séquence de How to Explain Pictures
to a Dead Hare ? est particulièrement éloquente. Le corps voluptueux
d’Abramović se substitue à la silhouette émaciée de Beuys, la netteté des
contours, la lisibilité des détails et la brillance des couleurs remplacent le
rendu gris et granuleux du cliché de Klophaus. Ces résurgences iconiques,
frappantes tant par leurs similitudes que par leurs diérences, telles des
apparitions fugaces, disparaissent immédiatement dans le ux du lm.
Ce rappel des images du passé est intéressant à plusieurs égards. Il
contribue à enrichir la temporalité du lm, à intégrer dans la structure
feuilletée de sa contemporanéité d’autres strates temporelles. Il permet
de délier la xité des images historiques qui, aussitôt reconnues, se
désagrègent dans le continuum du lm. Dans ses prises de position,
Mangolte a toujours critiqué la valeur iconique qu’ont prise au l du
temps certaines images d’œuvres performatives. Une grande partie de son
   225
Figure 3. Marina Abramović, Seven Easy Pieces, 2005, reenactment de Gina Pane,
e Conditioning, First Action of Self Portrait(s), . Photogrammes du lm de
Babette Mangolte, Seven Easy Pieces by Marina Abramov, HDCAM ( min) :
couleur, son. Crédit photographique : Babette Mangolte © avec l’aimable permission
de la Sean Kelly Gallery.
226  
travail photographique, lmique et plus récemment d’installation vise à
défaire ce processus, à déconstruire l’icône. Elle privilégie les séries de
photographies plutôt que les images uniques : « I was interested to photo-
graph in order to understand what was there, rather than to deliver good
photographs. I distrusted the concept of the good photograph. I only thought
in terms of series. » Depuis le début des années , elle présente ses
archives photographiques et lmiques sous la forme d’installations, an
d’inscrire ces documents dans des séquences, des séries de séries qui en
rouvrent le sens.
Ces résurgences d’images dans le ux du lm de Mangolte opèrent
une relecture de ces icônes que nous connaissons si bien que nous ne
cherchons plus à les déchirer. Deux me semblent particulièrement
intéressantes : celles des photographies de la performance de Pane prises
par Masson, et le cliché de VALIE EXPORT réalisé par Hassmann. La
réinterprétation que propose Mangolte des premières est de l’ordre de
la remédiation (la translation de la photographie en couleurs en lm
numérique haute dénition) ; tandis que sa relecture de la deuxième est
plus politique parce qu’elle relance la question de la performativité des
genres, au sens où l’entend Judith Butler.
Mangolte met en mouvement les images photographiques de Masson
et les dote d’une durée et d’une dimension acoustique [gure]. Plusieurs
plans rappellent de façon saisissante les clichés du « constat photogra-
phique » : la main repliée sur le montant du lit métallique, la lumière
rousse des bougies sur le corps de la performeuse, la vue latérale du
lit, l’artiste fourbue assise au sol, etc. Comme Masson, Mangolte eace
l’espace environnant, montre peu le public et privilégie les plans rappro-
chés. À la tombée de la nuit, le fond noir d’encre sur lequel se détache la
scène évoque le noir des images de Masson prises dans l’une des salles de
la galerie Stadler entièrement peinte en noir. Cette animation de clichés
inertes actualise, me semble-t-il, certaines virtualités contenues dans les
photographies de Masson.
Dans la perspective du tournage des Seven Easy Pieces, Mangolte
avait visité l’exposition de Pane au MNAM dans laquelle étaient exposés
les « constats photographiques » composés des images de Masson et trois
séquences de la vidéo de Carole Roussopoulos. Dans « Balancing Act
Between Instinct and Reason », Mangolte rapporte plusieurs observa-
tions de cette visite. Elle remarque que les photographies de Masson
   227
ne montrent ni le contexte, ni l’espace, ni le public, ni le processus de la
performance, seulement des moments d’intensité organisés en séquences.
Eectivement, Masson s’attachait à rendre le continuum des actions à
travers des séries d’images xes, an de créer une « véritable continuité
lmique », comme s’il s’agissait de photogrammes. Elle avait développé
cette approche à la suite de sa collaboration avec l’architecte Martin Van
Treeck et leur expérience de photographie de maquettes d’architecture à
l’aide d’un relatoscope, un instrument permettant de regarder l’intérieur
des maquettes comme si on se déplaçait dans un espace réel.
De plus, Masson privilégiait la photographie en couleurs, ce qui était
rarissime pour les images de performance dans les années . Ses clichés
sont dotés d’une qualité qui évoque la photographie commerciale : une
brillance, une vibration et une vivacité que Masson obtenait en éclairant
Pane avec des lampes, alors que celle-ci performait devant le public. Ce
choix en rupture avec l’esthétique conceptuelle qu’avaient adoptée la
plupart des artistes de la performance pour leur documentation était
lié à sa longue pratique de la photographie de mode et publicitaire.
La qualité chromatique de ses images si anachronique à l’époque allait
devenir le canon de la photographie de performance dans les années ,
et se généraliser avec les technologies numériques et la haute dénition
les décennies suivantes.
En mettant en mouvement les images de Masson, quelque trois décen-
nies plus tard, en les dotant de cette dimension sonore si importante dans
l’expérience de la performance, mais toujours cruellement absente des
photographies, Mangolte souligne la façon dont les images des œuvres de
performance sont technologiquement, culturellement et historiquement
déterminées, informées par des traditions professionnelles hétérogènes
ayant chacune leurs approches de l’image. Cette relecture et son parti pris
interprétatif procèdent d’une « volonté d’archive », même si elle a lieu dans
l’espace lmique. Elle actualise certaines virtualités contenues dans les
images de Masson. Cest pourquoi j’avancerais que la « volonté d’archive »
n’est pas le propre du reenactment, qu’elle peut aussi être à lœuvre dans
sa documentation.
La séquence du lm de Mangolte consacrée à Genital Panic et ses
références à la photographie de Hassmann ne prêtent quant à elles pas
tant à une réexion sur l’historicité des médiums de l’image qu’à une
relecture féministe de la proposition de VALIE EXPORT et de sa reprise
228  
Figure 4. Marina Abramović, Seven Easy Pieces, , reenactment de VALIE
EXPORT, Action Pants: Genital Panic, . Photogrammes du lm de Babette
Mangolte, Seven Easy Pieces by Marina Abramović, HDCAM ( min) : couleur, son.
Crédit photographique : Babette Mangolte © avec l’aimable permission de la Sean
Kelly Gallery.
par Abramović [gure]. Je tenterai de montrer que le lm actualise la
performativité des genres au sens où lentend Judith Butler, et même qu’il
la performe.
La séquence du lm de Mangolte consacrée à Genital Panic semble a
priori prendre le contre-pied de l’image iconique originale dans laquelle
VALIE EXPORT pose oerte au plaisir scopique de spectateurs extérieurs
   229
à la représentation. Mangolte, au contraire, met les spectateurs au cœur
de l’image. Sa séquence du reenactment de Genital Panic est entièrement
composée d’allers et retours entre Abramović et les spectateurs. Dans une
succession de portraits de femmes, d’hommes, de couples, de groupes de
tous les âges, de tous les sexes, Mangolte saisit les expressions, les attitudes,
les langages corporels. La caméra se déplace parfois derrière l’artiste an
de montrer la distribution des spectateurs dans lespace de la rotonde.
C’est depuis ce point de vue que l’on aperçoit aux étages une personne
regarder à travers le télescope qui semble braqué sur le sexe de l’artiste.
Bien qu’il soit opposé à la rhétorique de l’image originale, ce retour-
nement marqué de la caméra vers les spectateurs n’est pas étranger à la
documentation que VALIE EXPORT réalisait de ses actions. Parallèlement
aux représentations iconiques et décontextualisées, lartiste produisait
d’autres types de photographies qui mettaient en scène les participants.
Ainsi, dans Wiener Workers !, VALIE EXPORT courtement vêtue, exhi-
bant son tatouage et un large sourire, pose parmi trois ouvriers très appré-
ciateurs de sa jarretière. « [VALIE EXPORT, remarque judicieusement
Delpeux,] inverse par là le dispositif des images en gros plan : ce n’est plus
un spectateur non identié qui regarde sa cuisse nue, mais un groupe
d’hommes qui succombe à la pulsion scopique. Elle parvient ainsi à créer
deux types de spectateurs […] : l’un est bénéciaire, l’autre complice. »
Les photographies de Tapp und Tastkino [cinéma à toucher] jouent de la
même stratégie. Portant sur son buste dénudé une boîte de carton fermée à
l’avant par un rideau, l’artiste qui ressemblait ainsi aublée à une ouvreuse
de cinéma vendant ses friandises invitait les passants à toucher ses seins,
à l’abri des regards. Les images montrent le face à face de l’artiste et des
participants, sans jamais révéler ce qui se joue à l’intérieur de la boîte.
Dans ces photographies, les individus jouissent autant de regarder (ou
de toucher) que d’être regardés. C’est cette pratique de documentation
tournée autant vers le public que vers les performeurs (Pane en faisait
également usage) que Mangolte réinvestit.
À travers ces portraits de spectateurs, la réalisatrice cherche à saisir
la multiplicité des réactions et des attitudes, selon le sexe, l’âge, et d’autres
signes identitaires. Comme dans Seedbed, les réactions des hommes et des
femmes sont très diérentes, une distinction manifeste lorsque les pro-
tagonistes sont des couples. Le spectacle que nous livrent ces spectateurs
transmués en acteurs est celui de la performativité des genres, au sens
230  
où l’entend Judith Butler dans son livre Gender Trouble, paru en .
La philosophe appréhende les genres féminins et masculins comme des
ctions que chacun et chacune reproduisent en les performant, des jeux
de rôle en quelque sorte.
Toutefois, cette performativité des genres advient dans le film,
à travers le langage cinématographique, le montage et le mixage de
Mangolte. Selon une formule certes un peu tautologique, l’on pourrait
dire que le lm performe la performativité des genres. Ce parti pris de
Mangolte me semble particulièrement intéressant en regard des débats
sur les pratiques et les théories féministes des dernières décennies. Dans
un essai intitulé « Performativité du genre = performance ? », Gérald ine
Gourbe et Charlotte Prévot rappellent que la notion de Butler a per-
mis de dépasser la polémique qui avait éclaté entre deux générations
d’artistes et de théoriciennes féministes et qui tendait à s’enliser. Celles
des années  reprochaient à leurs prédécesseures de reconduire et de
participer pleinement à l’économie phallocentrique et capitaliste du corps,
sans développer une théorie ou une pratique de la réception permettant
aux spectateurs de prendre conscience des eets de ces représentations.
En appréhendant les genres féminins et masculins comme des ctions
à reproduire en les performant, Butler incita à relire des corpus entiers
d’œuvres féministes des années  et . C’est précisément ce que permet
le lm de Mangolte : un glissement d’une représentation iconique de la
femme oerte au désir scopique d’un spectateur anonyme (et sûrement
masculin) à la performativité des genres et des identités. Cette relecture
est d’autant plus pertinente que VALIE EXPORT, Marina Abramović et
Babette Mangolte, des femmes de la même génération, ont traversé les trois
périodes de la critique féministe, et en ont été des actrices importantes.
Parce que ses eets de présence et de réel donnent au spectateur l’im-
pression de faire une expérience directe des reenactments d’Abramov i ć ,
qu’il attribue au corps et à sa physicalité une place centrale, qu’il est
performatif, qu’il actualise certaines virtualités contenues dans les
images historiques et iconiques des œuvres originales, contribuant à les
relire et à les réinventer, le lm de Mangolte s’inscrit pleinement dans
la « volonté d’archive » que propose Lepecki, même s’il est de l’ordre de
la documentation. Marina Abramović propose une réexion sur ce que
signie documenter le reenactment : actualiser lactualité du document
   231
vivant tout en donnant à penser les formes de médiatisation dont il pro-
cède et dont il est l’objet.
Aborder le reenactment comme un « document vivant » permet de
réviser un certain nombre de dichotomies autour desquelles les débats
et les polémiques tendent à s’enliser : le live et l’enregistré, lœuvre et sa
documentation, l’original et ses copies, l’authentique et l’inauthentique.
Les reenactments, les documents à partir desquels ils sont élaborés et ceux
qu’ils contribuent à produire s’inscrivent dans une chaîne de production
interdocumentaire qui génère de nouveaux savoirs, qui exploite des
techniques de reproduction et de circulation de l’information récentes,
et qui met à contribution une diversité de collaborateurs issus de dié-
rents corps professionnels et institutionnels. Dans cette perspective, le
reenactment ne peut pas être compris comme un retour à la performance
originale, une démarche de restauration à l’identique. Il procède d’un
phénomène d’actualisation de documents qui active des champs de vir-
tualités ou de possibilités contenus dans les œuvres, mais restés inexplo-
rés. Il est sous-tendu par un parti pris d’interprétation artistique, même
s’il est de l’ordre de la documentation. Une telle acception du reenactment
que Lepecki nomme « volonté d’archive » et quil rattache à son caractère
corporel n’est pourtant pas exclusive au document vivant, interprété par
un corps. La documentation enregistrée que le reenactment engendre
inévitablement peut être pleinement performative et activer à son tour
certaines virtualités de lœuvre. Dès lors, il n’est plus possible d’opposer,
comme le font Lepecki et plusieurs théoriciens des performance studies,
le reenactment transgressif au document « tangible » et domicilié dans
les institutions, soumis à leurs ordres, à leurs lois et à leur économie.
Comme il est tout aussi problématique de réduire le reenactment en
contexte muséal à une spectacularisation de la performance, comme le
font la plupart des critiques des Seven Easy Pieces. Il me semblerait plus
juste de rattacher cette chaîne de production interdocumentaire dans
laquelle s’inscrivent aussi bien les documents vivants et enregistrés à ce
que Simon Hecquet et Sabine Prokhoris nomment à propos des œuvres
chorégraphiques et de leur notation « une œuvre ouverte à l’inni de
ses retraductions ».
232  
Notes
. Marina Abramović. Seven Easy Pieces, Solomon R. Guggenheim Museum, New
York, - novembre . Commissaire : Nancy Spector.
. Marina Abramović. e Artist Is Present, Museum of Modern Art, New York,
mars– mai . Commissaire : Klaus Biesenbach.
. Marina Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue dexposition, Milan, Charta,
, p..
. Jessica Sa ntone, « Marina Abramović’s Seven Easy Pieces : Critica l Documentation
Strategies for Preserving Art’s History », Leonardo, vol. , no , avril ,
p.-.
. André Lepecki, « e Body as Archive : Will to Re-Enact and the Aerlives of
Dances », Dance Research Journal, vol. , no, hiver , p. -.
. À titre de rappel, Nelson Goodman et Gérard Genette parlent de régime allogra-
phique lorsqu’une œuvre compor te deux modes d’existence distincts, la notation
et les exécutions. Nelson Goodman, Langages de l’art. Une approche de la théorie
des symboles, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, , p. - ; Gérard
Genette, L’œuvre de l’art, vol. , Paris, Seuil, , p.-.
. Avalanche, no, numéro consacré à Vito Acconci, automne .
. Gina Pane, Terre–artiste–ciel, Musée national d’art moderne, Centre Georges
Pompidou, Paris,  février– mai . Commissaire : Sophie Duplaix.
. Marina Abramović intitula sa reperformance partielle de la pièce de Pane
Conditionning.
. Mari na Abramov ić, « R eenactment », Marina Abramović. Seven Easy Pieces,
catalogue d’exposition, op. cit., p.-.
. Babette Mangolte insiste également sur l’importance du choix d’une institution
muséale. Babette Mangolte, « Filming Performance », conférence, Oce for
Contemporary Art Norway, Oslo,  mai . < http://bit.ly/gIpv>
. Marina Abramović, dans Nancy Spector, « Marina Abramović Interviewed »,
Marina Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue d’exposition, op. cit., p..
. Mari na A bramović, « Reenac tment », op. cit., p..
. Ibid., p..
. Nancy Princenthal, « Back for One Night Only ! », Art in America, vol. , février
, p. .
. Idem.
. Amelia Jones, « Space, Body and the Self in the Work of Bruce Nauman »,
conférence, Musée d’art contemporain de Montréal,  mars  ; Amelia
Jones, « e Artist is Present” : Artistic Reenactments and the Impossibility of
Presence », TDR : e Drama Review, vol. , no, printemps , p. -.
. Erika Fischer-Lichte, « Performance Art–Experienci ng Limiality », dans Marina
Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue dexposition, op. cit., p..
. Suzanne Briet, Qu’est-ce que la documentation ?, Paris, Éditions documentaires
industrielles et techniques, . Un article de Corina Macdonald sur la documen-
   233
tation des œuv res de médias variables a attiré mon attention sur cet ouvrage et sur
son intérêt pour aborder les formes de documentation des pratiques artistiques
performatives : Corina Macdonald, « Scoring the Work : Documenting Practice
and Performance in Variable Media Art », Leonardo, vol. , no, , p. -.
. Suzanne Briet, op. cit., p..
. Idem.
. Ibid., p..
. Jessica Santone, loc. cit., p. -.
. Hal Foster, « An Archival Impulse », October, vol. , automne , p.-.
. Jessica Santone, loc. cit., p.-.
. André Lepecki, loc. cit.
. Ibid., p.
. Idem. Ma traduction.
. Ibid., p..
. Ibid., p..
. Martin Nachbar, cité par André Lepecki, ibid., p..
. VALIE EXPORT, en entretien avec Sophie Delpeux : « VALIE EXPORT, Carolee
Schneemann, Erró. Le regard et l’image », artpress2, L’art en images, images de
l’artiste, no, printemps , p..
. Sophie Delpeux, Le corps-caméra. Le performer et son image, Paris, Textuel, ,
p.-.
. Ibid., p..
. VALIE EXPORT, citée par Sophie Delpeux, ibid., p..
. Amelia Jones évoque les travaux de l’historienne d’art Mechthild Widrich selon
lesquels la performance de VALIE EXPORT dans le cinéma munichois n’aurait
jamais eu lieu. Amelia Jones, « “e Artist is Present” : Artistic Reenactments and
the Impossibility of Presence », loc. cit., p. .
. Parallèlement à son travail de documentation de la performance, de la danse et
du théâtre expérimentaux, Mangolte fut chef opérateur pour divers réalisateurs,
dont Chantal Akerman. Elle a également réalisé plusieurs lms narratifs expéri-
mentaux parmi lesquels What Maisie Knew,  ; e Camera : Je (La Camera :
I),  ; Les modèles de Pickpocket, .
. Présentation du lm sur le site Internet de l’artiste. < http://bit.ly/tynE>
. Iain Mil lar, « Abramov ić’s historic performances on lm », Art Newspaper, vol.,
no, décembre , p..
. Johanna Burton, « Repeat Performance. On Marina Abramović’s Seven Easy
Pieces », Artforum, vol. , no, janvier , p..
. Idem.
. Idem.
. Babette Mangolte, « My History (e Intractable) », October, vol. , automne
, p. -.
234  
. Ibid., p..
. Babette Mangolte, « Filming Performance », op. cit.
. Babette Mangolte, « Life in Film : Babette Mangolte », Frieze, no , septembre
, p. .
. Ibid., p..
. Babette Mangolte, en entretien avec Scott Macdonald : « An Interview w ith Babette
Mangolte », Aerimage, vol. , no-, été , p..
. Babette Mangolte, « Une histoire de temps. Analogique contre numérique, l’éter-
nelle question du changement de technologie et de ses implications sur lodyssée
d’un réalisateur expérimental », Trac, no, été , p..
. Babette Mangolte, « Movement, Motion, Velocity and St illness in Filming Dance »,
dans Raphael Gygax et Heike Munder (dir.), Between Zones. On the Representation
of the Performative and the Notation of Movement, Zurich, Migros museum für
gegenwartskunst, , p. -.
. Babette Mangolte, « Being Contemporary », PAJ A Journal of Performance and
Art, vol. , no, janvier , p.-.
. Ibid., p..
. Babette Mangolte, en entretien avec Lina Bertucci, « Babette Mangolte. Being
Right in the Middle of It », Flash Art International, no, janvier-février ,
p..
. Babette Mangolte, « My History (e Intractable) », loc. cit., p..
. Judit h Butler, Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, New York,
Routledge, .
. Carole Roussopoulos était à l’époque une vidéaste engagée dans les mouvements
féministes, ouvriers, homosexuels. Elle travaillait avec une caméra sur pied peu
mobile, et selon les instructions de Pane qui choisissait à l’avance les types de
cadrage. Sur ce sujet, voir Julia Hountou, « Gina Pane. Entretien avec Carole
Roussopoulo s », Turbulences vidéo, no, juillet , p.-.
. Babette Mangolte, « Balancing Act Between Instinct and Reason or How to
Organize Volumes on a Flat Surface in Shooting Photographs, Films, and Videos
of Performance », dans Barbara Clausen (dir.), Aer the Act, Vienne, Museum
Moderner Kunst Stiung Ludwig Wien, , p. -.
. Françoise Masson, en entretien avec Julia Hountou, « Gina Pane et Françoise
Masson : l’accord de deux sensibilités ou la connivence des regards (propos de
Françoise Masson recueillis par Julia Hountou) », Art Présence, no, printemps
, p..
. Alice Maude-Roxby et Françoise Masson, On Record : Advertising, Architecture
and the Actions of Gina Pane, Londres, Artwords Press, .
. Idem.
. Ce que regrette Mangolte dans « Balancing Act Between Instinct and Reason »,
loc. cit., p..
. Sophie Delpeux, Le corps-caméra, op. cit., p..
. Judith Butler, op. cit.
   235
. Géraldine Gourbe et Charlotte Prévot, « Performativité du genre = perfor-
mance ? », dans Janic Bégoc, Nathalie Boulouch et Elvan Zabunyan, La per-
formance. Entre archives et pratiques contemporaines, Presses universitaires de
Rennes, Archives de la critique d’art, , p.-.
. Ibid., p.-.
. Simon Hecquet et Sabine Prok horis, Fabriques de la danse, Paris, Presses univer-
sitaires de France, , p..
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Article
This essay raises issues of authenticity, authorship and medium in a discussion of performance, documentation and re-performance. Its object of analysis is Marina Abramovićć's 2005 performance series, Seven Easy Pieces, including her re-performances of Bruce Nauman's Body Pressure and VALIE EXPORT's Action Pants: Genital Panic. Seven Easy Pieces strives to document the past through manipulation of repetition and temporality; Abramovićć's re-performances act as performative documents of the past performances she cites. Lessons learned from a close analysis of re-performance and performance documentation can provide useful insights for and promote critical thought about conservation strategies for time-based art.
Article
Laurence Louppe once advanced the intriguing notion that the dancer is “the veritable avatar of Orpheus: he has no right to turn back on his course, lest he be denied the object of his quest” (Louppe 1994, 32). However, looking across the contemporary dance scene in Europe and the United States, one cannot escape the fact that dancers—contrary to Orpheus, contrary to Louppe's assertion—are increasingly turning back on their and dance history's tracks in order to find the “object of their quest.” Indeed, contemporary dancers and choreographers in the United States and Europe have in recent years been actively engaged in creating re-enactments of sometimes well-known, sometimes obscure, dance works of the twentieth century. Examples abound: we can think of Fabian Barba's Schwingende Landschaft (2008), an evening-length piece where the Ecuadorian choreographer returns to Mary Wigman's seven solo pieces created in 1929 and performed during Wigman's first U.S. tour in 1930; of Elliot Mercer returning in 2009 and 2010 to several of Simone Forti's Construction Pieces (1961/62), performing them at Washington Square Park in New York City; or Anne Collod's 2008 return to Anna Halprin's Parades and Changes (1965), among many other examples.
The Artist Is Present, Museum of Modern Art
  • Marina Abramović
Marina Abramović. The Artist Is Present, Museum of Modern Art, New York, 14 mars -31 mai 2010. Commissaire : Klaus Biesenbach.
Seven Easy Pieces, catalogue d'exposition
  • Marina Abramović
Marina Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue d'exposition, Milan, Charta, 2007, p. 11.
Genette parlent de régime allographique lorsqu'une oeuvre comporte deux modes d'existence distincts, la notation et les exécutions. Nelson Goodman, Langages de l'art. Une approche de la théorie des symboles
  • Nelson À Titre De Rappel
  • Goodman
  • Gérard
À titre de rappel, Nelson Goodman et Gérard Genette parlent de régime allographique lorsqu'une oeuvre comporte deux modes d'existence distincts, la notation et les exécutions. Nelson Goodman, Langages de l'art. Une approche de la théorie des symboles, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990, p. 135-161 ; Gérard Genette, L'oeuvre de l'art, vol. 1, Paris, Seuil, 1994, p. 85-94.
Terre -artiste -ciel, Musée national d'art moderne
  • Gina Pane
Gina Pane, Terre -artiste -ciel, Musée national d'art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, 16 février -16 mai 2005. Commissaire : Sophie Duplaix.
« Marina Abramović Interviewed », Marina Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue d'exposition, op. cit
  • Marina Abramović
  • Nancy Dans
  • Spector
Marina Abramović, dans Nancy Spector, « Marina Abramović Interviewed », Marina Abramović. Seven Easy Pieces, catalogue d'exposition, op. cit., p. 19.
« Back for One Night Only ! »
  • Nancy Princenthal
Nancy Princenthal, « Back for One Night Only ! », Art in America, vol. 94, février 2006, p. 90.
Body and the Self in the Work of Bruce Nauman », conférence, Musée d'art contemporain de Montréal, 25 mars
  • Amelia Jones
  • Space
Amelia Jones, « Space, Body and the Self in the Work of Bruce Nauman », conférence, Musée d'art contemporain de Montréal, 25 mars 2010 ; Amelia Jones, « "The Artist is Present" : Artistic Reenactments and the Impossibility of Presence », TDR : The Drama Review, vol. 55, n o 1, printemps 2011, p. 16-45.