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BAVIÈRE
EN PROJETS
PAVEL KUNYSZ
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BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
L’histoire de l’hôpital de Bavière est bien docu-
mentée, de son ouverture au XVIIe siècle
jusqu’à sa fermeture à la fin des années 80,
au profit des nouvelles infrastructures du Sart Til-
man et de la Citadelle. Elle constitue aussi une partie
importante de la mémoire sociale locale via les décès,
naissances et convalescences ayant marqué de nom-
breuses familles liégeoises. Pourtant, longtemps
après sa fermeture, le nom «Bavière» persiste. C’est
bien que la date de 1987 ne fut pas si fatidique que ça
à l’existence de ce lieu. De plus, alors qu’au premier
déménagement de l’hôpital, au XIXesiècle, la réfé-
rence à son fondateur Ernest de Bavière est conser-
vée, cela ne sera pas le cas au XXesiècle. La division
en deux entités, et l’esprit progressiste portant les
nouveaux hôpitaux-blocs ont sans doute rendu le
partage et le réemploi du nom délicat, sinon désuet.
Il fallait aller de l’avant, faire table rase du passé et
célébrer de nouveaux outils à la pointe au service de
la santé publique. Quelles qu’en soient les raisons, il
demeure que le déplacement de l’hôpital a laissé son
nom derrière lui.
Cela mène les Liégeois à utiliser le terme de
« Bavière » pendant plus de 30 ans pour désigner
non plus un hôpital, mais un site dit abandonné.
L’histoire de cet abandon, de la façon dont il s’est
déroulé, et des différentes initiatives qui ont tenté
de lui faire face doit donc elle aussi être faite. Des
dizaines de chronologies, historiques et résumés
en ont été produites dans des cadres d’analyses
journalistiques, urbanistiques ou politiques. Utiles,
celles-ci sont cependant toujours incomplètes, sou-
vent peu sourcées, parfois erronées. Les acteurs,
retournements de situations et complexités admi-
nistratives, sont en effet innombrables. Je tenterai
ici de rendre compte le plus fidèlement possible de
cette période de la vie du site. Moins connue, plus
récente aussi, elle nous informe sur l’évolution de
la ville de Liège, ses acteurs clés et la façon dont
Bavière a fini par accueillir, aujourd’hui, une grande
infrastructure culturelle.
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BAVIÈRE EN PROJETS XXX
Je parcourrai cette histoire en deux mouvements
complémentaires. D’une part seront exposées les
circonstances de la fermeture et de la revente de
l’hôpital, plus progressives que d’aucuns le pense-
raient. Ensuite seront présentés les projets urbanis-
tiques successifs menés par différents propriétaires,
leurs actes (démolitions, terrassements, plantations,
occupations…) et les conditions de leur abandon.
D’autre part, convaincu que l’Histoire est plurielle,
j’alternerai à ce récit linéaire des digressions concer-
nant les façons dont Bavière a été habité au cours des
dernières décennies. Ces contrapposto permettront,
je l’espère, de rendre honneur aux nombreuses per-
sonnes ayant, à leur façon, contribué à faire exister
Bavière en tant que lieu liégeois.
Il s’agit donc de montrer à quel point ces décennies
d’abandon ont été, contre bien des attentes, vivantes
et peuplées tant d’idées que d’actes et d’individus
investissant Bavière et prenant par là une part véri-
table à l’histoire du site.
1987-1991: UN ACHAT ET UN CONCOURS FACE À L’ABANDON
LE DÉMÉNAGEMENT
Si l’hôpital de Bavière perd la plupart de ses derniers
services en 1987, les différents services civils quittent
Outremeuse quelques années avant, entraînant le
déplacement du personnel et d’une partie des équi-
pements les plus importants. Ainsi, le chantier du
Centre Hospitalier Régional, démarré en 1974, se
termine dans les années 80 pour une inauguration
de sa polyclinique le 4 novembre 1981. Le transfert
du personnel du CPAS depuis Bavière (1326 per-
sonnes) s’égrène entre 1982 et fin 1985, la majorité
(973 personnes) étant déplacée à partir de 1985.
Du côté universitaire, le déménagement se déroule en
trois phases. Les 250 premiers lits, issus des services
de médecine, de chirurgie et de psychiatrie, seront
transférés au Sart Tilman entre septembre 1985 et
janvier 1986. Ces services fonctionnent un temps sur
les deux sites, avant la reconnaissance officielle par
arrêté royal du CHU le 1
er
avril 1987 et la poursuite
des transferts à l’été 1987, dont la totalité des lits de
pédiatrie. Le déplacement des services de chirurgie
et de médecine, les plus importants, se termine en
octobre suivant. Si les personnes partent, une grande
partie du mobilier et du matériel désormais vétuste
reste sur place: armoires en bois, lits en métal, oné-
reux mobilier de bureau art déco, petit matériel de
laboratoire et de soin. Cela occasionne ce qui a été
appelé un « pillage » de Bavière. Des mois durant,
des camions de brocanteurs et ferrailleurs en quête
de bonnes affaires stationnent le long du triangle de
l’hôpital et le dépouillent, avec ou sans autorisation.
Ils ne seront pas seuls: riverains et anciens usagers
profitent de ce mouvement pour récupérer qui de la
literie, qui du mobilier, qui des caisses d’archives, pour
conserver un peu de Bavière chez eux avant sa dispa-
rition, ce qui manifeste bien tout l’attachement qui a
pu être porté à cette institution. D’où ce témoignage
d’un marchand chineur: «J’y ai passé deux mois et
demi à venir tous les jours fouiner […] L’ambiance du
lieu était assez étrange: c’était comme s’il y avait eu
une guerre et que tout le monde était parti précipi-
tamment. Une ville fantôme.»
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BAVIÈRE EN PROJETS
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Comme le rapporte le journaliste, un jour, l’homme
découvre des bocaux contenant poumons et foies
immergés dans le formol. «Avec les noms étiquetés
des propriétaires. On m’a parlé de gens intéressés
par ce genre de choses mais je n’en ai pas voulu. Je
n’allais pas à Bavière la nuit, parce qu’il y avait déjà
pas mal de squatteurs, de camés: même la journée,
après quelques semaines, c’était usant d’y aller […]
Tout ça a fini par mener à la saturation évidemment,
avec l’impression d’une expérience unique, malgré
ou à cause d’une organisation pour le moins chao-
tique de la gestion de Bavière.»
OUVRIR DES FUTURS
POSSIBLES, ET LES REFERMER
Rapidement, il ne reste que des murs au futur incer-
tain. Si, en 1975, il était encore question d’y maintenir
«un hôpital général de 5 à 600 lits, solution la plus
efficiente, économique et rationnelle », cette idée
disparaît à la fin des années 80. Un dernier projet de
reconversion en ce sens est esquissé en 1986 (fig.1)
par Freddy Labye, architecte-chef de service au
CPAS de Liège. Celui-ci repart de la structure du site,
fondée sur un axe central, pour conserver une partie
des bâtiments tout en dégageant des espaces d’agré-
ment et de stationnement pour les utilisateurs. Cela
implique la démolition de la plupart des pavillons et
des bâtiments situés sur la rue des Bonnes-Villes, à
l’exception de la chapelle Saint-Augustin. Les infor-
mations manquent pour interpréter les affectations
projetées, mais il apparaît en tous cas qu’à la veille
de la fermeture, il semblait encore envisageable de
maintenir la plupart des bâtiments avec des activités
hospitalières restreintes.
En parallèle, la société coopérative SIS développe,
via le bureau d’architecture «P. Sauveur et collabo-
rateurs», l’avant-projet «Porte des enfants» (fig.2).
Il s’agit de raser tous les bâtiments, à l’exception de
deux édifices: le porche de Bavière, emblème de la
proposition, et le pavillon de stomatologie, toujours
en activité. Le reste du site est divisé en trois: un
premier triangle prolonge le porche par une typo-
logie similaire accueillant bureaux et logements; un
second îlot aux fonctions commerciales et de sta-
tionnement s’ouvre sur la Dérivation; un dernier îlot
allie hôtel et station-service. Cette répartition reflète
deux potentiels du site qui seront clés pour les pro-
jets suivants. D’une part, le bâtiment-porche est vu
comme un héritage de Bavière, à conserver pour
son architecture iconique du XIXesiècle et l’attache-
ment social des Liégeois pour ce site. D’autre part,
les quais de la Dérivation sont considérés comme
un axe de circulation important apte à jouer le rôle
d’entrée de ville depuis l’Allemagne et les Pays-
Bas et à attirer le chaland dans des infrastructures
commerciales. Le dégagement vers la Dérivation
proposé par l’équipe de Sauveur traduit aussi une
première considération paysagère pour le canal,
jusque-là relativement ignoré à Bavière. Ces initia-
tives sont alimentées par Michel Faway, secrétaire
général du CPAS de Liège, s’inquiétant du futur de
Bavière en suite d’interpellations faites de la part de
la Ligue Socialiste d’Outremeuse. En coordination
avec le conseiller communal Guy Moreau, la LSO
et SIS, Faway tiendra une réunion publique d’infor-
mation intitulée «Bavière: un nouveau “place Saint-
Lambert?”» (fig. 3), le 9 mars 1989, qui reprendra
également la proposition de Labye. L’absence d’un
projet pour l’espace abandonné fait en effet peur,
au point de convoquer l’ombre menaçante bien lié-
geoise du chantier de la place Saint-Lambert.
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Fig. 2: Sauveur Pierre et coll. Projet Porte des Enfants.
[Esquisse de projet d’urbanisme]. ACPAS LG. Hôpital
de Bavière. Caisse 24. Bte non numérotée.
Fig. 1: Labye, F. (1986). Essai de reconversion du site.
[Esquisse de projet d’urbanisme]. ACPAS Lg. Hôpital
de Bavière. Caisse 24. Bte non-numérotée.
Fig. 3: Moreau, G. (1986). Bavière: un nouveau Place Saint Lambert?.
[Tract d’invitation à une réunion publique]. ACPAS LG. Hôpital de Bavière. Caisse 24. Bte non-numérotée.
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Deux mois plus tard, Labye signe pourtant un plan
de démolition (fig.4) qui ne préserve que l’institut
de stomatologie et la chapelle, mais aussi le home
des infirmières et six maisons légendées «conser-
vées par le CPAS».
Ces documents informent sur les premières façons
dont le triangle de Bavière a été abordé dès son
abandon. D’un point de vue architectural, l’avenir
du bâtiment-porche reste donc incertain, entre une
démolition envisagée par Labye et une conservation
considérée par Sauveur. D’un point de vue fonction-
nel et urbanistique, ni la forme que devrait prendre ce
vaste espace urbain ni ses affectations ne sont déter-
minées: dans un cas on semble envisager la conser-
vation d’activités hospitalières dans un site plus aéré,
dans l’autre une restructuration totale du triangle
envers des fonctions à dominante commerciale. Ces
dernières seront par ailleurs plusieurs fois révisées,
démontrant la difficulté à déterminer un programme
stable pour un site de cette taille dans une ville dure-
ment endettée et peu propice à l’investissement
immobilier public ou privé. Demeure cependant
une constante, défendue dans l’appel de Faway: «À
Bavière, par opposition à la place Saint-Lambert,
les autorités locales propriétaires du terrain auront
d’avantage [sic] leur mot à dire dans le choix des solu-
tions.» La propriété publique, donc, pour permettre
une urbanisation de qualité pour les habitants.
De fait, l’arrêt des activités de l’hôpital est problé-
matique pour Outremeuse; ce qu’accentue la crise
sociale et financière qui touche la ville. Déjà en 1988,
un mémoire en géographie économique rédigé par
Denis Liebens se conclut en avertissant de la dyna-
mique naissante d’appauvrissement du quartier :
«Bavière n’est pas mort, mais le danger est immi-
nent. Son salut dépendra vraisemblablement de la
promptitude des autorités à décider ou non de la
réaffectation du site.» Ce mémoire met en lumière
le vide démographique que crée le départ de l’hôpi-
tal et de ses 4.000 usagers journaliers, entraînant la
fermeture de nombreux commerces. En 1990, c’est
le département de géographie de l’Université de
Liège qui pointera Bavière comme le site le plus nui-
sible de la Province, à égalité avec l’ancienne usine
Fibraline de Dison. Les quatre hectares de terrain au
cœur de l’île sont qualifiés «d’hôpital fantôme livré
à l’érosion et aux pillards», de «désert» porteur de la
mort d’Outremeuse, de chancre défigurant le quar-
tier que beaucoup estiment en besoin de renouveau.
Fig. 4: Labye, F. (1989). Plan de démolition. ACPAS Lg. Hôpital de Bavière. Caisse 24. Bte non-numérotée.
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Plusieurs éléments limiteront le champ des alter-
natives possibles à ce destin tragique. La situation
financière de la Ville de Liège, et en particulier du
CPAS, amène d’abord une série de mesures visant à
réduire les dépenses publiques grevées par un chô-
mage en forte augmentation. Le conditionnement
des ressources de la Ville à un plan d’assainissement
par le gouvernement amène le Collège commu-
nal à acter des plans successifs en 1983, 1985 puis
1989 incluant des licenciements massifs, la réduc-
tion des salaires et la fermeture ou la privatisation
de différents services publics. Dans ce cadre, un
Commissaire du Gouvernement est désigné, préco-
nisant des mesures drastiques quant au patrimoine
immobilier public, amenant à la vente de l’ancien
Hôpital des Anglais, de Sainte-Agathe et du site
désaffecté de Bavière. L’ambition de conserver une
maîtrise foncière publique est abandonnée et avec
elle les opportunités identifiées précédemment.
Comme le disait alors ce journaliste, ces ventes
constituent «une façon d’économiser des centaines
de millions, avec cependant le risque de vider Liège
de sa substance; mais y a-t-il moyen d’agir autre-
ment?» Parallèlement à cette privatisation du site,
deux bâtiments appartenant à Bavière font l’objet de
décisions spécifiques conditionnant son évolution.
L’Académie de Musique Grétry, visant à sortir d’une
dépendance aux infrastructures louées à la Ville,
achète l’ancienne Maternité de Bavière en 1989. Cela
scellera le détachement de ce bâtiment au triangle
de Bavière. Ensuite, la chapelle est classée le 9 jan-
vier 1990, principalement sur base de ses éléments
mobiliers hérités de la chapelle du Bavière ancien, ce
qui empêchera une éventuelle démolition.
ESPACE BAVIÈRE: UNE
VENTE CONTESTÉE
Un appel d’offres est lancé en 1989 et remporté par le
groupe espagnol Galaico Madrilena de Promociones
face à la société liégeoise Études et Construction
(ECO) et les Allemands Werner Kieffer, sur une pro-
position très compétitive de 126 millionsFB, pour
un site évalué à 84 millions. Moyennant quelques
oppositions néanmoins surmontées (contestation
du compromis de vente par le Collège communal,
doutes des services d’urbanisme sur les intentions
de réaménagement, recours au Conseil d’État du
concurrent allemand), l’acte d’acquisition est signé
le 31 août 1990 entre la société et la présidente du
CPAS, Maggy Yerna.
Lors du compromis de vente, les intentions annon-
cées de Galaico sont d’aménager à l’horizon 1992
«un centre de loisirs avec parcs, maisons de repos,
hôtels et commerces diversifiés, en respectant les
règles édictées par l’urbanisme communal», basé
sur un concours international d’architecture et une
exécution confiée à des firmes locales. Cette orien-
tation, rappelant partiellement celle du groupe
SIS, s’adaptera ensuite au gré des implications et
retraits d’investisseurs variés, dont les groupes fran-
çais Leclerc et Castorama, des compagnies pétro-
lières et le conglomérat « T-Time Palace », asso-
ciant la Compagnie générale européenne et ECO.
Le financement du réaménagement de Bavière
a donc toujours constitué un épineux problème
pour ses promoteurs, inquiets de ne pas pouvoir
trouver les acheteurs de leurs productions. Alors
même que Galaico rassurait encore en septembre
1990 sur les capacités financières de la société, les
négociations sont vives pour attirer des investis-
seurs en Outremeuse. Cela mène en février 1991 à
l’association à parts égales du groupe avec l’impor-
tante société belge Tractebel, au sein de S.A. Espace
Bavière qui restera propriétaire du terrain pour la
décennie suivante.
Bien avant qu’un programme, un financement
ou une orientation urbanistique ne soit stabilisé,
Espace Bavière posera des actes forts. Dès l’acquisi-
tion, il s’agit de raser l’entièreté du site à l’exception
de la chapelle, du porche, de l’institut de stomato-
logie et des bâtisses le jouxtant. Les démolitions
seront étudiées par les bureaux Lesage et Delamme-
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BAVIÈRE EN PROJETS
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Valentiny puis menées d’octobre 1991 au printemps
1993 (fig. 5). La décision de conserver le porche
réside en définitive dans un souci de ne pas aller à
l’encontre des volontés de la population de voir cet
édifice iconique préservé. Cette option est actée
par René Lachapelle, directeur délégué de Espace
Bavière, face aux réclamations de l’association
Outremeuse Promotion lors d’une exposition des
projets de relance du quartier en juin 1991 lorsqu’il
annonce une rénovation du bâtiment pour accueillir
les bureaux du consortium et ainsi lutter contre sa
dégradation. C’est à celle-ci, menée durant l’été 1991,
que l’on doit notamment l’insigne «Espace Bavière»
encore aujourd’hui visible sur le bâtiment.
UN PREMIER CONCOURS (?)
D’ARCHITECTURE
La compétition internationale d’architecture pro-
mise sera lancée en juin 1991 sous la forme d’un
«concours d’idées » strictement ouvert aux archi-
tectes belges et espagnols opposant trois candidats.
Les conditions de ce concours sont particulières: il
vise à fournir des idées au promoteur pour l’amé-
nagement, sans qu’aucune garantie ne soit donnée
quant à l’attribution d’un marché futur.
Fig. 5: Drèze A. (ca. 1992). Photographie aérienne des démolitions de Bavière
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BAVIÈRE EN PROJETS XXX
Le cahier des charges du concours reprend des fonc-
tions de logements (dont des kots, un hôtel et une
séniorie), des installations socioculturelles (cinéma,
salle de spectacle, bibliothèque), des commerces,
une station-service et des «espaces divers», dont un
centre médical de première urgence «souhaitable
dans ce quartier qui profitait jadis de la proximité
de l’hôpital ». Les esquisses et notes d’intention
déposées en août aboutissent à la sélection des
Espagnols J. Chamoza, J. Pastor et J.-L. Lucero ainsi
que des belges Zed, CRV et Arnould Partenaires.
Les traces de ces propositions sont rares et difficiles
d’accès, au-delà des commentaires des journalistes
Guy Depas et Ricardo Guttierez et quelques photo-
graphies. Le projet de Chamoza est décrit comme
«alliant le plus concrètement et efficacement une
idée force [sic], un aménagement d’ensemble har-
monieux et intégré au quartier, un phasage de
construction efficace et un réalisme économique
certain », sans plus de détails. Les propositions
belges sont, elles, mieux renseignées, Guttierez leur
ayant consacré un article en octobre 1991.
Selon cet article, le bureau CRV (Bruxelles) repro-
duit la trame urbaine du XIX
e
siècle en décomposant
le triangle en plusieurs îlots de petite taille (R+2) par
des rues convergeant vers une placette circulaire ins-
pirée de la place du Congrès, croisant ainsi le prolon-
gement de la rue Théodore Schwann et l’axe central
originel de Bavière. Ce souci de l’existant se décline
dans l’architecture préconisée, aux formes simples,
mais à l’expression diversifiée, reproduisant le
rythme des maisons mitoyennes proches. Les seuls
détachements en hauteur se voient dans les bâti-
ments d’angle, comptant quatre étages, dont un hôtel
sur le coin de la rue des Bonnes-Villes et du quai de la
Dérivation. Un îlot piétonnier surmonte les parkings
souterrains. Le projet se détache par la proposition
d’un jardin en hauteur couvrant l’axe automobile du
quai de la Dérivation, ouvrant au cours d’eau.
L’atelier Zed tire profit de la forme triangulaire
du site pour dégager trois échelles de projets aux
vocations différentes. Le côté rue des Bonnes-
Villes se fait l’emplacement de la séniorie en trois
ailes ouvertes sur le centre du triangle, renouant
avec l’échelle du quartier ancien. Le second côté,
sur le boulevard de la Constitution, se lit en lien à
l’échelle de la ville, proposant des fonctions com-
merciales et culturelles. Le dernier côté, le long de
la Dérivation, se pense à une échelle internatio-
nale, permettant l’implantation d’un hôtel et d’«un
complexe de logements organisé en arc de cercle
autour d’un jardin suspendu orienté plein sud et sur-
plombant la Dérivation». Entre ces trois pôles, des
«espaces-tampons» occupent le centre du triangle.
La plus radicale des propositions provient des
Liégeois Arnould et Partenaires, avec le projet
«Djus-d’là Blue» (fig.6). Menée par Pierre Arnould,
dont les interventions marqueront ensuite réguliè-
rement le débat public sur le site, l’équipe condense
le programme en une mégastructure émanant du
boulevard de la Constitution pour s’étendre au-des-
sus des quais et de la Dérivation par une imposante
tour d’hôtel, recréant au passage des espaces publics
sur l’eau et une connexion piétonne à la Cité de
Fig. 6: Arnould P. (1991) Maquette du projet «Djus-d’là Blue».
Le Chainon Manquant, 28/12/2014
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BAVIÈRE EN PROJETS
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Droixhe. L’ensemble multiplie ces créations d’es-
paces extérieurs à toutes les échelles. À celle du
bâtiment, par des mezzanines et coursives appro-
priables par les habitants et les passants. Sur le site
de Bavière ensuite, qu’il consacre presque exclusive-
ment à un parc urbain de 3 hectares, précieux dans
le contexte minéral d’Outremeuse. De façon à pré-
server les sols naturels, les 1.500 espaces de parking
demandés sont concentrés dans un immeuble rem-
plaçant le hall omnisport de la Constitution, dans
une proposition sortant du cadre strict du concours.
Dans les trois cas, deux enjeux centraux sont identi-
fiés. D’une part, il y a la nécessité de reconnecter le
site avec le tissu urbain existant dont l’avait extrait
l’installation de l’hôpital. À l’enclosure d’un site
monofonctionnel, les architectes opposent de nou-
velles connexions et espaces publics s’adressant aux
riverains. D’autre part, il y a la reconnaissance de la
Dérivation comme un site paysager à valoriser, et
de ses quais comme un axe de circulation intense.
Celui-ci procure une portée internationale au site,
mais aussi des nuisances propres au transport auto-
mobile, en particulier une coupure à ce site paysager.
Ces enjeux trouvent des réponses urbanistiques et
architecturales différentes selon les projets. Celles-ci
sont marquées par un repos sur le porche, conservé
dans tous les cas, pour le premier enjeu, et par le
dépassement des limites strictes de la propriété fon-
cière du triangle de Bavière pour le second. Cela est
manifeste concernant les quais, couverts dans les
trois cas pour offrir des espaces d’agrément.
Les lauréats sont annoncés en décembre 1991,
voyant J. Chamoza victorieux et les Bruxellois de
CRV seconds. La radicalité de la proposition de
Arnould peut expliquer son exclusion du podium
malgré sa générosité: le contexte économique rend
difficile d’envisager une intervention dispendieuse
par sa technicité et son audace. Le rejet des deux
autres projets, plus restreints dans leur attitude,
peut peut-être s’expliquer aussi par ce dépassement
des limites parcellaires : le quai étant une voirie
régionale, un tel aménagement aurait impliqué de
difficiles négociations entre les instances commu-
nales et régionales, synonymes de complications, de
surcoûts et de retards pour les projets urbains.
Ce concours sera cependant contesté en mai 1992
par le Conseil supérieur des architectes d’Espagne
(CSAE). Celui-ci révèle avoir été sommé par SA
Espace Bavière de ne pas diffuser l’appel. La sélec-
tion de Chamoza, Pastor et Lucero ne s’est pas faite
via une mise en compétition, mais sur décision
interne à la société, et invitation de bureaux spé-
cifiques, remettant en cause les engagements de
Galaico auprès du CPAS. Pour autant, ce concours
s’étant contenté de prospecter des idées, et n’ayant
par là aucune valeur contractuelle, cette sortie fut
vite oubliée, permettant au promoteur de continuer
ses activités sans heurt, du moins en ce qui concerne
cette opération, comme nous le verrons.
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CONTRAPPOSTO 1
QUAND L’HÔPITAL REFUSE DE MOURIR
Derrière l’histoire urbanistique de Bavière se sont également développés bien des vécus,
souvent oubliés et pourtant plus marquant pour certains. J’ouvre ici un premier contrapposto,
pour considérer celles et ceux qui demeurent absents des récits ociels. Ce qui est ici relaté
est le résultat d’un travail d’entretien et d’enquête mené auprès de personnes ayant habité le
site de diérentes façons.
Malgré l’abandon ociel de Bavière, dès 1987, d’autres ont en eet continué à y vivre, à
commencer par les services hospitaliers de dentisterie et de pédopsychiatrie.
Nombreux sont ceux et celles qui se rappellent avoir été se faire soigner dans l’imposant
bâtiment du boulevard de la Constitution. Cet institut de stomatologie sera en activité bien
après la fermeture de l’hôpital: on y comptait encore 30.000 visites annuelles en 1996, malgré
des conditions précaires. L’édice est vétuste, et les maisons le jouxtant sont abandonnées
et squattées, occasionnant des incendies se répandant jusqu’à la dentisterie et des dégâts
à la hauteur de plusieurs millions de francs. Cette fréquentation sera maintenue jusqu’en
2001 avant que le déplacement des services au sein de la polyclinique Brull voisine, selon
un plan universitaire décidé en 1999 visant à conserver la patientèle dèle d’Outremeuse.
Cette existence continue d’activités médicales sur le site, près d’un quart de siècle après
la fermeture de l’hôpital, nuance une première fois le récit d’un site entièrement laissé à
l’abandon. Il faut toutefois admettre que la situation de la stomatologie, dotée d’un accès
direct sur le boulevard, a permis une certaine indépendance de l’institut au site plus général
tombant en ruine.
Une partie de l’histoire du service universitaire de pédopsychiatrie fournit également un
récit plus nuancé. Celui-ci était initialement situé dans des immeubles de la rue des Bonnes-
Villes, en face du triangle de Bavière. Au déménagement du service de pédiatrie, dont il est
dépendant, le choix est posé d’arrêter l’occupation de ces bâtiments par économie. Ceci
entraînera en 1985 le transfert de la pédopsychiatrie, non pas au domaine du Sart Tilman,
mais sur le site de l’hôpital en cours d’abandon. Il prendra place dans les anciens locaux du
service de pédiatrie d’abord, puis, dès 1987, dans ceux de psychiatrie adulte.
La mise à l’écart du service dans des immeubles vétustes et abandonnés alimente des
tensions. L’infrastructure, décrite comme décrépite, nécessite des rénovations de fortune,
opérées avec peu de moyens par les membres du service, pour accueillir dignement les jeunes
patients. Cette situation dicile se poursuivra hors du triangle, le service étant déplacé dans
un bâtiment de la rue Dos-Fanchon doté d’un nombre insusant de bureaux.
En cela, la pédopsychiatrie a été le témoin privilégié du processus d’abandon progressif de
l’hôpital, assistant aux départs successifs des patients, collègues et matériel médical et au
délitement des bâtiments: visites, vols, dégâts, inltration d’eau, prolifération végétale.
Une maître de conférences appartenant à ce service a capturé ce contexte dans lequel elle
évoluait. Formée aux rudiments de la photographie par Frederic Karikeze, Evelyne Tysbaert a
mené une longue enquête photographique se voulant un témoignage personnel de la n de
vie progressive de cette importante infrastructure hospitalière. Sous l’impulsion de Andrée
Preschia, directrice du club de photographie de Seraing, une série de clichés (g.8) et un texte
poétique (g.7) seront nalement exposés au Centre culturel de Seraing à la n de l’année
1988, puis au Centre culturel des Chiroux en janvier 1989, à la demande de son directeur.
582
À ces récits universitaires, il faut ajouter celui de la communauté chrétienne occupant encore
aujourd’hui la chapelle Saint-Augustin. Suite au concile Vatican II (1962-65) et l’abandon
ociel du rite tridentin, quelques groupes de pratiquants résistent à cette injonction, à Liège
comme ailleurs. Parmi ceux-là, une communauté située sur le boulevard d’Avroy poursuit ces
usages. De plus en plus marginale et pointée du doigt, celle-ci est forcée de déménager à
plusieurs reprises. Dès 1976, l’abbé Jean Schoonbroodt qui anime cette communauté cherche
d’autres lieux pour pratiquer ces rites: au collège Saint-Barthélemy, d’abord, puis en 1980 à
la chapelle de Volière, en Pierreuse. Ces déplacements aboutiront à l’utilisation de la chapelle
Saint-Augustin, dite de Bavière, dès 1990, désertée par les religieuses hospitalières à la
fermeture de l’établissement. Cette utilisation est négociée sans frais de location avec le CPAS
de Liège, accord renouvelé depuis par les diérents propriétaires successifs. Depuis 30 ans,
il se tient encore trois fois par semaine des messes traditionnelles, en marge de l’abandon du
site. Là aussi, l’état du bâtiment mine ces pratiques, le seul entretien étant assuré par l’abbé
lui-même et quelques volontaires de la Confrérie de la Miséricorde. Comme les employés du
service de pédopsychiatrie avant lui, l’abbé s’emploie sur fond propre et sur base de dons à
faire réparer les toitures de l’édice, à moderniser le système de chaue et faire restaurer les
grandes orgues. Plus encore, il s’emploiera à négocier avec le Musée d’Art Religieux et d’Art
Mosan le rapatriement des objets d’art déplacés pour conservation lors du départ des sœurs,
insistant que «les visiteurs sont plus nombreux dans les églises que dans les musées et que
les objets liturgiques ont une fonction qui dépasse les vitrines». Cette présence a entraîné
des questionnements quant à la sécurité du lieu. L’accès principal à la chapelle, par le porche,
avait déjà été muré peu avant l’arrivée de l’abbé, dans un eort de la protéger des vols et
dégradations. L’installation des appartements de l’abbé dans le sous-sol de la chapelle répond
également à une tentative d’assurer une surveillance de l’édice. Si cela n’a pas empêché les
visites et dégâts, elle a permis d’accueillir dans un confort relatif les pratiques d’une petite
communauté traditionaliste et les concerts d’orgues y prenant place depuis 1991.
Fig. 7: Tysbaert E. (1988). HÔPITAL – SILENCE. Texte dactylographié. Fig. 8: Tysbaert E. (1988). La chambre de
garde, nature morte. Photographie.
583
Ces témoignages charrient d’autres récits et existences, peu connus, mais qui parlent bien de
ce qu’a été Bavière au lendemain de son abandon. La continuité de ces activités et d’autres
sur le site permettent de rappeler que l’abandon et le vide sont des notions fort relatives à
l’égard des espaces urbains. Evelyne Tysbaert évoque bien ces existences contraires qu’elle a
croisées, sans jamais pourtant les photographier:
«La démolition progressive de Bavière, ça a été quelque chose d’assez triste pour le quartier.
Ce n’est pas qu’on a tout déménagé, puis qu’on a défait, non: ça se laissait aller. Et ce qui est
intéressant, c’est que j’y ai fait d’étranges rencontres. Avec le risque même d’une mauvaise
rencontre, car tous ces locaux étaient ouverts!
Alors, Outremeuse était un quartier pauvre. Dans les locaux abandonnés, on rencontrait plein
de gens… Nécessiteux, errants, qui venaient chercher un mètre de câble qu’ils arrachaient
dans les murs, une vieille prise de courant, un morceau de ferraille… Des vieilles folles
errantes aussi, qui parlaient toutes seules, qui étaient là, qui faisaient des incantations.
Peut-être avaient-elles consulté ou été hospitalisées là? C’était tout un monde. C’est à la
fois la dialectique du vide et du plein, de la présence et de l’absence où il y avait encore ce
microcosme qui me touchait beaucoup, qui circulait là, et que je croisais.»
Quelques années après la prise de ces clichés, peu avant les démolitions, les caméras de la
célèbre émission Strip-tease capturent une dernière fois ces locaux, et quelques visiteuses,
dont celle-ci qui s’exclame, au milieu d’un site où, de ses propres dires, il n’y a plus rien:
«Il y a d’autres personnes qui doivent venir prendre quelque chose ici, à défaut de prendre un
objet. Combien de milliers de gens sont morts ici? Qui sont nés?
Morts, nés, guéris, comme moi…»
Ainsi, dès sa fermeture, l’hôpital deviendra un lieu de rege et de mémoire pour une série
d’individus. La présence illicite de personnes dans les lieux a très vite marqué les esprits,
jusqu’à aujourd’hui. Cette population inclut aussi des personnes sans abri, sans papier
ou toxicomanes qui trouvent en eet là un lieu rare, car relativement hospitalier, pour les
accueillir pour une nuit et parfois plus. Parmi ceux-ci, Michel Pinon est une gure centrale: né
à la maternité de Bavière dans les années 70, dépourvu de domicile depuis son adolescence,
il a habité la friche de Bavière régulièrement pendant les trente dernières années. Habitué
de nombreux endroits d’accueil informel à Liège, il reviendra toujours à la friche, et a résidé
dans la plupart de ses bâtiments, aujourd’hui démolis, au cours des années. Il a ainsi été
témoin, comme Evelyne Tysebaert, de la déliquescence des lieux, mais aussi des descentes
de police, de nombreux décès, liés à des overdoses ou des crimes violents. Ainsi, Bavière
est en partie devenu un lieu dangereux où le vandalisme, la prostitution, la consommation
et la vente d’héroïne et de cocaïne, les viols et les règlements de compte faisaient partie du
paysage. Mais, au cœur de cette violence, c’est aussi un lieu de survie essentiel que Michel
décrit: «C’est un peu mon chez-moi. Sans ça, je ne serais peut-être jamais sorti de la rue, et je
ne serais peut-être plus là depuis longtemps: j’aurais dormi en dessous des ponts ou à droite
et à gauche, où j’aurais pu prendre un coup de couteau. C’était l’endroit où j’allais dormir,
manger, me laver, où je recevais les copains, les copines, où on allait boire et mer, où j’ai
ramené des gens pour dormir alors qu’ils ne savaient pas retourner chez eux. C’est un point
de chute pour tous les gens de la rue, et une aile protectrice pour certains qui, parce qu’ils ont
pu survivre là, ont pu rebondir, et aujourd’hui sont mariés, ont deux, trois enfants. Ça leur a
donné un coup de pouce, quoi.»
Par là, au-delà de la fermeture de l’hôpital, il faut donc reconnaître que Bavière a conservé une
forme de vie et d’accueil prenant des airs quasi vitaux dans certains cas.
584
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
1991-2004: UNE ASSOCIATION ENTRE PRIVÉ
ET PUBLIC SOUVENT RENÉGOCIÉE
CENTRES COMMERCIAUX
ET CINÉMAS: D’UNE GUERRE
COMMERCIALE À UNE AUTRE
Après la victoire de Chamoza au sein du concours
d’Espace Bavière, un projet opérationnel de réamé-
nagement est établi. Celui-ci fera l’objet d’une
demande de certificat d’urbanisme (CU2) le 10 mars
1993. Loin des ambitions multifonctionnelles du
concours, le projet repose, dès sa première phase,
sur la construction sur le coin nord du triangle d’un
centre commercial de 17.000 m², soit le septième
«shopping centre» du pays et le plus grand à Liège. Il
inscrit Bavière dans cette période de l’urbanisme lié-
geois marquée par de nombreux projets de galeries
commerciales: «Longdoz 2» (1995), extension de la
galerie «Cora» à Rocourt (1996), investissements
de la société CODIC («Belle-Île», 1995; «Îlot Saint-
Michel», 1994-99). Le chantier doit commencer à la
fin 1993, une fois les démolitions terminées, sur base
d’un accord établi avec des investisseurs autour d’un
programme composé d’«une galerie commerciale
couverte, maison de repos de 8.000 m², bureaux,
immeubles d’habitation, “kots” d’étudiants, hôtel
d’une centaine de chambres, centre culturel [NDR:
théâtre] doté d’une salle de 600 places, station-ser-
vice et un millier d’emplacements de parking». Les
services de dentisterie, toujours actifs, sont envisa-
gés comme déménageant dans le bâtiment-porche.
Dès la fin de l’été, cette perspective est revue. Le
31 août 1993, un avis positif, mais conditionné, est
rendu par le Collège communal sur le CU2 en suite
des doutes émis par l’administration quant aux
investisseurs évoqués (Théâtre de la Place, Kinepolis
Bert-Clayes) et à la viabilité de la galerie. Le Collège
souligne la trop grande importance des surfaces
commerciales face à celles de logement et l’absence
d’espaces verts au profit du parking souterrain, tan-
dis que sont appréciés la proposition de lieux cultu-
rels, d’un hôtel le long du quai et la conservation du
service universitaire.
En suite, l’échevin de l’urbanisme William Ancion
propose l’implication financière de la Ville pour la
construction de logements et de deux piscines com-
pensant la fermeture des bains de la Sauvenière,
intention portée jusqu’en 1995, quand 200 millions
FB des réserves de la Régie foncière y étaient tou-
jours destinés. Moins de cinq ans après la revente
du site par le pouvoir public pour combler les dettes
du CPAS, la Ville se dit donc déjà prête à y réinvestir
pour équilibrer le projet. S’ouvre là une longue tenta-
tive pour trouver la balance juste à Bavière, laquelle
permettrait à la fois de répondre aux besoins du quar-
tier et de la ville, et de financer ces développements
par des montages entre les secteurs privés et publics.
Il faut ici considérer le contexte urbanistique lié-
geois du début des années 90. Après une intense
crise économique, la ville connaît une démultipli-
cation de projets tirant parti du faible coût foncier,
cumulant plus de 40 milliardsFB d’investissements
planifiés en 1992. La perspective est enthousias-
mante pour une Ville en déficit, mais jugée risquée:
ces aménagements s’adressent à des populations
aisées, rares à Liège, et concernent les mêmes sec-
teurs, risquant leur saturation. Seront soulignées les
luttes successives entre projets de centres commer-
ciaux, d’hôtels puis de cinémas auxquelles Espace
Bavière participe. Cherchant à prendre de vitesse
ses concurrents, la société révise son projet pour
obtenir un permis de bâtir à l’automne 1993. Celui-ci
recevra un accueil mitigé des élus et de l’adminis-
tration, menant à une séance spéciale du Collège
convoqué par l’échevin Ancion en février 1994 puis
une précision des volontés communales.
585
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
Courant 1994, la conjonction d’une prise de posi-
tion de plus en plus ferme des élus locaux envers
la possibilité de nouveaux centres commerciaux
et l’annonce de l’intérêt de la société Gaumont à
concurrencer le géant Kinepolis à Liège va rediriger
l’attention de Espace Bavière vers un projet cinéma-
tographique. Cette mutation se combine à la relance
du collège communal qui propose en février 1995
une distribution de fonctions en trois tiers: com-
merces, logements et un tiers de fonctions publiques
et culturelles, dont des cinémas.
L’année 1995 marque cependant le pic de la com-
pétition des projets de cinéma à Liège. Quatre ini-
tiatives (Kinepolis Rocourt, Esperance-Longdoz,
Standard de Liège, Espace Bavière) s’emploient à
s’ajouter aux structures existantes (Opéra, Palace,
Churchill, Parc, Concorde). Face à cette proliféra-
tion, le Collège conditionne ces projets à une étude
d’incidences peu avant que ne soient remis des
avis positifs conditionnés sur les nouveaux CU2
introduits pour les projets de Bavière et Espérance-
Longdoz. Claeys-Kinepolis dépose une demande de
permis de bâtir le 9 mai, suivi par Espace Bavière-
Gaumont le 15 juin 1995, pour les seules salles de
cinéma, ce qui anime la rivalité des deux géants du
grand écran sur le territoire liégeois. Dans celle-ci,
un réaménagement du site de l’hôpital semblait bien
engagé: il correspondait mieux que son concurrent
aux priorités gouvernementales et communales
annoncée de concentrer les implantations ciné-
matographiques en ville et de les limiter en péri-
phérie. Elle aurait aussi mis fin au quasi-monopole
détenu par le groupe Clayes sur le territoire liégeois.
Cependant, le permis de Espace Bavière demeure
alors conditionné à l’avis du comité socio-écono-
mique, peu amène à ses intentions commerciales et
cinématographiques.
Face à ces complications, à la fin 1995, Gaumont
réorientera ses investissements vers un autre projet
de cinémas aux Bains de la Sauvenière en voie de
désaffectation, amenant le dépôt par Espace Bavière
d’une nouvelle demande de CU2 en mars 1996 sépa-
rée du projet de cinéma. Le mois suivant, l’échevin
Ancion signera la fin de cette ambition en formulant
la position de la Ville concernant les projets cinéma-
tographiques: pourront être admises une implan-
tation en ville, une en périphérie, qui reviendront
respectivement à Gaumont et à Clayes-Kinepolis,
excluant les autres implantations.
La perspective d’un possible aménagement de
Bavière est donc toujours plus fuyante. Dans ce
cadre, le capital de Espace Bavière est augmenté
en 1994, portant les parts de Tractebel à 71 %, au
détriment de Galaico qui se retire progressivement
du projet pour laisser aux Belges 99% des parts en
1997. En parallèle, l’association de commerçants
Outremeuse Promotion décrie la situation en jan-
vier 1996: depuis la fin des activités hospitalières,
rien n’aurait été fait pour compenser la perte des
2.000 clients journaliers. La situation est dite alar-
mante par les lenteurs administratives observées et
l’incertitude qui entoure un autre grand site aban-
donné voisin, la caserne Fonck. Le comité insiste
alors sur un potentiel international gâché, qu’iden-
tifiaient déjà les projets précédents: «Bavière est le
premier pas dans Liège pour qui vient des Pays-Bas,
d’Allemagne ou d’Europe du Nord.»
La difficulté à stabiliser des investisseurs et le désin-
térêt progressif des acteurs publics amène le dos-
sier au point mort. En 1998, Bavière figure, pour le
nouvel échevin de l’urbanisme Michel de Lamotte,
comme exception la plus marquante de stagnation
dans une ville de Liège marquée par un regain d’in-
vestissements. Quelques jours après cette allocu-
tion, Espace Bavière annonce l’abandon du projet et
sa volonté de vendre le site avec son certificat d’ur-
banisme, le groupe étant déficitaire. Le sulfureux
groupe anglais Heron International fera part en mai
586
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
1999 de son intérêt, envisageant un investissement
colossal de 3 milliards. Son programme se place
dans la continuité du complexe cinématographique
imaginé, porté à 20 salles, géré par la société AMC
et doublé de restaurants à thèmes et d’un centre de
loisirs. Cette nouvelle annonce anime une seconde
guerre des cinémas liégeois que le Collège tranche
dès septembre sur l’impulsion de Willian Ancion.
Celui-ci, opposant politique de la Cité du Longdoz
et confronté au risque de perdre les salles du centre-
ville, reste prudent face aux nouvelles ambitions.
Le Collège écarte finalement le projet de Heron,
peu abouti, mais valide celui de Cité audiovisuelle,
conditionné au maintien de salles au centre-ville,
peu importe le gestionnaire. Cela marquera la fin
des ambitions cinématographiques et commerciales
à Bavière, et le retrait de Heron International.
INTÉRÊTS ET DÉSINTÉRÊT
DES POUVOIRS PUBLICS:
L’ÉPHÉMÈRE CITÉ DES SPORTS
À l’approche de l’an 2000, les grands chantiers publics
et privés se multiplient: gare TGV, mégamusée Curtius,
place Saint-Léonard et la liaison E40-E25, semi-pié-
tonnisation du centre-ville, place Saint-Lambert,
centre commercial Belle-Île, habitat intergénération-
nel du Balloir, parking Saint-Léopold, rénovation de
la Halle aux Viandes. En 1996, pour Ancion, Bavière
reste une exception dans ce dynamisme. À la mise en
vente du site, Espace Bavière accuse pourtant les exi-
gences variables du Collège d’avoir empêché le déve-
loppement du projet. L’échevin De Lamotte défend
ces positions en évoquant la recherche d’un projet de
qualité que mérite le site.
De là, une stratégie reposant sur les fonds publics
est déployée. William Ancion avait déjà suggéré une
participation de la Ville, et l’implantation du Palais
de Justice avait rapidement été considérée à Bavière,
mais c’est Alain Tison, échevin des sports, qui amè-
nera un programme public viable. Celui-ci propose
en 1997, puis au début de l’année 1999, le site de
Bavière pour le déménagement de la patinoire de
Coronmeuse. Cette institution, la plus grande du
genre en Wallonie, garantissait une attractivité cer-
taine, tandis que la proximité du site au centre-ville
permettait d’espérer contrer les diminutions pro-
gressives d’entrées qu’elle connaissait alors.
Fin 1999, la Ville de Liège dépose un projet de
«Cité des Sports» pour un financement européen
«Objectif 2». Le projet articule la patinoire, un hall
sportif et le réaménagement du quai de la Dérivation
pour accueillir des sports nautiques. Ce côté du
triangle de Bavière est donc à nouveau pensé non
plus comme une artère automobile, mais dans son
rapport à l’eau. Ces intentions sont fixées dans un
schéma directeur commandé par le Collège, sur
l’impulsion de Ancion et déposé en avril 2000. Le
schéma prévoit de plus une piscine ludique et des
terrains de sport modulables en un « Zenith » de
7.000 à 8.000 places ainsi qu’une marina et une pas-
serelle au-dessus de la Dérivation. N’obtenant pas
l’aide européenne, la stratégie échevinale s’emploiera
à attirer des investisseurs privés par un projet ambi-
tieux, le plus grand du type en Euregio Meuse-Rhin,
mais réalisable, puisque basé sur les besoins locaux:
le hall omnisport de la Constitution et la patinoire de
Coronmeuse sont vétustes, le besoin d’une grande
infrastructure événementielle est affirmé depuis
longtemps, et finançable par l’IGIL, et de nouvelles
piscines doivent remplacer les Bains de la Sauvenière.
Un tel programme s’imagine à nouveau combinable
à une implantation du Théâtre de la Place sur le site,
son retour sur la place Saint-Lambert étant remis
en doute, notamment par le gouverneur provincial
Bolland. Cette stratégie repose aussi sur un intérêt
exprimé par le groupe Bouygues qui, sur invitation
du Collège, pose une option exclusive sur l’achat du
terrain à la rentrée 2000 et la réalisation du projet.
L’investissement prévu est de deux à quatre mil-
liards, dont une petite partie assumée par les pou-
voirs publics, pour une ouverture prévue pour 2005.
Le projet deviendra peu à peu, au côté de la Cité des
587
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
médias du Longdoz, un des exemples urbanistiques
du futur liégeois, souvent convoqué par William
Ancion, grand défenseur du projet, qui envisageait
déjà ce Zénith à Bavière en 1996.
Si des accords sont signés entre le Collège et la
société, la capacité financière de la Ville est cependant
mise en doute, nécessitant l’appui d’un autre acteur
public. Cela est amplifié par l’insistance de Bouygues
pour donner une ampleur régionale au projet par un
«Zenith» de 12.000 places, le double de son implan-
tation parisienne. Le ministre régional des infrastruc-
tures sportives Michel Daerden soutiendra cette
maximisation par une promesse de 12,4 millions d’eu-
ros. De l’argent, donc à condition de faire plus grand:
mais une telle infrastructure peut-elle être rentable à
Liège? Les besoins évoqués par les gestionnaires de
salles liégeoises renvoient alors plutôt à des salles de
moyennes dimensions (2.000-6.000 places): le pro-
jet est jugé irréaliste. En réponse à cette ambition, la
nouvelle communauté urbaine promue par Ancion,
censée rassembler les communes de l’agglomération
derrière l’ASBL L’Avenir du Pays de Liège, est consi-
dérée comme l’organe idéal pour mener le projet. Cet
organe, présidé par Michel Daerden, apportera son
soutien au projet de Zénith en septembre 2002, ainsi
qu’un montage financier géré par l’intercommunale
SLF reposant sur de potentiels apports régionaux et
provinciaux et des apports de différentes communes
liégeoises sur base volontaire. Cela amènera de nou-
veaux espoirs au projet, ainsi viabilisé par un impor-
tant apport public annoncé à 25 millions d’euros, une
sortie salutaire pour les élections fédérales de 2003.
Le dépôt d’une demande de certificat d’urbanisme
se fait cependant attendre malgré les effets d’an-
nonce. L’annonce flamande en janvier 2002 d’une
cité des sports à Maasmechelen amène par ailleurs
une sérieuse compétition. Pendant ce temps, la
rénovation lourde des Bains de la Sauvenière, coû-
teuse, mais urgente, tout comme la reconstruction
de la patinoire de Coronmeuse sont suspendues
à la potentielle réalisation de la Cité liégeoise. Les
annonces, évasives, de la RTBF quant à une possible
implantation sur Bavière en 2000, puis en 2005, ren-
dront par ailleurs le dossier toujours plus confus.
À la sortie des élections, le collège communal décide
en avril 2004 de deux projets fermant la porte à
ces ambitions : la construction d’une piscine, rue
Lambert le Bègue, et celle d’une patinoire sur le site
Espérance-Longdoz. L’annonce d’un projet de salle
de 7.500 places au Country Hall du Sart Tilman se
fait finalement aux dépens du Zénith à Bavière, les
financements régionaux étant redirigés vers cette
initiative. Ces trois projets verront le jour, mettant
un point final au rêve de la cité des sports, encore
confirmé, en septembre 2004, par le départ de
William Ancion du collège communal. L’homme
politique avait été le principal interlocuteur de
Espace Bavière depuis le rachat du terrain, et un
grand défenseur du projet, qu’il estime «saboté».
588
CONTRAPPOSTO 2
LES PRINTEMPS DE BAVIÈRE
Pendant ce temps, le triangle ne s’est cependant pas contenté d’attendre son heure, livré aux
herbes folles. Pendant ces quelques années, d’autres acteurs ont pu s’en emparer, pour un temps.
TERRAIN VAGUE: DÉCHETS,
CARAVANES ET SPECTACLES
L’image d’un terrain abandonné occupe tout de même bien les esprits. Ainsi, en 1998, le
journaliste Ricardo Gutierrez ore une description parlante:
Sur le site de l’ancien hôpital, l’état des lieux reflète assez dèlement celui
du dossier de promotion immobilière… Certes, l’espace est « assaini » : le
groupe Tractebel, propriétaire, a fait raser l’essentiel des bâtiments de l’ancien
complexe hospitalier. Mais depuis, pas l’ombre d’un engin de chantier sur les
4 hectares du site!
Bavière présente en fait toutes les apparences d’une friche urbaine: vaste terrain
vague envahi par les buddleias en fleurs, mi-dépotoir mi-terrain d’aventures
pour les gosses du quartier.
Car le site n’est même plus protégé contre l’intrusion. Le long du boulevard
de la Constitution, à hauteur de l’académie Grétry, les grilles «de chantier»,
colonisées par le liseron, font défaut sur une dizaine de mètres. Le sol est
jonché de déchets divers: un vieux landau, des sacs-poubelle éventrés, du
mobilier déglingué… Les panneaux interdisant l’entrée sont visiblement sans
eet. Plusieurs sentiers pratiqués entre les bosquets donnent accès au centre
du site et à l’arrière de certains immeubles, dont seules les façades à rue ont
été murées.
Les herbes folles ne sont en fait maîtrisées qu’à hauteur des grands panneaux
publicitaires concédés à More O’Ferrall. Histoire, sans doute, de ne pas gêner
leur visibilité. Et de rentabiliser un tant soit peu la friche improductive.
Cette catégorisation de Bavière comme un lieu vide et abandonné ne correspond qu’à une
partie de la réalité qu’il convient ici de compléter.
Dès l’été 1999, des gens du voyage établissent un camp de plus d’une dizaine de caravanes
sur le site. Son accès aisé et sa distance aux habitations le rendent idéal pour cette
implantation illicite. Espace Bavière citera en référé la Ville pour forcer une expulsion, appuyée
par des pétitions de riverains. Les familles partiront cependant d’elles-mêmes au cours de
l’hiver, à l’exception d’un couple d’adolescents en situation de grande précarité. Ceux-ci
seront déplacés au printemps suite à une décision du conseil communal. Au même moment,
un accord sera conclu entre la Ville et Espace Bavière pour assainir le site. Le triangle est
débroussaillé, débarrassé de 15 tonnes de déchets, nivelé et ensemencé dans la perspective
de le rendre accessible au public sous forme d’un «parc public provisoire », dans l’attente
d’un projet immobilier concret. Le bourgmestre Willy Demeyer proposera cette option ou une
nouvelle clôture du terrain et la garantie du maintien de sa salubrité. Le propriétaire optera
nalement pour la seconde solution.
589
Ces décisions précèdent et préparent le site à d’autres occupations plus rentables, comme
celles du cirque Bouglione, dont les éléphants se repaîtront de quelques arbres, d’une
opération Télévie et de la compagnie Il Floreligio. En avril 2004, une exposition herpétologique
s’y installera également, menant à la spectaculaire saisie d’un crocodile et d’un caïman pour
raisons administratives. Ce type d’initiatives se répétera dans la vie de friche de Bavière.
Pendant quelques semaines ou mois, elle trouvait une vie diérente, accueillant familles et
spectacles, précarité et joutes policières, toutes issues de ses qualités de terrain vague.
UN HÔPITAL EN FÊTE: L’OCCUPATION
TEMPORAIRE CONTRE L’ABANDON
D’autres occupations ont été plus pérennes, en commençant par celle des employés de Espace
Bavière. En eet, l’entreprise rénove sommairement le porche en décembre 1991 pour y
installer son siège social et lutter contre la dégradation de l’édice, viabilisant cette activité de
bureaux pour quelques années. La société conservera d’ailleurs ociellement l’adresse du 66
boulevard de la Constitution jusqu’au 1
er
avril 2019.
Cette activité cessera en prévision de la mise en vente du terrain en 1998. Un contrat est
alors établi avec la société d’occupation temporaire Lancelot. Il en résulte, de 2004 à mars
2008, l’occupation d’un groupe artistes au sein du porche, moyennant des règles simples:
contre un faible loyer, les locataires s’engagent à habiter l’édice, à signaler les éventuels
dégâts et à quitter ce logement atypique rapidement. Souvent qualié de «squat», celui-ci
est plutôt un dispositif dissuasif contre des occupations spontanées par des personnes sans
logis considérées comme potentiellement porteuses de dégâts. Cette pratique immobilière,
alors novatrice en Wallonie, vaudra à l’initiative de gurer au sein de plusieurs reportages,
dont la populaire émission «Une brique dans le ventre ». Bavière se fait à la fois modèle
de gestion d’un patrimoine inoccupé et lieu de tensions entre des occupants ociels et des
«squatteurs» cherchant à s’abriter.
Les habitants, au nombre de quatre puis
de trois, à partir de 2006, sont jeunes et
issus du milieu artistique. Attirés par le
loyer attractif, l’espace à disposition et le
caractère de cet habitat, ceux-ci tirent parti
de leurs compétences créatives pour donner
une nouvelle vie au bâtiment. Ils démolissent
l’asphalte de la cour arrière, entretiennent la
végétation foisonnante et y aménagent une
terrasse, un brasero, des cabanes, jusqu’à
installer une piscine temporaire sur les
toitures plates. Les espaces intérieurs ne
sont pas en reste: des ateliers de création
prennent place au rez-de-chaussée, les murs
sont ornés de fresques, un lit en mezzanine
est construit à l’étage.
C’est une petite communauté qui se développe
sur les trois niveaux à rue, gravitant autour
des habitants dans une ambiance détendue
et festive. S’y côtoient étudiants, artistes,
musiciens, enfants et animaux dans un
quotidien fait de soirées au coin du feu, du son
des guitares et du hang et de l’exploration des
«ruines» de Bavière: les combles, les parties
inhabitées, la friche elle-même, «Sango » –
la dentisterie renommée selon son grati
monumental – et les maisons la jouxtant.
Fig. 9: Caroline Vandormael (2007). L’occupation
temporaire à Bavière. Photographie.
590
Pour quelques années et quelques centaines de Liégeois, l’ancien hôpital prend place au
sein d’un réseau de lieux communautaires, créatifs et festifs locaux: le Carlo-Lévi, la Zone, la
Soundstation, la Casa Nicaragua. Si la mémoire de cette période s’est rapidement perdue, son
existence n’était ni secrète ni autarcique. Les occupants garnissent le porte-drapeau historique
du bâtiment d’un étendard arc-en-ciel
«Peace», tandis que certains se rappellent
de l’exposition organisée en octobre 2007 ou
de leurs participations à la brocante de Saint-
Pholien, ouvrant les hautes portes de bois au
quartier et poursuivant le marché dans l’allée
interne pour le plaisir de ceux qui n’y avaient
plus mis les pieds depuis longtemps.
La revente du site à Himmos SA mettra n à
cette occupation. Ce départ t l’occasion, pour
les occupants, d’organiser une dernière grande
fête dans le bâtiment. Lors de ce « Dernier
printemps à Bavière», le 21 mars 2008, plus
de 500 personnes ont usé les planchers de
leurs pas de danse, faisant résonner une
dernière fois les hautes salles du bâtiment des
clameurs de la foule. La société immobilière y
installera ensuite son propre salon de vente
et de présentation du projet. La décoration
intérieure sera sommairement refaite à l’image
de la marque, y compris par l’apparition
d’un drapeau « Himmos » et l’exposition de
quelques maquettes. Peu après, la faillite
du projet Himmos et son rachat par Bavière
Développement entraîneront la n des eorts
de pérennisation de l’immeuble iconique et,
en dénitive, son incendie en 2017.
Fig. 10: Alexandre Radicchi (2007). Exposition à Bavière. Photographie.
Fig. 11: Alexandre Radicchi (2008) Dernier
Printemps à Bavière. Flyer d’exposition.
591
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
2004-2012: UN NOUVEL ESPOIR
UNE STRATÉGIE
INÉDITE: LOGEMENTS
ET APPEL À INTÉRÊT
En 1996, un nouvel objectif est fixé pour Liège: le
Collège communal vise 200.000 habitants pour
l’année 2000, nécessitant la construction de milliers
de logements neufs et redirigeant les priorités urba-
nistiques. Cet objectif, manqué, sera reconduit par
la suite. En septembre 2004, Michel Firket, devient
échevin de l’urbanisme et s’emploie à remplir cet
objectif en misant sur la jeunesse, les parcs et l’ac-
cueil des familles en ville, une intention déclinée à
Bavière où il y envisage des fonctions résidentielles
et un grand parc. Le Collège communal actera un
accord de principe sur cette intention fin 2004, fai-
sant écho aux propositions de trois potentiels ache-
teurs du terrain et aux études immobilières souli-
gnant le manque de logements familiaux à Liège.
Comme chez Arnould en 91, l’accord de principe
associe le développement du terrain privé à une
requalification du boulevard de la Constitution,
incluant la démolition du hall omnisport. La compo-
sante publique du projet reprend aussi de l’ampleur,
non plus sous forme d’infrastructures coûteuses,
mais sous forme d’espaces publics de qualité, visant à
valoriser les 250 à 350 logements et attirer un millier
de nouveaux habitants. Une telle ambition n’avait
plus vu le jour à Liège depuis la création de la Cité de
Droixhe dans les années 60. Malgré un prix élevé de
6 millions d’euros demandé par Espace Bavière, cinq
marques d’intérêt sont signalées par Firket en mai
2005, menant le Collège à fixer un prix définitif de
6.250.000€ pour éviter les surenchères et à édicter
une charte d’urbanisme pour guider l’aménagement
du site. C’est sur cette base que le Collège lance, de
juin 2005 à mars 2006, une procédure inédite pour
le site: un appel à intérêt pour son réaménagement,
doté d’objectifs clairs et de moyens à leur hauteur.
L’appel à intérêt consiste ici à proposer des inten-
tions en termes de montages financiers et d’orienta-
tions urbanistiques, paysagères et programmatiques
qu’une équipe compte déployer pour acheter et
aménager le terrain.
Le jury d’experts statue le 7 mars suivant envers la pro-
position de SA Himmos, menant à la vente définitive
par Espace Bavière. La particularité du projet repose
sur une attitude paysagère prononcée et une grande
ambition résidentielle: 600 logements, pour un total
de 1.500 habitants et un investissement de 100 mil-
lions d’euros, sont annoncés, soit près du double des
intentions communales premières. Il s’agit alors d’un
des plus vastes projets de logements en Wallonie.
DEUX PROJETS AU
COUDE À COUDE
Avant de considérer le destin funeste de cet ambi-
tieux projet, il convient de présenter les quatre
projets en lice dans l’appel à intérêt. La procédure
attira en effet des équipes de qualité, chacune y
investissant une énergie et un savoir-faire manifeste.
Les propositions des bureaux Quadra (Janssens &
Drooghmans NV) et Crea-a2o (Houben SA) ont
peu fait parler d’elles, mais méritent ainsi quelques
lignes. Les propositions de Baumans-Deffet et de
l’association momentanée Anorak-DMT-Poponcini
& Loontens (Himmos SA) au coude à coude dans
les délibérations permettent aussi de rendre compte
des potentiels alors attribués au site. Le rapport des
urbanistes Sébastien Dujardin, Marianne Duquesne
et Anne-Françoise Marique de 2016 fournit des
informations précises au sujet de ces quatre projets.
592
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
Crea-A2O: «Porte de Bavière»
L’option retenue par Crea-a2o est de fixer de grandes
idées adaptables, à commencer par un rythme d’es-
paces urbains tous différents qui structurent le
nouveau quartier, dont une esplanade surélevée se
projetant sur la Dérivation. Il s’agit ensuite d’étendre
le tissu bâti existant sur l’entièreté du triangle en
reproduisant des îlots d’habitation de faible hauteur
et en concentrant des activités non résidentielles
(PME, magasins) aux rez-de-chaussée, le long du
boulevard et du quai (grandes surfaces, parking).
Une volonté de ne pas fixer architecturalement les
différents «blocs» répond au contexte d’incertitude,
notamment économique, que les projets passés ont
éprouvé. Par cette stratégie, il s’agit donc de rendre
le projet aussi adaptable que possible aux aléas du
marché immobilier liégeois et aux désirs fluctuants
de la Ville de Liège tout en conservant des repères:
le porche et la dentisterie.
Quadra/Audex
L’attitude de Quadra, secondé de Audex, se construit
en un ensemble piétonnier combinant un pôle rési-
dentiel de trois îlots qui prolonge le quartier existant
dans des typologies bâties relativement uniformes,
mais abritant une variété de formes de logements
(maisons mitoyennes, appartements de diverses
tailles). L’ensemble s’articule autour de vastes
espaces verts semi-publics, à l’image de la réalisa-
tion, alors récente, de l’ensemble Servatius du quar-
tier Sainte-Marguerite, tandis qu’un pôle d’activités
attractives (bureaux, PME, hall sportif) à la pointe
nord du site et de part et d’autre du boulevard s’ex-
prime par des architectures fortes se projetant sur la
Dérivation. Une particularité du projet est de pha-
ser la rénovation de la chapelle et du porche et de sa
cour, reconvertis en halle de marché couverte d’une
vaste verrière, devenant une locomotive commer-
ciale et un symbole de renouveau.
Fig. 12: Crea, a2o (2005). Réaectation du site Bavière. Photographies
de maquette. Propriété de a2o atelier voor architectuur en omgeving
Fig. 13: Quadra Architecture & Management (2005).
Réaectation du site Bavière. Photographies de maquette.
593
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
Des similarités sont à signaler dans les deux projets.
On y retrouve un même repos sur l’existant: les hau-
teurs et typologies bâties émanent du quartier envi-
ronnant, les axes de circulation et de composition
prolongent les rues historiques, et un espace public
central est conçu dans les deux cas en réponse à l’an-
cienne maternité, asseyant sa monumentalité. Le
porche et la chapelle sont aussi pensés comme des
entités phares dont l’accès doit être public, au détri-
ment du bâtiment de stomatologie, abattu. La faible
hauteur bâtie entraîne cependant une urbanisation
forte du triangle limitant la possibilité de grands
espaces extérieurs. Les deux propositions, géné-
reuses en espace de parking souterrain, limitent for-
tement la possibilité d’espaces arborés.
Les propositions des Liégeois Baumans-Deffet, et de
Anorak-DMT-Poponcini & Lootens se reposent à
l’inverse sur des hauteurs de bâtiment plus affirmées
pour libérer le sol et créer de vastes espaces publics.
Les deux projets profitent ainsi du caractère paysa-
ger de la Dérivation et de voie rapide du quai pour
justifier le détachement aux hauteurs du quartier.
Ils prônent une logique d’entrée de ville exemplaire
symbolisée non pas par un seul élément émergent,
une tour unique telle que prescrite dans la charte
prescriptive établie par la Ville, mais par un haut front
bâti, répondant aussi à la cité de Droixhe voisine.
Ces deux projets sont aussi les plus ambitieux en
matière de logements, doublant presque la demande
de la Ville (473 pour l’un, 590 pour l’autre) et mini-
misant les programmes annexes. C’est peut-être
pour cette ambition, ainsi que pour la haute qualité
des espaces publics proposés, que ces deux projets
seront mis au coude à coude par le jury.
Baumans-Deffet: «Bavière 2021»
Les deux équipes abordent cependant des stratégies
différentes dans leurs propositions.
Le bureau Baumans-Deffet dissocie le triangle de
Bavière en deux parties séparées par le prolonge-
ment de la rue Théodore Schwann. La partie sur
le quai prolonge l’urbanisation du XIXesiècle par
des îlots résidentiels contemporains centrés sur
de grands jardins collectifs. L’autre partie exploite
des fonctions publiques au sein de trois édifices
aux volumétries expressives – dont le porche et sa
chapelle – qui définissent ensemble une vaste place
minérale répondant à l’Académie Grétry. Le tout
génère un aboutissement généreux, bien que peu
structuré, au boulevard tout en composant un front
bâti poreux et rythmé au quai.
Fig. 14: Baumans-Deet (2005). Bavière 2010. Maquette
Fig. 15: Baumans-Deet (2005). Bavière 2010. Plan.
594
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
Mais la proposition du collectif dépasse ces seules
intentions. Le montage économique du dossier est
lui-même ambitieux, comme l’exprime la lettre de
motivation adressée au jury: «[…] Comment, dans
le cadre d’un projet immobilier d’envergure, ne pas
s’engouffrer de manière singulière dans les profon-
deurs de préoccupations purement économiques
ou esthétiques? L’affaire est-elle rentable ? L’objet
est-il séduisant?
Une timidité sceptique et parfois moqueuse pré-
serverait-elle avec bonheur le wallon d’une mon-
dialisation aseptisée, d’une attitude stérile et légère
consistant à déposer des objets construits parfois
séduisants, mais souvent destructeurs d’environne-
ments et de vies là où l’argent l’exige ou l’autorise?
Cette timidité aiderait-elle à ne pas nécessairement
mettre en avant la chose ou l’homme créateur de la
chose? Cette timidité ne serait-elle pas simplement
porteuse de générosité et d’attitudes équilibrées,
respectueuses de l’homme, de l’autre? Cette timi-
dité préserverait-elle d’un extrémisme aux multiples
visages? Au vu de l’arrogance de certains, cette timi-
dité ne serait-elle pas simplement juste?
Mais elle ne sera plus sceptique, elle sera optimiste.
Jamais moqueuse, mais fière.
Les entreprises composant ce consortium ont un
ancrage régional fort, souvent depuis plusieurs
décennies. L’esprit d’entreprise est basé sur des
notions d’exigence et de savoir-faire. Elles sont
recherchées et appréciées par des architectes répu-
tés et des maîtres d’ouvrage exigeants pour lesquels
tant une gestion et une exécution irréprochables
des dossiers que la capacité à s’adapter aux tech-
niques constructives les plus modernes priment.
Ces entreprises entretiennent très activement un
réseau dense et solide de sous-traitants spécialisés,
assurant ainsi la transmission d’un savoir-faire aux
générations à venir. De cette manière, ces entre-
prises participent activement et depuis longtemps
déjà à la construction d’une Wallonie durable.
[…] Le défi concernant l’aménagement du site de
Bavière correspond à la suite logique d’un processus
entamé dont le maintien et l’amplification s’avére-
ront indispensables à la survie d’un métier, d’une
culture d’entreprise… d’une Wallonie à la recherche
d’un nouveau souffle. […]»
L’ambition réside dans un refus d’une architecture
trop démonstrative, et coûteuse, et une construction
durable, à la fois sur les plans énergétiques que sur
la contribution qu’elle propose à sa localité. En par-
ticulier, le montage économique, coordonnant de
petits et moyens entrepreneurs locaux, est alors une
démarche rare en général, et inédite dans l’histoire
du site. Elle exprime la volonté d’acteurs locaux de
reprendre la main sur le réaménagement de Bavière,
après des années de projets espagnols, français et
anglais. Elle s’appuie en tous cas sur la participation
du réaménagement à une économie locale et à la
sauvegarde d’un savoir-faire liégeois.
Conscient du risque de présenter une équipe sans
expertise de gestion immobilière de grande ampleur,
le groupe s’associera tout de même, en seconde
phase, aux compagnies Servatius et QPark. Malgré
cela, la proposition est rejetée, sur le fil, pour favori-
ser un candidat au montage plus classique, mais non
moins ambitieux: la société Himmos. Concernant
cette défaite, Arlette Baumans, co-fondatrice du
bureau, relate: «Dans les entreprises, il y avait des
ouvriers qui pleuraient! Ils étaient tristes parce qu’ils
se réjouissaient de participer à un tel projet. C’était
aussi un peu la garantie de survie de ces entreprises,
un souffle nouveau pour elles. […] On faisait travail-
ler des centaines de personnes qui aujourd’hui n’ont
plus d’emploi», exprimant bien l’importance quasi
vitale que pouvaient alors occuper de tels projets à
Liège, pour ce type d’entreprises.
595
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
Anorak – DMT – Poponcini & Lootens
La proposition des architectes Anorak, DMT et
Poponcini & Lootens (POLO) est, elle, portée par le
groupe belgo-néerlandais Himmos. Les concepteurs
y prennent le parti de mêler trois types de relations
que le site de Bavière entretient avec son environne-
ment, selon eux: une relation paysagère (collines au
loin, Dérivation), une relation infrastructurelle (quai
de la Dérivation) et une relation urbaine (quartier
d’Outremeuse).
Cette intention se traduit d’abord dans l’articulation
par de vastes espaces publics de cinq immeubles
hauts et singuliers (8 à 18 étages) rythmant le quai de
la Dérivation, et de bâtiments plus bas (3 à 6 étages),
à l’échelle du quartier environnant, sur le reste de
la parcelle. Comme chez Baumans-Deffet, cette
option cherche à répondre au caractère infrastruc-
turel du quai, et d’utiliser Bavière comme une entrée
de ville marquante. Ce caractère est ici renforcé
par le choix d’utiliser des parkings semi-enterrés
comme socle pour les immeubles hauts, créant un
belvédère donnant sur la Dérivation au-dessus du
niveau des voitures.
Le plan d’implantation est régi par la relation à la
Dérivation vers laquelle les allées transversales
offrent des perspectives depuis l’aboutissement
des rues historiques donnant sur le boulevard de
la Constitution. Cette prolongation des rues crée
une trame au sein de laquelle se distribuent les
immeubles bas et de nombreux espaces extérieurs,
verts ou minéraux, publics et privés. Cédric Libert,
responsable du projet pour Anorak, explique: «La
qualité de la ville du XIXesiècle, c’est de faire des
Lot C
Lot B
Lot A
Lot D
Lot E
Lot H
Lot K
Lot F Lot G
Lot J
Lot L
Lot N
Lot M
Lot I
Fig. 16: Anorak. (2006). Documents d’avant-projet. Plan.Annotations de l'auteur.
596
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
places. La qualité de la ville du XXesiècle, c’est de
faire des objets totémiques décrochés du sol. […]
Idéologiquement, ces attitudes sont en opposition,
mais on a choisi à l’époque de travailler de façon à
absorber les deux collages.»Trois places publiques
sont créées: la piazza des Bonnes-Villes, autour de
la chapelle, la place de l’Hôpital, un vaste espace
minéral et végétal au cœur du site animé par des
lieux commerciaux et de restauration, et le parc de
Bavière, un espace végétal de plus de 5.000m² sur-
plombant la Dérivation.
Le programme entourant ces espaces est essentiel-
lement résidentiel, à l’exception de cellules commer-
ciales dans certains rez et une d’un hypermarché,
rue des Bonnes-Villes. Le hall omnisport est aussi
reconstruit face à l’Académie, laissant place à un par-
king arboré en entrée de ville. Le porche accueille, en
sus de fonctions de restauration et de commerces,
des ateliers, et la chapelle adjacente est reconvertie à
un usage culturel, censée accueillir 200 personnes. Il
forme par son angle une cour arrière semi-publique
à laquelle fait face une crèche. Enfin, d’autres ateliers,
associés à des fonctions culturelles, sont situés dans
le bâtiment de stomatologie, restauré. Les logements
sont répartis entre treize immeubles aux caractères
différents, leur conception fine étant confiée à dif-
férents bureaux d’architecture liégeois, eurégionaux
et internationaux de façon à «valider la vision d’une
ville multiple, diverse et métissée». Toutefois, les
documents de phase deux frappent par la précision
avec laquelle chacun des îlots capables a été déve-
loppé par l’équipe porteuse du projet. De nombreux
lots ont ainsi fait l’objet de plans d’intérieurs pré-
cis, démontrant les potentiels de chacun en termes
de spatialité intérieure et extérieure, tout en actant
des transformations possibles si les circonstances
l’imposaient. 590 logements au total sont prévus,
incluant des logements étudiants, des maisons uni-
familiales et des unités d’une à cinq chambres. Cette
attitude atteste d’une diversité certaine des typo-
logies proposées et des publics potentiellement
accueillis, dont la possibilité de convertir une par-
tie du parc immobilier en logements sociaux. Selon
Libert, cette diversification fut d’ailleurs l’objet de
nombreuses discussions internes avec le promoteur,
permettant de stabiliser un équilibre financier entre
les risques encourus par un développeur peu usé au
marché liégeois, sur un terrain coûteux, et les béné-
fices engrangés par la vente des appartements.
Le projet se déploie en quatre phases de construc-
tion déployées le long de l’axe de la Dérivation,
poursuivant petit à petit le tissu bâti résidentiel exis-
tant. Comme l’explique Libert: «Organiser le projet
en phases, c’était l’idée de se dire que ce territoire,
de la rue des Bonnes-Villes à l’angle Constitution/
Dérivation, on n’a pas du tout le temps le même rap-
port: d’un côté, on est déjà beaucoup plus au bout
du monde que de l’autre. On a décidé de commencer
par cette phase-ci pour être le plus proche de la phase
habitable du tissu classique du XIXesiècle. C’était à
la fois une manière d’engager l’échelle architecturale
la plus sobre des tissus bas, et de réaffecter les deux
bâtiments.» La première phase concerne en effet la
construction des îlots A, B et D, ainsi que la rénova-
tion du bâtiment-porte C et de l’institut de stomato-
logie J. Comme chez Quadrat et Audex, l’option est
prise de rénover rapidement les bâtiments de l’hôpi-
tal, pour éviter leur décrépissement et ancrer l’iden-
tité du nouveau quartier dans l’histoire locale. Les
autres phases se poursuivent par les immeubles en
Fig. 17: Himmos et al. (2006).
Documents de présentation commerciale. Maquette.
597
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
hauteur N, M et L puis E, F et G venant clôturer l’es-
pace public principal. En dernière phase, les îlots I et
K, la tour de 18 étages, auraient conclu l’ensemble.
La construction du hall sportif était indépendante
de ce calendrier de façon à garantir l’avancée du
projet tout en permettant une flexibilité nécessaire
à la Ville de Liège. Il est à noter que la volonté affi-
chée était de garantir la qualité de l’aménagement
des espaces publics durant toutes les phases de la
construction: «En plus, ce qui est important si bien
pour la vente que pour la qualité générale du site […]
Chaque phase prévoit son propre accès au site, ainsi
que son propre espace vert […] partiellement tem-
poraires, mais toujours propres, nets et utilisables.»
Deux ambitions spécifiques distinguent cette propo-
sition des autres candidats, mais aussi de l’ensemble
des projets pensés depuis les années 80. D’abord,
celui-ci fut le seul à réaffecter l’institut de stoma-
tologie après son abandon. Cette intention, et le
réseau de personnes attachées à celle-ci contribue-
ront d’ailleurs au long combat pour sa sauvegarde.
Anorak amorce là, en collaboration avec des ensei-
gnants de l’école d’architecture Saint-Luc, la mise en
valeur des qualités architecturales et patrimoniales
de cet édifice des années 30. Selon Libert, les raisons
de cette conservation sont cependant alors moins
une volonté de patrimonialisation que de «faire avec
le monde tel qu’il est», c’est-à-dire prendre acte de
ce qui est présent, et ne pas se contenter de le démo-
lir pour de seules raisons esthétiques, l’édifice étant
dans un bon état structurel. Cette attitude est alors
relativement avant-gardiste et en tous cas exem-
plaire pour la région liégeoise et le site de Bavière.
Ensuite, l’implication du célèbre paysagiste français
Michel Desvignes marque le projet d’une seconde
ambition. L’objectif était de planter 500 nouveaux
arbres sur le site au fur et à mesure des aménage-
ments en amenant l’élément naturel avant l’élément
architectural. Une pépinière devait être plantée le
long du boulevard pour permettre aux arbres de
pousser dans leur sol d’accueil, les individus les plus
grands pouvant être replantés au fur et à mesure sur
Fig. 18: Anorak (2007). Photographie de la pépinière vue depuis la dentisterie.
598
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
le site, laissant le temps et l’espace aux autres de se
développer. Ce principe était développé, mais jamais
réalisé, par Desvignes depuis près d’une décennie. La
pépinière fut plantée en mai 2007, faisant de Bavière
le lieu d’une expérience alors inédite dans le parcours
professionnel et intellectuel du paysagiste renommé.
Par ailleurs, Bavière sera un des derniers projets de
Bas Smet en tant que chef de projet pour l’atelier
Desvignes avant qu’il n’ouvre en 2007 sa propre pra-
tique, aujourd’hui internationalement reconnue.
Baumans-Deffet et Anorak-DMT-Poponcini &
Lootens, font donc montre, face à l’appel à intérêt de
la Ville de Liège, d’ambitions fortes et d’expériences
inédites, l’une sur le montage économique, l’autre
sur son attitude paysagère et architecturale. Elles
peuvent se voir comme autant de tentatives salu-
taires de sortir du cycle vicieux dans lequel le site était
plongé depuis 20 ans par une inventivité qui avait pu
faire défaut dans les propositions précédentes.
La victoire de Himmos ne doit par ailleurs pas seule-
ment s’interpréter à l’aune du Goliath de la multina-
tionale écrasant le David du consortium liégeois. Le
jeune bureau d’architecture Anorak, équipe motrice
du projet était également très ancrée dans le tissu
social liégeois, ses fondateurs étant eux-mêmes,
pour partie, des anciens étudiants et collaborateurs
de l’Institut d’Architecture Saint-Luc de Liège.
Les raisons du succès du projet de Himmos peuvent
être attribuées à au moins trois causes. D’une part,
celui-ci propose le plus de logements de tous les
candidats, initiant un mouvement de grands projets
résidentiels liégeois en prévision des augmenta-
tions démographiques. De plus, il est porté par un
seul financeur, à la réputation solide, notamment
après des interventions saluées sur le territoire
anversois. C’est là, pour le jury et la Ville de Liège,
une garantie de compétences et de la viabilité du
projet face à des groupes de financeurs dont une
partie peut toujours se retirer au cours du déve-
loppement, mettant à mal son équilibre. Enfin, les
ambitions affichées et les qualités du projet permet-
taient de faire de Bavière une vitrine internationale
du renouveau urbanistique liégeois. La qualité et
le nombre des espaces publics offraient des respi-
rations aux habitants d’Outremeuse, tandis que le
choix de bureaux de conception renommés (DMT,
Poponcini & Lootens, Michel Desvignes, Bas Smet,
Artau, Georges-Eric Lantair) pour certains mis en
compétition (Matador, mlzd, MDMA…) garantissait
l’attrait et la diffusion de ces réalisations au-delà de
la sphère liégeoise. Ces trois arguments furent si
convaincants qu’ils permettront de faire accepter
un nombre de places de parking restreint (1,5 p./
ménage) contre les usages habituels (2 p./ménage),
dégageant des surfaces vertes au sol et se reposant
sur les modes actifs (mobilité piétonne, cyclable,
transports en commun) à une époque charnière où
cela était encore loin d’être la norme pour ce type
de projet, alors aussi que de telles ambitions peuvent
encore aujourd’hui inquiéter des décideurs publics.
Si le processus d’appel à intérêt fut, pour Liège
et pour Bavière, exemplaire, les propositions en
confrontation de grande qualité et le projet lauréat
convaincant, des événements extérieurs mettront
cependant fin, à nouveau, à un développement qui
n’avait jamais été aussi proche de se concrétiser.
UN EFFONDREMENT
INATTENDU
En 2006, cette initiative figurait pourtant parmi 49
autres présentées au sein de l’exposition « Projets
urbains, la ville à venir » célébrant le renouveau
urbanistique liégeois. À nouveau, Bavière se fait
lieu d’espoirs dans une participation à la redynami-
sation économique et urbaine de la ville, aux côtés
de la rénovation du théâtre de l’Émulation, du cam-
pus du Val Benoit, ou de l’axe urbain Guillemins-
Médiacité, aujourd’hui réalisés en partie ou en tota-
599
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
lité. Des inquiétudes quant à la capacité de la ville à
attirer les occupants d’autant de logements appa-
raissent cependant au même moment. Ainsi, Leks
Verzijlbergh, directeur de la société de promotion
Servatius, avertit sur le risque de concurrence de
trois pôles de logements en développement sur le
territoire liégeois: le quartier des Guillemins, la cité
de Droixhe et l’aménagement de Bavière.
Les premières démolitions concernant les maisons
jouxtant l’ancien institut de stomatologie sont pla-
nifiées pour septembre 2006 et doivent précéder
de peu la plantation de 500 arbres. Le début des
travaux de construction est envisagé pour l’été 2007,
pour une occupation des logements de première
phase dès 2009. Les frênes prévus par Desvignes ne
seront cependant plantés qu’en mai 2007, réduits
à 350 faute de ressources en quantité suffisante.
Malgré quelques oppositions locales, le permis d’ur-
banisme pour la première phase est octroyé par la
Ville de Liège le 14 février 2008, suivi du permis de
démolition des 6 maisons, le 31 mars 2008.
Parallèlement au processus d’octroi du permis, un
autre enjeu interviendra en la matière du «Décret
sols» de 2008, renouvelant les normes wallonnes
de dépollution. Celui-ci impliquera pour le promo-
teur, sur demande la Ville, des analyses de sol puis
un plan de réhabilitation des sols à hauteur de 5 mil-
lions d’euros, alourdissant d’autant le montage éco-
nomique du projet.
La crise financière de 2007-2008 mettra la pression
de trop sur cette situation toujours plus risquée. La
crise réduit en effet le nombre d’acheteurs poten-
tiels des logements futurs, mais surtout, amène
Fortis Banque SA à retirer la garantie bancaire
qu’elle assurait au projet, suite au démantèlement du
groupe suivant ses importants investissements dans
les subprimes américains. Himmos annoncera en
conséquence la suspension du début des travaux en
décembre 2008, espérant une reprise au printemps
2009, alors même que des opérations de terrasse-
ment avaient débuté le long de la rue des Bonnes-
Villes. Malgré une tentative de la Ville d’attirer des
investisseurs, le projet restera au point mort.
La décision finale viendra du groupe parent de
Himmos, Heijmans. Affectée par la crise, la société
néerlandaise annonce mettre fin à toute activité
de promotion et de construction hors des Pays-
Bas en avril 2009. Gardant espoir, le porte-parole
de Heijmans Belgique affirme cependant encore :
«C’est un très beau projet, on s’est battu pour l’ob-
tenir, et on y tient. Si le marché reprend, que l’ap-
pétit des acheteurs retrouve un niveau normal et
que les conditions de financement des banques
s’améliorent, tout est possible.» Dans cette pers-
pective, Michel Firket prolongera en janvier la vali-
dité du permis d’urbanisme octroyé jusqu’en février
2011, tout en menaçant le promoteur d’une taxe
pour l’abandon du terrain. Malgré ces annonces,
les travaux ne reprendront jamais, laissant derrière
eux une pépinière de 350 arbres, boulevard de la
Constitution, un vaste fossé, rue des Bonnes-Villes,
et quelques affiches, dans le porche.
L’association de débat urbain urbAgora alors fraî-
chement fondée tentera ultimement de susciter
un engouement en défendant la nécessité de sau-
ver ce projet qualifié de «novateur» au sein d’une
conférence organisée en juin 2010. En présence des
acteurs clés, les qualités du projet étaient soulignées,
ainsi que des possibilités de viabilisation, notam-
ment par des mécanismes fiscaux. Cette initiative
n’eut cependant que peu de retombées.
600
CONTRAPPOSTO 3
VERS UN BAVIÈRE CULTUREL
Avant d’aborder le dernier volet de l’histoire de cet abandon, ce contrapposto donnera un peu
plus d’éléments humains quant aux personnes impliquées dans le projet Himmos, et la façon
dont celui-ci put aboutir à la défense de la création d’un lieu culturel à Bavière, tout autre de
celui que l’on connaît aujourd’hui.
ENTRE ARTS URBAINS ET OPÉRA
Le site, comme beaucoup de friches urbaines, a bien entendu attiré nombre d’artistes, graeurs
et photographes. Ceux-ci trouvent dans ces marges urbaines autant une source d’inspiration
qu’une liberté pour pratiquer leur art sans contrainte, voire une opportunité d’embellir ce que
l’on considère souvent comme des chancres.
Les graeurs et les pratiquants de l’urbex ont pratiqué Bavière dès la fermeture de l’hôpital.
L’arrivée de l’École Supérieure des Arts Saint-Luc dans la caserne Fonck, dès 2000, a cependant
alimenté ces pratiques. Nombre d’étudiants ont ainsi utilisé ce site voisin comme sujet et
support de leurs pratiques, parfois dans un cadre scolaire, mais surtout de façon spontanée.
Des interventions se sont concentrées sur un mur, objet d’un ouvrage de l’ancien assistant
parlementaire Marcel Conradt. Dans Mur en Liège, mur en vie…: mur assassiné!, l’auteur
témoigne de 10 années de «gras» sur le mur de protection de la chapelle Saint-Augustin et
du porche. Ces nombreuses interventions graphiques ont amené la Ville de Liège à les tolérer
et reconnaître, un temps, celui-ci comme mur d’expression publique. Une intervention au
conseil communal par Conradt, puis la publication de l’ouvrage rent l’occasion de dénoncer
le renoncement à cette tolérance, lorsque la Ville t repeindre entièrement le mur en septembre
2010. Par la suite, le mur retrouvera d’autres interventions, illicites celles-là. Les chantiers
récents, au cours de l’année 2021, ont cependant eu raison d’une partie conséquente de cet
ouvrage: les gravats accumulés contre le mur ont mené à son eondrement partiel, remplacé
par un simple grillage.
Ces pratiques artistiques se sont étendues à l’institut de stomatologie à sa fermeture en 2001.
Ses volumétries généreuses, ses formes travaillées et ses verrières, une fois empoussiérées,
brisées, taggées et squattées, en ont fait un support idéal pour les photographies d’urbex.
Son haut pan de mur aveugle, tourné vers le centre-ville et résultant des démolitions des
maisons le jouxtant, t aussi orné de la gigantesque inscription «SANGO», tenant de surnom
au bâtiment au sein des cercles qui pratiquaient les lieux.
Fig. 19: Cronet A. (2013). Sans titre.
Extrait de court métrage «Bave D’hiver», 00’43’’
Fig. 20: Jamar J. (2009). Intérieur de la dentisterie.
En ligne: photojamy.canalblog.com
601
La n de l’occupation précaire du porche, en mars 2008, ouvrira aussi la voie à son squat, et à ces
pratiques artistiques. Encore aujourd’hui, quelques audacieux s’y immiscent pour photographier
ou orner l’ancien hôpital de créations. Le lieu a toutefois mauvaise réputation, ramené bien
souvent à la dangerosité des populations toxicomanes infestant supposément le lieu.
Les pratiques artistiques dites «urbaines» ou «sauvages» font donc partie d’une histoire
culturelle de Bavière. En parallèle, des expériences plus formelles y ont vu le jour. En 2008,
la perspective des travaux de rénovation de l’Opéra Royal de Wallonie amène l’institution à
investir dans l’achat d’un vaste édice temporaire de 1.100 places, le chapiteau ayant accueilli
la Fenice vénitienne lors de ses propres travaux. Des oppositions citoyennes apparaîtront
contre son installation sur l’esplanade Saint-Léonard, amenant à l’ériger à Bavière, en face de
l’Académie Grétry. Le terrain sera asphalté en juin 2009, pour une construction durant l’été.
Le terrain, prêté à titre gratuit par Himmos, recevra de nombreuses représentations et leur
public jusque 2012, faisant singulièrement cohabiter deux pratiques culturelles distinctes: à
Bavière, certains graaient au son des opéras lyriques.
LA DENTISTERIE:
UN COMBAT CULTUREL ET POLITIQUE
Mais le projet culturel qui a le plus fait parler de lui à Bavière, avant le pôle provincial, concerne
l’institut de stomatologie. En 1993, l’ISA Saint-Luc accueille la collaboration pédagogique et
académique de Georges-Eric Lantair et Aloys Beguin au sein d’un cours sionné d’atelier
d’architecture et de recherches appliquées. Ceux-ci mettront les étudiants au travail dans
la production de scénarios de requalication de sites en Outremeuse, dont l’ancien hôpital
de Bavière. Cette démarche se concentrera dans la décennie suivante sur la reconversion
du patrimoine architectural moderniste liégeois menacé, dont la dentisterie deviendra un
élément pivot. La lettre de motivation de Lantair pour ce poste souligne déjà une philosophie
de la prise en compte du «déjà là», et de sa capacité à se réinventer, loin d’une vision de
simple conservation des bâtiments: «Les faits urbains et donc la spatialité urbaine sont des
ferments actifs. Ils ne sont pas gés une fois pour toutes dans leur conguration. À ce titre, ils
ne peuvent être enclos dans le seul champ de l’histoire.»
Début 2000, Cédric Libert, co-fondateur d’Anorak, collabore au sein de l’Atelier Georges-Eric
Lantair, puis comme enseignant aux côtés des deux confrères. Il n’est pas anodin que le seul
projet abouti pour Bavière conservant la dentisterie soit mené par Libert, membre d’un réseau
liégeois défendant la reconversion du bâti existant et la protection du patrimoine moderniste.
Pensé comme un tur lieu culturel et artistique, le bâtiment allait pouvoir renaître rapidement,
et prolonger ces enseignements.
La mise à l’arrêt des investissements de Himmos allait avoir raison du projet, mais pas de cette
idée. En 2008, le collectif citoyen «Liège 2015» mené par François Schreuer et Alain De Clerck
défend la candidature de la ville comme capitale européenne de la culture en collectant 22.000
signatures d’habitants de la commune, contre l’avis de la majorité politique. Le bourgmestre
Willy Demeyer leur proposera nalement de renoncer au dépôt de la candidature contre la
promesse de développer structurellement le secteur culturel et associatif, en particulier de
consacrer la dentisterie à un « institut de soutien aux arts émergents». La polémique qui
s’ensuivit amena nalement des membres du collectif à déposer ces signatures, rompant
formellement l’accord.
Les deux dynamiques – celle des enseignants de Saint-Luc et celle du milieu associatif culturel
– se retrouvent en 2012 en réaction au dépôt du permis de démolition du bâtiment par Himmos
peu avant la revente du terrain. Un forum sera d’abord organisé le 2 mai 2012 par Béguin
et Lantair, en partenariat avec la Cellule Architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les
services de l’Urbanisme de la Ville de Liège et le nouveau «Collectif dentisterie», mené par
Alain de Clerck et François Schreuer. Y seront présentés, à destination des nouveaux acquéreurs
du terrain, les qualités du projet Himmos-Anorak ainsi que des scénarios de sauvetage
602
et d’évolutions possibles de celui-ci devisés par les étudiants de la Faculté d’Architecture,
dont Florence Modave qui avait remporté l’année précédente la seconde place du Europan
Architecture Prize pour sa proposition. Malgré le peu de suites données à ce forum, Alain De
Clerck déclarera l’ancien institut de stomatologie constituer un endroit parfait pour y établir la
Maison de la Création promise dans le précédent accord de majorité de la Province, amenant
un nouvel acteur public sur le devant de la scène. Quelques mois plus tard, une partie des
acteurs de ce forum se retrouveront dans le collectif «Dentisterie.be». Le collectif défend
alors l’intérêt patrimonial du bâtiment et sa capacité à accueillir tantôt un «phare culturel
eurégional», tantôt les locaux de la nouvelle Faculté d’Architecture. La mobilisation mènera
le fonctionnaire-délégué à suspendre la demande de permis de démolition, le temps que le
nouveau promoteur précise ses intentions pour le site.
En parallèle, Beguin et Lantair alimenteront ce mouvement au travers de leur atelier
pédagogique «XXe – Reconversion» de 2013 à 2017. La dentisterie, entre autres bâtiments,
y sera étudiée en profondeur et des visuels frappants produits. Ces travaux seront défendus
publiquement : les professeurs organisent en 2016 un événement dans l’édice, où ils
réarment sa stabilité structurelle, une estimation des coûts et son potentiel de réaectation
avant une conférence du célèbre architecte activiste espagnol Santiago Cirugeda. L’écrivaine
Caroline Lamarche résume ainsi l’événement:
Investir, de nuit, l’ancienne Dentisterie de Bavière (débarrassée pour l’occasion
du gros des déchets abandonnés par les squatteurs), admirer la façade de
style Bauhaus illuminée par des lumières changeantes, rouges, jaunes, vertes
ou bleues, monter dans une semi-obscurité entre des murs ornés de gratis,
s’installer dans un auditoire décrépit aux sièges sommairement dépoussiérés,
attendre qu’un ordinateur se montre docile au PowerPoint préparé par des
étudiants en architecture… l’excitation monte, et le froid. Pour le néophyte
frigorié, la Dentisterie qui paraissait, de jour, dans un état désespéré, se voit
magniée par cette mise en scène nocturne aussi magique qu’étrange.
Fig. 21: NN Studio (2012). Ache Fig. 22: Atelier d’architecture XXe-Reconversion (2017).
Modélisation. Faculté d’Architecture de l’Université de Liège
603
Malgré le sursis accordé, un projet de réhabilitation ne verra jamais le jour, et aucune mesure
de préservation du bâtiment ne sera mise en place. Le nouveau promoteur, en la personne
de son directeur, Daniel Bacquelaine, plaidera ainsi un faible intérêt patrimonial, un état
structurel problématique, et un coût de rénovation élevé pour balayer les inquiétudes
formulées par Aloys Beguin quant à la dentisterie, lors de la réunion d’information publique
du 16avril2016 tandis qu’aucune intégration au nouveau pôle provincial ne t considérée
dans son développement.
Un dernier permis de démolition est signé le 17 janvier 2018 par le bourgmestre en suite d’un
appel du commissaire en chef de la police qui y relevait trois décès survenus en six mois et la
présence de toxicomanes. Cette décision suscite une résurrection particulièrement remarquée
de ce combat. D’une part, François Schreuer, en tant que conseiller communal, réclame un
délai suspensif à la Ville de Liège pour établir un projet de sauvegarde du bâtiment centré
sur des fonctions associatives et culturelles. Alain De Clerck, ensuite, occupe les alentours
du bâtiment et entame une grève de la faim, donnant l’occasion d’une manifestation d’une
centaine de personnes. Durant neuf jours, l’artiste enchaîne les prises de parole et lance une
pétition récoltant plus de 2.000 signatures, poussant la Commission royale des Monuments,
Sites et Fouilles à introduire une demande de classement du bâtiment qu’elle juge «non
négligeable dans l’histoire de l’architecture du XXe siècle en Wallonie ». Le ministre du
Patrimoine René Collin rejettera le dossier sur base d’un rapport négatif de l’AWaP, armant
que l’édice possède «une rareté nulle, un intérêt architectural faible». En cause, notamment,
la dénaturation de sa forme d’origine par un rehaussement dans les années 70. En réaction,
Alain De Clerck annoncera sa propre immolation par le feu. L’action se contentera cependant
d’un événement festif et les démolitions démarreront le 19 avril 2018.
Bien avant qu’un pôle culturel provincial ne soit envisagé, Bavière recouvrait déjà plusieurs
destins culturels aux yeux de certains Liégeois. Que ces initiatives soient spontanées, à travers
les arts urbains, institutionnelles, à travers l’Opéra de Liège, ou de nature plus associative, à
travers les mobilisations quant à la dentisterie, des imaginaires de création peuplaient bien
ce lieu à l’abandon qui allait bientôt connaître de grands changements.
Fig. 23: Giot M. (2018). Démolition de la dentisterie.
Dans Liège: début de la démolition de l’ancienne dentisterie de Bavière, RTBF.be, 19 avril 2018.
604
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
2012-…: LA CULTURE COMME MOYEN
NOUVEAU RACHAT ET
NÉGOCIATION SUR
FONDS PUBLICS
Face à la situation stagnante du réaménagement du
site, le Collège de la Ville de Liège se retrouve, à sa
rentrée de 2010, dans une situation délicate, quali-
fiée d’immobilisme par les oppositions écologistes
et libérale.
Une solution sera construite au cours de l’an-
née 2011. Le 2 février, la Ville fait inscrire le site
de Bavière en SAR (Site À Réaménager), une dis-
position légale facilitant le réaménagement de ce
site pollué, notamment dans une perspective de
constructions de logements avant de mettre en rela-
tion Heijmans avec la société de consultance Idée
SPRL, dirigée par Didier Donfut. En janvier 2012,
Heijmans mandate cet organisme, en collaboration
avec Wallonie Promotion et Communication SA,
dirigée par Michèle Lempereur, pour trouver un
repreneur. Cette collaboration mènera à un accord
pour l’acquisition du terrain par Galère, Kairos et
Thomas & Piron le 20 janvier. Cet accord tombe
idéalement, pour la majorité communale, six mois
avant le scrutin communal, un accomplissement qui
sera défendu par le premier échevin Firket lors de la
présentation du bilan de législature, en juin. Le pro-
jet vise alors à créer un quartier multifonctionnel
censé conserver les grandes orientations approu-
vées par les pouvoirs publics sans reprendre le pro-
jet Himmos tel quel. Le consortium envisage alors
un investissement de 200 millions, pour des réali-
sations se terminant en 2022 et un développement
de 400 à 500 logements. Dès ses débuts, l’investis-
sement public se joint à l’investissement privé pour
viabiliser le projet. L’Université y planifie l’installa-
tion de sa faculté d’architecture, puis l’extension de
ses services de sciences dentaires dès mars 2012. Du
côté de la Ville, au projet de reconstruction d’un hall
omnisport, s’ajoutent les possibilités d’une crèche et
d’une maison de repos. Enfin, en octobre suivant, la
société Kairos se désiste au profit de Ogeo Fund. Le
fonds de pension des intercommunales liégeoises,
une manne d’argent public, en vient à assurer la
garantie financière du projet, quand bien même la
direction du projet reste résolument privée.
Malgré cela, l’équilibrage financier et program-
matique demeure complexe, et prendra plusieurs
années de travail. En attendant, ce nouveau projet
pour Bavière se fait une occasion de plus pour la
Ville de Liège de redorer son blason urbanistique.
L’initiative fait ainsi partie des «12 projets métropo-
litains» du plan de ville 2012-2022 publié en mars
2013 tandis que les oppositions libérale et écolo-
gistes dénoncent un effet d’annonce, allant jusqu’à
mentionner Bavière, en septembre 2014 parmi
«douze travaux qui reculent».
UNE SOLUTION EUROPÉENNE
CONTRAIGNANTE
Ce sera finalement les fonds européens FEDER qui
permettront de dynamiser le projet. Deux candida-
tures à Bavière sont pressenties lors de l’appel à pro-
jets pour ces financements publics, en mars 2014:
l’édification d’un musée dédié à Georges Simenon,
ensuite abandonné, et le déplacement de la biblio-
thèque provinciale des Chiroux. Le projet provin-
cial n’était pas récent: la rénovation des bâtiments
existants avait déjà été envisagée dans le cadre de
l’appel précédent, mais rejetée, en partie car elle ne
concernait pas une nouvelle construction. Dès 2013,
des réflexions s’engagent quant à une implantation
sur un autre site: Tivoli, place de l’Yser, Bavière… En
définitive, le dernier sera choisi pour sa proximité
à des lieux culturels et créatifs liégeois (ESA Saint-
Luc, Manège Fonck, quartier Nord…) et le peu de
605
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
contraintes qu’imposait un site étendu et excentré.
Cet élan amènera le promoteur à produire à l’été
2013 de nouvelles esquisses. Ce plan divise alors le
terrain en lots distincts, avec peu de considération
pour les aspects architecturaux ou le caractère des
espaces publics créés entre les masses bâties. Il arti-
cule par ailleurs de nombreuses fonctions publiques
(Université, bibliothèque, hall sportif, crèche, com-
missariat, école) aux logements. La bibliothèque,
futur pôle culturel, est alors pensée comme un édi-
fice traversant s’ouvrant vers l’Académie Grétry et la
rue des Bonnes-Villes.
Après négociations, ce plan sera rapidement revu
pour tourner la bibliothèque vers l’Académie, tout
en cherchant à profiter du seul lien au paysage de la
Dérivation que le masterplan offrait. Une division
parcellaire sera actée en ce sens en février 2014. Il faut
noter la forme particulière tracée pour cette parcelle,
qui conditionnera le reste du projet et fixera l’avenir
du site. Celle-ci se définit par son vis-à-vis à l’Acadé-
mie Grétry, un axe arrière prolongeant le tracé de la
rue Théodore Schwann, un axe parallèle à la rue des
Bonnes-Villes et deux axes perpendiculaires au bou-
levard de la Constitution de façon à délimiter une sur-
face au sol nécessaire à l’implantation. En résulte une
forme irrégulière relativement contraignante pour
le projet de pôle culturel, mais aussi pour les formes
d’urbanisation possibles du site, cadenassant en
quelque sorte le cœur du triangle. Seules les pointes
en deviennent des aires capables mobilisables, dont la
forme est, par géométrie, contraignante, et dont une
est déjà occupée par le bâtiment-porte et la chapelle
Saint-Augustin. Dans ce cadre, l’intégration du bâti-
Fig. 24: Hennau L. (2015). Situations cadastrales.
Dans Pluris SCRL. Étude des incidences environnementales.
Urbanisation du Site de Bavière, p. 220.
Fig. 25: AGDP (2023). Extrait du plan parcellaire cadastral.
CADGIS, SPF Finances.
606
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
ment de la dentisterie devient la contrainte architec-
turale de trop pour l’équipe de conception, justifiant
une démolition déjà appelée de leurs vœux par les
investisseurs. Par ailleurs, cette division parcellaire
influente, en étant dépourvue de relation au quai de
la Dérivation, rendra ce rapport paysager difficile, en
particulier en comparaison à celui de Himmos, struc-
turé par cette relation.
Plus assurée quant à ce possible du financement
européen, la Province fera inscrire à son budget
extraordinaire de 2015 3,25 millions d’euros pour
l’achat de ce terrain à Bavière quelques mois après
le dépôt de sa candidature. Le projet, estimé à 40
millions d’euros plus 6 millions pour l’aménagement
des abords, dépasse la seule bibliothèque, établis-
sant un «pôle économique et culturel» articulant
le plus important centre de documentation wallon,
une maison de la création et une pépinière d’entre-
prise dédiée aux entreprises du numérique.
Cette annonce, et notamment les visuels liés, amè-
nera l’ASBL urbAgora, à réclamer que le projet soit
soumis à un concours d’architecture plutôt que
confié aux services internes, conformément aux pra-
tiques usuelles de la Province de Liège. Paul-Emile
Mottard, député provincial en charge de la culture,
défendra en retour la capacité des services tech-
niques, et le coût qu’engendrerait un tel concours,
soulignant qu’en l’absence des résultats de l’appel
FEDER, le tout restait hypothétique. Les résultats
positifs de l’appel, diffusé en mai 2015, permettront
à la Région wallonne d’octroyer un total de 28,5 mil-
lions au triple projet de «centre de ressources», de
pépinière d’entreprise et de maison de la création.
S’en suivra l’acquisition du terrain, divisant le site en
deux propriétaires distincts: la Province de Liège et
Foncière de Bavière.
Cette annonce sera rapidement suivie de la diffusion
par urbAgora d’une lettre ouverte signée par 120
personnalités belges et internationales réclamant ce
concours. La Province ne fera pas suite à cette inter-
pellation, soucieuse de limiter des budgets et des
temporalités désormais contraintes par les objectifs
européens. Paul-Emile Mottard déclare ainsi comp-
ter sur «une émulation interne pour produire un bâti-
ment emblématique» pour des raisons budgétaires.
Fig. 26: Services techniques, Province de Liège
(2015). Esquisse de modélisation 3D.
607
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
UN PROJET PRIVÉ TRÈS PUBLIC
Le projet d’aménagement du site se recompose donc
autour de cette locomotive culturelle. Le premier
projet, présenté en avril 2016, entend conserver le
bâtiment-porte, la chapelle Saint-Augustin et trois
arbres remarquables, favoriser les liaisons au paysage
de la Dérivation et mettre en valeur le bâtiment de
l’ancienne maternité. On retrouve dans le plan un
grand nombre des options prises dans des projets pré-
alables: prolongation de la rue Théodore Schwann,
création d’une place face à l’Académie Grétry, démo-
lition de la dentisterie et du hall omnisport, hauteur
de bâtiment croissante au fur et à mesure que l’on
s’approche des quais. En particulier, une tour de 70 à
88 mètres de hauteur est envisagée à la pointe nord-
est, tandis qu’un geste architectural d’une trentaine
de mètres doit prendre place à la pointe sud-est.
Le projet, conçu par les bureaux Assar et Audex, se
divise en 7 lots: CHU/ULG Institut de dentisterie. (lot
A: réhabilitation du bâtiment-porte), pôle de dévelop-
pement culturel (lot B), résidences étudiantes de 450
kots (lot C), crèche, commissariat, centre sportif et
résidence étudiante (lot D), Haute École provinciale
(lot E) et 299 à 358 logements (lots F et G), érigés sur
un parking de 1.050 places. Ces parkings, souterrains
ou demi-enterrés, impliquent une dévégétalisation de
la majorité de la surface du site et la surélévation d’une
partie des bâtiments par rapport à la rue, dont le pôle
culturel. L’investissement est alors estimé à 150 mil-
lions d’euros par UrBaLiège dont l’administrateur-dé-
légué, Yves Bacquelaine, affirmera qu’il s’agit du plus
grand projet privé liégeois depuis 1900.
La rupture aux grandes orientations urbanistiques
du projet Himmos est considérable. La part de loge-
ment est réduite de près de la moitié, mais condensée
sur les quais, occasionnant l’augmentation de la hau-
teur des bâtiments. Le nombre de parkings est aug-
menté, en correspondance avec une part majoritaire
de programme public, et la dentisterie est démolie.
Lot D
Lot E
Lot F
Lot G
Lot C
Lot A
Lot B
Fig. 27: Bavière Développement (2016). Modélisation 3D du master plan. Annotations de l'auteur.
Lot D
Lot E
Lot F
Lot G
Lot C
Lot A
Lot B
Lot D
Lot E
Lot F
Lot G
Lot C
Lot A
Lot B
608
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
La place du paysage et des espaces publics, centrale
dans le projet Himmos, est ici réduite à une part
congrue. Notamment, les liaisons paysagères vers la
Dérivation se résument à un dégagement occupé par
une rampe de parkings, offrant une vue depuis le pôle
culturel. Enfin, le choix de l’équipe de conception
(Assar, Audex et L’Atelier, trois bureaux belges impor-
tants, mais peu publiés; les équipes techniques de la
Province) témoigne d’une ambition plus restreinte
que celles abordées par le précédent promoteur,
convoquant à la fois des bureaux internationalement
reconnus et des agences de jeunes prometteurs.
Les réactions à cette présentation seront nom-
breuses. L'étude d'incidences les synthétisera en
46 points de questionnements et 10 thématiques.
Un point saillant de ces interrogations, souligné
par l’étude, est une absence d’espaces extérieurs de
qualité et un manque de définition du statut privé
ou public de ces espaces, qui trouveront quelques
réponses dans la seconde mouture du projet, contrai-
rement à d’autres options avancées par l’étude.
Avant qu’un projet amendé ne soit présenté, Bavière
sera encore un sujet médiatique à trois reprises. En
suite des révélations de la très médiatique « affaire
Publifin », deux journalistes publient d’abord des
articles mettant en cause le projet. Joël Matriche, en
mars 2017, soulignera la plus-value qu’a connue le
terrain depuis son abandon (multiplication par 3,5 du
prix par mètre carré entre l’achat de Espace Bavière
et celui de la Province) et l’identité du financeur
principal du projet, Ogeo Fund, le fonds de pension
de Publifin. La polémique concerne globalement
le repos des pouvoirs publics sur un développeur
privé pour la création de nombreuses infrastruc-
tures publiques destinées à un rachat à prix fort par
ces pouvoirs, alors même qu’une partie conséquente
de l’investissement provient d’un fonds public. Est
aussi mise en cause l’annonce de la construction de
ces différents projets par ce développeur avant que
tout marché public n’ait pu voir le jour, questionnant
le caractère démocratique de la démarche.
Le second journaliste, David Leloup, publiera en juin
2017 un dossier sur les investissements d’Ogeo Fund
pour la revue Dérivations dans laquelle Bavière est
une figure récurrente, et le vecteur d’alliances poli-
tiques et économiques mises en cause. Parmi ces
alliances multiples, l’intervention d’Ogeo Fund y est
lue comme un sauvetage «électoral» du projet. En
effet, rapidement après l’annonce du rachat, début
2012, le groupe BAM se retire du consortium suite à
un manque de liquidités, menaçant une nouvelle fois
la viabilité du réaménagement iconique quelques
mois à peine avant les élections communales.
L’arrivée surprise d’Ogeo Fund dans le groupe sera
annoncée le 4 octobre, soit dix jours avant le scrutin,
participant à la santé politique de la majorité socia-
liste. Cette mise en lumière comme les autres suspi-
cions entourant le montage du projet n’entraîneront
pas de poursuites particulières concernant Bavière.
Elles contribueront cependant à colorer l’initiative
de rumeurs d’opacité et de tractations douteuses qui
s’ajoutent au passé chahuté du dossier.
Ces révélations porteront d’ailleurs l’ingénieur-archi-
tecte Pierre Arnould à publier, en 2017 et 2018, une
alternative permettant la mise en place d’un vaste
parc public à Bavière plutôt qu’un projet auquel il
n’accorde «aucune approche mûrement réfléchie en
termes d’urbanisme». Il s’en prend ainsi à la program-
mation du pôle culturel, qu’il entend remanier: «tout
porte à croire qu’il fût l’objet de manœuvres spécu-
latives, les intérêts convergents entre la direction
d’Ogeo fonds [sic] et la présidence du Collège pro-
vincial de Liège n’étant plus à démontrer» selon lui.
Arnould propose une «Nouvelle donne», fondée sur
une conservation de la programmation initiale tout
en créant un vaste parc public. Dans une stratégie
similaire à son premier projet pour le site, il concentre
une part importante des programmes publics (pôle
culturel, école provinciale et services, CHU) dans
une infrastructure, une tour hors norme et emblé-
matique de 50 étages. Il combine à cette tour la mise
en souterrain de la section du quai de la Dérivation
609
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
comprise entre l’Institut Malvoz et la trémie du pont
de Bressoux, ainsi qu’une série de bâtiments résiden-
tiels ceinturant le triangle et cadrant l’ouverture du
parc vers le canal. La perte des surfaces bâtissables
au profit du parc est compensée par l’autorisation
de construire sur le domaine public, occasion de
restructurer la fin du boulevard de la Constitution.
À cela est combinée la proposition d’un ouvrage en
sous-sol de 5 niveaux visant à recevoir des surfaces
commerciales et un parking-relai d’un millier de
véhicules. Les bâtiments existants, y compris la den-
tisterie, sont voués à la rénovation, la bibliothèque
Chiroux, séparée du programme de pôle culturel,
occupant le bâtiment-porte. Il amendera en 2018
cette orientation pour prendre en compte la répar-
tition cadastrale actée et les délais européens liés
au budget FEDER en conservant le pôle culturel tel
quel, tout en le situant dans un ambitieux parc public.
Dans les deux cas, le site se voit structuré selon l’axe
de composition originel de l’hôpital et celui de la
rue Theodore Schwann et s’emploie à ouvrir le parc
public aux berges de la Dérivation.
Arnould propose une «Nouvelle donne», fondée sur
une conservation de la programmation initiale tout
en créant un vaste parc public. Dans une stratégie
similaire à son premier projet pour le site, il concentre
une part importante des programmes publics (pôle
culturel, école provinciale et services, CHU) dans
une infrastructure, une tour hors norme et emblé-
matique de 50 étages. Il combine à cette tour la mise
en souterrain de la section du quai de la Dérivation
comprise entre l’Institut Malvoz et la trémie du pont
de Bressoux, ainsi qu’une série de bâtiments résiden-
tiels ceinturant le triangle et cadrant l’ouverture du
parc vers le canal. La perte des surfaces bâtissables
au profit du parc est compensée par l’autorisation
de construire sur le domaine public, occasion de
Fig. 28: Arnould P. (2017). Visualisation 3D Fig. 29: Arnould P. (2017). Plan
610
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
restructurer la fin du boulevard de la Constitution.
À cela est combinée la proposition d’un ouvrage en
sous-sol de 5 niveaux visant à recevoir des surfaces
commerciales et un parking-relai d’un millier de
véhicules. Les bâtiments existants, y compris la den-
tisterie, sont voués à la rénovation, la bibliothèque
des Chiroux, séparée du programme de pôle cultu-
rel, occupant le bâtiment-porte. Il amendera en 2018
cette orientation pour prendre en compte la répar-
tition cadastrale actée et les délais européens liés
au budget FEDER en conservant le pôle culturel tel
quel, tout en le situant dans un ambitieux parc public.
Dans les deux cas, le site se voit structuré selon l’axe
de composition originel de l’hôpital et celui de la
rue Théodore Schwann et s’emploie à ouvrir le parc
public aux berges de la Dérivation.
Si cette proposition trouve un écho dans la presse, eu
égard au caractère spectaculaire de sa tour embléma-
tique, elle n’aura par contre aucun effet connu sur les
aménagements prévus et ne fera pas l’objet de com-
mentaires de la part des porteurs de projet. Pour cause,
l’utilisation de la voirie régionale du quai aurait impli-
qué des négociations difficiles, le gabarit exceptionnel
de la tour aurait pu aisément être contesté par de nom-
breuses personnes et le calendrier prévu par Bavière
Développement en aurait été largement affecté.
Malgré ce contexte chahuté, les diverses recom-
mandations de l’étude d’incidences mèneront le
promoteur à présenter un projet modifié le 29 juin
2017. Quelques différences notables sont à signaler
vis-à-vis de la première mouture. Le pôle culturel
est avancé sur la voirie, de façon à créer un appel
depuis le boulevard et à libérer un espace public plus
grand au cœur du triangle. Le niveau projeté du site
est également abaissé par une gestion des parkings
exclusivement souterraine. Les îlots des pointes
N-E et S-E sont retravaillés de façon à favoriser une
mixité de fonctions, intégrer une résidence-service
et mieux séparer les espaces extérieurs privés et
publics. Enfin, l’extension du porche de Bavière est
retravaillée dans un nouveau volume.
L’inclusion tardive du bureau de paysagisme Frys
entraînera également un retravail des abords du
pôle culturel, en particulier en ce qui concerne les
limites entre les parcelles provinciale et privée. La
différence de niveau et l’étendue minérale de la vaste
terrasse arrière, conséquence du parking souterrain,
s’articulent ainsi au reste du site par une bande de
jardins publics, quelques banquettes et de nouveaux
alignements d’arbres.
Du côté de la Ville de Liège, les intentions se sont
également précisées. Une grande esplanade pié-
tonne, qualifiée de «rambla », est projetée le long
du Boulevard de la constitution, menant au parvis
du pôle culturel, puis à un parc arboré, là où se tient
encore le hall sportif, à l’ombre des proéminences
du pôle et de la tour résidentielle. Une passerelle
piétonne est également annoncée s’élancer vers
le quartier de Bressoux, de façon à mieux relier les
deux rives. Au pied du porche de Bavière, le car-
refour est rétréci pour laisser la place à un parvis
annonçant l’ensemble piéton qui le suit. Ce projet
de réaménagement sera présenté le 30 avril 2018 au
conseil communal, sur base d’un subside FEDER
supplémentaire de 4,5 millions d’euros.
C’est aussi lors de cette séance que se révélera un
peu plus le projet du pôle culturel. Notons néan-
moins le caractère démonstratif de son architec-
ture, visant à contraster aux bâtiments de Assar plus
sobres et à démarquer cette institution publique du
reste des fonctions. Elle se marque en particulier par
une vaste résille métallique faisant office de pare-so-
leil et un décrochement dégageant des vues vers la
Dérivation et l’accès au parking souterrain.
Trois demandes de permis sont déposées lors de
l’été 2017 puis avalisées en mars suivant concernant
le pôle culturel (Province de Liège), l’aménagement
des abords et des voiries internes du site (Bavière
Développement) et celui des espaces publics l’entou-
rant (Ville de Liège), permettant au promoteur privé
de déposer en juillet 2018 un second permis portant
611
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
sur la construction de l’îlot D, soit cinq immeubles
de logements et une crèche situés à l’angle de la rue
des Bonnes-Villes et du quai de la Dérivation. Des
revendications portées par la plate-forme de vigi-
lance citoyenne Baviere.be susciteront 493 réclama-
tions de citoyens au sujet de ce permis. En suite, le
Collège remettra un avis favorable conditionné le 30
novembre 2018, faisant amender le projet qui rece-
vra un avis favorable en décembre 2019 et un octroi
en mars 2020. Il lui sera demandé notamment de
réduire l’aspect massif du bâtiment, de diminuer de
2.000m² la surface habitable, conformément aux
projections du masterplan, d’augmenter le nombre
de logements traversant et d’augmenter le nombre
de places de parking public. Cet avis s’accompagnera
de l’imposition de charges d’urbanisme visant à faire
financer par Bavière Développement la construc-
tion d’une passerelle cyclopédestre vers le quartier
de Bressoux. Les conditions de réalisation de ce
pont étant alors encore floues, ces charges seront
déplacées vers la détermination d’un prix quant au
rachat public de la crèche intégrée aux bâtiments.
Fig. 30: Bavière Développement (2017). Master plan.
Fig. 31: Province de Liège, services techniques (2017). Modélisation 3D.
612
BAVIÈRE EN PROJETS
XXX
Fig. 32: Kunysz P. (2021). Photographie de chantier depuis le quai de la Dérivation. 16/07/21
BAVIÈRE MAINTENANT…
ET DEMAIN?
Suite aux permis déposés, le premier coup de pelle
est mis pour la construction du pôle en avril 2019,
qui a peu à peu fait émerger l’imposant édifice
au-dessus du boulevard, actant une fois pour toutes
aux Liégeois que le site allait véritablement retrou-
ver une affectation majeure au cours de l’année 2023.
Le chantier des espaces publics entourant le site
démarrera, lui, par les premières opérations de réno-
vation de la rue des Bonnes-Villes en mai 2019, suivie
de celles du carrefour Constitution/Ransonnet et de
la portion du boulevard comprenant la vaste espla-
nade marquant l’entrée du pôle, juste à temps pour
son ouverture, avant que les travaux de la «rambla»
ne se poursuivent, selon toutes attentes, sur le reste
du boulevard. Restera à créer le parc public promis,
à la place du hall omnisport voué à la démolition, et
à le poursuivre par une passerelle cyclopédestre à un
horizon indéterminé.
Du côté de la construction privée, les perspec-
tives sont plus floues. Le chantier de l’îlot D et du
parking des îlots D et E commence en mars 2020,
pour une livraison prévue fin 2022. Pourtant, depuis
2018, aucune démarche formelle n’a plus été entre-
prise concernant le reste de l’urbanisation du site
pour des raisons peu discernables. Des hypothèses
613
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
peuvent être formulées: difficultés de ventes des
appartements au sein d’un marché compétitif,
attente de l’impulsion de l’ouverture du pôle, coût
des rénovations des bâtiments anciens…
Malgré les trois chantiers en cours, le reste des opé-
rations semble, pour l’instant, en suspens. Les projets
construits par Bavière Développement à destination
de la Ville et de la Province – le hall omnisport pour
l’un, la Haute École pour l’autre – se font discrets. Le
partenariat privé-public se voit livré aux difficultés
des finances publiques qui devront, à terme, rache-
ter ces investissements privés, alors même qu’elles
épongent durement, coup sur coup, les consé-
quences d’une crise sanitaire, des inondations ayant
frappé durement le territoire liégeois à l’été 2021,
puis celles d’une inflation galopante courant 2022.
Les immeubles et la tour de la pointe nord, investis-
sement essentiellement privé et pièce majeure du
quartier en devenir, ne font pas non plus parler d’eux,
pas plus que les rénovations des bâtiments existants.
Les services universitaires ont par ailleurs renoncé
à occuper la coûteuse rénovation du porche, sans
qu’un remplaçant ne soit connu. Récemment, des
réflexions auraient cependant été amorcées au sein
du CHU concernant une éventuelle implantation
sur le site de services remplaçant les polycliniques
Brull et Château Rouge (Herstal), parmi d’autres
options telles que Coronmeuse et Droixhe.
Cette situation interroge d’autant depuis les incen-
dies du bâtiment-porche en novembre 2017 puis
encore en novembre 2022. Des feux avaient déjà eu
lieu par le passé, souvent liés aux habitants infor-
mels de l’édifice. Toutefois, cet incendie, le plus
important qu’a connu l’ancien hôpital, entraînera la
destruction de sa toiture iconique. Rapidement, des
craintes pour la stabilité du bâtiment sont évoquées
par le propriétaire du terrain et le bourgmestre qui
seront apaisées par les rapports d’expertise. Sans
mesure de préservation, le bâtiment-porte reste
cependant, encore en 2022, à la merci des éléments
et de la déliquescence. Une situation similaire frappe
la chapelle Saint-Augustin. Mieux préservée, elle
n’en reste pas moins victime de l’humidité, des infil-
trations et des affres du temps face à une potentielle
restauration souvent évoquée, sans concrétisation.
Sa désacralisation, au profit d’activités culturelles,
est en tous cas prévue, sans que la nature de celles-ci
ou leurs modes de gestion et de financement ne
soient connus.
L’attribution des budgets FEDER aux projets publics
en 2015 était apparue comme la garantie d’une
impulsion rassurante pour Bavière Développement.
Contraignants, les calendriers stricts de ces finance-
ments européens ont toutefois été porteurs: le pôle,
comme ses espaces publics, sont en voie d’être inaugu-
rés, rapidement suivis d’un nouvel immeuble d’appar-
tements. Le reste du masterplan suivra-t-il cependant
cet élan? Après quatre années – certes agitées d’événe-
ments catastrophiques – sans mouvement visible de
la part des parties prenantes, l’historique du site pour-
rait nous rattraper. Le départ des services de dentiste-
rie universitaires du projet pourrait faire craindre que,
comme les cinémas, les piscines, le country hall ou la
patinoire avant eux, les programmes assurant l’équi-
libre financier du réaménagement finissent par voir
le jour ailleurs, laissant à nouveau le site en déroute.
Il est encore trop tôt pour le dire. Il faut espérer que,
contrairement aux craintes de Sophie Tilman en 2020
– quant à Bavière et à l’urbanisme liégeois en géné-
ral – il y a bien «un pilote dans l’avion», fût-il privé
ou public. À l’échelle de l’ancien hôpital, les maigres
informations qui filtrent à l’heure actuelle de la part
des porteurs de projet tendent en tous cas à entrete-
nir les appréhensions d’un «syndrôme» Bavière qui
résiste à tous les traitements.
614
AVANT DE CONCLURE: «L’EFFET BAVIÈRE»
Si, à Liège, «Bavière» a longtemps été synonyme de l’hôpital, la longue période d’attente
que je viens de présenter a peu à peu amené un second sens à ce toponyme. Bavière est
aujourd’hui parfois utilisé comme un symbole repoussoir, l’image de ce à quoi il ne faut pas
aboutir en urbanisme. Comment s’est opérée cette transformation?
Déjà en 1990, les services de géographie de l’Université de Liège, relayé par la presse, utilisent
Bavière comme étalon, mettant dos à dos ce site avec celui des usines Fibraline de Dison. En
1995, le site de la Gare de l’Ouest de Verviers est «trois fois plus grand que celle de Bavière»,
mesurant par là la diculté et les risques du dossier.
Le départ des militaires de la Caserne Fonck voisine est l’occasion de préciser ce qui se
cache derrière ce Bavière qu’il faut à tout prix éviter. Il s’agit de la situation d’un quartier
impactée par le départ d’une institution majeure, sans qu’un tur ait été envisagé pour son
site d’origine. Ainsi, dans le cas des casernes, «deux projets valent mieux qu’un» pour éviter
une nouvelle désertication du quartier déjà amorcée par le départ de l’hôpital, explique en
1995 Willy Demeyer, alors échevin responsable des bâtiments communaux. En 2001, c’est
le tur des casernes Saint-Laurent en voie de désaectation que Louis Maraite ne souhaite
pas retrouver dans la même situation que Bavière. En Outremeuse à nouveau, en 2014, Serge
Goreux, trésorier de l’association des commerçants de l’île, s’exclame quant à lui au sujet de
la démolition du Théâtre de la Place: «Démolir pour ne rien faire, non merci! Nous n’avons
pas besoin d’un nouveau Bavière.»
Mais Bavière, en urbanisme liégeois, équivaut également à un site qui connaît de nombreuses
promesses sans jamais voir aboutir de projets, comme lorsque le Comité de quartier du
Longdoz s’oppose, en 1997, à la fragmentation du projet de Cité audiovisuelle, souhaitant
«éviter un Bavière n°2». C’est même, des dires de l’ancien ministre Didier Reynders, une
«manie liégeoise» qu’incarne Bavière, souhaitant sortir le dossier du réaménagement du
quartier des Guillemins de l’indécision et des eets d’annonce en 2005.
C’est cependant au sujet du déménagement d’un autre hôpital, celui de Saint-Joseph,
dans le quartier Sainte-Marguerite, que l’échevin de l’urbanisme Michel Firket consacrera
la formule d’un «eet Bavière» à éviter à tout prix. Ce dossier alimente la stabilisation de
cette signication de Bavière: elle sera réutilisée par l’échevin en 2008, puis encore par le
conseiller communal Raphaël Miklatzki en 2010. Le parallèle sera nalement total quand, en
2013, le journal Le Soir titrera «Éviter un nouveau Bavière à Saint-Joseph».
À l’instar de la place Saint-Lambert, et de son chantier de 4 décennies, Bavière et son abandon
sont ainsi devenus une bête noire urbanistique locale dont on invoque le nom pour se
prémunir de pareil destin. Ce chapitre de l’histoire du quartier se clôture partiellement avec le
déménagement de la bibliothèque des Chiroux, qui vient donner une nouvelle coloration au
nom ancestral du site de l’ancien hôpital. Cela n’est pas sans complication: peut-on parler
«des Chiroux à Bavière»? Faut-il plutôt évoquer le «pôle des Savoirs Bavière»? Peut-être, mais
«Bavière», c’est aussi tout ce nouveau quartier qui doit se construire et raviver le site, comme
le clament les aches promotionnelles «{Baviè}RE» ceignant le triangle. La Province peut-
elle donc «s’approprier» le nom Bavière pour seul usage? À l’heure d’écrire, ces questions
font le sujet d’intenses réflexions internes au sein du cabinet du député provincial à la culture,
sur base d’apports citoyens sollicités dans le cadre d’un appel en décembre 2021. Gageons
qu’elles auront abouti à une solution adéquate répondant à ces épineux conflits sémantiques.
Une fois la question des « Chiroux à Bavière » résolue, peut-être faudra-t-il également
s’inquiéter de la possibilité d’un «Bavière aux Chiroux». Comme de multiples commentateurs
l’ont pointé, le départ de l’institution provinciale de ses vastes locaux va laisser un vide
considérable en plein centre-ville, sans qu’un projet de réaectation dénitif ait encore été
arrêté. Alors que d’autres locomotives de l’attractivité du quartier considèrent leur départ
(pensons par exemple à l’assureur Ethias), un potentiel repreneur reste à trouver. Il y a alors
peut-être à craindre que «l’eet Bavière» frappe à nouveau, ironiquement, suite au départ qui
aura permis de réaménager son site originel.
615
BAVIÈRE EN PROJETS XXX
CONCLUSION
Depuis bientôt quarante années, Bavière n’a donc
plus représenté seulement un hôpital à Liège, mais
surtout une friche urbaine et un repoussoir. Derrière
cette formule se cachent de nombreuses réalités
rarement documentées. L’ensemble des projets
urbanistiques qui y ont été pensés, les espoirs qu’ils
ont nourris et leurs échecs constituent une part
de l’histoire récente de la Cité ardente. Ils sont les
conséquences d’une situation socio-économique
difficile liée à la désindustrialisation, et autant de
tentatives d’y faire face. Que ce soit en vendant de
précieux terrains publics à prix fort ou en tentant
laborieusement d’orienter leur futur désormais sou-
mis aux aléas des investissements privés, ces projets
témoignent de stratégies plus ou moins fructueuses
de redévelopper le territoire urbain, parfois d’en
faire son profit, de nombreux acteurs politiques et
économiques, malgré un contexte peu amène.
De même, ces décennies n’ont pas été faites que d’at-
tente et de vide. Des personnes ont trouvé refuge à
Bavière, devenant tour à tour un lieu de pratiques
religieuses, de création et d’expression artistique, de
représentations culturelles, de militance urbaine,
d’abri pour les plus démunis, d’activités criminelles
aussi. En cela, Bavière a trouvé d’autres significations
pour de nombreuses communautés. Celles-ci sont
facilement ignorées, mais méritent tout autant d’être
documentées en ce qu’elles fondent une histoire
vécue et intense pour ces personnes qui ont fait vivre
Bavière au jour le jour depuis la fermeture de l’hôpital.
Bavière est tout autant devenu, dans la culture urba-
nistique locale, synonyme de délitement d’un quar-
tier, de manque de planification et des risques pro-
voqués par le départ d’une institution. Gageons que
l’ouverture d’un nouveau pôle des savoirs, au côté
d’un immeuble de logements et de sa crèche, per-
mettra de contribuer à remettre en question cette
lugubre signification. Encore faudra-t-il, confirmer
l’essai et faire aboutir l’ensemble des projets promis
pour «Reconstruire, Reconnecter, Revivre» Bavière,
et ce malgré des circonstances toujours plus diffi-
ciles et des investisseurs toujours plus prudents. Les
deux ensembles bâtis prometteurs ne pourraient en
effet que pâtir d’une attente trop longue, d’un chan-
tier qui ne se termine pas, d’une friche qui perdure
sans dire son nom. À défaut d’un aboutissement, ou
d’une réinvention profonde et durable du futur du
site, nous assisterions alors, comble de l’ironie, à un
nouveau Bavière… à Bavière!
Seul l’avenir pourra me donner tort, comme je l’es-
père. Pour autant, nous pouvons rester confiant que,
quel que soit le degré d’aboutissement des projets,
les Liégeois continueront d’arpenter le triangle de
Bavière, de le réinventer sans cesse et de contribuer
à son histoire quatre fois centenaire, hospitalière,
«frichière», urbanistique, culturelle.
Pavel Kunysz
Décembre 2022
Les références bibliographiques et notes alimentant ce
texte peuvent être trouvées en ligne ([adresse web])
ou en contactant directement l’auteur.