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Chapitre 4
Les communs urbains : recréer
du lien social dans les villes africaines
Stéphanie Leyronas, Alix Françoise, Isabelle Liotard, Lola Mercier,
Guiako Obin
Introduction
Bien qu’elle soit le continent le moins urbanisé, l’Afrique n’en est pas moins celui
où le rythme de croissance démographique en villes est le plus soutenu. Le taux
d’urbanisation actuel se situerait entre 42,5 % (ONU 2019) et 50,4 % (OCDE et
CSAO 2020) de la population totale du continent. Depuis les années 1950, le taux
de croissance urbaine s’établit à 4,8 % par an en moyenne. Ainsi, la population
urbaine africaine a été multipliée par plus de seize entre 1950 et 2018, passant de
33 à 548 millions de personnes. Il est attendu que cette dynamique se poursuive,
avec un triplement de la population urbaine à horizon 2050 pour atteindre
1,5 milliard d’individus (ONU 2019). Ce rythme est variable selon les pays et
est d’autant plus sensible pour des pays faiblement urbanisés (comme le Niger,
le Burundi, le Lesotho, le Soudan du Sud et le Malawi) où le taux de croissance
dépasse les 7 %, impliquant un doublement de la population tous les dix ans
(OCDE et CSAO 2020).
La plupart des systèmes urbains nationaux africains sont dominés par de larges
agglomérations et cette tendance s’accroît : la population de Luanda (Angola)
équivaut par exemple à celle des 27 agglomérations suivantes de la hiérarchie
urbaine du pays (OCDE et CSAO 2020). En parallèle se structure un réseau
d’agglomérations secondaires, souvent capitales de régions à dominante agri-
cole, porté par des politiques nationales de développement territorial. Ces villes,
de tailles intermédiaires, augmentent aussi, du fait de l’accroissement naturel de
la population et, dans une moindre mesure, des migrations internes.
Le développement urbain en Afrique a été inscrit dans les priorités de
l’agenda de la communauté d’aide internationale. La dénition par l’Organisation
des Nations unies (ONU), en 2015, de l’Objectif du développement durable
(ODD) numéro 11 visant à créer des villes durables et accessibles pour tous,
ainsi que le Nouvel Agenda Urbain (ONU-Habitat 2015) adopté lors du sommet
108 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Habitat III de 2016 an de rendre les villes plus sûres, plus résilientes et plus
durables, constituent des moments clés de la gouvernance internationale de la
croissance urbaine.
Dans un contexte de rareté de la ressource nancière publique, les collec-
tivités doivent se livrer à de nouvelles formes de gouvernance qui impliquent
de nombreuses parties prenantes des villes et de l’urbain. Un certain consen-
sus s’est ainsi établi sur la reconnaissance de la diversité des parties prenantes
(publiques, privées, associatives, politiques), des domaines (foncier, logement,
infrastructures) et des échelles d’interventions (locale, municipale, nationale,
internationale) qui façonnent la ville, mais aussi la fabrique et la gouvernance
urbaines en Afrique subsaharienne (Schlimmer 2022).
Ce chapitre rend compte des communs qui émergent en milieu urbain comme
une des expressions de ces phénomènes sociaux, économiques, politiques et spa-
tiaux. Les analyses présentées dans ce chapitre s’appuient sur des entretiens avec
des acteurs et actrices1 des communs urbains en Afrique subsaharienne, sur
une revue de la littérature académique, ainsi que sur une recherche documentaire
(sites web et réseaux sociaux, presse locale et internationale).
La première section permet de préciser le champ des pratiques qui relèvent
des communs urbains en Afrique subsaharienne : il s’agit de lieux, publics ou privés,
partagés par les riveraines et les riverains qui y développent des usages pluriels en
impliquant une multitude d’acteurs diérents dans des gouvernances ouvertes
et en mobilisant des ressources variées du territoire, matérielles et immatérielles,
pour des usages s’adressant à diérents cercles d’usagères et d’usagers. La deu-
xième section apporte une analyse empirique de certains d’entre eux (lieux
hybrides culturels, terrains de sport, jardins partagés, fablabs2) pour révéler,
dans la troisième et dernière section, leur potentiel de participation à la fabrique
urbaine en Afrique subsaharienne.
Les communs urbains dans une perspective de l’Afrique
subsaharienne
Fragmentation urbaine : des situations multiples de rupture
des liens sociaux
Dans un contexte de forte croissance démographique, les villes africaines con-
tribuent à l’amélioration des performances économiques de leurs pays ainsi qu’à
l’amélioration du niveau de vie. Dans son dernier rapport, l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) montre qu’en Afrique,
au cours des vingt dernières années, l’urbanisation a contribué pour environ
30 % de la croissance du produit intérieur brut (PIB) par personne (OCDE,
BAD, et CEA 2022). En outre, le niveau de vie, la durée d’étude (8,5 ans contre
4,5 ans en moyenne) et la qualication des emplois des personnes résidant en
LES COMMUNS URBAINS 109
zone urbanisée sont en moyenne supérieurs à ceux des pays dans lesquels ils
sont situés. La répartition des richesses par quintiles montre une part croissante,
jusqu’à devenir parfois majoritaire, de la population la plus riche dans les grandes
villes. L’OCDE note aussi un eet d’entrainement sur les zones situées à proximité
des villes (OCDE et CSAO 2020).
Malgré cette performance, les économies urbaines africaines ont en réalité
peu changé au cours des dernières années. Elles restent peu diversiées : le secteur
manufacturier, bien que représentant un potentiel de transformation pour de
nombreuses régions du continent (Abreha et al. 2022), reste sous-représenté,
contrairement à certains pays asiatiques (Chine, Inde, Malaisie). Elles doivent
faire face à des dés structurels (tels que le renforcement du capital humain) et
aux coûts de fonctionnement de ces villes.
La gouvernance constitue un enjeu majeur. Les municipalités africaines ren-
contrent des dicultés à planier les investissements et à fournir les services
essentiels du fait de fragilités nancières, institutionnelles et techniques. Les
villes s’étalent sans que les investissements dans les infrastructures suivent au
même rythme. Certains quartiers, particulièrement en périphérie, croissent
rapidement sans pour autant bénécier de connexion aux réseaux viaires et
aux services publics de base. Or, plus de la moitié des personnes vivant dans les
zones urbaines africaines habitent dans ces quartiers précaires (ONU-Habitat
2015). En outre, dans les grandes villes les enjeux en termes de mobilité sont
prégnants avec des phénomènes de congestion et de pollution marqués. Les
acteurs publics peinent aussi à préserver des espaces publics, notamment des
espaces verts. À cela s’ajoute la question de la vulnérabilité aux aléas climatiques
pour des personnes urbaines qui sont d’ores et déjà davantage soumis à des
phénomènes tels que les vagues de chaleur, les pénuries d’eau et les inondations
(Dodman, Hayward, et Pelling 2021).
De ces défaillances résulte une fragmentation des villes africaines sur les
plans spatial, social, économique et politique. Cette fragmentation a pour con-
séquence la création d’une multitude de situations où le tissu social est brisé,
au sein des communautés, mais aussi entre les populations locales et les institu-
tions publiques (Commission européenne et Enabel 2021). Elle participe à la
déstructuration des liens sociaux, entendus comme les relations de personne à
personne au sein d’une même société, les niveaux de conance mutuels et les
normes de réciprocité (Garroway 2011; Colleta, et Cullen 2000).
À propos des métropoles nigérianes et sud-africaines, Fourchard indique
que si les villes sont pourvoyeuses d’emploi, elles ont fait émerger « très tôt de
nouvelles formes de pauvreté et de violences sociales (chômage, délinquance,
maltraitance, prostitution, gangstérisme, proxénétisme) ainsi que des ques-
tions liées à l’intégration des populations migrantes » (Fourchard 2018, 7).
L’origine géographique (population indigène, migrante ou non) constitue une
base d’exclusion, plus ou moins institutionnalisée et politisée. Ces villes sont
110 L’AFRIQUE EN COMMUNS
« des laboratoires de l’exclusion et de déploiement des violences » (8) en partie
physiques. Cela amène, selon l’anthropologue Balandier, les personnes habitant en
milieu urbain à conserver des liens étroits avec leurs milieux et villages d’origine
pour s’appuyer sur des solidarités existantes, « se réintégrer dans une commu-
nauté et […] trouver une assistance matérielle qu’ils ne sauraient trouver ail-
leurs » (Balandier 1958, 21).
L’émergence dans les villes africaines de communs autour de ressources d’une
grande diversité témoigne d’une volonté de renforcement de nouveaux liens
sociaux au sein de communautés urbaines. Ces communs sont portés par des
collectifs de tailles et de natures diérentes (des résidentes et résidents, des riverains,
des usagers, des entrepreneurs et entrepreneuses, des spécialistes). Ils recouvrent
un large spectre de domaines de la vie urbaine : le foncier, les services publics,
le bien-être ou l’éducation.
Des communs dans la ville aux communs urbains
Nous nous intéressons ici à des lieux incarnés physiquement dans des espaces
urbains et gérés en commun par des collectifs qui projettent sur ces espaces un
projet social, économique et politique qui refonde le territoire en tant que con-
struit sociopolitique. Ce projet peut être tourné vers le bien-être et l’amélioration
du cadre de vie (jardins partagés, terrains de sport, salles communautaires),
l’accès à l’art et la culture ou peut être encore spécialisé dans les domaines des
sciences, de l’innovation et du numérique (espaces d’innovation technologique
et de fabrication comme les fablabs).
Les communs urbains auxquels nous nous intéressons recoupent en de nom-
breux points les expériences de « tiers lieux ». La notion est introduite par le
sociologue Oldenburg en 1989 comme des espaces intermédiaires entre domi-
cile et lieu de travail contribuant à une sociabilité urbaine (Fabbri 2016). Ce sont
celles et ceux qui les fréquentent (Loand 1998 ; Oldenburg 1989) qui créent
la convivialité du lieu, son accessibilité aux autres individus et, par là même, sa
dimension collective. Nous préfèrerons dans le cas de l’Afrique subsaharienne
utiliser le terme « lieux hybrides », la notion de « tiers lieu » étant peu mobilisée
par les acteurs africains (Besson, à paraître).
Les communs urbains africains sont par nature plurifonctionnels et combinent
des activités alliant :
• Une offre de services (production alimentaire dans des jardins partagés,
services d’intermédiation, accès à du matériel ou des équipements, accès à
des productions artistiques).
• Des activités pédagogiques ou de dissémination en lien avec l’objectif collectif
poursuivi (éducation populaire, organisation d’évènements, cours et ateliers,
rencontres).
• Des activités autour des villes durables et de leur résilience (revalorisation des
déchets ou énergies renouvelables).
LES COMMUNS URBAINS 111
Les communs urbains témoignent aussi d’un phénomène relativement
récent : « l’africanisation » du mouvement maker est rendue visible par la créa-
tion croissante de fablabs ces dix dernières années en Afrique subsaharienne
(Mboa Nkoudou 2017). Ils se développent de manière diversiée en se spécia-
lisant dans des domaines spéciques (l’agriculture, l’éducation, le handicap). Ce
sont des expérimentations locales, qui s’organisent parfois de façon informelle et
spontanée. Ils peuvent être diciles à saisir, car il s’agit d’une strate d’acteurs que
seules des enquêtes de terrain approfondies permettent d’identier. Ces acteurs
sont dans leur grande majorité issus des milieux sociaux populaires et diciles.
Les communs urbains : éclairages théoriques
Les communs urbains ne se caractérisent pas uniquement par leur localisation
ou concentration dans la ville (Susser et Tonnelat 2013), mais par : i) la construc-
tion d’une nalité commune capable de motiver la coopération des acteurs ;
ii) des dispositifs participatifs an d’inclure les usagers dans les activités de co-
délibération et de co-décision ; et iii) le territoire urbain comme espace com-
mun à l’intérieur duquel les individus peuvent constituer des communs urbains.
Les communs urbains émergent dans une phase plutôt récente du débat sur
les communs (Festa 2016). Ils présentent une généalogie assez spécique, celle
des new commons dont Hess a proposé une cartographie (Hess 2009). La notion
est développée en Europe où plusieurs villes ont vu se développer des pratiques
de gestion partagée. En Italie, le mouvement d’occupation des lieux culturels
revendique dès 2011 un « droit à la ville » (Lefebvre 1968) devant permettre de
produire un espace public accessible. Bon nombre de ces formes de résistance
urbaine naissent pour s’opposer à la conscation de ressources communes aban-
données ou réutilisées à titre spéculatif (cinémas, théâtres, sites de vie et de
production). Elles mettent en avant l’utilisation de l’espace urbain, physique et
symbolique, interrogent les régimes de gouvernance locale et l’articulation entre
droits de citoyenneté et de citadinité (Lussault et Lévy 2013 ; Gervais-Lambony
2001). L’accent n’est plus mis sur le sujet propriétaire de l’espace, mais sur la
fonction que cet espace doit remplir dans la société (Rodotà 2016).
Les ressources mobilisées sont constituées par des biens publics ou privés (parcs,
jardins, rues, places, infrastructures), des biens intangibles (l’air) ou immatériels
(propriété intellectuelle, réseaux d’information, réseaux sociaux, valeurs culturel-
les ou patrimoniales). La particularité des communs urbains est de se déployer
dans des milieux où certaines ressources sont en tension : prix du foncier et de
l’immobilier élevés, diversité des usages, ou densité démographique. (Harvey 2012)
arme qu’ils présentent les mêmes contradictions que les autres communs, mais
« d’une manière hyperconcentrée ».
Comme rappelé dans le chapitre 1, plus que la nature de la ressource, c’est
la façon de la gérer qui importe (Bollier et Helfrich 2015). Au cœur des com-
muns urbains se trouvent des communautés hétérogènes, aux limites ouvertes
et uides, parfois très changeantes, ce qui les diérencie des communs plus
112 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Les communs africains incarnés par des lieux sociaux,
culturels et technologiques
Il existe peu d’études détaillées de ces communs urbains africains (Cléré 2018 ;
Besson 2018). Nous proposons de regrouper les communs urbains étudiés
en deux types dont les frontières restent poreuses : les communs urbains à
dominances sociale et culturelle d’une part, et les communs urbains d’innovation
technologique et de fabrication, auxquels appartiennent les fablabs, d’autre part.
Nous avons conduit une série d’entretiens entre janvier et avril 2017 et entre
décembre 2021 et mai 2022 auprès de onze espaces sociaux et culturels (carte 4.1)
et treize fablabs (carte 4.2). Le choix de ces lieux, en milieu urbain, repose sur la
représentativité de leur dynamique et de leur stade de développement.
Nous revenons d’abord sur les expériences des espaces sociaux et culturels
étudiés en Afrique subsaharienne puis, dans un second temps, sur les communs
urbains d’innovation technologique et de fabrication.
classiques très largement étudiés par Ostrom et l’école de Bloomington (Ostrom
1990). Ces communautés prennent corps autour d’un processus de mise en
commun et peuvent évoluer dans le temps et dans l’espace (Festa 2016). Parfois
se dégagent plusieurs types d’intensité dans le lien aux biens : des groupes plus
restreints prennent en charge le commun au quotidien ; des groupes plus larges
jouissent de certaines utilités et participent à la gestion collective de façon plus
ponctuelle. Il peut donc y avoir diérents intérêts qui se coalisent dans la prise
en charge des communs. Certains communs urbains, plus complexes, incluent
diérents types d’intérêts (citoyens, privés, institutionnels) et demandent alors des
collaborations intersectorielles, des processus de longs termes pour aboutir à une
gouvernance véritablement participative (Kip 2015).
LES COMMUNS URBAINS 113
Carte 4.2
Fablabs
étudiés
Burkina Faso Togo
WoeLab
BioLab
Bénin
OuagaLab
BabyLab
Côte d'lvoire
Defko Ak Niep
(Ker Thiossane)
SahelFabLab
Mali
DoniLab
Djibouti
FabLab Espace Créatif
Somalie
HarHub
Kenya
FabLab Winam
Ouganda
Makerere Innovation
and Incubation Center
Tanzanie
Twende Hub
IBRD 47257 | MAY 2023
Sénégal
Mauritanie
Source cartes 4.1 et 4.2 : Banque mondiale.
Carte 4.1 Espaces sociaux et culturels étudiés
Burkina Faso
Reemdogo 1 et 2
Parcours sportif de Dassasgho
IBRD 47256 | MAY 2023
Ghana
Terra Alta
Sénégal
Mauritanie
Assalamalekoum
Kenya
KipajiLab
Ouganda
32° East Ugandan Arts Trust
Rwanda
Ishyo Arts Centre
-Jardin
solidaire
-Jardin
Jet d’Eau
-Gare routière Rufisque
-Terrain de sport
de Pikine Ouest
114 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Les communs urbains à dominances sociale et culturelle :
espaces ouverts et lieux hybrides culturels
Les communs urbains à dominance sociale et culturelle se déploient autour
d’enjeux de bien-être et mobilisent l’art, le sport, le jardinage et l’agriculture
urbaine comme des vecteurs de lien social au sein des quartiers. Ce faisant, ils vien-
nent se loger là où certains besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Peu d’industries
créatives et culturelles sont prises en charge par les administrations publiques
en Afrique subsaharienne alors que l’accès à la culture est considéré comme
« un moyen pour les citoyennes et citoyens, et particulièrement la jeunesse, de
faire entendre leurs voix et ainsi renforcer la participation à la démocratie »
(Commission européenne et Enabel 2021, 7). Les infrastructures publiques pour
la pratique non professionnelle du sport restent insusantes3 alors que cette
dernière participe au maintien de l’ordre, à l’évitement de la délinquance et à
l’amélioration de la santé des jeunes4. Enn, sans surestimer leur importance
face aux enjeux d’insécurité alimentaire dans les villes africaines (Davies et al.
2021), le jardinage et l’agriculture urbaine produisent une valeur économique
et de l’emploi, mais aussi une valeur sociale forte (Rutt 2007).
Deux grandes familles de communs urbains à dominance sociale et culturelle
se dégagent en Afrique subsaharienne : des espaces ouverts et de passage d’une
part et des espaces spéciquement dédiés à l’art et à des artistes d’autre part.
Dans les espaces ouverts et de passage, l’art, le sport, le jardinage sont mobilisés
comme des vecteurs de lien social au sein d’un quartier. Ces espaces sont des lieux
de passage (des places, des rues, des jardins, des terrains de sport) investis par des
initiatives collaboratives (encadré 4.1). Ce sont des lieux où les personnes circulent,
sans forcément s’arrêter (Joseph 1998). Les collectivités locales africaines peinent
à planier, mettre en œuvre et faire vivre de tels espaces, notamment à cause de la
fragmentation des villes (Navez-Bouchanine 2002). Cela se traduit par des friches
urbaines, des terrains vagues, des déchetteries. Les espaces ouverts comme ceux-
ci représentent des « matériaux urbains fondamentaux » (Secchi 2006) pour qui
s’en empare. Délaissés par les pouvoirs publics, ces espaces peuvent être investis
par des collectifs pour y développer des usages communs tournés vers le sport, la
production alimentaire ou la culture. Le premier objectif de cette appropriation
collective des lieux est de leur rendre leur caractère public, dans le sens où les
citoyens peuvent s’y arrêter, y circuler et participer à la vie du lieu. Il s’agit donc avant
tout de créer un lien entre l’expérience urbaine vécue et les « processus normaux
de l’existence » (Dewey 2010).
LES COMMUNS URBAINS 115
ENCADRÉ 4.1
Exemples de communs urbains ouverts et de passage
L’École des communs pour l’art et le multimédia du lieu hybride Kër Thiossane à Dakar
abrite un fablab (Defko), mais également un jardin artistique et un jardin solidaire. Le lieu
a été créé en 2002 dans le quartier Sicap sur un ancien jardin public non entretenu et
devenu une déchetterie. Le jardin artistique a été dessiné et créé en 2014 par Emmanuel
Louisgrand, le fondateur du lieu. Il est un laboratoire d’expérimentations qui accueille
de multiples projets portés par les individus (ateliers, rencontres, expositions). Le jardin
solidaire a été créé en 2016 pour répondre aux besoins de formation aux techniques de
permaculture et au micro-jardinage urbain de jeunes femmes.
Au Burkina Faso, le jardin de la musique Reemdogo 1 a vu le jour en 2004 dans le
quartier Gounghin à Ouagadougou comme jardin partagé où des musiciennes et des
musiciens du quartier viennent se produire dans une relation de proximité avec le public.
Cet espace est géré par la municipalité, des collectifs de musiciens et des organisateurs
et organisatrices de spectacles. Cette initiative a inspiré la création en 2018 du jardin des
arts et de la culture Reemdogo 2. L’objectif de ces deux espaces est le développement de
pratiques artistiques (sculpturales et musicales) et la création de liens de proximité entre
artistes, publics, individus et entreprises du secteur culturel à travers des activités et des
programmations communes.
À Dakar, la municipalité a entrepris de remettre en état des espaces publics délaissés
ou mal entretenus (déchetterie à Pikine Ouest ou encore gare routière à Rufisque). Elle
a laissé le soin à des collectifs d’individus d’y définir des usages nouveaux et ouverts.
Ainsi, un terrain dédié principalement au sport et aux jeunes du quartier a vu le jour dans
le quartier d’Icotaf 1 à Pikine Ouest. À la gare routière, de nouveaux points de sociali-
sation ont émergé, comme des gargotières ambulantes ou des espaces pour discuter
ou se reposer.
De la même manière à Ouagadougou, le parcours sportif de Dassasgho a été pensé
et aménagé par celles et ceux qui vivent dans le quartier à proximité du lycée de la
Jeunesse. Cet espace est fréquenté par les jeunes du quartier de l’école primaire à
l’université, mais également par des personnes plus âgées. Ces dernières y trouvent un
lieu d’échange et de rencontre sous l’arbre, un lieu qui n’est pas sans rappeler l’arbre à
palabres villageois.
Dans les espaces dédiés à l’art, des artistes se voient offrir une résidence
temporaire en échange de temps accordé à la communauté et d’ouverture de l’art
à la cité (encadré 4.2). En Afrique subsaharienne, ils prennent souvent la forme
de centres culturels destinés à connecter l’art à ses publics. L’émergence de ces
espaces hybrides (Besson, à paraître) répond à un besoin de facilitation cultu-
relle (Guillon et Saez 2019) en permettant aux usagers, femmes et hommes,
de devenir des parties prenantes actives d’une offre culturelle, et non des
consommateurs et des consommatrices passives (Zask 2003 ; Blandin et al. 2017).
107
Chapitre 4
Les communs urbains : recréer
du lien social dans les villes africaines
Stéphanie Leyronas, Alix Françoise, Isabelle Liotard, Lola Mercier,
Guiako Obin
Introduction
Bien qu’elle soit le continent le moins urbanisé, l’Afrique n’en est pas moins celui
où le rythme de croissance démographique en villes est le plus soutenu. Le taux
d’urbanisation actuel se situerait entre 42,5 % (ONU 2019) et 50,4 % (OCDE et
CSAO 2020) de la population totale du continent. Depuis les années 1950, le taux
de croissance urbaine s’établit à 4,8 % par an en moyenne. Ainsi, la population
urbaine africaine a été multipliée par plus de seize entre 1950 et 2018, passant de
33 à 548 millions de personnes. Il est attendu que cette dynamique se poursuive,
avec un triplement de la population urbaine à horizon 2050 pour atteindre
1,5 milliard d’individus (ONU 2019). Ce rythme est variable selon les pays et
est d’autant plus sensible pour des pays faiblement urbanisés (comme le Niger,
le Burundi, le Lesotho, le Soudan du Sud et le Malawi) où le taux de croissance
dépasse les 7 %, impliquant un doublement de la population tous les dix ans
(OCDE et CSAO 2020).
La plupart des systèmes urbains nationaux africains sont dominés par de larges
agglomérations et cette tendance s’accroît : la population de Luanda (Angola)
équivaut par exemple à celle des 27 agglomérations suivantes de la hiérarchie
urbaine du pays (OCDE et CSAO 2020). En parallèle se structure un réseau
d’agglomérations secondaires, souvent capitales de régions à dominante agri-
cole, porté par des politiques nationales de développement territorial. Ces villes,
de tailles intermédiaires, augmentent aussi, du fait de l’accroissement naturel de
la population et, dans une moindre mesure, des migrations internes.
Le développement urbain en Afrique a été inscrit dans les priorités de
l’agenda de la communauté d’aide internationale. La dénition par l’Organisation
des Nations unies (ONU), en 2015, de l’Objectif du développement durable
(ODD) numéro 11 visant à créer des villes durables et accessibles pour tous,
ainsi que le Nouvel Agenda Urbain (ONU-Habitat 2015) adopté lors du sommet
108 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Habitat III de 2016 an de rendre les villes plus sûres, plus résilientes et plus
durables, constituent des moments clés de la gouvernance internationale de la
croissance urbaine.
Dans un contexte de rareté de la ressource nancière publique, les collec-
tivités doivent se livrer à de nouvelles formes de gouvernance qui impliquent
de nombreuses parties prenantes des villes et de l’urbain. Un certain consen-
sus s’est ainsi établi sur la reconnaissance de la diversité des parties prenantes
(publiques, privées, associatives, politiques), des domaines (foncier, logement,
infrastructures) et des échelles d’interventions (locale, municipale, nationale,
internationale) qui façonnent la ville, mais aussi la fabrique et la gouvernance
urbaines en Afrique subsaharienne (Schlimmer 2022).
Ce chapitre rend compte des communs qui émergent en milieu urbain comme
une des expressions de ces phénomènes sociaux, économiques, politiques et spa-
tiaux. Les analyses présentées dans ce chapitre s’appuient sur des entretiens avec
des acteurs et actrices1 des communs urbains en Afrique subsaharienne, sur
une revue de la littérature académique, ainsi que sur une recherche documentaire
(sites web et réseaux sociaux, presse locale et internationale).
La première section permet de préciser le champ des pratiques qui relèvent
des communs urbains en Afrique subsaharienne : il s’agit de lieux, publics ou privés,
partagés par les riveraines et les riverains qui y développent des usages pluriels en
impliquant une multitude d’acteurs diérents dans des gouvernances ouvertes
et en mobilisant des ressources variées du territoire, matérielles et immatérielles,
pour des usages s’adressant à diérents cercles d’usagères et d’usagers. La deu-
xième section apporte une analyse empirique de certains d’entre eux (lieux
hybrides culturels, terrains de sport, jardins partagés, fablabs2) pour révéler,
dans la troisième et dernière section, leur potentiel de participation à la fabrique
urbaine en Afrique subsaharienne.
Les communs urbains dans une perspective de l’Afrique
subsaharienne
Fragmentation urbaine : des situations multiples de rupture
des liens sociaux
Dans un contexte de forte croissance démographique, les villes africaines con-
tribuent à l’amélioration des performances économiques de leurs pays ainsi qu’à
l’amélioration du niveau de vie. Dans son dernier rapport, l’Organisation de
coopération et de développement économiques (OCDE) montre qu’en Afrique,
au cours des vingt dernières années, l’urbanisation a contribué pour environ
30 % de la croissance du produit intérieur brut (PIB) par personne (OCDE,
BAD, et CEA 2022). En outre, le niveau de vie, la durée d’étude (8,5 ans contre
4,5 ans en moyenne) et la qualication des emplois des personnes résidant en
LES COMMUNS URBAINS 109
zone urbanisée sont en moyenne supérieurs à ceux des pays dans lesquels ils
sont situés. La répartition des richesses par quintiles montre une part croissante,
jusqu’à devenir parfois majoritaire, de la population la plus riche dans les grandes
villes. L’OCDE note aussi un eet d’entrainement sur les zones situées à proximité
des villes (OCDE et CSAO 2020).
Malgré cette performance, les économies urbaines africaines ont en réalité
peu changé au cours des dernières années. Elles restent peu diversiées : le secteur
manufacturier, bien que représentant un potentiel de transformation pour de
nombreuses régions du continent (Abreha et al. 2022), reste sous-représenté,
contrairement à certains pays asiatiques (Chine, Inde, Malaisie). Elles doivent
faire face à des dés structurels (tels que le renforcement du capital humain) et
aux coûts de fonctionnement de ces villes.
La gouvernance constitue un enjeu majeur. Les municipalités africaines ren-
contrent des dicultés à planier les investissements et à fournir les services
essentiels du fait de fragilités nancières, institutionnelles et techniques. Les
villes s’étalent sans que les investissements dans les infrastructures suivent au
même rythme. Certains quartiers, particulièrement en périphérie, croissent
rapidement sans pour autant bénécier de connexion aux réseaux viaires et
aux services publics de base. Or, plus de la moitié des personnes vivant dans les
zones urbaines africaines habitent dans ces quartiers précaires (ONU-Habitat
2015). En outre, dans les grandes villes les enjeux en termes de mobilité sont
prégnants avec des phénomènes de congestion et de pollution marqués. Les
acteurs publics peinent aussi à préserver des espaces publics, notamment des
espaces verts. À cela s’ajoute la question de la vulnérabilité aux aléas climatiques
pour des personnes urbaines qui sont d’ores et déjà davantage soumis à des
phénomènes tels que les vagues de chaleur, les pénuries d’eau et les inondations
(Dodman, Hayward, et Pelling 2021).
De ces défaillances résulte une fragmentation des villes africaines sur les
plans spatial, social, économique et politique. Cette fragmentation a pour con-
séquence la création d’une multitude de situations où le tissu social est brisé,
au sein des communautés, mais aussi entre les populations locales et les institu-
tions publiques (Commission européenne et Enabel 2021). Elle participe à la
déstructuration des liens sociaux, entendus comme les relations de personne à
personne au sein d’une même société, les niveaux de conance mutuels et les
normes de réciprocité (Garroway 2011; Colleta, et Cullen 2000).
À propos des métropoles nigérianes et sud-africaines, Fourchard indique
que si les villes sont pourvoyeuses d’emploi, elles ont fait émerger « très tôt de
nouvelles formes de pauvreté et de violences sociales (chômage, délinquance,
maltraitance, prostitution, gangstérisme, proxénétisme) ainsi que des ques-
tions liées à l’intégration des populations migrantes » (Fourchard 2018, 7).
L’origine géographique (population indigène, migrante ou non) constitue une
base d’exclusion, plus ou moins institutionnalisée et politisée. Ces villes sont
110 L’AFRIQUE EN COMMUNS
« des laboratoires de l’exclusion et de déploiement des violences » (8) en partie
physiques. Cela amène, selon l’anthropologue Balandier, les personnes habitant en
milieu urbain à conserver des liens étroits avec leurs milieux et villages d’origine
pour s’appuyer sur des solidarités existantes, « se réintégrer dans une commu-
nauté et […] trouver une assistance matérielle qu’ils ne sauraient trouver ail-
leurs » (Balandier 1958, 21).
L’émergence dans les villes africaines de communs autour de ressources d’une
grande diversité témoigne d’une volonté de renforcement de nouveaux liens
sociaux au sein de communautés urbaines. Ces communs sont portés par des
collectifs de tailles et de natures diérentes (des résidentes et résidents, des riverains,
des usagers, des entrepreneurs et entrepreneuses, des spécialistes). Ils recouvrent
un large spectre de domaines de la vie urbaine : le foncier, les services publics,
le bien-être ou l’éducation.
Des communs dans la ville aux communs urbains
Nous nous intéressons ici à des lieux incarnés physiquement dans des espaces
urbains et gérés en commun par des collectifs qui projettent sur ces espaces un
projet social, économique et politique qui refonde le territoire en tant que con-
struit sociopolitique. Ce projet peut être tourné vers le bien-être et l’amélioration
du cadre de vie (jardins partagés, terrains de sport, salles communautaires),
l’accès à l’art et la culture ou peut être encore spécialisé dans les domaines des
sciences, de l’innovation et du numérique (espaces d’innovation technologique
et de fabrication comme les fablabs).
Les communs urbains auxquels nous nous intéressons recoupent en de nom-
breux points les expériences de « tiers lieux ». La notion est introduite par le
sociologue Oldenburg en 1989 comme des espaces intermédiaires entre domi-
cile et lieu de travail contribuant à une sociabilité urbaine (Fabbri 2016). Ce sont
celles et ceux qui les fréquentent (Loand 1998 ; Oldenburg 1989) qui créent
la convivialité du lieu, son accessibilité aux autres individus et, par là même, sa
dimension collective. Nous préfèrerons dans le cas de l’Afrique subsaharienne
utiliser le terme « lieux hybrides », la notion de « tiers lieu » étant peu mobilisée
par les acteurs africains (Besson, à paraître).
Les communs urbains africains sont par nature plurifonctionnels et combinent
des activités alliant :
• Une offre de services (production alimentaire dans des jardins partagés,
services d’intermédiation, accès à du matériel ou des équipements, accès à
des productions artistiques).
• Des activités pédagogiques ou de dissémination en lien avec l’objectif collectif
poursuivi (éducation populaire, organisation d’évènements, cours et ateliers,
rencontres).
• Des activités autour des villes durables et de leur résilience (revalorisation des
déchets ou énergies renouvelables).
LES COMMUNS URBAINS 111
Les communs urbains témoignent aussi d’un phénomène relativement
récent : « l’africanisation » du mouvement maker est rendue visible par la créa-
tion croissante de fablabs ces dix dernières années en Afrique subsaharienne
(Mboa Nkoudou 2017). Ils se développent de manière diversiée en se spécia-
lisant dans des domaines spéciques (l’agriculture, l’éducation, le handicap). Ce
sont des expérimentations locales, qui s’organisent parfois de façon informelle et
spontanée. Ils peuvent être diciles à saisir, car il s’agit d’une strate d’acteurs que
seules des enquêtes de terrain approfondies permettent d’identier. Ces acteurs
sont dans leur grande majorité issus des milieux sociaux populaires et diciles.
Les communs urbains : éclairages théoriques
Les communs urbains ne se caractérisent pas uniquement par leur localisation
ou concentration dans la ville (Susser et Tonnelat 2013), mais par : i) la construc-
tion d’une nalité commune capable de motiver la coopération des acteurs ;
ii) des dispositifs participatifs an d’inclure les usagers dans les activités de co-
délibération et de co-décision ; et iii) le territoire urbain comme espace com-
mun à l’intérieur duquel les individus peuvent constituer des communs urbains.
Les communs urbains émergent dans une phase plutôt récente du débat sur
les communs (Festa 2016). Ils présentent une généalogie assez spécique, celle
des new commons dont Hess a proposé une cartographie (Hess 2009). La notion
est développée en Europe où plusieurs villes ont vu se développer des pratiques
de gestion partagée. En Italie, le mouvement d’occupation des lieux culturels
revendique dès 2011 un « droit à la ville » (Lefebvre 1968) devant permettre de
produire un espace public accessible. Bon nombre de ces formes de résistance
urbaine naissent pour s’opposer à la conscation de ressources communes aban-
données ou réutilisées à titre spéculatif (cinémas, théâtres, sites de vie et de
production). Elles mettent en avant l’utilisation de l’espace urbain, physique et
symbolique, interrogent les régimes de gouvernance locale et l’articulation entre
droits de citoyenneté et de citadinité (Lussault et Lévy 2013 ; Gervais-Lambony
2001). L’accent n’est plus mis sur le sujet propriétaire de l’espace, mais sur la
fonction que cet espace doit remplir dans la société (Rodotà 2016).
Les ressources mobilisées sont constituées par des biens publics ou privés (parcs,
jardins, rues, places, infrastructures), des biens intangibles (l’air) ou immatériels
(propriété intellectuelle, réseaux d’information, réseaux sociaux, valeurs culturel-
les ou patrimoniales). La particularité des communs urbains est de se déployer
dans des milieux où certaines ressources sont en tension : prix du foncier et de
l’immobilier élevés, diversité des usages, ou densité démographique. (Harvey 2012)
arme qu’ils présentent les mêmes contradictions que les autres communs, mais
« d’une manière hyperconcentrée ».
Comme rappelé dans le chapitre 1, plus que la nature de la ressource, c’est
la façon de la gérer qui importe (Bollier et Helfrich 2015). Au cœur des com-
muns urbains se trouvent des communautés hétérogènes, aux limites ouvertes
et uides, parfois très changeantes, ce qui les diérencie des communs plus
112 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Les communs africains incarnés par des lieux sociaux,
culturels et technologiques
Il existe peu d’études détaillées de ces communs urbains africains (Cléré 2018 ;
Besson 2018). Nous proposons de regrouper les communs urbains étudiés
en deux types dont les frontières restent poreuses : les communs urbains à
dominances sociale et culturelle d’une part, et les communs urbains d’innovation
technologique et de fabrication, auxquels appartiennent les fablabs, d’autre part.
Nous avons conduit une série d’entretiens entre janvier et avril 2017 et entre
décembre 2021 et mai 2022 auprès de onze espaces sociaux et culturels (carte 4.1)
et treize fablabs (carte 4.2). Le choix de ces lieux, en milieu urbain, repose sur la
représentativité de leur dynamique et de leur stade de développement.
Nous revenons d’abord sur les expériences des espaces sociaux et culturels
étudiés en Afrique subsaharienne puis, dans un second temps, sur les communs
urbains d’innovation technologique et de fabrication.
classiques très largement étudiés par Ostrom et l’école de Bloomington (Ostrom
1990). Ces communautés prennent corps autour d’un processus de mise en
commun et peuvent évoluer dans le temps et dans l’espace (Festa 2016). Parfois
se dégagent plusieurs types d’intensité dans le lien aux biens : des groupes plus
restreints prennent en charge le commun au quotidien ; des groupes plus larges
jouissent de certaines utilités et participent à la gestion collective de façon plus
ponctuelle. Il peut donc y avoir diérents intérêts qui se coalisent dans la prise
en charge des communs. Certains communs urbains, plus complexes, incluent
diérents types d’intérêts (citoyens, privés, institutionnels) et demandent alors des
collaborations intersectorielles, des processus de longs termes pour aboutir à une
gouvernance véritablement participative (Kip 2015).
LES COMMUNS URBAINS 113
Carte 4.2
Fablabs
étudiés
Burkina Faso Togo
WoeLab
BioLab
Bénin
OuagaLab
BabyLab
Côte d'lvoire
Defko Ak Niep
(Ker Thiossane)
SahelFabLab
Mali
DoniLab
Djibouti
FabLab Espace Créatif
Somalie
HarHub
Kenya
FabLab Winam
Ouganda
Makerere Innovation
and Incubation Center
Tanzanie
Twende Hub
IBRD 47257 | MAY 2023
Sénégal
Mauritanie
Source cartes 4.1 et 4.2 : Banque mondiale.
Carte 4.1 Espaces sociaux et culturels étudiés
Burkina Faso
Reemdogo 1 et 2
Parcours sportif de Dassasgho
IBRD 47256 | MAY 2023
Ghana
Terra Alta
Sénégal
Mauritanie
Assalamalekoum
Kenya
KipajiLab
Ouganda
32° East Ugandan Arts Trust
Rwanda
Ishyo Arts Centre
-Jardin
solidaire
-Jardin
Jet d’Eau
-Gare routière Rufisque
-Terrain de sport
de Pikine Ouest
114 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Les communs urbains à dominances sociale et culturelle :
espaces ouverts et lieux hybrides culturels
Les communs urbains à dominance sociale et culturelle se déploient autour
d’enjeux de bien-être et mobilisent l’art, le sport, le jardinage et l’agriculture
urbaine comme des vecteurs de lien social au sein des quartiers. Ce faisant, ils vien-
nent se loger là où certains besoins sociaux ne sont pas satisfaits. Peu d’industries
créatives et culturelles sont prises en charge par les administrations publiques
en Afrique subsaharienne alors que l’accès à la culture est considéré comme
« un moyen pour les citoyennes et citoyens, et particulièrement la jeunesse, de
faire entendre leurs voix et ainsi renforcer la participation à la démocratie »
(Commission européenne et Enabel 2021, 7). Les infrastructures publiques pour
la pratique non professionnelle du sport restent insusantes3 alors que cette
dernière participe au maintien de l’ordre, à l’évitement de la délinquance et à
l’amélioration de la santé des jeunes4. Enn, sans surestimer leur importance
face aux enjeux d’insécurité alimentaire dans les villes africaines (Davies et al.
2021), le jardinage et l’agriculture urbaine produisent une valeur économique
et de l’emploi, mais aussi une valeur sociale forte (Rutt 2007).
Deux grandes familles de communs urbains à dominance sociale et culturelle
se dégagent en Afrique subsaharienne : des espaces ouverts et de passage d’une
part et des espaces spéciquement dédiés à l’art et à des artistes d’autre part.
Dans les espaces ouverts et de passage, l’art, le sport, le jardinage sont mobilisés
comme des vecteurs de lien social au sein d’un quartier. Ces espaces sont des lieux
de passage (des places, des rues, des jardins, des terrains de sport) investis par des
initiatives collaboratives (encadré 4.1). Ce sont des lieux où les personnes circulent,
sans forcément s’arrêter (Joseph 1998). Les collectivités locales africaines peinent
à planier, mettre en œuvre et faire vivre de tels espaces, notamment à cause de la
fragmentation des villes (Navez-Bouchanine 2002). Cela se traduit par des friches
urbaines, des terrains vagues, des déchetteries. Les espaces ouverts comme ceux-
ci représentent des « matériaux urbains fondamentaux » (Secchi 2006) pour qui
s’en empare. Délaissés par les pouvoirs publics, ces espaces peuvent être investis
par des collectifs pour y développer des usages communs tournés vers le sport, la
production alimentaire ou la culture. Le premier objectif de cette appropriation
collective des lieux est de leur rendre leur caractère public, dans le sens où les
citoyens peuvent s’y arrêter, y circuler et participer à la vie du lieu. Il s’agit donc avant
tout de créer un lien entre l’expérience urbaine vécue et les « processus normaux
de l’existence » (Dewey 2010).
LES COMMUNS URBAINS 115
ENCADRÉ 4.1
Exemples de communs urbains ouverts et de passage
L’École des communs pour l’art et le multimédia du lieu hybride Kër Thiossane à Dakar
abrite un fablab (Defko), mais également un jardin artistique et un jardin solidaire. Le lieu
a été créé en 2002 dans le quartier Sicap sur un ancien jardin public non entretenu et
devenu une déchetterie. Le jardin artistique a été dessiné et créé en 2014 par Emmanuel
Louisgrand, le fondateur du lieu. Il est un laboratoire d’expérimentations qui accueille
de multiples projets portés par les individus (ateliers, rencontres, expositions). Le jardin
solidaire a été créé en 2016 pour répondre aux besoins de formation aux techniques de
permaculture et au micro-jardinage urbain de jeunes femmes.
Au Burkina Faso, le jardin de la musique Reemdogo 1 a vu le jour en 2004 dans le
quartier Gounghin à Ouagadougou comme jardin partagé où des musiciennes et des
musiciens du quartier viennent se produire dans une relation de proximité avec le public.
Cet espace est géré par la municipalité, des collectifs de musiciens et des organisateurs
et organisatrices de spectacles. Cette initiative a inspiré la création en 2018 du jardin des
arts et de la culture Reemdogo 2. L’objectif de ces deux espaces est le développement de
pratiques artistiques (sculpturales et musicales) et la création de liens de proximité entre
artistes, publics, individus et entreprises du secteur culturel à travers des activités et des
programmations communes.
À Dakar, la municipalité a entrepris de remettre en état des espaces publics délaissés
ou mal entretenus (déchetterie à Pikine Ouest ou encore gare routière à Rufisque). Elle
a laissé le soin à des collectifs d’individus d’y définir des usages nouveaux et ouverts.
Ainsi, un terrain dédié principalement au sport et aux jeunes du quartier a vu le jour dans
le quartier d’Icotaf 1 à Pikine Ouest. À la gare routière, de nouveaux points de sociali-
sation ont émergé, comme des gargotières ambulantes ou des espaces pour discuter
ou se reposer.
De la même manière à Ouagadougou, le parcours sportif de Dassasgho a été pensé
et aménagé par celles et ceux qui vivent dans le quartier à proximité du lycée de la
Jeunesse. Cet espace est fréquenté par les jeunes du quartier de l’école primaire à
l’université, mais également par des personnes plus âgées. Ces dernières y trouvent un
lieu d’échange et de rencontre sous l’arbre, un lieu qui n’est pas sans rappeler l’arbre à
palabres villageois.
Dans les espaces dédiés à l’art, des artistes se voient offrir une résidence
temporaire en échange de temps accordé à la communauté et d’ouverture de l’art
à la cité (encadré 4.2). En Afrique subsaharienne, ils prennent souvent la forme
de centres culturels destinés à connecter l’art à ses publics. L’émergence de ces
espaces hybrides (Besson, à paraître) répond à un besoin de facilitation cultu-
relle (Guillon et Saez 2019) en permettant aux usagers, femmes et hommes,
de devenir des parties prenantes actives d’une offre culturelle, et non des
consommateurs et des consommatrices passives (Zask 2003 ; Blandin et al. 2017).
116 L’Afrique en Communs
L’art est utilisé comme un vecteur pour penser les transitions politiques et socié-
tales par la réappropriation, la ré-imagination et la redénition de la culture
africaine, passée, présente et future. Ces espaces sont aussi porteurs de processus
d’apprentissage spéciques par le pair-à-pair, l’émancipation citoyenne, l’inter-
disciplinarité et l’hybridation des savoirs (Andriantsimahavandy et al. 2020).
ENCADRÉ 4.2
Exemples d’espaces dédiés à l’art et aux artistes
L’Ishyo Arts Centre, créé par huit femmes au Rwanda en 2007, a pour objectif de « ré-
imaginer une humanité brutalisée »a. Sa création palliait l’absence de lieux culturels au
Rwanda. Il reposait au départ sur une version mobile, un bibliobus. Le bibliobus « pre-
nait en otage des enfants tout comme l’histoire a pris en otage la population ». Il avait
pour objet de construire des imaginaires à partir d’histoires diverses. La sédentarisation
du projet a ouvert le lieu à des artistes locaux pour des résidences gratuites et pour une
gestion commune de l’espace par les fondatrices et les artistes.
Terra Alta, à la périphérie d’Accra, a été créé en 2017 par l’artiste Elisabeth Efua
Sutherland. Cet espace donne un lieu à l’expression de plusieurs formes artistiques
grâce à sa salle de répétition, ses trois résidences d’artistes, sa galerie, sa bibliothèque
et son théâtre auxquels un café et deux jardins partagés viennent s’ajouter. L’objectif
du lieu est de brasser artistes, riverains, jeunes et enfants du quartier pour créer, prati-
quer, expérimenter. La construction de cet espace est le résultat de journées bénévoles
de riverains et d’artistes des environs.
Le KipajiLab au Kenya est un laboratoire culturel dont l’objectif est de « décoloniser
le continent africain à travers une histoire visuelle »b. Il réunit artistes, militantes et mili-
tants, enseignantes et enseignants, chercheurs et chercheuses. Des formations d’écriture
de scénario ou de mise en scène d’histoires sont dispensées et le matériel est partagé
dans la perspective d’initiation de projets visuels communs.
Des centres culturels divers mettent en place des festivals pour promouvoir les
réalisations produites par les artistes en résidence. Ces initiatives proviennent d’espaces
dédiés aux artistes et peuvent être transposées dans des espaces ouverts et de passage
afin de toucher un public plus large. C’est le cas de l’initiative KLA ART menée par 32° East
Ugandan Art Trust en Ouganda. Ce festival artistique expose ponctuellement des œuvres
dans des espaces publics de la ville dans le but de « changer la relation entre les artistes
et l’audience » en réfléchissant aux questions de « propriété et de collectif »c. C’est
également le cas de l’association Assalamalekoum, en Mauritanie, qui organise annuel-
lement le « Assalamalekoum Festival » à Nouakchott. En parallèle des performances
artistiques, des ateliers, des formations et des temps de dialogue sont organisés avec la po-
pulation, dans un objectif d’ouverture de l’art et des pratiques artistiques à un public large.
a.
Carole Karemera au Colloque international « les Tiers lieux culturels africains et français : des écosystèmes
apprenants au service du développement et des transitions? », 16-18 mai 2022, Friche Belle de Mai, Marseille
b. Citation du site web de KipajiLab : https://kipajilab.com.
c. Citation du site web de KLA ART : https://klaart.org/about/.
116 L’AFRIQUE EN COMMUNS
L’art est utilisé comme un vecteur pour penser les transitions politiques et socié-
tales par la réappropriation, la ré-imagination et la redénition de la culture
africaine, passée, présente et future. Ces espaces sont aussi porteurs de processus
d’apprentissage spéciques par le pair-à-pair, l’émancipation citoyenne, l’inter-
disciplinarité et l’hybridation des savoirs (Andriantsimahavandy et al. 2020).
ENCADRÉ 4.2
Exemples d’espaces dédiés à l’art et aux artistes
L’Ishyo Arts Centre, créé par huit femmes au Rwanda en 2007, a pour objectif de « ré-
imaginer une humanité brutalisée »a. Sa création palliait l’absence de lieux culturels au
Rwanda. Il reposait au départ sur une version mobile, un bibliobus. Le bibliobus « pre-
nait en otage des enfants tout comme l’histoire a pris en otage la population ». Il avait
pour objet de construire des imaginaires à partir d’histoires diverses. La sédentarisation
du projet a ouvert le lieu à des artistes locaux pour des résidences gratuites et pour une
gestion commune de l’espace par les fondatrices et les artistes.
Terra Alta, à la périphérie d’Accra, a été créé en 2017 par l’artiste Elisabeth Efua
Sutherland. Cet espace donne un lieu à l’expression de plusieurs formes artistiques
grâce à sa salle de répétition, ses trois résidences d’artistes, sa galerie, sa bibliothèque
et son théâtre auxquels un café et deux jardins partagés viennent s’ajouter. L’objectif
du lieu est de brasser artistes, riverains, jeunes et enfants du quartier pour créer, prati-
quer, expérimenter. La construction de cet espace est le résultat de journées bénévoles
de riverains et d’artistes des environs.
Le KipajiLab au Kenya est un laboratoire culturel dont l’objectif est de « décoloniser
le continent africain à travers une histoire visuelle »b. Il réunit artistes, militantes et mili-
tants, enseignantes et enseignants, chercheurs et chercheuses. Des formations d’écriture
de scénario ou de mise en scène d’histoires sont dispensées et le matériel est partagé
dans la perspective d’initiation de projets visuels communs.
Des centres culturels divers mettent en place des festivals pour promouvoir les
réalisations produites par les artistes en résidence. Ces initiatives proviennent d’espaces
dédiés aux artistes et peuvent être transposées dans des espaces ouverts et de passage
afin de toucher un public plus large. C’est le cas de l’initiative KLA ART menée par 32° East
Ugandan Art Trust en Ouganda. Ce festival artistique expose ponctuellement des œuvres
dans des espaces publics de la ville dans le but de « changer la relation entre les artistes
et l’audience » en réfléchissant aux questions de « propriété et de collectif »c. C’est
également le cas de l’association Assalamalekoum, en Mauritanie, qui organise annuel-
lement le « Assalamalekoum Festival » à Nouakchott. En parallèle des performances
artistiques, des ateliers, des formations et des temps de dialogue sont organisés avec la po-
pulation, dans un objectif d’ouverture de l’art et des pratiques artistiques à un public large.
a.
Carole Karemera au Colloque international « les Tiers lieux culturels africains et français : des écosystèmes
apprenants au service du développement et des transitions? », 16-18 mai 2022, Friche Belle de Mai, Marseille
b. Citation du site web de KipajiLab : https://kipajilab.com.
c. Citation du site web de KLA ART : https://klaart.org/about/.
LES COMMUNS URBAINS 117
La vitalisation de l’espace public par des usages communs
Les espaces publics africains, de formations relativement récentes, restent
embryonnaires dans de nombreuses villes et sont largement investis par des
usages privés (usages résidentiels, activités économiques informelles) du fait de
la précarité de l’existence (Dahou 2005) et de la spéculation foncière (Leimdorfer
1999 ; Steck 2006). En marge de ces usages privés, les communs urbains déve-
loppent sur ces mêmes espaces des activités sociales et culturelles et explorent
une urbanité d’entre-deux (Durang 2000) en promouvant une mixité sociale et
une mixité fonctionnelle. Ces communs sont investis par des dynamiques entre-
preneuriales portées par les fondateurs et fondatrices des lieux.
Des communs urbains se sont développés sur des terrains vagues (jardin
des arts et de la culture de Reemdogo 2 et parcours sportif de Dassasgho à
Ouagadougou) ou des lieux de déchetteries (jardin solidaire et jardin artistique
de Kër iossane et terrain de sport de Pikine Ouest à Dakar) qu’ils ont assainis.
Ils peuvent participer également à la réhabilitation de bâtiments publics, comme
c’est le cas pour l’Ishyo Arts Centre qui s’est installé dans l’ancienne cantine de
la Caisse sociale du Rwanda.
Les communs urbains africains investissent l’espace public comme une
« scène » publique (Habermas 1962), mais aussi artistique. Les festivals urbains
organisés par certains lieux en sont une illustration. Le festival KLA ART du 32°
East Ugandan Art Trust expose des photos dans des conteneurs disposés dans les
espaces publics de Kampala. Dans une interview accordée à Libération5 en 2018,
Carole Karemera, co-fondatrice de l’Ishyo Arts Centre au Rwanda, explique com-
ment le théâtre ambulant a pu investir la rue, « théâtre des atrocités d’hier » où
« les gens étaient tués, regardaient ou fermaient leurs fenêtres ». Le KipajiLab au
Kenya utilise l’espace urbain comme salles de classe et espaces d’apprentissage.
Les communs urbains africains à dominance sociale et culturelle sont ainsi au
croisement de deux fonctions qui caractérisent les espaces publics : une sociabi-
lité relevant du domaine parochial, c’est-à-dire de relations d’interconnaissances,
de relations de quartier ou de relations de travail (Loand 1998) ; et l’observation
réciproque des autres et de leurs comportements (Goman 2013 ; Cornélis 2020).
À Kër iossane au Sénégal, les femmes du jardin solidaire témoignent qu’avant
ce projet elles ne se connaissaient pas et partageaient peu. Carole Karemera de
l’Ishyo Arts Centre déclare à propos du théâtre de rue : « Comme les gens n’ont
pas encore l’habitude, ils se disent : « Qui me voit ? Qui est là ? Si je ris, qui me
voit rire ? », les gens s’observent observant un spectacle »6.
Si certains communs investissent les espaces publics, la perméabilité des
catégories privée/publique ouvre en retour des lieux privés à des usages com-
muns. Terra Alta au Ghana est construit sur un terrain appartenant à la grand-
mère de la fondatrice, l’artiste Elisabeth Efua Sutherland. Il accueille aujourd’hui
un public local divers (artistes, enfants, riverains, passantes et passants).
118 L’AFRIQUE EN COMMUNS
La transformation des rapports des publics aux arts
L’objectif premier des espaces africains à dominance culturelle est de changer
le rapport des publics aux arts et de considérer l’art au service des désirs et des
besoins des communautés citoyennes. Dans les bus de l’Ishyo Arts Centre rwan-
dais qui sillonnaient les quartiers, l’art était pensé comme un outil de recon-
struction de la société. Il stimulait un processus de co-création d’imaginaires
positifs avec celles et ceux qui habitent ces quartiers et notamment les enfants.
À chaque pâté de maisons, une boîte à idées permettait d’en entendre les besoins
et les aspirations. Chaque boîte portait ainsi la mention : « Si c’est dans votre tête,
c’est dans notre programme ».
La transformation de la relation des publics aux arts se révèle aussi par la volonté
des artistes que leurs œuvres soient vues en dehors des lieux d’exposition clas-
siques comme les galeries. Le jardin des arts et de la culture de Reemdogo 2 à
Ouagadougou est dédié à la mise en visibilité des réalisations des artistes locaux,
dans un espace de circulation et de passage.
Dans un format diérent, mais avec la même préoccupation, la première édition
du festival KLA ART en 2014 en Ouganda, organisé par le 32° East Ugandan Arts
Trust, a disséminé douze conteneurs dans Kampala. Chaque conteneur propo-
sait un espace d’exposition dans un objectif de changer le regard du public en le
décalant des lieux classiques d’exposition artistique. Le site du festival explique
que KLA ART est centré sur « les artistes et les publics non traditionnels ».
Son objectif est de « transformer Kampala en une peinture vivante », obligeant
ainsi les individus à en être les protagonistes principaux et à rééchir « à la
signication de la propriété collective, de nos identités, de notre ville, de notre
environnement, de notre passé et de notre avenir ».
Les communs urbains d’innovation technologique et de fabrication :
les fablabs en Afrique subsaharienne
Les communs urbains d’innovation technologique et de fabrication ont pour
fonction principale de stimuler les processus d’innovation en s’appuyant sur des
méthodes d’intelligence collective, l’expérimentation et le prototypage. Ils peuvent
regrouper un large spectre d’espaces mobilisant une terminologie variée (maker-
spaces, fablabs, open labs, hackerspaces, Techshop, living lab, coworking) qui
prête parfois à confusion (Berrebi-Homann, Bureau, et Lallement 2018). Les
frontières entre ces lieux sont parfois ténues (Gandini 2015 ; Capdevila 2016).
Les communs urbains à dominance technologique que nous avons identiés
en Afrique subsaharienne et étudiés en détail se réclament des fablabs, qui font
partie de la famille des makerspaces. Merindol et al. dénit ces derniers comme
« des espaces communautaires ouverts, dans lesquels des passionnés de tech-
nologie mettent en œuvre des projets créatifs, échangent, apprennent, dans un
univers souvent numérique, conçu comme ouvert à l’appropriation ou la réap-
propriation par l’usager » (Merindol et al. 2016, 24).
LES COMMUNS URBAINS 119
Le fablab est un espace physique, ouvert et collaboratif. Il permet à une com-
munauté de non spécialistes l’accès à des machines numériques sophistiquées
(logiciels de conception et dessin assistés, machines de découpe laser, fraiseurs
numériques, imprimantes 3D, machines de découpes vinyles) an de concevoir,
d’apprendre, de prototyper, de fabriquer et de tester des objets ou des projets
logiciels, voire de fabriquer en petite série (Eychenne 2012 ; Rumpala 2014 ; Bou vier-
Patron 2015 ; Morel et Le Roux 2016 ; Mortara et Parisot 2016). L’objectif est
ainsi de proposer un atelier de production au cœur de la ville (Rumpala 2014 ;
Piller, Weller, et Kleer 2015). L’usage des outils numériques est commun à tous
et toutes, an de permettre à une personne de faire par elle-même ou avec les
autres (Do It Yourself – DIY ou Do It with Others – DIWO) et les productions
réalisées dans les fablabs, qui partagent la philosophie de l’open source, sont
libres de droits.
Les fablabs sont des makerspaces qui ont en général signé la Charte de la Fab
Foundation du Massachusetts Institute of Technology – MIT (Fonda et Canessa
2016), une organisation lancée par Neil Gershenfeld, à l’origine du premier
espace de ce type au début des années 2000. Ces ateliers de fabrication se retrou-
vent aussi bien dans des lieux publics (universités, écoles, espaces urbains) ou
privés (lieux privés, entreprises). Certains sont ouverts à tous et toutes (avec un
format d’openlab) sans critère d’adhésion tandis que d’autres sont réservés à
leurs membres avec paiement d’un accès. Le public des fablabs est très large :
communautés citoyennes, chercheurs et chercheuses, scolaires, étudiantes et
étudiants, artistes, entreprises.
Les fablabs font partie aujourd’hui des processus de transformation digitale
des grands groupes où de nouvelles idées se prototypent en vue de dénir leur
positionnement futur. Des collectivités territoriales soutiennent également des
fablabs pour promouvoir l’inclusion numérique et sociale sur leurs territoires.
De nombreux travaux ont procédé à des catégorisations des lieux qui ont
émergé dans les pays occidentaux en termes de régimes juridiques, de publics
cibles, de types d’atelier et de modes de nancement (Bottollier-Depois et al.
2014 ; Eychenne 2012 ; Lô 2017 ; Merindol et al. 2016). Les constats sont les suivants.
En termes de modèles économiques, beaucoup d’espaces proposent des ser-
vices qui peuvent être à la fois gratuits et payants (accès au lieu, formation),
ce qui en fait des modèles hybrides. Parallèlement, dans de nombreux fablabs,
l’objectif est de soutenir celles et ceux qui portent des projets pour les conduire
à l’entrepreneuriat, en leur proposant notamment tout un ensemble de sessions
de formations et d’accompagnement (Browder, Aldrich, et Bradley 2017 ; Fonda
et Canessa 2016 ; Mortara et Parisot 2016 ; Stacey 2014 ; Rayna et Striukova 2021).
Les fablabs se sont développés également en Afrique subsaharienne, en par-
allèle de l’émergence d’autres lieux consacrés à l’entrepreneuriat ou à l’incubation
(Cunningham et Cunningham 2016 ; De Beer et al. 2017). Le succès de ce mou-
vement est intrinsèquement lié au fait que ces lieux se développent en tant que
120 L’AFRIQUE EN COMMUNS
communs urbains (Mboa Nkoudou 2017). Ils enrichissent ainsi un écosystème
propice à répondre aux enjeux des villes africaines, notamment en lien avec
la croissance de la population. Ils contribuent aussi à répondre aux besoins
numériques de l’Afrique, en constante augmentation depuis plusieurs années
(Ninot et Peyroux 2018). Les fablabs, structures agiles et innovantes, apportent
ainsi une partie des réponses à nombre de dés en mettant au cœur de leur
modèle la mobilisation raisonnée et ecace du numérique.
Ce mouvement suscite l’intérêt des acteurs internationaux, publics ou privés,
pour qui les fablabs sont de nouveaux leviers pour accélérer le développement des
secteurs de croissance des pays d’Afrique subsaharienne, notamment l’emploi
des jeunes. L’Organisation internationale de la francophonie (OIF) soulignait en
2016 le dynamisme en Afrique des espaces de fabrication numérique soutenant
la création de biens communs numériques (OIF et Idest 2016). D’autres grandes
organisations internationales s’impliquent dans la création de fablabs comme
l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et des Organisations
non gouvernementales (ONG) comme Terre des hommes (TDH). Les fablabs
africains sont également appuyés par de grandes entreprises ainsi que par des
dispositifs européens de soutien : Orange en Tunisie, Égypte, Sénégal, Côté d’Ivoire,
Cameroun et Madagascar, ou Horizon 2020 via son programme Wasiup (Cousin
et al. 2017).
Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à treize fablabs : Deo Ak
Niep (Ker iossane) (Dakar – Sénégal), BloLab (Cotonou – Bénin), BabyLab
(Abidjian – Côte d’Ivoire), WoeLab (Lomé – Togo), DoniLab (Bamako – Mali),
SahelFablab (Nouakchott – Mauritanie), OuagaLab (Ouagadougou – Burkina
Faso), GreenLab (Akure – Nigeria), Fablab Espace Créatif (Djibouti – Djibouti),
Twende Hub (Arusha – Tanzanie), HarHub (Hargeisa – Somalie), Makerere
Innovation and Incubation Center (Kampala –Ouganda) et Fablab Winam
(Kisumu – Kenya).
Le rôle clé des fondateurs et de la constitution de l’équipe
Les personnes (femmes et hommes) à l’origine des lieux assurent un rôle par-
ticulier dans les fablabs africains étudiés. Elles s’occupent de la coordination du
lieu, de la constitution des équipes, de la mise en place des partenariats et des
nancements. Elles ont souvent une expérience professionnelle préalable dans les
domaines de l’ingénierie ou de l’informatique par exemple. Leurs motivations
sont altruistes et elles localisent souvent le fablab à leur domicile. Elles peuvent
être accompagnées par des formations en ligne sous forme de MOOC (Massive
Online Open Courses). Elles bénécient d’échanges entre pairs avec d’autres fab-
managers, dans des colloques notamment (encadré 4.3). Elles sont la plupart du
temps soutenues dans l’animation du lieu par des équipes de bénévoles, souvent
issus de l’école du fondateur.
LES COMMUNS URBAINS 121
ENCADRÉ 4.3
Le BabyLab en Côte d’Ivoire
Le BabyLab en Côte d’Ivoire a été créé en 2014 par Guiako Obin et une dizaine d’amis
informaticiens. Il est le premier fablab ivoirien inscrit dans le répertoire du MIT. Le fon-
dateur veut créer un lieu de sociabilisation et de développement au numérique à desti-
nation des habitantes et des habitants du quartier et des enfants, confrontés à l’insécurité,
à la pauvreté et à la délinquance. De formation informatique et après avoir travaillé en
tant que développeur, il suit le MOOC de l’école des Mines Telecom sur le numérique et
initie le BabyLab à son domicile, dans la commune populaire d’Abobo (« Baby » signifiant
« Abidjan »). Son objectif est d’accompagner le potentiel d’innovation technologique
du quartier et de proposer des formations adaptées aux besoins du territoire. Par son
implication, le BabyLab est non seulement visible en tant que fablab MIT, mais égale-
ment labellisé sous l’égide de la Fondation Orange en tant que fablab solidaire.
Le fablab permet à toutes les couches sociales et à tous les types de population
(enfants scolarisés ou non, jeunes femmes et hommes en situation d’insertion ou non,
associations de jeunes, personnes engagées dans l’artisanat, établissements scolaires,
centres sociaux, collectivités, coopératives, communautés villageoises) de s’initier au
numérique (via la formation au codage, à l’électronique et à la robotique), d’utiliser les
outils dans le cadre de leurs métiers (fabrication de meubles à l’aide d’outils comme
des imprimantes 3D ou des machines à commande numérique), de développer des
projets (action de prototypage) ou de permettre la valorisation de déchets informatiques
via l’économie circulaire. Le fablab propose par exemple le programme Kid Lab qui
accueille les enfants de huit à quinze ans, durant leur temps scolaire ou en dehors,
pour « bidouiller » et s’initier au codage à partir de kits Arduino et d’ordinateurs Jerry.
Le fondateur, aujourd’hui Directeur exécutif du lieu, travaille également à tisser un
réseau de fablabs en Côte d’Ivoire et à conseiller les gouvernements locaux sur des projets
technologiques potentiellement structurants dans le pays. Ses activités ne se limitent
pas au périmètre du BabyLab. Les relations étroites entretenues avec la Fondation Orange
ont permis de réaliser par exemple le projet « Carré lumineux » (mise en place d’une
salle intelligente lumineuse à partir de panneaux solaires pour les élèves du village non
électrifié N’gorankro situé à 50 kilomètres d’Abidjan). Le programme Caravane Jeunesse
Numérique vise aussi à sensibiliser à l’entrepreneuriat des habitants des régions reculées
du pays, en collaboration avec le ministère ivoirien de l’Économie numérique.
Le BabyLab a été particulièrement actif pendant la pandémie de Covid-19. Portés
par la créativité et l’agilité imprégnant le lieu, 300 dispositifs de lavage des mains à
pédale ont pu être produits et distribués dans des établissements scolaires et des
espaces publics, ainsi que 3 000 visières de protection pour le personnel soignant et les
commerciaux en première ligne des contacts clientèle.
Les fabmanagers sont aujourd’hui des acteurs de référence en Afrique sub-
saharienne dès lors qu’il est question de développement du numérique impli-
quant l’emploi des jeunes et la transition des villes. Ils font l’interface entre leurs
122 L’AFRIQUE EN COMMUNS
structures, les médias et les organisations qui pourraient être de potentiels
partenaires. Acteurs de terrain avec un leadership avéré, ils sont, par défaut, des
activistes sur les questions du numérique dans leurs diérents pays. Il faut noter
que très peu de femmes font partie de ce réseau d’acteurs.
La place privilégiée du numérique
Les fablabs d’Afrique subsaharienne sont équipés de matériels numériques et
technologiques mobilisant des logiciels open source. Il s’agit principalement de
petits outillages, d’ordinateurs ou d’imprimantes simples. Les logiciels et maté-
riels open source tels que Scratch et Arduino sont souvent mis à disposition
(Fagbohoun 2016) (encadré 4.4). Les équipements plus conséquents, comme
les imprimantes 3D, dépendent des nancements disponibles.
ENCADRÉ 4.4
La créativité numérique des
fablabs
africains
Les fablabs africains utilisent comme leurs homologues occidentaux des matériels
et logiciels open source et donc très peu chers, voire gratuits. Toutefois dans certains
cas, la démarche est poussée encore plus loin en mobilisant ces équipements en vue de
créer d’autres matériels numériques. Les microcontrôleurs Arduino (petits circuits im-
primés en open source et peu coûteux, associés à un microcontrôleur, permettant de
fabriquer des appareils interagissant avec leur environnement) sont largement utilisés.
Par exemple, ce dispositif peut servir à contrôler à distance, via une application, un
système d’irrigation des champs ou de surveillance du bétail. On trouve aussi des nano-
ordinateurs Raspberry Pi (ordinateurs de la taille d’une carte de crédit et de très faible
prix) utilisés dans l’agriculture, la santé, la domotique ou la communication (Piuzzi 2021).
C’est dans les fablabs africains que sont nés également les ordinateurs Jerry, ordinateurs
montés à partir d’objets informatiques récupérés et assemblés dans un bidon de 20 litres
(jerrycan). Ils sont largement utilisés à destination des scolaires. Enfin, certains lieux com-
me le WoeLab au Togo ont la possibilité, à partir d’une première imprimante 3D, de
répliquer au moins la moitié des pièces d’une nouvelle imprimante 3D, afin de fournir
ce type de matériel dans d’autres fablabs par exemple (projet Reprap – Replication
Rapid prototype).
Les fablabs ayant reçu une aide extérieure dès le début sont souvent mieux
équipés, mais restent rares. C’est le cas du Fablab Espace Créatif (Djibouti), créé
en décembre 2019 : soutenu et nancé par l’OIM, le fablab était équipé dès sa
création de cinq imprimantes 3D, d’une grande fraiseuse, de six ordinateurs,
d’un scanner 3D, d’un graveur et découpeur laser, d’un dremel et de consom-
mables à utiliser en un an.
LES COMMUNS URBAINS 123
De manière générale, les fabmanagers doivent innover pour doter le lieu
en matériels. Ils s’appuient sur des partenariats locaux ou internationaux pour
récupérer du matériel dont les ressources serviront à créer de nouveaux ordina-
teurs (comme les ordinateurs Jerry installés ensuite dans les écoles). En ce sens,
les fablabs mettent en œuvre des solutions créatives et frugales, peu onéreuses
et faciles d’accès, fondées sur la récupération. Les illustrations sont nombreuses.
Des entreprises françaises, dont la Société générale, fournissent par exemple au
BabyLab en Côte d’Ivoire des déchets informatiques. Le BloLab au Bénin fait de
même à partir de dons informatiques provenant d’organisations internationales.
Le OuagaLab au Burkina Faso a bénécié de matériels provenant de fablabs
français (Artilect, Electrolab et le Labfab).
La fabrique des villes africaines à l’épreuve
des communs urbains
Les villes africaines se développent rapidement, souvent de manière informelle.
Elles sont en quête de nouveaux modèles urbanistiques et de processus de
fabrication qui soient propres à l’Afrique (Chenal 2015). Face à une telle tâche,
il s’agit de comprendre comment fonctionne au quotidien la fabrication de la
ville par ceux qui la vivent. Les initiatives décrites dans les sections précédentes
laissent penser qu’il y a dans le domaine du développement urbain une voie
vers des modes de valorisation et de gestion des ressources territoriales qui
soient collectifs et participatifs. La place oerte aux habitants dans la fabrique
des villes est un thème ancien. Notre contribution ici est d’analyser la manière
dont les communs urbains, et les femmes et les hommes qui les créent et les
font vivre, peuvent participer à un mode renouvelé de fabrique des villes en
Afrique subsaharienne. Nous revenons dans cette dernière section à ce que
les communs urbains produisent et les fonctions qu’ils remplissent puis aux
stratégies qu’ils développent pour se maintenir dans la durée et se disséminer.
Nous nous positionnons enn dans une posture plus prospective en explorant
deux gures possibles de la ville par les communs.
Une plurifonctionnalité basée sur des approches pédagogiques
innovantes
Tous les communs urbains que nous avons étudiés en Afrique subsaharienne
portent des valeurs de durabilité écologique et sociale, ainsi que des valeurs liées à
l’engagement pour les collectifs de proximité impliqués. Ils ont des positionnements
essentiels d’intermédiation et connectent des personnes, des disciplines, des
échelles et des univers variés. Ils assument aussi des démarches d’expérimentation
et de prise de risque. Ils développent des pratiques pédagogiques innovantes
124 L’AFRIQUE EN COMMUNS
en s’appuyant sur des dynamiques d’intelligence collective. Cette montée en
compétences permet aux collectifs de développer des solutions durables à
des enjeux environnementaux et sociaux.
Des pratiques pédagogiques innovantes…
L’adage africain « il faut un village entier pour éduquer un enfant » témoigne du
caractère commun attaché à l’éducation et à la formation des jeunes en Afrique.
Les lieux hybrides africains mobilisent des modalités d’apprentissage à la fois
non formelles (modalités non institutionnalisées, destinées à un public cible et
mobilisant des outils ad hoc en fonction des besoins) et informelles (toutes les
autres formes éducationnelles non institutionnalisées) (Andriantsimahavandy
et al. 2020).
L’éducation informelle recouvre la dimension socioculturelle de la vie de
l’enfant : « elle embrasse aussi bien la formation du caractère, le développement
des aptitudes physiques, l’acquisition des qualités morales, l’acquisition des
connaissances et des techniques nécessaires à la vie sous tous ses aspects »
(Andriantsimahavandy et al. 2020). L’éducation informelle est également
qualiée de « traditionnelle » ou « d’originelle » (Ngakoutou 2004). L’éducation
traditionnelle est l’une des caractéristiques du village africain et plus largement
du monde rural. Le milieu urbain n’est pas propice à cette éducation tradi-
tionnelle par la communauté. Ce sont « deux genres de société, deux types de
mode d’existence, de culture, et par conséquence d’homme. D’un côté, le village,
le milieu rural, dans lequel la société est engendrée en même temps que les
individus qui la composent. […] De l’autre côté, la ville, le milieu urbain, dans
laquelle la société est faite par des membres qui se sentent unis, non pas des liens
naturels de parenté, mais par des liens articiels de travail » (Elungu 1987, 124).
Les communs urbains cherchent à inventer de nouveaux modèles péda-
gogiques et éducationnels, réconciliant le milieu urbain avec les dimensions
socioculturelles de l’éducation traditionnelle. Le WoeLab au Togo évoque de
« nouveaux enclos d’initiation pour les jeunes »7. Ces postures pédagogiques
sont, pour les fondateurs de tous ces lieux, nécessaires pour « doter les indivi-
dus d’une capacité de résilience et de réinvention » face aux dés écologiques,
sociaux, démographiques, démocratiques et économiques du continent
(Andriantsimahavandy et al. 2020, 30).
Quatre catégories de compétences sont à acquérir (Andriantsimahavandy
et al. 2020) : les compétences permettant la résolution de problème et la
recherche de solutions, les compétences favorisant la créativité, les compé-
tences permettant de travailler en coopération, et les compétences favorisant
l’empowerment, le leadership et l’entrepreneuriat. C’est à travers des méthodes
basées sur le « métissage » (Serres 1992), l’interdisciplinarité, l’hybridation des
savoirs et l’horizontalité des échanges que les communs urbains développent
ces compétences (encadré 4.5) auprès d’individus actifs et engagés dans des
solutions locales de développement durable.
LES COMMUNS URBAINS 125
ENCADRÉ 4.5
Compétences et pratiques pédagogiques développées
au sein des communs urbains africains
Compétences permettant la résolution de problème et la recherche de solution :
À travers le prototypage de dessins (Fablab Espace Créatif de Djibouti) ou de visières
sanitaires pendant la pandémie (Fablab Winam au Kenya, OuagaLab au Burkina Faso,
BabyLab en Côte d’Ivoire, BloLab au Bénin), les fablabs mobilisent des méthodes de design
thinking et de design sprint (Knapp, Zeratsky, et Kowitz 2017).
Compétences favorisant la créativité par l’élaboration de nouveaux imaginaires,
récits et futurs souhaitables : Au Rwanda, l’Ishyo Arts Centre travaille sur les trauma-
tismes liés au génocide des années 1990. Au Kenya, le KipaJiLab réfléchit sur l’africanité
et la décolonisation de l’Afrique. Au Nigeria, le GreenLab développe un récit autour des
solutions locales et de l’indépendance aux produits importés ainsi que sur la capacité
des jeunes à inventer et à développer des solutions innovantes par prototypage.
Compétences permettant de travailler en coopération : L’échange de savoirs
multiples entre des personnes d’horizons diverses et l’interdisciplinarité (Labrune 2018)
sont au cœur des différents projets. L’Ishyo Arts Centre au Rwanda et Terra Alta au
Ghana mobilisent monde du théâtre, de la musique, des contes ou encore de la photo-
graphie. La fondatrice de Terra Alta insiste sur la notion de « modularité » qui traverse
le lieu et l’hybridité des espaces, des acteurs et des arts. Le Réseau francophone des
fablabs d’Afrique de l’Ouest (ReFFAO) illustre cette volonté de coopération à une échelle
régionale.
Compétences favorisant l’
empowerment
, le leadership et l’entrepreneuriat :
Le développement de ces compétences est l’objectif premier de nombreux communs
urbains. Des formations artistiques sont dispensées dans certains lieux : cours d’écriture
de scénarios au KipajiLab au Kenya, sensibilisation et formation artistique au Terra Alta
au Ghana. Le jardin solidaire de Kër Thiossane au Sénégal propose aux femmes des
formations à la permaculture. L’acculturation au numérique à destination des jeunes
des quartiers défavorisés est au centre des préoccupations des fablabs (Liotard 2020).
De nombreux ateliers sont ainsi proposés aux enfants et adolescents, filles et garçons,
sur le temps scolaire pour les initier à la programmation et à la réalisation d’objets con-
nectés simples : Dekfo au Sénégal, OuagaLab au Burkina Faso (programme Jerry school),
GreenLab au Nigeria (programmes « One student, one Arduino », « Katrina Golden
Book » et « Mickey Mickey »). Le DoniLab au Mali, en collaboration avec l’Institut Mines
Telecom de Paris, propose un MOOC « Comment programmer un objet avec Arduino ? »,
destiné notamment à la communauté étudiante de l’École supérieure d’architecture
et d’urbanisme du Mali.
126 L’AFRIQUE EN COMMUNS
… Au service de fonctions environnementales et sociales armées
Les communs urbains sont au carrefour de plusieurs fonctions, combinant
des activités à visée écologique et sociale et des activités pédagogiques ou de
dissémination en lien avec l’objectif collectif poursuivi. D’un point de vue
environnemental (encadré 4.6), les communs urbains africains peuvent avoir
une visée écologique armée : recyclage, consommation et approvisionnement
responsable, circuits courts, agriculture urbaine écoresponsable (permaculture,
agriculture biologique). Ils sont l’un des éléments clés nécessaires au dévelop-
pement local durable d’un territoire (Mboa Nkoudou 2020). Ils s’inscrivent dans
une logique d’urbanisme circulaire par l’intensication des usages collectifs des
espaces urbanisés et la réhabilitation (terrains vagues, friches, déchetteries)
ou recyclage (écoles, bâtiments publics) de lieux et infrastructures existants.
Certains proposent des activités pour les porteurs et porteuses de projets engagées
dans la transition écologique.
ENCADRÉ 4.6
Fonctions environnementales des communs urbains africains
Pratiques écoresponsables au sein des communs urbains : Defko au Sénégal ouvre
l’accès aux métiers de l’artisanat (métal, tissu, teinture ou peinture sur verre) à un repair
café avec un objectif « d’obsolescence déprogrammée » (Goyon 2016). Dans les fablabs,
les matériels low cost et le recyclage sont à l’origine de solutions techniques frugales et
peu onéreuses. Les pratiques responsables (consommations limitées, recyclage) sont
également au cœur des préoccupations des lieux hybrides culturels. Dans les cas du terrain
de sport de Pikine Ouest ou du parcours sportif de Dassasgho à Ouagadougou, l’usage
du béton est minimal, les mobiliers ont été réalisés par les artisans du quartier, les bancs à
partir des troncs d’arbre présents sur le site. Ces terrains, délaissés des pouvoirs publics,
sont aménagés par celles et ceux qui vivent dans le quartier à partir de matériel local ou
recyclé. Il s’agit ici de promouvoir une économie circulaire, mais aussi de créer des espaces
conviviaux avec peu de moyens.
Soutien à des projets écoresponsables autour de l’agriculture urbaine : Le jardin
solidaire de Kër Thiossane au Sénégal dispense des formations aux pratiques de la per-
maculture. Le WoeLab au Togo développe le projet Urbanattic qui vise à transformer des
dépotoirs sauvages en potagers pour y pratiquer une agriculture biologique, déployer
des greniers urbains dans les fablabs de la ville et proposer une plateforme locale d’achat
de produits biologiques.
Les eets sociaux des communs urbains (encadré 4.7) sont multiples (Gayet
et Ung 2021) : sur les membres des communs (qu’ils relèvent du salariat, du
bénévolat, du volontariat ou du contributif), mais également sur leurs parties
prenantes externes directes ou indirectes de leur territoire d’action (bénéciaires,
LES COMMUNS URBAINS 127
usagères et usagers, clientèles mixtes) et sur la société en général. Les communs
sont d’abord porteurs de valeurs communes liées à l’engagement, l’intermédia-
tion et la connexion des personnes, des disciplines, des échelles et des univers
(Besson 2017). Ils développent des projets en réponse à des problèmes spéci-
ques de société : délinquance des jeunes, discrimination de genre, enjeux
humanitaires, crise sanitaire. Dans le cas des fablabs, la création de commu-
nautés de pratiques permet également de « penser l’activité technique comme
une activité sociale assurant la cohésion entre les individus » et donc de ren-
forcer le tissu social local (Mboa Nkoudou 2020, 54). Certains projets visent
des agriculteurs et des agricultrices ou des populations rurales et ont donc des
eets sociaux au-delà des limites du quartier, voire de la ville.
ENCADRÉ 4.7
Fonctions sociales des communs urbains africains
Lutte contre la délinquance des jeunes (Leyronas, Liotard, et Prié 2018) : Pour le fon-
dateur du BabyLab en Côte d’Ivoire, le fablab un moyen d’occuper les jeunes en dehors
des temps scolaires et de les encourager à imaginer, créer et produire. Le BabyLab cherche
à transformer chaque individu en acteur du changement afin d’opérer une transfor-
mation sociale. Le fondateur du OuagaLab au Burkina Faso a également créé le fablab
Mogtédo afin de lutter spécifiquement contre la délinquance et l’orpaillage chez les
jeunes.
Lutte contre les discriminations de genre : Stop VBG (Violences basées sur le genre)
au sein du BloLab au Bénin est une application mobile de dénonciation des cas de vio-
lences basées sur le genre. Ce projet est développé grâce à la communauté Imagination
for People (IP Bénin) avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD). Defko au Sénégal et le BabyLab en Côte d’Ivoire orientent des actions spécifique-
ment vers les femmes, tout comme SahelFablab en Mauritanie, dont les managers sont des
femmes. Le jardin solidaire de Kër Thiossane au Sénégal leur est exclusivement réservé.
Visée humanitaire : Le Fablab Espace Créatif de Djibouti s’est donné comme mission
d’accueillir et de former les migrants issus d’Éthiopie, du Yémen et de Somalie. Les ateliers
organisés sont centrés sur la dactylographie et la formation à l’utilisation d’un clavier.
Solutions en période de crise sanitaire : Plusieurs initiatives ont été lancées pendant
la pandémie de COVID-19. Le ReFFAO, en association avec le Réseau français des fablabs
et Réseau Bretagne solidaire, a lancé l’initiative « Makers Nord Sud contre le coronavirus »
en 2020. Ce projet a permis d’équiper dix fablabs pour la création de visières de protec-
tion et de petits matériels de santé, voire de respirateurs artificiels. En Afrique de l’Est,
des initiatives similaires se sont développées : le Fablab Espace Créatif de Djibouti a par
exemple envoyé au Fablab Winam du Kenya les modèles des visières imprimées en 3D.
Effets au-delà des limites de la ville : Le BloLab au Bénin développe l’application
numérique Ipatic dédiée aux agriculteurs. Elle permet la mise en relation des profession-
nels et propose un système d’irrigation des cultures automatique, contrôlé à distance.
(suite page suivante)
128 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Encadré 4.7 (suite)
Le BloLab a formé environ 250 agriculteurs. Au OuagaLab au Burkina Faso, les projets
sont majoritairement tournés vers les agriculteurs : une éolienne low cost qui produit
1 kWh, une open station météo pour diffuser par messages textes les données clima-
tiques de la ville et des zones agricoles (températures et taux d’humidité), une plateforme
de valorisation et commercialisation des produits agricoles locaux, un kit permettant aux
agriculteurs de communiquer entre eux sur les premiers signes d’attaque parasitaire. Le
SahelFablab en Mauritanie a conçu et réalisé des fours solaires pour réduire la consom-
mation de bois de chauffe en milieu rural, ou encore un projet d’irrigation automatique,
contrôlé à partir d’une application mobile, avec système de goutte-à-goutte et de mesure
de l’humidité du sol. Les initiatives culturelles nomades comme l’Ishyo Arts Centre au
Rwanda se produisent parfois en dehors de la ville.
Des modèles économiques fragiles et des stratégies
de dissémination par essaimage
Des modèles économiques hybrides par nécessité
Les modèles économiques des communs urbains africains restent fragiles et
uctuent rapidement. Aucun modèle type ne se dégage véritablement, mais on
constate que les modèles d’aaire des communs urbains reposent sur des activités
multiples, qui permettent de diversier les sources de nancement pour plus
d’indépendance et moins de précarité (voir le modèle EnMarché défini au
chapitre 1).
Beaucoup de personnes ayant fondé des lieux ont souhaité au départ laisser
leur espace libre et gratuit pour tous et toutes. Mais rattrapées par la réalité éco-
nomique, elles ont dû penser un modèle économique qui assure la pérennité
des activités. Certains lieux ont bénécié très tôt dans leur développement de
nancements par des organismes internationaux, notamment parce qu’ils ne
recevaient pas de soutien de la part d’organismes locaux (Mboa Nkoudou 2020).
Néanmoins, tous les lieux développent dans la durée des modèles hybrides.
Adhésions, bénévolat, subventions, participation aux frais par des résidents (pour
la location d’espace), revenus d’activités (restauration, bar), dons en monnaie ou en
nature, prestations diverses (expertise, accompagnement de projets, éducation
populaire), nancement participatif et partenariats sont autant d’outils déployés
pour équilibrer les budgets.
Les lieux ont été majoritairement fondés par des femmes et des hommes qui
ont mobilisé au départ leurs fonds propres. Par exemple, c’est la vente des
œuvres de la fondatrice de Terra Alta au Ghana qui a permis de nancer une
grande partie de l’aménagement de l’espace. Certains ont pu obtenir des aides
financières (via des Fondations d’entreprises, des États ou des organisations
internationales). Deo au Sénégal reste une exception : il a bénécié, lors de
sa création, de fonds de soutien versés par l’OIF pour l’achat de matériel puis
LES COMMUNS URBAINS 129
une aide de la Fondation Orange en faveur de son programme de formation
à destination des enfants. De la même manière Fablab Espace Créatif à Djibouti
a été dès l’origine un projet soutenu par l’OIM. Pour sa part, le BabyLab en Côte
d’Ivoire a bénécié de soutiens nanciers au fur et à mesure du développement
de son activité, et notamment une aide nancière de la Fondation Orange
Solidaire et un nancement via le gouvernement français. Côté lieux hybrides
culturels, le KipajiLab au Kenya a bénécié d’un soutien nancier de l’ONG Zuri
Works.
De nombreux communs urbains africains ont levé des fonds via du crowd-
funding (BabyLab en Côte d’Ivoire, OuagaLab au Burkina Faso, BloLab au Bénin
et Terra Alta au Ghana). Certains ont bénécié de bourses (Winam au Kenya)
ou de prix scientiques (BabyLab en Côte d’Ivoire). Les fablabs proposent une
adhésion à leurs membres, qui reste très faible. L’Ishyo Arts Centre impose aux
artistes de reverser au centre un tiers de leur chire d’aaires lié à la vente de
leurs œuvres dans le lieu. Certaines activités et services proposés sont payants.
Les fablabs proposent par exemple des formations gratuites à la fabrication
numérique, mais également payantes via des partenariats noués soit avec des
écoles ou des universités, soit avec des incubateurs. Par exemple, le BabyLab
en Côte d’Ivoire propose ses services à l’incubateur Incub’Ivoir et Defko à
l’incubateur sénégalais Cetim. Certains lieux hybrides louent une partie de leur
espace pour des besoins privés. Le Terra Alta au Ghana propose un système ori-
ginal basé sur une contribution par crédit cumulable en temps à la vie du lieu
(ménage, garde d’enfants, sensibilisation et enseignement de l’art) en échange de
l’utilisation des salles de répétition. Certains lieux enn proposent des espaces
incubateurs qui leur assure des revenus : le WoeLab comprend aujourd’hui neuf
start-ups appartenant à la communauté sous la bannière de Silicon Village et
dont les jeunes sont cosociétaires et le KipajiLab au Kenya dispose d’un espace
incubateur permettant de rémunérer en partie les artistes.
Les communs urbains présentent des modèles économiques majoritairement
précaires, mais ils s’adaptent aux territoires sur lesquels ils se développent,
notamment aux législations des pays ne proposant pas encore de statut spéci-
que ou approprié. Leur domaine d’action est primordial.
Stratégies de dissémination : bourgeonnement et essaimage
La personnalité de la personne ayant fondé le fablab et ses connexions avec le
milieu académique et économique (national et international) constituent des
atouts majeurs dans la pérennité du lieu. La connaissance de ce milieu, les échanges
lors de rencontres et colloques, les déplacements à l’étranger sont essentiels à
la constitution de réseaux et de liens avec les canaux de nancement potentiels.
Le GreenLab au Nigéria est à ce titre révélateur : son fondateur est nigérian, vit en
Allemagne et travaille au sein d’un fablab allemand. Il est lui-même chercheur sur
les questions d’innovation et le fonctionnement des fablabs africains et bénécie
donc de ce réseau de connaissances.
130 L’AFRIQUE EN COMMUNS
L’appartenance à un réseau régional, voire international, est évoquée comme
une nécessité : ce réseau assure à la fois les fonctions de communauté apprenante
et de vecteur de dissémination. Les travaux réalisés par Kebir et Wallet montrent
que la nalité et l’arsenal symbolique (la narration accompagnant ces projets) sont
déterminants dans les dynamiques de dissémination et de reproduction de ces
communautés. L’auteur et les autrices identient deux voies de dissémination :
par « bourgeonnement » ou par « ruche » (Kebir et Wallet 2021).
La dissémination par bourgeonnement repose sur une association mère qui
appuie la création d’initiatives mettant en œuvre son objectif et qui aide en ce
sens à la structuration d’un collectif. Son objectif n’est pas de s’étendre et de gérer
une multitude de sites, mais de disséminer, reproduire et répliquer son concept,
son approche à travers le territoire. Au Rwanda, l’Ishyo Arts Centre, premier
centre culturel, a inspiré quinze lieux similaires.
La dynamique de la ruche (ou dynamique réticulaire) est diérente. L’associat ion
mère développe un projet qui se cristallise autour d’un lieu où elle déploie son
activité. Cette structure est unique et n’a pas vocation à être reproduite ni répli-
quée, mais toute personne souhaitant développer une démarche de ce type peut
venir s’y inspirer. La dissémination se fait par des individus qui, à un certain
moment, peuvent quitter la structure (la ruche) pour poursuivre leurs activités
et fonder à leur tour une colonie indépendante de la structure mère.
« Ville collaborative » ou « ville investie » : deux gures possibles
de la ville africaine
Dans des contextes où les autorités locales peinent à trouver des solutions, face
aux enjeux auxquels sont confrontées les villes et plus largement les territoires
urbains, le dynamisme des initiatives liées aux communs et la créativité des
solutions mises en place sont autant de raisons pouvant amener les acteurs
publics à s’y intéresser.
Il existe une mosaïque de situations et de rapports de ces communs urbains
africains avec les dispositifs d’intervention publique. Si certaines dynamiques
de communs s’insèrent dans des projets plus vastes portés par les collectivités,
d’autres restent des niches d’expérimentations sociales. Kebir et Wallet proposent
trois gures de la ville par les communs : la « ville augmentée », la « ville contes-
tée » et la « ville réinvestie » (Kebir et Wallet 2021). Dans les contextes que nous
avons étudiés, nous en proposons deux : la « ville collaborative » et la « ville
investie ».
La première gure est une « ville collaborative » avec les communs urbains.
Dans cette conguration, les communs urbains africains constituent des îlots
qui émergent pour répondre à des enjeux de bien-être (accès à des ressources,
à de nouveaux services de proximité, à l’éducation, à la culture). Cette gure
repose sur le maintien dans la durée de ces initiatives et leur capacité à trans-
former la démarche expérimentale initiale en démarche pérenne. Il arrive que
LES COMMUNS URBAINS 131
les collectivités locales apportent un soutien bienveillant envers ces initiatives.
Le dynamisme généré autour du Jardin solidaire de Kër iossane au Sénégal
par exemple a incité la mairie à installer un éclairage public autour du lieu. Les
autorités publiques peuvent au contraire faire preuve d’inaction, voire de straté-
gies ne permettant pas aux communs urbains de se maintenir. Les communs
restent une soupape du modèle économique dominant, un espace refuge pour
ceux qui sont exclus du cœur de ce modèle, tout en étant cantonnés dans les
marges du système. La juxtaposition de ces dispositifs (intervention publique
d’une part et communs urbains d’autre part) ne peut manquer d’avoir des eets
sur les congurations spatiales des villes africaines qui sont « atomisées, fragmen-
tées en plusieurs sous-espaces identiables par leur fonctionnalité » (Mayer et
Soumahoro 2014).
La seconde gure est une « ville investie » par les communs urbains. Elle se
caractérise par des initiatives qui se créent dans les interstices de la politique
de la ville, en lien étroit avec les collectivités locales, voire à l’initiative de ces
dernières (encadré 4.8). C’est une gure de la ville basée sur l’hybridation des
approches de communs avec les dispositifs d’intervention publique. En portant
une attention renforcée aux dispositifs collectifs de création et de gestion des
ressources urbaines, les communs viennent enrichir le projet urbain public par
la recherche d’un surcroît d’inclusion, d’équité et de démocratie délibérative.
Certains communs urbains (Ishyo Arts Centre au Rwanda, WoeLab au Togo,
association Assalamalekoum en Mauritanie) se revendiquent de cette démarche
et mettent en avant le caractère inspirant de leur initiative. En ce sens, les proces-
sus associés aux communs complètent ceux décrits par la littérature sur le déve-
loppement territorial en ajoutant aux dimensions économiques, des dimensions
liées aux enjeux sociétaux (transition écologique, éducation, bien-être, égalité
de genre) et environnementaux (recyclage, frugalité).
ENCADRÉ 4.8
Les pépinières urbaines – De l’urbanisme temporaire
à l’urbanisme transitoire
Pour contribuer à la participation des riverains au développement de leur ville et de leurs
quartiers, et pour rendre cette intention rapidement visible, l’Agence française de dévelop-
pement (AFD) a mis en place à partir de 2018 un dispositif appelé « Pépinières urbaines »a
(Besson 2022). Il s’agit, en complémentarité des logiques planificatrices à cinq ou dix ans
et de l’appui à leur mise en œuvre, d’expérimenter et d’accompagner de nouvelles moda-
lités de la fabrique urbaine. Associant les collectivités, les maîtres d’ouvrages de grands
projets urbains et les acteurs de la société civile, l’objectif est de contribuer à l’émergence
de nouveaux modes de faire autour de la réalisation de micro-projets.
(suite page suivante)
132 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Encadré 4.8 (suite)
La nature des réalisations possibles est très ouverte, fruit d’échanges entre les femmes
et les hommes en tant que riverains et usagers, les maîtres d’ouvrages, et avec l’accompa-
gnement d’organismes qui se spécialisent dans ces démarches (comme le Gret, urbaSEN,
urbaMonde et Cabanon Vertical). Les pépinières sont présentées comme des laboratoires
d’initiatives citoyennes, accompagnant les parties prenantes de la ville dans la co-concep-
tion et la co-construction de micro-actions innovantes et participatives d’aménagement
ou d’activation de l’espace public.
Début 2022, des pépinières se déploient au Burkina Faso, dans deux centralités de
Ouagadougou (Tampouy et Grand Est) qui accueilleront à terme un programme d’infra-
structures plus large (au titre du Projet de Développement durable de Ouagadougou
mis en œuvre par la mairie et financé par l’AFD pour sa deuxième phase), ainsi qu’à
Dakar autour des futurs équipements de transport collectif, en Tunisie dans des quartiers
bénéficiant des Programmes nationaux de réhabilitation et d’intégration des quartiers
d’habitat précaire, et à Abidjan dans des quartiers défavorisés bénéficiant du Projet
d’Amélioration des Quartiers Restructurés d’Abidjan porté par le ministère en charge
de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU) de Côte d’Ivoire. Les micro-
actions co-conçues par les usagers et les organisations de la société civile recouvrent
des aménagements temporaires de sites (parcours sportifs, haltes voyageurs de transport
publics, giratoires), des équipements comme une radio mobile, des lieux de rencontre
et de création, ainsi que des animations (tournois sportifs par exemple).
Le dispositif est inspiré de mouvements urbanistiques que l’on retrouve sous les
termes d’urbanisme transitoire ou temporaire et plus largement de co-urbanismeb. Il fait
l’objet d’un suivi évaluation scientifiquec qui permet de contribuer à analyser les apports
ou à soulever les questions posées par cette forme de « Lab urbain ». Il en ressort que,
sur les premiers sites, les micro-actions des pépinières contribuent de façon détermi-
nante à l’amélioration des usages et du cadre de vie des sites sélectionnés. La mise en
œuvre d’une démarche d’urbanisme participatif est fortement reconnue et appréciée.
Elles contribuent aussi et essentiellement à des innovations organisationnelles, davan-
tage horizontales, avec des outils de communication et de médiation performants entre
autorités publiques, associations et communautés citoyennes. Les processus coopératifs
sont ainsi stimulés et le regard sur les modes de gestion et de la fabrique urbaine change.
Pour autant, et malgré des débuts de dissémination par essaimage, leur impact sur
l’économie locale ainsi que sur la transformation de la planification urbaine reste limité
et les pépinières urbaines font face à un ensemble de dilemmes encore non résolus
(Besson 2022). Un nécessaire élargissement du dialogue, de la sensibilisation des
institutions, et du champ d’application des pépinières serait sans doute nécessaire.
Ainsi, les pépinières évolueraient des catégories de l’urbanisme tactique et temporaire
à ceux plus structurants de l’urbanisme transitoire et transitionneld.
a. https://pepinieres-urbaines.org/
b.
Rapport Atelier étudiants de l’École d’urbanisme de Paris : Co-urbanismes (pepurbaeup.wixsite.com)
c.
Raphaël Besson (Villes Innovations, PACTE-CNRS), avec l’accompagnement scientifique d’Armelle
Choplin (Université de Genève) et de Jérôme Lombard (IRD).
d. Pour les définitions, voir Besson 2018.
LES COMMUNS URBAINS 133
Conclusion
En Europe ou en Amérique du Nord, les communs urbains sont bien connus :
face aux limites du néolibéralisme et à ses dérives, des individus et des commu-
nautés citoyennes s’engagent dans des initiatives multiples, testent de nouveaux
modèles de coopération, inventent de nouveaux récits, se mobilisent au sein de
communautés et réseaux plus larges. Beaucoup se disent appartenir à un « mou-
vement » : mouvement des fablabs, mouvement des tiers lieux, mouvement des
communs.
La réalité africaine est autre. Les communs urbains émergent en Afrique sub-
saharienne de manière isolée, au mieux sur un mode archipélique, comme en
témoignent les liens entre les fablabs d’Afrique de l’Ouest. Ils répondent à des
besoins essentiels, aujourd’hui non pourvus ni par les autorités publiques ni par
le marché, avec, en toile de fond, une préoccupation de refonder des liens sociaux
distendus. Ils sont le support de formes et de modalités originales d’entrepreneuriat
en commun (œuvres ou projets collectifs), basées sur le partage des moyens et des
ressources et des objectifs de satisfaction des besoins sans recherche de prot (voir
chapitre 1). Les communs urbains africains font émerger de nouveaux dilemmes
(Besson 2022), ceux liés au passage à l’échelle de ces initiatives, aux modèles de
nancement, au rôle du « citoyen-usager », à la temporalité des projets portés, à
leur insertion dans des économies urbaines très localisées, aux modalités de coo-
pération entre eux. Les appréhender sous un prisme homogène serait une erreur.
Leur diversité, dans leur objet, leurs modalités, leurs motivations, leurs modèles
économiques, est très large. Les raisons de s’engager dans des communs urbains
sont également diverses : pragmatiques, personnelles, professionnelles, parfois
politiques et idéologiques. Les lieux hybrides culturels et les fablabs africains
s’inscrivent donc dans des trajectoires multiples : les fablabs en Afrique de l’Ouest
par exemple achent des vocations sociétales tandis que certains fablabs d’Afrique
de l’Est ont pour ambition de devenir à terme des incubateurs de start-ups.
On peut ainsi s’interroger sur le potentiel de ces communs urbains africains
à répondre dans la durée aux besoins qui ont motivé leur émergence et à partici-
per au renouvellement des politiques urbaines. Leur fragilité est évidente : leurs
modèles économiques restent précaires, les dynamiques collectives fragiles, les
reconnaissances institutionnelles insusantes. Néanmoins, ils sont aujourd’hui
des acteurs de plus en plus nombreux et essentiels pour les populations. Leurs
expérimentations peuvent activer l’imaginaire vis-à-vis d’avenirs alternatifs
(Graeber 2004). Il conviendra alors de s’interroger sur l’opportunité de penser
de nouveaux modes de fabrique et de gestion urbaine à travers un soutien à ces
dynamiques, en se tenant à l’écart de la tentation de les normaliser.
134 L’AFRIQUE EN COMMUNS
Notes
1. Nous adoptons pour ce chapitre une démarche non systématique de langage inclusif.
Nous mentionnons dans la mesure du possible le masculin et le féminin à la pre-
mière apparition du mot et conservons la forme masculine pour le reste du texte,
étant entendu que cette forme recouvrira le masculin et le féminin sauf mention
expresse. Pour les accords, sera adoptée la règle de proximité qui consiste à accorder
les mots avec le terme le plus rapproché.
2. Contraction de Fabrication Laboratory.
3. https://blogs.worldbank.org/education/why-sports-and-development-go-hand-hand
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6. Article de Libération, 2018, Carole Karemera, ibid.
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