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R.E.P.S.
Recherches et Études sur les Politiques Socio-urbaines
Recherches et Études sur les Politiques Socio-urbaines (R.E.P.S.)
SIRET 385 229 349 00027
15 rue Pavée 75 004 Paris - Tel : 01 42 71 75 96 / 06 62 60 91 37
Courriel : tkirszbaum@yahoo.fr
AUBERVILLIERS, GRENOBLE-ALPES METROPOLE,
NANTES METROPOLE ET VILLEURBANNE
Projet du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse
Analyse transversale des réseaux de lutte contre les
discriminations
Rapport final
Mars 2023
Thomas Kirszbaum, chercheur associé au Ceraps
2
Sommaire
Rappel du contexte et de la problématique de l’étude ................................................3
1. Genèse et structuration des réseaux.............................................................................. 8
1.1. Des réseaux animés par des technicien.nes des collectivités ...................................................8
Le rôle précurseur de Villeurbanne ..............................................................................................8
Les trois autres réseaux inscrits à des degrés divers dans la politique de la ville........................9
Des partenariats diversifiés, accordant une place limitée aux acteurs « jeunesse », mais traitant
en priorité des critères ethno-racial et des convictions religieuses ............................................11
1.2. Une institutionnalisation progressive des réseaux...................................................................15
Une instrumentation qui tend à s’homogénéiser ........................................................................15
Des appuis politiques et institutionnels contrastés .....................................................................18
Une adhésion forte des acteurs.ices au paradigme des discriminations, mais des incertitudes
sur la finalité des réseaux...........................................................................................................19
2. Les logiques de l’action antidiscriminatoire .............................................................23
2.1. Une approche individuelle et technique du droit qui reste prépondérante...............................23
Un travail de pré-qualification juridique des situations individuelles qui débouche sur un faible
contentieux .................................................................................................................................23
Un rééquilibrage souhaité vers une approche plus sociologique et politique des discriminations
....................................................................................................................................................33
Une prise en compte des jeunes des quartiers populaires mêlant approches spécifiques et
intégrées.....................................................................................................................................40
2.2. La diffusion aléatoire des normes de l’antidiscrimination au sein des organisations...............43
Des structures plus engagées que d’autres dans la cause de la LCD .......................................43
Les résistances au changement au sein des organisations .......................................................45
Des procédures d’interpellation des organisations discriminantes mises en place à Villeurbanne
et Grenoble.................................................................................................................................49
Conclusion et perspectives d’évolution des réseaux ................................................ 55
3
Rappel du contexte et de la problématique de l’étude
Véritable spécificité française, le local a été érigé en laboratoire de la lutte contre les
discriminations (LCD), notamment ethno-raciales, depuis le début des années 2000
1.
Impulsés par l’Union européenne, les projets Equal avaient favorisé l’émergence, parfois
éphémère, de réseaux d’acteur.ices publics, privés et associatifs, dans le champ de l’emploi.
Mais c’est surtout la politique de la ville qui a été utilisée pour réaliser l’« arrimage
territorial »2 de la prévention et la lutte contre les discriminations, alors qu’elle servait déjà de
support local pour la politique d’intégration.
Cet encastrement de la lutte contre les discriminations dans la politique de la ville devait
permettre d’apporter des réponses de proximité censées faciliter l’accès au droit des
habitants.es des quartiers dits prioritaires (QPV). La lutte contre les discriminations devait
également contribuer au changement d’échelle et aux objectifs de transformation de l’action
publique de cette politique publique, tout en contribuant à établir une égalité réelle des
chances.
En pratique, les outils de la politique de la ville (diagnostics territoriaux, formation-
sensibilisation des acteurs, plans de lutte) ont présenté de nombreuses faiblesses.
L’inscription de la lutte contre les discriminations ethno-raciales comme axe transversal des
contractualisations locales a rarement dépassé le simple affichage d’intentions générales,
masquant l’absence fréquente de stratégies d’action précises et évaluables, appuyées sur
des diagnostics3. La focalisation des actions locales sur l’emploi a laissé en jachère de
nombreuses politiques sectorielles, lesquelles intègrent d’autant moins l’enjeu des
discriminations qu’il apparaît identifié à des techniciens dédiés, sans véritable portage
politique.
On relève aussi que l’échelle d’intervention de la politique de la ville est restée indexée sur
une logique de proximité, ne permettant pas d’appréhender les mécanismes discriminatoires
qui sont plus souvent à l’œuvre dans l’environnement des quartiers que dans le périmètre
étroit de ceux-ci. Peu propice à la mobilisation transversale des institutions locales, le ciblage
de quartiers tend à inverser l’imputation des responsabilités dans les phénomènes
discriminatoires. La politique de la ville vise pour l’essentiel à « remettre à niveau » les
habitants.es dans une logique d’intégration ou d’insertion, faisant comme si leurs « déficits »
et « handicaps » étaient la cause des inégalités qu’ils subissent. Ce ciblage laisse au
1 Cerrato Debenedetti, M.-C. (2018), La lutte contre les discriminations ethno-raciales en France. De
l’annonce à l’esquive (1998-2016), Rennes, Presses universitaires de Rennes.
2 Selon l’expression de M. Doytcheva (2008), « Lutter contre les discriminations en France. L'arrimage
territorial », VEI-Enjeux, décembre, p. 132-138.
3 Altidem (2011), Capitalisation et évaluation des plans territoriaux de lutte contre les discriminations,
Rapport pour l’Acsé.
4
demeurant sans réponse la grande majorité des populations exposées aux discriminations,
qui ne résident pas dans ces quartiers.
Au vu de ce bilan peu concluant, des collectivités territoriales ont cherché à s’affranchir du
cadre d’intervention de la politique de la ville qui fait peu ou prou office de stratégie unique
de l’État en matière de prévention et de lutte contre les discriminations. À partir de la fin des
années 2000, et surtout des élections municipales de 2008, ces collectivités ont multiplié les
signes d’engagement, en créant des délégations politiques et des missions dédiées au-delà
du simple affichage de chartes ou de déclarations d’intention.
Ces initiatives n’ont pas toujours permis de sortir les élu.es et technicien.nes en charge de la
LCD d’un certain isolement au sein de leur institution4, ni d’institutionnaliser la lutte contre les
discriminations grâce à une instrumentation adéquate (budgets, ressources humaines,
procédures, programmes d’actions, pilotage, évaluation)5. Les initiatives des collectivités
locales ne lèvent non plus toutes les incertitudes concernant l’identité propre de la prévention
et la lutte contre les discriminations ethno-raciales par rapport à des politiques connexes
(diversité, égalité des chances, intégration, insertion…). Enfin, le terme même de
« discrimination » ne fait pas forcément consensus parmi les acteurs.ices territoriaux,
s’agissant notamment des discriminations ethno-raciales ou fondées sur les convictions
religieuses qui font l’objet de conflits idéologiques récurrents aboutissant à euphémiser ou à
dénier la réalité du problème à traiter6.
Dans ce contexte d’illégitimité persistante de la prévention et de la lutte contre les
discriminations, les réseaux « de veille et de vigilance » déployés à Aubervilliers, Grenoble-
Alpes Métropole, Nantes Métropole et Villeurbanne, parties prenantes du projet «Prévention
et lutte contre les discriminations envers les jeunes» soutenu par le Fonds d'expérimentation
pour la jeunesse (Fej), font presque figure d’exception. Loin d’occulter les discriminations,
ces réseaux s’attachent au contraire à les repérer, à les analyser et les traiter en agissant
sur un double plan : celui de la mobilisation du droit comme outil de lutte contre les
discriminations d’une part ; celui du changement au sein des organisations, afin de réduire
les risques de discrimination directe, indirecte ou systémique d’autre part.
4 Noël, O. (2012). « Un consensus politique ambigu. La lutte contre les discriminations raciales » in
Fassin, D. (dir.), Les nouvelles frontières de la société française, Paris, La Découverte, p. 267-290.
5 Bereni, L., Epstein, R. (2015), Instrumenter la lutte contre les discriminations : le "label diversité"
dans les collectivités territoriales, CNRS, Université de Nantes, Rapport pour l’Ardis.
6 Eberhard, M. (2010), « De l'expérience du racisme à sa reconnaissance comme discrimination.
Stratégies discursives et conflits d'interprétation », Sociologie, vol. 4, n°4, p. 479-495 ; Lemercier, E.,
Palomares, E. (2013), « La disparition. Le traitement de la "question raciale" dans l’action publique
locale de lutte contre les discriminations », Revue Asylon(s) (en ligne), n°8, juillet 2010-septembre
2013 ; Frigoli, G. (2020), « Sociologie d’un bruit de fond : la lutte contre les discriminations ethno-
raciales à l’échelon local », in Le Bris, C. (dir.), Les droits de l’homme à l’épreuve du local, Paris, Mare
et Martin.
5
Mobilisant tout à la fois des acteurs.ices du droit et des professionnel.les de différents
secteurs de l’action publique, ces réseaux s’efforcent ainsi d’articuler les logiques souvent
disjointes de la lutte et de la prévention des discriminations. Ils tentent en d’autres termes
d’articuler la fonction réparatrice du droit, comprise comme une réponse technique à
apporter aux individus victimes de discriminations, et la fonction préventive du droit,
comprise comme un processus politique de changement au sein des organisations
produisant des discriminations.
En s’associant dans un projet soutenu par le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse, les
quatre collectivités s’engagent désormais à répondre plus spécifiquement aux
discriminations subies par les jeunes des quartiers populaires qui, jusqu’à présent, sollicitent
peu ce type de réseaux, alors même qu’ils sont surexposés à des discriminations
multiformes.
La prise en compte de ce public peut s’effectuer selon deux logiques distinctes et
potentiellement complémentaires : par une approche « intégrée », c'est-à-dire de manière
transversale aux organisations impliquées dans les réseaux, et/ou par une approche
« spécifique », c'est-à-dire en appui sur des organisations spécialisées dans le champ de la
jeunesse. Le positionnement des réseaux au croisement des deux axes que constituent
l’articulation de la lutte et de la prévention d’une part, la prise en compte intégrée ou
spécifique des jeunes des quartiers populaires d’autre part, est au cœur du questionnement
de l’étude. Le schéma suivant indique les orientations possibles des réseaux :
L’objectif de cette étude est de conduire une analyse comparative à même de rendre compte
de la diversité des logiques de l’action antidiscriminatoire dans les quatre territoires étudiés.
Il s’agira in fine de d’alimenter la réflexion des différents réseaux sur les améliorations
pouvant être apportées à leur fonctionnement et sur les actions à développer pour répondre
plus efficacement aux discriminations subies par les jeunes des quartiers populaires.
6
L’analyse est organisée autour de deux entrées :
1. La structuration et l’organisation des réseaux, dont on verra qu’elle est évolutive, les
échanges occasionnés par le projet Fej ayant suscité des ajustements ;
2. Les logiques d’action des réseaux, selon qu’ils activent le droit aux fins de réparer des
torts subis par des individus et/ou aux fins de changer les pratiques au sein d’organisations
produisant ou coproduisant les discriminations.
Outre l’exploitation d’une bibliographie générale et de sources documentaires relatives à
chacun des quatre réseaux, des entretiens individuels et collectifs, ainsi que des
observations, ont été menés dans les quatre réseaux entre janvier 2020 et février 2021. Le
contexte de la crise sanitaire de la Covid-19 a conduit à réaliser certains entretiens en
distanciel.
Récapitulatif des entretiens et observations réalisés
Entretiens
individuels
Entretiens
collectifs
Observations des
réunions de
réseau
Aubervilliers
- Chargée de mission
LCD
- Ex-chargée de
mission LCD
- Organisation en
mouvement des
jeunes d'Aubervilliers
(Omja)
- Chargé de mission
Insertion et emploi,
ville Aubervilliers
- Délégué du
Défenseur des droits
- Experte juridique
- Chargée de mission
quartier Villette, ville
d’Aubervilliers
- Agent de proximité,
ville d’Aubervilliers
- Association franco-
chinoise
- Association de
prévention spécialisée
- Association
Solidarité Emploi
3 novembre 2020
11 février 2021
Grenoble-Alpes
Métropole
- Chargée de mission
Egalité LCD
- Mission locale Sud
Isère
- Régie de quartier
Village Olympique
- Maison Des
habitants.e.s Le Patio
- Experte juridique
- Mission locale Sud
Isère
- GUSP Saint-Martin
d’Hères
- Régie de quartier
Village Olympique
- Service égalité et
citoyenneté, ville de
Fontaine
- Mission égalité, ville
de Grenoble
- Clinique juridique
- Service jeunesse,
ville de Grenoble
- CCAS Echirolles
- Association Adat
14 janvier 2021
7
Nantes Métropole
- Responsable
politique publique
LCD, Nantes
Métropole
- Direction enfance
jeunesse, ville de
Nantes
- France Victime 44
- Maison de l’emploi
- Fal 44
- Mrap
- Experte juridique
- Police nationale
- CIDFF
- Ligue des droits de
l'homme
- Direction enfance
jeunesse, ville de
Nantes
- Association Nosig
- Licra
- Délégué du
Défenseur des droits
20 janvier 2021
Villeurbanne
- Chargée de mission
LCD
- Mission locale
- Association AVDL
- Centre social Cusset
- Experte juridique
- Direction du
Développement
économique, de
l'emploi et l'insertion,
ville de Villeurbanne
- Association ADL
- Mission locale
- Association AVDL
8 octobre 2020
8
1. Genèse et structuration des réseaux
1.1. Des réseaux animés par des technicien.nes des collectivités
Créés entre 2008 et 2017, les quatre réseaux prolongent des démarches engagées à partir
des années 2000 dans des villes politiquement orientées à gauche et soucieuses d’afficher
une stratégie de prévention et de lutte contre les discriminations. Mais la création des
réseaux relève avant tout de l’initiative de technicien.nes qui avaient participé, à partir de
2007, à un groupe de travail sur les discriminations (également appelé « chantier ») mis sur
pied par l’Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU)7. Des
acteur.ices d’Aubervilliers, Grenoble, Nantes et Villeurbanne ont rejoint ce groupe de travail,
lequel a bénéficié de l’appui d’expert.es comme le sociologue Olivier Noël, le consultant
Julien Viteau ou la juriste Gwénaële Calvès (cette dernière animant une hotline pour les
professionnel.les).
En 2015, le « chantier » de l’IRDSU a produit une fiche intitulée « l’accès au droit et
l’accompagnement des victimes de discrimination », laquelle insistait sur le besoin de
« développer simultanément le repérage des situations et leur traitement ». Face au faible
nombre de recours, il était notamment préconisé de créer des « réseaux de vigilance » pour
faciliter l’accès au droit et l’accompagnement des victimes, en appui sur des expert.es du
droit. Parmi les territoires ayant expérimenté cette approche figurait notamment la commune
de Villeurbanne, dont l’expérience a constitué une source d’inspiration importante pour les
trois autres réseaux étudiés.
Le rôle précurseur de Villeurbanne
La politique de lutte et de prévention des discriminations développée à Villeurbanne a pris
naissance au début des années 2000. À la demande de militant.es associatif.ves
(notamment d’origine maghrébine), la municipalité a organisé en 2002 un débat sur les
« discriminations ethniques ». L’année suivante était installée une « commission
extramunicipale de lutte contre les discriminations » (transformée en conseil consultatif à
partir 2009) chargée de faire des propositions aux élu.es. Le thème des discriminations, tout
comme le fait d’associer les concerné.es., se trouvaient ainsi légitimés.
En 2004, une opportunité se présente à Villeurbanne avec le projet Equal sur la lutte contre
les discriminations ethniques dans l’accès à l’emploi. Initialement porté par une association
locale d’insertion, ce projet sera transféré au sein de la municipalité en 2007. Bénéficiant de
l’appui d’un élu volontariste, la cheffe de projet Equal est intégrée à l’équipe municipale et
rattachée au Directeur général des services (DGS) à partir de 2009. Le projet Equal
villeurbannais a débouché sur de nombreuses réalisations : diagnostic puis plan d’action sur
les discriminations ethniques dans l’emploi, formation-action des intermédiaires sur le thème
7 Les informations qui suivent sont tirées de Cerrato Debenedetti, M.-C. (2018), op. cit.
9
de la « coproduction » assurée par l’Iscra, révision des processus de recrutement internes à
la mairie, information du public, etc.
C’est aussi dans le cadre du projet Equal qu’un « réseau de vigilance » est expérimenté à
partir de 2007. Officialisé l’année suivante, ce réseau a formalisé des fiches d’enregistrement
des situations repérées par les intermédiaires de l’emploi, et des procédures de traitement
des situations. Des permanences juridiques d’avocat.es ont été financées en parallèle au
titre de la prévention de la délinquance et de l’accès au droit. Puis une convention a été
signée avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), et
bientôt le Défenseur des droits, dont un délégué assure des permanences au sein de la
Maison de la justice et du droit.
Le réseau villeurbannais était initialement composé par des intermédiaires de l’emploi et
acteur.ices de l’insertion (4 centres sociaux, Mission locale, Pôle emploi, association
d’insertion professionnelle ADL, service insertion de YMCA, service insertion de la Ville, un
lycée). À partir de 2008, le réseau a élargi ses activités au domaine du logement en intégrant
l’AVDL (Association villeurbannaise pour le droit au logement) en 2009, puis Ailoj
(association agissant pour l’insertion des jeunes par le logement) en 2013. Le CCAS a
également fait son entrée en 2010, permettant au réseau d’étendre ses activités au domaine
de l’action sociale.
Les trois autres réseaux inscrits à des degrés divers dans la politique de la ville
Les trois autres collectivités, notamment Aubervilliers et Grenoble, se sont inspirées de
l’expérience villeurbannaise à travers la participation de leurs techniciennes au groupe de
travail de l’IRDSU sur les discriminations. Mais contrairement à Villeurbanne, les dispositifs
mis en place dans ces collectivités ont été formatés par les outils et financements de la
politique de la ville. Le réseau nantais s’est quant à lui assez vite affranchi du cadre de la
politique de la ville.
À Grenoble-Alpes Métropole, la délégation de l’élu communautaire en charge de l’éducation
a été complétée en 2008 par la lutte contre les discriminations. Un plan de lutte contre les
discriminations dans le champ éducatif a alors été élaboré avec l’appui financier de l’Agence
nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé). Dans la même période
était créée une délégation « lutte contre les discriminations, égalité femmes-hommes et
accessibilité » au sein de l’agglomération (dite Métro). Devenu vice-président chargé du
personnel, l’élu communautaire en charge du plan de LCD dans l’éducation et la chargée de
mission LCD ont initié une démarche plus globale en faveur de l'égalité, incluant la gestion
des ressources humaines de la Métro et la mobilisation des associations autour d’un
observatoire des discriminations. L’animation de la politique de LCD s’est toutefois heurtée à
des moyens d’animation trop limités et déséquilibrés par rapport à l’égalité femmes-hommes.
En 2010, un séminaire national de l’Acsé a été organisé à Grenoble sur le thème des
victimes de discrimination. Il sera suivi en 2011 par un séminaire local intitulé « Quels
recours et quel accompagnement pour les victimes de discrimination ? » dans le cadre du
Contrat urbain de cohésion sociale (Cucs). C’est au cours de ce séminaire que le réseau de
vigilance de Villeurbanne a été présenté. À Grenoble, ce séminaire débouchera sur un
diagnostic stratégique « Accès aux droits des victimes de discrimination » financé par l’Acsé.
C’est dans le cadre du contrat de ville 2015-2020 que sera finalement créé le réseau
10
« Partenaires Égalité » de la Métro. Un financement du Commissariat général à l'égalité des
territoires (CGET) a permis de structurer une « cellule de veille et d’actions » (CVA) pour
mettre en œuvre l’engagement n°1 du réseau des Partenaires Égalité : « agir face à des
situations de discrimination ».
À Aubervilliers, un diagnostic territorial sur la prévention et la lutte contre les discriminations
à l’insertion et à l’emploi des jeunes avait été conduit en 2005-2008 par le cabinet Amnyos
sur le territoire de Plaine Commune. Bien que les pistes d’actions opérationnelles de ce
diagnostic n’aient pas été suivies d’effet, un poste de chargé de mission « prévention des
discriminations » avait été créé au sein la Maison de l’emploi de Plaine Commune, ce poste
étant basé à Aubervilliers. Au milieu des années 2000, la mairie d’Aubervilliers a elle-même
créé une délégation et une mission « Droits des femmes et Lutte contre les discriminations »
intégrée au sein de son service politique de la ville. Le fait que la chargée de mission ait
travaillé préalablement au sein de la Mission Egalité de la Ville de Lyon, alors réputée pour
être l’une des collectivités les plus actives sur ce sujet, représentait un atout.
Après l’élection d’un nouveau maire à Aubervilliers, en 2008, une action de sensibilisation a
été conduite par l’Iscra en direction des élu.es, cadres et agents des services municipaux. À
partir de 2009, des permanences de la Halde, puis du Défenseur des droits, se sont
déroulées au sein de la Maison de la justice et du droit, puis de la Maison pour tous, en
impliquant aussi des associations. En 2011, grâce à un financement de l’Acsé, un diagnostic
sur les discriminations a été réalisé par le cabinet Geste. Ce diagnostic préconisait
notamment de prendre appui sur des « acteurs-relais » de l’accès au droit. Il a débouché sur
l’élaboration d’un Plan local de prévention et lutte contre les discriminations pour la période
2011-2013, structuré autour des axes suivants : approche intégrée de prévention des
discriminations et d’égalité de traitement ; promotion de l’accès au droit pour les victimes de
discriminations ; approche participative et développement du pouvoir d’agir des habitant.es.
En 2014, lors d’un comité de pilotage du Plan local d’Aubervilliers, la mise en place d’un
réseau est proposée en référence aux réseaux mis en place par d’autres collectivités
(Villeurbanne, Nantes, Grenoble, mais aussi Paris 19ème). Mais ce réseau est resté informel
et n’a pas produit d’outils, hormis une étude sur la dématérialisation des services publics. La
création du réseau « Discrimin’Action » se concrétisera en septembre 2017 après la
signature en 2016 d’une convention partenariale avec le Défenseur des droits. Cette
convention mettait l’accent sur l’accès aux droits des victimes dans le contexte des quartiers
de la politique de la ville (qui couvrent presque toute le territoire municipal), où il était
souligné que le ressenti des discriminations est plus important et le recours au droit moins
effectif.
L’expérience nantaise s’écarte de celles de Grenoble et Aubervilliers car la stratégie de
prévention et de lutte contre les discriminations, d'abord conçue dans le cadre de la politique
de la ville, a été progressivement portée par la Ville de Nantes, puis par d’autres communes
de la métropole. La Ville de Nantes et Nantes Métropole avaient adopté une charte
d’engagement à lutter contre les discriminations, respectivement en 2006 et 2009, avant
d’engager une démarche d’obtention du label diversité. À partir de 2016, la politique de LCD
est devenue commune aux deux collectivités.
11
La formalisation d’une stratégie de prévention et de lutte contre les discriminations n’a été
que progressive à Nantes. En 2010, un financement de l’Acsé avait permis d’élaborer un
plan territorial de prévention et de lutte portant sur les ressources humaines de la collectivité,
les politiques publiques et l’accompagnement des publics. Plusieurs études centrées sur
l’accompagnement des victimes ont été impulsées en 2013, parmi lesquelles un diagnostic
du cabinet Gers, financé par l’Acsé, qui soulignait la « méconnaissance des discriminations,
et une résistance à les reconnaître dans les pratiques internes », ainsi que « des difficultés
pour identifier vers qui se tourner pour se former, informer ou orienter dans le champ de la
lutte contre les discriminations ». De son côté, la Mission « égalité, intégration, citoyenneté »
de la Ville de Nantes (intégrée à la Métropole en 2014 et rebaptisée mission « égalité,
diversité, mixité ») a réalisé un état des lieux de l’offre d’accompagnement des personnes
confrontées aux discriminations. Cet état des lieux servira de base pour le projet de création
d’une « cellule de veille discriminations ».
Le « Réseau d’acteurs et de vigilance et d’accès au droit des discriminations » (Ravadis)
n’est devenu effectif qu’en 2016 dans le cadre d’une démarche de la Ville de Nantes intitulée
« AntidiscrimiNantes », ayant pour objet l’écoute et l’accompagnement des publics subissant
des discriminations. Outre la création du Ravadis, la démarche AntidiscrimiNantes s’est
traduite par la mise en place du numéro d'appel « AlloNantes discriminations », devenu
effectif à partir de février 2018. La lutte contre le non-recours au droit des victimes est
également l’un des objectifs du Plan territorial de lutte contre les discriminations 2017-2020
adossé au contrat de ville de l’agglomération nantaise. Ce plan propose notamment :
d’« actualiser un répertoire des acteurs de l'accompagnement des victimes » ; de « mettre à
disposition des acteurs de proximité des outils pour repérer les situations de discriminations
et orienter les victimes » ; de « faire vivre le groupe d’acteurs de l’accès au droit de la non-
discrimination » ; et de « multiplier les modes de saisine pour les publics ayant eu une
expérience de discrimination en facilitant les démarches ».
Des partenariats diversifiés, accordant une place limitée aux acteurs « jeunesse »,
mais traitant en priorité des critères ethno-racial et des convictions religieuses
Le nombre de structures représentées dans les réseaux s’échelonne de 12 à Villeurbanne à
23 à Grenoble ; à mi-chemin se trouvent Aubervilliers (16) et Nantes (21). À Villeurbanne, la
petite taille du réseau est présentée comme un facteur de cohésion.
Une différence majeure entre les réseaux concerne la nature des structures parties
prenantes. Villeurbanne et Grenoble privilégient des professionnel.les intermédiaires,
considéré.es comme mieux à même de repérer les discriminations que ces structures sont
susceptibles de coproduire. À Aubervilliers et Nantes, le réseau est ouvert à des acteurs.ices
qui ne sont pas nécessairement des intermédiaires entre usagers et discriminateurs
potentiels. Dans le cas nantais, il existe cependant un réseau d'intermédiaires de l'emploi
coordonné par l'ATDEC de Nantes métropole (une association réunissant les activités de la
Maison de l'emploi, de la Mission Locale, de Pôle emploi et du Plie). Ce réseau
d’intermédiaires de l’emploi a été impulsé et soutenu par la Mission Egalité à partir 2010,
sans toutefois être porté par elle.
Tous les réseaux mêlent des structures publiques ou parapubliques et des associations,
selon des proportions variables : le réseau grenoblois comprend près de trois-quarts de
structures publiques ou parapubliques (auxquelles s’ajoutent les chargé.es de mission LCD
12
de 4 villes ayant un statut d’invités), contre seulement 33 % à Villeurbanne, 38% à Nantes et
44% à Aubervilliers, où la société civile se trouve donc mieux représentée. Le réseau nantais
fait ainsi place aux associations antiracistes (LDH, Licra, Mrap), mais aussi à des
associations représentant l’intérêt de groupes discriminables (gens du voyage, LGBTQI+,
personnes en situation de handicap).
À Aubervilliers, une distinction est introduite entre les « référent.e.s discrimination »,
présentés comme le « moteur du réseau », et les « soutiens » qui sont des acteurs.ices
spécialisé.es dans la prise en charge des victimes (notamment le délégué du Défenseur des
droits). À Nantes, plusieurs acteur.ices de l’accès au droit (France Victime 44, Bureau d’aide
aux victimes de la Police nationale, délégué LCD auprès du Procureur de la République à
Nantes) font partie du Ravadis.
À Villeurbanne et Grenoble, la prise en charge des victimes est externalisée. Les membres
du réseau de vigilance villeurbannais peuvent orienter les personnes vers les associations
d’aide aux victimes de discriminations (Agir pour l’égalité - ex SOS racisme –, Mrap, Licra,
SOS homophobie). Afin de ne pas mélanger les postures professionnelles et militantes, le
choix a été fait à Grenoble de positionner au sein du réseau des Partenaires Egalité plutôt
que dans la cellule de veille les associations généralistes de défense des droits, dont un
diagnostic a montré le faible rôle en matière d’accompagnement des victimes, ainsi que
d’autres associations agissant dans le champ de la LCD.
Les structures membres des réseaux se distinguent selon l’importance de leur expertise
préexistante en matière de prévention et de lutte contre les discriminations. Dans chaque
réseau, on relève la présence de quelques structures motrices, dont les agents ont été
formés aux discriminations :
! Villeurbanne : ADVL et ADL sont des associations initialement militantes qui se sont
professionnalisées, et dont la LCD est l’un des objets depuis leur création ; les agents
de la Mission locale ou du centre social Cusset ont été formés à la LCD dès les
années 2000 dans le cadre du projet Equal.
! Nantes : l’association Tissé Métisse a été fondée au début des années 1990 pour
lutter contre le racisme ; la Fal 44 coordonne les semaines d’éducation contre le
racisme ; les agents de la Maison de l'emploi ont été formés à la LCD dans les
années 2000.
! Grenoble et Aubervilliers : les Missions locales sont mobilisées de longue date sur le
sujet des discriminations ; c’est aussi le cas de la Maison pour tous et de la direction
de la Santé à Aubervilliers.
À l’opposé, des structures apparaissent peu sensibilisées, plus passives – voire absentéistes
– notamment quand elles participent aux réseaux non pas sur une base volontaire, mais en
réponse à une injonction politique ou institutionnelle.
13
Reflétant la nature des acteurs.ices mobilisé.es, l’emploi est le premier domaine traité par les
réseaux d’Aubervilliers, Nantes et Villeurbanne (ce sont par exemple 54% des
discriminations repérées en 2019 à Villeurbanne). L’accès aux services publics et aux droits
sociaux est un autre domaine d’action privilégié, notamment à Grenoble où l’emploi n’arrive
qu’en deuxième position après les services publics et privés. L’éducation, la santé et le
logement sont des thématiques généralement moins centrales, sauf à Villeurbanne où le
réseau comprend des intermédiaires du logement (24% des discriminations repérées en
2021 contre 9% en 2019 et 14% en 2020).
Si l’on met de côté l’insertion et l’emploi, les domaines où les discriminations envers les
jeunes des quartiers populaires sont les plus prégnantes (orientation scolaire, relations avec
police) font l’objet d’un faible nombre de remontées. Les structures représentées dans les
réseaux n’ont pas toujours d’ancrage fort dans les QPV. Le réseau de Villeurbanne a
d’ailleurs été délibérément structuré en dehors du cadre de la politique de la ville, à la
différence de Grenoble ou Aubervilliers où la LCD est plus directement rattachée à cette
politique publique (dans le cas de Grenoble, le réseau intègre toutefois des structures dont le
périmètre d’intervention est plus large que celui des QPV). À Nantes, ce sont les révoltes de
l’été 2018 qui ont orienté la commande politique vers les jeunes des quartiers populaires,
mais les structures composant le Ravadis ne s’adressent pas de façon centrale au public
des QPV.
Avant le projet Fej, les quatre réseaux intégraient déjà à des degrés divers des acteurs.ices
labellisé.es « jeunesse » (par exemple les Missions locales ou la Ligue de l'enseignement).
Selon les animateur.ices des réseaux, une entrée massive d’acteur.ices spécialisé.es dans
le champ de la jeunesse risquerait de déstabiliser et de dénaturer les réseaux qui, à ce jour,
s’adressent à tous les publics. Le projet Fej n’a donc pas bouleversé la composition des
réseaux. Tout en confirmant le choix d’une approche intégrée, le projet Fej a eu pour effet
d’intégrer quelques acteur.ices jeunesse au sein du réseau villeurbannais (BIJ et centres
sociaux). À Grenoble, où l’approche intégrée est également privilégiée, l’intégration de
Missions locales et de deux services jeunesse au sein du réseau est conçue comme un
levier de ciblage des jeunes des QPV. À Aubervilliers, après des tentatives relativement
infructueuses pour attirer des acteurs.ices « jeunesse » perçu.es comme peu réceptif.ves au
thème des discriminations, l’animatrice préconisait une approche plus intégrée de la
jeunesse, c'est-à-dire la prise en compte de la dimension jeunesse par l’ensemble des
structures.
Les effets les plus sensibles du projet Fej ont été observés à Nantes, même si c’est en
parallèle du Ravadis qu’a été constitué un Réseau d’acteurs jeunesse contre les
discriminations (RAJD) qui doit permettre une montée en compétences des acteur.ices
jeunesse du territoire (identification et traiter des discriminations, outillage pour la
sensibilisation et l’expression des publics jeunes au contact des structures). La création du
RAJD est à l’initiative de la direction de la jeunesse de la Ville de Nantes qui était
préoccupée par le faible nombre de remontées de situations concernant les discriminations
subies par les jeunes. L’approche est donc plus spécifique qu’intégrée. Toutefois, la question
reste pendante de la capacité de ce nouveau réseau à atteindre effectivement les jeunes des
quartiers populaires, au-delà des thématiques privilégiées par les structures qui le
composent (éducation, loisirs, animation jeunesse). Une jonction entre le RAJD et les
acteurs.ices des quartiers populaires reste également à établir.
14
Si les réseaux enregistrent dans leur ensemble peu de remontées sur les critères de l’âge et
du lieu de résidence, la majorité des discriminations repérées sont liées aux critères de
l’origine ethnique/raciale, de la nationalité et des convictions religieuses, au croisement avec
le critère du genre. Or, ce sont là les critères de discriminations qui affectent le plus les
jeunes des quartiers populaires.
Les quatre réseaux sont donc parvenus à asseoir la légitimité de la prévention et la lutte
contre les discriminations ethno-raciales ou religieuses, qui sont des objets de controverses
récurrents du débat public national et qui peinent généralement à s’imposer comme des
objets légitimes dans les arènes locales de la lutte contre les discriminations8. Ce faisant, les
réseaux ont permis de compenser localement les effets de la création de la Halde, en 2004,
qui avait abouti à une dilution du critère ethno-racial au sein d’une multiplicité de critères, en
expansion constante depuis lors.
S’ils n’établissent aucune hiérarchie entre les 25 critères légaux de discrimination, l’histoire
et la composition des réseaux, et sans doute aussi la situation des discriminations en France
(cf. l’enquête TeO), orientent une part substantielle de l’activité des réseaux de Villeurbanne,
Aubervilliers et Grenoble vers le critère ethno-racial (origines et nationalité). Le critère des
convictions religieuses, au croisement du critère ethno-racial et de genre, mobilise aussi une
bonne part de l’activité des réseaux de Villeurbanne et Grenoble ; à Aubervilliers, les
acteurs.ices semblent moins à l’aise avec ce dernier critère, certain.e.s acteurs.ices hésitant
à qualifier comme discriminatoires des différences de traitement opérées en fonction des
convictions religieuses.
À Villeurbanne, les critères de l’origine ethnique ou raciale, de la nationalité et des
convictions religieuses représentaient 54% des situations repérées en 2021. Les
discriminations à raison de la nationalité concernent essentiellement des discriminations
directes ou indirectes subies dans l’accès à l’emploi, au logement social et aux prestations
sociales, par des étrangers, en lien avec les difficultés de renouvellement de titre de séjour
ou avec des pratiques discriminatoires d’agents des services sociaux ou des entreprises.
Les situations liées aux convictions religieuses concernent des discriminations à l’encontre
de femmes musulmanes portant le foulard, notamment dans l’accès à l’emploi et la
formation.
À Grenoble, ces mêmes critères ont représenté jusqu’à 68 % des situations repérées sur la
période 2016-2019. La cellule grenobloise est d’autant mieux investie par certain.es
acteur.ices qu’elle est perçue comme un vecteur de reconnaissance des discriminations
ethno-raciales ou religieuses, à l’instar de ces participant.es à la Cellule de veille et
d’actions :
« Il y a très peu d’endroits pour parler du racisme et de l’islamophobie ».
8 Lemercier, E., Palomares, E. (2013), op. cit.
15
« Il y a un devoir d’être dans le réseau pour résister sur des questions comme la
laïcité ou le port du voile ».
« Le réseau ne fait pas de hiérarchie entre les critères, mais on est d’accord sur le fait
que les rapports sociaux de genre, de classe et de "race" sont les plus importants
dans une approche systémique des discriminations ».
Le réseau nantais se polarise moins que les autres sur les critères ethno-raciaux et des
convictions religieuses. Ceci peut s’expliquer par la présence d’acteur.ices représentant
l’intérêt d’autres groupes exposés au discriminations comme les LGBTQI+ (associations
Nosig et L’Autre cercle) ou les personnes en situation de handicap (Association des
paralysés de France). À Aubervilliers, l’arrivée au sein du réseau d’une structure d’insertion
des personnes en situation de handicap s’est également traduite par une attention plus
importante accordée à ce critère.
1.2. Une institutionnalisation progressive des réseaux
Trois critères peuvent caractériser le degré d’institutionnalisation des réseaux : des
instruments pour concrétiser les intentions affichées ; un soutien institutionnel et politique ;
une adhésion des acteurs.ices sur les enjeux et finalités de l’action. Seul le réseau de
Villeurbanne, le plus ancien des quatre, semble satisfaire pleinement ces trois conditions.
Une instrumentation qui tend à s’homogénéiser
Le principal outil destiné à repérer et faire remonter des situations de discrimination auprès
du réseau est la fiche d’enregistrement ou de signalement. Tous les réseaux ont conçu de
telles fiches, sauf celui d’Aubervilliers où le déploiement de cet outil n’a pas reçu l’aval de
l’administration car son traitement induit des coûts d’expertise juridique. À Nantes, l’utilisation
de l’outil reste aléatoire, certaines structures ne se l’étant pas appropriée (voir infra).
Des chartes d’engagement ont été édictées à Villeurbanne, Aubervilliers et Grenoble. Une
charte a été validée plus tardivement (en mars 2022) à Nantes. Il s’agit là d’un effet indirect
du projet Fej qui a incité le réseau nantais à combler ce manque constaté dans notre rapport
intermédiaire de juin 2021.
Dans le cas de Villeurbanne, la promotion par le maire de la charte d’engagement signée en
juin 2013 a été un levier de légitimation de la prévention et la lutte contre les discriminations.
Cette charte énonce en 11 points les engagements des structures signataires auprès du
public, en interne et vis-à-vis du réseau. La charte villeurbannaise rappelle également la
procédure d’enregistrement et de traitement des discriminations. Ici se marque une
différence avec les « chartes de la diversité » qui tendent à substituer à l’impératif légal de
l’interdiction de discriminer un simple engagement moral de bonne conduite9. À Villeurbanne,
9 Dhume, F., Hamdani, K. (2013), Vers une politique française de l'égalité, Rapport du groupe de
travail « Mobilités sociales » dans le cadre de la Refondation de la politique d'intégration, novembre.
16
dont la charte a servi de matrice pour l’élaboration de celles de Grenoble et d’Aubervilliers, la
charte d'engagement réaffirme au contraire la centralité du droit, qu’elle vient renforcer en
rappelant que son effectivité dépend de l'engagement politique des signataires. Les
acteurs.ices interrogé.es à Villeurbanne jugent ce document utile à condition que son
existence soit régulièrement rappelée aux organes dirigeants des structures dont la
composition évolue en permanence. À Aubervilliers et Grenoble, les acteurs.ices
interrogé.es se montraient plus sceptiques sur l’utilité de la charte, laquelle ne sert pas
véritablement de guide pour l’action et dont le contenu a pu être oublié par certaines
structures après qu’elles l’ont signée.
Pour s’assurer d’une familiarisation de leurs membres avec le droit et les notions
sociologiques afférentes au champ de la discrimination, tous les réseaux ont mis en place
des formations. Très axées au départ sur la dimension juridique et individuelle des
discriminations, les formations proposées à Grenoble et Nantes ont été élargies aux
dimensions sociologiques à l’instar de Villeurbanne et Aubervilliers. Les réseaux de
Villeurbanne, Aubervilliers et Grenoble visent explicitement un objectif de prévention des
discriminations au sein des structures adhérentes, et proposent donc des formations aux
personnels de ces structures, et parfois au-delà (mais avec des budgets trop limités à
l’échelle de la Métro de Grenoble). Le suivi d’une formation est une condition pour intégrer le
réseau villeurbannais. Le principe de formation des nouveaux entrants a aussi été posé dans
le règlement de la cellule grenobloise, mais il n’a été mis en pratique qu’à partir de 2018.
Tous les réseaux, communiquent en direction du public discriminable par voie d’affiches, de
flyers ou de plaquettes, ou encore par l’organisation de débats. C’est à Villeurbanne que la
démarche de communication est la plus ambitieuse avec 40 points d’information disséminés
dans la ville et une communication qui s’adresse aussi aux entités potentiellement
discriminantes. À Grenoble, cette communication se limite à l’affichage par certaines
structures du logo témoignant de leur appartenance à la Cellule de veille et d’actions (les
acteurs.ices interrogé.es se disaient en attente d’une diffusion plus large d’outils de
communication en direction des habitants.es). Par ailleurs, les réseaux de Villeurbanne et
Grenoble ont formalisé des procédures d’interpellation/rappel au droit de potentiels
discriminateurs extérieurs au réseau.
À Nantes existe le numéro d’appel AlloNantes Discrimination, sur lequel la municipalité a
amplement communiqué, ainsi qu’un annuaire en ligne des acteurs de la LCD (mais ce
dernier outil n’a qu’une faible audience). Le travail d’un « groupe citoyen » animé par la
Mission Égalité de la Ville de Nantes a également débouché sur la publication d’un livret
pédagogique. Mais le Ravadis en tant que tel n’a pas initié d’outils de communication. À
Aubervilliers également, les différents vecteurs de communication (édition d’une « gazette de
l’égalité » une fois par an, plaquettes, affiches réalisées par les usagers de la Maison pour
tous, bande dessinée réalisée par des jeunes…) sont le fait de la municipalité dans le cadre
du Plan local de prévention et lutte contre les discriminations plutôt que du réseau
Discrimin’actions lui-même.
Enfin, si tous les réseaux réalisent des rapports d’activité pouvant servir à communiquer sur
leurs activités, seul celui de Villeurbanne publicisait véritablement (au moment de l’enquête)
les activités du réseau via un observatoire. Créé en 2010 pour donner une plus grande
visibilité aux discriminations, cet observatoire a été doté d’un conseil scientifique en 2018.
17
Outre le recueil de données sur les situations discriminatoires repérées par le réseau, les
permanences d’avocat.es et les délégué.es locaux.les du Défenseur des droits,
l’observatoire peut diligenter des études. L’analyse des données permet d’ajuster la stratégie
de lutte contre les discriminations en ciblant des secteurs et des critères prioritaires. Les
données recueillies fournissent également des indications sur l’accueil et l’écoute des
victimes, et sur la façon dont sont traitées les situations discriminatoires par les différents
partenaires.
À Nantes, un observatoire des discriminations devait voir le jour en 2022. Ses missions
seraient larges : étude et analyse des faits discriminatoires sur le territoire de Nantes, voire
de la Métropole ; animation du système d’acteur.ices sur la question des discriminations ;
prise en compte des discriminations vécues par les premier.es. concerné.es., par exemple
les jeunes dans leurs rapport avec la police ; définition d’orientation, priorisation des actions,
évaluation et conseil des acteurs politiques.
Les outils mobilisés par les réseaux
Villeurbanne
Aubervilliers
Grenoble
Nantes
Charte
d’engagement
X
X
X
X
Formations des
membres du réseau
X
X
X
X
Fiches
d’enregistrement des
discriminations
X
X
X
Communication en
direction du public
discriminable
X
X
X
X
Procédures
formalisées de
rappel au droit
X
X
Observatoire et
publicité des
activités du réseau
X
X (rapport annuel)
X (en cours)
18
Des appuis politiques et institutionnels contrastés
L’une des faiblesses traditionnelles de l’action territoriale contre les discriminations réside
dans le déficit de portage politique qui tend à transférer la prise en charge de ce sujet à des
technicien.nes plus ou moins isolé.es au sein de leur institution. Même quand un.e élu.e est
mobilisé.e et forme un binôme avec un.e technicien.ne, l’enjeu est de passer de modes de
concernement individuels à une démarche plus politique, engageant l’institution dans son
ensemble10. Les réseaux étudiés bénéficient à cet égard d’une légitimité interne contrastée.
Le réseau villeurbannais bénéficie de la position la plus favorable. Sous la précédente
comme dans la nouvelle mandature politique, la chargée de mission peut se prévaloir d’un
engagement clair du maire et de son adjointe en charge de la LCD. Son rattachement au
DGS, combiné avec un accès direct au maire pour obtenir par exemple un courrier, sont des
indicateurs manifestes de la forte légitimité politique dont bénéficie le réseau de veille et de
vigilance. Ce tableau mérite toutefois d’être nuancé car tou.tes les élu.es des précédentes
mandatures n’étaient pas convaincu.es au même degré de l’importance de l’enjeu. On doit
souligner aussi que la chargée de mission ne consacre qu’une partie de son temps au
réseau, lequel ne bénéficie pas des moyens humains adéquats.
Le réseaux d’Aubervilliers et Grenoble se caractérisent par une inscription dans la politique
de la ville qui s’avère moins favorable. À Aubervilliers, l’animatrice du réseau Discrimin’action
a pu compter sur l’engagement symbolique de l’ancienne maire qui, sous l’ancienne
mandature, avait pris la délégation LCD. Mais elle n’avait pas accès direct aux élu.es et ne
disposait pas de réelle feuille de route politique. L’équipe municipale arrivée aux affaires en
juin 2020 n’a d’ailleurs pas prévu de délégation d’élu.e relative aux discriminations. Ce
manque de soutien politique n’est pas véritablement compensé par un soutien de la
hiérarchie administrative. La chargée de mission apparaissait relativement isolée au sein du
pôle politique de la ville, sans pouvoir prendre appui sur le directeur général adjoint (DGA).
L’animatrice du réseau a finalement quitté son poste. La création d’une mission « Diversité
Inclusion », directement rattachée à une DGA Solidarités, semble de nature à renforcer de la
position de la chargée de mission qui l’a remplacée, laquelle devra réactiver le réseau
Discrimin’action mis en sommeil depuis plus d’un an.
L’animatrice du réseau de Grenoble bénéficie de moyens humains très limités pour mener à
bien sa mission sur un territoire étendu et politiquement complexe. Elle se trouve
relativement isolée au sein de la Direction de la cohésion sociale et de la politique de la ville
de Grenoble-Alpes Métropole, sans réelles marges de manœuvre pour impliquer les services
de droit commun. Au moins sous l’ancienne mandature, l’accès de la chargée de mission au
président de l’agglomération apparaissait difficile, tandis que le portage de la LCD par le
vice-président alors en charge du sujet n’était pas optimal. La difficulté est redoublée par la
10 Noël, O. (2009), « La lutte contre les discriminations à l’épreuve du temps et des territoires. Rôle
des élu.e.s locaux, place des victimes et configurations d’actions locales », in Reci, Discrimination &
territoires. La mobilisation des acteurs locaux, septembre.
19
concurrence avec l’égalité femmes-hommes qui constituait la véritable priorité politique de la
Métro et de la Ville de Grenoble, au moins jusqu’aux élections de 2020.
Le réseau de Grenoble doit affronter une autre difficulté : son échelle métropolitaine.
L’agglomération est en effet marquée par la juxtaposition de plans de lutte municipaux qui
s’articulent difficilement avec la superstructure métropolitaine dans un contexte de
concurrence autour du périmètre des compétences municipales et métropolitaines. Le thème
des discriminations n’est pas forcément approprié par les communes les plus urbanisées,
sur fond de controverses idéologiques sur les enjeux raciaux et de laïcité, tandis que les
élu.es des communes rurales se montrent généralement indifférent.es.
À Nantes Métropole, le positionnement du coordonnateur du Ravadis (qui a quitté ses
fonctions en 2022) était également incertain, là aussi du fait du déploiement du réseau à
l’échelle métropolitaine. Agent métropolitain depuis 2016, il animait le réseau dans le cadre
du Plan territorial de LCD, mais celui-ci ci n’était pas investi par d’autres communes, comme
Orvault ou Rezé, ni par l’État. La maire de Nantes et présidente de la Métropole avait
légitimé le réseau au moment de son lancement, mais cet appui s’est révélé éphémère et
aucune vice-présidence n’a pris en charge le thème des discriminations. Si la lutte contre les
discriminations figure dans le projet politique de Johanna Rolland, l’égalité femmes-hommes
a jusqu’à présent bénéficié d’une plus grande attention, comme à Grenoble.
Une adhésion forte des acteurs.ices au paradigme des discriminations, mais des
incertitudes sur la finalité des réseaux
La légitimation du thème des discriminations, notamment ethno-raciales, constitue l’un des
grands acquis des quatre réseaux. Si des controverses ont pu apparaître ponctuellement
autour du critère des convictions religieuses, ces conflits ont plutôt consolidé la cohésion des
collectifs d’acteur.ices. Que ce soit dans le cadre des entretiens ou de l’objectivation des
réunions de réseau, et à contre-courant des controverses médiatiques nationales, aucun.e
des acteur.ices interrogé.es n’a émis la moindre réserve concernant l’existence des
phénomènes discriminatoires et la nécessité de les combattre.
Signe de leur adhésion, les référent.es « discriminations » participent de manière plutôt
assidue aux réunions des quatre réseaux. C’est que l’on a pu constater lors de nos
observations, pourtant effectuées en période de crise sanitaire. Plus de 30 personnes étaient
présentes à une réunion de la CVA grenobloise tenue en janvier 2021 ; les réunions des
réseaux villeurbannais et nantais ont attiré une quinzaine de personnes ; seules les réunions
observées à Aubervilliers ont attiré moins de monde, bien en deçà de la fréquentation
habituelle (15 à 20 personnes) du réseau Discrimin’actions.
Les personnes que nous avons interrogées déclarent participer aux réunions de réseau en
premier lieu pour se former et s’informer. Mais elles y trouvent parfois aussi une opportunité
d’échapper à la quotidienneté du travail et à leur isolement professionnel face à un sujet
contesté dans la société et délicat à aborder avec des structures partenaires s’agissant des
professionnels intermédiaires. L’importance du collectif est particulièrement affirmée par les
acteurs.ices villeurbannais, à l’instar de cette actrice :
« Ça permet de voir les situations que les autres vivent dans d’autres contextes. Ça
permet de partager l’expérience, l’information. Le fait d’agir collectivement, d’être
20
ensemble est très important. S’il n’y avait pas ce collectif, on serait moins sensibles à
la question. Le réseau, c’est mobilisateur ».
C’est dans le réseau de Villeurbanne, le plus ancien des quatre, que la cohésion du réseau
apparaît la plus forte. Cette cohésion se vérifie dans la consolidation d’une culture commune
sur les discriminations, à laquelle la répétition des formations a grandement contribué. La
formation des nouveaux entrants contrecarre également les effets du turn-over qui s’observe
au sein des structures membres, nécessitant des « piqûres de rappel » périodiques, comme
l’explique cette actrice du droit :
« Le réseau a clairement fait émerger un référentiel commun. Quand je suis allée sur
d’autres territoires, j’ai pu mesurer à quel point les professionnels ne savaient rien. La
formation des nouveaux entrants et la récurrence des formations annuelle produit des
effets. À la permanence juridique de Villeurbanne, on n’oriente pas des gens pour
des choses qui n’ont rien à voir avec les discriminations. C’est la preuve que les gens
sont bien formés. En plus, certaines structures proposent des formations en interne ».
À Grenoble-Alpes Métropole, le collectif apparaît moins soudé car segmenté entre deux
groupes dont les attentes ne coïncident pas nécessairement. Un premier groupe, au sein
duquel sont notamment représenté.es les acteur.ices « jeunesse », vient avant tout chercher
une opportunité de se former, notamment sur le plan juridique, afin de clarifier ce qui relève
ou non du champ des discriminations et leur apporter des réponses techniques:
« Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est la formation et les éléments juridiques. C’est à
partir de là qu’on peut avancer ».
« La question des discriminations est compliquée. Beaucoup de situations sont
tangentes. On a besoin d’analyse juridique. Cette cellule permet de bien comprendre
les situations. Si on n’est pas armés techniquement, c’est difficile de défendre la
personne discriminée ».
« La première chose, c’est de comprendre le cadre juridique et d’échanger sur la
qualification des faits. C’est ça qui est très formateur. Ça permet de mieux toucher du
doigt ce qui relève d’une discrimination ou n’en relève pas. On est souvent seuls face
à un témoignage de discrimination et on ne sait pas quoi en faire. À force de
décortiquer des cas, on voit quels sont les process à mettre en œuvre ».
Un autre groupe d’acteur.ices grenoblois.es donne un sens avant tout politique à leur
participation au réseau. Ces acteur.ices « engagé.es » investissent la CVA parce qu’il s’agit
d’un espace (rare) permettant de conférer une visibilité aux discriminations, notamment
ethno-raciales et religieuses. Pour ces acteur.ices, l’enjeu premier est d’engager une
démarche de transformation sociale qui passe notamment par un travail auto-réflexif au sein
des organisations :
« Pour moi, l’objectif du réseau, c’est que les professionnels soient conscients qu’ils
peuvent produire ou se rendre complices d’un système de discrimination. C’est aussi
permettre aux habitants de connaître leurs droits ».
21
« Le réseau sert à bousculer les choses dans une démarche de transformation
sociale. Lutter contre la coproduction, c’est se remettre en question. Est-on soi-même
discriminant ? Les structures dans lesquelles on travaille nous conduisent à
reproduire des discriminations sans qu’on s’en rende compte ».
« La lutte juridique contre les discriminations est une chose, la transformation des
pratiques en est une autre. C’est très positif que des gens veuillent évoluer dans leurs
pratiques, qu’autour de la table des gens s’indignent. Ça fait du bien. Comme les
gens ne portent pas plainte, on pourrait se dire qu’il n’y a pas de discrimination. La
CVA sert à mettre en visibilité ce qui se passe sur le territoire ».
L’enjeu de la transformation des pratiques internes aux structures adhérentes apparaît
beaucoup moins central dans le discours des acteur.ices d’Aubervilliers et de Nantes. De
fait, la vocation première de ces réseaux n’est pas de fédérer des professionnel.les en
position d’intermédiaires (un réseau parallèle d’intermédiaires de l’insertion et l’emploi existe
toutefois à Nantes). À la différence de leurs homologues villeurbannais ou grenoblois, ces
acteur.ices évoquent rarement la possibilité que leur structure d’appartenance puisse être
coproductrice de discriminations. Comme les rares cas de situations discriminatoires
rapportées ne font pas l’objet d’une « mise en fiche », ni d’un suivi collectif d’une réunion sur
l’autre, les acteur.ices d’Aubervilliers et Nantes peinent à décrire les objectifs du réseau, dont
l’identité et les finalités leur semblent incertaines.
Au moment de l’enquête en 2020-21, les incertitudes quant aux finalités du réseau étaient
assez marquées à Nantes. La nature composite du Ravadis, qui mêle des associations
militantes, des structures d’éducation populaire, des acteurs de l’insertion et des
professionnel.les du droit, ne favorise pas l’émergence d’une identité commune. Avant que le
réseau ne se dote de nouveaux instruments en 2022 (charte d’engagement, observatoire),
plusieurs acteur.ices ont exprimé des doutes sur les finalités même du réseau :
« L’objectif premier, c’est de créer un terreau commun sur les aspects juridiques. La
base, ce sont les situations que chacun rencontre et qu’on peut partager. Mais on a
du mal à le faire. On manque un peu de matière. On n’a pas encore de culture
commune. Peut-être qu’on ne s’est pas redit pourquoi les uns et les autres on était là.
Ravadis reste une structure récente. On n’a pas encore la maturité. On ne sait pas
forcément ce que les gens qui participent viennent y chercher ».
« Il y a un enjeu à reposer les objectifs prioritaires, d’avoir des lignes directrices.
D’autant plus qu’il y a eu un gros turn-over avec ceux qui étaient là à la création du
réseau. Le déroulement des réunions est d’un intérêt variable. On a de l’apport
d’information, mais on ne sait pas toujours à quel objectif ça répond. J’y retrouve
quelques copains, mais il n’y a pas vraiment d’enthousiasme car on ne voit pas
d’ambition pour construire quelque chose collectivement. On est là parce qu’on doit
être là ».
Le réseau d’Aubervilliers est lui aussi affecté par un turn-over constant, des participant.e.s,
mais aussi de ses animatrices, ce qui n’a pas favorisé la consolidation d’une culture de
travail commune. De façon symptomatique, chaque réunion commence par la présentation
de nouvelles structures ou de nouveaux membres qui doivent faire l’apprentissage de son
fonctionnement. Jusqu’à la mise en sommeil du réseau en 2022, il subsistait toutefois une
22
poignée de « fidèles » pour qui le réseau était perçu comme un lieu ressource où ils.elles
venaient se former et s’informer, échanger avec d’autres structures et chercher des conseils
sur la manière de réagir lors des interactions avec le public accueilli. Mais à la différence des
réseaux villeurbannais ou grenoblois, très peu de situations discriminatoires étaient
remontées par les acteur.ices albertivillarien.nes. En l’absence de fiches de signalement,
l’analyse juridique des situations n’apparaissait pas centrale dans l’identité du réseau. Les
mails, coups de téléphone et échanges informels entre deux réunions paraissaient au moins
aussi importants que les réunions elles-mêmes, par ailleurs très espacées (le réseau ne se
réunissait qu’une fois par trimestre).
23
2. Les logiques de l’action antidiscriminatoire
2.1. Une approche individuelle et technique du droit qui reste prépondérante
Un travail de pré-qualification juridique des situations individuelles qui débouche sur
un faible contentieux
Le mode opératoire commun aux quatre réseaux consiste en un travail de pré-qualification
juridique visant à déterminer si ces situations relèvent bien du droit de la discrimination. Il
s’agit en d’autres termes « de confronter des récits de situations particulières à des
définitions juridiques abstraites »11 afin de « transformer l’expérience discriminatoire en objet
juridique »12 .
Ce travail commence au guichet des structures membres. Après un premier filtrage à ce
niveau, l’information est remontée vers le réseau par les « référent.es LCD » des structures.
L’analyse des situations fait l’objet d’une discussion collective, éclairée des expertes du droit.
Toutefois, le travail de « triage » des situations s’organise de façon très différente à
Villeurbanne et Grenoble d’une part, et à Aubervilliers et Nantes d’autre part.
À Villeurbanne et Grenoble, le travail de pré-qualification des situations individuelles prend
appui sur des fiches d’enregistrement/signalement instruites par les référent.es, puis traitées
par l’experte juridique (ainsi que par la Clinique du droit à Grenoble), en amont des réunions
du réseau. Lors des réunions, les faits sont exposés synthétiquement, des précisions
peuvent être apportées par les référent.es sur les situations rapportées, et un débat
s’engage tout à la fois sur la (pré)qualification juridique des faits et les suites à donner. En
aval des réunions, les cas traités font l’objet d’un suivi qui peut être évoqué lors de la réunion
suivante.
Nous reproduisons ci-après, à titre d’exemple, une fiche d’enregistrement d’une situation de
discrimination sur le fondement des convictions religieuses, à Villeurbanne, relatée par la
personne discriminée qui exprime son soulagement d’avoir obtenu écoute et conseil auprès
d’une conseillère en insertion.
11 Chappe, V.-A. (2020), « Faire vivre l’égalité. La lutte contre les discriminations au travail », La Vie
des idées (revue en ligne), 7 janvier 2020, p. 3.
12 Cerrato Debenedetti, M.-C. (2018), op. cit. p. 176.
24
25
26
Nous reproduisons ci-dessous un exemple d’analyse juridique d’une situation repérée à
Grenoble, concernant cette fois l’état de santé d’un enfant.
Nous reproduisons ci-après un autre exemple d’analyse juridique d’une situation repérée à
Villeurbanne et traitée par une experte du droit travaillant pour le réseau de vigilance.
RESEAU « PARTENAIRE EGALITE »
FICHE DE TRAITEMENT
Volet CVA – Réseau Partenaire Egalité
N° Identification : 118 Date de rédaction : 04/01/2020
! Synthèse des faits : date, lieu, professionnel concerné (animation, travail social, insertion,..) cadre du recueil (un accueil, une activité, un
accompagnement..), processus d’inégalité de traitement repéré – faits rapportés ou constatés, résumé domaine et critère, éléments dont on dispose, souhait
exprimé
Date des faits : sept 2020
Lieu : club de sport
Professionnel: XXX
Contexte de recueil du signalement : accueil à XXX
Processus d’inégalité de traitement repéré - Faits rapportés :
Refus d’accès à une activité sportive à un enfant âgé de 6 ans) en raison de son comportement, dû à son état de santé
Le fils de la plaignante a fait une séance d'essai dans le club de foot. A la fin de cet essai, les entraineurs ont prévenu la plaignante que son fils ne veut pas jouer et qu'il
ne parle pas avec les autres. Elle leur explique qu'il est timide et qu'il souffre d'un mutisme sélectif, il est d'ailleurs suivi par des professionnel-les à ce sujet. Elle explique
également que cela ne l'empêche pas pour autant de faire du judo dans un club depuis deux ans. Les entraineurs ne voient donc pas d'inconvénient à ce qu'il revienne
aux prochaines séances. Elle l'a emmenée à la 3ème séance (a manqué la 2eme, rv médical) car son fils souhaite effectivement poursuivre. Elle lui donne son dossier
d'inscription et son certificat médical de non contre-indication. La plaignante est venue récupérer son fils après la séance. En arrivant, elle constate que son fils a été
remis à une autre maman (sans autorisation préalable) avec son dossier d'inscription en lui expliquant que le fils de la plaignante ne peut pas être accueilli car il ne parle
pas et ne joue pas. La plaignante identifie la personne qui a dit cela : il s'agit d'un homme qui n'est pas entraineur et qui gère l'administratif du club (a priori, elle n'est pas
sûre mais elle connait son nom et son prénom). La plaignante est revenue au club quelques jours plus tard pour demander des explications à ce monsieur mais le
dialogue n'a pas été possible.
Propos tenus : il lui a crié dessus devant les autres parents en lui disant que son fils ne voulait pas jouer au foot et que donc il ne l'accepte pas dans le club. Il a dit : "Va
chercher un autre club qui accepte ton fils" ou encore "Ton fils n'est pas normal".
La plaignante n'est pas retournée au club depuis. Elle a rédigé un courrier avec une écrivaine publique pour interpeller le club sur cette situation. A ce jour (15 décembre
2020), elle ne l'a pas envoyée car elle ne sait pas à qui l'adresser. Elle va recontacter l'écrivaine publique pour qu'elle l'aide.
Résumé domaine et critère : accès aux biens et services, état de santé
Eléments : certificat médical de non contre indication et courrier rédigé avec une écrivaine publique (à recueillir) ; possibilité de voir les entraineurs qui semblaient avoir
accepté l’enfant ?
! synthèse de l’analyse juridique
Un club sportif qui refuse l’adhésion d’un enfant handicapé au motif de son refus de participer au collectif commet-il une discrimination ?
Le fait pour un club sportif de refuser l’accès au sport à un enfant constitue une violation du droit au loisir garanti par l’article 31 de la Convention internationale des
droits de l’enfant, et de l’article L 231-2 du Code du sport.
Le refus d’accès à un service en raison du handicap constitue une discrimination incriminée par les articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal.
Le refus pour un club sportif d’accueillir un enfant en raison de son handicap sans lui proposer de solution d’intégration individualisée, constitue une violation de
l’obligation d’accueillir les enfants en situation de handicap et de leur proposer des aménagements raisonnables si nécessaire prévue par l’article 2 de la Convention
relative aux droits des personnes handicapées de 2006 et la jurisprudence.
Les propos tenus par l’administrateur du club pourraient être qualifiés d’injure à caractère discriminatoire en raison du handicap de l’enfant, ce qui caractériserait une
contravention de 5ème classe selon l’article R625-8-1 du Code pénal.
Expertise juridique
demandée :
x Oui
!Non
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Le recueil de situations et l’analyse juridique des faits rapportés sont des activités moins
centrales des réseaux de Nantes et d’Aubervilliers. Dans le cas nantais, il existe bien une
fiche de signalement, mais elle est très peu utilisée par les membres du Ravadis. De même,
la hotline mise en place avec une juriste est faiblement investie par les membres du réseau,
avec environ une dizaine de questions adressées chaque année. Si une partie des situations
évoquées lors des réunions du Ravadis sont rapportées par les structures-membres,
d’autres proviennent de la plate-forme téléphonique AlloNantes discrimination. Au moment
de l’enquête, entre septembre 2020 et janvier 2021, aucun cas repéré par AlloNantes n’avait
été transmis au Ravadis, la plate-forme ne faisant que transmettre les coordonnées du
Ravadis aux personnes qui rapportent une situation laissant penser qu’elle relève du champ
de la discrimination. Le manque de connexion avec la plate-forme AlloNantes combiné à
l’utilisation aléatoire de la fiche de signalement par les membres du Ravadis, faisaient dire
en 2021 à l’un de ses membres qu’« on n’a pas encore trouvé notre vitesse de croisière en
terme de travail commun ».
À Aubervilliers, les situations ne sont pas enregistrées ni traitées à l’aide de fiches de
signalement. Un modèle de fiche avait été emprunté au dispositif voisin de Paris 19ème, mais
la mairie n’a pas donné de feu vert pour son utilisation. En l’absence de fiche
d’enregistrement, les situations sont rapportées oralement et de manière spontanée lors des
réunions trimestrielles du réseau. Lors de ces réunions, les cas évoqués sont discutés
collectivement, avec l’appui d’une juriste qui aide le réseau à déterminer si les situations
relèvent du droit de la discrimination. Mais la juriste, qui n’intervient que le temps de la
réunion, ne peut procéder à une analyse plus approfondie des situations, ni en amont ni à
l’issue de la réunion.
Quelle que soit la méthode adoptée, le nombre de situations traitées par les différents
réseaux reste quantitativement modeste :
" Villeurbanne : environ 80 situations sont traitées chaque année depuis dix ans, en
incluant les cas traités par le Défenseur des droits et une permanence d’avocat.es
(appelé Reaji) ; le réseau en tant que tel ne traite qu’environ 20 situations par an en
moyenne.
" Grenoble : 90 situations ont été traitées de 2016 à 2019, dont 61 fiches remontées
par les structures et 29 formulaires en ligne remplies par des victimes ; soit une
trentaine de cas par an (contre une dizaine pour le Défenseur des droits).
" Nantes : les chiffres ne nous ont pas été communiqués, mais les acteurs.ices
interrogé.es jugent insuffisant le nombre de cas traités par le Ravadis, mais aussi par
AlloNantes Discrimination (41 appels reçus en 2021, dont 25 relevaient du champ de
la discrimination selon ISM-Corum chargé de gérer les appels depuis juin 2019).
" Aubervilliers : il n’y a pas de comptabilisation des situations traitées et, comme à
Nantes, les acteurs.ices interrogé.es font état d’un trop faible nombre de situations
remontées et déclarent être rarement eux.elles-mêmes en contact avec des
situations discriminatoires dans leurs interactions avec les usagers de leurs
structures.
31
Compte tenu du nombre relativement faible de situations remontées par les membres des
réseaux, le contentieux lié aux activités des réseaux est très faible dans les quatre territoires.
Sans prôner une juridiciarisation à outrance, les réseaux ont pourtant développé, à des
degrés divers, des stratégies d’accueil et d’orientation des victimes vers des structures
d’accès au droit.
À Villeurbanne, l’offre d’accès au droit a indéniablement progressé depuis la création du
réseau. À partir de 2009, des permanences d’avocat.es se sont tenues à la Maison de la
justice et du droit dans le cadre d’une convention signée entre la Ville, le Parquet et l’ex-
Halde. Par ailleurs, des conventions ont été passées avec les associations Arcad, puis ADL,
afin de compléter l’offre d’accompagnement juridique. Plus largement, la Ville de
Villeurbanne a engagé une démarche visant à mailler le territoire en points d’information. Ce
volontarisme a été salué par la nouvelle Défenseure des droits, Claire Hédon, qui a réservé
l’un de ses premiers déplacements à la Ville de Villeurbanne. Malgré ces avancées, les
acteurs.ices interrogé.es estiment que les victimes se saisissent très peu, en pratique, de
cette offre d’accès au droit.
À Aubervilliers, l’offre d’accompagnement juridique des victimes n’est pas négligeable, qu’il
s’agisse de la permanence juridique au sein de la Maison pour tous ou de la permanence du
Défenseur des droits au sein de la Maison de la justice et du droit. Mais les structures
d’accès au droit restent très peu sollicitées par les habitants.es. En dépit de la convention
signée entre le Défenseur des droits et la Ville d’Aubervilliers, seul l’un des deux délégués
locaux du Défenseur participe effectivement au réseau (mais il n’est pas juriste de formation,
comme la plupart des délégués locaux). En pratique, l’antenne locale du Défenseur des
droits ne reçoit quasiment aucune plainte.
À Nantes, les orientations effectuées par AlloNantes discrimination sont critiquées au vu de
la déperdition des plaintes liée à l’obligation faite aux victimes de devoir refaire plusieurs fois
le récit de la discrimination subie. Les correspondant.es locaux.ales du Défenseur des droits,
qui n’a pas passé de convention avec la collectivité comme à Aubervilliers ou Villeurbanne,
sont resté.es notoirement distants du Ravadis jusqu’à une période récente, obligeant le
Ravadis comme la plate-forme AlloNantes discrimination à se tourner vers le Défenseur des
droits au niveau national. Les affaires de discrimination ne représentaient qu’une part
marginale de l’activité locale du Défenseur des droits jusqu’à l’installation d’une déléguée
permanente dédié aux discriminations. Au moment de l’enquête, un acteur regrettait que
« concernant l’accompagnement des personnes, on ne sait pas trop vers qui orienter ».
À Grenoble, compte tenu de la faiblesse des associations investissant le champ de la LCD,
et des difficultés du partenariat avec les délégué.es locaux.ales du Défenseur des droits
(lequel n’a pas signé de convention comme à Nantes), la Cellule a soutenu la mise en place
d’une consultation juridique animée par des avocats de l’Institut des droits de l'homme du
barreau de Grenoble. Le dispositif, qui est entré en fonctionnement en 2021, associe aussi la
Clinique juridique de la Faculté de droit, la Régie de quartier Villeneuve Village Olympique et
la Métro. Au moment de l’enquête, en 2020, une actrice déplorait des lacunes dans
l’accompagnement juridique des victimes : « Il faut pouvoir passer la main, mais je ne sais
pas trop vers qui. Au niveau des accompagnateurs juridiques, et de l’accompagnement tout
court, il y a des lacunes ».
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Dans les quatre réseaux, le maillage des territoires en structures proposant une offre
d’accueil et d’orientation s’est renforcé. Bien que cette offre bénéficie d’une lisibilité par les
membres des réseaux, très peu de victimes s’en saisissent effectivement. Les procédures
judiciaires restent en conséquence très rares, et les condamnations plus rares encore. On
peut citer à ce propos la métaphore souvent utilisée par la sociologie américaine du droit,
celle d’une « pyramide des plaintes » dont la base représenterait le nombre potentiel de
plaintes de discrimination et la pointe correspondrait au nombre effectif de condamnations13.
Pour expliquer l’ineffectivité du droit, de multiples raisons peuvent être avancées – et sont
avancées par les acteurs.ices des réseaux. Ces raisons tiennent à la fois aux dispositions
des victimes et aux contraintes inhérentes à la procédure judiciaire : la difficulté à interpréter
la situation vécue comme une discrimination ; le refus d’afficher la souffrance liée au
traumatisme de la situation vécue ; la résignation et le fatalisme ; le refus d’endosser le statut
de victime ; la peur des rétorsions ; le coût, la lourdeur et la lenteur du parcours judiciaire ; la
précarité sociale et le manque de ressources des victimes ; les difficultés à établir la preuve
de la discrimination ; la peur de revivre la douleur de la situation discriminatoire dans l’arène
du procès ; l’incertitude forte sur l’issue de la procédure judiciaire compte tenu de la faible
sensibilité des tribunaux… Au-delà des quatre territoires étudiés, ces freins multiples à la
juridiciarisation des discriminations ont été amplement documentés par la littérature14.
Dans ce contexte, les personnes déterminées à engager une procédure judiciaire seraient
surtout motivées par des fins altruistes, ne voulant pas que d’autres personnes soient
victimes des mêmes agissements discriminatoires. Mais ces personnes prête à effectuer ce
« parcours du combattant » restent rares. Pour beaucoup, l’écoute par un.e professionnel.le
semble suffire. Cette écoute peut être vécue comme une forme de reconnaissance et de
réparation du dommage subi, la victime n’éprouvant plus alors le besoin d’engager des
démarches supplémentaires. Comme le rappelle Didier Fassin, la légitimation sociale de la
victime de discrimination peut être relativement dissociée de sa légitimation juridique, car
« la plainte comporte, historiquement et sémantiquement, une double dimension : l’une,
juridique, qui est l’exigence d’un droit ("porter plainte") ; l’autre, affective, qui est l’expression
d’une souffrance ("émettre une plainte") (...) Il en résulte que la gestion des plaintes relève
beaucoup plus de la reconnaissance d’un sujet de souffrance (l’écoute valide officiellement
l’objet de la plainte, puisque les "écoutants" ont pour posture éthique de ne pas mettre en
cause son bien-fondé) que de la reconnaissance d’un sujet de droit (l’enquête administrative,
13 Pour une présentation de ces travaux, voir Chappe, V.-A. (2014), « Le droit au service de l’égalité ?
Comparaison des sociologies du droit de la non-discrimination française et états-unienne », Tracés.
Revue de Sciences humaines (en ligne), n°27.
14 Voir par exemple : Fassin, D. (2002), « L'invention française de la discrimination », Revue française
de science politique, vol. 4, n°4, p. 418 ; Eberhard, M. (2010), « De l’expérience du racisme à sa
reconnaissance comme discrimination », Sociologie, vol. 1, n°4, p. 479‑495 ; Dubet, F. et al. (2013),
Pourquoi moi ? L’expérience des discriminations, Paris, Seuil ; Dhume, F., Hamdani, K. (2013), op.
cit.
33
la médiation par les associations et la saisine de l’autorité judiciaire conduisent rarement à
un résultat tangible en termes de traitement de la plainte) »15.
Dans les différents territoires, des lacunes sont néanmoins identifiées au premier stade de
l’itinéraire d’accompagnement, celui de l’accueil des victimes au niveau des structures de
proximité qui composent les réseaux, où entre en jeu la question de la posture des
professionnel.les et de leur capacité d’écoute. Certain.es interlocuteur.ices regrettent qu’une
réponse exclusivement juridique soit apportée au récit des expériences individuelles de la
discrimination, au risque de négliger leur aspect traumatique. Ces acteur.ices s’estiment
démuni.es quand il s’agit d’apporter d’autres réponses, notamment psychologiques, qui
nécessiteraient un ajustement de leur posture, sans déboucher nécessairement sur une
prise en charge juridique. Ce besoin est notamment exprimé à Grenoble. À Aubervilliers, un
atelier a été consacré à la fin de l’année 2018 à la question de l’écoute et de la prise en
charge des personnes subissant une discrimination.
Un rééquilibrage souhaité vers une approche plus sociologique et politique des
discriminations
Les limites d’une approche juridique centrée sur des cas individuels sont reconnues dans les
quatre réseaux. Certes, l’intervention d’expertes juridiques est très appréciée par les
professionnel.les, qu’il s’agisse des apports sur l’analyse des situations remontées, des
éclairages sur l’actualité du droit et de la jurisprudence, ou de l’implication des juristes dans
les formations. Le principal acquis des réseaux est de fournir des clés d’analyse juridique à
des professionnel.les dont le rapport au droit pouvait être jusque-là distant, car perçu comme
le monopole d’autres professions (avocats, juges, médiateurs…).
Toutefois, une partie significative des acteur.ices interrogé.es sont demandeur.euses d’un
dépassement des approches centrées sur la seule dimension répressive du droit au profit
d’approches transdisciplinaires et politiques des discriminations qu’il conviendrait
d’appréhender dans leur dimension systémique. Les professionnelles du droit interrogées
jugent elles-mêmes indispensable de croiser les savoirs juridiques avec d’autres savoirs
issus notamment de la sociologie des discriminations et des organisations. L’enjeu est de
réinscrire les discriminations dans un tissu complexe de processus – sociaux, politiques,
institutionnels, organisationnels, territoriaux… – plus larges que la seule non-conformité au
droit de certaines pratiques.
C’est à Villeurbanne que les acteur.ices estiment que l’équilibre entre l’approche juridique et
sociologique des discriminations a été le mieux respecté. Depuis les origines, ce réseau met
en effet l’accent sur la notion de « coproduction systémique » des discriminations. Olivier
Noël, chercheur-consultant à l’Iscra, qui a été pionnier dans la conceptualisation de cette
15 Fassin, D. (2002), op. cit., p. 418.
34
notion16 a réalisé de nombreuses formations ayant permis aux professionnel.les d’intégrer
l’idée d’une responsabilité des organisations (y compris leurs organisations d’appartenance)
derrière les situations qu’ils.elles signalent. Le profil de l’animatrice du réseau, sociologue et
politiste de formation, contribue également à élargir l’approche des discriminations.
À Grenoble, les limites d’une spécialisation du réseau dans le traitement de situations
individuelles sont rapidement apparues. La Cellule de veille et d’action priorise désormais les
situations individuelles ayant le plus fort potentiel de transformation sociale. Un rééquilibrage
des formations, jusque-là très axées sur la dimension individuelle et répressive du droit, a
été opéré en ce sens. Cette réorientation satisfait notamment les acteur.ices ayant un profil
engagé. « J’apprécie quand la juriste a une posture engagée », souligne l’un d’eux.
Cependant, le passage du traitement de situations individuelles à des changements plus
structurels ne va pas de soi. Certain.es acteur.ices semblent surtout rechercher une
confrontation avec les structures discriminantes. Cette posture reflète pour partie le faible
maillage du territoire par des structures juridiques qui seraient à même de jouer ce rôle et
auxquelles les professionnel.les peuvent être tentés de se substituer. Comme le dit une
juriste, « le risque est de faire porter sur les victimes le poids des transformations sociales à
accomplir, en niant le fait qu’elles s’inscrivent dans des rapports sociaux inégalitaires et
qu’elles sollicitent avant tous les réseaux pour y trouver des ressources et définir une
stratégie individuelle ».
À Nantes, la prise en compte des dimensions extra-juridiques des discriminations est plus
récente. C’est avant tout un effet du projet Fej, lequel a représenté une opportunité pour
réorienter les formations. Olivier Noël et Myriam Matari ont ainsi été sollicité.es à partir de la
fin de l’année 2020 pour animer des formations d'abord destinées aux acteur.ices du
« réseau jeunesse » récemment constitué, puis étendues aux membres du Ravadis. Comme
l’expliquait l’animateur du Ravadis, « le droit est une solution dans certains cas, mais en
travaillant sur le projet Fej, on s’est aperçu que ça ne suffirait pas pour traiter la question
massive des discriminations ». À Aubervilliers, des formations extra-juridiques sont
également proposées, mais en dehors du réseau, par exemple dans le cadre de la formation
continue des agents municipaux. Les formations proposées aux membres du réseau
Discrimin’action restent quant à elles de facture surtout juridique.
Donner un sens politique aux activités des réseaux – au sens de l’action sur les mécanismes
structurels de la discrimination – supposerait de capitaliser sur les situations de
discrimination récurrentes afin de « monter en généralité » et d’infléchir les politiques
publiques en conséquence. Comme l’écrivent Fabrice Dhume et Khalid Hamdani, le droit
« reconnaît un tort au prix d'une individuation et d'une attribution des responsabilités, des
"auteurs" comme des "victimes". Or, on sait que la discrimination fonctionne le plus souvent
16 Noël O. (1999), « Intermédiaires sociaux et entreprises : des coproducteurs de discriminations ? »,
Hommes & Migrations, n°1219, p. 5-17.
35
de manière systémique, en engageant dans sa production la collaboration de multiples
acteurs à divers niveaux »17.
En pratique, et le constat vaut bien au-delà des quatre réseaux étudiés, la traduction
opérationnelle de cette conception systémique des discriminations se limite généralement à
l’inclusion d’outils d’analyse dans l’offre de formation faite aux acteur.ices locaux.ales. Mais
la conscientisation des professionnel.les fonctionne dans une relative étanchéité avec
d’éventuelles stratégies politiques, institutionnelles ou organisationnelles qui viseraient, au-
delà du changement de posture de ces professionnel.les, à agir « sur les normes et principes
de l'institution, sur les processus de régulations, les cadres de travail et les organisations et
procédures »18.
Au cours des débats observés dans les réunions des quatre réseaux, les acteur.ices
s’efforcent souvent de replacer dans une perspective sociale, politique ou institutionnelle
plus large, les situations individuelles qui s’y trouvent évoquées. Mais l’articulation entre le
travail des réseaux et les lieux de construction de l’action publique reste souvent faible.
C’est à Villeurbanne que cette tentative d’articulation a été poussée le plus loin. Constitué
d’intermédiaires, le réseau se présente comme un maillon de la politique municipale de lutte
contre les discriminations. Le réseau a ainsi vocation à peser sur les politiques publiques de
l’emploi, du logement et de l’accès aux droits par le truchement de l’observatoire qui permet
de prioriser l’action publique vers les secteurs repérés comme discriminatoires grâce aux
situations individuelles rapportées (par exemple le secteur bancaire). Il s’agit aussi de
dénoncer politiquement et publiquement des discriminations via des opérations de testings ou
des communiqués de presse.
Le maire de Villeurbanne n’hésite pas à monter au créneau pour porter certaines situations à
la connaissance de responsables nationaux. En juin 2014, il a par exemple adressé un
courrier au Défenseur des droits pour porter à sa connaissance « certaines situations
auxquelles le réseau local n’a pas pu trouver de solutions totalement satisfaisantes du fait de
l’état actuel de la législation ». Il s’agissait en l'occurrence de situations remontées par des
intermédiaires de l’emploi concernant l’accès à l’emploi de personnes étrangères détentrices
d’un titre de séjour (ou d’un récépissé de renouvellement de titre de séjour) avec autorisation
de travail, mais dont la date de validité était antérieure à la date de fin d’un contrat à durée
déterminée. Comme l’écrivait le maire dans son courrier, « dans la pratique les employeurs
sont donc placés dans une sorte d’injonction contradictoire et malgré la législation
antidiscriminatoire, sur laquelle nous sommes particulièrement vigilants, ces dispositions
conduisent, souvent par anticipation du risque, à de nombreuses discriminations à l’égard
d’étrangers pourtant autorisés à travailler en France. Je tenais à attirer votre attention sur
17 Dhume, F., Hamdani, K. (2013), op. cit. p. 55.
18 Ibid, p. 58.
36
cette problématique en espérant que vous puissiez user de vos prérogatives pour faire une
analyse précise de la situation et contribuer à sa résolution ».
L’un des enjeux de cette montée en généralité est celui du changement d’échelle car
beaucoup de situations enregistrées à Villeurbanne relèvent en réalité de processus ou de
pratiques qui se déploient à l’échelle métropolitaine. En juin 2020, la création d’une vice-
présidence en charge de la lutte contre les discriminations au sein l’exécutif métropolitain, et
le recrutement d’une chargée de mission, ont été salués comme une avancée au vu des
compétences de la Métropole dans le domaine de l’emploi et de l’insertion. Comme le
suggère une note interne à la Ville de Villeurbanne, les outils mis en place dans le cadre du
réseau de veille et de vigilance « peuvent servir de trame à l’extension de cette action sur le
territoire de la métropole. Ceci augmentera significativement l’efficacité de l’action par une
vigilance accrue et un accompagnement à la prévention des discriminations intervenant sur
le périmètre adéquat auprès des employeurs et des organismes de formation ».
Cependant, même à Villeurbanne, la traduction politique des situations repérées est loin
d’être systématique. Ainsi, alors même que des discriminations récurrentes mettent en cause
les organismes de formation, ces derniers (qui dépendent de la Région) n’ont pas fait l’objet
d’interpellations. De même, si une partie des membres du réseau participe par ailleurs à
diverses instances des politiques publiques, ils.elles n’ont pas nécessairement la capacité à
faire évoluer des partenaires qui ne participent pas au réseau, notamment lorsqu’ils
interviennent à une échelle supra-communale. Comme le dit un acteur, « il y a une difficulté
à convaincre ceux qui ne sont pas convaincus. C’est la limite de notre petit village gaulois.
Comment faire bouger les lignes ailleurs ? Cela ressort peu au-delà de la commune et
l’appropriation est variable à l’échelle de la commune ».
À Grenoble, une partie des acteur.ices interrogé.es se déclaraient en attente d’un
repositionnement du réseau comme levier de transformation politique. Bien que la CVA se
présente comme un réseau d’intermédiaires, comme à Villeurbanne, les passerelles avec les
politiques publiques semblent fonctionner moins efficacement. La raison est d'abord
politique, liée au manque d’impulsion d’une stratégie de LCD à l’échelle intercommunale
comme à l’échelle des communes urbaines membres du réseau. La raison est également
institutionnelle, liée cette fois au manque de transversalité entre la DGA Cohésion sociale et
urbaine, où officie l’animatrice de la CVA, et les autres directions de la Métro, dont certains
agents ont toutefois été formés. Les thématiques travaillées dans le cadre du contrat de ville
n’ont ainsi pas débouché sur l’élaboration d’une stratégie territoriale intégrée. Certain.es
acteur.ices regrettent notamment que des institutions aussi cruciales que l’Éducation ou la
Police nationales ne soient pas interpellées sur la base des situations repérées par la CVA.
À Aubervilliers et Nantes, les réseaux ne sont pas réservés aux intermédiaires, ni construits
autour de la notion de coproduction. Dans ce contexte, les liens avec les politiques publiques
sont ténus, plus encore à Aubervilliers où l’animatrice de Discrimin’action apparaissait
particulièrement isolée au sein de l’administration municipale. À Nantes, l’animateur du
Ravadis participait au contraire à différentes instances d’élaboration des politiques
publiques, notamment dans le cadre du plan territorial de lutte contre les discriminations.
Mais ce dernier, adossé au contrat de ville, ne semble pas produire d’effets de
transformation des politiques publiques. Inversement, les représentant.es de services publics
(par exemple, la police) présent.es au sein du réseau nantais ne sont pas en capacité de
37
porter l’enjeu des discriminations au sein de leur institution d’appartenance. Un acteur la
Maison de l’emploi participe néanmoins tout à la fois au Ravadis et au réseau
d'intermédiaires de l'emploi coordonné par l'ATDEC de Nantes métropole.
C’est surtout du futur Observatoire nantais des discriminations qu’est attendue une jonction
entre les travaux du Ravadis et les politiques publiques. Parmi ses missions envisagées
figure en effet « l’animation du système d’acteurs » engagés sur la question des
discriminations ou non encore impliqués, notamment dans les domaines du logement, de
l’éducation et de l’accès aux services publics. L’Observatoire doit aussi avoir vocation à
conseiller les acteurs.ices politiques et à contribuer à la définition des priorités de l’action
publique locale.
La dimension politique de la lutte contre les discriminations suppose enfin de faire place à
l’expression et l’action collectives des concerné.es. Il existe une littérature fournie sur le
sujet. Elle rappelle que l’approche française de la lutte contre les discriminations a été
construite selon un credo républicain individualiste fondé sur la crainte de glisser vers la
reconnaissance publique de minorités susceptibles de politiser l’enjeu des discriminations19,
niant par là même l’histoire de luttes sociales appuyées sur la mobilisation de minorités (par
exemple celles des immigrés). Le cadrage national des discriminations, notamment raciales,
ne s’est pas réalisé sous l’impulsion de ces mobilisations citoyennes, à la différence des
droits conquis par les mouvements féministes20. Il a été impulsé d’en haut, notamment sous
la pression de l’Union Européenne pour mettre l’accent sur la dimension répressive du droit,
enfermant les acteurs dans une « logique du procès »21 qui alimente un soupçon permanent
de « victimisation »22.
Du côté des victimes elles-mêmes, le passage à l’action collective est difficile. Outre les
freins liés à la précarité ou au sentiment d’illégitimité, la réparation de la souffrance
individuelle de la victime n’apparaît pas comme une fin en soi dans les usages collectifs et
politiques du droit de la non-discrimination. La visée de ces mobilisations est plus large, soit
qu’elles cherchent à défendre l’identité collective d’un groupe, soit qu’elles mettent en cause
un « système » produisant la discrimination, pouvant faire craindre aux victimes une
instrumentalisation de leur cas – là même où l’institution judiciaire reconnait à la victime une
19 Eberhard, M. (2006), L’idée républicaine de la discrimination raciste en France. Thèse de doctorat
en sciences sociales, Université Paris 7 ; Chappe V.-A. (2011), « Le cadrage juridique, une ressource
politique ? La création de la Halde comme solution au problème de l'effectivité des normes anti-
discrimination (1998-2005) », Politix, vol. 2, n°94, p. 107-130.
20 Bereni, L. et al. (2010), « Entre contrainte et ressource : les mouvements féministes face au droit »,
Nouvelles questions féministes, vol. 1, n°1, p. 6-15.
21 Poiret, C. (2010), « Pour une approche processuelle des discriminations : entendre la parole
minoritaire », Regards sociologiques, n°39, p. 5-20.
22 Fassin, D. (2002), op. cit. ;
38
qualité individuelle, celle que le discriminateur a précisément niée en réduisant l’individu à un
attribut collectif23.
La voie est donc étroite pour les collectifs militants pour lesquels le droit se présente à la fois
comme une ressource susceptible de transformer les rapports de pouvoir et d’appuyer les
demandes d’égalité des groupes minoritaires. La littérature américaine sur des mouvements
des droits civiques et féministes s’intéresse depuis les années 1970 aux usages du droit de
la discrimination comme ressource politique. En examinant cette littérature, Vincent-Arnaud
Chappe distingue quatre niveaux d’efficacité du droit24 :
« Tout d’abord, le droit sert en amont à la formation de l’action collective, en offrant
un cadre et un langage de revendication. À travers un processus de legal catalysis, le
mouvement social se structure et s’organise autour de la perspective de l’action
judiciaire, gagne en compétences et provoque une prise de conscience de la
discrimination parmi la population défendue. Le deuxième niveau d’efficacité se joue
au niveau du pouvoir normatif et symbolique du droit qualifié de symbolic club (levier
symbolique) : en dehors même du contentieux, le droit est utilisé à la fois comme une
menace symbolique et matérielle qui peut amener le mis en cause à faire des
concessions, par anticipation du risque judiciaire mais aussi de l’atteinte en terme de
réputation qu’il peut subir. Le troisième niveau se situe au niveau des externalités
liées à l’usage du droit – les radiating effects : l’action judiciaire – par ses retombées
médiatiques – permet d’accéder à des scènes d’action publique et facilite
éventuellement une mise à l’agenda politique de la question soulevée par le
contentieux. Enfin, le droit a un pouvoir en aval de l’action judiciaire, comme cadre
référent dans la mise en place de réformes organisationnelles au sein des
organisations visées par les mobilisations ».
En dehors même d’une action judiciaire, le développement du pouvoir d'agir des personnes
discriminées peut contribuer à transformer des problèmes individuels, vécus de manière
isolée, en cause publique. D’où l’importance d’espaces où les expériences et le savoir
découlant des discriminations peuvent être partagées. Pour l’heure, la gouvernance « à la
française » des dispositifs se trouve généralement circonscrite aux seuls acteur.ices
public.ques et aux associations fortement institutionnalisées. Cette gouvernance semble
donc fermée aux organisations exprimant directement le point de vue des groupes
discriminés. Très rares sont les initiatives locales prenant appui sur la mobilisation de
citoyen.nes confronté.es à l’expérience de la discrimination25. De façon significative, les
23 Chappe, V.-A. (2013), L’égalité en procès. Sociologie politique du recours au droit contre les
discriminations au travail, Thèse en sciences sociales, ENS de Cachan.
24 Chappe, V.-A. (2014), op. cit. p. 7.
25 Dhume, F. (2009), « De la discrimination du marché au marché de la discrimination. Les fausses
évidences de la "lutte contre les discriminations" », Mouvements, n°49, janvier-février, p. 128-136 ;
Noël, O. (2009), op. cit.
39
dispositifs de formation ne s’adressent pas aux premier.es concerné.es26. Comme l’écrivent
Fabrice Dhume et Khalid Hamdani, les victimes « se taisent d'autant plus que parler,
dénoncer ou revendiquer est risqué : on s'expose aux accusations de "victimisation", de
"communautarisme", etc., qui sont des manières de faire taire et de délégitimer la parole et
l'expertise des premiers concernés »27.
Dans les territoires étudiés, des expériences visant à favoriser l’expression collective des
personnes discriminées ont parfois lieu, mais elles restent ponctuelles et sont souvent
extérieures aux réseaux, ceux-ci se positionnant comme des médiateurs de la parole des
concerné.es dans une logique de corps intermédiaires. Depuis une quinzaine d’années, des
groupes de parole ont été constitués dans les quatre territoires, mais le cadrage institutionnel
de ces expériences n’a pas débouché sur des mobilisations durables28 .
À Aubervilliers, quatre « groupes de parole » ont été mis en place pour recueillir la
perception des habitants.es sur les discriminations dans le cadre du diagnostic stratégique
réalisé par le cabinet Geste en 2011. Au-delà d’initiatives ponctuelles, comme celle de la
Mission locale qui a organisé une rencontre avec des jeunes pour parler des discriminations
à l’embauche en 2019, la question des discriminations peut être abordée dans les instances
de démocratie participative impulsées par la municipalité, mais les populations (d’origine)
étrangère(s) les plus précaires les fréquentent peu.
À Nantes, le réseau en tant que tel n’a pas impulsé d’action particulière pour favoriser
l’expression collective des concerné.es. Des associations représentant l’intérêt de groupes
discriminés (LGBTQI+, gens du voyage, personnes en situation de handicap) y sont
représentées, mais elles se positionnent en représentantes de leurs usagers dans une
logique de corps intermédiaires. Dans le cadre d’événements comme les Semaines contre le
racisme et les discriminations, le recueil de la parole citoyenne sur les discriminations est
confié à des associations comme la Fal 44 ou Tissé Métisse qui font partie du Ravadis. La
Mission Égalité de la ville de Nantes a impulsé la mise en place d’un groupe citoyen baptisé
« pouvoir de dire, pouvoir d’agir » qui se voulait plus pérenne, mais il ne fonctionne plus
faute de moyens d’animation.
À Villeurbanne, les institutions et associations ont également impulsé divers dispositifs
destinés à faire émerger la parole des concerné.es, notamment le Conseil consultatif de lutte
contre les discriminations ethniques créé en 2009 dans le prolongement d’une commission
extra-municipale. Ce conseil est composé de trois collèges dont un collège « citoyen.ne.s ».
Il a contribué à l’organisation des Assises de la LCD en 2019, au cours desquels des
26 Iscra Méditerranée (2018), Prévention et lutte contre les discriminations. Livret pédagogique à
destination des partenaires du réseau de vigilance villeurbannais en faveur de l’égalité de traitement
et de la non-discrimination, Ville de Villeurbanne, CGET.
27 Dhume, F., Hamdani, K. (2013), op. cit. p. 45.
28 Voir à propos de Villeurbanne, Cerrato Debenedetti, M.-C. (2018), op. cit.
40
collectifs d’habitant.es de Perpignan et de Lille se sont exprimés. En dehors de ce dispositif
pérenne, d’autres expériences d’expression citoyenne institutionnellement encadrées ont eu
lieu depuis les années 2000 : groupe Rebond mis en place par la Mission locale, groupe de
créateur.rices d’entreprise mis en place par ADL, rencontre de jeunes sur le contrôle au
faciès organisée par AVDL au sein du centre social Cusset...
La Métropole de Grenoble se distingue par l’importance de son réseau militant. Mais
certaines mobilisations citoyennes autour de l’enjeu des discriminations ont occasionné des
conflits avec les élu.es. C’est le cas de l’Alliance citoyenne, une coalition d’organisations
formée à partir des techniques du community organizing et qui, conformément à cette
doctrine d’action, cherche à publiciser l’enjeu des discriminations – comme d’autres
injustices – en instaurant un rapport conflictuel avec les institutions. La Métro a néanmoins
soutenu d’autres associations mobilisées contre les contrôles au faciès. La CVA a elle-même
pris des initiatives en direction des jeunes des quartiers populaires (voir infra).
Une prise en compte des jeunes des quartiers populaires mêlant approches
spécifiques et intégrées
Dans leur approche des jeunes des QPV, les réseaux peuvent privilégier une approche
spécifique et/ou intégrée de la prise en compte des jeunes des quartiers populaires. Par
approche spécifique, nous entendons une logique d’action prenant appui sur des
acteurs.ices spécialisé.es – ici des acteur.ices « jeunesse » – qui développent des outils
permettant de cibler un groupe – ici les jeunes des quartiers populaires. Le déploiement
d’une telle approche suppose d’inclure des acteurs.ices « jeunesse » au sein des réseaux.
Par approche intégrée, nous entendons la prise en compte de la situation spécifique de
certains groupes (ici les jeunes) par les structures de droit commun. Cette approche appelée
également « mainstreaming » est universaliste au sens où elle s’adresse potentiellement à
tous les publics. Elle suppose néanmoins d’adapter l’offre afin de n’exclure aucun groupe –
ici les jeunes des quartiers populaires – de son bénéfice.
Si le projet Fej n’avait pas encore déployé tous ses effets, au moment de l’enquête, il en
ressortait que les réseaux nantais et albertavillarien s’inscrivaient délibérément dans une
approche spécifique des jeunes, même si cette approche restait universaliste en ce qui
concerne le ciblage territorial. À Nantes, la plupart des structures composant le Ravadis
entretiennent un rapport relativement distant avec le public jeune, hormis le service jeunesse
de la Ville de Nantes, l’association Tissé Métisse et la Fal 44. Le choix a donc été fait de
créer un réseau parallèle formé d’acteur.ices spécialisé.es dans le champ de la jeunesse,
même s’ils ne s’adressent pas spécifiquement aux jeunes des QPV.
L’option retenue à Nantes résulte à la fois du constat pragmatique que le Ravadis n’était pas
en capacité d’apporter en son sein des réponses aux jeunes, mais aussi d’une commande
politique invitant à développer de telles réponses dans le contexte de vives tensions avec la
jeunesse des quartiers populaires. Le réseau jeunesse mis en place en réponse à cette
commande politique cible toutefois un public plus large que celui des QPV. Ce choix semble
reposer, là aussi, sur le constat pragmatique du faible ancrage dans ces quartiers de
structures par ailleurs investies dans la lutte contre les discriminations, comme la Ligue de
l'enseignement.
41
À Aubervilliers, où la quasi totalité du territoire communal est classé en politique de la ville,
l’approche peut être également qualifiée d’universaliste concernant les territoires, et
spécifique concernant le ciblage des jeunes. Comme à Grenoble, l’approche spécifique est
censée se concrétiser par la mobilisation de quelques structures spécialisées, de type
Missions locales, services jeunesse des municipalités et prévention spécialisée. Mais cette
mobilisation se fait non sans mal, ces acteur.ices spécialisé.es étant globalement peu
réceptif.ives au thème des discriminations. De fait, ces structures repèrent très peu de
situations. S’ajoute, dans le cas de Grenoble Alpes-Métropole, le problème posé par
l’absence de service jeunesse structuré et d’élu.e porteur.euse de cette question à l’échelle
de la Métro. Grenoble se différencie toutefois de Nantes et Aubervilliers par une approche se
voulant spécifique à la fois sur le plan territorial et du public : ce sont bien les jeunes des
QPV qui se trouvent au cœur des diverses initiatives développées dans le cadre du projet
Fej (voir infra).
Au pôle opposé, la démarche mise en œuvre à Villeurbanne se situe nettement du côté de
l’approche intégrée. Le réseau comporte des acteurs.ices spécialisé.es dans le champ de la
jeunesse (Ailoj, Missions locales), mais ils.elles sont attaché.es au paradigme universaliste
consistant à ne pas différencier l’action en direction du public des QPV. La responsable
d’une Mission locale précise sa position : « 12 % de notre public vient des QPV. Mais tout le
monde est concerné par les discriminations. Même si la problématique peut être plus
prégnante en QPV, on peut être discriminé en habitant au centre-ville. Mon objectif comme
manager, c’est que personne ne soit en marge de la lutte contre les discriminations au sein
de mon équipe ».
Rappelons que le réseau de vigilance villeurbannais a lui-même été délibérément construit
en dehors du cadre de la politique de la ville. Dans ce contexte, la principale démarche mise
en œuvre à la faveur du projet Fej a consisté à inclure la dimension « jeunesse » dans l’offre
de formation faite aux professionnel.les, qu’ils s’agisse de structures « tous publics » ou
d’acteur.ices du champ de la jeunesse. Pour atteindre le public des QPV, la municipalité fait
le pari que la dissémination des points d’information dans l’ensemble des secteurs de la ville
contribuera à renforcer l’accès au droit de l’ensemble des Villeurbannais, qu’ils résident ou
non en QPV. L’ajout d’une dimension « jeunesse » dans les formations doit servir à produire
des outils pour que les jeunes de ces quartiers utilisent effectivement ces ressources de
proximité.
Qu’il s’agisse des démarches d’accompagnement juridique ou de la mobilisation collective
des concerné.es, les jeunes des quartiers populaires n’étaient pas encore (au moment de
l’enquête) un objet central de l’activité des réseaux. Avant l’arrivée du projet développé dans
le cadre du Fonds d'expérimentation pour la jeunesse, on recensait quelques dispositifs,
comme celui des Jeunes ambassadeurs des droits (Jade) du Défenseur des droits mis en
place à Grenoble, Nantes et Aubervilliers, mais dans une logique de sensibilisation plutôt
que d’accès au droit. On peut mentionner aussi la consultation gratuite à destination des
jeunes mise en place dans le cadre du contrat local de santé à Aubervilliers ou, dans un
autre registre, les actions d’une Mission locale de l’agglomération de Grenoble au sein de
laquelle des groupes de jeunes ont travaillé sur différents vecteurs de sensibilisation aux
discriminations (une pièce de théâtre évoquant les discriminations, un film concernant
l’égalité hommes-femmes, la conception d’une affiche…).
42
Au moment de l’enquête, le projet Fej s’était traduit par quelques initiatives nouvelles en
matière d’accès au droit des jeunes, mais cette offre ne visait pas toujours spécifiquement le
public des QPV :
" À Nantes, une démarche d’identification des relais d’information (y compris sur les
activités du Ravadis) accessibles par les habitant.es des QPV a été engagée dans le
cadre des « 26 actions pour la vie des quartiers » décidées après les révoltes de l’été
2018. Le réseau d’acteur.ices jeunesse récemment constitué est un résultat de cette
démarche, même s’il ne cible pas seulement le public des QPV.
" À Grenoble, des collectifs de jeunes sont associés au projet de création d’une
consultation juridique sur les discriminations, afin de relayer l’information auprès
d’autres jeunes.
" Des formations intègrent désormais un volet « jeunesse » et peuvent déboucher,
comme à Villeurbanne, sur la construction d’outils spécifiques.
Le volet « Soutenir les jeunes comme acteurs en matière de lutte contre les discriminations »
(axe 3 du projet Fej) a donné lieu à des initiatives plus limitées, sauf à Grenoble où le réseau
Partenaires Egalité – mais non la CVA dont ce n’est pas la fonction – soutient plusieurs
initiatives contribuant à faire des jeunes des « acteurs en matière de LCD » : participation de
l’association AssociaJeunes (Saint-Martin-d’Hères) à l’écriture du projet Fej et projet de
rencontre avec la cellule ; enquêtes du laboratoire Pacte sur les rapports police/population ;
création par l’association La Petite Poussée d’une plate-forme permettant de recueillir les
témoignages de jeunes sur les discriminations et proposant aussi des ressources juridiques ;
hors projet FEJ, soutien financier du réseau des partenaires et de la politique de la ville à
l’association « Agir pour la paix », à l’Université populaire et à la Régie de quartier Villeneuve
Village Olympique qui élaborent des actions impliquant des jeunes des quartiers populaires,
notamment sur l’enjeu des contrôles au faciès.
Les initiatives des autres réseaux concernant l’axe 3 du projet Fej étaient beaucoup limitées
au moment de l’enquête. La seule initiative notable concernait le déplacement d’un groupe
de jeunes du Conseil local des jeunes d’Aubervilliers à Grenoble, en octobre 2019. Mais
l’expérience a tourné court faute d’implication du service jeunesse de la ville.
De manière générale, la participation des jeunes souffre d’une faiblesse chronique dans
l’espace institutionnel et associatif français, et ce malgré sa mise à l’agenda des politiques
de jeunesse. En cause : le regard persistant sur les jeunes comme « minorité sociale » – un
référentiel encore dominant du côté des professionnel.les comme des institutions, véhiculant
une vision du jeune qui ne saurait porter des droits politiques en raison, précisément, de sa
condition juvénile29.
29 Cortesero, R. (2014), « Empowerment, travail de jeunesse et quartiers populaires : vers un nouveau
paradigme ? », Recherche Sociale, n°209, janvier-mars, p.46-61 ; Loncle, P. (2008), Pourquoi faire
participer les jeunes ? Expériences locales en Europe, Paris, L’Harmattan.
43
2.2. La diffusion aléatoire des normes de l’antidiscrimination au sein des
organisations
Il ressort des développements qui précèdent que le droit de la non-discrimination resterait
largement ineffectif s’il devait se réduire à sa seule dimension répressive. D’autant plus que
nombre de situations se situent dans une zone floue où la frontière entre le légal et l’illégal
n’apparaît pas immédiatement. Au delà de la vocation du droit à sanctionner les
comportements discriminatoires, son « internalisation organisationnelle », pour reprendre
une expression de Vincent-Arnaud Chappe30 , est donc nécessaire pour garantir son
effectivité. On quitte ici le terrain de la lutte pour entrer dans celui de la prévention des
discriminations. En suivant V.-A. Chappe, l’enjeu est d’amener les organisations à évoluer,
pas seulement pour éviter un risque judiciaire, mais parce que le caractère complexe des
discriminations, non toujours réductibles à une intentionnalité coupable, appelle la mise en
place des dispositifs visant à intégrer l’égalité de traitement comme souci permanent, et à
rendre le droit effectif « en continu ». Il s’agit en d’autres termes de trouver des points
d’appui pour articuler une exigence juridique et une exigence politique, plutôt que de les
opposer. « Cela ne revient pas à plaider une déjudiciarisation de la lutte contre les
discriminations, écrit V.-A. Chappe, mais à encourager une articulation poussée entre une
fonction répressive du droit gagée sur les tribunaux et permettant de tracer les frontières de
la légalité, et un usage plus négocié et horizontal aux marges de cette frontière forcément
floue ».
Des structures plus engagées que d’autres dans la cause de la LCD
L’internalisation du droit de la non-discrimination au sein des organisations membres des
réseaux dépend de la capacité des référent.es à mobiliser leur structure d’appartenance.
Cette capacité est souvent corrélée à la taille de celle-ci (l’engagement est plus facile dans
les petites organisations), mais aussi à une forme de militantisme associatif. Dans chacun
des réseaux étudiés, une partie des acteur.ices interrogé.es se définissent comme des
« militant.es » de la cause des discriminations. Leurs propos illustrent cette posture
d’engagement :
« On est dans une association militante. La discrimination, c’est central pour notre
association. On intervient auprès des lycées et des professionnels. Dans nos
interventions, on aborde la question. C’est dans nos statuts, dans notre charte de
bénévoles. Tout le monde est censé être sensibilisé » (Nosig, Centre LGBTQI+ de
Nantes).
« En interne tout est fait pour pouvoir approfondir ces situations et les dénoncer.
C’est partagé par l’équipe dirigeante, les bénévoles et les salarié.es de l’association.
On en parle en équipe et il n’y pas que moi qui porte le sujet » (Association franco-
chinoise Pierre Ducerf, Aubervilliers).
30 Chappe, V.-A. (2013), op. cit
44
« Les discriminations sont une question transversale pour notre Régie de quartier.
C’est dans l’ADN de la structure. Mais quand on dit qu’on est engagés, c’est pour
rappeler le droit et avoir une posture vis-à-vis du public qu’on accueille. C’est
pourquoi je mets en place un plan de lutte contre les discriminations au sein de la
Régie. C’est pourquoi on aura une consultation juridique portée par la Métro. On
prévoit aussi de travailler sur la parole des habitants à partir de la pratique artistique »
(Régie de quartier Villeneuve/Village Olympique, Grenoble).
« L’association existe depuis 1985. La discrimination était déjà évoquée dans notre
objet initial. Historiquement, l’association a été créée par des travailleurs sociaux, des
militants et des gens en situation de précarité. On a une verticalité faible avec une
vraie implication de la direction. Il n’y a pas monsieur ou madame discrimination. On
l’a intégrée dans le cadre de la formation et des pratiques professionnelles. Le cœur
de notre travail, ce sont les personnes mal logées ou en situation d’expulsion. Dès le
départ, la question ethnique est ressortie comme un enjeu fort et l’association porte
toujours cette question aujourd'hui, même si on a une approche qui devient plus
technique que politique. C’est une approche par le droit et par l’investissement des
espaces institutionnels » (AVDL, Villeurbanne).
D’autres structures plus institutionnalisées peuvent être également répertoriées dans la
catégorie des « engagées » parce que la lutte contre les discriminations est une priorité de la
direction et/ou d’une personne particulièrement impliquée qui se sent soutenue par la
direction. Les exemples suivants rendent compte de cette configuration :
« Notre Mission locale a été impliquée dans le projet Equal. On a eu une référente
LCD impliquée dans Equal. Puis, quand la mairie de Villeurbanne s’est saisie de la
question et a accompagné les acteurs, on s’est demandé comment ne pas être
coproducteurs. On rappelle aux personnes qu’on recrute qu’elles recevront une
formation et une sensibilisation. Elles peuvent aussi recevoir un appui technique de
notre référent LCD. Le référent est là pour relayer l’information afin que tout le monde
s’en saisisse, mais aussi pour nous titiller. Il y a une adhésion des agents. En tant
que directeur, je tiens à ce que le sujet soit partagé et transversal » (Mission locale,
Villeurbanne).
« La discrimination, c’est devenu un volet important de notre action. Le sujet est très
fort dans toutes les structures de l’Omja. Avant les réunions, on fait un point général
avec mon directeur sur ce qui se passe dans les structures. Après la réunion du
réseau, je fais un débrief avec mon responsable qui est très sensibilisé. Il a suivi des
formations sur la discrimination. C’est lui qui m’avait missionnée sur les
discriminations alors que je n’étais pas très convaincue à l’époque. Le réseau m’a
permis d’avoir une ouverture sur ce qu’est la discrimination concrètement » (Omja,
Aubervilliers).
« Le fait de porter cette mission au sein de la Maison de l’emploi entrait dans le projet
de la structure. J’ai toujours été soutenu dans cette mission, même si se pose
toujours la question du temps dédié qui a pu évoluer. Il y a eu des hauts