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Laure
Kloetzer
et
Ramiro
Tau
9 -
Combiner
dialogisme
et
sociomatérialité:
espaces
et
artefacts
dialogiques
en
recherche-intervention
Résumé
Dans cette contribution, nous abordons
la
question
de
la complé-
mentarité
des
approches dialogiques et sociomatérielles dans le champ
de la psychologie socioculturelle et de l’éducation.
À
partir de notre
expérience
de
recherche-intervention dans les milieux de
travail,
inspirée
de
la clinique de l’activité, nous introduisons deux notions:
['espace
de dialogue et les artefacts dialogiques.
Ces
notions seront
présentées dans le contexte d’un projet de recherche collaboratif
récemment mené dans un hôpital universitaire suisse sur la formation
en chirurgie assistée par la robotique.
***
Dans quelle mesure les approches dialogiques et sociomatérielles
peuvent-elles être combinées
dans
un projet scientifique commun?
Pour répondre
à
cette question, nous nous appuierons sur notre propre
projet, inscrit dans une démarche de recherche-intervention dans les
milieux de travail inspirée de la clinique de l’activité (Clôt, 1999,
235
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIEU.ES: OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
2006), qui a une double visée scientifique et transformative. Elle vise
ainsi à soutenir le développement du pouvoir d’agir des professionnels
et des collectifs de travail, dans
des
institutions elles-mêmes en
transformation. Nous présenterons d’abord les approches dialogiques
et sociomatérielles et discuterons de leur complémentarité. Puis nous
introduirons deux notions issues de nos précédentes explorations,
\'
espace
de dialogue et
l’
artefact dialogique, pour penser la matérialité
d’un dialogue professionnel à visée développementale.
Ces
notions
seront présentées dans le contexte d’un travail de recherche collaboratif
récemment mené dans un hôpital universitaire suisse sur la formation
en chirurgie assistée par la robotique.
1
.
Conjuguer
dialogisme
et
sociomatérialité
?
1.1.
Dialogisme
La perspective dialogique en psychologie et éducation ne constitue
pas une théorie ou un courant unifié, mais plutôt un ensemble
d’hypothèses
théoriques, épistémologiques et éthiques dérivées des
travaux fondateurs de Bakhtine en analyse littéraire et dépendant de
leur contexte de réception disciplinaire et national (Eun, 2019;
Jones,
2017; Markovâ, 2016).
La psychologie contemporaine a souligné
la
pertinence des
approches bakhtiniennes pour penser
le
développement humain
(Fernyhough, 2008;
Wells,
1999), surtout
à
partir de leur relecture
effectuée sous l’éclairage conceptuel de Vygotskij
(Valsiner,
2007; Valsiner et Van der Veer, 2000; Wertsch, 1991, 1997). En
psychologie comme en éducation, la réception des
thèses
de Bakhtine
se concentre sur quelques concepts clefs de l’auteur: la polyphonie,
l’hétéroglossie, les genres de discours, les chronotopes, par exemple.
L’attention des psychologues et éducateurs porte sur la conception
dialogique de Bakhtine comme alternative au monologisme. Bakhtine
qualifie le roman de Dostoïevski de polyphonique,
c’est-à-dire
traversé de différentes voix.
Ces
dernières sont autant de perspectives
236
9 -
COMBINER DIALOGISME ET SOCIOMATÉRÏALITÉ
philosophiques sur le monde, mises en dialogue par l’auteur
à
travers
ja confrontation des personnages qui les incarnent, débouchant sur
la polyphonie de la pensée, c’est-à-dire la construction polyphonique
de la réalité. L’approche bakhtinienne contribue à conceptualiser la
contradiction, l’altérité et la multiplicité dans le discours et donc,
dans le sujet. L’opérationnalisation du dialogisme dans nos disciplines
porte ainsi en premier lieu sur l’identification de la forme et de la
fonction des voix autres,
y
compris
des
tiers absents, dans l’analyse de
matériaux empiriques langagiers (Clôt, 2005
;
Clôt, Faïta, Fernandez
et Scheller, 2000; Clôt et Faïta, 2000; Grossen et Salazar-Ovig,
2011)- Dans cette rencontre théorique, la dialogicité est devenue un
instrument conceptuel qui n’est
pas
exactement celui proposé par
Bakhtine, ni ne
se
réfère
exactement
à
la
dimension dialectique qui
caractérise toute la pensée de Vygotskij (Castorina, 2021; Wegerif,
2008).
Il
s’agit
plutôt d’une manière de repenser les frontières du sujet
(Muller Mirza et
dos
Santos Mamed, 2021) et l’interdépendance du
développement des sujets et de la société.
Ces
approches considèrent
le dialogue comme ontologiquement constitutif de notre pensée
(Cheyne et Tarulli, 1999; Markovâ, 2003).
La
pensée et
la
parole
propre n’émergent que de l’immersion dans la pensée et la parole
d’autrui, et dans l’activité sociale partagée (Linell, 2003). Le discours
de chacun est ainsi tissé de dialogues passés et anticipés
avec
autrui.
Chez Bakhtine, qui inscrit ces travaux dans la tradition
d’analyse
critique d’œuvres littéraires (Bakhtine, 1932-1984), la prise en
compte du monde matériel est au second plan. Celui-ci apparaît
toutefois dans l’idée que
les
énoncés
-
les mots, dans le vocabulaire
de Bakhtine
-
nous arrivent chargés
des
contextes historiques
concrets qu’ils ont traversés: «Le
mot
n’est
pas une chose,
mais
le
milieu
dynamique,
toujours
changeant,
dans
lequel
s’effectue
l’échange
dialogique.
Il
ne
se
satisfait
jamais
d’une
seule conscience,
d’une
seule
voix.
La
vie
du
mot,
c’est
son passage
d’un
locuteur
à
un
autre,
d’un
contexte
à
un
autre,
d’une
collectivité
sociale,
d’une
génération
à
une
autre.
Et
le
mot
n’oublie
jamais
son
trajet,
ne
peut
se débarrasser
entièrement
de
l’emprise
des contextes concrets
dont
il
a
fait
partie»
(Bakhtine, 1929-1970, p. 279).
237
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES
:
OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
En revanche, dans sa réception en psychologie et éducation, la prise
en
compte conjointe de la psychologie historico-culturelle de Vygotskij et du
dialogismc bakhtinicn ouvre, au moins en théorie, une double place pour
la sociomatérialité
:
d’une part, l’activité du sujet porte simultanément sur
l’interaction avec les autres et sur la transformation
des
objets du monde;
d'autre part, la
fonction
instrumentale
chez
Vygotskij est première dans le
développement. Comme l’instrument matériel transforme les conditions
de
faction, l’instrument psychologique transforme les conditions
de
réalisation d’une tâche mentale,
par
exemple de mémorisation (Vygotskij
et
Luria, 1930-1994). Le contrôle artificiel par
des
instruments
psychologiques de nos processus psychologiques naturels, en permet
la maîtrise, condition pour les
êtres
humains de leur liberté vis-à-vis des
déterminismes biologiques (Friedrich, 2014). L’activité du sujet est
ainsi non seulement médiatisée,
mais
médiatisante (Vygotskij,
1977
[circa 1929]). Notons que les instruments
psychologiques,
qui agissent
directement sur notre pensée,
agissent
également
par
leur matérialité:
matérialité
des
signes, des
cartes,
des
bouliers, d’un nœud
dans
un
mouchoir,
du langage. L’être humain peut
réorganiser
les
configurations
matérielles du monde
de
manière
à
obtenir certains effets
(Wertsch,
1985).
Comme
le souligne Janette Friedrich,
par
l’usage d’instruments
psychologiques,
l’être
humain se dissocie, étant
à
la
fois sujet
et
objet
de
son
action
:
il crée une
configuration
hybride
dans
laquelle
les objets du monde
agissent sur ses processus
psychologiques
(Friedrich, 2014). Le monde
matériel
est donc central
chez
Vygotskij,
dans le projet
scientifique
d’une
psychologie concrète: cette dernière
requiert
l’identification,
dans
l’acte
concret
d’un
individu
ancré
socialement,
spatialement et historiquement,
des
modalités
de
transformation
par
les sujets
eux-mêmes
d’objets
matériels en instruments
psychologiques
permettant
le
développement
de
leur pensée et
de
leur activité
-
contribuant
à
l’extension
du domaine
de
leur
pouvoir
d’agir
et
de
leur
liberté.
1.2.
Sociomatérialité
Parallèlement, les
perspectives
sociomatérielles rassemblent également
une diversité
de
courants théoriques et
d’approches
méthodologiques.
Selon
Fenwick
et
al.,
«materiedity includes tools, technologies, bodies,
238
9
(
'.OMMNI'R
DIAIOGISMI'
F.T
SOCfOMAl AruAi.n r
fictions
and
objecte,
but
not
in ways
thaï
trcat
thèse
us "brute
”
or inherently
separatc
and
distinct
from
humans
as
users
a.nd.
designers.
Materiality also
includes
texte
and
discourses,
but
not
in ways
that
over-privilege
linguistic,
intcrtextual
and.
cultural
circulations» (Fenwick, Nerland et Jensen,
2012,
p.
6-7). Les approches sociomatérielles soulignent à la fois
l’hétérogénéité
des
systèmes et le besoin d’analyser les relations
de
leurs
éléments.
Ces
perspectives
«
trace
how
disparate éléments
-
human
and
non-human
-
emerge
in webs
ofactivity,
and
become
linked
into
assemblages
that
collectively
exert
power
and
generate
knowledge»
(Fenwick, Edwards et
Sawchuk, 2015, p. 7).
La
notion
&
assemblages,
en anglais,
&
agencements,
en français,
est
centrale.
Très
influentes
dans le domaine
de
l’éducation
(Cattaruzza, Ligorio et lannaccone, 2019), les approches sociomatérielles
mobilisent une diversité
de
cadres
théoriques
:
théorie de l’acteur-réseau,
théories
de
la
complexité,
CHAT
(Cultural-Historical
Activity
Theory),
cognition située ou distribuée (Fenwick et al., 2010), mais aussi
théories du développement de Piaget ou de Vygotskij. Comme nous
l’avons déjà souligné, ces agencements n’excluent pas la dimension
langagière, ils la resituent comme un
des
éléments en circulation. Selon
les théories mobilisées,
la
place de ces éléments textuels et
langagiers
varie. Ils seront
analysés
comme forme représentationnelle d’un état
de connaissance dans un système dynamique distribué entre humains
et
dispositifs
techniques, par
exemple,
dans le modèle de la cognition
distribuée. Dans tous les
cas,
les frontières
de
la pensée, et son unité
d’analyse, sont étendues aux environnements sociaux et
matériels
qui
la
transforment. Les approches sociomatérielles posent que la
connaissance et l’apprentissage sont
«
embedded in
material
action
and
inter-action (or
intra-action),
ratherthan
focusingon
intemalised
concepts,
meanings
and
feelings ofany
one
participant»
(Fenwick, Nerland et
Jensen, 2012, p. 6-7).
Entre deux
théories
scientifiques,
trois
relations
sont
possibles:
l’incommensurabilité (les deux
théories
ne
peuvent
être mises
en
rapport
car elles ne portent pas sur les
mêmes
objets);
l’incompatibilité
(les
deux théories portent sur les
mêmes
objets,
mais avec des
partis
pris
épistémologiques
différents
qui les rendent
incompatibles)
;
ou différentes
formes
de
compatibilité (les
deux
théories portent sur les
mêmes
objets,
239
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRI
ELLES!
OBJETS,
INTERACTIONS, ESPACES
partagent
des
choix
épistémologiques et peuvent donc être articulées
de
différentes
façons
suivant les
objectifs
de la recherche, les modèles
théoriques
et les options méthodologiques et analytiques retenues). Il nous
semble que les approches dialogiqucs et sociomatéricllcs, bien que non
unifiées,
sont en
ce
sens
compatibles. Elles s’intéressent aux interactions
sociales
d’individus
concrets
situés dans un
espace
et dans un temps
donné; elles
partagent
une option
forte,
celle de remettre en cause l’unité
traditionnelle
d’analyse
(de la
pensée
ou de l’action) limitée aux
frontières
de l’individu pour prendre en compte les autres et le monde; elles
partagent
également
tme
prise
de position interactionniste: la matérialité
est
prise
sous
l’angle de l’interaction entre humains et non-humains, tout
comme
le
dialogisme
est
pris
comme interaction (organisée) de
différentes
voix sociales en
tension.
Nous
allons
maintenant montrer comment
nous
essayons
de
penser
ces
deux
approches
comme
complémentaires
dans
nos
propres
travaux.
Nous
le
ferons
en introduisant deux notions construites
dans
notre
démarche
de
recherche-intervention:
la
notion d’espace
de
dialogue
et
celle
d’artefacts
dialogiques.
2.
Le
dialogue
comme
développement
potentiel
-
espaces
et
artefacts
dialogiques
Dans
nos
travaux
de recherche-intervention dans les milieux
de
travail,
inspirés
de la clinique de
l’activité
(Clôt, 1999),
la
stratégie adoptée vise
autant
la
construction de
connaissances
que le développement
du pouvoir
d’agir
des
professionnels
et
des
collectifs
de travail dans les institutions
étudiées.
Le
dialogue
y
assure
donc une fonction
développementale
et
c’est
en
ce
sens
que nous utiliserons
le
mot
dialogue
par
la
suite, comme
un
raccourci
pour
désigner
un
dialogue
qui vise un développement
de l’activité et du pouvoir
d’agir
des
professionnels.
Wegerif,
Mercer
et Major (2019) rappellent que
le
mot
dialogue
peut
avoir
trois
sens
différents
:
au sens ordinaire,
il
est
synonyme de conversation.
Dans
un
deuxième
sens,
le
dialogue
renvoie
à
la
construction de
connaissances
dans
l’interaction
par
participation
à
un
dialogue.
Enfin,
le
dialogue en
tant qu’expérience de rencontre
verbale
ou non verbale peut être entendu
240
9 -
COMBINER DIAI.OG1SMR RT SOCIOMATlhUALHÏ,
dans un sens ontologique comme fondateur de notre identité et de notre
connaissance dans le rapport entre soi et autrui (Markova, 2016).
2.1
.
Le
dialogue
au
sein des
institutions
:
de
l'empêchement
ordinaire
à
une
existence
possible
Le
dialogue
comme
conversation
est
omniprésent
dans
les
organisations:
réunions, discussions aux pauses, rencontres dans les bureaux ou
couloirs,
questions et réponses,
partage
des
doutes et des problèmes, élaboration
collective
de
solutions...
Toutefois,
de nombreuses situations
de
dialogue
apparent résultent pour
des
raisons
variées dans un
échec
de
l’actualisation
de leurs potentialités de développement (Gillespie, 2020). Plusieurs
courants
de
recherche et auteurs, aux frottements de la psychologie
du développement et
de
la linguistique,
se
sont
préoccupés
non
de
documenter ces échecs, mais
de
caractériser
ces
dialogues
professionnels,
en cherchant
à
préciser (et
parfois
à
favoriser) les conditions fragiles
de
leur félicité
(Litdeton
et
Mercer,
2013).
Perret-Clermont
(2015),
par
exemple, souligne que le
dialogue
dans
le
contexte
éducatif
prend place
dans
un
cadre, dont
l’enseignant
est
le
garant.
Ce
cadre
est
lui-même
permis
et produit
par
un
cadre
du
cadre,
dans une dynamique
de
poupées
russes.
Par exemple, l’apprentissage
à
l’université s’inscrit
dans
l’institution
«université» conçue comme
un
cadre
social,
symbolique
et
matériel.
Ce
cadre
n’est
jamais acquis une fois pour toutes, il
est
à
la
fois
offert
dans
la
situation et maintenu
vivant
par
ceux
qui
en
sont les
garants
-
en premier
lieu les enseignants.
Par
ailleurs, l’existence
de
ce
cadre
universitaire
comme espace
de
pensée repose sur
des
cadres
sociaux
qui rendent possible
l’existence
de
ce cadre
spécifique
:
une certaine
conception
de
l’université
comme institution, qui hérite d’une tradition historique de
création
et
transmission
de
savoirs et
s’articule
avec
d’autres
institutions (l’école
par
exemple).
Dans
ce processus, il existe
certaines
conditions
symboliques
et
matérielles
identifiables
qui
facilitent
ou perturbent les interactions sociales
dialogiques
(Orlikowski,
2007).
Nos
propres
expériences
de
recherche
montrent qu’un dialogue
susceptible d’ouvrir un
espace
de développement au moins pour certains
241
EXPÉRIENCES SOCIOMATERIELLES: OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
des
participants, est plus souvent l’exception que la règle en milieu
professionnel
(Kloetzer,
2017, par exemple). L’activité professionnelle est
tissée de contradictions (Engestrom, 1995) qui peuvent, dans certaines
conditions, être
des
moteurs de son développement. Cependant, dans
le vécu quotidien, ces contradictions de l’activité
se
manifestent le plus
souvent par
des
tensions interpersonnelles qui peuvent entraver le travail,
la collaboration et l’apprentissage. Toute interaction
sociale
ne constitue
donc pas un
espace
dialogique au sens où nous l’entendons. La question
des
conditions
de
possibilité
du
dialogue
est
un problème
à
la fois théorique
et pratique. Il ne s’agit
pas
seulement d’identifier conceptuellement
les processus qui se déroulent spontanément dans le développement
humain, mais aussi
de
contribuer
à
l’intervention dans
des
contextes
institutionnels (Loureau, 1970) dont la coopération productive est l’un
des
buts fondamentaux (Turkle, 2015). Notre
objectif
ici
est d’éclairer
les
conditions sociomatérielles
nécessaires
pour
l’émergence
de
ce
dialogue
développemental
dans un contexte d’intervention.
Pour
ce faire, nous introduisons deux notions tirées de notre approche
empirique, inspirée
de
la clinique
de
l’activité
(Clôt, 2006, 2011). Cette
dernière vise
à
mettre sur pied
des
dispositifs
de
recherche
qui sont
autant de
tentatives
de construire, de
faire
vivre, et
d’évaluer,
des
cadres
de
dialogue
susceptibles
d’offrir un
espace
de développement
à
la
pensée,
aux
affects et
à
l’activité propre et
collective
des
participants.
Dans
cette
contribution, nous tenterons de lire nos pratiques
de
recherche
à
travers
certaines
propositions conceptuelles
nées
de
la
rencontre entre la
psychologie
socioculturelle et les études sur la sociomatérialité
(Carvalho
et
Yeoman,
2021;
Carvalho,
Nicholson, Yeoman et Thibaut, 2020;
Yeoman
et
Carvalho,
2019;
Woolner,
2010)
à
travers
deux notions: la
notion
iï
espaces
dialogiques
et la notion
d’
artefacts
dialogiques.
2.2.
Espaces
dialogiques
Notre approche du développement est ancrée dans une
perspective
historico-culturelle et dialectique, où la pensée, l’émotion, l’activité et
leurs formes culturelles sont les produits historiques de subjectivités
242
9 -
COMBINER DIAÏ.OGISME
ET
SOCIOMATÏ'.RIAI.HÏ.
en perpétuelle évolution,
situées
dans un environnement social et
matériel qui les façonne et qu’elles contribuent à transformer. La
production de concepts à travers la généralisation et la systématisation
est possible, comme d’autres auteurs l’ont montré, grâce à l’existence
d’un espace potentiel de dialogue et d’élaboration transformationnelle
des représentations Qesson, Fontich et Myhill, 2016). En éducation,
la détermination d’espaces dialogiqucs pour l’enseignement constitue
un domaine de recherche (Le Gai, 2010). La multiplicité des discours,
des représentations, des valeurs et des affects qui s’entremêlent dans les
actions et dans la matérialité physique des espaces
ne peut être ignorée
lors
de toute tentative de changement transformationnel, tant
au niveau
conceptuel qu’au niveau des pratiques instituées. L’adoption de
cette
perspective nous permet de resituer les représentations et les
concepts,
qui cessent d’exister en tant qu’entités abstraites et s’incarnent dans
les pratiques sociales mêmes dans lesquelles ils se produisent, ainsi
que dans les objets du monde. En définitive, les pratiques sociales
constituent ici la contrepartie ontologique de ce que nous appelons
les représentations.
Ce
jeu dialectique se déroule dans ce que certains
auteurs ont appelé métaphoriquement un
«espace
dialogique»
(Wegerif,
2013). Dans notre cas, nous reprendrons la notion d’espace
dialogique
pour désigner l’espace
matériel et symbolique dans lequel se déroulent
certaines rencontres, négociations et productions de significations
(Cardellino et Woolner, 2020; Dovey et Fisher, 2014), en tenant
compte de l’hétérogénéité des participations qu’il convoque:
acteurs
humains
-
corps, statuts affichés ou revendiqués en actes, vêtements,
postures, voix, énoncés, intonations, gestes, rires et grimaces...
-,
objets
matériels
-
visibles, manipulés, parfois ingérés comme nous
le verrons dans ce chapitre
-, constructions
digitales
-
matériaux
de
la recherche, films montés, rushs, photographies, tableaux de chiffres,
statistiques, études de cas, extraits d’entretiens, verbatims, vignettes,
diaporamas,
etc.
-, rythmes -
calendrier, fréquence des réunions,
heures
de début et de
fin
-
et
autres
éléments
abiotiques
-
lumière,
température ou qualité de l’air au bloc opératoire par exemple.
L’espace
dialogique est d’emblée considéré ici, dans une tradition
bakhtinienne, comme hétérogène (Grossen, 2009). Lieu du dialogue, il
est
aussi
traversé de dialogues antérieurs et projetés, passés
et anticipés,
243
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES! OBJETS, INTERACTIONS,
ESPACES
dialogues internes ou avec autrui. Par ailleurs, l’espace dialogique
est
un donné-créé de l’intervention. Le cadre symbolique et matériel
agencé
par les
chercheurs doit être porté tout au long de l’intervention,
pour que puissent se cristalliser, s’exprimer, s’entendre, se discuter et
se transformer, dans un espace-temps donné, les dialogues antérieurs,
présents, et futurs dont les acteurs rassemblés sont porteurs. L’espace
dialogique est ainsi construit, pensé pour et dans l’action, par l’équipe
de recherche en intervention. Les possibilités de produire de nouvelles
significations ou d’intervenir dans la dynamique même des interactions
instituées ne sont pas seulement fonction d’un lieu symbolique ou
virtuel, mais aussi de l’aménagement
de
l’espace, qui résulte d’une
série d’accords
sociaux tacites ou explicites, mobilisés ou bousculés
par
l’équipe de
recherche.
L’espace dialogique est un cadre pour donner
toutes ses chances à l’émergence d’un dialogue développemental
par
l’organisation
de
dialogues concrets traversés, parfois saturés,
de dialogues professionnels renvoyant à d’autres espaces-temps. La
matérialité du cadre, comme des objets discutés, ancre cette multitude
de dialogues
dans
un rapport direct et affectif
à l’activité comme nous
le verrons ci-après.
Dans
ce cadre construit par les chercheurs, en
négociation subtile avec
les contraintes et possibilités de l’organisation,
des acteurs choisis
-
par
eux-mêmes et par nous
-
se rassemblent
pour dialoguer, en un lieu et un temps donné, autour d’une activité
qui se présente d’abord comme un objet-frontière (Star et Griesemer,
1989; Star, 2010)
-
c’est-à-dire dont l’équilibre entre structuration et
ambiguïté permet la collaboration.
2.3.
Artefacts
dialogiques
Si les espaces sont la scène sur laquelle les interactions se
produisent, les artefacts sont les objets qui participent
à
la médiation
de ces interactions situées. Les artefacts, ainsi que l’espace, deviennent
dialogiques lorsqu’ils déclenchent un processus de négociation du
sens et remettent les relations sociales et la
pensée
en mouvement.
Les espaces et les artefacts dialogiques sont intrinsèquement liés, car
l’existence et surtout le caractère dialogique
de
chacun d’entre eux
244
9 -
COMBINER
DIAI.OGISME
ET
SOCIOMATÉRIALITl
5
.
dépendent en partie de la dialogicité de leur contrepartie. En d’autres
termes, un artefact peut ou non devenir un catalyseur de dialogue
en fonction du type d’espace dans lequel il s’inscrit. À l’inverse, la
dialogicité d’un espace est soutenue par les artefacts qui l’animent.
Nous définissons donc l’artefact dialogique comme
un
objet
généré
par
l'équipe
de
recherche
à
partir
de
données
de
recherche,
afin
de
nourrir
le
dialogue
en
cours. Par exemple, dans un entretien avec un enfant, le
dessin produit par l’enfant peut devenir non seulement une donnée
du projet de recherche, mais un moyen de poursuivre le dialogue
pendant l’entretien
avec
l’enfant
—
à
ce
moment précis où le
dessin
cesse d’être seulement une donnée de recherche et où il
est
réinjecté
dans l’entretien
avec
l’enfant comme outil pour soutenir le dialogue,
il
devient un artefact dialogique. Il
s’agit
ici
d’un exemple simple. Dans
nos recherches,
les
artefacts dialogiques sont
des
objets plus
complexes,
car ils sont composés de séquences vidéo ou d’extraits de
textes
par
exemple, dont le processus de
recherche
a
préalablement montré
qu’ils
étaient eux-mêmes porteurs de plusieurs interprétations
possibles,
traversés de plusieurs
voix,
et donc potentiellement
conflictuels,
c’est-
à-dire incarnant des perspectives multiples susceptibles de
favoriser
le
dialogue
et le développement.
3.
Espaces
et
artefacts
dialogiques
dans
une
recherche-intervention
au bloc
opératoire
3.1.
Présentation
de
la
recherche-intervention
Financé
par
le
Fond
national
suisse,
ce
projet
porte
sur les
liens
entre
transformations
technologiques/digitalisation
du travail et
formation
professionnelle.
Plus
spécifiquement,
il
étudie les
transformations
induites
dans la
formation
de
trois
corps
de métier —
les
chirurgien-ne-s,
les
infirmier-ère-s
instrumentistes,
et
les
aides
de
salle
—
par
les
transformations
du
contexte du travail, ici
par
l’introduction d’un robot
au
bloc
opératoire.
La chirurgie assistée
par
robot
a
des
conséquences
souvent
sous-estimées
à différents
niveaux
de
l’activité
du
travail
(Seppânen,
Kloeczer et
245
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRI
ELLES! OBJETS, INTERACTIONS,
ESPACES
Riikonen, 2017). En particulier, le robot transforme les modalités
percep-
tives et sensorielles et les possibilités d’action de chaque
corps
de métier
au bloc opératoire, ainsi que les temps opératoires,
tâches
dévolues
aux
différents
corps
de métier, gestes
professionnels
et modalités de collabo-
ration.
Cela
a
des
impacts sur les modalités de travail, notamment
interprofessionnelles,
mais
aussi sur les possibilités de formation au bloc,
qui sont essentielles dans un hôpital universitaire.
Ce
dernier doit assumer
simultanément
des
missions cliniques et
des
missions de formation des
futurs
professionnels.
Dans
la mesure où ces transformations
des
métiers
-
en termes de
séquences
opératoires, gestes de métier,
compétences
communicationnelles et interprétatives,
par
exemple
-
sont
sous-estimées,
elles sont prises en compte de
façon
limitée dans la formation
à
cette
activité.
La
digitalisation,
ici
par
l’introduction d’un objet
technologique
comme le robot,
est
vue
comme une opportunité
technologique,
mais
non comme une transformation
professionnelle
et
interprofessionnelle,
marquée
notamment
par
la
complexification
et
la
«scientification»
du
travail
(Langemeyer
et Martin, 2015).
L’impact
de ces
transformations
de
l’univers
perceptif
et
d’action
sur les
modalités
de formation
au
bloc
est
sous-estimé.
En
déstérilisant
le/la
chirurgien-ne
responsable
de
l’opération,
et en
le/la
déplaçant
dans
une
console
loin de
la
table
opératoire
d’où
il/
elle
téléopère
le
robot,
l’organisation
de
la
chirurgie assistée
par
le
robot
fait
éclater
la
proximité
physique
sur
laquelle
reposait
l’apprentissage.
Une forme de
participation
supervisée
du/de
la
chirurgien-ne novice
reste possible,
mais
sur
des
objets
périphériques
liés
à
l’introduction
des
instruments sur les bras du robot et
dans
le
corps
du
patient.
Les tâches
dévolues
au
chirurgien
dit «bedsicte», au
chevet
du
patient,
sont alors
différentes
de celles
qu’exécute
le
chirurgien
responsable.
Ce
dernier
ne
pouvant
pas
guider
physiquement
le
novice,
le
guidage
par
la
proximité
des
corps
est
partiellement
remplacé
par
un
guidage
verbal
ou
partiellement
délégué
à
l’infirmier-
ère
instrumentiste
qui
est
également
en tenue stérile
et
co-présent
à
la
table
d’opération
(Cristofari
et
Kloetzer,
2021).
Cette
situation
illustre
le double impensé
de
la
digitalisation
sur
la
formation
professionnelle:
sont
impensés
son
impact sur
le
travail
lui-même
-
ce
qu’il s’agit
d’apprendre
-
et
son
impact sur les
possibilités
d’apprentissage
dans
la
situation de travail
-
comment on peut
l’apprendre.
246
9 -
COMBINER
DIALOGJSME
ET
SOCIOMAT
RIALI lA
Dans cc contexte, notre recherche-intervention se donne pour
objectif de documenter et de mettre en discussion ces deux transfor-
mations
-
du travail et
des
possibilités de formation
-
liées à l’intro-
duction du robot au bloc,
afin
de pouvoir améliorer la formation
professionnelle et la collaboration interprofessionnelle en chirurgie
assistée
par le robot. La médiodologic retenue est une démarche
d’autocon-
frontation croisée (Clôt et al., 2000). Après des rencontres avec les
responsables
hiérarchiques et les équipes des différents corps de métier
-
chirurgiemne-s, instrumentistes et aides
-,
une opération standard
en chirurgie bariatrique a été sélectionnée pour le projet: le
bypass
gastrique avec anse de Roux en Y.
L’accord
des patients pour participer
à la recherche a été systématiquement demandé par écrit préalablement
à toute observation ou tout enregistrement. Les chercheuses ont ainsi
observé huit opérations, dont quatre ont été entièrement
filmées.
Elles
ont ensuite conduit sept entretiens en autoconfrontation simple
avec
trois chirurgien-ne-s, deux instrumentistes, deux aides de salle;
et
deux
entretiens en autoconfrontation croisée, avec deux instrumentistes
et deux aides de salle. Au terme de la recherche, les séquences
enregistrées
-
films d’activité,
films
d’entretiens en autoconfrontation
simple ou croisée
-
ont été montées dans un
film
de deux
heures,
composé de quatre parties de quinze à quarante minutes.
Après
une
introduction méthodologique, le
film
final
présente les enjeux
de
la
robotisation du bloc opératoire pour les trois corps de métier
étudiés.
La mise en évidence
des
tâches
nouvelles et de leurs enjeux, ou des
difficultés
spécifiques
de la situation, permet de nourrir les réflexions
en cours au service de chirurgie digestive et au bloc opératoire.
Calendrier de la recherche
Décembre 2018 Contacts préliminaires avec
le
service
de chirurgie viscérale.
Janvier
2019 Extension du projet de recherche
au bloc opératoire.
247
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRI
ELLES!
OBJETS,
INTERACTIONS, ESPACES
Janvier 2019-juin 2019
Définition des opérations à observer
et
filmer
et validation du projet
par la commission d’éthique
de l’hôpital.
Juillet 2019 Lancement du travail
avec
les chirurgiens.
Octobre 2019 Lancement du travail
avec les instrumentistes.
Décembre 2019 Lancement du travail
avec
les aides
de
salle.
Décembre 2018-août 2020
Observations au bloc opératoire,
entretiens individuels, enregistrements
d’opérations,
montages,
entretiens
en autoconfrontations
simples
et croisées.
Septembre 2020-décembre 2020 Construction du
film
final,
discussions
et restitutions aux acteurs.
3.2.
Mutations
des
espaces
dialogiques
dans
la
recherche
L’espace
dialogique construit dans la recherche
n’est
pas le résultat
d’une action unique des chercheurs qui le produirait par décret, ni un
espace homogène, mais le résultat dans le processus de la recherche et
sa conduite pratique d’un souci constant de fabriquer une succession
d’espaces
dialogiques, aux contours et aux composants sociomatériels
multiples, de façon flexible selon les contraintes de l’organisation.
L’intervention suppose d’inscrire le dialogue recherché dans une
composition sociomatérielle négociée. Nous allons le montrer en
analysant les conditions des trois premières rencontres avec chacun
des corps de métier concernés. Elles
se
déroulent
à
trois moments
différents (voir calendrier ci-avant) et visent toutes
à
initier la
construction collaborative d’un espace de dialogue (intra-métier
dans un premier temps). Elles composent
avec
des
propositions
sociomatérielles variées, dans lesquelles les chercheurs adaptent les
conditions locales à leurs objectifs, dans la limite des marges de
manœuvre possibles.
248
9 COMBINER
DIAÏ.OGÏSME
ET
SOCIOMATÉRIALÎTÉ
3,2.1.
Première
rencontre
avec
les
chirurgien>ne*s
La rencontre est programmée par le mcdccin-chcf responsable du
service de chirurgie viscérale. Elle rassemble pour une heure l’ensemble
des chirurgicn-ne-s du service pratiquant la chirurgie robotique (sauf
une, aux Etats-Unis à
ce
moment-là), soit quatre personnes outre le
médecin-chef
de service et de l’équipe de recherche. Elle a lieu dans la
grande salle de réunion de l’équipe, dotée d’un système de projection
et d’une grande table ovale de direction, au sein du département de
chirurgie viscérale. Les participant-e-s ont été invité-e-s par e-mail
et personnellement par le médecin-chef qui préside la rencontre.
L’équipe de recherche ouvre la discussion à l’aide d’un diaporama de
huit diapositives présentant les résultats de la revue de la littérature
sur la formation en chirurgie robotique, avant d’introduire le projet
et les questions ouvertes. Dans cette situation, ce diaporama est le
premier artefact dialogique du projet, construit à partir des
résultats
tirés de la littérature scientifique et d’un projet de recherche pilote
antérieur sur la même thématique.
Ce
projet antérieur et
la
littérature
publiée deviennent ici un moyen
de
structurer et nourrir le
dialogue
entre les chirurgien-ne-s et l’équipe de
recherche,
mais surtout entre
les chirurgien-ne-s eux-mêmes, sur la thématique et sur le projet. La
littérature scientifique et le projet de recherche antérieur sont réinvestis
ici
d’une fonction nouvelle, non
pas
de
construction
de
connaissances,
mais de construction de l’espace dialogique. La rencontre se conclut
par une manifestation d’intérêt de l’équipe pour le projet, la
mise
en
place
des premières étapes et la décision d’inclure les
professionnels
du
bloc opératoire dans la
réflexion.
Le
téléphone de la salle de réunion
sert à concrétiser cette décision collective, le médecin-chef de service
appelant le responsable du bloc pour expliquer le contexte et organiser
notre venue immédiate.
Dans cet
espace
symbolique et
matériel,
les échanges entre chirurgiens
portent sur la thématique apportée
par
les chercheurs: la formation
en chirurgie assistée
par le robot (ses enjeux et ses difficultés telles que
rapportés
par
la littérature
et
nos
précédentes recherches exploratoires).
Notre exposé
introduit des
discours
extérieurs qui ancrent
l’échange
dans
249
EXPÉRIENCES
SOCIOMATÉRIELLES
!
OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
Figure 1.
Éléments
sociomatériels présents lors
de
la
première
rencontre
avec
l'équipe
des
chirurgicn-ne-s.
l’observation de
l’activité,
même d’une activité déportée (du bloc
dans
cette salle de réunion
de
Finlande en Suisse) et qui cadrent le périmètre
de
ce
qui peut être discuté et débattu. Par ailleurs, notre action cherche
à
susciter
des
échos
entre ces discours et leur expérience. Les
échanges
entre eux et
avec
nous lors
de
cette rencontre renvoient rapidement
à
des
dialogues
antérieurs au sein du
service
et au-delà: les chirurgiens
rapatrient par exemple un discours sur leurs propres
expériences
de
formation, aux États-Unis ou en Corée, ainsi que
des
dialogues
intérieurs, rarement exprimés en
l’absence
d’un
espace-temps
approprié,
avec
les équipes du bloc opératoire.
C’est
ainsi d’ailleurs que
l’idée
de
les
associer
directement au projet émerge et peut être discutée.
Extrait de la première rencontre
avec
les
chirurgien-ne-s
:
«
Ce
qui
est stressant,
même
comme
chirurgienne
avec
une
certaine
expérience, c’est
l'interaction
immédiate
pendant
l'intervention
250
9 -
COMBINER DIALOGISME
ET
SOCIOMATÉRÏALIlï.
avec
l'assistant
bedside.
Cette
collaboration
est
souvent en dehors
du
champ
de
vision
-
car le
chirurgien
regarde ses
instruments
-
et
il
ne
voit
pas
ce qui se
passe au
bedside.
L’assistant,
c’est
souvent
lui
qui
fait
des
dégâts.
Hier
par
exemple,
je
ne sais
plus
quel
interne
déjà
en
mettant
l’instrument
dans
le
trou
il a
abimé/touché
le
foie.
Toi,
tu
ne
contrôles
pas.
Cette
collaboration,
c’est
la
clef.
Ce
n’est
pas
tellement
les étapes
critiques
du
robot,
ce n’est
pas
une erreur
critique
de
robot,
comme le robot
qui
s’arrête
et
il faut
l’enlever
et
passer
en
laparoscopie.
C’est des erreurs
humaines
qui
nous
mettent
en
difficulté
péri-opératoire.
Les collisions
externes,
c’est
plutôt
l'intervention
du
bedside:
les
changements
d’instruments.
. .
et
c’est
en dehors
du
champ
de
vision.
[À
la console,] on
n
’a
pas
de
vision
globale
du
champ
opératoire.
Ce
serait
intéressant
d’avoir
une
évaluation
de
cette
collaboration
pour
l’optimiser.
»
Dans
ce
tour de parole, une chirurgienne expérimentée
fait
part
de ses
difficultés
avec
les chirurgiens
assistants
qui travaillent au lit du
patient, et de
ce
que sa situation «dans la console» ne permet
pas
de
contrôler visuellement.
Elle
doit donc superviser
des
assistants,
parfois
débutants, quelle ne voit
pas
et qui sont loin
d’elle,
en un endroit
auquel
elle
ne peut
accéder
aisément car
elle
est
déstérilisée.
Cette
situation
crée
de l’inquiétude
et
du
stress,
car
elle
reste
responsable de
leurs
actes.
Dans son discours,
elle
évoque une situation
incidentelle
récente,
qui
a
vraisemblablement
laissé
des
restes
dialogiques
et
affectifs
(la situation incidentelle
a
sans
doute été
débriefée,
mais
sans
doute
pas
de manière approfondie puisqu’elle
n’a
heureusement
pas
donné lieu
à un incident opératoire). Cette mésaventure laisse toutefois une trace
sur la chirurgienne expérimentée.
Le
projet de cette contribution ne
nous permet
toutefois
pas
de poursuivre
ici
l’analyse
de
cette
première
rencontre. Nous nous tournons donc
vers
la
deuxième
rencontre
de cette histoire,
celle
que nous
avons
menée
avec
les
infirmier-
ère-s
instrumentistes.
251
EXPÉRIENCES SOC1OMATÉRIEI.1KS: OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
3.2.2.
Première rencontre avec les infirmier*ères
instrumentistes
À la suite de cette discussion avec le responsable du bloc opératoire,
qui a invité deux de ses adjointes, la décision
est
prise d’inviter les
instrumentistes et les aides de salle à participer au projet sur une
base volontaire. La première rencontre avec les instrumentistes est
programmée par la cadre responsable, à la demande de son supérieur
hiérarchique (notre interlocuteur), par
affichage
direct dans le vestiaire,
à
côté
des
informations quotidiennes sur les programmes opératoires
consultées
par
les équipes. Cette rencontre a lieu le lundi matin très
tôt, à l’heure habituellement consacrée à la formation continue pour
les instrumentistes, et elle rassemble une vingtaine de personnes. Elle
se tient dans la salle de réunion et de formation du bloc, équipée d’un
grand
écran
et de chaises. L’équipe de recherche ouvre la rencontre
en présentant un diaporama de douze diapositives, différent de celui
qui a été proposé aux chirurgien-
ne-s. Deux éléments sont mobilisés
dans
cet
artefact dialogique pour nourrir
le
dialogue. D’une part, les
questions que se sont posées les chirurgien-ne-s lors
de
leur discussion
sont réinvesties ici pour ouvrir la discussion avec les instrumentistes
sur le
fait
qu’ils et elles auraient des questions similaires ou différentes.
D’autre
part, la
littérature
scientifique
sur
la chirurgie robotique
et
sur
la
formation des instrumentistes
est
mobilisée pour nourrir la discussion,
notamment à partir d’une étude coréenne dont
les principaux résultats
sont
présentés pour
discussion, avec le même
questionnement
:
qu est-ce
qui est similaire ou différent pour vous
? L’espace physique ne permet
pas d’établir un cercle,
mais
un demi-cercle faisant
face
à
l’écran,
avec
parfois plusieurs rangées de participants assis sur
des
chaises,
sans table
centrale.
Des
croissants
sont offerts par les chercheuses
à
cette heure
matinale et ce n’est pas anecdotique: les
croissants
font partie de la
construction matérielle du dispositif
dialogique.
Comme lors de la rencontre décrite précédemment, la discussion
est cadrée par une présentation
des
chercheuses qui s’appuie sur deux
éléments: la littérature
scientifique
et
l’échange avec les chirurgien-ne-s.
Le dialogue s’ancre dans ces éléments concrets, mais convoque
252
9
-
(
’.OMRINRR
D1ALOGÎSMR P.T
SOCrOMATY.RfAfTrA
Figure
2.
Éléments
sociomatériels
présents
lors
de la
première
rencontre
avec
l'équipe
des
infirmier
-ère
-s
instrumentistes.
Espace
Institutionnel
:
salle
de
réunion
du
bloc
opératoire
immédiatement
des
dialogues antérieurs frustrés,
empêchés,
avec
les
chirurgiens, comme
le
montre
l’extrait
ci-dessous.
Extrait de la première rencontre
avec
les
instrumentistes
:
«
C’est
nous
qui
nous
posons
plus
la
question
de
savoir
comment
être
formés
que
les
chirurgiens.
Les
chirurgiens
font
comme
si le
robot
était
une
PS4,
ils
arrivent
on y
va
on
opère
et
on
aura
quelqu’un
qui
sait
installer.
L’installation
ce
n’est
pas
leur
problème.
Le
chirurgien
ne
voit
que
sa
chirurgie.
Lis
ne
se
posent
pas
la
question
s’il
y a
une
conversion.
. .
»
1
Cette instrumentiste
fait parler
les
chirurgiens
virtuels, génériques,
de
son
expérience,
«
on y va
on
opère
et on aura quelqu ’un qui
sait
installer»,
1
C’est-à-dire
un
passage
imprévu, en extrême urgence, de l’opération
assistée
par
le
robot à une opération ouverte classique, pour répondre à un dysfonctionnement ou
à un risque vital majeurs.
253
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES
:
OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
sans que dans le cadre intra-métier de cette rencontre, ce dialogue puisse
trouver un répondant réel avec un-e chirurgien-ne réel-le, et donc une
possibilité de développement. Cela devient un des enjeux du projet
que de dépasser cette confrontation habituellement muette, parfois
vindicative, de points de
vue. Le
dialogue entre les
instrumentistes permet
toutefois de dégager certaines préoccupations de leur part: un manque
perçu de
formation
formalisée, qui les met en difficulté par rapport aux
exigences
d’efficacité et de rapidité jugées très fortes des chirurgien-ne-s;
simultanément, un sentiment d’inutilité chez les chirurgien-
ne-s, lié au
sous-emploi de leurs
connaissances
techniques; enfin, un malaise lié à
la responsabilité des aspects techniques du robot que selon eux/elles les
chirurgien-ne-s refusent de porter.
3.2.3.
Première rencontre avec les aides de
salle
La rencontre est également programmée par la cadre responsable
selon les mêmes modalités
d’affichage.
Toutefois, la salle de formation
n’ayant pas été réservée, la rencontre se tient dans la tisanière, une salle
de repos/café du bloc opératoire, très fréquentée
à
cette heure matinale
par l’ensemble
des
corps
de
métier (notamment les anesthésistes).
Six aides, dont quatre qui seront très
actifs
dans
l’échange,
sont
présent-e-s. On réquisitionne un canapé et plusieurs fauteuils dans un
coin de la tisanière pour recréer un espace de réunion un peu isolé.
Les chercheuses fournissent également des croissants. Elles utilisent un
diaporama de sept diapositives,
mais
il est impossible de le projeter,
il est donc commenté sur l’ordinateur avec distribution d’une version
papier. Le diaporama comme artefact dialogique comprend deux
sections pour nourrir le dialogue: une qui reprend les constats et les
questions des chirurgiens, une qui reprend les constats et les questions
des
instrumentistes. La question d’ouverture porte également sur ce qui
est semblable ou
différent
pour eux. La discussion au sein du groupe
est
vive, avec le partage de nombreuses expériences personnelles très
fortes, et soulève des points importants pour la suite de la recherche.
Notre entrée en matière suit la méthode déjà éprouvée deux fois:
poser la question
de
la formation
à
partir de
la
littérature scientifique
254
9
-
COMBINER
DIAI.OGISME
ET
SOCIOMAT/tRIALITé
Figure
3.
Eléments
sociomatéricls
présents
lors
de la
première
rencontre
avec
les
aides
de
salle.
et
des
échanges déjà
réalisés
avec
les
chirurgiens et
les
instrumentistes.
Cette rencontre
est
suivie
avec
beaucoup d’intérêt et d’investissement
émotionnel par les aides de salle présent-e-s, comme le souligne la prise
de parole ci-dessous
:
Tour de
parole
extrait de la première rencontre
avec
les
aides
de salle:
«
Ça
peut
nous
mettre
mal à
l’aise,
et puis
nous
mettre dans
des
situations
très,
très
complexes
psychologiquement.
Attendez,
vous
êtes
dans
une
salle où
il y a
des
appareils
que
tu
ne
connais
pas.
C’est
des
machines,
si elles ne
sont
pas
paramétrées
dès
le
départ
correctement,
elles
peuvent
bugger.
Ça
peut
arriver. Et
les
bugs
de
ces
machines,
parfois,
c’est
très,
très
grave.
Il faut du
temps
pour les
reparamétrer
correctement,
voire
il faut faire
venir un
technicien,
on
sait
pas
d’où,
pour
pouvoir
le
rallumer
correctement
pour
pouvoir
travailler
avec.
Et
ça,
c’est...
dans
cette
maison
c’est ce
qu’on
oublie quoi.
On
oublie!
Ce
n’est
pas
anodin! On peut
pas
former
des
gens
comme
ça,
sur
le tas,
sur
une
telle
machine!»
255
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES: OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
En partant d’un sentiment partagé (l’inquiétude ressentie face aux
risques de panne des machines), l’aide de salle décrit, assez finement,
les enjeux de son activité d’installation matinale du robot, et conclut
en critiquant un «on» générique qui oublierait la complexité de cette
situation et qui peut désigner ici (sans que cela soit
clarifié
dans la
suite de l’échange) la direction du bloc ou les chirurgicn-ne-s...
Ce
premier
espace
dialogique permet ici aussi à
des
expériences et des
affects qui n’ont pu encore être travaillés collectivement, de s’exprimer.
Le dialogue entre les aides permet de dégager
des
sentiments ambigus
face au travail avec les robots: comme pour les instrumentistes, un
manque perçu de formation formalisée les met en
difficulté
dans la
résolution technique
des
incidents, et
ce
sentiment
de
malaise,
couplé
aux exigences
des
instrumentistes comme
des
chirurgiens, peut les
fragiliser psychologiquement; mais simultanément, la manipulation
du robot est perçue comme un enrichissement bienvenu de leur
métier;
reste
la responsabilité légale ressentie face aux pannes
et
aux
dysfonctionnements possibles de la machine.
3.2.4.
Comparaison
des trois
situations
La comparaison de ces trois situations
est
intéressante.
Leur
objectif
du point de vue de l’équipe de recherche
est
similaire: il s’agit
de
commencer
à
impliquer les professionnels dans la recherche en
construisant
un
espace
de
dialogue qui
permettra
de parler
du métier, en
particulier de
la
formation et
des
questions qu’elle
pose.
La
comparaison
montre comment l’équipe
de
recherche compose
avec
les contraintes
sociomatérielles
de
l’institution qui organise,
de
façon
de
plus en plus
dégradée quand on
descend
dans la hiérarchie, les conditions
d’une
discussion
entre professionnel-le-s, tout en apportant une couleur
particulière
à
ces rencontres: bibliographie
scientifique
et croissants
contribuent au cadre
de
l’échange.
Cette comparaison montre aussi
combien
la
recherche
passée
et en cours,
la
nôtre et celle
des
collègues
à
travers
la
littérature
scientifique,
est
mobilisée dans une fonction
épistémique aussi bien que dialogique
afin
d’ouvrir un questionnement
256
9 -
COMBINER DIALOGISME ET SOCIOMATÉRIALITÉ
et de nourrir l’échange. Certaines données de la recherche en cours
sont ainsi utilisées non pour nourrir prioritairement la réflexion des
chercheuses, mais pour nourrir celle
des
professionnel
-le-s.
La pratique
scientifique (à travers la revue de la littérature, par exemple)
est
ici
mobilisée
directement pour l’intervention.
Dans l’espace de ces premières rencontres, le dialogue prend
entre les chercheuses et les professionnel-le-s, en s’appuyant sur des
expériences et des dialogues antérieurs (apportés par les chercheuses
ou par les professionnel-le-s)
qui peuvent être dits dans
cet
espace. Le
dialogue
prend aussi entre professionnel-le-s
par l’échange sur la base de
ces expériences
et commentaires, rapportés ou imaginés. Les questions
de sécurité sont au cœur des préoccupations des trois métiers, mais
elles ne s’articulent pas encore. Le dialogue reprend des dialogues
antérieurs, parfois extériorisés,
parfois
intérieurs, sans que le
cadre
ne puisse encore leur permettre
de
se développer dans de nouvelles
réflexions
avec
de
nouveaux interlocuteurs.
Beaucoup plus
tard
dans
la
recherche
apparaîtra un autre
artefact
dialogique directement lié à la pratique
scientifique:
l’article
scienti-
fique en cours
de
co-écriture (Cristofari et
al.,
2021), qui servira
de
moyen
de
dialogue avec des chirurgien-ne-s dont le temps
est
précieux.
L’article, dans sa matérialité (impliquant l’écriture et l’organisation
collective d’un texte, la sélection et les commentaires de
vidéos,
etc.) permet des moments de dialogue précieux et approfondis avec
des chirurgien-ne-s débordé-e-s. Nous enregistrons
ainsi
nos
séances
de travail sur l’article, qui deviendront autant
de
données pour
la
recherche et pour l’intervention.
Ces
passages souples
de
la
recherche
à l’intervention, où les deux processus s’interpénétrent et se fertilisent,
sont pensés au cours
de
l’action
par l’équipe de recherche en fonction
des besoins,
des ressources, et des empêchements du terrain.
257
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRI
ELLES: OBJETS, INTERACTIONS,
ESPACES
3.3.
La sociomatérialité
comme
ressource
pour
le
développement
du
dialogue
professionnel
Nous aimerions souligner encore une autre dimension essentielle
de l'articulation des dimensions sociomatérielles et dialogique? dans
nos projets de recherche. La méthodologie des autoconfrontations
croisées
implique un ensemble d’entretiens filmés d’autoconfrontation
de professionnels volontaires avec des images de leur activité sur des
séquences choisies. Voici une situation d’autoconfrontation entre deux
instrumentistes dans le projet de recherche (voir
figure
4).
La sociomatérialité de la situation elle-même est évidente: d’une
part, l’activité
est
filmée,
puis projetée sur l’écran de l’ordinateur, il
s’agit
donc d’une version analogique digitale de l’activité de travail;
d’autre part, les professionnels s’engagent tout autant
avec
leur corps,
leurs
gestes,
que leurs mots dans le dialogue en cours, comme le montre
la photographie ci-contre.
L’espace
dialogique comprend ici des
participants humains (professionnel-le-s, chercheuses) et non humains
(ordinateur,
film,
mobilier, fenêtre, électricité, lumière, etc.). Le
film,
qui
est
un
artefact
dialogique (construit par les chercheuses pour le
dialogue), joue un rôle particulier dans l’interaction dialogique. Il est
l’objet qui
focalise
l’attention conjointe et
les
points de vue,
parfois
contradictoires,
des
professionnel-le-s.
Le
dialogue s’appuie sur la
référence
commune
à
l’activité professionnelle, dans sa sociomatérialité,
à
travers
l’écran.
L’activité
dialogique
des
instrumentistes
se
nourrit de
leur
activité
conjointe d’observation et
d’analyse
du film.
Tournons-nous donc
vers
le
film
qui
focalise
l’attention, par
exemple
sur la
partie
du
film
consacrée
à
une séquence
d’ouverture
de
salle
par
une
aide.
L’importance
de
la sociomatérialité comme génératrice
potentielle
de
la
réflexion
et du
dialogue
est
flagrante,
par
exemple
dans
la capture
d’écran
ci-après,
à
travers
la
présence
des
câbles
(voir
figure
5).
Dans
cette
séquence,
la
professionnelle
assure
l’installation
matinale
du robot au bloc opératoire
selon
la
configuration
requise
par
l’opération
planifiée.
Dans
son commentaire
en
autoconfrontation simple, elle
explique combien cette activité apparemment solitaire
est
orientée
258
9
-
COMBINER DIAÎ.OGISMR 1'1 S()('.K)MA'fï'.R(Al.nï.
Figure
4.
Autoconfrontation entre deux instrumentistes.
Figure
5.
Image
de
l'activité
de
l'aide
en
ouverture
de
salle
et
branchement
du robot.
par différents moments
de
l’activité
collective
à
venir: d’une part, le
rangement des câbles et leur
fixation
sur
le
sol doivent permettre une
circulation
facile
dans la salle, qui
est
déjà très encombrée par la
présence
du robot, afin de limiter les risques
d’accident
pendant l’opération.
259
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES
:
OBJETS, INTERACTIONS,
ESPACES
D’autre part, son
activité
d’installation anticipe l’activité de rangement
de
ses
collègues,
dont elle sait qu’ils seront pressés par le temps pour
préparer la mise en
place
de
la deuxième opération du jour.
Ces
deux
contraintes (l’espace réduit et le temps limité) sont
des
données
institutionnelles et matérielles
avec
lesquelles
son activité compose. Cette
activité d’installation du robot prend donc en compte non seulement des
éléments techniques (relier les différents modules entre eux, en résolvant
les problèmes qui pourraient
se
poser
comme on
le
voit dans la vidéo
de
son
collègue,
confronté
seul
à
la résolution d’un dysfonctionnement),
mais
également
l’activité
à
venir
des
autres professionnel-le-s du bloc,
ainsi
que
celle
de ses collègues qui seront amené-e-s
à
effectuer le
rangement
de
la
salle. Cette
séquence
souligne la sociomatérialité des
relations intra
et interprofessionnelles. Les collaborations
professionnelles
sont
présentes,
même dans une situation
de
travail
où
l’aide
installe
seule
au
bloc
le
matériel
à
5
h
45 du matin, à
travers
ici
la
question du bon
positionnement
des
câbles.
Dans
l’autoconfrontation simple ou
croisée,
l’image,
en reproduisant
l’activité
ordinaire,
met
cette
dimension
sociomatérielle
en exergue:
en
montrant
le
travail
avec
les
câbles,
en montrant tout simplement
les
câbles,
elle permet
d’expliciter
ces
dimensions
cachées
de
l’activité
de
travail
(ici,
la
collaboration
en
actes
vue
par
l’aide
de
salle,
même
dans
un travail apparemment
très
solitaire).
L’attention
portée
à
la
sociomatérialité
par
l’équipe
de
recherche
dans
le
visionnage
du film
permet
aux
professionnels
de
déplier ces dimensions
cachées.
C’est
la
multifonctionnalité
de
l’objet qui permet
ce
travail
de
réflexion,
c’est-à-
dire le
fait
que le même objet
ait
des
fonctions différentes pour
différents
corps
de
métier ou
à
différents moments
de
l’activité
de
travail: le
même objet entre avec différents statuts dans
l’activité
professionnelle
de
différents
participants,
à
différents moments.
Des
objets en apparence
anodins
-
ici, les
câbles,
mais
dans
d’autres
milieux
et situations
de
travail,
par
exemple,
la tasse
de
chocolat
chaud
-
permettent
ce
déploiement
de la
complexité
des
collaborations
interprofessionnelles au
travail.
Bien
travailler
pour l’aide
de
salle, c’est non seulement brancher
le
robot
afin
qu’il
fonctionne correctement,
mais
aussi
anticiper et
favoriser
l’activité
des
autres avec l’objet
de
son
propre
travail.
Les
câbles
sont l’objet
de
260
9 -
COMBINER DIALOGISME ET SOCIOMATÉRIALITÉ
l’activité
des
seul-e-s aides de salle, pour l’installation d’une part, pour
le rangement d’autre part. Mais ils sont aussi des instruments, invisibles
quand tout va bien, de l’activité
des
chirurgiens
-
sans câbles, il n’y
a pas
de
connexion entre la console et
les bras
du robot, et
donc
pas
d’opération
possible, par exemple. Ils
peuvent être aussi un obstacle sur
le chemin des
infirmier-ère-s
amené-e-s
à circuler dans la salle pendant l’opération. Sans
pouvoir ici complètement disparaître, puisque leur matérialité résiste,
ils doivent être placés de telle sorte qu’ils permettent la circulation des
gens et
des
chariots et qu’ils diminuent autant que possible les risques
de chute de personnes ou de matériel. La bonne installation des câbles
répond donc à
des
préoccupations multiples des aides: assurer le bon
déroulement de l’opération par le bon fonctionnement technique du
robot, qui doit être aussi invisible que possible, et en facilitant l’activité
des autres membres de l’équipe.
Dans
les deux cas, la réussite de leur
activité l’invisibilise aux
yeux
des
autres acteurs du
bloc
opératoire,
puisque si elle réussit, le
câble
«se
fait
oublier», et que leur
activité
qui
a permis cela se déroule à
des
moments où personne
d’autre
ne peut la
remarquer
-
ni, en
général,
s’y
intéresser.
Rendu
à
sa présence
écrasante
par la médiation
de
l’image
dans
l’autoconfrontation, le câble, de
nouveau
visible, permet d’ouvrir la réflexion des aides sur ces
dimensions
collaboratives
de
leur
activité.
3.4.
Le
film,
produit
final
de
la
recherche,
comme
artefact
dialogique
Le
film
final,
qui est l’un
des
produits de la
recherche,
constitue
un artefact dialogique stabilisé
-
en ce qu’il n’est plus en évolution au
cours du projet de recherche. Il
est
monté en intégrant une alternance
de séquences d’activité et
des
moments de dialogues,
collectés
pendant
la recherche.
Par
exemple, le dialogue
des
chercheuses avec le premier
instrumentiste sur la préparation de la table porte sur
l’évaluation
de
deux
traditions
—
se
placer dos ou face au patient
—
qu’il
a connues dans
cet hôpital.
Ce
dialogue rebondit dans l’autoconfrontation
croisée,
où il discute et
valide
son
choix
avec
sa
collègue. Le dialogue dans ce
contexte
fait
émerger
des
problématiques, et
des
reflexions
autour
de
261
EXPÉRIENCES SOC1OMATÉRIELLES
:
OBJETS,
INTERACTIONS,
ESPACES
ces problématiques, intéressantes
à
partager dans un corps de métier
(et entre eux) pour aboutir
à
des
façons de faire non
pas
uniques mais
raisonnées, justifiables et coordonnées dans une équipe. Il ne s’agit pas
de bonnes pratiques, mais d’un répertoire dynamique de façons de faire
possibles, soigneusement
pesées
par
les
professionnel-le-s et
constitutives
de l’expérience partagée du métier
-
son genre professionnel.
Dans
sa construction, l’artefact dialogique
n’intègre
pas seulement
des
aspects
rationnels,
mais
aussi
des
aspects
émotionnels de l’activité,
puisque
l’on
y
voit,
par
l’intermédiaire
de la
caméra,
certaines
réactions
émotionnelles
des
professionnel-le-s aux
séquences
d’activité.
Le
pouvoir
du
film
d’affecter
ceux
qui
le
regardent
-
c’est-à-dire,
de mettre
leurs
affects
et
leur
pensée
en mouvement
-
est
d’ailleurs
un
des
effets
recherchés.
Cette
façon
de présenter
les
enjeux de chaque corps de métier,
à
travers
le
film,
vise
aussi
à
rééquilibrer
les
rapports de force entre les
métiers
:
la
position
hiérarchique et
symbolique
forte
des
chirurgien-ne-s
ne permet
pas
aisément d’entamer un dialogue sur
des
aspects
très
précis
du métier
avec
des
instrumentistes ou
des
aides.
L’équipe
de
recherche cherche ici
à
peser
dans
les
relations intermétiers
par
son
travail
d’analyse
conjointe de
l’activité.
Le
film
enfin,
même
dans
sa forme
finale,
n’a
pas
vocation
à
documenter systématiquement
l’activité
ni
à
démontrer un
résultat,
mais
à
prolonger
la
réflexion
quand
il
est visionné et discuté. De
ce
point de
vue,
ce
projet de
recherche
a
été entravé par
la
pandémie
de
la
Covid-19, qui
a
d’abord interrompu brutalement
l’activité
du
bloc
opératoire et
renvoyé
les
équipes
chez
elles,
puis
les
a
forcées
à
reprendre
l’activité
opératoire sur un rythme incompatible
avec
le
temps patient de la recherche
(c’est-à-dire
avec
un programme
opératoire extrêmement
chargé
qui ne permettait
pas
de diversion).
4.
Discussion
Les
exemples
présentés
permettent de souligner
le
pouvoir
catalytique
des
espaces et
des
artefacts
dialogiques.
En termes
généraux,
il
s’agit
de
l’ouverture
d’un
champ
possible
pour la
pensée,
lorsque
cela
conduit
262
9 -
COMBINER DJALOGISME
ET
SOCIOMAT/iRÏALITÉ
à
un changement transformât
ionncl des représentations
précédentes
(Fernàndcz,
Gonzâlcz-Palta
et Sutil, 2022; Overton,
2003).
Plus
précisément, les
espaces
et artefacts considérés introduisent un champ de
potentialités dialogiques,
c’est-à-dire,
une facilitation pour l’émergence
de glissements de sens, de contradictions et de prises de conscience.
Cela
se
fait
par
l’ouverture d’un
espace
dialogique où
existe
la possibilité de
recréer
les relations entre les sujets et les objets du monde. Il
s’agit
donc
de transformer la
façon
dont l’activité peut être conceptualisée, avant de
transformer l’activité elle-même.
La
conceptualisation
n’est
pas
un
reflet
de
l’activité,
mais
une reconstruction de l’activité, nourrie par le
dialogue,
et qui peut être en
décalage
avec
l’action
-
car
ce
qui
est
reconceptualisé,
c’est
l’action
à
venir, l’action
possible,
différente,
souvent en
décalage
et
en
tension
avec
faction présente,
observée,
enregistrée, discutée, celle
qui
fait
l’objet
des
traces
assemblées
dans
l’artefact
dialogique
et
des
échanges.
La
fonction dialogique, ancrée
dans
une
mise
en
scène
des
dimensions
sociomatérielles
du
travail,
permet
l’expansion
des
possibles
et du temps: c’est la
révision
conjointe du
passé
(dans la
trace
filmée,
enregistrée)
qui permet,
par
une négociation/confrontation symbolique
dans le
dialogue,
la reconceptualisation
de
l’action
à
venir.
Il
nous
semble que
la
mise
en
scène
du quotidien
orchestrée
par
le
film
permet
une
reprise
basée
sur
l’observation
de
l’activité
des
dialogues
antérieurs
partiellement
empêchés
- tandis
que
l’espace
de
dialogue
offre
à
cette
reprise
un
espace
et un temps où
cette
élaboration
est
possible.
Nous
pouvons
donc voir
la
transformation comme une tension entre faction
telle
quelle
est
et faction future
envisagée.
Même s’il
n’est
pas
possible
de
prédire
ce
que
les
sujets feront dans
cet
espace,
ni d’anticiper les
résultats
de
manière mécanique,
l’expérience
nous montre que
certaines
conditions
-
dialogiques
et
sociomatérielles
-
permettent
de
soutenir
cette
possibilité
de re-création.
Quels
sont donc les paramètres qui
interviennent de manière
décisive
dans
la
génération d’un
dialogue
potentiellement développemental ?
Quelle
est
la
place
des
espaces
et
des
artefacts
dialogiques
dans
ce
processus
?
L’espace
dialogique
le
structure, lui donne une possibilité
d’existence.
Comme nous
l’avons
vu,
les
décisions
prises
par
l’équipe de recherche
modulent le
cadre
physique et symbolique dans lequel
se
déroulent
263
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRIELLES
:
OBJETS,
INTERACTIONS, ESPACES
les interactions. De cette manière, leurs décisions permettent de
configurer délibérément un espace d’ouverture au dialogue. Ainsi,
ces interventions (Lourau, 1973) peuvent consister en la proposition
de
tâches
ou en l’orientation
des
échanges par le biais de règles ou de
directives, mais aussi dans le choix, l’aménagement et l’utilisation de
l’espace,
dans
le
choix
des
objets qui interviennent dans l’expérience
sociale et institutionnelle. Dans
ce
genre de projets de recherche,
l’équipe de recherche joue
avec
les règles d’un milieu et d’une
institution qui définissent qui peut participer, où, à quoi et quand,
par
exemple. Il s’agit de composer avec les règles existantes tout en
organisant des déplacements par rapport aux
codes
acquis du milieu,
qui en permettent
le
potentiel développement.
L’artefact
dialogique porte les
traces
du
processus
de négociation/
confrontation symbolique/
élaboration individuelle et
collective
en
cours.
L’apparition
des
artefacts
dialogiques
dans
le
champ
des
interactions
peut se
faire
spontanément ou de
façon
planifiée.
Faire
référence
à
l’introduction d’un
artefact
dialogique
peut impliquer seulement la
distinction d’un élément qui
faisait
déjà partie
de
l’écosystème,
bien que
de
manière peu thématisée (par exemple,
par
le
déplacement d’un objet
de l’atelier dans
la
salle
de
réunion).
Toutefois,
la plupart du temps,
les
artefacts
dialogiques
sont l’objet
d’intenses
efforts
de réflexion et
de
conception
de
la
part
de
l’équipe
de
recherche,
sans
garantie
de
succès.
Ainsi, le
film
présenté
par
l’équipe
de
recherche,
qui
résulte
d’un
montage
réfléchi de
séquences
vidéo
engendrées
durant
le
processus
de
recherche,
est
un
artefact
dialogique pensé et
construit
par
les chercheurs.
Toutefois,
il ne
deviendra
un
artefact
dialogique
dans
la
situation d’interaction que
si les
acteurs
de
terrain
s’emparent
d’un élément
précis
présent
dans
ce film, parmi
tous
ceux
qui pourraient retenir leur attention. Dans le
dialogue,
un
élément
déjà
existant pourra
alors
devenir mutuellement
saillant
et porteur
de
significations
multiples que
le
dialogue
pourra
alors
déplier.
Dans
ce
sens,
nous soutenons que ces
artefacts
participent
au
dialogue:
ils s’offrent comme un élément instituant sur lequel se
prononcer
à
partir
d’un
certain
lieu.
264
9
COMBINER DIALOGÏSME
ET
SOCIOMATÉRIALITÉ
5.
Conclusion
Toutes ces considérations nous permettent de proposer deux
conclusions principales, soutenues par notre recherche empirique.
D’une part, l’interaction dialogique
-
et potentiellement dévelop-
pementale
-
se nourrit d’éléments extra-langagiers et se fonde sur la
configuration physique et symbolique de l’espace et des artefacts qu’il
contient: le cadre spatial et temporel, le positionnement physique
et social des acteurs, les artefacts à disposition. C’est la fonction
dialogique qui
est
fondamentale et non le mode de concrétisation
verbal. Les gestes et expressions
des
affects, par exemple, contribuent
au dialogue
-
même si leur reprise par les mots permet un processus
de symbolisation nécessaire au développement. Cette conclusion
insiste
sur un
aspect
directement issu des études
sociomatérielles,
car
la
nature vicariante de ces éléments est l’expression du tissu sociomatériel
dans lequel se déroulent les interactions sociales. En même temps,
la
perspective dialogique est celle qui éclaire la fonction
spécifique
qui
survient lorsque
des
regards divergents se confrontent.
D’autre
part,
il
est
possible d’intervenir
délibérément
dans
la
configu-
ration
d’un espace dialogique et
transformationnel, dans la
construction
d’un espace
de
dialogue en vue du développement.
Cet
espace
de
dialogue «à visée développementale»
a
certaines caractéristiques:
1) la participation libre et volontaire et l’implication active des
acteurs; 2)
l’explicitation
du cadre et du contrat du
dialogue
par
les
chercheuses;
3)
la co-construction de la
tâche
par les
chercheuses
et
les
participant-
e-s, permettant la
focalisation
sur un objet conjoint
—
ce
dont on parle
-
qui
est
en perpétuel mouvement et qui
a
différentes
dimensions entremêlées, matérielles, théoriques, historiques, sociales;
4) la coexistence, dans l’espace de dialogue,
de
différentes
activités
intentionnellement entremêlées, par exemple une
activité
analytique et
argumentative
;
5)
la
répétition
des
dialogues,
dans la variation de ses
destinataires, et ses
possibilités
de
ré-adressage;
6)
enfin,
un équilibre
entre perméabilité
-
aux voix et aux situations extérieures
-
et
imperméabilité
de
l’espace
-
entre la confidentialité de ce qui reste
dans cet espace et ce qui peut en être extrait pour
d’autres
adressages et
265
EXPÉRIENCES SOCIOMATÉRI
ELLES: OBJETS, INTERACTIONS, ESPACES
à d’autres fins. L’intervention cherche à organiser, expliciter et parfois
contrôler la porosité qui existe entre les differents espaces (celui de la
formation, celui de l’activité en operation, ceux de l’institution, espaces
de colloques ou de repos par exemple, celui
enfin
de la recherche c’est-
à-dire de l'analyse des séquences et de leur discussion). Les artefacts
dialogiqucs peuvent être
indifféremment
des
productions directement
liées
à
la recherche (comme
des
films),
ou
des
objets ou éléments du
quotidien rendus saillants par cette dernière (par exemple, le tableau de
la
planification
des
salles, personnels et opérations). La fonction de ces
espaces et artefacts n’est pas seulement constatée rétroactivement par
leur capacité
à
produire des connaissances, mais aussi par leur capacité
à transformer les relations des participants.
Ainsi, il nous semble que
l’articulation
scientifique
des deux
approches
sociomatérielle et dialogique est féconde et
justifiée
d’un point de vue
non
seulement
théorique
mais
empirique. La
perspective
sociomatérielle
peut
se
nourrir du
langage
conceptuel du
dialogisme,
notamment
quand elle
s’inscrit
dans une
perspective
développementale. Le rapport
au monde, dans la
perspective
dialogique, peut gagner en concrétude
et en
force
d’interpellation pour la transformation
sociale,
grâce
à
la
prise
en compte sans
concession
de la sociomatérialité
des
situations
de
recherche.
Nous pouvons ainsi renforcer une tradition d’intervention
et de transformation
sociale
au sein de ces deux courants.
Bibliographie
Bakhtine, M. (1
929[1
970]). La Poétique
de Dostoïevski. Le
Seuil.
Bakhtine, M. (1984). Esthétique
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266
9 -
COMBINER DIALOGISME ET SOCIOMAT RIALITÉ
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