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L’expertise universitaire, l’exigence journalistique
Evan Stark
Professeur émérite, sociologue, Rutgers University
Andreea Gruev-Vintila
Maîtresse de conférences HDR en psychologie sociale, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Cette dernière décennie, des législateurs, des magistrats, des ministres, des avocats, des forces de l’ordre
et des associations de nombreux pays ont reconnu l’échec des approches de la violence conjugale qui la
définissaient à partir d’«!actes!» épisodiques.
Un nombre croissant de pays a donc adopté le modèle du contrôle coercitif pour redéfinir la violence
conjugale comme atteinte aux droits et aux ressources plutôt qu’agression. En d’autres termes,
reconnaître qu’il s’agit d’actes délibérés ou d’un schéma comportemental de contrôle d’une personne par
une autre.
Vers une inscription législative ?
La création d'une infraction de contrôle coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l'égalité femme-
homme. Cette nouvelle législation pourrait contribuer à la protection de 213 000 femmes dont 82% de mères et de leurs
398 310 enfants covictimes de violences conjugales. Shutterstock, CC BY-ND
Violence conjugale!: pourquoi la notion de «!contrôle
coercitif!» pourrait produire plus!de!justice
Publié: 15 novembre 2023, 22:14 CET
Ainsi en 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé que la définition juridique de la
violence conjugale doit inclure «!les manifestations de comportement de contrôle et de coercition!» et
que cette modification du cadre juridique et réglementaire doit avoir lieu «!sans tarder!».
En 2023, s’appuyant sur des entretiens avec plusieurs centaines de professionnels, victimes, associations
et universitaires français, le Plan rouge VIF de la mission parlementaire Chandler-Vérien chargée par la
Première ministre Elisabeth Borne d’améliorer le traitement judiciaire des violences conjugales a
proposé en priorité la traduction du contrôle coercitif dans la loi et sa mise au cœur des futures
campagnes d’information et de la formation des professionnels.
Bérangère Couillard, la ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, a elle aussi affiché
son intérêt pour cette appréhension de la violence conjugale. Sa prédécesseuse Isabelle Rome,
magistrate, avait déjà défendu la création d’une infraction spécifique. En effet, une infraction de contrôle
coercitif en France pourrait être une avancée significative pour l’égalité femme-homme. Cette nouvelle
législation pourrait contribuer à la protection de 213!000 femmes, dont 82!% de mères, et de leurs
398!310 enfants covictimes de violence conjugale, empêcher le meurtre et le suicide de centaines de
partenaires, d’ex-partenaires et d’enfants chaque année.
Un crime de liberté
Le contrôle coercitif a été qualifié de «!crime de liberté!» par Evan Stark car il piège les victimes et
produit une captivité analogue à la prise d’otage dans la vie privée. Il atteint de nombreux droits, à
commencer par le droit à l’autonomie, à la dignité et à l’autodétermination.
La responsabilité des auteurs doit être exigée. À moins que ses éléments constitutifs ne soient envisagés
comme un seul comportement malveillant et qui devra être arrêté, ce schéma de violence et
d’exploitation peut se poursuivre pendant des années en passant sous le radar des tiers, qu’il s’agisse
d’entourage de la victime ou de professionnels.
Shutterstock. Le contrôle coercitif atteint de nombreux droits, à commencer par le droit à l’autonomie,
à la dignité et à l’autodétermination., CC BY-SA
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La situation française décrite dans le livre Le Contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale
(2023) permet de dresser les constats suivants!: l’incrimination actuelle de la violence conjugale échoue
à condamner et responsabiliser les auteurs, ainsi qu’à protéger les victimes, principalement des femmes
et des enfants!; l’absence de contrôle social et de sanction juridique favorise l’aggravation et la récidive!;
la situation des victimes ressemble plus à une captivité qu’à une agression.
Un « véritable système d’impunité »
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes a d’ailleurs qualifié le taux de condamnation des auteurs de
violence conjugale de «!véritable système d’impunité!». L’écart entre les infractions sanctionnées et la
réalité de la violence telle qu’elle est vécue par les victimes peut éroder leur confiance dans la justice.
À lire aussi : Justice : une confiance à restaurer
L’absence de responsabilisation des auteurs se reflète aussi dans l’augmentation des homicides
conjugaux pour la deuxième année consécutive. En 2022, 118 femmes, 29 hommes et 12 enfants ont été
tués. En 2021, 121 féminicides ont été officiellement recensés, un état de la situation encore plus
alarmant si l’on ajoute les 684 femmes ayant tenté de se suicider ou s’étant suicidées suite au
«!harcèlement!» de leur (ex-) partenaire. Cet échec, qui a lieu malgré les efforts déployés, met en exergue
le lien entre l’inefficacité de l’appréhension actuelle de la violence conjugale et sa focale sur des actes qui
sont des mauvais marqueurs de ses formes les plus dangereuses.
La situation en France n’est pas unique. Lorsque la ministre britannique de l’Intérieur a découvert en
2014 que l’Angleterre dépensait davantage pour la lutte contre la violence conjugale que pour la défense
nationale, cependant que ni les homicides conjugaux ni les plaintes pour violence conjugale n’avaient
diminué, elle a appelé à une approche entièrement nouvelle et adopté le contrôle coercitif pour
remplacer les quatorze incriminations utilisées jusqu’alors. En réponse à un dilemme similaire, en 2018,
le parlement écossais a adopté à l’unanimité le Domestic Abuse (Scotland) Act, un crime construit
autour d’éléments de contrôle coercitif et passible d’une peine maximale de 14!ans de prison, comme
l’homicide.
Surveillance, isolement, intimidation, contrôle
Depuis la publication du livre Coercive Control. How Men Entrap Women in Personal Life en 2007 par
l’un de nous, plus de 1!000 monographies et d’innombrables témoignages de personnes victimes
survivantes soutiennent l’idée selon laquelle c’est le contrôle coercitif, et non la violence physique, qui
devrait être le principal objectif de l’intervention de l’État dans les cas de violence conjugale, y compris
pour l’arrestation et la poursuite des auteurs, l’aide aux victimes, la protection des enfants et des
politiques coordonnées.
Isabelle Lonvis-Rome, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les
hommes, souhaite que la notion de «!contrôle coercitif!», qui recoupe les comportements de prédation
déployés par un homme pour assujettir sa conjointe, soit mieux prise en compte par la justice. Public
Sénat.
Le livre Coercive Control montre que 75!% des incidents de violence domestique qui mènent à des
arrestations sont des agressions répétées, presque toujours commises dans le contexte d’autres
comportements qui vont des agressions sexuelles au harcèlement, surveillance/stalking, menaces et
autres tactiques pour intimider les victimes, les isoler et les contrôler en prenant leur argent, les privant
de ressources, en micro-régulant leurs vies et celles de leurs enfants.
Dans la plupart des cas de contrôle coercitif, la violence et/ou les agressions sexuelles s’inscrivent dans
un contexte d’intimidation, d’isolement et de contrôle. La surveillance commence à la maison et s’étend
sur toutes les activités des victimes, y compris le travail, implique les enfants et d’autres membres de la
famille et même des professionnels qui deviennent espions, informateurs ou victimes.
Si la partenaire adulte est généralement la cible principale du contrôle coercitif, un délinquant qui
cherche à monopoliser les ressources et les privilèges disponibles dans l’espace familial peut cibler toute
personne qui lui fait obstacle, y compris les enfants, mais aussi les professionnels des forces de l’ordre,
de la justice et des services sociaux. L’inclusion par l’Écosse de la «!maltraitance des enfants!» parmi les
éléments du crime de contrôle coercitif montre à quel point il est facile pour la police et les magistrats de
passer à côté de la fréquence à laquelle des enfants de tous âges sont enrôlés comme complices ou
transformés en victimes adjacentes par des auteurs de contrôle coercitif qui n’ont aucune animosité
envers leurs enfants, mais veulent simplement les utiliser pour blesser ou contrôler leurs mères.
Ces tactiques produisent sur les victimes adultes et leurs enfants des effets qui vont de la peur
paralysante, la subordination, la dépendance psychologique, l’appauvrissement, le sabotage du lien
mère-enfant, à la mort à petit feu, aux idées suicidaires, aux tentatives de suicide, ou la mort.
Et les enfants ?
Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des
violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre. Cela survient souvent après
une séparation, dans le contexte de procédures judiciaires relatives à la résidence de l’enfant et aux
droits parentaux ou pendant les droits de visite, quand l’agresseur sent que la seule façon de punir sa
partenaire est de saboter sa relation avec l’enfant, blesser ou tuer les enfants, comme nous l’avons
tragiquement vécu cette année avec l’homicide de la petite Chloé, 5!ans, par son père dont la mère avait
demandé le divorce et contre lequel elle avait obtenu une ordonnance de protection.
L’enfant est victime adjacente dans ces cas dont le risque n’est déchiffrable qu’à l’aune du contrôle
coercitif sur la mère. L’importance d’étendre aux enfants la protection dans une loi sur le contrôle
coercitif a été soulignée par une contribution française à un rapport de l’ONU sur la violence faite aux
femmes et aux filles, et par une proposition d’inclure le contrôle coercitif dans le code civil.
Illustration -- monstre mâle hurlant sur une femme et un enfant.
Le contrôle coercitif des femmes par les hommes est la cause et le contexte le plus important des
violences envers les enfants et des homicides d’enfants hors zone de guerre. Shutterstock, CC BY-SA