ArticlePDF Available

Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une analyse technopolitiqueThe nudge as an incentive for alternative mobility, a techno-political analysisEl nudge como incentivo a la movilidad alternativa ; un anális tecnopolítico

Authors:

Abstract and Figures

Les nudges appliqués à la mobilité des individus alimentent un nombre croissant d’expérimentations de terrain. Le présent article présente le concept de nudge, puis propose un état de l’art de la bibliographie et une classification des principaux biais cognitifs sur lesquels les nudges s’appuient pour modifier une architecture de choix. La deuxième partie de l’article présente les conflits de rationalités et la négociation qui en résulte dans le fil de la conception d’un jeu de nudges dédié aux changements de comportements en termes de mobilité, jeu destiné à s’insérer dans une application de téléphone multifonctions.Au-delà des approches définitionnelles et de la production de nudges originaux, ce qui importe ici est de distinguer, en théorie et en pratique, les divers leviers à partir desquels une incitation peut se mettre en place, et comment les technologies de l’information et de la communication (TIC) peuvent être mobilisées pour tenter d’influer sur les comportements. Articulant les perspectives de l’économie comportementale, des sciences de l’information et de la communication et des sciences cognitives, la recherche s’inscrit dans une analyse technopolitique de fond.
Content may be subject to copyright.
tic&société
Vol. 16, N° 1 | 2ème semestre 2022 | 2023
Transformationsnumériquesetdurablesdes
mobilités
Le nudge comme incitation aux mobilités
alternatives, une analyse technopolitique
The nudge as an incentive for alternative mobility, a techno-political analysis
El nudge como incentivo a la movilidad alternativa ; un anális tecnopolítico
AnneFOURNIER,MichelLabour,NicolasLISSARRAGUEetSylvieLELEU-
MERVIEL
Éditionélectronique
URL : https://journals.openedition.org/ticetsociete/7394
DOI : 10.4000/ticetsociete.7394
Éditeur
Association ARTIC
Éditionimprimée
Pagination : 69-109
Référenceélectronique
Anne FOURNIER, Michel Labour, Nicolas LISSARRAGUE et Sylvie LELEU-MERVIEL, « Le nudge comme
incitation aux mobilités alternatives, une analyse technopolitique », tic&société [En ligne], Vol. 16, N° 1 |
2ème semestre 2022 | 2023, mis en ligne le 15 avril 2023, consulté le 23 juin 2023. URL : http://
journals.openedition.org/ticetsociete/7394 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ticetsociete.7394
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
anne.fournier@univ-eiffel.fr
michel.labour@uphf.fr
nicolas.lissarrague@uphf.fr
sylvie.merviel@uphf.fr
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
70
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives,
une analyse technopolitique
Anne FOURNIER : Enseignante-chercheuse en sciences
économiques à l’Université Gustave Eiffel. Spécialisée en
économie de l’environnement et en économie urbaine, ses
recherches s’appuient sur de la modélisation microéconomique
et portent principalement sur les déterminants des choix de
localisation des agents et les politiques publiques de transition
vers des territoires plus durables.
Michel LABOUR : Enseignant-chercheur habilité à diriger les
recherches à l’Université Polytechnique Hauts-de-France. Son
domaine de recherche se focalise sur le processus
infocommunicationnel de l’aide à la décision. Les terrains de
recherche comprennent l’intelligence informationnelle et
l’expérience de l’utilisateur de systèmes d’information.
Nicolas LISSARRAGUE : Enseignant-chercheur à l’Université
Polytechnique Hauts-de-France, membre du laboratoire LARSH-
Devisu, est spécialiste de l’esthétique et des technologies de
l’image numérique. Son champ de recherche concerne plus
spécifiquement les processus de création dans le domaine
digital.
Sylvie LELEU-MERVIEL : Professeure en sciences de
l’information et de la communication. Elle a créé à l’Université
Polytechnique Hauts-de-France le Laboratoire DeVisu (Design
Visuel et Urbain), et y a également dirigé DREAM
(Développement, Recherche, Enseignement en Audiovisuel et
Médias Numériques), aujourd’hui INSA-Médias à l’INSA Hauts-
de-France. Ses travaux portent sur l’ingénierie du document,
l’intelligence informationnelle et le « faire-sens » humain, avec
deux terrains applicatifs : les nouvelles écritures, notamment
audiovisuelles et en médias numériques, et le concept
d’information en contexte de décision pour l’action. Elle dirige la
collection Traces chez ISTE Editions/Wiley et codirige Human-
Trace, e-laboratory UNESCO de Complex Systems Digital
Campus et la revue RIHM.
Résumé
Les nudges appliqués à la mobilité des individus alimentent
un nombre croissant d’expérimentations de terrain. Le présent
article présente le concept de nudge, puis propose un état de
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
71
l’art de la bibliographie et une classification des principaux biais
cognitifs sur lesquels les nudges s’appuient pour modifier une
architecture de choix. La deuxième partie de l’article présente les
conflits de rationalités et la négociation qui en résulte dans le fil
de la conception d’un jeu de nudges dédié aux changements de
comportements en termes de mobilité, jeu destiné à s’insérer
dans une application de téléphone multifonctions.
Au-delà des approches définitionnelles et de la production de
nudges originaux, ce qui importe ici est de distinguer, en théorie
et en pratique, les divers leviers à partir desquels une incitation
peut se mettre en place, et comment les technologies de
l’information et de la communication (TIC) peuvent être
mobilisées pour tenter d’influer sur les comportements. Articulant
les perspectives de l’économie comportementale, des sciences
de l’information et de la communication et des sciences
cognitives, la recherche s’inscrit dans une analyse
technopolitique de fond.
Mots clés : nudge, mobilité durable, incitation douce,
paternalisme, téléphone mobile, design graphique, politique
publique
The nudge as an incentive for alternative mobility, a
techno-political analysis
Nudges applied to the mobility of individuals are fuelling a
growing number of field experiments. After a presentation of the
concept of nudge, the article presents a literature review of
nudges. This is followed by a classification of cognitive biases
that nudges draw on to modify a given architecture. Then follows
a novel design of nudges for a smartphone application aimed at
modifying work-home mobility behaviours.
Beyond the different definitions attributed to nudges and the
production of original nudges, the article highlights the theoretical
and operational aspects around the different ways in which
nudges can be used to encourage users to change their
behaviour patterns via information and communications
technologies (ICTs). Our approach marshals behavioral
econometrics, information and communication sciences and
cognitive sciences in an in-depth analysis from a techno-public
policy perspective.
Key words : nudge, sustainable mobility, paternalism,
smartphone, graphic design, public policy
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
72
El nudge como incentivo a la movilidad alternativa ; un
anális tecnopolítico
Resumen
Los "nudges" aplicados a la movilidad de los individuos
alimentan un número creciente de experimentos sobre el
terreno. Este artículo presenta el concepto de nudge, para
después proponer un estado del arte de la bibliografía, y una
clasificación de los principales sesgos cognitivos en los que se
basan los nudges para modificar una arquitectura de elección.
La segunda parte del artículo muestra los conflictos de
racionalidades y la negociación resultante en el diseño de un
juego de nudges dedicado a los cambios del comportamiento en
relación a la movilidad ; juego que está destinado a ser insertado
en una aplicación de smartphone.
Más allá de las definiciones y de la producción de nudges
originales, lo importante es distinguir, en la teoría y en la práctica,
los diferentes instrumento,s a partir de las cuales se puede
establecer un incentivo, y cómo se pueden movilizar las
Tecnologías de la Información y la Comunicación (TIC) para
tratar de influir en el comportamiento. Relacionando las
perspectivas de la economía del comportamiento, las ciencias
de la información y la comunicación y las ciencias cognitivas, la
investigación se inscribe en un profundo análisis tecno-político.
Palabras clave : nudge, movilidad sostenible, estímulos,
paternalismo, teléfono móvil, diseño gráfico, política pública
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
73
Introduction
1
La notion de société dite capitaliste se caractérise par deux
postulats selon Shoshana Zuboff (2019-2020), professeure
émérite à la Harvard Business School. Le premier considère que
les marchés économiques sont fondamentalement
inconnaissables, donc imprévisibles. Le second, corollaire du
premier, affirme que ce défaut de connaissance « permet [aux]
acteurs du marché [de] disposer d’une grande liberté d’action »
(Zuboff, 2019-2020, p. 658). Or cette liberté-dans-l’ignorance
peut conduire un individu à prendre des décisions qui peuvent le
mener à sa ruine (Thaler et Sunstein, 2003, p. 2), voire in fine
être désastreuses pour la société, par exemple, en dégradant
l’environnement. L’individu se trouve ainsi sans cesse engagé
dans divers processus qui peuvent être schématiquement décrits
de la manière suivante :
« En prenant des décisions, les utilisateurs s’impliquent,
souvent, dans des processus de fabrication d’un sens
cohérent et social (social sense-making). Cela comprend à
la fois une évaluation de l’intention des services des
prestataires en tant qu’architectes de choix, ainsi que des
ressources cognitives que d’autres acteurs rendent
disponibles. » (Mele et al., 2021, p. 958, traduit par les
auteurs
2
)
Influer sur le processus décisionnel des individus constitue
l’un des enjeux majeurs de la vie politique publique et sociale.
1. Changements des comportements de
mobilité : un défi ?
1.1 Outils d’incitation des politiques publiques
1
Remerciements : Nous remercions Réseau Alliances et, plus particulièrement,
Lucile Janssoone, cheffe de projet RSE et Mobilité Durable, la jeune entreprise 2R
Aventure et sa dirigeante, Noémie Rogeau, les entreprises et les collectivités
territoriales ayant pris part à l’expérimentation ainsi qu’Ankinée Kirakozian, Iman
Batita, Séverine Tassou et Li Diao, qui ont participé à l’élaboration et à la réalisation
du projet [IMP]2ULCE. Nos remerciements vont aussi à nos deux relecteurs anonymes
pour leurs suggestions avisées.
Financement : Région Hauts-de-France, projet [IMP]2ULCE dans le cadre du
dispositif STIMulE - Volet partenarial STIP - Session 2019.
Déclaration des liens d’intérêt : Les auteurs de l’article déclarent n’avoir aucune
affiliation professionnelle envers des organisations faisant l’objet de l’étude et n’avoir
reçu aucun avantage, sous quelque forme que ce soit, concernant le contenu de
l’article.
2
« When making decisions, users often engage in processes of social sensemaking,
including an evaluation of service providers’ intentions as choice architects and the
cognitive resources that other actors make available ».
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
74
La citation de Mele et al. (2021, p. 958) rappelle qu’un
utilisateur, notamment dans un monde connecté
électroniquement, est amené à faire le tri parmi de multiples
ressources – pas toujours complètes ou même véridiques – lors
d’une prise de décision. Une incapacité à sélectionner de
« bonnes » ressources peut le pousser à prendre des décisions
contraires à son propre intérêt ou néfastes pour la collectivité, et
ce, à son insu.
« Nous soulignons le fait que, dans certains cas, il peut
arriver que les individus prennent des décisions inférieures
en termes de bien-être (welfare), des décisions qu’ils
changeraient s’ils disposaient d’informations complètes, de
capacités cognitives illimitées, et d’une volonté de fer. »
(Thaler et Sunstein, 2003, p. 4, traduit par les auteurs
3
)
Dans cette optique, pour éviter qu’un individu ne prenne des
décisions néfastes, les États peuvent donner plusieurs formes à
l’incitation visant des comportements considérés comme
« vertueux », conformes à l’idéologie de l’autorité publique. Ce
type d’incitation directe est caractérisé comme un « paternalisme
dur », c’est-à-dire coercitif (Thaler et Sunstein, 2008, p. 5). Muller
(2017, p. 3) et Futuribles (2016, p. 5) identifient ainsi cinq
catégories d’outils classiques d’incitation dont disposent les
États : 1) les campagnes d’information et de sensibilisation, 2) la
taxation, 3) l’incitation financière, 4) la législation (interdiction,
régulation), et 5) l’exemplarité institutionnelle ou politique
(commande publique, règles en vigueur au sein des
organisations publiques). En réaction au paternalisme dur, une
nouvelle tendance a vu le jour : le nudge, l’incitation « douce ».
L’incitation douce prône, de son côté, un « paternalisme
libertaire ». Le « paternalisme » provient des sachants qui
nudgent l’individu lorsque ce dernier se trouve dans des
situations inconnues, compliquées, peu fréquentes, disposant
d’un faible retour d’informations (Thaler et Sunstein, 2008, p. 76,
87). Dans ces situations d’incertitude, le nudge offre des
alternatives à l’individu afin que celui-ci puisse mieux décider en
cohérence avec son propre bien-être (Thaler et Sunstein, 2003,
p. 4, 42). L’aspect « libertaire » réside dans le fait que l’individu
est libre de sa décision, qu’elle soit cohérente avec son bien-être
ou pas (Thaler et Sunstein, 2003, p. 1, 5, 9). Ainsi peut être
considéré comme un « nudge » le SMS envoyé
systématiquement aux passagers du TGV les invitant à ne rien
3
« We emphasize the possibility that in some cases individuals make inferior decisions
in terms of their own welfare decisions that they would change if they had complete
information, unlimited cognitive abilities, and no lack of willpower ».
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
75
laisser à bord en descendant du train (voir effet d’accessibilité
cognitive, plus bas). Libre au passager de lire le SMS, ou pas.
1.2 Déterminants des comportements de mobilité et
de leur changement
En tant que contributeur majeur aux émissions de gaz à effet
de serre, le transport routier est au cœur des enjeux de transition
écologique de nos territoires. Toutefois, bien qu’occupant une
place croissante dans les débats et les discours, les politiques
publiques destinées à atténuer l’empreinte carbone des mobilités
quotidiennes peinent à se matérialiser localement. Parmi les
raisons à invoquer se trouve probablement l’inadéquation des
solutions proposées avec une réalité bien souvent protéiforme –
posant, in fine, la question de l’(in)efficacité de politiques
publiques uniformes face à l’hétérogénéité des situations –, mais
également l’existence de freins avérés au changement dans les
comportements de mobilité quotidienne.
Les comportements relatifs à la mobilité des personnes
semblent particulièrement difficiles à changer, car ils sont
profondément ancrés dans les habitudes (Møller et Thøgersen,
2008). Ces dernières, définies comme une séquence d’actions
devenue une réponse automatique à des signaux spécifiques et
fonctionnelle pour atteindre certains objectifs ou états finaux,
s’accompagnent d’une orientation cognitive durable état
d’esprit habituel ») qui rend un individu moins attentif aux
nouvelles informations et aux plans d’action, et contribue au
maintien du comportement habituel (Verplanken et Aarts, 1999).
Ainsi, lorsqu’un individu se trouve dans une situation déjà
rencontrée et dans laquelle il a auparavant agi à plusieurs
reprises, ses actions ont tendance à n’être que des répétitions
automatiques de ses comportements précédents.
Triandis (1977) montre que les intentions déclarées d’un
individu ne peuvent être considérées comme de bons
prédicteurs de son comportement effectif que dans des
conditions d’habitudes faibles ; lorsqu’il est question d’habitudes
fortement ancrées, les intentions sont un mauvais prédicteur de
comportement. Il en va ainsi pour les choix habituels de mode de
déplacement, qui s’écartent souvent de l’intention exprimée par
un individu. En pratique, cet écart s’observe généralement dans
le sens d’une utilisation plus importante que prévue de la voiture
particulière aux dépens des modes de transport doux (Møller et
Thøgersen, 2008). En somme, une forte habitude d’utilisation de
la voiture particulière constitue un frein majeur à la
transformation en action des intentions de se déplacer en
transport en commun.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
76
La revue de littérature proposée par Blayac et al. (2020)
complète ce premier éclairage sur les choix de transport et de
mobilité. Les études de Brisbois (2010) et d’Innocenti et al.
(2013) suggèrent encore qu’il existe une inertie tenace et
élevée concernant le maintien du choix du mode de transport.
Cette inertie persiste même quand l’utilisateur possède des
informations sur des transports alternatifs et constitue donc l’un
des freins à surmonter dans la conception des politiques
d’incitation aux mobilités alternatives. Elle serait cependant
moins présente lorsqu’il s’agit des propositions d’itinéraires
alternatifs, par exemple à travers mappy.com, viamichelin.fr, ou
des applications mobiles. Les résultats des travaux de Moraes
Ramos et al. (2020, cité par Blayac et al., 2020, p. 183) attestent
que les utilisateurs tiennent davantage compte de l’information
portant sur des itinéraires alternatifs pendant leur trajet, plutôt
que de s’informer avant le trajet. Cela confirme les travaux
d’Aguilera et al. (2012) et de Schwanen (2015), selon lesquels
les technologies qui peuvent aider les utilisateurs sont celles qui
proposent des données mises à jour en temps réel (voir Blayac
et al., 2020, p. 181). La revue de littérature de Blayac et al.
(2020, p. 185) met également en lumière que la plupart des
applications mobiles mettent l’accent sur les transports en
commun ou la voiture privée. Il existe assez peu d’applications
sur le transport multimodal.
1.3 Ancrage scientifique du nudge
Les travaux de recherche en sciences économiques
s’inscrivent bien souvent sinon majoritairement dans un
paradigme hérité de la théorie du choix rationnel (TCR) ; l’être
humain y est ainsi représenté comme un être essentiellement
rationnel (homo oeconomicus) dont les décisions ont toutes pour
principe la maximisation de son bien-être. Mettre ainsi cette
rationalité au cœur des processus rapporte déjà une décision
individuelle à la capacité cognitive de l’individu à acquérir toutes
les informations pertinentes et à les traiter de façon optimale.
L’individu recherche toujours le plus grand bénéfice au moindre
coût (Simon, 1990, p. 15). Dans le domaine de la décision, cela
s’incarne notamment dans la expected utility theory (théorie de
l’utilité espérée), théorie de la décision en environnement risqué
développée par John von Neumann et Oskar Morgenstern dans
leur ouvrage Theory of Games and Economic Behavior (1944).
Or Herbert Simon (1956, 1979) fut l’un des premiers à
remettre en cause le concept d’homo oeconomicus, avec son
postulat selon lequel l’être humain a, essentiellement, une
« rationalité limitée ». Les travaux de Simon (1956) constatent
que sur le terrain, les décideurs n’ont pas une idée très claire de
leur problème. Les problèmes de décision se présentent souvent
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
77
comme la recherche d’un compromis, lequel est soumis à ce que
l’individu perçoit comme ses contraintes temporelles et ses
ressources disponibles. Cela conduit le décideur à opter, par
économie d’effort, pour une action « satisfising
4
», moins
énergivore qu’une action rationnellement optimale. À sa suite,
une lignée de travaux originaux a constitué au fil du temps une
nouvelle branche de l’économie : l’économie comportementale,
dont la dynamique repose notamment sur une prise en compte
de biais psychologiques relevant d’une rationalité limitée au sein
même de la décision. L’économie comportementale s’intéresse
directement aux choix alternatifs, à la décision prise, et à l’action
et aux conséquences qui en résultent. Cette branche de
l’économie est désormais parfaitement légitimée, avec l’octroi
notable de plusieurs prix Nobel d’économie. En effet, à partir de
1974, Amos Tversky et Daniel Kahneman (1974) remettent plus
profondément en cause la théorie de l’homo oeconomicus en
montrant que des biais psychologiques perturbent fortement la
rationalité de nos prises de décision.
Alors que le terme nudge fut employé pour la première fois en
1675, comme le rappelle Safire (2008), son acception moderne
(et à la mode) fait suite à la parution de l’ouvrage de Thaler et
Sunstein en 2008, dans la lignée des travaux comme ceux de
Tversky et Kahneman (1974). La littérature concernant les
nudges est désormais abondante. Plusieurs articles ont déjà été
consacrés à une revue de la littérature existante (Croson et
Treich, 2014 ; Ouvrard, 2019). Ouvrard (2019, p. 47-50) conclut
son analyse des différents types de nudges en constatant que
les outils qui évaluent l’efficacité des incitations douces ne sont
pas satisfaisants du point de vue des coûts effectifs pour
l’individu.
« En particulier, l’idée de coût moral ajouté à la fonction
d’utilité, ou la modification de la contrainte budgétaire,
peuvent apparaître trop simplistes. » (Ouvrard, 2019, p. 42)
Dans cette optique, le succès des nudges, particulièrement
ceux associés à une technologie interactive, tient notamment à
ce qu’ils proposent une sixième voie pour l’action publique, qui
vient compléter les cinq citées en section 1.1.
1.4 Vers une classification des nudges
Toute incitation douce venant à modifier une architecture de
choix est un nudge. Néanmoins, la littérature concernant les
nudges n’éclaire pas ou trop peu une différence formelle entre
une campagne de persuasion classique et un nudge. Au
préalable, il est utile de constater que, dans une revue de la
4
Satisfising, mot écossais amalgamant deux mots en anglais, satisfying et sufficing,
ou en français satisfaisant et suffisant.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
78
littérature de 44 études réalisées de 2003 à 2018 sur les
transports alternatifs dans 12 pays, Anagnostopoulou et al.
(2018, p. 14) affirment qu’il est difficile d’établir si les
technologies persuasives conduisent au changement à « long
terme ». Dans ce contexte, lors d’une étude sur l’impact des
messages persuasifs envoyés par une application d’itinéraire de
route sur le téléphone multifonctions de 30 utilisateurs,
Anagnostopoulou et al. (2020, p. 158) caractérisent les
technologies persuasives comme fondées sur des principes
psychologiques de persuasion (tels que la crédibilité, la
confiance et la réciprocité) visant à changer les attitudes et les
comportements des utilisateurs. Cette démarche correspond à
celle d’autres chercheurs, comme Fetherston et al. (2017) ou
Mele et al. (2021, p. 950). Selon ces derniers, les mécanismes
des nudges font partie des « systèmes de cognition
persuasive ». Ainsi, l’étude d’Anagnostopoulou et al. (2020, p.
166) consiste à diffuser des messages persuasifs personnalisés
afin de « nudger » l’utilisateur vers un itinéraire de route durable.
Or Anagnostopoulou et al. (2020) utilisent le mot nudge 11 fois
dans leur article
5
sans définir ce que signifie le terme.
De fait, la notion de nudge est polysémique. Parfois, le nudge
désigne un coup de coude qui invite simplement à prêter
attention et à être vigilant, comme le « radar pédagogique »
indiquant au chauffeur d’un véhicule sa vitesse instantanée. Ici,
le nudge cherche à corriger des « erreurs cognitives » (Mele et
al., 2021, p. 951). Cela correspond au type 2 nudge de Hansen
et Jespersen (2013, p. 15, 23). Or le nudge peut aussi être un
coup de pouce, celui qui aide l’individu à sauter le pas pour agir
(de façon imagée, se jeter à l’eau par exemple). Le coup de
pouce accentue, voire instrumentalise (Hansen et Jespersen,
2013, p. 19) un des traits propres à l’individu, par exemple son
amour-propre « Vas-y, fonce ! Ne fais pas ta poule mouillée! »).
Hansen et Jespersen (2013, p. 15, 23) nomment ce coup de
pouce le type 1 nudge. En somme, le nudge-coup de coude et le
nudge-coup de pouce désignent deux processus différents (voir
Mirsch et al., 2017, p. 2), ce qui explique en partie pourquoi les
nudges font aujourd’hui l’objet de bien des dévoiements qui
relèvent parfois de la généralisation abusive : sont ainsi appelées
nudges toutes sortes d’incitations, anciennes ou récentes, telles
que les publicités.
L’ancrage scientifique donné ci-dessus nous conduit à
considérer en priorité les nudges qui utilisent l’effet d’un biais
5
Les données de leur étude montrent que la grande majorité des utilisateurs ont
apprécié le surclassement des différents itinéraires en fonction de la personnalité et
du type de mobilité de l’utilisateur (Anagnostopoulou et al., 2020, p. 174). L’analyse
des données de l’étude montre aussi que 40 % des messages persuasifs ont eu un
impact sur le choix d’itinéraire de l’utilisateur (Anagnostopoulou et al., 2020, p. 175).
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
79
cognitif identifié comme levier au changement. Ainsi, un nudge
se distingue d’une démarche strictement « persuasive », fondée
sur des principes psychologiques, tels que la crédibilité, la
confiance et la réciprocité (Anagnostopoulou et al.,
2020, p. 158). S’il est impossible d’identifier un biais connu de la
littérature scientifique, alors ce n’est pas un nudge au sens
nous l’entendons ici. De ce fait, le répertoire des biais permet
une classification des nudges considérés. S’inscrivant parmi les
tous premiers travaux montrant que des biais psychologiques ont
des effets qui perturbent la rationalité de nos prises de décision,
Tversky et Kahneman (1974) traitent de sept biais :
l’effet de cadrage (framing effect). Il conduit à ce
que les formulations – par exemple, décompte du nombre
de vies sauvées ou du nombre de morts amènent à
évaluer différemment des situations rigoureusement
identiques, et à prendre des décisions opposées. Le biais
de cadrage désigne donc la tendance à être influencé par
la manière (notamment positive ou négative, attractive ou
répulsive) dont une même chose est présentée.
l’effet d’accessibilité. Pour comprendre les
décisions intuitives et les choix non raisonnés, il faut
comprendre pourquoi certaines pensées viennent à
l’esprit plus facilement que d’autres, pourquoi certaines
idées surgissent sans effort et d’autres exigent du travail.
Le concept central de cette analyse des jugements et
préférences intuitifs est l’accessibilité, c’est-à-dire la
facilité (ou l’effort) avec laquelle des contenus mentaux
particuliers viennent à l’esprit – et pas d’autres. Le biais
d’accessibilité caractérise la disponibilité en mémoire.
l’effet de présentation. En définissant
l’accessibilité, Kahneman (2003, p. 699) indique :
« L’accessibilité d’une pensée est déterminée
conjointement par les caractéristiques des mécanismes
cognitifs qui la produisent et par les caractéristiques des
stimuli et des événements qui l’évoquent. » La
présentation ou la forme ont donc un effet sur
l’accessibilité. Dans une soumission en termes de
stimulation, le jeu sur la saillance physique de certains
éléments (tels que la taille, la couleur, la distance,
l’intensité sonore, la composition…) ou des propriétés
plus abstraites comme la similarité, la propension
causale, la surprise, la valence affective ou l’humeur
peuvent tous être considérés comme des effets de
présentation.
l’effet d’affect. La motivation et l’émotion,
regroupées dans l’effet d’affect, sont aussi explicitement
prises en compte comme dimensions de l’accessibilité et
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
80
directement reliées aux designs des publicitaires et des
designers. Le biais d’affect consiste à prendre une
décision sous le coup de l’émotion plutôt qu’en mobilisant
un raisonnement.
l’effet de référence ou d’ancrage. On peut
rapprocher cet effet de l’importance octroyée par
Kahneman (2003) au point de référence dans sa théorie
des perspectives, que nous ne déclinerons pas ici. La
théorie avance qu’aucune évaluation ne s’opère dans
l’absolu, mais toujours relativement à une valeur de
référence. Le biais d’ancrage est la tendance à utiliser
indûment une information comme référence. Il s’agit
généralement du premier élément d’information acquis
sur le sujet.
l’effet d’aversion à la perte. Il existe une différence
importante d’appréciation entre les gains et les pertes.
Kahneman et Tversky (1979, p. 279) affirment :
« L’aversion que l’on ressent en perdant une somme
d’argent semble plus grande que le plaisir associé au fait
de gagner le même montant. » Ce biais explique
l’inclination des individus non pas à maximiser leurs gains,
comme le suppose la théorie économique du choix
rationnel (TCR), mais à minimiser leurs pertes, sachant
quil peut s’agir de pertes économiques, mais aussi de
peine, de déception, d’efforts physiques, de perte de
capital symbolique, de stigmatisation sociale, etc.
l’effet de statu quo. Les effets combinés du point
de référence et de l’aversion à la perte conduisent à
l’identification d’un état de statu quo, état courant qui
devient l’état de référence et dont il devient dès lors très
difficile de s’affranchir. Parce que l’état courant est pris
comme point de référence, et que cet ancrage est
combiné avec le risque lié au changement et à l’aversion
à la perte qui l’accompagne, le biais de statu quo fait que
la stabilité du connu est favorisée par rapport au
changement vers l’inconnu.
Ainsi, le livre de Thaler et Sunstein (2021, p. 1-4) commence
par un exemple de nudge/effet de présentation les fruits et
légumes placés en premier et à la hauteur des enfants dans une
cantine scolaire et un nudge/effet de statu quo la
resouscription annuelle à un plan d’assurance santé et
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
81
d’épargne retraite, identique à l’année précédente par défaut (le
opt-in)
6
.
D’autres biais sont ensuite apparus en nombre dans les
travaux qui ont suivi, notamment en psychologie. Il n’est pas utile
de les citer tous. On peut en relever quatre qui ont servi de levier
pour les nudges :
l’effet d’inertie. Il désigne notre tendance naturelle
à l’immobilisme. Dans un langage bien plus intuitif, on
pourrait le désigner comme « la loi du moindre effort ». Ce
biais serait un prolongement de l’effet de statu quo.
l’effet de conformisme. C’est une tendance à
vouloir penser et agir comme les autres. Il est lié au fait
que l’humain est un être profondément social (Thaler et
Sunstein, 2021, p. 63), ce qui le conduit à vouloir se
conformer à ce qui sera perçu comme une norme sociale.
l’effet de représentativité. Il sagit d’un raccourci
mental qui consiste à porter un jugement à partir de
quelques éléments disséminés qui, en outre, ne sont pas
nécessairement représentatifs. Il conduit par exemple à
généraliser à l’ensemble de la population des
caractéristiques observées auprès de quelques individus.
Il peut aussi recourir à des stéréotypes ou à des
associations erronées pour des raisons de simplification
cognitive.
l’effet de confirmation. Il correspond à la tendance,
très commune, à ne rechercher et à ne prendre en
considération que les informations qui confirment notre
jugement ou nos croyances antérieurs, et à ignorer et/ou
à effacer très rapidement de notre mémoire celles qui les
remettent en cause.
Dans les travaux menés, nous avons considéré qu’il fallait que
l’incitation (douce) s’appuie sur un biais cognitif identifié pour être
réellement un nudge. Tous les auteurs ne s’accordent pas sur ce
point, mais c’est le parti pris que nous avons adopté, en
conformité avec les théories de l’économie comportementale
exposées précédemment.
1.5 Pertinence du nudge comme nouvel outil
d’incitation aux changements de mobilités
En matière de comportements proenvironnementaux, fournir
de l’information s’avère souvent sans grand effet (Ölander et
Thøgersen, 2014). Le simple recours à l’éducation par
6
Cas d’ailleurs très intéressant où l’action à laquelle est donnée un coup de pouce
est en réalité une non-action ou un non-choix (s’appuyant sur l’inertie à opter pour un
choix contraire : le opt-out).
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
82
l’information (au moyen d’une campagne médiatique de grande
ampleur par exemple) ne produit, dans une grande majorité des
cas, qu’un changement de comportement modeste (Staats et al.,
1996). Dans le cadre de cet article, il devient dès lors pertinent
de se demander si cet échec à impulser un changement de
comportement significatif sur des décisions véritablement
engageantes pour les individus peut être généralisé à l’ensemble
des incitations douces ou si, du fait de son adossement à un biais
cognitif formellement identifié, le nudge peut, sous certaines
conditions, échapper à cette loi.
Nous avons précédemment souligné le rôle crucial des
habitudes dans l’inertie des comportements en matière de
déplacement pendulaire : l’option de trajet et/ou de mode de
transport relevant d’un comportement éminemment routinier, il y
a peu, voire pas de place pour une phase de délibération,
rendant, par conséquent, tout appel à la raison mécaniquement
inefficace (Gärling et Axhausen, 2003). Chorus et Dellaert (2012)
constatent d’ailleurs que même les individus qui envisagent
activement des options de déplacement alternatives pour chacun
de leurs trajets quotidiens présentent une forte inertie s’ils sont
averses au risque ou lorsque la qualité des modes de transport
alternatifs ne peut être révélée qu’à l’usage. Aarts et al. (1997)
notent en outre que, dans le cas de la mobilité quotidienne, les
individus sont peu susceptibles de rechercher de nouvelles
informations avant de choisir un mode de déplacement ; pour
être remarquées et efficaces, ces informations doivent être tout
à la fois persuasives, intrusives et perçues comme
personnellement pertinentes (Biel et Dahlstrand, 1997).
Forte de ces premiers éléments de réflexion, une étude plus
approfondie des nombreux articles scientifiques publiés au cours
de ces trente dernières années portant sur une expérimentation
alliant nudge et mobilité révèle des résultats souvent très
contrastés quant à l’efficacité du nudge à modifier seul et
durablement les comportements de mobilité. Fondant leur
propos sur l’étude de deux métaanalyses, Bamberg et al. (2011)
mettent en avant la présence de preuves empiriques de
l’efficacité des incitations douces en matière de mobilité durable,
mais insistent dans le même temps très fortement sur les
nombreuses faiblesses méthodologiques de ces travaux,
pouvant mettre à mal la fiabilité des résultats. En particulier, les
auteurs soulignent que la question de l’inférence causale entre
la réduction observée de l’utilisation d’un mode de transport et la
mesure testée reste très discutable.
Thøgersen (2012) montre à son tour que, bien que parvenant
à réduire l’utilisation de la voiture particulière, l’effet d’une
mesure incitative douce telle que la mise en place d’une offre
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
83
promotionnelle temporaire garantissant un accès gratuit aux
transports en commun reste très limité et ne semble fonctionner
que sur les individus qui ont récemment opéré un changement
de lieu de résidence ou de travail. Ce résultat conforte de
précédentes recherches suggérant que les comportements
habituels des individus sont plus facilement influencés dans des
circonstances où ils subissent des changements majeurs dans
leur vie (Bamberg, 2006).
Kristal et Whillans (2020) passent en revue cinq expériences
de terrain ayant pour point commun la mise en place de nudges
pour réduire les déplacements en « autosolisme », et mettent
également en évidence la difficulté à changer les comportements
liés aux déplacements domicile-travail. Plus important encore, ils
interpellent sur la nécessité de publier l’ensemble des résultats
indépendamment du succès ou de l’échec de l’expérimentation
afin de construire des connaissances cumulatives non biaisées
sur la façon d’encourager la mobilité durable.
Richter et al. (2011) identifient quant à eux de nombreuses
lacunes dans l’état actuel des connaissances et en appellent à
entreprendre des recherches reposant de manière plus
systématique sur de la théorie. Parmi les besoins recensés en
investigations supplémentaires figurent la question des facteurs
pouvant expliquer la rémanence d’effets à long terme, l’étude
des possibles synergies entre mesures incitatives douces et
politiques plus classiques, ou, plus fondamentalement, la
clarification des mécanismes sous-jacents à l’efficacité d’une
incitation douce.
Cette clarification est en partie apportée par la contribution
théorique de Löfgren et Nordblom (2020). S’attachant à proposer
un cadre formalisé structurant de manière exhaustive le
processus décisionnel des individus, les auteurs aboutissent à la
production d’un plan à deux dimensions (niveau de confiance de
l’individu dans son choix inattentif en abscisse et degré
d’importance de la décision en ordonnée) permettant de prédire
les circonstances et les situations de choix pour lesquelles un
nudge est susceptible d’être efficace. Leur conclusion quant aux
comportements de mobilité est sans équivoque : « Si un
décideur (public) veut affecter de tels choix, une taxe ou une
interdiction sera probablement plus efficace que toute
intervention comportementale » (Löfgren et Nordblom, 2020)
7
.
Plus qu’une démonstration de la pertinence (ou non) des
nudges pour réorienter les comportements de mobilité vers des
choix plus durables, la mise en balance de l’ensemble de ces
travaux doit avant tout nous inviter à modérer les attentes des
7
« If a policy maker wants to affect such choices, a tax or even a ban will likely be
more effective than any behavorial interventions »
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
84
autorités publiques sur le pouvoir d’action de cet outil et à
envisager l’éventualité qu’il existe des options parfois plus
prometteuses (Gravert et Collentine, 2021).
2. Programme initial du projet [IMP]2ULCE
2.1 Ambition, objectifs, cible et problématique du
programme initial
L’idée du projet [IMP]2ULCE, initié au mois de septembre
2019, était de tester l’efficacité de mesures incitatives ciblées et
non financières comme alternative ou potentiel premier pas
à une politique fiscale nationale. Les objectifs du projet étaient
triples : analyser les déterminants de l’usage (et du non-usage)
de la voiture ; approfondir les mécanismes de prise de décision
des individus et identifier les freins au changement de pratique ;
apporter des recommandations en termes de politiques
publiques pour favoriser les usages alternatifs.
Résolument ancré dans une démarche interdisciplinaire, le
projet nourrissait également l’ambition d’explorer le sujet à
travers des entrées croisées et complémentaires, fondées sur
l’analyse sociospatiale et infocommunicationnelle de la mobilité,
et l’analyse qualitative et quantitative des comportements de
déplacement et d’adoption de nouvelles solutions de mobilité.
Sur le plan scientifique, l’enjeu était d’apporter un éclairage neuf
sur les mécanismes de prise de décision des individus en
matière de mobilité et sur les obstacles cognitivo-affectifs,
physiques et/ou logistiques au changement de pratiques, en
s’appuyant sur une coréflexion entre chercheurs en économie et
en sciences de l’information et de la communication (SIC).
Sur les plans politique et opérationnel, enfin, l’objectif était de
permettre des avancées dans l’aide à la décision,
l’accompagnement des décideurs publics, et la mise en place de
mesures mieux adaptées et davantage performantes (car
comptables des spécificités des territoires et de leurs habitants).
2.2 Enquête, suivi et traitement économétrique
S’inscrivant dans la lignée de travaux alliant économie
comportementale et mobilité durable, l’objet premier
d’[IMP]2ULCE était de mener une expérimentation de terrain
auprès d’entreprises et de collectivités territoriales localisées
dans les Hauts-de-France (132 sites sélectionnés, soit un
potentiel de 40 000 individus sondés quotidiennement durant 14
mois), portant sur les habitudes de mobilité quotidienne domicile-
travail des salariés et sur leur propension à modifier leur
comportement à la suite d’incitations non financières. Ces
entreprises, recrutées à l’automne 2019 par l’intermédiaire du
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
85
Réseau Alliances et de 2RAventure, tous deux partenaires et co-
initiateurs du projet, se veulent représentatives de la diversité du
territoire d’étude. Une fois sélectionnée, chacune d’elle désignait
un référent chargé (i) de participer aux groupes de travail
préparatoires à l’expérimentation ; (ii) d’émettre un avis et de
valider la nature et l’orientation des messages auxquels seront
soumis les salariés sondés ; et (iii) de s’assurer de la bonne
participation des salariés de son entreprise à la phase de suivi
expérimental en les incitant, en premier lieu, à télécharger
l’application support sur le téléphone multifonctions.
Téléchargeable dès le début du mois de mars 2020 sur les
plateformes Android et Apple, cette application mobile occupe
une place centrale, assumant le double rôle de « collecteur »
hebdomadaire des données d’enquêtes dimension traçage
numérique – et de canal privilégié de diffusion des in-app nudges
(voir section 3.3). Un soin particulier a donc été apporté dès sa
conception, notamment pour garantir une utilisation tout à la fois
ludique, intuitive et fluide. Ses éléments correspondent aux
caractéristiques d’un nudge comme étant « facile » à utiliser
(Thaler et Sunstein, 2008, p. 250).
En pratique, chaque salarié prenant part à l’expérimentation
renseigne à une fréquence hebdomadaire le parcours emprunté
et le mode de transport utilisé pour se rendre chaque jour à son
lieu de travail. Dans le même temps, les salariés appartenant à
l’un des groupes traités sont soumis chaque semaine à une
nouvelle incitation de type nudge, directement par l’application
ou, dans le cas du changement de présentation, sur leur site de
travail. À l’issue de la période de suivi de 10 mois, une analyse
économétrique des données était prévue afin de repérer de
possibles ruptures de tendance dans les habitudes de mobilité
pendulaire entre groupes traités et groupe de contrôle et, le cas
échéant, d’identifier le nudge ou la combinaison d’incitatifs à
l’origine de ce basculement.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
86
Figure 1 : Présentation générale de l’application mobile
2.3 Enquête idiographique
Des enquêtes idiographiques ont été conduites en parallèle.
La démarche idiographique met en exergue le point de vue
singulier (idios) d’un acteur-social lorsque celui-ci décrit (graphô)
son monde à lui. Cette singularité différencie un être humain d’un
autre au sein d’un groupe social. Sur le plan scientifique, la
démarche idiographique cherche à saisir ce que l’individu estime
« important » (meaningful), en fonction de son système de
valeurs, et/ou comment ce meaning-making participe à fabriquer
un monde perçu globalement comme plus ou moins cohérent
(sense-making) face à une situation-problème (Labour, 2016,
p. 182-193).
« "Idiographique" signifie que l’approche fournit une
représentation symbolique ou une description "épaisse" de
quelque chose d’autre. [...] Elle est riche en description
détaillée et limitée dans l’abstraction. » (Neuman, 2014,
p. 105)
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
87
La Repertory Grid du psychologue George Kelly (1955/1991)
met en place une démarche idiographique et prospective. Cette
grille est peu connue en France, mais assez bien développée au
Royaume-Uni et en Allemagne. La méthode repose sur des
entretiens permettant de formaliser les réponses de l’individu à
travers une matrice numérique. Cette matrice permet des études
statistiques non paramétriques des données, notamment par
l’analyse par clusters et par l’analyse en composantes
principales (ACP). Dans cette optique, une étude pilote de 10 a
été menée auprès des personnes qui effectuent des trajets
domicile-travail régulièrement. Elle avait pour but initial d’être
confrontée aux résultats économétriques (Morillon et Leleu-
Merviel, 2008).
3. Retour et analyse critiques : des
rationalités en conflit
3.1 Arrêt imprévu de toutes les mobilités
Il est d’une importance vitale pour la démarche scientifique
d’expliciter son processus et ses limites. C’est lors de l’analyse
de la logique du processus scientifique que le sens des résultats
8
peut émerger (Mercier et Oiry, 2010). Ce rappel aux impératifs
de la démarche scientifique s’est imposé aux chercheurs en
réponse à la crise sanitaire de la COVID-19. En effet, cette crise
et, plus encore, les mesures gouvernementales destinées à
enrayer la propagation du virus ont substantiellement modifié les
conditions de tenue et de suivi de l’expérimentation de terrain.
Le confinement imposé par les pouvoirs publics a fortement
contrarié son déroulement : initialement programmé pour la mi-
printemps 2020, le lancement de l’enquête fondée sur les in-app
nudges n’a cessé d’être reporté dans le temps. L’absence de
visibilité sur l’évolution du contexte sanitaire a finalement incité
une partie de l’équipe à ne pas poursuivre dans cette voie,
essentiellement par crainte de ne pouvoir, par la suite, garantir
une analyse scientifiquement rigoureuse.
Indépendamment de la faisabilité pratique de l’expérience et
du bouleversement du calendrier prévisionnel du suivi du travail,
c’est bien la possible rémanence de nouvelles habitudes dans
nombre de comportements des individus à l’issue de la crise
sanitaire qui soulève des interrogations. La crise sanitaire nous
obligeant de fait à repenser notre rapport aux autres et à la
promiscuité, les conséquences en termes de mobilité
quotidienne et de choix de mode de transport ne sauraient être
négligeables. Bien que portant sur la population chinoise,
l’enquête IPSOS réalisée à la mi-mars 2020 sur les choix des
ménages en matière de déplacements pour la période
8
Les résultats, voire les non-résultats.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
88
postconfinement révélait d’ailleurs tout à la fois une désaffection
pour les transports en commun et la tentation pour nombre
d’individus n’ayant à ce moment pas de véhicule privé d’en
acquérir un.
Notons par ailleurs que la survenue d’événements nouveaux
venant perturber le quotidien d’un individu est propice à
l’expérimentation de nouvelles pratiques et à la prise de décision
consciente (Verplanken et al., 2008). En cela, la crise sanitaire
de la COVID-19 et les épisodes de confinement, en rendant
impossible l’exécution automatique des habitudes de mobilité
(Ronis et al., 1989), a pu constituer, en soi, une expérience
propice à l’exploration d’alternatives.
La question scientifique de fond est alors la capacité réelle de
l’expérience (telle qu’élaborée avant la crise) à éclairer de
manière pertinente les choix individuels de mobilité des
personnes sondées. En particulier, l’une des difficultés majeures
aurait été de parvenir à identifier ce qui, dans les motifs de
décision invoqués par un répondant, relève de comportements
profondément ancrés dans ses habitudes (au point d’en devenir
des automatismes) ou, au contraire, d’un phénomène plus
éphémère directement lié à la « myopie conjoncturelle »
collective et contagieuse caractéristique des périodes de crise.
Finalement, bien qu’un travail approfondi d’adaptation et de
réécriture d’une partie des enquêtes ex-post eût sans doute
permis de contrôler un certain nombre de biais induits par le
contexte de crise, une part non négligeable d’incertitudes
demeurait, invitant les chercheurs à ne pas poursuivre
l’expérimentation initiale et à prendre le temps d’une réflexion
scientifique approfondie. Malgré tout, les partenaires
économiques ont poursuivi la collecte des données.
3.2 Collecte de données empiriques
Les partenaires économiques du projet ont finalement suivi
1 045 collaborateurs de 85 établissements différents (publics et
privés) pendant 54 semaines : quatre semaines de prétraitement
(enquête ex-ante), 40 semaines de traitement (nudges par
l’application mobile), 10 semaines de post-traitement (enquête
ex-post, du 5 octobre 2020 au 24 octobre 2021). Six formes de
traitement différentes ont été mises en place. Les quatre
premières passent par l’application mobile : la première diffusait
un message de type « appel moral (AM) » chaque lundi pendant
40 semaines, la deuxième un message de type « risque
9
de
perte (RP) » chaque lundi, la troisième combinait un AM le lundi
9
C’est bien ainsi qu’il est désigné par les partenaires économiques : « risque de
perte » et non « aversion à la perte ».
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
89
et un RP le jeudi. La quatrième forme de traitement reposait sur
la comparaison sociale (COS) : elle proposait un défi
hebdomadaire et invitait à « battre » ses concurrents. On peut
constater d’emblée un certain dévoiement des concepts
fondamentaux des nudges. En effet, le biais fondamental de la
comparaison sociale est un biais de conformisme : celui qui y est
sujet veut, à son insu, se comporter comme les autres au sein
de son environnement social. Il y a une différence marquée entre
un comportement de conformisme et le fait de battre ses
concurrents dans un défi. Cette différence n’a pas été maîtrisée
dans la sollicitation à laquelle les participants ont été soumis. La
Figure 2 propose la vue d’un écran de ce défi.
Figure 2 : Quelques vues du défi
La cinquième forme de traitement est dite « changement de
présentation » et consiste essentiellement en des affiches
réparties dans le lieu de travail. De la même manière, peut-on
affirmer qu’une affiche apposée sur le mur d’un couloir est un
nudge ? Pour qu’il s’agisse effectivement d’un nudge, un point
déterminant est la transitivité immédiate. Le nudge se manifeste
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
90
au moment même et sur le lieu de la prise de décision, et conduit
à un changement de comportement immédiat et direct.
L’affichage, en tant que tel, ne respecte pas ces conditions.
La sixième forme de traitement est un incitatif financier. Le
dernier groupe est un groupe contrôle qui n’est exposé à aucun
traitement. Les cohortes sont réparties comme indiqué dans le
Tableau 1.
Tableau 1 : Effectifs pour les six traitements
et le groupe contrôle
Les traitements comparaison sociale, changement de
présentation et incitatif financier ne donnent lieu à aucun report
de modalité transport. Ainsi, seule la diffusion de messages a
donné des résultats. Ces derniers sont indiqués dans le Tableau
2.
Tableau 2 : Résultats de report de modalité transport par
type de traitement
Même si les conditions ne sont pas réunies pour garantir la
rigueur scientifique de l’expérience initiale, et que, de ce fait, les
résultats mesurés sont entachés d’incertitude pour les raisons
indiquées ci-dessus, des résultats positifs apparaissent.
Cependant, ils ne sauraient être une preuve formelle de
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
91
l’efficacité des nudges, mais plutôt celle des campagnes de
communication persuasive. Les résultats indiquent que c’est une
exposition à un message qui s’est avérée fructueuse. Par
ailleurs, les relevés comportementaux montrent un changement
de modalité au début de la campagne, mais qui ne se poursuit
plus après. L’effet n’est donc pas continu sur la durée du
traitement. Cette observation conduit à se demander si ce n’est
pas la motivation intrinsèque des participants à l’expérience, et
non la campagne elle-même, qui les pousse à changer une fois
pour toutes dès le début, sous l’effet de l’observation mise en
place
10
.
3.3 Design de nudges picturaux
De fait, la phase préparatoire de l’expérimentation a
également révélé des divergences majeures de rationalité entre
chercheurs et partenaires économiques, notamment autour du
design des nudges picturaux. En effet, dans le cadre initial du
projet, des nudges originaux ont été conçus pour être
implémentés dans l’application mobile les trois types
d’architectures de choix, à la suite des travaux de Mele et al.
(2021, p. 957) portant sur le smart nudging, à savoir :
l’élargissement des ressources accessibles, le prolongement de
l’engagement et l’accroissement de la capacité d’agir. Durant
l’équivalent de neuf mois cumulés, deux stagiaires graphistes,
respectivement étudiantes en première année du parcours
« Scènes et images numériques » et en seconde année du
parcours « Design graphique et d’interaction » du master en
création numérique à l’Université Polytechnique Hauts-de-
France, ont eu à charge de réaliser 80 nudges ainsi qu’une partie
de l’habillage graphique des in-app nudges, projet supervisé par
un enseignant-chercheur
11
mais commandité par des
partenaires économiques. Le nombre arrêté arbitrairement à 80
nudges soulève un questionnement en soi. En effet, il est
probable qu’il n’existe pas, dans la réalité, 80 types de nudges
susceptibles de faire évoluer les choix modaux. Ce nombre
constitue déjà un indice conduisant à penser qu’il sagit en fait de
messages persuasifs et non de véritables nudges. Plusieurs
difficultés récurrentes l’ont confirmé au fur et à mesure de la
conception, notamment :
- Définir la différence entre nudge et publicité. Le cursus
des stagiaires étant orienté vers la communication
d’entreprise, le marketing et la publicité, il a été rapidement
nécessaire de définir en quoi le nudge diffère des types de
communication qu’elles étaient habituées à réaliser. Bien que
la publicité se caractérise par une dimension commerciale
10
Il s’agit de l’effet d’avoir été choisi pour participer à l’expérience (effet Hawthorne).
11
Il s’agit de Nicolas Lissarrague.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
92
qu’on ne retrouve pas chez les nudges, les deux ont en
commun le recours à la communication persuasive. Si un
message publicitaire a pour objectif de déclencher un acte
commercial (achat de bien ou de service), le nudge cherche
pour sa part à installer un comportement décrété plus
vertueux, ce qui peut, à certains égards, être considéré
comme une forme de « paternalisme libertaire » (Thaler et
Sunstein, 2008, p. 5).
- Éviter les messages qui ne mobilisent pas un biais
cognitif, comme indiqué en section 1.4. C’est notamment le
cas des « appels moraux » (par exemple, un message
indiquant que la consommation énergétique provoque le
réchauffement climatique et qu’il faut changer ses habitudes
sans préciser comment).
- Réaliser des nudges efficients au regard des contraintes
imposées par l’in-app nudge et l’écosystème de diffusion.
Comme toute application pouvant être visualisée sur de
nombreux formats d’écrans d’appareils de téléphone et de
tablette, il a été nécessaire de concevoir des nudges
« responsive », c’est-à-dire dont la taille peut s’adapter
automatiquement au terminal de l’utilisateur. Certains
appareils ayant des écrans assez petits, il a également été
nécessaire de travailler sur la lisibilité visuelle (lisibilité et taille
de la typographie, recours à des éléments graphiques
facilement identifiables, messages textuels courts) et sur la
production de fichiers légers pour ne pas rendre l’application
trop lourde, empêchant par exemple de réaliser des
animations ou des vidéos.
Chaque partenaire du projet ayant proposé des messages
servant de socle à l’élaboration des nudges, il a ensuite été
nécessaire de procéder à un tri pour répondre aux contraintes
précisées précédemment, ce qui semblait essentiel à l’équipe de
chercheurs, mais qui n’a jamais été admis par les partenaires
économiques. Certains messages ont dû être reformulés pour se
conformer à la définition du nudge (ex. « 1 plein d’essence = 1
bon resto à deux » a été modifié en « 1 plein d’essence = 1 bon
resto à deux : que préférez-vous ? ») afin de transformer leur
caractère purement informatif et déclaratif en une question qui
interpelle l’usager sous la forme d’une architecture de choix et
qui le presse d’y répondre, toujours en toute liberté.
D’autres messages ont être purement et simplement
écartés car trop éloignés d’un nudge. C’est le cas de « La voiture
augmente notre dépendance pétrolière. Et si vous passiez à la
marche ? », qui a été écarté pour son caractère très lointain et
ne faisant pas appel à un biais cognitif. « 48 000 décès par an,
c’est le coût des émissions polluantes des déplacements
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
93
automobiles. Pensez à vos enfants, passez au vélo ! » a
également été écarté, le chiffre avancé étant très discutable
12
et
relevant davantage d’une idéologie antivoiture que de faits
avérés.
Enfin, une dernière partie des propositions, bien que
correspondant à la définition du nudge, ne pouvait être exploitée
telle quelle et a être remaniée pour différentes raisons :
messages trop longs et difficiles à faire tenir sur un écran de
portable dans une taille de corps lisible, messages trop
techniques et usant d’un vocabulaire spécialisé, messages pas
assez percutants et directs, etc.
À l’issue de ce tri, une trentaine de messages ont pu être
conservés et utilisés comme socle pour élaborer les 80 nudges
requis par l’in-app nudge. Bien évidemment, il ne s’agissait pas
de décliner le texte proposé afin de le démultiplier et d’atteindre
l’objectif voulu. La cohorte des usagers de l’application est
hétérogène à de multiples niveaux : plus ou moins concernés par
l’écomobilité, davantage sensibles à une image ou à un texte, à
un graphisme simple et épuré ou plus complexe ; utilisant
différents modes de déplacements de façon plus ou moins
contrainte ; ayant des enfants ou pas, etc. La multitude des
facteurs a imposé de produire des nudges assez différenciés sur
le style comme sur le type de message selon deux axes : des
séries fondées sur un principe commun avec des déclinaisons
suffisamment hétérogènes les unes des autres et des
réalisations singulières. Une telle approche peut permettre de
mesurer ensuite, lors d’enquêtes individualisées, non seulement
l’influence ponctuelle dun nudge sur un utilisateur, mais
également l’influence d’une série sur la durée en fonction des
critères retenus : un utilisateur est-il plus réceptif à un message
si celui-ci est décliné durant plusieurs sessions sous différentes
formes (conformément au biais d’accessibilité, plus la
recommandation est répétée, plus elle est disponible en tant
qu’heuristique pour une décision intuitive et non raisonnée), ou,
au contraire, son influence s’amenuise-t-elle à force d’en répéter
le principe (par lassitude) ? Inversement, des nudges
systématiquement très hétérogènes à chaque session sont-ils
plus efficaces et peuvent-ils permettre d’isoler une efficacité
particulière sur le comportement en fonction du biais cognitif
impliqué (appariement biais cognitif/modification effective des
choix) ? Sur quel type de population un nudge uniquement
pictural est-il plus efficace qu’un nudge purement textuel ? Dune
manière générale, la question sous-jacente est : à message
équivalent, dans quelle mesure le design du nudge influe-t-il sur
12
Le site Slate a montré à quel point ce chiffrage était contestable :
http://www.slate.fr/story/132308/pollution-atmospherique-48000-morts-qui-dit-mieux
(consulté le 10/07/2022).
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
94
l’utilisateur (effet de présentation) ? À partir de ce principe et du
socle de propositions retenues et remaniées, les deux graphistes
ont élaboré les 80 nudges, mais un impondérable majeur a
modifié le cadre de leur conception et autorisé davantage de
liberté que prévu quant aux contraintes imposées par les in-app
nudges.
3.4 Nudges produits par les chercheurs pour
l’application numérique
Le résultat du travail des deux graphistes ne pouvant être
intégré ici in extenso, seuls quelques exemples caractéristiques
des séries par déclinaison du message textuel ou pictural sont
présentés ici : une image ou un texte est décliné pour produire
les différents nudges. Cette famille illustre directement une
architecture de choix, traduite tantôt par le texte (« Que préférez-
vous ? »), tantôt par le graphisme (icône
supprimer/sauvegarder). L’effet escompté repose ici
principalement sur le biais d’aversion à la perte : perte financière
dans les dépenses de carburant pour la première série, perte de
la santé dans la deuxième, perte écologique pour la troisième.
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
95
Figure 3 : Quelques vues des séries « aversion à la perte » :
série « Que préférez-vous ? », série « Devinez » et série
« Supprimer/sauvegarder »
3.5 Diversification des nudges produits
Comme indiqué précédemment, l’impact sur cette étude de la
COVID-19 et en particulier des confinements successifs a
malheureusement mis un coup d’arrêt brutal au projet tel
qu’envisagé initialement. Mais dans le strict cadre de
l’élaboration des nudges, ils ont permis aux graphistes de ne plus
être contraints par les exigences qu’imposait l’in-app nudge,
désormais obsolète, et de concevoir des nudges sur des
supports plus éclectiques, une liberté dont les deux graphistes
se sont volontiers emparés et qui a donné lieu à d’autres séries :
- Nudges reposant sur un effet de présentation, conçus
pour des supports différents (marque-page, badge, stylo…)
(Figure 4).
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
96
Figure 4 : Quelques nudges « effets de présentation » sur
objets (première ligne) et marque-pages (deuxième ligne)
- Nudges de présentation reposant sur une scénographie,
une mise en situation spécifique (Figure 5).
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
97
Figure 5 : Quelques nudges « effets de présentation » de
nature scénographique
Et bien évidemment, il était inévitable qu’un masque de
protection respiratoire soit transformé en nudge (Figure 6) !
Figure 6 : Un nudge conjoncturel sur masque lié
à la crise sanitaire
4. Analyse scientifique et politicoéthique
4.1 Un arrêt scientifiquement salutaire ?
Au bout du compte, cet arrêt forcé s’est avéré salutaire pour
l’étude sur le plan scientifique. Contraints d’en annuler la partie
empirique envisagée au départ, les chercheurs ont engagé une
réflexion qui a mis en évidence les limites de l’approche initiale.
La méthodologie soulève ainsi plusieurs problèmes :
D’abord, on peut imputer une éventuelle modification des
comportements de mobilité à tel ou tel nudge testé semaine après
semaine, sachant par ailleurs que de nombreux phénomènes
interviennent durant 40 semaines pour modifier les
comportements sans que ce soit dû à l’action des nudges (comme
la crise sanitaire, mais aussi des changements tarifaires ou dans
l’offre de transports, des grèves, des changements de situation
personnelle…).
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
98
Ensuite, en termes de nudge (un coup de pouce menant à un
changement de l’architecture des choix), le changement observé
dans les choix modaux est très difficile à interpréter en termes de
corrélation avec l’exposition au message. Ne peut-on pas tout
simplement penser que la « mise sous surveillance » à travers
l’application mobile motive le changement (effet Hawthorne), et
non le message ? La sélection non aléatoire des candidats amène
également à penser que les personnes acceptant le suivi
possédaient la motivation en faveur du transport alternatif au
préalable.
Enfin, l’application et l’incitation à la renseigner sont présentées
en termes de reports modaux vers les transports en commun ou
les mobilités douces ainsi que l’incitation explicite à contribuer à
des modes de transport décarbonés. Il n’est donc pas étonnant de
retrouver cette orientation dans les résultats.
Cette remise en question méthodologique s’est doublée d’un
questionnement sur les supports utilisés et d’une critique
éthicopolitique sur l’outil lui-même.
4.2 Messages finalement utilisés dans
l’expérimentation
Dans leur poursuite du projet sans les chercheurs, les
partenaires économiques ont finalement écarté tous les nudges
produits par les stagiaires sous pilotage de l’équipe scientifique et
ont fait appel à deux graphistes du secteur privé. La Figure 7
présente quelques exemples de production.
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
99
Figure 7 : Quelques exemples des nudges finalement
utilisés. De haut en bas et de gauche à droite :
1 « Seuls les millionnaires gagnent vraiment du temps en
voiture. Les autres ne font qu’effectuer des transferts entre
temps de travail et temps de transport » ;
2 « Prendre les transports en commun, c’est avoir le temps
d’apprendre une nouvelle langue » ;
3 « En circulant en voiture ou à moto, vous contribuez à la
pollution sonore. La marche, c’est moins bruyant » ;
4 « Une simple activité d’endurance comme une balade permet
d’augmenter le volume de l’hippocampe et lutter ainsi contre le
vieillissement cérébral ».
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
100
Encore une fois, le caractère de nudge des productions en
appui de l’expérience mérite discussion.
4.3 Smart nudges et traçage numérique : point de
vue éthicopolitique, enjeux et perspectives
Pour certains, comme Zuboff (2019-2020), l’année 2011 fut
une année charnière, tout au moins pour les sociétés
industrielles. La crise politicoéconomique engendrée par les
attentats aux États-Unis, comme l’effondrement des tours
jumelles du World Trade Center à New York, a suscité une
nouvelle logique économique fondée sur la surveillance
numérique, dont font partie les nudges. Ce constat fait suite à
l’étude de Zuboff (2019-2020) auprès de 586 experts en
mégadonnées (data scientists) de 19 entreprises américaines de
la Silicon Valley entre 2012 et 2013. L’étude met en évidence
comment des phénomènes socioéconomiques, tels que les
nudges produisant des traces numériques, peuvent devenir « un
récit plus exact de nos existences que ce que nous choisissons
de révéler de nous-mêmes » (Zuboff, 2019-2020, p. 25, 80).
Dans son ouvrage La traque informationnelle, Leleu-Merviel
(2017, p. 161) définit une trace comme « constituée à partir
d’empreintes laissées volontairement ou non dans
l’environnement à l’occasion d’un processus ». Ainsi,
l’élaboration de ce récit transforme des traces en données
prédictives à travers un processus qui incite (nudge), ajuste
(tune) et encourage des comportements grégaires (herd
13
) des
utilisateurs vers les intérêts des États et des très grandes
entreprises (Zuboff, 2019-2020, p. 25). Zuboff (2019-2020, p.
398) définit la notion de herd comme « une orchestration à
distance d’une situation humaine ». La dynamique qui préside à
la construction de ces données prédictives se trouve dans des
processus automatiques/informatiques portant sur « le vrai
monde, parmi des vrais gens et les vraies choses » (Zuboff,
2019-2020, p. 274-275).
La construction de ces données prédictives, portant sur un
marché inconnaissable, s’opère sur la constatation que de plus
en plus d’utilisateurs prennent des décisions d’achats, de
conseils et de consommation (ex. regarder un film) devant un
écran numérique. Dans ce contexte, le nudge numérique peut
13
En anglais, le mot herd signifie troupeau d’animaux : «" a
large group of animals of one kind kept together under human
control; a congregation of gregarious wild animals" »
(https://www.merriam-webster.com/dictionary/herd).
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
101
être personnalisé, aussi bien dans son contenu que dans le
moment opportun de l’envoi à l’utilisateur, pour accroître la
prédictivité des comportements. Cette personnalisation des
nudges peut s’effectuer par des expérimentations-tests A/B afin
d’établir quelle version est la plus performante auprès des
utilisateurs.
À moins de prendre des contre-mesures techniques,
l’utilisateur ne peut que laisser des traces constitutives des
nudges numériques – portant sur ses interactions, les lieux qu’il
visite, ce qu’il consomme dans le « vrai monde », ce quil
consulte. Ces traces peuvent être récoltées, par exemple, avec
des Web Bugs adossés à des cookies. Le Web Bug est une
forme publicitaire, comme une bannière ou un pop-up sur un site
Internet, qui traque ou espionne (avec un logiciel spyware) afin
d’anticiper (profiling) le comportement futur de l’utilisateur.
Typiquement, un Web Bug se présente comme un tag html, tel
que <img> (image) associé à la pseudo-image d’un pixel
invisible à l’écran, servant à activer un site espion extérieur. Pour
les téléphones multifonctions, des smart nudges existent à
travers des « in-app nudges » visant à inciter l’utilisateur à faire
ce que souhaite l’annonceur, comme le déclare une publicité des
in-app nudges.
« Les in-app nudges servent comme une aide, ou un
guide, au sein même d’une application, sans qu’ils soient
intrusifs pour l’utilisateur. Ces nudges se présentent
comme des conseils d’utilisation (tooltips), des messages
formatifs opportuns (coach marks), de mise en exergue
(spotlights) ou des bannières pour capter l’attention de
l’utilisateur (attention grabbing banners). De cette
manière, ces nudges incitent l’utilisateur à effectuer les
actions que vous souhaitez. Lorsque les nudges sont
associés à un système d’intelligence à base de données,
ils deviennent vos ‘‘bidouillages de croissance accélérée’’
(growth hacks) les plus importants (…) » (Ramanathan,
2021, paragraphe 5, traduit par les auteurs
14
)
Sur le plan scientifique, un champ qui associe étroitement les
technologies cognitives (« smart ») aux nudges est en train de
voir le jour (Mele et al., 2021, p. 953). Ainsi, le terme smart
nudging fait référence à l’usage des « technologies cognitives »
portant sur la prédictibilité des comportements humains sans que
la technologie limite les choix du décideur ou change les
incitations économiques existantes (Mele et al., 2021, p. 950).
14
« In-app nudges serve as a helper or a guide in the app without even the user
feeling intrusive. They are these small tooltips, coach mark, spotlight or attention
grabbing, banners, which guide users to do the actions you want them to do. When
combined with data-driven intelligence, these nudges become your biggest growth
hacks (…) »
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
102
Dans les technologies cognitives sont compris les éléments
informatiques chargés de transmettre la « cognition » à travers
un langage, l’apprentissage cognitif et des niveaux différents
visant l’amélioration de la compétence de l’utilisateur (Mele et al.,
2021, p. 950). Dans ce contexte, l’analyse qualitative de Mele et
al. (2021) de 15 études de cas, sur une durée de 15 mois (juin
2017 – octobre 2018), identifie la manière dont le smart nudging
offre aux utilisateurs un point de vue différent sur des problèmes
et des solutions potentielles. Le smart nudging augmente aussi
l’interaction et la collaboration entre l’utilisateur et les machines
dans l’identification et la résolution de problèmes (Mele et al.,
2021, p. 958).
L’analyse du design, de l’usage et des effets du nudging
inévitablement liés aussi au tuning et au herdings’inscrit dans
ce que Zuboff (2019-2020, p. 396) nomme économie d’actions
émergente. Cette économie s’appuie sur la programmation
informatique du flux d’expérience de l’utilisateur afin de canaliser
ses comportements, « suivant les stratégies et les intérêts
d’acteurs commerciaux autodécrétés et le vibrant cosmos des
marchés auxquels ils participent » (Zuboff, 2019-2020, p. 313).
Pour ce faire, l’économie d’action met en place une
« surveillance numérique » désignée par des termes flatteurs
comme l’Internet des objets, l’informatique ubiquitaire ou encore
l’informatique ambiante (Zuboff, 2019-2020, p. 274-275).
« Soumis à ce régime, l’informatique ubiquitaire n’est
pas seulement une machine qui sait ; c’est aussi une
machine qui suscite, destinée à produire plus de
certitudes – à notre sujet, et pour leur bénéfice. » (Zuboff,
2019-2020, p. 275)
L’expression « leur bénéfice » (Zuboff, 2019-2020, p. 275)
désigne les clients de l’industrie numérique, pour laquelle
l’utilisateur est la source des données que produisent les
nudges. Lorsque Zuboff (2019-2020, p. 275) parle de « produire
plus de certitudes à notre sujet », elle fait référence aux
utilisateurs du numérique, lesquels ont peu de contrôle sur
l’usage que font les entreprises de leurs données personnelles.
Dans le contexte de la surveillance numérique, il peut y avoir
un conflit d’intérêt, pour un prestataire de service, entre la vie
privée, l’anonymat d’un utilisateur et les exigences d’un état ou
d’une entreprise. En effet, les travaux comme ceux de Mele et
al. (2021) montrent comment le smart nudging peut directement
influencer le processus décisionnel et les comportements des
utilisateurs. N’y a-t-il pas un véritable danger de détournement
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
103
d’un nudge favorisant le bien-être en un sludge
15
(Thaler, 2018,
p. 431) exploitant délibérément certaines faiblesses des
utilisateurs ? Un exemple de sludge serait le renouvellement
d’un abonnement ne prévenant pas l’utilisateur, ou rendant
l’annulation (opt-out) de l’abonnement laborieux. Le but est de
décourager certaines actions de l’utilisateur au profit du plus
grand bien de l’entreprise (Zuboff, 2019-2020, p. 397). Ce cas
soulève, par exemple, les questions de confiance dans l’intégrité
des données concernant les utilisateurs, et la notion même de
« bienveillance » des nudges.
De fait, cette interrogation produit une réticence
compréhensible des populations à l’égard des nudges, au
moment même ils sont prisés par les politiques en
responsabilité. Alors que Barak Obama et David Cameron les
ont utilisés dès 2010, en France, Emmanuel Macron a démarré
leur mise en place lors de sa campagne présidentielle de 2017
et l’a accélérée avec la crise sanitaire de la COVID-19. Pourtant,
« c’est un outil qui peut être utilisé de manière un peu limite en
termes d’éthique », déclare la journaliste Audrey Chabal (2021).
Nul doute que cette question demandera une réflexion
approfondie à l’avenir. Une telle réflexion pourrait s’inspirer de
Thaler et Sunstein (2021, p. 125) lorsqu’ils abordent
implicitement les aspects de vigilance éthiques en posant quatre
questions de base dans l’élaboration des nudges : qui choisit ?
qui utilise ? qui paie ? qui profite ?
Conclusion
Il existe peu d’études en SIC portant sur le nudge et associant
les apports de l’économie comportementale : cette étude-ci
figure parmi les premières du genre. Une démarche
interdisciplinaire s’impose de plus en plus vu la vitesse de la
circulation des données et l’étendue de l’univers numérique
accessible à travers un téléphone multifonctions. Comme le
soulignent les travaux de Shin et al. (2015) portant sur l’urban
sensing (captation urbaine), le téléphone multifonctions est
maintenant un outil indispensable pour la collecte des données
des comportements des utilisateurs dans une ville en temps réel,
notamment pour la classification des différents modes de
transport (Shin et al., 2015, p. 77).
Le croisement de la formalisation mathématique et des
statistiques paramétriques des études économiques avec
l’analyse thématique et des statistiques non paramétriques des
SIC est une approche méthodologique innovante qui devrait
potentiellement fournir des résultats inédits lorsque les
15
Le terme sludge en anglais signifie un résidu épais et visqueux, ou
humide, qu’on trouve dans des déchets industriels.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
104
conditions permettront de mener au bout ce travail en toute
rigueur. Un tel croisement de regards permet de mieux rendre
compte de la complexité des acteurs sociaux dans leurs
diversités et leurs similitudes.
Cette étude formalise une catégorisation des nudges
fondée sur l’exploitation des biais cognitifs, tels que les
articule la littérature en psychologie. Il ne s’agit pas d’essayer
vainement d’imposer une définition canonique de ce qu’est un
nudge ou une façon de les catégoriser, mais plutôt d’expliciter
les implications épistémiques et éthiques des nudges
préconisés. Qu’en est-il enfin pour les snudges, c’est-à-dire
l’auto-nudge (Thaler et Sunstein, 2021, p. 121) lorsque l’individu
est son propre architecte de choix ? Un tel phénomène est-il à
encourager, au risque de créer une société chacun se
ghettoïse dans sa propre structure de choix ?
Références
Aarts, H., van Knippenberg, A. et Verplanken, B. (1997).
Habit, information acquisition, and the process of making travel
mode choices. European Journal of Social Psychology, 27, 539-
560.
Aguiléra, A., Guillot, C. et Rallet, A. (2012). Mobile ICTs and
physical mobility: Review and research agenda. Transportation
Research Part A, 46, 664-672.
Anagnostopoulou, E., Urbančič, J., Bothos, E. et al. (2020).
From mobility patterns to behavioural change: leveraging travel
behaviour and personality profiles to nudge for sustainable
transportation. Journal of Intelligent Information System, 54, 157-
178.
Anagnostopoulou, E., Bothos E. et al. (2018). Persuasive
Technologies for Sustainable Mobility: State of the Art and
Emerging Trends. Sustainability 2018, 10(7), 1-22.
Doi:10.3390/su10072128
Bamberg, S. (2006). Is a residential relocation a good
opportunity to change people’s travel behavior? Results from a
theory-driven intervention study. Environment et Behavior, 38(6),
820-840.
Bamberg, S., Fujii, S., Friman, M. et Gärling, T. (2011).
Behaviour theory and soft transport policy measures. Transport
policy, 18(1), 228-235.
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
105
Biel, A. et Dahlstrand, U. (1997). Pro-environmental habits:
Propensity levels in behavioral change. Journal of Applied Social
Psychology, 27, 588-602.
Blayac, T., Reymond, M. et Stéphan, M. (2020). Can digital
technologies induce behavioral changes in transportation
habits? Evidence based on user experience with the smartmoov
application. Revue d’économie industrielle, 4(172), 179-215.
Brisbois, X. (2010). Le processus de décision dans le choix
modal : importance des déterminants individuels, symboliques et
cognitifs. Thèse de doctorat en psychologie, Université Pierre
Mendès-France, Grenoble II.
Chabal, A. (2021). Souriez, vous êtes nudgé. Comment le
marketing infiltre l’État. Paris : Éditions du Faubourg.
Chorus, C. G. et Dellaert, B. G. (2012). Travel choice inertia:
the joint role of risk aversion and learning. Journal of Transport
Economics and Policy (JTEP), 46(1), 139-155.
Croson, R. et Treich, N. (2014). Behavioral Environmental
Economics: Promises and Challenges. Environmental and
Resource Economics, 58(3), 335-351.
De Moraes Ramos, G., Mai, T., Daamen, W., Frejinger, E. et
Hoogendoorn, S. P. (2020). Route choice behaviour and travel
information in a congested network: Static and dynamic recursive
models. Transportation Research Part C: Emerging
Technologies, 114, 681-693.
Désaunay C. et al., (2016). L’incitation aux comportements
écologiques. Les nudges, un nouvel outil des politiques
publiques. Publication de la Fabrique Écologique, Fondation
pluraliste de l’écologie, Futuribles, note n°12, janvier 2016.
Fetherston, J., Bailey, A., Mingardon, S. et Tankerskley, J.
(2017). The Pervasive Power of the Digital Nudge. Boston, USA :
Boston Consulting Group.
Gärling, T. et Axhausen, K. W. (2003). Introduction: Habitual
travel choice. Transportation, 30(1), 1-11.
Gravert, C. et Collentine, L. O. (2021). When nudges aren’t
enough: Norms, incentives and habit formation in public
transport usage. Journal of Economic Behavior et
Organization, 190, 1-14.
Hansen, P. G. et Jespersen, A. M. (2013). Nudge and the
manipulation of choice: A framework for the responsible use of
the nudge approach to behaviour change in public policy.
European Journal of Risk Regulation, 31(4), 1-28.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
106
Innocenti, A., Lattarulo, P. et Pazienza, M. G. (2013). Car
Stickiness: Heuristics and biases in travel choice. Transport
Policy, 25, 158-168.
Kahneman, D. (2003). A Perspective on Judgment and
Choice. Mapping Bounded Rationality. American Psychologist,
58(9), 697-720.
Kelly, G. A. (1955/1991). The psychology of personal
constructs. New York : Norton (réimprimé par Routledge,
Londres).
Kristal, A. S. et Whillans, A. V. (2020). What we can learn
from five naturalistic field experiments that failed to shift
commuter behaviour. Nature Human Behaviour, 4(2), 169-176.
Labour, M. (2016). Sens décisionnels et facteurs humains :
méthodologie et application. Saarbrücken, Allemagne : Éditions
Universitaires Européennes.
Leleu-Merviel, S. (2017). La traque informationnelle. Londres :
ISTE éditions.
Löfgren, Å. et Nordblom, K. (2020). A theoretical framework
of decision making explaining the mechanisms of
nudging. Journal of Economic Behavior and Organization, 174,
1-12.
Mele, C., Spena, T. R., Kaartemo, V. et Marzullo, M. L. (2021).
Smart nudging: How cognitive technologies enable choice
architectures for value co-creation. Journal of Business
Research, 129, 949-960.
Mercier, D. et Oiry, E. (2010). Le contexte et ses ingrédients
dans l’analyse de processus : conceptualisation et méthode.
Dans A. Mendez, Processus. Concepts et méthode pour
l’analyse temporelle en sciences sociales (p. 19-26). Academia
Bruylant : Louvain La Neuve.
Mirsch, T., Lehrer, C. et Jung, R. (2017). Digital Nudging:
Altering User Behavior in Digital Environments. 13th International
Conference on Wirtschaftsinformatik, 12-15 février 2017,
St. Gallen, Switzerland.
Møller, B. et Thøgersen, J. (2008). Car-use habits: An
obstacle to the use of public transportation? Dans C. Jensen-
Butler, B. Madsen, O. A. Nielsen et B. Sloth d.), Road pricing,
the economy, and the environment, 301-313. Amsterdam:
Elsevier.
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
107
Morgenstern, O. et Von Neumann, J. (1944). Theory of
Games and Economic Behavior. Princeton : Princeton University
Press.
Morillon, L. et Leleu-Merviel, S. (2008). Recueil et analyse de
données en sciences humaines et sociales, un panorama. Dans
S. Leleu-Merviel (dir.), Objectiver l’humain, Volume 1 :
qualification, quantification, 31-65. Londres/Paris : Hermès
Science Publication/Lavoisier.
Muller, J. (2017). Les nudges ou le gouvernement des
conduites 2.0. CREDOC, Centre de Recherche pour L’étude et
l’observation des conditions de vie, Cahier de recherche n° 340,
décembre 2017.
Neuman, W. L. (2014). Social Research Methods: Qualitative
and Quantitative approaches. Harlow: Pearson.
Ölander, F. et Thøgersen, J. (2014). Informing versus nudging
in environmental policy. Journal of Consumer Policy, 37(3), 341-
356.
Ouvrard, B. (2019). Les nudges pour améliorer
l’environnement en économie publique. Revue française
d’économie, 34, 3-60.
Pentland, A. (2013). The Data-Driven Society. Scientific
American, 309, 78-83.
Ramanathan, R. (2021). A Guide to Using Smart Nudges to
Enhance User Experience. Repéré à
https://www.apxor.com/blog/a-guide-to-using-smart-nudges-to-
enhance-user-experience
Richter, J., Friman, M. et Gärling, T. (2011). Soft transport
policy measures: Gaps in knowledge. International journal of
sustainable transportation, 5(4), 199-215.
Safire, W. (2008). On language. New York Times Magazine.
Schwanen, T. (2015). Beyond instrument: smartphone app
and sustainable mobility. European Journal of Transport and
Infrastructure Research, 15, 675-690.
Shin, D., Aliaga, D., Tunçer, B., Müller Arisona, S., Kim, S.,
Zünd, D. et Schmitt, G. (2015). Urban sensing: Using
smartphones for transportation mode classification. Computers,
Environment and Urban Systems, 53, 76-86.
Le nudge comme incitation aux mobilités alternatives, une
analyse technopolitique
108
Simon, H. A. (1956). Rational choice and the structure of the
environment. Psychological Review, 63(2), 129-138.
Simon, H. A. (1979). Rational decision-making in business
organizations. American Economic Review, 69, 493-513.
Simon, H. A. (1990) Bounded Rationality. Dans J. Eatwell, M.
Milgate et P. Newman (éd.), Utility and Probability, 15-18.
Londres : Palgrave Macmillan.
Staats, H. J., Wit, A. P. et Midden, C. Y. H. (1996).
Communicating the greenhouse effect to the public: evaluation
of a mass media campaign from a social dilemma
perspective. Journal of Environmental Management, 45, 189-
203.
Thaler, R. H. et Sunstein, C. R. (2021). Nudge. The Final
Decision. New Haven : Yale University Press.
Thaler, R. H. et Sunstein, C. R. (2008/2010). Nudge, la
méthode douce pour inspirer la bonne décision. Paris, Vuibert
(traduite de (2008) Nudge. Improving decisions about health,
wealth, and happiness, New Haven, Yale University Press).
Thaler, R. H. et Sunstein, C. R. (2008). Nudge. Improving
decisions about health, wealth, and happiness. New Haven: Yale
University Press.
Thaler, R. H. (2018). Nudge, not sludge. Science, 361(6401),
431.
Thaler, R. H. et Sunstein, C. R. (2003). Libertarian
Paternalism Is Not an Oxymoron. Public Law and Legal Theory
Working Papers, Working Papers no 43. University of Chicago
Law School, 1-45. Repéré à :
http://www.law.uchicago.edu/academics/publiclaw/index.html
Thogersen, J. (2012). The importance of timing for breaking
commuters’ car driving habits. Studies across Disciplines in the
Humanities and Social Sciences, 12, 130-140). Helsinki :
Helsinki Collegium for Advanced Studies.
Triandis, H. C. (1977). Theory of Interpersonal behavior.
Monterey : Books/Cole.
Tversky, A. et Kahneman, D. (1974). Judgment under
uncertainty: Heuristics and biases. Science, 185(4157), 1124-
1131.
Anne FOURNIER, Michel LABOUR, Nicolas
LISSARRAGUE, Sylvie LELEU-MERVIEL
109
Verplanken, B. et Aarts, H. (1999). Habit, attitude, and
planned behaviour: is habit an empty construct or an interesting
case of goal-directed automaticity? European Review of Social
Psychology, 10(1), 101-134.
Verplanken, B., Walker, I., Davis, A. et Jurasek, M. (2008).
Context change and travel mode choice: Combining the habit
discontinuity and self-activation hypotheses. Journal of
Environmental Psychology, 28(2), 121-127.
Zuboff, S. (2019-2020). L’Âge du capitalisme de surveillance.
Paris : Éditions Zulma.
ResearchGate has not been able to resolve any citations for this publication.
Article
Full-text available
This study aims to assess behavioral changes in transportation habits induced by real-time and multimodal information provided by a mobile application, SmartMoov. The users of SmartMoov (beta-testers) were selected on a voluntary basis. After three months of testing the mobile application in a living lab in Montpellier Méditerranée Métropole, we analyzed the beta-testers’ feelings and changes in transportation behavior. Although the beta-testers represented a unique population segment, econometric modeling shows that they were sensitive to the information provided by the application and used it to modify their mobility behavior. They were more likely to change their route and departure time than their transportation mode. While the average travel time and the safety margin affected overall mobility changes (i.e., mode, route, and departure time), there were additional factors that influenced changes in the route and departure time. Specifically, a gender effect was documented in the choice of departure time.JEL classification: R41, C25, O30.
Article
Full-text available
People make decisions and take actions to improve their viability everyday, and they increasingly turn to artificial intelligence (AI) to assist with their decision making. Such trends suggest the need to determine how AI and other cognitive technologies affect value co-creation. An integrative framework, based on the service-dominant logic and nudge theory, conceptualizes smart nudging as uses of cognitive technologies to affect people's behaviour predictably, without limiting their options or altering their economic incentives. Several choice ar-chitectures and nudges affect value co-creation, by (1) widening resource accessibility, (2) extending engagement , or (3) augmenting human actors' agency. Although cognitive technologies are unlikely to engender smart outcomes alone, they enable designs of conditions and contexts that promote smart behaviours, by amplifying capacities for self-understanding, control, and action. This study offers a conceptualization of actors' value co-creation prompted by AI-driven nudged choices, in terms of re-institutionalizing processes that affect agency and practices.
Article
Full-text available
We present a theoretical model to clarify the underlying mechanisms that drive individual decision making and responses to behavioral interventions, such as nudges. The model provides a theoretical framework that comprehensively structures the individual decision-making process applicable to a wide range of choice situations. We also identify the mechanisms behind the effectiveness of behavioral interventions-in particular, nudges-based on this structured decision-making process. Hence, the model can be used to predict under which circumstances, and in which choice situations, a nudge is likely to be effective.
Article
Full-text available
Travel information has the potential to influence travellers choices, in order to steer travellers to less congested routes and alleviate congestion. This paper investigates, on the one hand, how travel information affects route choice behaviour, and on the other hand, the impact of the travel time representation on the interpretation of parameter estimates and prediction accuracy. To this end, we estimate recursive models using data from an innovative data collection effort consisting of route choice observation data from GPS trackers, travel diaries and link travel times on the overall network. Though such combined data sets exist, these have not yet been used to investigate route choice behaviour. A dynamic network in which travel times change over time has been used for the estimation of both recursive logit and nested models. Prediction and estimation results are compared to those obtained for a static network. The interpretation of parameter estimates and prediction accuracy differ substantially between dynamic and static networks as well as between models with correlated and uncorrelated utilities. Contrary to the static results, for the dynamic, where travel times are modelled more accurately, travel information does not have a significant impact on route choice behaviour. However, having travel information increases the travel comfort, as interviews with participants have shown.
Article
Full-text available
Across five field experiments with employees of a large organization (n = 68,915), we examined whether standard behavioural interventions (‘nudges’) successfully reduced single-occupancy vehicle commutes. In Studies 1 and 2, we sent letters and emails with nudges designed to increase carpooling. These interventions failed to increase carpool sign-up or usage. In Studies 3a and 4, we examined the efficacy of other well-established behavioural interventions: non-cash incentives and personalized travel plans. Again, we found no positive effect of these interventions. Across studies, effect sizes ranged from Cohen’s d = −0.01 to d = 0.05. Equivalence testing, using study-specific smallest effect sizes of interest, revealed that the treatment effects observed in four out of five of our experiments were statistically equivalent to zero (P < 0.04). The failure of these well-powered experiments designed to nudge commuting behaviour highlights both the difficulty of changing commuter behaviour and the importance of publishing null results to build cumulative knowledge about how to encourage sustainable travel. Kristal and Whillans conducted five field experiments (n = 68,915) designed to increase sustainable commuting using standard behavioural science tools. The interventions’ failures highlight the difficulty of changing commuter behaviour using this approach.
Book
Qu’est-ce que la couleur ? Que signifie « la bourse clôture en baisse de 5 % ce soir » ? Comment se définit un téléspectateur ? Comment le sens vient-il à l’image ? C’est à ces questions banales ou célèbres que répond La traque informationnelle.Un jeu, un divertissement récréatif sous forme de saynète fictionnelle, des énigmes et de multiples exemples viennent concrétiser les concepts et/ou les exposés théoriques présentés dans cet ouvrage, rendant l’approche plus intuitive et plus digeste. L’ensemble entend revisiter le processus informationnel ; la « donnée » en forme le pivot.Au plan scientifique, la perspective épistémologique est celle d’une « relativité radicale ». Dès lors, tout comme la trace qui porte en elle le spectre du processus qui l’a engendrée, la quête informationnelle relève de la traque de sens, où les « échafaudages interprétatifs » permettent d’inférer des réalités plausibles.
Article
In a large-scale natural experiment with over 14,000 individuals, we investigate whether public transport usage can be influenced by social norms and by economic incentives. Despite their effectiveness in other domains, we find a tightly estimated zero for descriptive social norms on ridership. Increasing the economic incentive, by doubling the trial period, significantly increases uptake and long-term usage. This increase is sustained for months after removing the incentive. The effect is mainly driven by initial low users, which is evidence for habit formation and highlights the heterogeneous effects of the policy. While there is scope for long-term behavior change, norm nudges might not be the most promising approach.
Article
Nudges to Improve the Environment in Public Economics In recent years, the literature on nudges to improve environmental quality has gained a lot of attention with the publication of numerous field experiments and the development of theoretical models. By comparing the empirical literature to the theoretical models elaborated, we discuss the main results, but also the main limits of these approaches. In particular, although the first empirical studies seemed to indicate encouraging results following the introduction of nudges, more recent studies exhibit much more nuanced results with, for some of them, no effect of these instruments. Moreover, the current theoretical models, although being a first step, do not yet allow us to understand in a detailed way the psychology of the agents targeted by nudges.
Article
Alors que la division du travail était le principe organisateur de la société industrielle, c’est la division du savoir qui organise la société numérique. Mais elle est prise en otage par le capitalisme de la surveillance qui traduit l’expérience humaine en données informatiques à son profit. Un tel mouvement historique exige une réponse démocratique.