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Mondes du Tourisme
Articles | 2023
Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de
l’Anthropocène: discussion autour du projet de
réhabilitation du Montenvers, Chamonix
Reflexive tourism in mountain areas in Anthropocene times: Discussion on the
Montenvers rehabilitation project, Chamonix
Emmanuel Salim, Camille Girault et Kalpana Nesur
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/tourisme/6123
ISSN : 2492-7503
Éditeur
Association Mondes du tourisme
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Référence électronique
Emmanuel Salim, Camille Girault et Kalpana Nesur, «Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de
l’Anthropocène: discussion autour du projet de réhabilitation du Montenvers, Chamonix», Mond es du
Tourisme [En ligne], Articles, mis en ligne le 26 septembre 2023, consulté le 26 septembre 2023.
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Le tourisme réflexif en montagne à
l’heure de l’Anthropocène :
discussion autour du projet de
réhabilitation du Montenvers,
Chamonix
Reflexive tourism in mountain areas in Anthropocene times: Discussion on the
Montenvers rehabilitation project, Chamonix
Emmanuel Salim, Camille Girault et Kalpana Nesur
Introduction
1 Le tourisme a été abordé comme objet scientifique bien après son invention et sa
généralisation. Les nombreuses critiques scientifiques et médiatiques dont il fait l’objet,
par exemple pour dénoncer ses excès aménagistes, pour lui reprocher ses impacts
environnementaux néfastes tant localement que globalement, ou encore pour l’accuser
de bouleverser des équilibres territoriaux par l’exclusion d’une partie de leurs
résidents (Raspaud, 2011 ; Knafou, 2021), sont quasi consubstantielles aux premiers
travaux sur le tourisme, qui émergent dans les années 1960 (Gay, 2018). Alors que la
« massification » du tourisme apparaît comme un processus traduisant une
augmentation factuelle du nombre de touristes tout au long du XXe siècle et leur
concentration dans certains lieux emblématiques, la notion de « surtourisme » se
diffuse beaucoup plus récemment dans le vocable médiatique comme dans les analyses
scientifiques pour dénoncer des formes excessives de fréquentation touristique ayant
des effets sociaux et environnementaux particulièrement délétères sur les territoires et
les sociétés concernés par une telle surcharge, observée mais surtout perçue (Koens
et al., 2018). Le fait de considérer le touriste de manière négative n’est cependant pas
nouveau et on retrouve de longue date cette critique qui oppose les « touristes »,
Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de l’Anthropocène : discussion aut...
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supposément incultes et peu respectueux, et les « voyageurs », aux motivations plus
sensibles et plus louables (Jeanneret, 1995 ; Urbain, 2002). Aussi, la géographie et
l’anthropologie du tourisme nous invitent à déconstruire ces discours et ces
imaginaires (Duhamel, 2018 ; Gay, 2018). À titre d’exemple par rapport à notre terrain
d’étude, M. T. Bourrit, lors de son excursion au Montenvers en 1783, se plaignait déjà de
la surfréquentation liée aux quelques centaines de personnes par décennie qui
fréquentaient le lieu à cette époque (Debarbieux, 1988), montrant ainsi que les seuils
d’acceptation de la fréquentation touristique sur un site sont au moins autant liés aux
touristes eux-mêmes qu’aux hypothétiques capacités de charge des sites touristiques.
Ces critiques ont conduit au développement d’un vocable alternatif qui sert souvent de
modèle normatif : le tourisme « durable ». D’après l’Organisation mondiale du tourisme
(OMT), ce dernier entend « rendre compatible l’amélioration des conditions
environnementales et sociales qui résultent du développement touristique avec le
maintien de capacités de développement pour les générations futures1 ». Cependant, à
l’instar du développement durable, une telle expression s’avère potentiellement
oxymorique. Le « tourisme durable » a ainsi reçu son lot de critiques, notamment par
rapport aux seuils et aux capacités de charge qu’il requerrait tout en poursuivant
l’imposition d’une rhétorique politique et mercantile (Bourdeau, 2008) au détriment
d’indicateurs en termes de santé, d’éducation ou encore de lien social (Furt et
Antoinette Maupertuis, 2013).
2 Partant de ces premiers constats et en ne postulant aucunement la durabilité ou la
résilience des systèmes touristiques, il nous importe d’abord, dans cet article, de
considérer les effets du contexte de crise environnementale globale – que nous
désignerons ici par le terme d’Anthropocène – et de prise de conscience multiactorielle
et multiscalaire des enjeux écologiques dans le cas du tourisme, spécifiquement en
montagne. En effet, la trajectoire du tourisme en tant que système d’acteurs, de
pratiques et de lieux (Knafou et Stock, 2003) semble structurellement affectée par ces
changements et la montagne, où ces effets sont visibles et prégnants, apparaît comme
un cadre d’étude propice.
3Puisqu’il associe des enjeux politiques, économiques, culturels, environnementaux et
territoriaux, le tourisme est volontiers qualifié, selon l’expression maussienne, de fait
social total (Cousin et Réau, 2009), une conception épistémique qui résonne
particulièrement à l’heure de l’Anthropocène puisque les touristes et les acteurs du
tourisme sont à la fois responsables et victimes des impacts du tourisme sur
l’environnement. En somme, ils participent à son développement aux échelles locales et
globales tout en subissant directement, en retour, ses conséquences. Ainsi, le tourisme
serait responsable de plus de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales
(Lenzen et al., 2018) et, en même temps, serait l’un des secteurs les plus touchés par
l’ensemble des conséquences du changement climatique (et donc par un excès
d’émissions de GES) (Mora et al., 2018). À l’échelle du Pays du Mont-Blanc – désignation
du territoire touristique de la haute vallée de l’Arve par les acteurs publics –, la
fréquentation touristique dépasse les 12 millions de touristes par an (hors années
Covid), dont près de 5 millions en été. Ces déplacements induisent nécessairement des
émissions de GES, d’autant plus que près de la moitié de la clientèle touristique est
étrangère. Par ailleurs, on observe clairement une tendance à la baisse de la
fréquentation estivale au cours des vingt dernières années2. Si l’on ne peut établir de
lien direct et exclusif entre cette tendance touristique et l’Anthropocène, nous pouvons
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néanmoins faire l’hypothèse que l’évolution des paysages glaciaires contribue au
ralentissement de l’attractivité de ce territoire. De plus, face à une telle situation,
planétaire comme locale, nous formulons également l’hypothèse que ni les touristes ni
les autres acteurs touristiques ne restent indifférents ; leurs pratiques et leurs choix
traduisent des stratégies d’adaptation, même si ces dernières manquent en partie de
cohérence. Le projet de réaménagement du site du Montenvers (voir infra) s’inscrit
dans cette logique et renvoie aux contradictions entre les discours et les actes des
acteurs. L’accompagnement scientifique et la sensibilisation environnementale sont
promus comme des leviers d’un renouvellement de l’attractivité touristique et, plus
profondément, comme une reconsidération de la manière d’être touriste. Cependant, on
peut se demander si un tel tourisme réflexif ne s’avère finalement pas être un énième
avatar d’un système touristique qui reproduit des logiques éprouvées à des fins de
rentabilité économique.
4 Ainsi, l’objectif de cet article est d’observer et de comprendre les évolutions des
pratiques et des aménagements touristiques du site du Montenvers à l’aune de
l’Anthropocène. Plus largement, il s’agit de discuter la notion de tourisme réflexif en
déconstruisant l’articulation entre les soubassements politiques et économiques d’un
tel projet de réhabilitation de ce site touristique historique et emblématique.
5 Nous reviendrons d’abord sur la notion d’Anthropocène, avant de contextualiser le
projet de réaménagement du site du Montenvers par rapport à l’histoire longue de ce
site touristique et de la réalité des études scientifiques sur la Mer de Glace. Puis, sur la
base d’une méthodologie hybride associant entretiens, analyse des résultats d’études
scientifiques précédemment menées sur ce site et analyse critique de documents de
présentation du projet, nous discuterons les intérêts et les limites de la notion de
tourisme réflexif.
L’Anthropocène comme cadre de pensée inégalement
considéré par les acteurs touristiques
6 Apparu au seuil du XXIe siècle (Crutzen, 2002), le terme d’Anthropocène désigne une
nouvelle époque géologique où les activités humaines sont devenues les principales
forces d’influence du climat et de l’environnement à l’échelle globale (Latour, 2015). Le
Groupe de travail sur l’Anthropocène de la Commission internationale de stratigraphie,
chargé d’établir les preuves géologiques fondant la reconnaissance scientifique de
l’Anthropocène, suggère que celui-ci débute en 1950, en lien avec les retombées de
radionucléides, visibles à l’échelle mondiale et issues de l’explosion des premières
bombes atomiques (Alexandre et al., 2020). Tout en reconnaissant les apports des
concepts critiques de Capitalocène, de Plantationocène ou encore d’Oliganthropocène
(Bonneuil, 2017 ; Ferdinand, 2019 ; Swyngedouw, 2014), nous utiliserons ici le concept
d’Anthropocène pour décrire les influences de l’humain sur l’environnement à l’échelle
globale, sans statuer sur les raisons socio-politico-techniques qui les sous-tendent, qui
ne sont pas l’objet de cet article. Les températures moyennes à l’échelle du globe ont
augmenté d’environ 1,1°C pour la période 2011-2020 par rapport à la moyenne de
référence 1850-1900 (IPCC, 2021), et ce principalement en raison des émissions de GES
anthropiques. Les touristes se heurtent dès lors à plusieurs dilemmes et paradoxes :
faire le choix d’aller visiter certains lieux menacés par le changement climatique en
dépit de l’impact environnemental de leurs séjours (D’Souza et al., 2021), plus
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largement arbitrer entre un choix individuel de mobilité touristique et le renoncement
dans un souci écologique à des déplacements lointains et motorisés. Au-delà des autres
vulnérabilités du système touristique, mises au jour par la crise du Covid-19 (Gössling
et Schweiggart, 2022), l’adaptation aux conséquences d’un tel réchauffement sera par
conséquent l’un des enjeux majeurs du tourisme au XXIe siècle, à la fois localement et
globalement (Scott, 2021). Dans ce contexte, la disparition de la cryosphère est l’une des
conséquences principales du changement climatique pour le tourisme en montagne
(IPCC, 2019). Deux exemples sont particulièrement parlants : l’évolution des activités
touristiques liées au ski alpin dont les conditions de pratique se dégradent à la fois
temporellement et spatialement (Gilaberte-Búrdalo et al., 2014) et le tourisme glaciaire,
défini comme une forme de tourisme dont l’objet principal est la rencontre avec un
glacier, dont l’objet même est menacé à courte échéance (Sommer et al., 2020).
Cependant, les stratégies d’adaptation des différents acteurs touristiques peinent à
intégrer les connaissances scientifiques dans leur planification (Salim et al., 2021c).
Dans les deux cas précités, la disparition de la cryosphère entraînerait une raréfaction
voire une disparition de la principale ressource sur laquelle s’appuient ces offres
touristiques.
7 Les touristes eux-mêmes sont aujourd’hui conscients de ces changements
environnementaux et de la disparition probable de certaines ressources touristiques.
Les études portant sur la popularité de certaines destinations touristiques, comme la
Grande barrière de corail en Australie (Piggott-McKellar et McNamara, 2017) ou la baie
d’Hudson au Canada (D’Souza et al., 2021), témoignent d’une volonté des visiteurs de
voir ces lieux avant qu’ils ne disparaissent. Cette idée a été conceptualisée dans la
littérature anglophone sous le terme de « tourisme de la dernière chance » (Last Chance
Tourism) pour désigner les cas où les visiteurs de certains sites touristiques se pressent
afin d’observer un élément (le plus souvent naturel) avant sa disparition (Lemelin et al.,
2010). Cette pratique touristique a soulevé des débats éthiques autour du fait que les
visiteurs, souvent bien conscients du changement climatique, de ses causes et de ses
conséquences, mettaient paradoxalement en danger les éléments qu’ils venaient
observer par les émissions de GES associées à leur déplacement (Dawson et al., 2011 ;
D’Souza et al., 2021). Cet aspect paradoxal doit donc se comprendre à l’aune de jeux
d’échelles dans le temps et dans l’espace. Les émissions de GES sont d’abord considérées
comme un problème global et de long terme alors que le choix d’un séjour touristique
relève, pour chaque touriste, d’un choix individuel, de court terme et apparemment
peu impactant à cette échelle temporelle. Cette ambiguïté scalaire sous-jacente se
retrouve plus largement dans les politiques environnementales. Cependant, il semble
que, parmi les motivations de ces touristes, figure l’idée de mieux éprouver et de mieux
comprendre les processus à l’œuvre derrière le changement climatique, et donc une
recherche de réflexivité (Salim et al., 2020). Cette constatation fait écho à l’idée
développée par Knafou (2017) qui propose l’expression de tourisme réflexif pour désigner
un type de tourisme dans lequel le touriste est mis dans une situation l’amenant à se
questionner sur les causes et processus menant à un évènement (par exemple, en
réfléchissant aux causes sociologiques ou psychologiques ayant conduit à l’holocauste
dans le cas du camp des Milles à Aix-en-Provence). Il ne s’agit plus uniquement
d’exposer une information, mais d’inviter le visiteur à réfléchir sur ses pratiques et à
« faire le tri dans ses connaissances et […] chercher à se situer vis-à-vis des enjeux en
cause » (Knafou, 2017, p. 7). Dans le cas précis du tourisme réflexif sur des sites
glaciaires de montagne, il est à comprendre comme un souhait de la part de touristes
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sensibilisés au recul glaciaire d’éprouver concrètement la réalité d’un réchauffement
climatique global afin de se rendre compte et de prendre conscience de la nécessité
d’agir en réponse à la crise environnementale globale. Il peut également être entendu
comme le souhait des acteurs de mettre en avant ces éléments et ces arguments dans
leur offre touristique. Abordé de la sorte, le tourisme réflexif permet d’expliciter
certaines des contradictions auxquelles sont confrontées les sociétés dans le cadre des
défis de la transition écologique.
Mener l’enquête au Montenvers, un site faisant l’objet
d’un projet majeur de réaménagement et de
revalorisation
8 À travers le développement de centres d’interprétation glaciaire (Salim et al., 2021c) et
la mise en avant de la valeur scientifique des glaciers, jusqu’alors principalement mis
en ressource pour leur valeur esthétique (Bussard et al., 2021), les transformations
actuelles du tourisme glaciaire apparaissent possiblement comme une forme
d’adaptation au changement climatique, en ce sens qu’elles diminuent la vulnérabilité
des sites et, par conséquent, renouvellent leurs modes de promotion qui se basaient
essentiellement sur la valeur esthétique des glaciers. À ce titre, les opérateurs de l’un
des sites touristiques glaciaires historiques des Alpes françaises – le Montenvers et sa
fameuse Mer de Glace – ont annoncé en 2021 un projet de réhabilitation et la
construction d’un centre d’interprétation des glaciers et du climat d’une ampleur
inédite3. Les détails de ce projet peuvent être consultés dans l’avis délibéré de la
mission régionale d’autorité environnementale (MRAe) du 27 septembre 20214.
L’annonce de ce projet offre l’opportunité de questionner la manière dont l’entrée dans
l’Anthropocène influence le projet d’aménagement d’un site largement impacté par lui
et la manière dont cette dynamique fait du Montenvers un site propice aux tensions
entre tourisme réflexif et stratégie touristique lucrative des acteurs locaux.
9 La Mer de Glace fait partie des premiers glaciers alpins à avoir été mis en tourisme au
milieu du XVIIIe siècle. Après la visite des Anglais W. Windham et R. Pococke en 1741, le
Montenvers est rapidement devenu l’un des sites touristiques glaciaires les plus
fréquentés des Alpes (Joutard, 1986). De nos jours, environ 400 000 visiteurs viennent y
admirer le glacier chaque année5, ce qui en fait le deuxième site touristique le plus
fréquenté de Savoie, après l’Aiguille du Midi. Ce site touristique permet aujourd’hui à
ses visiteurs, via un accès par le train à crémaillère inauguré en 1909, d’observer la Mer
de Glace depuis plusieurs « terrasses », mais aussi d’assister depuis la terrasse
principale à des conférences et des lectures du paysage dispensées par des glaciologues
durant l’été. La descente au plus proche du glacier est possible à l’aide d’une télécabine
et de quelques 580 marches (un nombre qui augmente chaque année à mesure que le
glacier s’amoindrit, voir figure 1) pour visiter une grotte de glace creusée chaque année
depuis 1946. Il est aussi possible de visiter la « galerie des cristaux » et le « glaciorium »,
respectivement une exposition de cristaux et un petit centre d’interprétation glaciaire ;
de dormir au Grand Hôtel du Montenvers, construit en 1880 et rénové en 2017 ; de
manger dans trois restaurants et snacks ; de partir faire différentes randonnées ou
d’accéder à différents refuges en passant par le glacier. En hiver, de nombreux skieurs
descendant la Vallée Blanche (descente à ski de haute montagne reliant l’Aiguille du
Midi à Chamonix par la Mer de Glace) rejoignent Chamonix en utilisant le train du
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Montenvers (figure 1). En somme, et au regard des activités proposées et pratiquées, le
tourisme au Montenvers semble avant tout être lié à des expériences de contemplation
et à la pratique d’activités récréatives de nature, plutôt qu’à la recherche
d’informations scientifiques et d’expériences réflexives. Mais il semble que les
motivations des touristes comme l’offre touristique soient en train d’évoluer.
Figure 1. Carte de situation du bassin de la Mer de Glace et du Montenvers
Photos:E.SalimetS.Abrial.L’extensiondelaMerdeGlaceprovientdel’inventaireGLIMS(Global Land
Ice Measurements from Space)de2013.
10 En plus d’être une attraction touristique de longue date, la Mer de Glace est également
un glacier particulièrement suivi par les scientifiques. Ainsi, de nombreux travaux
permettent de comprendre ses dynamiques depuis plusieurs siècles (Le Roy et al., 2015 ;
Nussbaumer et al., 2007 ; Vincent et al., 2019). Les données du programme Glacioclim
permettent notamment de montrer que le front de la Mer de Glace a reculé de
2,5 kilomètres depuis 1850 (dont un tiers depuis 1996) et que son épaisseur a été réduite
de 100 mètres au niveau du Montenvers depuis 1991 (Vincent et al., 2007). La Mer de
Glace est donc un marqueur visuel fort des conséquences en cours de l’Anthropocène,
d’autant plus que les modélisations les plus pessimistes estiment que le glacier ne sera
plus visible depuis le Montenvers à l’horizon 2050 (Peyaud et al., 2020). De plus, à
travers les visites successives de responsables politiques français (Manuel Valls en 2015,
Emmanuel Macron en 2020), le Montenvers est également un haut lieu de la
communication politique en matière environnementale.
11 Le projet de réhabilitation dont il est ici question intervient dans le cadre du
renouvellement de la délégation de service public (DSP) de la commune de Chamonix-
Mont-Blanc confiée à la Compagnie de la Mer de Glace – filiale de la Compagnie du
Mont-Blanc créée pour l’occasion – pour la gestion du site (2021-2054). Ce projet de
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revalorisation et de développement du site du Montenvers propose deux modifications
majeures : la suppression de la télécabine actuelle et son remplacement par une
nouvelle, qui irait plus bas et plus en amont du bassin de la Mer de Glace (figure 1) ; et
la construction d’un « Centre d’interprétation international des glaciers et du climat »
de grande envergure.
12 Pour questionner les dynamiques qui sous-tendent ce projet, il convient de revenir sur
son fonctionnement actuel et sur la manière dont les gestionnaires de ce site réagissent
à l’avènement de l’Anthropocène. Pour ce faire, six entretiens semi-directifs, réalisés
entre 2019 et 2020 avec différentes parties prenantes de l’ancienne DSP, seront
mobilisés. Nous avons interrogé plusieurs responsables de la Compagnie du Mont-Blanc
et du site du Montenvers, de la Communauté de communes de la vallée de Chamonix
ainsi qu’un responsable de la construction de la grotte de glace. Ces entretiens avaient
pour objectif de mieux comprendre la perception que les acteurs ont du changement
climatique, de son impact sur l’exploitation du site et des stratégies d’adaptation
développées. Cette première série d’entretiens sera complétée par cinq autres, réalisés
en 2021 avec les responsables de la Compagnie du Mont-Blanc et divers acteurs de la
médiation scientifique intervenant sur le site du Montenvers. Cette seconde série
d’entretiens visait plus particulièrement la compréhension des dynamiques ayant sous-
tendue le développement des actions de médiation scientifique et des divers acteurs,
notamment financeurs, impliqués. Un récapitulatif des personnes rencontrées et des
thématiques abordées est disponible à l’annexe 1. Tous les entretiens ont été réalisés
sur place, enregistrés avec l’accord des participants, puis retranscrits et analysés à
l’aide du logiciel MaxQDA. Ils ont duré entre 45 minutes et 1h30. Nous avons également
analysé la littérature grise portant sur le projet de réaménagement du site (rapport de
la commission des sites, de la mission régionale d’autorité environnementale, du
Conseil général de l’Environnement et du Développement durable [CGEDD], éléments de
promotion, dossier de presse). Enfin, la transformation des attentes et des perceptions
des visiteurs étant importante pour bien comprendre l’influence de l’Anthropocène sur
ce site glaciaire, nous aurons également recours à des publications scientifiques
réalisées sur le site du Montenvers à propos des motivations, perceptions et
comportements des visiteurs.
L’Anthropocène comme clé de lecture pertinente du
fonctionnement du Montenvers
13 Le retrait de la Mer de Glace entraîne évidemment de nombreux changements dans la
manière dont le site du Montenvers fonctionne. L’un des premiers mentionnés par les
personnes interrogées est la difficulté grandissante d’accès au glacier du fait de la
diminution de son épaisseur. Pour rejoindre la grotte de glace depuis la télécabine
construite en 1988 au niveau du glacier, il fallait descendre (puis remonter) plus de
580 marches en 2020. Outre l’effort physique que cela implique pour les visiteurs, cet
allongement de l’accès au glacier entraîne une surcharge de travail pour les opérateurs
du Montenvers, qui doivent assurer la sécurité des visiteurs en prévoyant une vigie,
sécuriser le cheminement exposé à des chutes de blocs, le déneiger en hiver, sans
compter que le personnel travaillant à la maintenance de la grotte de glace est lui-
même concerné par cet allongement.
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En termes d’exploitation, on met beaucoup plus de temps à ouvrir la grotte
qu’avant. Puisqu’il va falloir, […] la déneiger et entretenir le chemin, pareil pour les
grotus [personnes qui creusent la grotte], ça se sent même l’été, puisque le
cheminement pour accéder [à la grotte] est plus long. (E1)
14 L’augmentation de la charge de travail du personnel du Montenvers est également
visible en hiver : en sus du déneigement, ils doivent s’assurer et attendre que toutes les
personnes descendues par les marches et celles arrivant de l’Aiguille du Midi soient
bien remontées avant le départ du dernier train. Cela peut parfois allonger les horaires
de travail des employés de plusieurs heures et nécessite également du personnel
supplémentaire, ce qui induit donc potentiellement une augmentation des coûts
d’exploitation.
15 La perte d’épaisseur du glacier entraîne aussi une évolution des itinéraires d’accès aux
refuges du bassin de la Mer de Glace, comme l’avaient déjà signalé Mourey et Ravanel
(2017). Associée au développement de la couverture de débris supraglaciaire, la perte
d’épaisseur de glace induit en outre une augmentation du temps nécessaire pour
effectuer la descente de la Vallée Blanche : le manque de neige nécessitant parfois de
déchausser les skis bien avant le Montenvers. La fonte accélérée du glacier induit par
ailleurs une augmentation du risque de chute de pierres au niveau de l’entrée de la
grotte de glace, bien que la fonte soit ici atténuée par l’installation de bâches de
protection. Le creusement de cette grotte de glace se heurte également au
ralentissement de la progression du glacier puisque lorsque la vitesse d’écoulement du
glacier était suffisante, il était possible de construire chaque année la grotte dans de la
glace neuve au « même endroit ». Aujourd’hui, la quasi-immobilité du glacier nécessite
de chercher une glace neuve en amont, ce qui augmente le temps de parcours et la
longueur de passerelle nécessaire (figure 2).
Figure 2. Passerelles d’accès à la grotte de glace
E.Salim,juin2021
16 Enfin, les différentes personnes interrogées parmi les gestionnaires et les acteurs
touristiques se montrent inquiètes pour l’attractivité du site. La première raison est
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liée à la fermeture, parfois précocement dans la saison, de la grotte de glace et à
l’insatisfaction perçue chez certains visiteurs par les opérateurs du site.
Depuis x années, on s’aperçoit qu’on a de moins en moins d’attractivité par rapport
au glacier, où on va dire que 100 % des clients qui montent à la Mer de Glace disent :
« Ouais, enfin, moi, j’étais venu là pour un glacier, je vois un champ de
cailloux ». (E3)
17 La deuxième raison est liée au fait que la construction de la grotte de glace n’est pas
assurée dans le futur. De l’avis même du principal acteur de la société qui l’exploite,
seules quelques années d’exploitation seront encore possibles en l’état
Nous, aujourd’hui, on va faire avec, voilà ; si on peut pendant dix ans [continuer],
s’il y a la nouvelle télécabine […]. Mais moi, toute mon équipe sait très bien que,
bon, ça ne va pas continuer. (E4)
18 Enfin, la perte d’attractivité perçue et redoutée par les opérateurs interrogés est liée au
changement paysager. Il s’agit à la fois d’une réduction de la part de la « glace » dans le
paysage, mais également de l’engrisement du paysage glaciaire. En somme, dans
l’imaginaire collectif des touristes, un glacier doit être blanc et bleu clair (voir infra)
tandis que « là, ils voient une langue glaciaire recouverte de débris ; certains visiteurs
sont donc déçus » (E2). D’après les opérateurs présents sur le site, ce changement
paysager est source de mécontentement récurent et de déception pour les visiteurs.
Bien que d’autres enquêtes aient montré que l’insatisfaction des visiteurs liée aux
changements des paysages glaciaires reste faible (Salim et al., 2021d), on observe
factuellement que la fréquentation du site du Montenvers est en baisse tendancielle
depuis les années 2000 (figure 3). Questionnés à ce sujet, les opérateurs du site
considèrent que cette baisse de fréquentation est liée à un phénomène de report de flux
suite aux travaux de rénovation de l’Aiguille du Midi en 2015, site qui connaît depuis
une augmentation de sa fréquentation. Pourtant, certains répondants engagés dans les
actions de médiation considèrent que la mise en place des conférences haut-parlées sur
la terrasse du Montenvers est une réponse à la baisse de fréquentation du site et du peu
d’activités proposées il y a dix ans pour faire face à l’accroissement de la durée d’accès
au glacier. Ces conférences permettent en outre de nos jours d’apporter du contenu lié
au paysage, « d’expliquer ce que les gens voient », « sans être trop négatifs », car « ils
sont en vacances » (E7, E11). D’après un acteur impliqué, ces conférences permettent
« d’expliquer au client pourquoi les glaciers fondent » (E10).
Figure 3. Évolution de la fréquentation du site du Montenvers entre 2000 et 2018
DonnéesissuesdeSavoie-Mont-Blanc-Tourismeincluantlenombredemontéesentrainetlenombre
dedescentes.
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19 Si, historiquement, le site du Montenvers a connu de nombreuses évolutions liées aux
fluctuations de la Mer de Glace, notamment depuis 1850 et la fin du petit âge glaciaire,
il semble que les processus géomorphologiques en cours soient plus fréquents et plus
intenses aujourd’hui (Salim et al., 2021b).
Le Montenvers et la Mer de Glace comme révélateurs
de l’Anthropocène : éclairage par les travaux menés
auprès des visiteurs du site
20 Cette crainte exprimée par les opérateurs touristiques d’une insatisfaction grandissante
des visiteurs du Montenvers peut s’expliquer par les résultats d’autres études portant
sur des pratiques touristiques autour des glaciers à travers le monde, dans lesquelles
les visiteurs ont pu exprimer une certaine déception liée au changement des paysages
glaciaires (Garavaglia et al., 2012 ; Stewart et al., 2016). Pour le Montenvers, deux
études ont été réalisées, portant à la fois sur les motivations qui mènent les visiteurs
jusqu’à la Mer de Glace et sur la manière dont ils perçoivent le paysage une fois sur
place. Intéressons-nous aux résultats de ces études.
21 Dans la première, Salim et al., (2021d) ont questionné la manière dont le paysage
glaciaire est perçu par les visiteurs du Montenvers. Par le biais d’entretiens semi-
directifs, il s’agissait d’une part de comprendre quels éléments du paysage amènent les
visiteurs à formuler un jugement positif ou négatif ; puis, à l’aide d’une enquête
quantitative, de chercher à évaluer d’autre part la potentielle insatisfaction des
visiteurs vis-à-vis du paysage. Les résultats montrent que le paysage est perçu
positivement par la grande majorité des visiteurs. Ainsi, si l’esthétique paysagère est
appréciée de manière globale, les perceptions négatives se concentrent sur le glacier en
lui-même, à la fois du fait de son faible volume et de sa couleur peu blanche, les
nombreux débris rocheux à sa surface étant associés à l’idée d’une « nature dégradée ».
Les résultats quantitatifs confirment cette observation par un taux d’insatisfaction très
faible.
22 Au-delà des questions de satisfaction, ce travail montre à quel point le paysage glaciaire
du Montenvers est révélateur d’une entrée évidente des sociétés contemporaines dans
l’Anthropocène. Au-delà des éléments déjà évoqués, on retrouve dans les jugements
négatifs exprimés l’idée d’un paysage empreint localement des conséquences de
l’activité humaine en général sur l’environnement. Le retrait de la Mer de Glace, bien
perçu par les visiteurs, peut être vécu comme la perte d’un objet lié à l’identité des
personnes ou, plus largement, comme la disparition progressive d’un bien commun de
l’humanité. Dans certains cas, voir le paysage les amène à engager des réflexions sur
leurs pratiques et sur l’action de l’humain sur l’environnement, réflexions qui peuvent
être vécues négativement ou positivement suivant les visiteurs. En somme, le paysage
glaciaire du Montenvers est caractéristique d’un paysage de l’Anthropocène – dans le
sens où il donne à voir les effets de l’humain sur l’environnement à l’échelle globale, via
une manifestation locale – et est perçu comme tel par ses observateurs (même si ces
derniers n’usent pas nécessairement du terme « Anthropocène »).
23 Dans la seconde étude, Salim et al. (2020) se sont concentrés sur les motivations des
visiteurs à venir sur le site. Leurs résultats montrent que si les visiteurs ont comme
principale motivation le fait de venir voir un beau paysage, le glacier ou encore d’être
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proches de la nature, l’urgence de voir la Mer de Glace avant qu’elle ne disparaisse fait
également partie des motivations de premier ordre. Comme cela a été mis en évidence
par ailleurs (Dawson et al., 2011), plus les visiteurs expriment des motivations liées au
tourisme de la dernière chance, plus ils sont conscients des problèmes
environnementaux et de leurs propres actions sur l’environnement. Cependant, au-delà
de la simple urgence à voir un élément en cours de disparition, Salim et al. (2020)
montrent que les visiteurs peuvent également choisir de venir au Montenvers pour
constater le retrait glaciaire ou pour mieux comprendre les processus complexes en
cours et relatifs au changement climatique. Dans d’autres cas, ils peuvent considérer le
glacier comme un objet patrimonial qu’il importe de protéger puis de transmettre aux
générations futures. Cependant, bien que certaines études tendent à montrer que la
visite de lieu « en danger » influence les intentions d’agir pour l’environnement (Miller
et al., 2020 ; Salim et al., 2022), il reste très difficile d’évaluer si l’expérience touristique
du Montenvers induit des changements comportementaux durables chez les visiteurs,
tout en sachant que la responsabilisation des individus apparaît potentiellement
comme une forme de déresponsabilisation politique (Hache, 2007).
24 Ces études montrent donc que la Mer de Glace est aujourd’hui bien identifiée par ses
visiteurs comme étant en cours de disparition et également perçue comme un
marqueur de l’Anthropocène. Il apparaît en outre que certains visiteurs du site du
Montenvers s’y rendent dans une démarche réflexive qui vise à mieux comprendre les
dynamiques environnementales actuelles et le rôle que l’humain y joue. Ces
thématiques sont aujourd’hui reprises par les gestionnaires du site et par les acteurs
touristiques locaux.
Réhabilitation du Montenvers, adaptation et médiation
du paysage
25 Pour les porteurs du projet, la réhabilitation du Montenvers entend « renouveler l’offre
touristique afin de faire face aux effets du changement climatique6 ». La première phase
du projet, prévoyant le démontage de la télécabine actuelle et la mise en service de la
nouvelle en décembre 2023, vise principalement à pallier les problématiques d’accès
précédemment évoquées. Ainsi, cette nouvelle télécabine, de 581 mètres de long,
permettra de parcourir 203 mètres de dénivelé et de s’affranchir des 580 marches
actuelles, facilitant à la fois l’accès estival au glacier pour les visiteurs et les guides de
haute montagne et la remontée des skieurs effectuant la descente de la Vallée Blanche
en hiver. Selon les dirigeants de la nouvelle Compagnie de la Mer de Glace – filiale de la
Compagnie du Mont-Blanc, une société à but lucratif –, il s’agit également de permettre
aux visiteurs de « vivre l’expérience de la glace » décrite comme « une expérience
unique remplie de sens et d’émotions avec des contenus scientifiques » (E7),
notamment en garantissant, pour quelques années encore, le creusement de la grotte
de glace. Mais les dirigeants sont également conscients du caractère temporaire de
cette facilité d’accès. Les modélisations du retrait de la Mer de Glace permettent
d’envisager une exploitation jusqu’au mieux 2040-2050 (Peyaud et al., 2020 ; Vincent
et al., 2019). Le projet de télécabine a donc été entièrement pensé pour pouvoir être
réversible et démontable, une fois le glacier disparu – ce qui, par ailleurs, est une
obligation légale depuis la Loi de modernisation, de développement et de protection
des territoires de montagne adoptée en 2016, dite loi Montagne 2, qui précise que
Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de l’Anthropocène : discussion aut...
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« l’autorisation d’exécution des travaux est assortie d’une obligation de démontage des
remontées mécaniques et de leurs constructions annexes, ainsi que de remise en état
des sites. Ce démontage et cette remise en état doivent intervenir dans un délai de trois
ans à compter de la mise à l’arrêt définitive de ces remontées mécaniques7 ».
Concernant un potentiel allongement ultérieur, la Commission des sites, dans son avis
favorable rendu le 1er octobre 2020, indique que l’implantation prévue sera « la limite
maximum à ne plus jamais dépasser8 », condition également requise par la Commission
départementale des sites dans son avis du 1er juillet 2020. Une limite revendiquée par la
Compagnie de la Mer de Glace qui dit ne pas « [courir] après la glace » (E7).
26 Bien que cette limite posée à l’extension et l’adaptation au changement climatique
soient évoquées par les porteurs de projet, l’impact environnemental et climatique de
ce dernier semble discutable. En effet, comme le soulève l’avis de la MRAe, aucun bilan
carbone du projet n’a été réalisé et il est probable que l’augmentation du nombre de
visites prévu et la portée internationale du projet exerce une influence négative sur ce
point. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que les enjeux financiers pour la
Compagnie du Mont-Blanc sont colossaux.
27 Le deuxième volet du projet, celui qui nous intéresse le plus ici, entend faire du
Montenvers un site touristique doté d’« un glaciorium unique au monde9 ». Ce centre
d’interprétation glaciaire10, prévu sur trois niveaux, ambitionne de créer un parcours
conduisant le visiteur à travers plusieurs espaces thématiques qui se succèdent : « Des
glaciers et des hommes » retracera les aspects historiques du site ; « Découvrir les
glaciers » présentera les processus et dynamiques glaciaires ; « Étudier les glaciers »
abordera les recherches scientifiques menées autour des glaciers ; « L’observatoire du
climat » présentera les dynamiques climatiques, leurs liens avec les glaciers et les
projections futures liées au changement climatique ; enfin, un « survol » numérique,
présenté comme une expérience immersive, permettra au visiteur d’observer le
paysage glaciaire depuis le ciel11.
28 Plusieurs acteurs publics et privés impliqués dans le projet estiment que l’un de ses
objectifs majeurs est de redynamiser la fréquentation du site du Montenvers par un
complément d’offre touristique tout en améliorant l’expérience client. « Pour cela, il
est important de rénover le site avec une nouvelle image tournée vers une dimension
culturelle et scientifique » (E10). D’après les données fournies par Savoie-Mont-Blanc-
Tourisme, entre 2000 et 2018, le nombre de passages au Montenvers a diminué
d’environ 12 %. Si cette baisse de fréquentation peut être attribuée à plusieurs facteurs
– notamment la redynamisation du site tout proche de l’Aiguille du Midi, qui connaît
une dynamique inverse sur la même période –, elle est principalement, pour les
répondants, la conséquence de l’évolution du paysage glaciaire. Si certains membres de
la structure exploitante estiment que cette fréquentation nouvelle doit être recherchée
sur les marchés internationaux, la construction du nouveau centre d’interprétation
vise également à dynamiser la venue des groupes scolaires et à faire du Montenvers un
« laboratoire » in situ, un lieu propice à l’éducation à l’évolution glaciaire et au
changement climatique. Des locaux permettant l’organisation de séminaires
scientifiques ou d’entreprises sont prévus, un indice que la Compagnie du Mont-Blanc
cherche à diversifier son modèle économique en se positionnant également sur le
marché du tourisme d’affaires – un secteur qui n’est au demeurant pas incompatible
avec le tourisme réflexif.
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Le Montenvers, un archétype du tourisme réflexif ?
29 Le projet porté par les opérateurs du Montenvers semble accentuer la dimension
interprétative présente au sein des sites touristiques glaciaires alpins (Salim et al.,
2021a). Le projet, tel qu’il est pensé, entend faire du site un « observatoire » ou un
« centre de recherche » sur le changement climatique et ses conséquences. Cet objectif
entre en résonance avec les motivations des visiteurs du site, qui intègrent les
dimensions d’apprentissage et de compréhension du changement climatique, comme
c’est le cas pour d’autres sites glaciaires (Lemieux et al., 2018 ; Purdie et al., 2020). La
mise en avant d’éléments permettant une meilleure compréhension des processus liés à
l’Anthropocène semble également importante pour tenter de maximiser les intentions
des touristes à adopter des comportements responsables et soutenables. À ce titre,
certaines études portant sur le tourisme autour des ours polaires montrent qu’une
mauvaise compréhension des liens entre Anthropocène et disparition des ours entraîne
une baisse d’intention d’agir pour l’environnement (Miller et al., 2020) et que
l’influence de l’humain – et des comportements touristiques – est encore mal
appréhendée comme jouant un rôle dans l’Anthropocène (D’Souza et al., 2021). Au-delà
de l’information, Knafou (2017) estime qu’un site touristique qui entend mobiliser les
capacités réflexives du touriste doit adopter d’autres approches, émotionnelles ou
cognitives, qui incitent le touriste à une remise en question et à une réflexion sur sa
place dans le processus étudié. Autrement dit, pour le Montenvers, il ne s’agit pas
uniquement de mettre en avant les informations connues sur le changement
climatique, sur le retrait glaciaire et ses impacts, mais bien d’amener le touriste à
réfléchir à sa place et à son rôle (par ses actions, ses voyages, ses comportements) dans
ce contexte, en mobilisant aussi bien les leviers rationnels que les leviers émotionnels.
30 Cependant, si ce projet représente l’opportunité de développer, face à la Mer de Glace,
un tourisme réflexif visant à questionner l’Anthropocène, il reste pour la Compagnie du
Mont-Blanc à résoudre les contradictions fortes que ce projet porte, entre soutenabilité
affichée et recherche de maximisation de la fréquentation touristique. Lors des
entretiens réalisés, les porteurs du projet indiquent comme objectif une augmentation
de l’attractivité du site, notamment via les marchés internationaux. De plus, une
certaine tension peut être identifiée entre la volonté des opérateurs du site de montrer
et d’expliquer les effets du changement climatique et la volonté de satisfaire les
visiteurs. Cette tension, déjà identifiée par Nesur et al. (2022), s’exprime dans certains
entretiens portant sur la médiation scientifique. Par exemple, un acteur du site indique
clairement que les informations au sujet du changement climatique doivent être
présentées sans tomber dans un catastrophisme ou une culpabilisation des visiteurs qui
« sont en vacances » (E11). Cet argument des vacances vient ainsi légitimer un discours
« consensuel » sur l’Anthropocène, en écho à un certain adage qui voudrait que « la
vacance des grandes valeurs crée la valeur des grandes vacances » (Morin, 1962). De
plus, et de l’aveu d’une personne impliquée, le discours actuellement produit sur la
terrasse par les glaciologues porte principalement sur le constat des évolutions en
cours, mais très peu sur les solutions à apporter. Par ailleurs, la tension évoquée
envisage le touriste comme un individu à « ménager », qui n’est pas en mesure
d’apprécier positivement un phénomène complexe nécessitant une réflexion sur ses
propres actions. En contrepoint, on peut ajouter à la discussion qu’une étude
canadienne récente montre que l’ajout d’informations concernant le changement
Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de l’Anthropocène : discussion aut...
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climatique et ses conséquences dans des visites guidées sur glaciers aurait plutôt
tendance à entraîner une augmentation de la satisfaction des participants (He et Hinch,
2021).
31 La première contradiction est peut-être la plus difficile à résoudre. Comme le
rapportent Clivaz et Savioz (2020), 80 % des émissions de GES liées au tourisme de la
vallée de Chamonix sont constitués des trajets que les touristes effectuent pour s’y
rendre. En 2018, la clientèle internationale représentait environ 43 % des nuitées
touristiques et para-touristiques hivernales et 40 % des nuitées estivales de la vallée de
Chamonix12. Dans ce contexte, atteindre les objectifs climatiques (a minima respecter
les Accords de Paris) nécessite une réduction importante des émissions qui est a priori
incompatible avec une augmentation de la fréquentation touristique, notamment
internationale. Dans le cadre de ce projet, rentabiliser les plus de 35 millions d’euros
investis semble incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de GES. Le
paradoxe entre le développement d’un tourisme réflexif sur les questions
d’Anthropocène et les déplacements touristiques internationaux qu’il implique s’avère
donc fondamental et insoluble pour les gestionnaires. Ce point est d’autant plus saillant
que la récente inscription de l’alpinisme – en lien avec le massif du Mont-Blanc – au
patrimoine culturel immatériel de l’Unesco pourrait accentuer l’attrait international
d’une destination comme la vallée de Chamonix (Debarbieux, 2020). La résolution de ce
paradoxe nécessite de comprendre dans quelle mesure le tourisme domestique pourrait
être privilégié et s’il est compatible avec la montée en gamme qu’instaure la logique de
rentabilité de ce projet (50 euros le billet complet aller-retour depuis Chamonix une
fois le projet terminé contre 38 euros aujourd’hui13). Une dynamisation de la clientèle
locale est également une voie à explorer, notamment avec les publics scolaires, visés
par le projet. La question financière reste cependant en suspens et nécessiterait une
analyse économique plus poussée.
32 La deuxième contradiction semble plus facile à résoudre en ce qu’elle requiert un
changement de regard sur le touriste pour le considérer comme un individu capable de
réfléchir aux informations qui lui sont transmises. Le développement du tourisme
réflexif au Montenvers pourrait également augmenter l’attractivité pour les publics
locaux et nationaux tout en permettant l’émergence d’un lieu dédié aux réflexions sur
l’Anthropocène, la géomorphologie du site et le caractère historique de ses
aménagements s’y prêtant particulièrement.
Conclusions
33 Le site du Montenvers est particulièrement impacté par l’entrée dans l’Anthropocène.
Les entretiens menés avec les gestionnaires du site montrent que le retrait glaciaire et
les processus associés entraînent une modification de la manière dont le site est géré,
ainsi que des difficultés supplémentaires en termes d’accès et de sécurité. Ces
évolutions font de ce site un marqueur de l’Anthropocène, et c’est également ainsi qu’il
est perçu par les visiteurs. Si les modifications esthétiques de la Mer de Glace
n’entraînent pas une baisse trop importante de la satisfaction des visiteurs, elles sont
néanmoins très révélatrices des changements climatiques en cours et de l’entrée
effective dans l’Anthropocène. Le projet de réhabilitation du site, dans sa dimension
éducative, peut donc permettre de concrétiser pour les visiteurs le concept abstrait
d’Anthropocène, ici dans sa dimension climatique. La réalisation de ce projet se heurte
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cependant à deux contradictions. La première est liée à la hausse de fréquentation
attendue du projet, qui se fera probablement principalement sur les marchés
internationaux du fait de la montée en gamme nécessaire à la rentabilité des
investissements. Dans un contexte de nécessité de réduction des émissions de GES et
partant du constant que, dans la vallée de Chamonix, la majorité d’entre elles
proviennent, pour la partie tourisme, des déplacements touristiques internationaux,
l’augmentation de la fréquentation internationale dans un site réflexif dédié à
l’Anthropocène est une aporie. Cette contradiction peut également être appréhendée à
l’aune de la tension entre logiques de rentabilité économique et logiques de
responsabilité environnementale. La deuxième contradiction réside dans le fait de
limiter le discours produit sur l’Anthropocène au nom de la satisfaction de la clientèle
touristique. Contradiction qui peut facilement être levée en changeant le regard porté
sur le touriste et en augmentant la part des excursions scolaires et du tourisme
domestique. Outre ces contradictions et paradoxes, le projet du site du Montenvers
semble, par le reflet qu’il offre des changements environnementaux en cours, propice à
la création d’une approche réflexive à travers laquelle les visiteurs pourraient voir,
comprendre et sentir les conséquences de l’Anthropocène tout en développant une
réflexion sur la part de leurs actions dans ce processus. D’une manière plus théorique,
le développement du tourisme réflexif pourrait entraîner un renversement de
l’imaginaire du tourisme de la dernière chance – perçu plutôt négativement comme
l’exploitation d’un objet en voie de disparition – vers l’imaginaire de la réflexivité dans
lequel ces objets sont utilisés comme supports au développement d’un discours incitant
à l’introspection et à la réflexion. Le développement du tourisme réflexif à propos de
l’Anthropocène semble aujourd’hui nécessaire pour participer au changement de
paradigme requis si l’on entend résoudre les problèmes qu’il suscite. Il devrait donc
porter en lui les pistes de solutions que nos comportements peuvent apporter, tout en
soulignant la nécessité qu’ils soient accompagnés d’un changement de paradigme plus
global en matière de gouvernance territoriale, notamment vis-à-vis de la vision
néolibérale du développement touristique. Un approfondissement du concept de
tourisme réflexif pourrait être engagé à l’aune de la perception des pratiquants. À ce
titre, de futurs travaux pourraient-être menés afin de mesurer la compatibilité et
l’opérationnalité de ce concept sur le site du Montenvers, voire au sein d’autres lieux
liés à l’Anthropocène, et d’analyser l’écart potentiel entre l’objectif des acteurs et
l’expérience des visiteurs.
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ANNEXES
Annexe 1. Liste des entretiens réalisés
Personnes interrogées Thématiques abordées
Impacts et adaptation au changement climatique
2019 E1 Responsable d’exploitation du
Montenvers
Perception du changement climatique
Perception de l’impact du changement
climatique sur le Montenvers
Description des impacts perçus par les
acteurs sur le fonctionnement du site
Stratégies d’adaptation développées
2019 E2 Responsable de la Compagnie du Mont-
Blanc
2019 E3 Responsable de la Compagnie du Mont-
Blanc
2019 E4 Responsable de l’exploitation de la
grotte de glace du Montenvers
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2019 E5 Responsable à la Communauté de
communes de la vallée de Chamonix
2020 E6 Responsable de l’office du tourisme de la
vallée de Chamonix
Médiation scientifique
2021 E7 Responsable de la Compagnie du Mont-
Blanc Origine des projets de médiation
Objectifs du projet
Financement du projet
Mise en œuvre du projet et difficultés
rencontrées
Rôles des acteurs et partenariats
Lien entre le projet et le changement
climatique.
2021 E8 Responsable de la Compagnie du Mont-
Blanc
2021 E9 Scénographe indépendant
2021 E10 Responsable à la Communauté de
communes de la vallée de Chamonix
2021 E11 Médiateur scientifique
NOTES
1. Définition issue de l’Agenda 21 de 1992 de l’OMT.
2. Source : Rapport public 2022 de l’Agence Savoie Mont Blanc : https://pro.savoie-mont-
blanc.com/var/ezwebin_site/storage/original/application/
966a27207a19ca5c6d35556bfbc3d151.pdf
3. https://www.francebleu.fr/infos/culture-loisirs/le-nouveau-visage-du-site-touristique-du-
montenvers-devoile-hier-a-chamonix-1632840435
4. http://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/
2021apara104_glaciorium_chamonix_74.pdf
5. Données issues de la Compagnie de la Mer de Glace pour l’année 2018, qui diffèrent des chiffres
de Savoie-Mont-Blanc-Tourisme qui comptent l’ensemble des passages (montées et descentes).
6. Extrait du dossier de presse du 28 septembre 2021.
7. Loi Montagne 2 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033717812
8. CGEDD, Site classé du Mont-Blanc : requalification des espaces d’accueil du Montenvers et nouvel accès
à la Mer de Glace, rapport à la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages,
no 008390-06, 1er octobre 2020.
9. Extrait du dossier de presse du 28 septembre 2021.
10. Présentation vidéo issue de la conférence de presse : https://vimeo.com/577947951 [consulté
le 19/10/2021].
11. Informations issues de l’avant-projet présenté le 31 mai 2018 et du dossier de presse du
28 septembre 2021.
12. Données fournies par l’office du tourisme de la vallée de Chamonix.
13. Tarif aller-retour de l’été 2023
Le tourisme réflexif en montagne à l’heure de l’Anthropocène : discussion aut...
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RÉSUMÉS
L’entrée dans l’Anthropocène, défini comme l’ère dans laquelle les activités humaines deviennent
des forces à même d’influencer le climat et l’environnement à l’échelle planétaire, induit de
nombreuses questions pour le tourisme. S’ils ne sont pas les seuls, les sites touristiques glaciaires,
et les pratiques afférentes, se transforment avec leur environnement. Ces transformations posent
la question de l’influence du changement climatique sur les motivations des acteurs touristiques
et permettent d’envisager plus spécifiquement l’avènement d’un tourisme réflexif. Entendu
comme une prise de conscience par les touristes eux-mêmes des enjeux – ici,
environnementaux – soulevés par les modes de vie actuels, le tourisme réflexif permet plus
largement d’aborder les contradictions auxquelles sont confrontées les sociétés dans le cadre des
défis de la transition écologique. À travers l’analyse de la mise en œuvre du projet de
réhabilitation de l’un des sites glaciaires les plus connus de France, le Montenvers et sa Mer de
Glace, cet article entend interroger les logiques du développement touristique d’un tel site tout
en soulignant ses contradictions. Les entretiens menés avec les parties prenantes du site et du
projet montrent une tension claire entre une logique de durabilité menant au tourisme réflexif et
une logique économique d’investissement et de quête de rentabilité. Au-delà de ce cas d’étude, ce
travail questionne plus généralement la figure du tourisme comme symbole des contradictions
sociétales entre discours et pratiques à l’heure de l’Anthropocène.
Entering the Anthropocene, defined as the era during which human activities have become
forces capable of influencing the climate and the environment on a planetary scale, raises many
questions for tourism. Glacier tourism sites and practices, although not uniquely, are changing
along with their environment. These changes raise the question of how climate change
influences the motivations of those involved in tourism and, more specifically, allow us to
envisage the emergence of reflexive tourism. Reflexive tourism is understood to be an awareness
by tourists themselves of the issues - in this case, environmental issues - raised by current
lifestyles, and offers a broader approach to the contradictions faced by societies in the context of
the challenges of ecological transition. By analysing the implementation of the project to
rehabilitate one of France’s most famous glacier sites, Montenvers and its Mer de Glace, this
article aims to examine the rationale behind the development of tourism in such a site, while
highlighting its contradictions. Interviews with site and project stakeholders reveal a clear
tension between a logic of sustainability leading to reflexive tourism, and an economic logic of
investment and the quest for profitability. Beyond this case study, this work considers more
generally the figure of tourism as a symbol of societal contradictions between discourse and
practice in the Anthropocene.
INDEX
Mots-clés : tourisme réflexif, Anthropocène, glaciers, changement climatique, transition
Keywords : reflexive tourism, Anthropocene, glaciers, climate change, transition
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AUTEURS
EMMANUEL SALIM
Géographie
Maître de conférences, Université de Toulouse Jean-Jaurès, ISTHIA, CERTOP (UMR 5044)
Chercheur associé, Université de Lausanne, IGD, CIRM
emmanuel.salim[at]univ-tlse2.fr
CAMILLE GIRAULT
Géographie
Maître de conférences
Université Savoie-Mont-Blanc, CNRS, Edytem (UMR 5204)
camille.girault[at]univ-smb.fr
KALPANA NESUR
Géographie
Stagiaire de recherche
Université Savoie-Mont-Blanc, CNRS, Edytem (UMR 5204)
k.nesur[at]gmail.com
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