ArticlePDF Available

La saveur du cœur et l’amertume du corps: Chamanisme et poisons chez les Arawá du moyen Purus (Amazonie brésilienne)

Authors:

Abstract and Figures

In light of the recent ethnographic production on the indigenous Arawá peoples and the research in historical ecology dedicated to the lands of the Juruá-Purus interfluve, this article proposes a reflection on plant poisons, hunting and fishing, based on the sociality, shamanism and body-making practices of the indigenous peoples of this region. We start from the self-poisoning of the Suruwaha to consider it as a starting point for the analysis of the language of the physiology of Arawá affections that expresses the ambivalence or categorical instability of certain plants. Our hypothesis is that the use and importance of plants in the Arawá context is inseparable from their anti-alimentary value, i.e., their food and practical aspects do not obliterate their shamanic potential as poisons. In the first part of the text, we present a reflection on Casimirella ampla, a tuberous plant, which offers a productive perspective on the use of cassava in this region and will serve as an analytical model to test the hypothesis on the practical and categorical ambivalence of certain plants. In the second part, we develop our argument by highlighting the anti-alimentary potential of these plants, in favor of an alternative conceptual image of Arawá sociability in which poisons are featured as body transforming substances.
Content may be subject to copyright.
Revue d’ethnoécologie
23 | 2023
Voixdelaterre
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Chamanisme et poisons chez les Arawá du moyen Purus (Amazonie
brésilienne)
The taste of the heart and the bitterness of the body: shamanism and poisons
among the Arawá of the middle Purus (Brazilian Amazon)
KarenShiratorietDanielCangussu
Éditionélectronique
URL : https://journals.openedition.org/ethnoecologie/10025
DOI : 10.4000/ethnoecologie.10025
ISSN : 2267-2419
Éditeur
Laboratoire Éco-anthropologie
Référenceélectronique
Karen Shiratori et Daniel Cangussu, « La saveur du cœur et l’amertume du corps », Revue
d’ethnoécologie [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 30 juin 2023, consulté le 15 juillet 2023. URL :
http://journals.openedition.org/ethnoecologie/10025 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ethnoecologie.
10025
Ce document a été généré automatiquement le 15 juillet 2023.
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
La saveur du cœur et l’amertume du
corps
Chamanisme et poisons chez les Arawá du moyen Purus (Amazonie
brésilienne)
The taste of the heart and the bitterness of the body: shamanism and poisons
among the Arawá of the middle Purus (Brazilian Amazon)
Karen Shiratori et Daniel Cangussu
NOTE DE LAUTEUR
This article is part of the project ECO, funded by the European Research Council (ERC)
under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation program (grant
agreement no. 101002359).
Introduction
1 Depuis les contacts établis avec les Suruwaha, un peuple indigène qui habite la région
du bassin de la rivière Cuniuá dans le moyen Purus (Amazonas), par des organisations
missionnaires au début des années 19801, la récurrence et la centralité de l’auto-
empoisonnement par l’ingestion du suc de Deguelia utilis, une nivrée ou timbó en
portugais, étaient si frappantes qu’elles ont affirmé que pour ces peuples indigènes, ce
n’est que de cette manière que « l’existence humaine a un sens », que ce serait la « ligne
directrice pour comprendre la vie » et « la plus grande de toutes les valeurs » (Kroemer
1994 : 78). Les premiers rapports plus approfondis sur ce peuple, rédigés par Gunter
Kroemer du CIMI (Conseil missionnaire indigéniste), à savoir « Cuxiuara: O Purus dos
indígenas » (1985), « A caminho das malocas suruwaha » (1989) et « Kunahã made: o povo do
veneno » (1994), détaillaient les aspects sociaux liés à l’ingestion de ce suc et finissaient
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
1
par conforter la perspective selon laquelle il s’agirait du « peuple du poison » (Kroemer
1989 : 201).
2 D’intenses débats, parsemés de conflits, de disputes politiques et de divers scandales
parmi les non-indigènes, ont eu lieu au cours des décennies suivantes pour essayer
d’aborder le phénomène, ainsi que pour chercher des « solutions au problème du
suicide », considéré aux yeux de nombreux agents externes comme perturbateur et
dérangeant. Le thème est certainement complexe en raison de ses multiples
implications qui défient la compréhension de ceux qui travaillent avec ces peuples,
qu’il s’agisse de missionnaires, d’agents du gouvernement, d’indigénistes ou
d’anthropologues.
3 Un bref rappel de certaines de ces approches analytiques montre leurs profondes
différences théoriques, politiques et cosmologiques : pour le missionnaire Gunter
Kroemer, l’ingestion de poison serait une solution chrétienne à l’ethnotrauma résultant
de l’extermination d’une partie importante de la population suruwaha liée aux
épidémies de grippe provoquées par l’avancée du front extractiviste dans la région. En
ce sens, les Suruwaha seraient victimes d’une histoire qui aurait engendré une
psychopathologie sociale qui, à son tour, aurait exigé une intervention thérapeutique
institutionnelle pour être surmontée2 (Kroemer 1994 : 78). Dans un article de
l’anthropologue João Dal Poz, le suicide serait, dans une analyse d’inspiration
durkheimienne, une variante de la sorcellerie produite dans l’enfermement spatial
forcé (Dal Poz 2000). Aux yeux des missionnaires évangéliques liés à l’organisation
JOCUM (Jeunes en Mission), la posture « suicidaire » des Suruwaha serait l’expression
de la condamnation collective d’un peuple pécheur dont la solution aurait été
l’autosacrifice par le poison (Suzuki 2001). Leur « programme de combat suicidaire »
était basé sur des « analogies de rédemption », en plus des équivocations entre des
éléments du christianisme et de ce qu’ils appellent la « religion des Suruwaha »,
composant une « fiction cosmologique », comme le formule l’anthropologue Miguel
Aparício (2017 : 216). Cet auteur, en analysant les stratégies missionnaires, montre la
centralité théologique de l’équivalence entre la mort de Jésus et le suicide par ingestion
de timbó, c’est-à-dire que si Jésus prenait le timbó pour les pécheurs, son acte aurait
rendu inutile la poursuite de cette pratique perçue comme oppressive (idem).
4 Il n’entre pas dans le cadre de cet article de retracer la longue histoire des actions
criminelles et des violations des droits menées par les organisations missionnaires
contre les Suruwaha, notamment JOCUM ; une recherche rapide révélera une liste
abondante d’actions, de processus et un schéma complexe qui se propage à travers les
pouvoirs et les institutions de l’État avec le soutien des autorités. Les stratégies
politiques développées par les missionnaires depuis des décennies dans le moyen Purus
servent de loupe et donnent de l’intelligibilité à un phénomène plus large en cours dans
le pays, à savoir l’avancée prédatrice du harcèlement des organisations missionnaires
évangéliques parmi les peuples indigènes. Nous n’entrerons pas dans cette zone grise,
car pour nos objectifs, il suffit de préciser que c’est en vertu de l’exotisme attribué aux
Suruwaha que le moyen Purus a acquis une certaine notoriété, construite avec
diligence par l’effort missionnaire, mais qui, dans une certaine mesure, est également
conservée dans le regard de ceux qui insistent sur le péché « suicidaire » et d’autres
variantes afin de les caractériser.
5 Loin de décrire une situation morbide et accidentelle, ni une psychopathologie soumise
aux vicissitudes de l’histoire ou une forme de rédemption religieuse, l’ingestion du suc
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
2
de la nivrée fait l’objet d’une importante recherche anthropologique menée par Huber
(2012 et 2016) et Aparicio (2013, 2015, 2017 et 2019) qui se consacrent, depuis de
nombreuses années, à porter un regard critique sur le prosélytisme religieux et les
approches fonctionnalistes afin de dépasser les limites de la catégorie occidentale du
suicide et de proposer des études guidées par des perspectives autochtones.
6 N’étant ni une violence homicide contre soi, ni une action fataliste de l’individu contre
l’ordre social, l’auto-empoisonnement se comprend plutôt, selon l’analyse proposée par
Huber (2012), comme une pratique inverse du chamanisme, que produit ou renforce
une aliénation, perspective comprise comme la perte du point de vue humain pour le
regard « flou-incompréhensible » des âmes. L’empoisonnement produit ainsi la
transformation des Suruwaha en proies, gibiers, objets ou fils adoptifs de l’esprit maître
du timbó (idem). La mort est un acte de prédation et la vie une résistance constante à
l’aliénation du regard (idem). En accord avec cela, Aparicio rejette la notion de suicide,
car les « empoisonnés sont décrits comme des victimes, des « proies du timbó (kunaha
bahi) », capturées par le pouvoir d’une plante-chaman qui les poursuit et les attaque »
(2019 : 120-121) ; en ce sens, le timbó est une plante dont l’agence chamanique brouille
les positions de proie et d’agresseur dans une perspective confuse imprégnée par le
sentiment de colère (Aparicio 2019).
7 À partir de la production ethnographique récente sur les peuples indigènes de langue
madi, à savoir les Jamamadi, Jarawara, Banawá et, probablement, les Hi-Merimã isolés
(Maizza 2014, 2019, Cangussu & Shiratori 2017, Shiratori 2018 et 2019, Shiratori et al.
2021, Aparício 2019 et 2020) et des recherches en écologie historique consacrées aux
terres fermes de l’interfluve du Juruá-Purus (Mendes dos Santos 2016, Cangussu 2021,
Cangussu et al. 2021), notre stratégie heuristique consiste à adopter un point de vue
méthodologiquement guidé par les conceptions madi de la socialité et de la centralité
des poisons dans leur chamanisme végétal en vue de proposer d’autres chemins de
réflexion. Considérer l’auto-empoisonnement de Suruwaha en relation à l’usage anti-
alimentaire de certaines plantes dans la région et l’importance chamanique des poisons
végétaux, piscicides et des curares, permet de le situer dans un système de
transformations plus large, celui des peuples arawá, et de revoir ainsi un certain
particularisme extravagant qui l’entoure3. L’hypothèse que nous avons formulée repose
sur l’ambivalence ou l’instabilité catégorielle qui brouille les frontières entre les usages
alimentaires et anti-alimentaires de quelques plantes.
8 Suivant l’ethnographie menée par Huber (2012 : 266), les goûts et les odeurs influent
sur les dispositions du cœur, gianzubuni, le noyau de la pensée et du raisonnement, de
sorte qu’affecter positivement la « saveur du cœur » par le tabac équivaut à neutraliser
les sentiments négatifs d’un « cœur astringent » comme le cajou4, qui souffre,
gianzubuni asyru. Le tabac à priser apaise la colère du chagrin qui serre le cœur, car il
est un « bouchon à l’amertume du cœur » (gianzubuni asini barakyry : gianzubuni,
« cœur », asini, « astringence », barakyry- « fermer », « boucher », « mettre sur ») et
permet d’inverser l’aliénation perspective en cours, l’« explosion des yeux », zubi
batana. Le tabac peut être un remède à la colère, mais la honte, la nostalgie, la douleur
physique et le chagrin ne peuvent souvent pas être neutralisés par le tabac à priser ou
d’autres remèdes, ce qui donne lieu à des tentatives d’empoisonnement avec du suc de
timbó (voir également Aparicio 2019 : 118-119). Nous reviendrons sur la prégnance du
langage physiologique des affects, dans les codes olfactifs-gustatifs, et sur la manière
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
3
dont ces qualités agissent sur les organes de la pensée, le cœur et les yeux, en étendant
la réflexion aux peuples madi.
9 Ainsi, notre hypothèse, basée sur les arguments des travaux précédemment publiés
(Shiratori 2018 et 2019, Cangussu 2021), est, en bref, que l’utilisation et l’importance
des plantes dans le contexte arawá est inséparable, dans de nombreux cas, de leur
valeur anti-alimentaire, c’est-à-dire que leurs aspects alimentaires et pratiques
n’oblitèrent pas leur potentiel chamanique ou leur ambivalence en tant que poison ; ce
qui n’est pas non plus suffisant pour comprendre leur rôle sociocosmologique, comme
nous chercherons à le démontrer.
10 Les peuples de la famille linguistique arawá vivent principalement dans la région du
moyen Purus, dans le sud de l’Amazonie. Ce groupe linguistique comprend les
Jamamadi, les Jarawara, les Banawá et les Hi-Merimã isolés, tous de langue madi, ainsi
que les Suruwaha (composés de sous-groupes de langue dawa), les Deni et les Kamadeni
(de langue madiha), les Paumari et les Kulina (qui vivent dans la région de l’Alto Purus
et la région de l’Ucayali au Pérou). Dans cet interfluve Juruá-Purus vivent également les
Apurinã, un peuple de langue Aruak, ainsi que les Juma et les Katawixi isolés, deux
peuples Tupi Kagwahiva. Dans cet article, nous sommes intéressés par les peuples Madi
et Dawa, en particulier les Jamamadi, Hi-Merimã et Suruwaha, qui vivent sur les terres
non inondables de la rive gauche du Purus.
11 Dans la première partie du texte, nous présentons une réflexion sur le Casimirella ampla
qui produit un tubercule aux dimensions colossales habituellement confondu avec
son congénère Casimirella rupestris (connu sous le nom de batata mairá) (Ribeiro 2018) – à
la lumière de ses biotechnologies qui nous offrent une perspective productive sur
l’utilisation du manioc dans cette région. Cette plante nous servira de modèle
analytique pour tester l’hypothèse sur l’ambivalence pratique et catégorielle de
certaines plantes, qui ne sont souvent étudiées que sous l’angle alimentaire, négligeant
ainsi leur aspect chamanique. Dans la deuxième partie, nous développons notre
argument en soulignant le potentiel anti-alimentaire (par la catégorie « anti-
alimentaire », nous entendons ici les substances à effets toxiques, émétiques et/ou
narcotiques)5, de ces plantes, sous-tend une autre image conceptuelle de la sociabilité
arawá dans laquelle les poisons sont mis en évidence en tant que substances
transformatrices.
12 Notre réflexion vise à contribuer au mouvement actuel de l’anthropologie, en dialogue
intense avec l’écologie historique et l’archéologie amazonienne, qui cherche à repenser
le rôle des certaines plantes dans les sociabilités indigènes, non limitées à la sphère
humaine, et à la contribution des différents peuples de la forêt à la production, à la
conservation et à l’accroissement de la biodiversité (Morim de Lima et al. 2021). Nous
suivons donc les chemins des peuples arawá avec lesquels nous travaillons dans le
cadre de recherches universitaires, de projets et d’actions indigénistes, afin de réfléchir
au rôle attribué aux plantes. Ce texte est l’un des résultats de la collaboration entre les
auteurs, qui mènent des recherches universitaires et des travaux indigénistes dans le
sud de l’Amazonie depuis une dizaine d’années.
13 L’objectif de notre projet est d’élargir la compréhension de la relation entre les peuples
indigènes et les plantes non cultivées par le biais d’une révision critique du cadre
conceptuel communément mobilisé dans les réflexions sur le sujet, sur la base de nos
descriptions ethnographiques, du résultat de la recherche de terrain menée parmi les
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
4
peuples Jamamadi et Suruwaha, et des données de l’écologie et de la botanique des
peuples Arawá de différentes régions de l’interfluve Cuniuá/Purus.
« C’est Zamahu, la nourriture des Zamadi »
14 Les Suruwaha entretiennent une fascination, qui est aussi un mépris, pour la vie en
mouvement des Zamadi forme réduite de Zama Madi ou « gens de la forêt »,
expression qu’ils utilisent pour désigner les Hi-Merimã. Parler des voisins isolés,
notamment de l’inexistence des abattis, est un sujet récurrent dans les conversations
des maisons Suruwaha. Généralement, à la fin des expéditions de surveillance de leur
territoire, organisées par les agents du gouvernement, ils les interrogent avec
insistance sur leurs campements, la forme de leurs céramiques, leurs habitudes
alimentaires, leurs terrains de chasse et, surtout, sur leurs plantes cultivées ou
l’absence de celles-ci. Pour des peuples qui attribuent une grande importance à
l’activité agricole, pour sa valeur alimentaire, relationnelle, cosmologique, il est
toujours inconfortable de constater l’absence de traces d’utilisation et de gestion des
plantes cultivées (Huber 2012, Aparício 2019). « Les Hi-Merimã ne cultivent rien, pas
même le kumadi », nous disent les indigènes.
15 Les informations sur les résultats des expéditions de surveillance, en général, les
indignent. Ils disent qu’il est urgent de fournir des semences, des plants et du manioc
pour que les Hi-Merimã cessent de « vivre comme des pécaris » selon l’expression
utilisée par les Suruwaha – sans domicile fixe et sans abattis. Ne pas planter de manioc
(Manihot esculenta) (Emperaire 2001) et de kumadi (Nicotiana tabacum) sont des absences
qui menacent la notion d’humanité, ceux qui observent l’éthique et la morale
communes6. Ikiji, grand connaisseur des histoires du fleuve Cuniuá et propriétaire de la
maloca (maison commune), a dit un jour qu’il enverrait des plants d’awabija (Ipomoea
batatas), de baxa (Dioscorea spp.) et de makahara (Xanthosoma riedelianum) pour que la
FUNAI puisse les livrer aux Hi-Merimã lors de leur prochaine expédition. Pour lui, les
personnes isolées ont perdu ces cultivars, qui étaient très communs dans les abattis des
ancêtres des Suruwaha, comme le montre le récit sur le défunt Ajanima, qui se réfère à
la fin du XIXe siècle :
Il avait une petite maloca de ce côté de l’igarapé Makuhwa, et comme il n’avait pas
d’outils en acier, il faisait ses abattis en cassant les branches des arbres avec ses
mains, et en allumant des feux aux pieds des grands arbres : il gardait les feux
allumés pendant des jours, jusqu’à ce que les arbres meurent, brûlent et tombent.
Son abattis était très petit, et il ne plantait que des patates douces (awabija) (Uhuzai,
29/11/10). (Huber 2012 : 117)
16 Il est frappant de constater que les plantes choisies par Ikiji pour être envoyées aux Hi-
Merimã aient toutes des tubercules ou des racines tubéreuses. Tout indique qu’il s’agit
des premières plantes cultivées par les groupes arawá, étant donné leur versatilité de
préparation (cuites, rôties puis préparées), leur facilité de stockage et le fait qu’elles ne
nécessitent pas de grands abattis dans la forêt pour être cultivées. En fait, beaucoup de
ces plantes sont grimpantes, facilement adaptées aux environnements forestiers et de
jachères ou sont des espèces sauvages que l’on peut trouver à la fois sur les bords des
abattis et dans la forêt.
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
5
Figure 1 : Ikiji préparant un panier avec des plants à livrer au Hi-Merimã
D. Cangussu 2018
17 Animaru, l’homme le plus âgé des malocas (peut-être dans les années 1940), se
souvient que les Suruwaha ne vivaient pas si différemment des Hi-Merimã dans le
passé ; un souvenir parfois éclipsé par la centralité actuelle de leurs abattis exubérants.
Les plus jeunes ignorent la nourriture des Hi-Merimã car ils ne savent pas qu’à une
époque pas si lointaine, les Suruwaha eux-mêmes consommaient les mêmes aliments :
« Nous mangions du bija (tubercule de forêt) grillé quand nous n’avions pas de mama
(manioc) », explique Animaru.
18 Makahara (Xanthosoma riedelianum), ahazubi (Xanthosoma taioba), awabija (Ipomoea
batatas), baxa (Dioscorea spp.), hahani (Calathea allouia) et suba (Heliconia sp.) sont des
exemples de « patates » présentes dans les jardins des Suruwaha, des Jamamadi et des
Hi-Merimã, deux peuples de langue madi. Les personnes âgées jamamadi rapportent
qu’avant le contact avec les populations non autochtones, leur régime alimentaire était
principalement basé sur des tubercules sauvages tels que le yamu (Casimirella ampla), le
keneru, le kiya, le biha7, le taiya (Xanthosoma taioba), le suba (Heliconia sp.) et le mafiyu
(non identifié) ; et qu’à cette époque, ils ne savaient pas encore comment cultiver le
maïs, le manioc, entre autres cultivars qui sont très courants aujourd’hui (Shiratori
2018).
19 Des restes de certains de ces tubercules, en particulier de Dioscorea, sont retrouvés dans
les moquéns (claies sur lesquelles en général, poissons ou viande sont mis à boucaner)
des campements hi-merimã ou en train de germer près de leurs tapiris (habitations
temporaires) abandonnés. Du fait du rejet de fragments de ces tubercules, les
campements Hi-Merimã influencent-ils la distribution des populations de ces plantes
sur leur territoire ? À l’instar de ce qui est observé avec le patauá (Oenocarpus bataua)
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
6
(Cangussu 2021, Shiratori et al. 2021), l’igname sauvage serait-elle l’une des plantes
caractéristiques des niches de domestication des Hi-Merimã ?
Figure 2 : Dioscorea sauvage (Dioscorea sp.) grillé sur un moquém de Hi-Merimã
D. Cangussu, 2016
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
7
Figure 3 : Morceau de tubercule de Dioscorea sp. dans le camp abandonné de Hi-Merimã
D. Cangussu, 2018
Figure 4 : Dioscorea sp. dans le camp abandonné de Hi-Merimã
20 Lors d’une des conversations dans la maloca d’Ikiji, nous avons vu qu’un grand
Casimirella, connu dans la région sous le nom de « patate de l’Indien » ou « batatão »,
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
8
poussait à côté de la maloca. Nous avons montré la plante du doigt et, dans une
tentative de parler de son importance pour les Hi-Merimã, nous avons dit que c’était le
Hi-Merimã iri mama, « le manioc des Hi-Merimã ». Le jeune Suruwaha a rétorqué que
nous nous trompions, qu’il s’agissait seulement d’un imiadi, une sorte de liane.
Constatant alors qu’il n’y a pas de consensus, Jabu, un des invités d’Ikiji, traverse la
maloca en portant une houe vers la plante qui pousse au bord du terrain et creuse la
base du buisson. Peu à peu, on découvre un tubercule qui s’étend à la base de la plante ;
Jabu l’arrache pour la montrer. Au milieu de l’étonnement de tous, une voix s’élève de
l’intérieur de la maloca. Wixikiawa, la mère de Jabu, s’impatiente en constatant
l’ignorance des plus jeunes et dit : « Jara (l’homme blanc) a raison ! C’est du zamahu, la
nourriture des Zamadi ». Wixikiawa a précisé que dans le passé, deux Suruwaha avaient
mangé un zamahu et étaient tombés malades, vomissant beaucoup, et que depuis lors,
aucun autre Suruwaha n’avait jamais réessayé la patate zamadi.
Figure 5 : Jabu creuse la patate Casimirella ampla
D. Cangussu, 2018
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
9
Figure 6 : Wixikiawa tient la patate arrachée par Jabu
D. Cangussu, 2018
21 La déclaration de Wixikiawa concernant l’abandon définitif de la consommation du
tubercule du Casimirella laisse cependant formuler un doute. Les Suruwaha, comme
d’autres peuples Arawá, ont une connaissance botanique étendue et raffinée d’une
grande diversité de plantes toxiques (Prance 1972 et 1978, Prance et al. 1977), qui sont
utilisées à des fins abortives et contraceptives, dans le chamanisme, les rituels
d’initiation, entre autres contextes de transformation corporelle et perspective. Les
techniques exactes de traitement du zamahu pour la consommation en toute sécurité
de son amidon, sans risque d’empoisonnement par son puissant poison, sont largement
connues et corroborées par les récits d’Animaru et d’autres anciens.
22 Il est certain que des intoxications se produisent ou se sont produites accidentellement
avec Casimirella ou avec d’autres plantes, comme les accidents liés à la grande similitude
entre les variétés douces et amères de manioc. Notre questionnement ne vise pas à
invalider les récits et explications attribués aux cas d’empoisonnement par ingestion de
plantes toxiques, mais à considérer ces événements à la lumière des pratiques, assez
courantes chez les Arawá, d’ingestion de poisons d’origine végétale ou
d’empoisonnement dans les processus de construction corporelle, notamment dans les
rituels d’initiation chamanique (Shiratori 2018) et pubertaire (Bonilla 2007), ou comme
remède à la colère dans la résolution de conflits, selon les termes de Huber (2012) et
Aparício (2015).
23 Cela dit, compte tenu de l’importance pratique et cosmologique des poisons végétaux
pour les Arawá, nous formulons l’hypothèse que l’intoxication au poison zamahu
rapportée par Wixikiawa ne se limite probablement pas à un simple accident ou au
résultat d’une expérimentation occasionnelle ; elle pourrait indiquer une utilisation
délibérée, que nous pourrions également qualifier d’expérimentale, similaire à l’auto-
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
10
empoisonnement au timbó8 (Huber 2012, Aparício 2015) ou le processus de fabrication
du corps empoisonné du chaman jamamadi, tous deux pleins d’implications
sociocosmologiques et chamaniques. La consommation de zamahu, et d’une myriade
d’autres plantes non cultivées, ne semble pas échapper à la logique des transformations
opérées par les poisons, avec leurs approximations et distanciations ontologiques – voir
la logique cinétique disjonctive du kunaha (Deguelia utilis) suruwaha, qui inverse les
positions de la proie et du prédateur, et la logique conjonctive du chamanisme végétal
jamamadi basé, principalement, sur l’incorporation de poisons de chasse, le curare.
Casimirella ampla : aliment et poison
24 Parallèlement aux ethnographies et corroborant les données présentées, les
expéditions de surveillance menées par les équipes de la FUNAI, auxquelles participent
occasionnellement des indigènes vivant dans les environs du territoire de Hi-Merimã,
fournissent des données qui permettent de comprendre certains aspects de la
transformation des aliments et des pratiques de gestion et de collecte (Cangussu 2021,
Shiratori et al. 2021, Cangussu et al. 2021). Il s’agit d’une prédilection pour les espèces
fruitières, le traitement des tubercules sauvages, la gestion des palmiers du genre
Oenocarpus, l’utilisation de poisons ichtyotoxiques et de poisons de chasse. La pratique
intense de la collecte et de la consommation de tubercules sauvages, d’ignames et de
tubercules divers, déjà documentée dans les travaux ethnographiques de la région, est
une observation fréquente lors des expéditions ; parmi ces plantes, les Hi-Merimã se
sont spécialisés dans la préparation d’une espèce largement répandue sur leur
territoire : la Casimirella ampla. Ce tubercule produit par cette plante était consommé en
grande quantité par plusieurs peuples indigènes du moyen Purus, comme le rapporte
Richard Spruce à propos de son voyage en 1848 (Spruce 1851) et qui constitue la
première mention que nous ayons de cette plante. Au niveau régional, l’espèce est
connue sous les noms de surucuína, batatão de índio, batatão, pão de índio, mandioca-
do-mato, mandioca-açu et suruculina. Casimirella ampla diffère de la mairá, Casimirella
rupestris, plus abondante dans les régions du nord de l’Amazonie (Amoroso 2020,
Mendes dos Santos 2022), où elle était également très consommée ; la Casimirella ampla
a des feuilles glabres (lisses), alors que la casimirella rupestris présente des trichomes
sur la partie abaxiale des feuilles à maturité (Ribeiro 2018). Mairá est un terme
nheengatu, enregistré pour la première fois par l’ethnographe Ermanno Stradelli
signifiant « caste de vigne [liane], dont la racine est comestible » (Stradelli 1929). De la
grosse racine tubéreuse des Casimirella, plusieurs peuples ont extrait l’amidon à des fins
alimentaires (Ribeiro 2018). La présence de ce gros tubercule dans les campements de
Hi-Merimã a été constatée lors des premières expéditions dans ce territoire, réalisées
dans les années 1990, comme le montre l’extrait du rapport de l’indigéniste Rieli
Franciscato, l’un des responsables de la démarcation du territoire Hi-Merimã :
Après deux kilomètres [...], nous avons trouvé un campement indigène
complètement effondré (de l’année 91/92), composé de quatre tapiris rabo de jacu
[abris du type queue de jacu, un oiseau]. Nous y avons trouvé un pot en céramique
brisé, une torche pour transporter le feu et les restes d’un tubercule Surucuína ou
Surucucuina [...] Nous y avons trouvé des restes d’os, d’ignames, de patoá [palmier
Oenocarpus bataua] et de tapir. Près du campement, à côté de la tête de pont, dans un
panier suspendu à une fourche, nous avons trouvé de l’andiroba de porco [ ?]
utilisée pour la pêche, (et) autour, un moquém, des patates surucuína, un pilon en
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
11
écorce de jutaí (probablement Hymenea courbaril], des patoás en train de germer et
un morceau d’arc d’âmago [bois de cœur] (1994 : 24).
25 Plus loin dans le même rapport, Franciscato ajoute :
Nous avons suivi la route en amont (...) et une trentaine de mètres plus loin, nous
avons trouvé l’endroit ils avaient ramassé une patate environ trois jours
auparavant. Le tubercule (qui peut peser environ 40 kg), que les indigènes avaient
commencé à creuser, avait été extrait par eux et une partie avait été emportée (...)
Si nous avions continué, au prochain coude de la rivière, nous serions arrivés à
l’endroit où ils traitaient le tubercule et où ils réalisaient une grande partie de leurs
activités domestiques (1994 : 25).
26 Toujours dans les campements hi-merimã, il est courant de trouver des structures
semblables à des mangeoires ou à des pirogues fabriquées à partir de tiges matures de
caranaí ( Lepidocaryum tenue) et de feuilles de bananier sauvage (Phenakospermum
guianense). Les tiges, d’une longueur d’environ 40 cm, sont fixées au sol à un angle de 45
degrés en deux rangées. L’espace créé entre elles est tapissé de feuilles de bananier
sauvage, formant un récipient en forme de canoë d’une capacité allant de 20 à 60 litres.
Généralement, à proximité de ces structures, on trouve de grands tas de restes des
tubercules de Casimirella ampla qui ont été râpés à l’aide de la racine du palmier
paxiubinha (Socratea exorrhiza).
27 Nous présentons ci-dessous une description détaillée des étapes de la préparation de la
Casimirella ampla à partir des vestiges des campements hi-merimã, des récits des
Jamamadi et de l’utilisation qui en est faite par d’autres peuples du Purus :
- Une fois la plante repérée, le tubercule est déterré à l’aide d’une sorte de pelle en bois
et coupé en petits morceaux pour en faciliter le transport ;
- Dans un récipient fait de solides tiges de caranaí, recouvertes de feuilles de bananier
ou de sororoca (Marantacées de la forêt), la masse de tubercules est déposée après avoir
été râpée à l’aide de la racine de paxiubinha (Socratea exorrhiza) ;
- La pulpe est lavée et pressée, à la main ou à l’aide d’une bande d’envira (écorce
interne fibreuse liber de plusieurs espèces), dans des céramiques. Le résidu est lavé
plusieurs fois pour en extraire l’amidon, puis jeté en gros tas au bord des campements ;
- Après une période de repos, l’amidon déposé au fond des céramiques subit un
nouveau lavage. Le suc toxique, de couleur rougeâtre, peut être complètement jeté ou
versé dans un autre récipient pour un usage secondaire ; d’autres usages peuvent lui
être assignés. L’amidon est à nouveau lavé. Le processus de décantation et
d’élimination du poison est répété, en alternant le repos et le lavage de l’amidon cinq à
sept fois, jusqu’à ce que le liquide obtenu devienne complètement clair et que
l’amertume du poison ne soit plus perceptible ;
- L’amidon de couleur rose a un goût fumé et est consommé comme bouillie, pour
épaissir les bouillons ou pour faire une sorte de pain, préparations caractéristiques de
la cuisine hi-merimã.
28 Outre la valeur alimentaire indéniable de l’amidon résultant de cette préparation, nous
attirons l’attention sur l’importance de son suc vénéneux, généralement considéré
comme un produit secondaire destiné à être jeté. Le bon sens veut que les poisons et les
toxines végétales soient neutralisés ou rejetés pour une consommation alimentaire
sûre. Cependant, analyser ces biotechnologies avec leurs méthodes biochimiques
sophistiquées sans tenir compte de leur valeur thérapeutique, de leur utilisation
chamanique et rituelle, c’est ne raconter qu’une partie de l’histoire. En inversant le
sens habituel du raisonnement, peut-être le poison de la Casimirella ampla est-il aussi
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
12
désiré que son amidon et, par conséquent, tout l’attirail de presses, de râpes, de
décanteurs et de céramiques créé pour séparer la masse fibreuse de l’amidon et ce
dernier du poison peut contenir des indices qui révèlent une ambiguïté, une
indiscernabilité quant à l’utilisation de cette plante, qui n’était auparavant perçue que
sous l’angle de l’alimentation (Barghini 2018) et de l’utilitarisme.
Figure 7 : tubercule, tige et feuilles de Casimirella ampla
D. Cangussu, 2018
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
13
Figure 8 : Daniel Jamamadi cueille une Casimirella ampla
E. Miguel, 2018
Figure 9 : Morceau de Casimirella ampla dans un panier près du campement hi-merimã
D. Cangussu, 2016
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
14
Figure 10 : Récipient hi-merimã utilisé pour la préparation du Casimirella ampla
M. E. Medeiros da Silva, 2013
Figure 11 : Suc vénéneux de Casimirella ampla
E. Miguel, 2018
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
15
Les curares et leurs épices
29 La possibilité d’une utilisation généralisée et élaborée du poison de Casimirella9 par les
Hi-Merimã a été évoquée auparavant, bien qu’elle soit passée inaperçue :
30 Nous n’avions aucun doute que cette masse était un résidu du poison curare qu’ils
utilisent dans les fléchettes de sarbacane et les flèches pour chasser les animaux de
moyenne et grande taille. Ce qui restait jusqu’alors un mystère pour nous : l’utilisation
de cet énorme tubercule, que nous trouvions si souvent dans les camps et que nous
imaginions utilisé comme aliment. En fait, c’est de cette patate qu’ils extrayaient le
poison qu’ils utilisaient dans leurs armes de chasse et qui sait, ils l’utilisaient peut-être
aussi à d’autres fins que nous ignorons (Franciscato 1997 : 36).
31 Malgré l’évidence de l’utilisation alimentaire de ce tubercule, l’indigéniste Rieli
Franciscato considère dans le passage ci-dessus non seulement la possibilité d’une
innovation dans la recette du curare hi-merimã, mais aussi une nouvelle perspective
pour l’utilisation du poison, des utilités inhabituelles que « nous ne connaissons pas »,
comme il l’indique dans son rapport. Sur le même sujet, l’ethnobotaniste Ghillian
Prance (1978), décrivant les poisons de chasse utilisés par les peuples du moyen Purus,
souligne que les plantes des genres Strychnos et Curarea, bien qu’elles constituent la
base essentielle du poison curare dans toute l’Amazonie10, ne sont que quelques-uns des
éléments de la recette du curare jamamadi, qui peut contenir divers additifs11, tehe na
ou « épices » en termes jamamadi, et être composée d’une combinaison d’au moins sept
plantes distinctes tableau 1).
Tableau 1 : Ingrédients des poisons de chasse des Jamamadi (Prance 1978)
32 Les Deni, un peuple indigène arawá qui vit également dans la région du moyen Purus,
utilisent le Casimirella, connue dans leur langue sous le nom de Zuka, comme traitement
pour les troubles menstruels et les douleurs d’estomac (Ribeiro 2018 : 32) ; en plus de
l’usage médicinal, une autre étude centrée sur les plantes gérées par ces peuples
(Pezzuti & Chaves 2009 : 134) suggère en passant un usage comme psychoactif (sans
préciser laquelle de ses parties) : « zuká est une liane dont la bouillie est ingérée jusqu’à
provoquer des vomissements, et laisse la personne qui l’ingère forte et »rusée« .
L’usage médicinal de Casimirella est également rapporté chez les Apurinã, un peuple
Arawak qui habite tout le bassin du Purus, dans les entretiens menés par le botaniste
Ricardo Ribeiro dans le cadre de son étude ethnobotanique et physicochimique de la
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
16
batata-mairá (2018). La recherche a été menée dans la région du moyen Purus,
cependant, il n’y a pas d’identification des personnes interviewées, de leurs noms ou de
leurs lieux de résidence. Les personnes consultées affirment que « l’amidon lavé une
seule fois était séché au soleil et pouvait ensuite être placé sur la plaie causée par la
tucandeira (fourmi Paraponera clavata), la lacraia (Scolopendridae) ou la morsure de
serpent, ou être ingéré avec de l’eau, dans le même but » (ibid : 30).
33 Cette suggestion avait déjà été signalée en 1924 par Nordenskiöld dans un passage du
Handbook of South American Indians qui, bien que très cité, n’apparaît que partiellement,
sans la richesse de la spéculation de l’auteur. Le voyageur suédois y discute de la
distribution du manioc et de la cassave (respectivement les maniocs doux et amer) dans
les basses terres d’Amérique du Sud, ainsi que des utilisations possibles attribuées à
leur suc toxique, une utilisation qui pourrait avoir chevauché ou précédé leur
consommation alimentaire :
Il n’y a rien de très remarquable dans l’utilisation d’une plante vénéneuse pour son
poison, mais il est extrêmement remarquable d’extraire le poison d’une plante pour
l’utiliser comme aliment, d’autant plus que dans le cas du manioc amer, un
processus complexe est nécessaire pour l’extraction du poison. Il est toujours
possible que ce soit le poison lui-même qu’ils aient voulu obtenir en premier lieu, et
que le manioc amer ait été utilisé à l’origine à d’autres fins avant d’être utilisé
comme aliment. Par hasard, on a découvert par la suite que la pulpe qui restait
après l’extraction du poison pouvait être consommée sans effets néfastes. Cette
explication est d’autant moins improbable que le poison du manioc pouvait être
utilisé, selon Martius, pour attraper des poissons, et nombreuses étaient les plantes
avec lesquelles les Indiens expérimentaient pour obtenir un moyen d’abrutir les
poissons. Martius nous donne une page entière de noms de plantes qui ont été
utilisées à cette fin. Toutes les expériences possibles avaient manifestement été
faites. Lorsqu’ils ont commencé à utiliser le manioc comme aliment, on peut dire
que l’extraction du poison leur était familière. (Nordenskiöld 1924 : 36-37)
34 Par ailleurs, l’intérêt pour le suc vénéneux de Casimirella ne serait pas un aspect curieux
ou dissonant, puisqu’il nous semble que l’introduction plus tardive du manioc, dans
cette région d’Amazonie, exprime également une continuité technique, dans son mode
de traitement et de consommation, dont l’intérêt porte à nouveau autant sur l’amidon
que sur le poison.
35 Dans le contexte ethnographique analysé ici, nous pensons que ce n’est pas le
rendement plus élevé des variétés toxiques par rapport aux variétés sans poison, dans
un contexte biologique l’absence de défenses spécifiques des plantes entraînerait
une vulnérabilité accrue aux prédateurs (Cabral 2016), qui expliquerait l’investissement
relationnel des peuples du Purus dans de telles plantes. C’est cette explication qui est
aujourd’hui donnée du choix pour le manioc amer. Cette surcodification du discours et
des pratiques indigènes, qui a des affinités avec la tendance fonctionnaliste, est loin de
l’horizon des questions que nous envisageons.
Le timbó et autres poisons de pêche
36 Les histoires sur les poissons morts rejetés dans les lits asséchés des rivières Canuaru et
Mamoriazinho sont très fréquents, surtout entre les mois d’août et d’octobre, au plus
fort de l’été amazonien, période de sécheresse et de réduction accentuée du volume des
cours d’eau. Les poissons morts observés dans ce contexte révèlent l’intense activité de
pêche des Hi-Merimã dans le cours supérieur de ces rivières ou de leurs affluents. Cette
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
17
modalité de pêche utilise des ichtyotoxines ou des barbascos, des plantes dont les
composés sont capables d’empoisonner les poissons, pour leur capture ultérieure
(Brewer-Carías 2013). L’espèce la plus utilisée dans ce contexte ethnographique est le
kona/kunaha (Deguelia utilis), populairement connu sous le nom de timbó. La technique
consiste initialement à construire un barrage avec des tiges de bois dans le lit de la
rivière ciblée pour la pêche. Des racines de D. utilis sont coupées et transportées
jusqu’au lieu de pêche. Un endroit au-dessus du barrage est choisi pour « battre le
timbó », procédé qui consiste à faire macérer les racines sur la berge de l’affluent afin
que leur suc laiteux s’écoule vers le cours d’eau et asphyxie les poissons. Morts ou
étourdis, les poissons sont capturés lors de la pêche ou restent piégés dans le barrage
fait de tiges entrelacées et sont ensuite collectés. Des barrages de pêche construits par
le Hi-Merimã ont déjà été enregistrés dans le cours supérieur des deux rivières,
Mamoriazinho et Canuaru, ainsi que dans le petit affluent Vara lui-même, mentionné
dans le rapport. Cette pêche n’est pratiquée qu’en période de sécheresse.
37 Les femmes suruwaha utilisent la pâte de manioc comme ingrédient pour préparer un
appât à poissons dans lequel elles mélangent des feuilles de bakiama et des larves de la
fourmi kyrumaji (Pseudomyrmex spp.), connue dans la région sous le nom de taxí (dans le
même but, les femmes jamamadi modifient la recette, en utilisant des larves d’une sorte
de guêpe). Les petites boules fabriquées avec cette masse sont jetées dans les puits et les
mares des petites rivières. Lorsque les poissons les ingèrent, ils sont étourdis et flottent
à la surface, où ils sont alors capturés. Nordenskiold (1924 : 36) avait déjà suggéré que
l’extraction du poison du manioc pouvait être associée à son utilisation comme poison
de pêche (apud Heizer 1986). En ce qui concerne l’utilisation exclusive du bakiama, les
Suruwaha se souviennent que Jiakuru est mort après avoir mangé des feuilles de
bakiama. Cela peut suggérer que, bien que les Dawa, les sous-groupes qui composent le
Suruwaha, établissent aujourd’hui une relation d’auto-empoisonnement presque
exclusive avec le kunaha, celui-ci faisait partie d’un réseau botanique beaucoup plus
large qui le reliait à d’autres poisons et à des esprits prédateurs.
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
18
Figure 12 : Bakiama au jardin suruwaha
D. Cangussu, 2018
38 Une autre espèce de timbó moins toxique, également utilisée par les Madi dans leurs
pêcheries, est le mamatafo (Deguelia urucu), connu dans la région sous le nom de timbó
rouge. Cette plante se trouve le long des rivières Canuaru et Mamoriazinho, ainsi que
dans la plupart des ruisseaux et des petits cours d’eau de cette région, et pousse en
association étroite avec d’autres espèces, telles que des palmiers patauá (Oenocarpus
bataua), bacaba (Oenocarpus mapora) et açaí (Euterpe precatoria). Alors que la présence de
palmiers dans ces contextes s’explique par le rejet des graines des fruits collectés dans
les environs et apportés au campement, la présence du mamatafo et du kona provient
probablement de l’enracinement de fragments de plantes insuffisamment macérés au
moment des sorties de pêche.
39 Le contexte ethnographique arawá est fortement associé à l’utilisation et à la
manipulation de poisons végétaux (Prance 1978, Huber 2012, Shiratori 2018 et 2019,
Aparicio 2019), et il est possible d’observer la formation de niches culturelles (Smith
2012) dans le cadre de l’intégration entre la gestion des plantes et les activités de pêche.
La présence de plantes arbustives et non comestibles est peu prise en compte dans les
études sur la formation des niches culturelles et des paysages domestiqués en raison du
manque de connaissances sur leurs usages et de leur faible visibilité floristique (Levis et
al. 2017). De plus, l’association entre plantes à usage alimentaire et poisons (« anti-
alimentaire » dans ce contexte ethnographique), est une invitation pour l’écologie
historique (Balée 1989, 2006 et 2012, Clement 1999 et Clement et al. 2010) à élargir son
spectre sur les forêts anthropisées. Dans ce contexte, les pratiques de collecte, la
connaissance et le rapport à la biodiversité forestière sont loin d’être obsolètes, ou,
même, de se limiter au seul usage alimentaire, car les plantes vénéneuses jouent un rôle
central dans l’activité chamanique et dans les processus de fabrication du corps
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
19
(réclusions, couvade, initiation chamanique, réclusion pubertaire, etc.) éléments
centraux dans la production du mode de vie des peuples Arawá (Shiratori 2018).
L’amer transforme
40 L’habitude de goûter les poisons est très répandue lors des sorties en forêt, que ce soit
chez les Jamamadi ou les Suruwaha. Comme quelqu’un goûte un fruit pour évaluer sa
maturité, ils testent l’amertume des poisons qu’ils rencontrent. Dans le cas du kona
(Deguelia utilis) ou du mamatafo (Deguelia urucu), qui poussent dans les jachères, ces
expériences nous permettent également de connaître la puissance chamanique de la
personne qui les a plantés. Berinawa et Daniel, tous deux jamamadi, en présentant une
plante au cours d’une sortie, commentèrent à leurs compagnons : « Testez combien
cette plante est moins astringente que le kona, elle serre moins ». Les jeunes jamamadi,
lorsqu’ils vont à la pêche ou lorsqu’ils sont ensemble dans les abattis, ont l’habitude de
goûter le timbó pour « tester » sa force ou simplement pour le goûter. Un jour, lors d’un
cercle de conversation, Bill Jamamadi a demandé comment les Suruwaha
s’empoisonnaient avec le kona. Tout le monde a écouté attentivement. Après les
explications et les descriptions détaillées, tout le monde est resté silencieux. Abadias
Jamamadi désigne alors son frère Elton et lui dit en se moquant : « – Elton a aussi pris
du kona ! » Explosion de rires. Les Jamamadi se soutiennent par les épaules pour ne pas
tomber de rire. Le rire s’amplifie lorsqu’ils constatent la confusion des non-indigènes.
Elton ajoute : « – J’étais seul dans le jardin ce jour-là. Je voulais connaître la force du
kona. Savoir quel était son goût. Et ce n’est pas tout, presque tout le monde ici a essayé
le kona et le mamatafo aussi.
41 Ces expériences sont cachées aux non-indigènes de peur d’être comparés à leurs voisins
Suruwaha, chez qui ces situations sont très fréquentes. Comme nous l’avons vu dans
différentes situations, il y a une grande similitude entre ces peuples dans leur façon
d’apprécier, d’expérimenter et de réfléchir sur les caractéristiques matérielles des
poisons. Lors d’une promenade, Bibi s’est arrêté pour montrer une plante : « c’est le
kunaha, le timbó des Masanidawa (un des sous-groupes de Dawa qui composent les
Suruwaha). Voulez-vous le goûter ? Même les jeunes et les enfants font preuve de
curiosité à l’égard des poisons. Lors d’une collecte de pequiá (Caryocar sp.) à laquelle
nous avons participé, les jeunes sont sortis des sentiers pour jauger les arbustes de
timbó qui poussaient à distance. Ils ont essayé leur racine. Les non-indigènes, étonnés,
ont souvent été effrayés par ce qui leur semblait être un comportement « imprudent ».
Les réactions allaient du rire au simple « Haba ! » Dégagez ! Figure 13 : Kona/Kunaha
(Deguelia utilis)
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
20
D. Cangussu 2018
42 Comme nous l’avons dit, la recette du curare jamamadi peut contenir divers additifs et
être composée d’une combinaison d’au moins sept plantes distinctes, parmi d’autres
éléments variés comme la plante yakiyokari (non identifiée) (Shiratori 2018). À propos
de cette plante, Berinawa Jamamadi a raconté l’histoire d’Afu, un chaman du sous-
groupe Boti, et de sa stratégie pour choisir les garçons qu’il accepterait d’initier au
chamanisme. Les candidats chamans étaient prêts à aider Afu à planter du maïs, mais
celui-ci préparait une boisson à base de yakiyokari dont il buvait la moitié, laissant
l’autre moitié à la personne souhaitant devenir son apprenti. En général, la plupart
d’entre eux ne pouvaient pas même se lever après les premières gorgées. Peu d’entre
eux ont été initiés par Afu, beaucoup sont morts.
43 Dans son analyse, Prance attire l’attention sur une étape apparemment banale de la
préparation des flèches, leur fumée avec du Duguetia asterotricha, une Annonacéee.
Avant que le poison soit appliqué sur les pointes de flèches, celles-ci sont fumées avec
l’écorce du Duguetia, appelé bowa en jamamadi. Cette plante est connue dans la région
sous le nom d’envira surucucu-da-mata (à peu près écorce de serpent de la forêt). Selon
les termes de Prance, qui ne semble pas prendre le procédé très au sérieux : « Les
Indiens insistent sur le fait que le poison des flèches est plus efficace après ce
traitement » (1978 : 76). Le but de cette procédure, selon les Jamamadi, est de les
endurcir au travers de la fumée qui potentialise également l’effet mortel des poisons,
c’est aussi une procédure rituelle essentielle dans la fabrication du corps du chaman
jamamadi, pour qu’il devienne dur et amer comme les poisons. Bien qu’il s’agisse d’un
contexte ethnographique très différent, la description que fait Uirá Garcia des flèches
des Awá, un peuple tupi du Maranhão, est intéressante pour réfléchir à l’action des
poisons et à ce qui leur confère la capacité de tuer :
L’effet des projectiles (qu’il s’agisse de flèches ou de plomb) sur les animaux, ce qui
les fait mourir après avoir été tirés, est basé sur la théorie guajá selon laquelle ces
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
21
pièces sont chargées de douleur (hahy) et de poison (hawy). Tandis que le sang la
nourrit et l’empoisonne (la flèche) pour qu’il lance ce poison sur sa proie, c’est la
fumée qui insère le hahy (la douleur) dans la flèche. Ce procédé permet de blesser
gravement un animal et de lui transférer la douleur et le poison de la flèche
(« cracher », disent les Guajá). Une fois la proie abattue, la douleur qui reste dans la
plaie (appelée ha’ina – une sorte de « bug », m’a dit un ami guajá) est ce qui rend la
blessure douloureuse, renforçant la thèse selon laquelle la douleur est toujours
externe, quelque chose qui est mis de l’extérieur vers l’intérieur. Un jour, un
serpent surucucu pico-de-jaca ( arikukua) a été abattu à la carabine. Abattu
instantanément, il a été « mangé par le plomb », un élément qui, comme les flèches,
est avide de sang et porteur de beaucoup de douleur (Garcia 2018 : 451)
44 Les différences avec l’exemple awá nous aident à comprendre la logique du
fonctionnement des poisons jamamadi, pour lesquels la fumée est le véhicule qui
introduit le kome « douleur » qui cause la mort du gibier. Il est important de souligner
les qualités olfactives de la fumée, associées à l’amertume, sont le principal indice de
l’action des poisons. Les flèches sont fumées avec des plantes considérées comme
toxiques, par exemple le bowa et la patate pajé, aussi conue sous le nome patate jaguar
(Zamia ulei). Dans le même but, les Apurinã enfument leurs chiens de chasse avec ce
tubercule afin d’augmenter leur efficacité en tant que chasseurs. Selon la description de
Berinawa Jamamadi : le chaman inhalait la fumée de la plante et la soufflait dans le
corps du garçon reclus, qui recueillait la fumée avec ses mains et la ramenait à lui pour
la répandre sur son corps. Comme pour les flèches, l’efficacité de l’action chamanique
dépend de l’incorporation de la puissance des poisons qui durcissent (kita na) son corps
et l’imprègnent de leur odeur12.
Figure 14 : Patate jaguar (Zamia ulei)
45 Revenons au langage physiologique des affects, maintenant exprimé en termes
jamamadi selon lesquels le cœur est le lieu de l’action chamanique, parce qu’il est le
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
22
centre de la pensée et du langage. Contrairement à l’exemple du Suruwaha, la saveur
du cœur traduit sa puissance en termes gustatifs par l’amertume, bita, et la dureté, kita.
Cet empoisonnement avec les plantes qui composent la recette du curare (Shiratori
2019) est le moyen d’empoisonner ou de conférer une douleur/maladie aux fléchettes
que le chaman contient dans son corps, de plus, c’est ce qui lui fait « perdre la honte »
de parler avec les âmes des plantes, ce qui permet une permutation de perspective.
L’efficacité de la procédure est caractérisée par l’excès de poison/maladie/douleur qui
déborde de leurs yeux, de telle sorte que pour cette raison les chamans sont ceux qui
ont le « regard empoisonné », noko koma.
46 Le corps du chaman, constitué par l’accumulation de poisons, impose une étiquette
corporelle rigide marquée par l’évitement du contact physique et de la distance afin de
diminuer les chances de transfert involontaire de sorts. Outre les yeux, les coudes
accumulent également une grande quantité de poison. En effet, lorsque l’on manipule
des poisons de chasse, ils s’imprègnent sur le corps, notamment sur les coudes, partie
du corps s’accumule le curare qui coule des mains (ce qui renvoie au mythe de
l’origine du curare13). Dans les conflits, les coudes peuvent être pointés vers d’autres
personnes en guise de menace. Frapper une personne avec son coude est le summum de
l’agression physique. Les étrangers qui ne se méfient pas provoquent souvent des
situations embarrassantes en embrassant les Jamamadi et les Suruwaha et en leur
donnant des poignées de main.
47 C’est ce qui s’est passé lors d’une réunion avec le Jamamadi, lorsqu’un employé de la
FUNAI a heurté avec son coude un leader indigène à la jambe. Un silence gêné s’est
installé. Avant qu’il ne puisse s’excuser pour l’incident, Abadias Jamamadi a demandé à
l’indigéniste: « M’avez-vous donné une maladie ? Il a immédiatement nié, mais cela n’a
pas suffi à mettre fin au malaise généré. Alors, pour tenter de remédier à la situation, il
a aspiré/attaqué la zone affectée de la jambe du leader Jamamadi, une pratique apprise
chez les Suruwaha pour éliminer les sorts dans ce type d’accident. Après l’activité, il est
allé s’excuser :
FUNAI : – Pourquoi pensez-vous que j’ai pu vous transmettre quelque chose de mauvais
? Je ne suis ni chamane, ni indigène.
Abadias : – Il n’est pas nécessaire d’être Jamamadi pour envoyer des mauvais sorts ou
des maladies. Le corps des gens reçoit, stocke et envoie du poison.
FUNAI. : – Comme je l’ai dit, je ne suis pas chaman. Je n’ai jamais été initié. On ne m’a
pas donné de poisons ou de pierres.
Abadias. : – Les Blancs manipulent aussi des poisons.
FUNAI. : – Je ne me souviens pas avoir fait cela...
Abadias. : – Je l’ai vu remplir des cartouches [de fusil]. Le poison des cartouches reste
sur ses mains. Le poison colle à votre corps et reste sur vos coudes. Je sais que vous
n’étiez pas en colère contre moi, mais j’aurais pu tomber malade à cause de votre
négligence avec vos bras.
FUNAI. : – Y a-t-il beaucoup de poison dans votre corps ?
Abadias. : – Je pense que pas beaucoup, mais assez pour tuer beaucoup de gens.
FUNAI. : – Le poison contenu dans les cartouches est-il très fort ?
Abadias. : – Oui, mais il y a du poison dans beaucoup d’autres choses. Hier encore, alors
que j’enlevais la branche de patauoá, je t’ai vu tenir et regarder les feuilles de mamatafo
(Deguelia urucu) qui se trouvaient à proximité. Tu es toujours en train de manipuler ces
plantes. Il faut faire attention, mon ami. Très prudent avec tes mains et ton coude.
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
23
48 On dit qu’autrefois, les inawa yokana, les vrais chamans, parmi les Jamamadi
contenaient une telle quantité de pierres de sort dans leur corps que leur marche
émettait un son semblable au cliquetis des coquilles de hochet arakasi. Bien qu’elles
soient réparties sur tout le corps, comme on le voit, le visage et les coudes sont les
points de plus grande concentration des pierres ; leur excès déborde par les yeux, de
sorte qu’il ne faut pas faire face à un chaman directement ou toucher ses bras. Le cœur,
atibonokori, en tant que siège de la connaissance/pensée, est également un autre point
de concentration des pierres chamaniques et du poison. Lorsque le chaman parle de son
savoir, il désigne souvent en même temps sa propre poitrine. La coutume des étrangers
de se saluer par des poignées de main et des accolades est perçue avec un certain
malaise par les Jamamadi les plus âgés, qui se méfient toujours du fait que le contact
physique avec des étrangers puisse introduire des sorts dans leur corps.
49 Chez les Suruwaha, Huber (2012 : 268) relève une coutume similaire consistant à éviter
les contacts physiques, en particulier avec le coude :
En ce qui concerne l’effet du toucher, les Suruwaha considèrent les coudes (wakuri)
comme l’endroit par lequel le sort (mazaru) contenu dans les corps s’échappe. Bien
qu’ils affirment que seuls les chamans possèdent le mazaru dans leur chair, toute
personne qui touche accidentellement une autre personne avec son coude doit
immédiatement aspirer l’endroit affecté (husuru kamyza-) afin d’éviter tout
dommage supplémentaire. Pointer délibérément le coude vers une personne (kuky-)
constitue un geste extrêmement offensant, dont le destinataire peut choisir de
souffler du tabac à priser sur l’agresseur pour se réconcilier avec lui, ou d’aller
prendre du poison pour manifester sa colère.
50 Maizza souligne également le danger inhérent au toucher chez les Jarawara, en
accordant une attention particulière aux matchs de football, contextes dans lesquels les
disputes au corps à corps prennent des allures de jeu, même si leur caractère
agonistique reste un rappel de la tension latente entre les affins :
Le danger du toucher est omniprésent chez les Jarawara ; même dans la vie
quotidienne, les gens se touchent à peine. Lors des rituels ou des championnats de
football, les hommes apparentés, au contraire, se touchent tout le temps, font des
blagues et rient. Il me semble que ce type de comportement, contraire à ce qui se
pratique dans la vie quotidienne entre ’parents’, est précisément une
démonstration qu’il s’agit d’affinités, d’ennemis potentiels, et que ce toucher peut
être une agression fatale (2009 : 87).
Conclusions
51 Dans cet article, nous abordons des thèmes qui intéressent à la fois l’anthropologie
sociale et l’écologie historique sur les forêts anthropisées : la gestion et l’utilisation
(alimentaire et non alimentaire) des plantes vénéneuses par certains peuples Arawá du
moyen Purus et, finalement, l’ambivalence relationnelle et catégorielle de ces êtres
végétaux dans leurs cosmologies, étant donné leur façon chamanique d’affecter la
perspective humaine. Nous prenons le Casimirella ampla comme modèle pour notre
analyse, afin de montrer que de nombreuses plantes considérées uniquement d’un
point de vue alimentaire peuvent également être considérées pour leur pertinence
chamanique à travers la manipulation de leur puissance en tant que poison. Cette
ambiguïté ontologique s’exprime dans le langage physiologique des affections qui
identifie les processus physiologiques et les parties du corps avec des termes olfactifs et
gustatifs. En particulier, nous prêtons attention à la corrélation entre la dureté et
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
24
l’amertume des corps des chamanes, ainsi qu’à la concentration de ces substances dans
certaines parties du corps.
52 Le texte commence par une discussion sur l’utilisation, par les Suruwahá, de l’espèce
ichtyotoxique Deguelia utilis dans des rituels d’auto-empoisonnement visant à résoudre
des conflits interpersonnels (pour apaiser la colère et l’« astringence » du cœur). Nous
discutons des usages de diverses plantes toxiques pouvant également servir de
nourriture (Casimirella, manioc amer) par d’autres peuples arawá et formulons ainsi
l’hypothèse de l’instabilité catégorielle et relationnelle des plantes vénéneuses. Nous
décrivons les étapes de la transformation de la Casimirella par les Himerimã ; nous
discutons de l’élaboration de préparations de curare (poison de flèche) par divers
peuples arawá, et de leurs ingrédients, ce qui nous permet de formuler l’hypothèse de
l’utilisation du manioc amer dans le moyen Purus comme poison de pêche avant d’être
une plante alimentaire. L’utilisation comme technique de pêche de plantes telles que la
Deguelia, mais aussi le manioc, permet d’étayer cette idée. Un deuxième moment du
texte est consacré à la réflexion sur l’utilisation de plantes toxiques dans la fabrication
du corps du chaman ches les Jamamadi, les analogies entre la procédure de fumage
utilisée dans la fabrication des flèches et dans la fabrication des corps des chamans,
d’une manière qui nous permet de fonder les idées des peuples arawá sur la dangerosité
des corps et l’utilisation chamanique de plantes qui sont à la fois alimentaires et anti-
alimentaires.
53 Des recherches récentes en archéologie, ethnologie et botanique en Amazonie ont
problématisé des concepts qui étaient jusqu’à récemment assez consolidés et qui sont
devenus la base de l’écologie historique des basses terres d’Amérique du Sud. Dans le
contexte ethnographique analysé, la cueillette et l’agriculture, par exemple, sont
considérées comme indissociables. Les ethnographies du sud de l’Amazonie, au Brésil,
sont particulièrement fécondes pour comprendre les mosaïques de peuples et leurs
multiples relations avec les plantes de leurs territoires. Ce scénario, dans lequel la
cueillette et l’agriculture doivent être comprises comme des pratiques culturelles
cycliques et associées, et dans lequel l’alimentation et l’anti-alimentation détournent
les catégories utilitaires qui définissent les relations avec les plantes, nous invite à
repenser l’approche unilinéaire qui soutient l’écologie historique. Pour les Arawá,
avant d’être de simples cueilleurs ou agriculteurs, leur univers relationnel se construit
en relation avec les esprits des plantes, tout comme leur corps est fabriqué en vue
d’établir une continuité substantielle et relationnelle avec elles, qu’il s’agisse de
cultures agricoles, d’arbres ou de tubercules sauvages.
Une partie du travail de terrain qui soutient cette recherche a été réalisée entre les mois
d’octobre et de novembre 2018, période durant laquelle l’un des auteurs occupait la fonction de
coordinateur du Front de protection ethno-environnementale Madeira-Purus/FUNAI. Cette
recherche s’est appuyée sur le support logistique des professionnels de la Fondation Nationale
des Peuples Indigènes du Brésil qui travaillent dans ce contexte amazonien. Nous remercions
vivement les aides de terrain, grands connaisseurs de la forêt et les Amérindiens qui nous ont
accompagnés dans les différentes étapes de cette recherche, tant dans les expéditions sur les
Terres Indigènes hi-merimã, suruwaha et jarawara, jamamadi, kanamati, où vivent les
Jamamadi. Parmi les Suruwaha, nous remercions Animaru, notre hôte, et tous les Suruwaha qui,
d’une manière ou d’une autre, ont partagé leurs connaissances sur les tubercules et les poisons.
Nous rendons un hommage particulier à deux personnes sans lesquelles nous n’aurions pas pu
avancer les hypothèses formulées ici : Wixikiaua, décédé en janvier 2023, et Ikiji, décédé en mai
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
25
2023. Tous deux ont joué un rôle crucial dans cette recherche, par leurs récits et réflexions sur
l’utilisation des plantes et leur centralité dans la réflexion sur les relations d’isolement et de
suspicion à l’égard des peuples isolés, les Hi-Merimã. La mort récente d’Ikiji et de ses fils Bahahai
et Tiau nous rappelle la douleur de la nostalgie et de l’absence des personnes aimées, mais nous
fait également réfléchir à l’actualité et à l’importance de la relation des peuples arawá à leurs
anti-aliments. L’article est également basé sur un travail de terrain avec les Jamamadi, réalisé
entre les années 2013 et 2019, dans les villages de la Terre indigène Jarawara, Jamamadi,
Kanamati. Plusieurs personnes ont été essentielles pour l’élaboration de la recherche, tant dans
l’interlocution sur les thèmes abordés, que pour fournir les conditions pratiques et le soutien
politique. Parmi les nombreuses personnes qui ont contribué à ce travail dans la communauté
jamamadi, nous voulons mentionner Badá, Berinawa, Chagas, Sabira, Nonobi, Arnica, Totinha,
Daniel, Mowe et Dosobi. Nous dédions également ce texte à Berinawa, un ami très cher qui nous a
laissé trop tôt.
BIBLIOGRAPHIE
Amoroso M. 2020 – g A descoberta do manhafã: seguindo as trilhas da floresta com os Mura. In :
Cabral de Oliveira J., Amoroso M., Morim de Lima A.G., Shiratori K., Marras S. & Emperaire L. (Ed.)
Vozes Vegetais: Diversidade, Resistências e histórias da floresta. São Paulo, Ubu - IRD Editions, 386 p.
Aparicio M. 2013 – Os Suruwaha e sua rede de relações. Uma hipótese sobre localidades e
coletivos Arawá. In : Amoroso M. & Mendes dos Santos G. (Ed.), Paisagens Ameríndias. Lugares,
circuitos e modos de vida na Amazônia. São Paulo, Editora Terceiro Nome, 372 p.
Aparicio M. 2017 – A explosão do olhar: do tabaco nos Arawá do rio Purus. Mana 23 (1) : 9-35.
Aparicio M. 2015 – Espíritos não humanos, espíritos desumanos: o mundo da sobrenatureza nos
Suruwaha do rio Purus. Espaço Ameríndio 9 (3) : 63-85.
Aparicio M. 2019 – A planta da raiva. Timbó e envenenamento nos Suruwaha do Purus. In : Labate
B.C.; Goulart S.L. (Ed.). O Uso de Plantas Psicoativas nas Américas. Rio de Janeiro, Gramma/NEIP :
107-124.
Aparicio M. 2020 – Contradomesticação na Amazônia indígena: a botânica da precaução. In :
Oliveira J.C. de, Amoroso M., Morim de Lima A.G., Shiratori K., Marras S. & Emperaire L. (Ed.),
Vozes vegetais: Diversidade, resistências e histórias da floresta. São Paulo, Ubu - IRD Editions : 189-212.
Balée W. 1989 – Cultura e vegetação da Amazônia brasileira. In : Neves N. (Ed.). Biologia e ecologia
humana na Amazônia: avaliação e perspectivas. Belém: Museu Paraense E. Goeldi : 95-109.
Balée W. 2006 – The research program of historical ecology. Annual Review of Anthropology 35 :
75-98. doi: https://doi.org/10.1146/annurev.anthro.35.081705.123231
Balée W. 2012 – Historical ecology: premises and postulates. In : Balée W. (Ed.), Advances in
historical ecology. New York, Columbia University Press.
Barghini A. 2018 – Cauim: entre comida e ebriedade. Boletim do Museu Paraense Emílio Goeldi.
Ciências Humanas 13 (3) : 561-571. http://dx.doi.org/10.1590/1981.81222018000300005
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
26
Bisset N. 1988 – Curare: botany, chemistry, and pharmacology. Acta Amazonica 18 (1-2) : 255-290.
Bonilla O. 2007 – Des proies si désirables. Soumission et prédation pour les Paumari d´Amazonie
brésilienne. Thèse de doctorat. Nanterre: Université de Paris X.
Brewer-Carías C. 2013 – Desnudo en la selva: supervivencia y subsistencia. Caracas, Venezuela,
Altolitho.
Cabral L.M. 2016 – Plantas e civilização: fascinantes histórias da etnobotânica. Rio de Janeiro, Edições
de Janeiro.
Cangussu D. 2021 – Manual Indigenista Mateiro. Princípios de botânica e arqueologia aplicados ao
monitoramento de povos indígenas isolados na Amazônia brasileira. (Dissertação de Mestrado) Instituto
de Pesquisas da Amazônia, Manaus, Amazonas.
Cangussu D. & Shiratori K. 2017 – A vida errante, o isolamento e o contato. In : Ricardo F. &
Ricardo B. (Ed.), Povos Indígenas do Brasil 2011-2016. São Paulo, Instituto Socioambiental : 407-409.
Cangussu D., Shiratori K. & Furquim L. 2021 – Notas botánicas sobre aislamiento y contacto.
Plantas y vestigios hi-merimã (río Purús/Amazonía brasileña). Anthropologica [en línea], 39 (47) :
339-376. http://dx.doi.org/10.18800/anthropologica.202102.014. Acesso em: 12 jan 2023.
Clement C. 1999 – 1492 and the loss of Amazonian crop genetic resources - the relation between
domestication and human population decline. Economic Botany 53 (2) : 188-202.
Clement C., Cristo-Araújo M. de, Coppens d’Eeckenbrugge G., Alves Pereira A. & Picanço-
Rodrigues D. 2010 – Origin and Domestication of Native Amazonian Crops. Diversity 2 (1) : 72-106.
Dal Poz J. 2000 – Crônica de uma morte anunciada: do suicídio entre os Sorowaha. Revista de
Antropologia 43 (1) : 89-144.
Deleuze G. & Guattari F. 1980. Capitalisme et schizophrénie 2 : Mille plateaux. Les éditions de minuit,
648 p. (Critique).
Emperaire L. 2001 – Elementos de discussão sobre a conservação da agrobiodiversidade: o
exemplo da mandioca (Manihot esculenta Crantz) na Amazônia brasileira. In : Capobianco J.P.
(Ed.), Biodiversidade na Amazônia brasileira, avaliação e ações prioritárias para a conservação, uso
sustentável e repartição dos benefícios. São Paulo, Instituto Socioambiental / Editora Liberdade :
225-234.
Franciscato R. 1994 – Relatório sobre a aplicação dos recursos destinados à Frente de Contato Rio Purus,
oriundos da Secretaria do Meio Ambiente através do Convênio nº 016/93 Lábrea-AM, FUNAI/SEMAM.
FUNAI. Ministério da Justiça, Departamento de Índios Isolados, Frente de Contato Rio Purus.
Franciscato R. 1997 – Relatório de Atividades da Frente de Contato Rio Purus Referente ao segundo
semestre/96 e ano de 1997. Lábrea-AM: FUNAI. Ministério da Justiça. Departamento de Índios
Isolados. Frente de Contato Rio Purus.
Garcia U. 2018 – Crônicas de Caça e Criação. São Paulo, Hedra, 656 p.
Heizer R.F. 1986 – Venenos de pesca. In : Ribeiro B.G. (Ed.) Suma Etnológica Brasileira. Rio de
Janeiro, Petrópolis, Etnobiologia. Editora FINEP : 95-99.
Huber A. 2012 – Pessoas falantes, espíritos cantores, almas-trovões: História, sociedade, xamanismo e
rituais de autoenvenenamento entre os Suruwaha da Amazônia ocidental. Thèse de doctorat, Université
de Berne, Suisse, 510 p.
Huber A. 2016 – Vozes alheias - a poética dos cantos suruwaha. In : Mendes dos Santos G &
Aparicio M. (Ed.). Redes Arawá: ensaios de etnologia do Médio Purus. Manaus, Edua : 19-40.
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
27
Kroemer G. 1985 – Cuxiuara: O Purus dos indígenas. São Paulo, Edições Loyola.
Kroemer G. 1989 – A caminho das malocas zuruahá: Reconhecimento e identificação de um povo
indígena desconhecido. São Paulo, Loyola.
Kroemer G.1994 – Kunahã made: o povo do veneno – Sociedade e cultura do povo Zuruahã. Beléem, Pará,
Edições Mensageiro.
Lévi-Strauss L. 1964 – Le cru et le cuit. Paris, Plon.
Lévi-Strauss L. 1985 – La poitière jalouse. Paris, Plon.
Levis C., Costa F.R.C., Bongers F. et al. 2017 – Persistent effects of pre-Columbian plant
domestication on Amazonian Forest composition. Science 355 (6328) : 925-931. doi: https://
doi.org/10.1126/science.aal0157
Maizza F. 2009. Cosmografia de um mundo perigoso. Espaço e relações de afinidade entre os
Jarawara da Amazônia. Tese de doutorado. Universidade de São Paulo, São Paulo
Maizza F. 2014 – Sobre as crianças-planta: o cuidar e o seduzir no parentesco Jarawara. Mana 20
(3) : 491-518.
Maizza F. 2019 – As Mulheres Leváveis: conexões sobre o rapé e agências femininas Jarawara. In :
Labate B.C. & Goulart S.L. (Ed.) O uso de plantas psicoativas nas Américas. 1ed.Rio de Janeiro:
Gramma/ NEIP : 57-71.
Mendes dos Santos G. 2016 – Plantas e Parentelas: Notas sobre a história da agricultura no Médio
Purus. In : Mendes dos Santos G. & Aparício M., Redes Arawá – Ensaios de Etnologia do Médio Purus.
Manaus, Edua : 19-39.
Mendes dos Santos G. 2022 – A gigante da floresta: uma breve descrição da batata mairá
(Casimirella sp.) na Amazônia indígena. Maloca: Revista de Estudos Indígenas. Unicamp, São Paulo, 5,
https://econtents.bc.unicamp.br/inpec/index.php/maloca/article/view/15803.
Morim de Lima A., Cabral de Oliveira J. & Shiratori K. 2021 – Conhecimentos, práticas e visões de
mundo. In : Carneiro da Cunha M., Adams C. & Santos S.B.M. (Ed.) Diagnóstico Povos indígenas e
comunidades locais tradicionais no Brasil: contribuições para a biodiversidade, ameaças e políticas. São
Paulo. SBPC. http://portal.sbpcnet.org.br/livro/povostradicionais8.pdf
Nordenskiöld E. 1924 – The ethnography of South-America seen from Mojos in Bolivia. vol. 3
Comparative Ethnographical Studies. Gotemberg: Göteborg, Elanders, 296 p.
Pezzuti J. & Chaves R.P. 2009 – Etnografia e manejo de recursos naturais pelos índios Deni,
Amazonas, Brasil. Acta Amazonica 39 (1) :121-138.
Prance G. 1972 – Ethnobotanical notes from Amazonian Brazil. Economic Botany, 26 (3) : 221-237.
Prance G. 1978 – The poisons and narcotics of the Dení, Paumari, Jamamadí and Jarawara indians
of the Purus river region. Revista Brasileira de Botânica 1 : 71-82.
Prance G. 1997 – Etnobotânica de algumas tribus amazônicas. In : Ribeiro B. (Ed.), Suma etnológica
brasileira 1. Etnobiologia. 3ª ed. Belém, Editora Universitária UFPA : 135-151.
Prance G., Campbell D & Nelson B. 1977 – The ethnobotany of Paumari Indians. Economic Botany
31 : 119-175.
Ribeiro R. G. 2018 – Estudo etnobotânico e físico-químico da batata-mairá (Casimirella spp., Icacinaceae).
(Mestrado Dissertação). Manaus, Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia, 126 p.
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
28
Rocha A.I. da, Luz A.I.R. & Silva M.F. da. 1984 – A Presença de Alcalóides em Espécies Botânicas da
Amazônia – Menispermaceae. Acta Amazonica 14 (1-2) : 244-54. doi.org/
10.1590/1809-43921984142254
Santana de Barros J. 1930 – Relatório de viagem ao Purus. Rio de Janeiro, Serviço de Proteção aos
Índios.
Shiratori K. 2019 – O olhar envenenado: a perspectiva das plantas e o xamanismo vegetal
Jamamadi (médio Purus, AM). Mana 25 (1) : 159-88. doi.org/10.15 90/1678-49442019v25n1p159.
Shiratori K., Cangussu D. & Furquim L. 2021 – Life in three scenarios: Plant controversies between
Jamamadi gardens and Hi-Merimã patauá palm orchards (Middle Purus River, Amazonas, Brazil).
Journal of Anthropological Archaeology 64.
Shiratori K. 2018 – O olhar envenenado: da metafísica vegetal Jamamadi (médio Purus, Amazonas). Thèse
doctorat. Rio de Janeiro, Museu Nacional – UFRJ.
Smith B. 2012 – Cultural Niche Construction Theory of Initial Domestication. Biological Theory 6
(3). doi: 10.1007/s13752-012-0028-4
Spruce R. 1851 – Journal of a Voyage up the Amazon and Rio Negro. In : Hooker W.J. Hooker’s
Journal of Botany and Kew Garden Miscellany. Londres, Lovell Reeve, John Edward Taylor Printer, 5 :
210-212.
Steere J.B. 1949 [1901] – Tribos do Purus. Sociologia. Revista didática e científica 11 (1) : 64-78;
212-222.
Stradelli E. 1929 – Vocabularios da lingua geral Portuguez-Nheêngatú e Nheêngatú-Portuguez.
Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro 104 (158) : 9-768.
Suzuki M. 2001 – “Jesus tomou timbó. O encontro entre a teología suruwaha e a teologia
cristã”(mimeo). Porto Velho: JOCUM.
Zoghbi M.G.B.,Varejâo M.J.C. & Ribeiro M.N.S. 1988 – A presença de substâncias inorgânicas
tóxicas no gênero Humirianthera (Icacinaceae). Acta Amazonica 18 (1-2) : 61-66.
Zoghbi M.G.B., Roque N.F. & Gottlieb H.E. 1981 – Humiriantheloides, new degraded diterpenoides
from Humiriantehra rupestris. Phytochemistry 20 (7) : 1669- 973.
NOTES
1. Gunter Kroemer, un indigéniste lié au Conseil indigène missionnaire (CIMI), affirme que le
contact a eu lieu le 8 mai 1980 par une équipe pastorale indigéniste travaillant dans la
municipalité de Lábrea, dans le sud de l’Amazonas (1994 : 11).
2. « Les pratiques culturelles de suicide ont été identifiées comme un ethnotrauma ou une
contestation de la situation insupportable causée par le génocide. L’équipe se préoccupe
actuellement d’accompagner un traitement ethno-psychothérapeutique, qui se déroule
principalement à trois niveaux : faire prendre conscience aux Indiens de la situation religieuse
qui existait avant les pratiques de suicide ; surmonter l’ethnotrauma en reconnaissant les sites du
génocide ; et sortir les Zuruahá de leur isolement en les mettant en relation avec d’autres peuples
indigènes de la région » (Kroemer 1994 : 11).
3. À cette fin, nous pouvons rappeler que dans un rapport du SPI (Serviço de Proteção aos Índios
ou Service de Protection des Indiens) de 1930 est publié ce qui est probablement le premier
document historique établissant un lien entre le suicide chez les peuples indigènes du Purus et la
consommation de plantes vénéneuses : "Leur croyance [celle du Katukina] n’est pas définie. Il ne
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
29
craint ni la mort ni Dieu, à tel point qu’il ne survit à aucune maladie qui l’immobilise plus de huit
jours sans recourir au timbó pour mourir immédiatement". (Santana de Barros 1930 : 4). L’auteur
utilise le terme générique Katukina pour désigner différents peuples de l’Amazonie, un groupe
qui habitait le fleuve Cuniuá, avec lequel les Suruwaha entretenaient des contacts intenses et à
qui ils attribuent l’enseignement de la consommation du timbó. Avec un ton faisant allusion à la
pratique de l’auto-empoisonnement, le botaniste Ghillean Prance écrit : « Les Indiens Paumari du
fleuve Purus utilisent cette même espèce de Ryania, qu’ils appellent kapahasa, comme poison
pour les poissons et autrefois aussi à d’autres fins » (Prance 1997 : 131). Toujours à propos de
l’utilisation de la plante par les Paumari, le botaniste ajoute : « Ils font macérer l’écorce et les
feuilles de cette plante dans une calebasse Crescentia. Le liquide est ensuite dissous dans l’eau et
utilisé pour empoisonner les poissons et les caïmans dans les petits cours d’eau. Les Indiens sont
conscients de la haute toxicité de cette plante et m’ont demandé de garder les spécimens
collectés hors de portée des enfants. Ryania speciosa est appelée capansa en portugais et ce mot est
probablement dérivé de son nom Paumari ou d’un terme similaire utilisé par une autre tribu
Arawak d’un groupe linguistique apparenté » (Prance 1997 : 131).
4. Le cajou est souvent considéré comme le fruit de l’anacardier (Anacardium occidentale), alors
qu’il s’agit en fait d’un pédoncule charnu, soit d’un pseudo-fruit.
5. Pour une discussion sur cette catégorie, voir « Le cru et le cuit » et « La poitière jalouse » (Lévi-
Strauss 1964, 1985). Dans le contexte du moyen Purus, voir Aparício (2017).
6. La relation entre les Jamamadi et Hi-Merimã vue sous l’angle de la relation avec les plantes
cultivées et le chamanisme a été développée par Shiratori et al. 2021.
7. Bien qu’ils ne soient pas encore identifiés, d’après la description qui en est faite, le keneru, le
kiya et le biha/bija (en jamamadi et banawá, respectivement) ou tama’i (en deni) sont des espèces
de Dioscorea sauvages consommées par les peuples indigènes de la région, tout comme Dioscorea
sp. (tama’i, selon les Deni) et Dioscorea dodecaneura.
8. Les Suruwaha ont des expressions utilisées pour préciser à quel point la mort d’une personne
peut être avancée. Ils utilisent par exemple l’expression mazaru kasibiadanangai (« il mourra
beaucoup ») lorsque les gens ingèrent de grandes quantités de suc de timbó ou mazaru
tawanxawaky (« mourir jusqu’à la fin »). Mais on peut utiliser l’expression mazaxawanki (« il est
mort ») dans des situations d’évanouissement ou de perte de conscience plus brèves. Dans ce cas,
ils inhalent de grandes quantités de tabac à priser, le kumadi, plante chamanique par excellence.
Les personnes peuvent vomir et rester inconscientes pendant quelques secondes, elles disent
alors qu’elles sont mortes un peu, kumadi bahini mazaxawanki (« il est mort à cause du
kumadi ») (Huber, communication personnelle).
9. « Zoghbi et al. (1981, 1988) a réalisé une étude phytochimique de la racine tubéreuse de C.
rupestris qui a conduit à l’isolement de six substances terpénoïdes, dont l’une a été nommée
"humiriantenolide C" (allusion à l’ancien genre de l’espèce Humirianthera). Dans le même travail,
une étude phytochimique a été menée pour la racine tubéreuse de C. ampla dans laquelle on a
isolé le thiocyanate de Na et de K, des substances connues pour leur toxicité » (Zoghbi et al. apud
Ribeiro 2018 : 88).
10. Les ingrédients actifs du curare sont dérivés de Loganiacées du genre Strychnos et/ou de
Menispermacées, principalement des genres Chondrodendron et Curarea, mais appartenant
également aux genres Abuta, Anomospermum, Cissampelos, Sciadotenia et Telitoxicum (Bisset 1988). Il
y a peu d’études récentes sur la composition des poisons de gibier utilisés en Amazonie, c’est
pourquoi nous proposons des informations partielles, d’où ce bref récapitulatif préparations
utilisées dans notre zone d’étude. Les noms scientifiques non déjà publiés ont été volontairement
omis. La base des curares de la région semble être l’iha (Strychnos) ainsi que certaines espèces du
genre Curarea. Chez les Deni, les composants mentionnés sont aussi l’iha, la liane beku (identifiée
par Prance en 1978 comme Curarea tecunarum), le mapi, le zuruba, le patsi et le dapu zupuri (Pezutti
& Chaves 2009 : 131). Chez les Jamamadi, en plus des composants cités par Prance (idem), d’autres
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
30
plantes peuvent s’ajouter au mélange comme yakiyokari (Shiratori 2018) ; un autre aspect
important est le fumage des pointes de flèches (en bambou hado) avec Duguetia asterotricha, une
Annonacée. Les poisons préparés à partir de Strychnos solimoesana sont connus pour être l’un des
plus puissants et des plus efficaces paralysant (on estime que plus de 40 alcaloïdes sont présents)
(Rocha et al. 1984). Chez les Jarawara, la composition du curare ne diffère pas de la recette des
Jamamadi voisins (Prance 1978). Chez les Paumari (idem), le Strychnos solimoesana
(Jadadakaikapihai) était également l’ingrédient principal du mélange. Chez les Apurinã, Steere
mentionne l’utilisation de l’açacu (Hura crepitans) comme additif dans la préparation du curare
(Steere 1949 [1901]).
11. « Si les Loganiacée et les Menispermacée sont les principales sources de curare, il ressort des
nombreux témoignages sur ce poison que divers ingrédients – dont d’autres produits végétaux et
animaux ainsi que des insectes sont entrés dans sa composition » (Bisset 1988 : 263, notre
traduction). Parmi les plantes utilisées comme additifs dans la préparation du curare, l’auteur
mentionne également le latex d’Euphorbia et le suc d’Annona et de Guettaria.
12. En ce qui concerne les âmes (abono) des plantes dangereuses, les Jamamadi disent qu’elles
possèdent la puanteur des poisons et qu’en la sentant, la personne tombe également malade. Une
indication de la maladie est que la personne continue d’exhaler la puanteur. Il existe également
des entités pathogènes comme les Dafi, des animaux qui habitent les souterrains, les collines et
les zones inondées, qui transmettent leurs maladies par leur mauvaise odeur et leurs yeux.
13. Récit suruwaha de l’origine du curare (Aparicio 2019 : 115) : « Les Sanamadi sont allés parler à
leur beau-père et lui ont raconté ce qui s’était passé : « Nous avons tiré sur le tapir, mais le poison
de l’héliconia n’est pas assez fort ». Kaiximiani leur dit : « Percez-moi le coude avec la pointe d’un
couteau ! » « Non, cela fera trop mal », répondent les Sanamadi. J’ai dit « perce-moi le coude »,
insista Kaiximiani. « Apportez le récipient pour le poison près d’ici ». Les gens apportèrent le
récipient et percèrent le coude de Kaiximiani avec la pointe du couteau : le curare commença à
sortir en abondance. Le xihixihi [+ ??] sortit de l’anus de Kaiximiani. Il enseigna aux Sanamadi
comment préparer le curare en chauffant le mélange des deux poisons dans le feu et en le filtrant
à travers la feuille de bananier. Il a enseigné aux Sanamadi la préparation du poison kaiximiani
myrakari. Les gens enduisirent les flèches de curare. Puis le Sanamadi se rendit dans la forêt, à
l’endroit il y avait beaucoup de fruits xuru. Le tapir y avait mangé beaucoup de fruits. Ils
tirèrent sur le tapir : il courut, et mourut plus loin sous l’effet du curare. Ils soufflèrent dans les
cornes de Huriatini et ramenèrent le tapir à la maison. Les gendres de Kaiximiani donnèrent de la
viande de tapir à son beau-père, qui ne mangea que couché dans le hamac. Puis il s’endormi, les
coudes dépassant du bord du hamac. Son petit-fils est passé en courant, s’est cogné la tête sur le
coude de son grand-père et est soudain tombé mort. Kaiximiani a compris ce qui s’était passé,
mais n’a rien fait. Le lendemain, il s’est réveillé en entendant les pleurs du père de l’enfant.
Kaiximiani pleura lui aussi, pleura de nostalgie en réalisant la mort de son petit-fils. Il dit : « Mon
gendre, frappe-moi ! ». Son gendre s’approcha et, à l’aide d’un bâton, frappa les bras, les jambes,
le corps et la tête de son beau-père. Il a frappé son corps avec force, furieux. Le beau-père s’est
alors transformé en liane kaiximiani ».
RÉSUMÉS
À la lumière de la récente production ethnographique sur les peuples indigènes arawá et de la
recherche en écologie historique consacrée aux terres de l’interfluve Juruá-Purus, cet article
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
31
propose une réflexion sur les poisons végétaux, de chasse et de pêche, à partir de la socialité, du
chamanisme et des pratiques de fabrication du corps des peuples indigènes de cette région. Nous
partons de l’auto-empoisonnement des Suruwaha pour le considérer comme un comme point de
départ de l’analyse sur le langage de la physiologie des affects arawá qui exprime l’ambivalence
ou l’instabilité catégorielle de certaines plantes. Notre hypothèse est que l’utilisation et
l’importance des plantes dans le contexte arawá sont inséparables de leur valeur anti-
alimentaire, c’est-à-dire que leurs aspects alimentaires et pratiques n’oblitèrent pas leur
potentiel chamanique en tant que poisons. Dans la première partie du texte, nous présentons une
réflexion sur la Casimirella ampla, plante à tubercule, qui offre une perspective productive sur
l’utilisation du manioc dans cette région et nous servira de modèle analytique pour tester
l’hypothèse sur l’ambivalence pratique et catégorielle de certaines plantes. Dans la deuxième
partie, nous développons notre argumentation en soulignant le potentiel anti-alimentaire de ces
plantes, en faveur d’une autre image conceptuelle de la sociabilité arawá dans laquelle les
poisons sont mis en évidence en tant que substances transformatrices du corps.
In light of the recent ethnographic production on the indigenous Arawá peoples and the research
in historical ecology dedicated to the lands of the Juruá-Purus interfluve, this article proposes a
reflection on plant poisons, hunting and fishing, based on the sociality, shamanism and body-
making practices of the indigenous peoples of this region. We start from the self-poisoning of the
Suruwaha to consider it as a starting point for the analysis of the language of the physiology of
Arawá affections that expresses the ambivalence or categorical instability of certain plants. Our
hypothesis is that the use and importance of plants in the Arawá context is inseparable from
their anti-alimentary value, i.e., their food and practical aspects do not obliterate their shamanic
potential as poisons. In the first part of the text, we present a reflection on Casimirella ampla, a
tuberous plant, which offers a productive perspective on the use of cassava in this region and will
serve as an analytical model to test the hypothesis on the practical and categorical ambivalence
of certain plants. In the second part, we develop our argument by highlighting the anti-
alimentary potential of these plants, in favor of an alternative conceptual image of Arawá
sociability in which poisons are featured as body transforming substances.
INDEX
Keywords : poisons, self-poisoning, shamanism, arawá peoples, isolated peoples, Amazonia,
Casimirella, Manihot
Mots-clés : poisons, auto-empoisonnement, chamanisme, peuples arawá, peuples isolés,
Casimirella, Manihot
Index géographique : Amazonie
AUTEURS
KAREN SHIRATORI
Postdoc du projet ECO, Conseil européen de la recherche (ERC), Centro de Estudos Sociais,
Université de Coimbra. karen.shiratori@gmail.com
DANIEL CANGUSSU
Indigéniste de la FUNAI (Fondation nationale des peuples indigènes), chercheur au Laboratoire
des systèmes socio-écologiques de l’ICB (Institut des sciences biologiques) et doctorant au
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
32
Programme de Post-Graduation (PPG) Écologie, conservation et gestion de la faune sauvage,
Université fédérale de Minas Gerais (UFMG). cangussu.isolados@gmail.com
La saveur du cœur et l’amertume du corps
Revue d’ethnoécologie, 23 | 2023
33
ResearchGate has not been able to resolve any citations for this publication.
Article
Full-text available
Con el fin de restaurar, aunque parcialmente, la memoria de las intensas relaciones que existían entre los distintos pueblos arawá de la región del medio curso del río Purus, este artículo aborda, a través del entrelazamiento de la vida humana y la vegetal, la socialidad que acabó rompiéndose, las historias que algún día se compartieron, pero también los vínculos que aún reverdecen en los bosques. La ciencia matera, atenta a las plantas y a los vestigios antrópicos presentes en los bosques, muestra caminos insospechados
Article
Full-text available
Inhabiting the middle Purus river basin, a branch of the Amazon river, Arawá-speaking groups have maintained permanent contact with non-indigenous society only in the last century. Here we provide an account of two Arawá subgroups, the Jamamadi and Hi-Merimã, in order to untangle apparent contradictions between their ways of living, respectively based on the predominance of cultivated plants in gardens and of forest plants. This approach is inspired by three / tree scenarios: the Hi-Merimã’s isolation from indigenous and non-indigenous people undertaken in the 1960′s, the report of a “false contact” that they would have began in 2016 and the Jamamadi’s recent and perhaps temporary decision to move into the forest after knowledge of the Covid-19 pandemic. Besides the apparent distance between gardener and gatherer ways of life, we highlight the proximity and fluidity that both share in terms of entanglements with plants, focusing on forms of sociality between groups, gardens and forests. Inspired by recent discussions regarding archaeological perspectives on plant use, ethnographic formulations of other-than-human relations, and historical ecology, we propose that both are cultural and not necessarily static choices. One is contained within and announces the other, and both are entangled in an oscillating movement of fusion and fission.
Article
Full-text available
Resumo Este artigo trata da importância do universo vegetal na sociocosmologia jamamadi. Assumo o xamanismo vegetal como o fio condutor através do qual se revelam o espelhamento e o entrelaçamento entre a vida das plantas e a vida dos humanos em múltiplas dimensões. Com este intuito, abordo a iniciação xamânica, cujo objetivo final é adquirir o noko koma, "o olhar envenenado". Os contornos deste xamanismo se fazem visíveis através da relação com as almas das plantas cultivadas, yamata abono, principais auxiliares que acompanham os pajés na prática terapêutica ou, em outra perspectiva, na guerra mundial. Para a formulação do argumento proponho uma reflexão sobre os limites da categoria biológica "planta" e, por fim, sobre a caracterização do xamanismo amazônico nos termos de uma ideologia venatória, dado que a pregnância das plantas para os Jamamadi propõe questionamentos mais amplos acerca do lugar prático-conceitual atribuído aos animais.
Article
Full-text available
Resumo: Tradicionalmente, as bebidas fermentadas da América do Sul são classificadas entre os narcóticos e os intoxicantes. Revisando os textos dos primeiros cronistas e recentes estudos antropológicos, é possível mostrar que as bebidas fermentadas eram fundamentalmente alimentos líquidos, ricos em elementos minerais, em pré-bióticos e pró-bióticos, contendo forte proteção contra doenças intestinais. O componente 'etílico', apesar de importante pelas suas implicações sociais, era, na maior parte dos casos, inexistente ou baixo, sendo originário de uma fermentação lática e não sacaromicética. Palavras-chave: Cauim. Caxiri. Chicha. Bebidas fermentadas. Alimentos fermentados. Abstract: South American fermented beverages have traditionally been classified among narcotics and intoxicants. In a review of the first chronicles and recent ethnological studies of South American history, we show that fermented beverages were fundamentally liquid food, rich in minerals, probiotics, and prebiotics, and offered strong protection against intestinal diseases. The alcoholic component, although important for its social implications, was for the most part lacking or minimal, and originated from non-saccharomycetic lactic acid fermentation.
Article
Full-text available
In Arawan mythology, tobacco is conceived "in an aquatic key”, while the presence of this plant in everyday life paradoxically shows a movement “in a flaming key”. For indigenous groups inhabiting the Purus river, tobacco and poisons reveal a genuine chromaticism within the framework of the “regressive mythology” that Lévi-Strauss found in other Amerindian contexts. In Arawan narratives, tobacco is perceived as food, but its emetic, narcotic and toxic effects allow it to be considered an “antifood”. Tobacco and poisons operate an inverse logic that turns prey into the predator of their predators. Shamanism enables a dangerous approach to alterity through poisons, by associating tobacco with the curare of arrows, the poison of snakes, and the fish poison timbó. In Arawan myths (Suruwaha, Banawa, Deni ...), the chromaticism of the shaman’s poison upsets the difference between prey and predator, reversing the unstable order of the cosmos.
Article
Full-text available
Past human influences on Amazonian forest The marks of prehistoric human societies on tropical forests can still be detected today. Levis et al. performed a basin-wide comparison of plant distributions, archaeological sites, and environmental data. Plants domesticated by pre-Columbian peoples are much more likely to be dominant in Amazonian forests than other species. Furthermore, forests close to archaeological sites often have a higher abundance and richness of domesticated species. Thus, modern-day Amazonian tree communities across the basin remain largely structured by historical human use. Science , this issue p. 925