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Performance de la communication publique sur les réseaux sociaux : mesurer l’engagement et
comprendre le rôle des influenceurs, par Vincent Mabillard et Raphaël Zumofen
https://igpdepublic.hypotheses.org/5802
De nombreuses contributions académiques ont démontré que les réseaux sociaux permettent de diffuser
des informations gouvernementales et de transformer les dynamiques d’engagement citoyen. Toutefois,
le potentiel d’interactivité offert par ces plateformes reste le plus souvent inexploité, en particulier au
sein des organisations publiques. Nous décrivons ici trois phases permettant de mesurer l’engagement
citoyen, et donnons un aperçu de la situation dans les villes françaises de plus de 50 000 habitants (au
31 juillet 2022). Nous présentons dans la seconde partie de l’article les enjeux liés à la mobilisation
d’influenceurs, pratique émergente dans le secteur public.
Les réseaux sociaux dans la communication publique
Les applications du Web 2.0, et les réseaux sociaux en particulier, représentent une des formes les plus
récentes des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les avantages de ces
technologies sont souvent reconnus, surtout leur potentiel d’interaction, rapprochant - en théorie du
moins - citoyens et autorités, et permettant ainsi d’améliorer la relation entre les organisations publiques
et la population.
Toutefois, la littérature sur le sujet montre que la majorité des gouvernements adoptent ces réseaux à
des fins purement « informationnelles », sans transformer de manière fondamentale la relation
unidirectionnelle, descendante, des flux d’information. De plus, les études sur le sujet ont exposé la
capacité limitée des réseaux sociaux à créer de l’interaction, l’engouement restreint des citoyens à suivre
les comptes des autorités publiques, et le fait qu’une partie de la population demeure absente de ces
plateformes, ou en tout cas de la plupart d’entre elles.
On peut regretter ces constats, car l’engagement citoyen et le dialogue multipartite restent des objectifs
souvent prioritaires des administrations. L’exploitation de l’interactivité sur les réseaux sociaux dépend
en grande partie de ces dernières, qui peuvent adopter une posture neutre, ou alors encourager
activement la participation citoyenne. A cet égard, il demeure indispensable pour les administrations
d’améliorer les services fournis à la population par le biais de l’engagement. Cet engagement prend une
place centrale dans le développement de la gouvernance démocratique, et crée des attentes fortes quant
au renforcement de la confiance dans les autorités publiques via une interactivité plus forte entre État et
citoyens.
Mesurer l’engagement sur les réseaux sociaux
Dans ce contexte, il serait intéressant de pouvoir mesurer l’influence des actions menées en matière de
communication sur les comportements des utilisateurs. En complément de ce que nous avons déjà
présenté dans des contributions antérieures, nous proposons d’analyser les flux d’information sur ces
plateformes en trois phases différentes.
La première phase correspond à la diffusion. Ici, les autorités publiques mobilisent avant tout les réseaux
sociaux comme un canal additionnel permettant de partager des informations officielles avec l’objectif
principal de toucher un public plus large. Sans engager des ressources supplémentaires conséquentes,
elles se contentent souvent de réadapter des contenus existants et de les publier sur les réseaux sociaux.
Cette approche est principalement descendante, unidirectionnelle, et n’encourage pas l’interactivité
entre l’émetteur du message et les utilisateurs. Concrètement, elle se mesure à l’aune des publications
postées en ligne et du public touché par les messages.
La deuxième phase, dite d’interaction, est caractérisée par la volonté d’encourager le dialogue et la
participation des citoyens. Au-delà de la simple diffusion d’informations, le but est donc plutôt de
stimuler les parties prenantes à créer et partager des contenus, dans différents formats. Au fil du temps,
les administrations en phase de diffusion tendent à adopter une tactique plus interactive (demander un
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feed-back, remplir un sondage, etc.) afin de solliciter l’avis du public, sans pour autant lancer une
conversation. Les métriques généralement utilisées pour quantifier cette phase sont le nombre de
réactions (par exemple les mentions « j’aime »), de partages, de republications, de commentaires, etc.
La troisième phase, appelée transaction, se réfère aux contacts plus approfondis entre administrations
et citoyens, permettant de coproduire des projets, des politiques publiques ou simplement du contenu.
De ce point de vue, les progrès enregistrés dans l’espace numérique ont parfois mené à une dynamique
collaborative plus forte entre utilisateurs, dans une logique interactive de « plusieurs-à-plusieurs »
(many-to-many). Ces avancées ont permis d’accroître le niveau d’engagement citoyen, les utilisateurs
pouvant s’engager directement dans une discussion animée réciproquement par l’organisme public et
les utilisateurs eux-mêmes. La manière de mesurer l’impact de cette phase comprend le nombre de
réponses de la page à des commentaires publiés par les utilisateurs, l’intensité des échanges lors de
discussions, etc.
La majorité des villes ont dépassé le stade de la diffusion
En France, au niveau local, les études existantes se concentrent principalement sur le nombre de villes
inscrites sur chaque réseau, avec une analyse approximative de l’engagement citoyen. Elles relèvent
souvent d’initiatives privées, en dehors des cercles académiques, encore en retrait du point de vue des
analyses menées sur les réseaux sociaux (du moins dans la sphère francophone). L’étude que nous avons
menée en 2022 dans les 128 villes françaises de plus de 50 000 habitants (les données ont été collectées
sur un mois, en juillet 2022) montre que Facebook reste la plateforme la plus utilisée, mais qu’elle est
moins suivie que X (ex-Twitter) et Instagram. En effet, tandis que le ratio du nombre de followers sur
la population atteint 4,1 % sur Facebook en moyenne, les chiffres sont de 13,0 % sur X et de 14,1 % sur
Instagram. Il est également intéressant de noter que les villes communiquent plus régulièrement sur X
(3,2 posts quotidiens en moyenne) que sur Facebook (2,8 posts) et Instagram (seulement 0,6 post). Nous
pouvons ici émettre l’hypothèse que la production de contenu de qualité est plus exigeante sur
Instagram, une plateforme en outre plus récente et axée sur l’image plutôt que sur le texte. Nous avons
classé les villes en fonction des trois phases décrites précédemment : diffusion, interaction, transaction.
L’analyse démontre que la simple diffusion d’informations, mesurée par le nombre de posts quotidiens,
représente un stade dépassé pour la majorité des villes, qui expérimentent donc la phase d’interaction
ou de transaction dans 119 cas sur 128 (93 %) sur Facebook, 121 cas (93,5 %) sur Instagram et 102 cas
(79,5 %) sur X.
Un nombre croissant d’administrations publiques se posent la question de l’engagement, souvent
considéré comme la variable la plus importante de la communication sur les réseaux sociaux.
Appréhender et comprendre les logiques d’engagement ne se limite pas à un simple exercice comptable ;
cela détermine en grande partie la performance et le succès rencontrés par la publication des messages
sur ces réseaux. Différents moyens ont été mis en œuvre pour stimuler l’engagement citoyen, allant du
format (photo, vidéo) au type (sondages, questions-réponses, etc.) de contenu publié.
Un autre facteur de succès sur les réseaux sociaux, et de mesure de la performance de la communication,
correspond à la faculté à atteindre son public. Dans une réflexion que nous avons récemment proposée,
nous nous interrogeons sur la place qu’occupent, et que devraient occuper, les influenceurs sur les
réseaux sociaux des organisations publiques.
Toucher son public cible : le rôle des influenceurs
Ainsi que nous venons de le souligner, l’atteinte du public cible et la stimulation de l’engagement sont
deux mesures centrales de la performance communicationnelle sur les réseaux sociaux. Or, pour
atteindre son public cible, certaines couches de la population en particulier (les plus jeunes, par exemple)
les organisations publiques doivent revisiter certaines de leurs pratiques de communication. À cet égard,
les influenceurs ont été mobilisés de façon croissante ces dernières années, et plus particulièrement
durant la période de COVID-19.
Sur les réseaux sociaux, les influenceurs sont généralement définis comme des acteurs tiers qui ont établi
un nombre significatif de relations, avec des caractéristiques spécifiques et une influence sur les parties
prenantes d’une organisation, par l’intermédiaire de la production et de la distribution de contenu, des
interactions générées et de leur forte visibilité. Analyser le rôle qu’ils peuvent jouer dans le secteur
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public devient aujourd’hui important, car ils sont devenus une des voies récemment explorées par les
organisations publiques pour accroître la portée de leur communication et approcher certains citoyens
de manière personnalisée et émotionnelle. Bien que ce phénomène reste peu documenté, nous pouvons
donner l’exemple du gouvernement écossais, qui a publié la liste de tous les influenceurs auxquels il a
recouru dans ses campagnes de communication.
Toutefois, recourir aux services d’influenceurs n’est pas sans risque. D’abord, l’adaptation des messages
au secteur public pourrait contraster avec le contenu habituellement proposé par les influenceurs, ce qui
risque de nuire à la cohérence du contenu. La différence avec le ton habituellement utilisé pour la
communication officielle pourrait ainsi créer une certaine confusion auprès du public. De plus, les
influenceurs n’attirent pas systématiquement l’attention attendue, ne favorisent pas toujours
l’engagement souhaité et n’augmentent pas forcément les interactions. Ils soulèvent également des
questions éthiques quant à l’utilisation des fonds publics. Ainsi la presse tend plutôt à se focaliser sur
les expériences qui n’ont pas donné satisfaction plutôt que de relever les expériences positives alors que
le Gouvernement français vient récemment de légiférer pour encadrer plus strictement les pratiques.
Néanmoins, les gouvernements doivent faire face à un environnement de plus en plus numérique, un
nombre croissant d’individus (plutôt jeunes) s’informant sur les réseaux sociaux et délaissant les médias
de masse traditionnels. Ces observations poussent les organisations publiques à repenser leur stratégie
de communication afin d’atteindre tous les publics cibles, transmettre des messages publics importants
et établir des relations privilégiées et de confiance avec les citoyens. Par conséquent, l’utilisation des
influenceurs devrait se poursuivre, moyennant des conditions strictes (sélection, respect des valeurs
publiques notamment). Malgré les risques et les questions soulevées par la mobilisation d’influenceurs,
il est important de poursuivre sur cette dynamique, car ce qui importe le plus dans la communication
reste d’atteindre efficacement les citoyens, indépendamment du support.
Vincent Mabillard,
Solvay Brussels School of Economics & Management (SBS-EM), Université libre de Bruxelles (ULB)
Raphaël Zumofen,
Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Université de Lausanne (UNIL) et
Haute École de Santé (HES-SO) Valais-Wallis
Pour aller plus loin :
Vincent Mabillard et Raphaël Zumofen, « La relation État-citoyen sur les médias sociaux. Tendances et
profils-types des villes françaises », Politiques et management public, 2023/4 (N° 4), pages 471 à 490.
https://www.cairn.info/revue-politiques-et-management-public-2023-4-page-471.htm