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Reconsidérer l’éclairage muséographique [Reconsidering museum lighting]

Authors:
  • Paris-Saclay University

Abstract

L’éclairage des musées apparaît comme un angle mort de la muséologie, où il est le plus souvent considéré comme un facteur de dégradation à maîtriser pour respecter les normes de conservation préventive. Pourtant, les professionnels de l’éclairage muséal revendiquent depuis plusieurs années l’étendue de ce qui est possible avec la lumière, au-delà de protéger et de valoriser les expôts : contribuer à la manière dont les visiteurs perçoivent et reçoivent ces expositions. Dès lors, la question des applications de l’éclairage au musée se pose. Comment la lumière naturelle et artificielle pourrait-elle être considérée sous d’autres perspectives que ses fonctions techniques en muséologie ? Cet article présente et discute les résultats d’une enquête qualitative menée auprès de vingt-et-un musées d’art en Europe. Les conclusions concordent avec la littérature en matière de conservation préventive, mais soulèvent aussi d’autres applications possibles comme l’interprétation et la médiation par la lumière. Ces résultats ouvrent la voie d’une réflexion en muséologie sur les usages communicationnelle de la lumière et suggèrent de nouvelles pistes d’étude de l’éclairage en tant que dispositif stimulant à part entière l’expérience et la compréhension des visiteurs.
ICOFOM Study Series
50-2 | 2023
SpacesforGlobalMuseology
Reconsider l’éclairage muséographique
Reconsidering museum lighting
VivianaGobbato
Éditionélectronique
URL : https://journals.openedition.org/iss/4806
DOI : 10.4000/iss.4806
ISSN : 2306-4161
Éditeur
ICOM - International Council of Museums
Éditionimprimée
Date de publication : 30 mai 2023
Pagination : 123-135
ISSN : 2309-1290
Référenceélectronique
Viviana Gobbato, « Reconsider l’éclairage muséographique », ICOFOM Study Series [En ligne], 50-2 |
2023, mis en ligne le 30 mai 2023, consulté le 07 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/iss/
4806 ; DOI : https://doi.org/10.4000/iss.4806
Tous droits réservés
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Reconsider l’éclairage muséographique
Viviana Gobbato
Arc de triomphe, Centre des monuments nationaux – Paris, France
Laboratoire Cerlis
(Université de Paris/Université Sorbonne Nouvelle/CNRS)
C’est la qualité de l’éclairage qui fera le bon musée.
Auguste Perret
Résumé
L’éclairage des musées apparaît comme un angle mort de la muséologie, où
il est le plus souvent considéré comme un facteur de dégradation à maîtriser
pour respecter les normes de conservation préventive. Pourtant, les
professionnels de l’éclairage muséal revendiquent depuis plusieurs années
l’étendue de ce qui est possible avec la lumière, au-delà de protéger et de
valoriser les expôts: contribuer à la manière dont les visiteurs perçoivent
et reçoivent ces expositions. Dès lors, la question des applications de
l’éclairage au musée se pose. Comment la lumière naturelle et artificielle
pourrait-elle être considérée sous d’autres perspectives que ses fonctions
techniques en muséologie? Cet article présente et discute les résultats d’une
enquête qualitative menée auprès de vingt-et-un musées d’art en Europe.
Les conclusions concordent avec la littérature en matière de conservation
préventive, mais soulèvent aussi d’autres applications possibles comme
l’interprétation et la médiation par la lumière. Ces résultats ouvrent la
voie d’une réexion en muséologie sur les usages communicationnelle de
la lumière et suggèrent de nouvelles pistes d’étude de l’éclairage en tant
que dispositif stimulant à part entière l’expérience et la compréhension des
visiteurs.
Mots clés : éclairage, musée, collection, médiation, lumière
Abstract
Reconsidering museum lighting. Museum lighting appears to be a blind
spot in museology, as it is most often considered a factor in the deterioration
of the works to respect the standards of preventive conservation. However,
for the past thirty years, museum lighting professionals have been
expanding the extent of what is possible with light, beyond protecting
and enhancing the exhibits, to contribute to the way visitors perceive and
receive the exhibitions. How can museology better consider the question
of lighting applications in museums? This article presents and discusses
ndings from a qualitative survey of twenty-one art museums in Europe.
The ndings are consistent with the literature on preventive conservation,
but also raise other possible applications, such as interpretation and
mediation with light. These results open a way of thinking in museology
about the communicational uses of light and suggest new avenues for study
of lighting as a device that stimulates the experience and understanding of
visitors.
Keywords: lighting, museum, collection, mediation, light
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Les muséologues, ont-ils négligé la notion d’éclairage au musée ? entendu comme
«l’art de maîtriser la lumière an de répondre à une demande d’ordre social, culturel ou
historique» (Ezrati, 2022, p.209).La littérature de référence met en évidence un fait: il
apparaît une fracture, voire un retard, entre le savoir développé par les professionnels de
la lumière et les chercheurs du musée. Les muséologues ont longuement réduit la lumière
à un élément technique et fonctionnel. Pourtant, aujourd’hui, de nouvelles technologies
et méthodes de recherche (Schmitt, 2015) permettent d’étudier autrement l’inuence de
la lumière sur l’expérience et la construction de sens des visiteurs. Il émerge alors que
l’éclairage n’assure pas que des fonctions techniques, mais aussi cognitives (construction
de sens), ostensives (monstration de l’espace et de l’œuvre, restauration visuelle) et
esthétiques (stimulation d’états sensibles et contemplatifs).
Les professionnels de la lumière ont mûri une connaissance spécialisée et technique
sur l’éclairage, au point d’élire les gures du concepteur lumière et de l’éclairagiste (les
lighting designers) en tant que les spécialistes de référence (Kelly, 1952; Lam, 1977 ;
Lemaigre-Voreaux, 1991; ACE, 2017). Ces architectes de lumière sont reconnus depuis
les années1960 aux États-Unis et depuis les années1980-1990 en Europe. Certains se
sont par ailleurs exercés à une théorisation de leur pratique ce qui se traduit par la
dénition d’un langage et d’une sémiotique d’éclairage (Pasetti, 2003; Innes, 2012; Ezrati,
2014). Aujourd’hui, des organisations internationales comme l’International Association
of Lighting Designers (IALD), l’Illuminating Engineering Society (IES), ou encore Women
in Lighting promeuvent le travail de ces designers de la lumière. Leur expertise témoigne
d’un usage de l’éclairage en tant que média: cela permet certes de préserver les expôts,
mais aussi de participer étroitement à l’ambiance du rendu esthétique, et à l’expérience
des publics.
Pourtant, cette réalité n’intéresse encore que peu les chercheurs qui étudient le musée.
Bien que certains experts aient pointé assez tôt l’intérêt de l’éclairage comme facteur
d’expérience pour les visiteurs (Gilman, 1918, p. 163; Cellerier, 1931; Nakamura et
al., 1936), les muséologues ont essentiellement développé une connaissance technique
qui concerne plus particulièrement la conservation préventive. De ce fait, la lumière
naturelle et articielle fait l’objet de normes et de standards adoptés internationalement
dès les années 1940-1950 (ICOM, 1953; ICOM, 1971; CIE, 2004). Elle est en eet
un facteur qui inuence l’environnement du musée et qui peut grandement fragiliser les
matériaux (Thomson, 1978 ; Brill, 1980; Bergeron, 1992). La lumière doit donc être
maîtrisée par des seuils spéciques selon la nature des collections et les caractéristiques
des sources(Ambrose et Paine, 1993; Cuttle, 2007). Par conséquent, depuis le milieu du
xxe siècle, l’éclairage est surtout devenu un synonyme de danger à maîtriser, plutôt qu’une
opportunité à développer.
Plus rarement, certains théoriciens intègrent l’éclairage comme un élément participant au
système de communication au sein de l’exposition (McLuhan, Parker et Barzun, 1969).
André Gob et Noémie Drouguet considèrent l’éclairage comme «un moyen de mise en
valeur » (Gob & Drouguet, 2014, p. 202), ainsi qu’un élément de « communication
important» (Gob & Drouguet, 2021, p.186). Selon Élisabeth Caillet, il « modèle l’objet
alors réellement donné à voir » (Caillet & Lehalle, 1995, p. 276-277). D’après Serge
Chaumier et François Mairesse, l’éclairage peut participer à une mise en ambiance, qui
seraitporteuse de signes et se présenterait « comme forme de médiation » (Chaumier
& Mairesse, p.2013, p.55). Après une étude réalisée au Quai Branly, Octave Debary
et Mélanie Roustan (2012, 72p.) ont observé comment l’ambiance sombre au sein des
collections inuence profondément l’expérience de visite. D’autres études plus spéciques
sur l’éclairage muséal au croisement de disciplines techniques et humaines ont également
étaient mené. Par exemple, Michael Katzberg (2009) en questionne l’usage dans les
expositions d’art contemporain qui montrent des œuvres réalisées avec le média lumière.
Un autre regard hybride entre technologie et musée est également développé par les
chercheurs en architecture. Selon Thomas Schielke (2019 ; 2020), l’éclairage contribue
notamment à fonder une sémiotique et des typologies de scénographies lumineuses.
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La révolution admise par la LED ouvre également à un nouveau champ d’application
prometteur pour mieux connaître la lumière et son potentiel au musée (Ulas, 2021). Par
ailleurs, si dans les années1990, Falk et Dierking soulignaient la diculté à saisir l’inuence
et l’impact de l’éclairage avec les méthodes d’enquête traditionnelles (1992, p. 100),
ces enjeux s’atténuent davantage aujourd’hui avec les nouvelles technologies d’enquête
(eye-tracking, numérique, réalité virtuelle). D’autres études récentes au croisement entre
la technique et les arts révèlent l’inuence de l’éclairage sur l’appréciation des œuvres
(Feltrin et al., 2020), ainsi que sur la construction de sens des visiteurs (Gobbato et al.,
2021). Ces recherches plus récentes permettent une meilleure compréhension de l’inuence
de la lumière. Cela témoigne également de l’émergence d’une pensée théorique sur la
possibilité de développer des médiations lumineuses. Considérer encore l’éclairage comme
un dispositif strictement technique ne semble donc plus sure.
En eet, il manquait un axe d’études sur les applications concrètes au sein des musées,
qui pouvaient étoer l’intérêt possible de la muséologie sur ces questions. Saisir les
motivations et les logiques de la mise en lumière muséographique permettait à notre sens
de compléter une réexion théorique dans le champ de recherche en muséologie, ainsi
que de questionner comment les pratiques muséales pourraient enrichir cette réexion.
Cet article repose sur une étude de terrain réalisée au sein de vingt-et-une institutions
d’arts en Europe.1 Il expose et analyse les résultats issus d’entretiens qualitatifs avec vingt-
quatre responsables d’institutions (conservateurs, commissaires, régisseurs, éclairagistes),
ainsi que certains professionnels prestataires qui ont participé à des projets d’éclairage
dans ces mêmes institutions (concepteurs lumière et éclairagistes, bureaux d’études,
cabinets d’architecture). Cette recherche n’a certes pas de vocation à être exhaustive, mais
permet d’ouvrir des pistes de réexion sur l’intérêt de la lumière en tant qu’objet d’études
muséologiques.
Méthodes et outils de recherche
Notre recherche se fonde sur un Grand Tour muséal d’installations d’éclairage naturel et
articiel en Europe. Une perspective internationale a en eet été souhaitée être conférée,
ce qui a permis d’aller à la rencontre de diérentes politiques possibles de gestion muséale
des collections et de techniques d’éclairage.
Cette enquête mobilise la méthode des entretiens semi-directifs (Blanchet, Ghiglione &
Trognon, 2013; Kaufmann, 2011; Blanchet, Gotman & de Singly, 2006). Les éléments
qui ont émergé ont été ensuite couplés d’une observation des installations d’éclairage.
Les vingt-quatre responsables rencontrés se répartissent en huit corps de métier : sept
conservateurs de l’architecture ou des collections ; quatre responsables de l’éclairage
internes à l’institution; quatre prestataires sur des projets d’aménagement architectural
et d’éclairage de trois institutions ; trois responsables du design de l’architecture, des
expositions ou du bâtiment; deux régisseurs; deux commissaires; une responsable de site
et une responsable des publics. L’apport des conservateurs est ainsi plus important.
Le corpus étudié correspond à une sélection de musées et d’institutions patrimoniales
qui se fonde sur trois enjeux: (i)la présence de collections d’œuvres d’art diérentes;
(ii)l’existence de systèmes d’éclairage permanent signés par des stararchitectes; (iii)ou
1 Le corpus correspond à une partie des institutions muséales et patrimoniales sélectionnées par l’auteure
lors de ses recherches de doctorat en muséologie sur l’éclairage muséographique (thèse soutenue en 2022,
sous la dir. du professeur François Mairesse, Université Sorbonne Nouvelle). Il s’agit de l’Altes Museum
(Berlin), du Bode Museum (Berlin), du Ludwig Museum (Cologne), de BOZAR (Bruxelles), du MACBA
(Barcelone), du Guggenheim Museum (Bilbao), du Musée d’arts (Nantes), du Centre Pompidou (Paris), du
Musée du Louvre (Paris), du Musée des Beaux-Arts Antoine Lécuyer (Saint-Quentin), du Musée Soulages
(Rodez), de la Maison La Roche (Paris), de la Bourse de Commerce (Paris), du British museum (Londres),
du Sir John Soane’s Museum (Londres), du Museo Antonio Canova (Possagno, Trévise), du Museo di
Castelvecchio (Vérone), de la Galerie des Oces (Florence), de la Scuola Grande di San Rocco (Venise), du
MAXXI (Rome) et du Nationalmuseum (Stockholm).
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qui ont marqué l’histoire de l’architecture et de l’éclairage muséographique. Cela a permis
d’observer différentes techniques d’éclairage et pratiques de gestion selon l’exposition à la
lumière naturelle, aux sources artificielles et aux matériaux des expôts.
L’éclairage technique : entre danger et contrainte
Tout d’abord, il faut reconnaître que l’éclairage est encore considéré principalement dans la
perspective de la conservation préventive par les responsables des musées. Cette première
partie restituera ainsi une description de la façon dont les conservateurs considèrent leurs
eorts d’atténuation, avant d’envisager d’autres possibilités d’éclairage. Notons néanmoins
tout au long de cette section que les normes de conservation préventive en lien à l’éclairage
ont un réel impact sur l’aménagement et les politiques de gestion des collections: éclairer
le musée, c’est aussi le structurer visuellement et organiser des pratiques d’exposition.
À l’abri de la lumière naturelle
La lumière naturelle se dénit par un caractère changeant qui apporte une dynamique par
rapport à la lumière articielle, mais également un certain nombre de contraintes. Elle
oblige les responsables des musées à modier leurs politiques d’exposition permanente.
Pour pallier la recherche d’un éclairage respectueux des normes, le premier réexe muséal
consiste eectivement à limiter son exposition. Cela émerge surtout en raison de certaines
expositions directes dues aux climats régionaux (lumière méditerranéenne, ou nordique, à
certaines heures de la journée ou périodes de l’année).
Les conservateurs se confrontent aussi à la tendance contemporaine curatoriale de combiner
diérentes typologies artistiques – et donc des matériaux présentant diérentes sensibilités
à la lumière. En conséquence, les musées créent des espaces spéciquement dédiés à un
ensemble d’œuvres fragiles – telles que les dessins, les aquarelles et les photographies. Ces
espaces sont modulés pour exclure ou diminuer les sources naturelles. Par exemple, au
musée Soulages à Rodez, les notes préliminaires de l’étude de programmation illustrent
également deux types d’éclairages pour le musée: des espaces à lumière articielle et des
espaces à lumière naturelle. Les espaces à lumière articielle sont spéciquement conçus
pour les œuvres peintes sur papier (gouache, encre, brou de noix) et l’œuvre imprimée
de Soulages (eaux-fortes, lithographies). Les espaces éclairés avec une lumière naturelle
sont, quant à eux, dédiés aux vitraux de Conques, aux salles de peintures et à l’exposition
temporaire.
Une autre solution se trouve donc dans l’interdiction de certains médiums artistiques dans
les espaces bénéciant d’un éclairage naturel. Par exemple, au troisième étage du Museum
Ludwig, la salle présentant un éclairage par des baies vitrées expose aujourd’hui – après
des négociations de la part de la conservatrice exclusivement des matériaux non sensibles,
comme des sculptures de bronze. Le choix de rotation des collections émerge comme
une autre solution possible. Cette politique prend en compte la Dose Totale d’Exposition
(DTE), c’est-à-dire le niveau d’éclairement reçu par un objet en rapport au volume horaire
annuel de son exposition (Ezrati, 2022, p.221).
Une recherche de exibilité
Il existe également toute une gamme d’accessoires et de dispositifs qui permettent au
système d’éclairage muséal, naturel et articiel, d’être exible avec moins de contraintes
architecturales. Des ltres, des stores, des rideaux, des tôles ou encore des morceaux de
caoutchouc en fonction de leur opacité permettent d’occulter totalement ou graduellement
la quantité de lumière naturelle dans l’espace. Par exemple à l’Altes Museum, une portion
d’une galerie présentant des sarcophages et des urnes funéraires étrusques polychromes
(3e-2e siècles avant J.-C.) bénécie d’un environnement où des rideaux totalement occultant
créent une ambiance plus tamisée. Au Bode Museum, les salles exposant les pièces en
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ivoire ont aussi été occultées de toute lumière naturelle par des rideaux opaques du fait du
matériau sensible exposé.
Pour certaines collections spéciques, le choix de faire construire des vitrines sur mesure
permet également des actions de préservation. Certaines sont dotées d’un écran partiel de
verre dépoli, absorbant et ltrant la lumière naturelle. Cette solution est visible à l’Altes
Museum, où une vitrine dans la troisième salle au deuxième étage présente dix portraits
de momies de tombeaux romains d’Égypte (250-60 avant Jésus-Christ). La vitrine y est
adossée à la fenêtre, protégeant ainsi les objets de la lumière. Les ouvertures latérales sont
équipées de stores blancs semi-opaques et, pour les salles au deuxième étage exposées sud,
les pans de verre sont aussi équipés de ltres opaques blancs semi-occultant. Il existe ensuite
d’autres aménagements qui visent à maintenir un environnement spécique et exclure la
lumière naturelle. Ces vitrines sont fabriquées à partir de verres conçus pour absorber les
rayons et intègrent un système de tiroirs ou d’espaces liés à au système d’éclairage intégré,
ce dernier est quant à lui connecté à des timers, des capteurs de présence ou à un mécanisme
d’ouverture des tiroirs. Ces systèmes se trouvent par exemple au Nationalmuseum de
Stockholm et au Bode Museum pour des objets et des œuvres graphiques et textiles.
Une autre possibilité concerne l’installation de protocoles de gestion dynamique. Plus ou
moins sophistiqués, impliquant la lumière du jour ou uniquement la lumière articielle,
ces systèmes consentent les responsables à contrôler l’éclairage (avec un logiciel ou une
application), et donc l’environnement de l’exposition. Parmi l’ensemble des institutions
étudiées, la moitié possède un système d’éclairage dynamique, partiel ou total. Au sein
des moyens et des grands musées, ces systèmes sont donc assez communs. Cependant,
ces utilisations représentent moins la réalité muséale des petits musées. Cela rend compte
d’une réalité de terrain les solutions de gestion dynamique des sources de lumière
naturelle et articielle paraissent prometteuses, mais encore peu accessibles et maîtrisées.
Pour résumer, quelle que soit l’application adoptée pour maîtriser la lumière, l’institution
d’art n’hésite pas à modier l’architecture et l’aménagement de son parcours, adopter des
politiques de gestion des collections ou à investir sur des équipements pour des questions
strictement liées à l’éclairage. Cela fait écho aux recommandations présentes dans les
manuels de muséologie, diusés largement dès les années1990.
Une telle résonance indique néanmoins que l’éclairage n’est pas un épiphénomène du
musée pouvant être réduit à quelques considérations en muséologie. À l’inverse, il modie
profondément l’architecture et l’aménagement spatial de l’exposition dès la conception
du bâtiment ce qui a aussi des conséquences sur le parcours de visite. L’éclairage
inuence également la prise de décision concernant la gestion des collections en matière
d’exposition et de rotation. Ces enjeux ne sont que très peu présents dans la littérature
bien que quelques fondateurs comme Benjamin Ives Gilman (1918), Jean Gabus (1965)
ou encore Georges Henri Rivière (Weis, 1989) portaient une grande attention à l’éclairage
muséographique. Les muséologues seraient-ils peut-être plus sensibles à la question en
établissant un lien direct entre la lumière, l’exposition et les visiteurs par leur pratique sur
le terrain? L’éclairage même lorsqu’il est traité comme un dispositif purement technique
comporte en eet des conséquences formelles, organisationnelles et spatiales majeures
comme cela émerge de notre étude.
L’éclairage communicatif : éclairer pour révéler
Au-delà de protéger les expôts, notre enquête met également en évidence une autre réalité
étroitement liée à notre problématique. Il s’agit de la possibilité de communiquer, de faire
vivre une expérience, voire de participer à une médiation lumineuse par le déploiement
de certains dispositifs d’éclairage. De telles pratiques démontrent une utilisation diérente
possible par la lumière, et les muséologues peuvent apprendre et contribuer à l’ensemble
de la recherche.
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Raconter avec la lumière
Au-delà de protéger, l’éclairage se présente pour certains responsables de musée comme une
opportunité d’investir les cadres communicationnels de l’œuvre et de l’exposition. C’est
alors un dispositif narratif, entendu ici, un procédé technique au service de l’intelligibilité,
de l’interprétation ou de la compréhension d’un expôt. Michael Katzberg et Thomas
Schielke, chercheurs et praticiens de l’éclairage, ont déjà entamé une passerelle entre
les enjeux techniques, les rendus esthétiques et les réexions théoriques sur la lumière
muséale. Katzberg (2009) évoque, par exemple, une fonction formatrice de l’éclairage
pour les œuvres, tandis que Schielke (2019; 2020) développe, quant à lui, une approche
sémiotique et typologique de la lumière.
Ce traitement spécique concerne d’abord l’apparence formelle de l’œuvre. Un responsable
de l’atelier lumière du Centre Pompidou admet notamment que l’éclairage peut «raconter
quelque chose». Il explique que:
Si l’œuvre présente plein de couleurs, le travail sera certainement au niveau
du rendu de celles-ci. S’il y a des jaunes, des rouges, des verts, il faut essayer
de rendre tout cela le mieux possible et qu’on peut l’apprécier ainsi.
Cette stratégie peut également s’appliquer au message de l’œuvre. Un éclairagiste du
Musée du Louvre en est également convaincu : «bien sûr [l’éclairage], c’est une sorte
de médiation. Nous ne voulons pas contredire le propos de l’œuvre ». Par exemple, il
arme qu’«avec un seul éclairage, nous pouvons rendre triste la sculpture, joyeuse ou
autre. Il suffit de mettre des cernes avec la lumière et elle va pleurer, tout simplement».
Pour s’aligner à ces attendus, ses équipes ont par ailleurs reçu des formations en histoire
de l’art. Elles puisent sur ces connaissances pour concevoir certains eets: «Cela nous
permet de comprendre l’œuvre, de ne pas la dénaturer par rapport à ce qu’elle devrait être.
. . . On peut faire mentir une œuvre avec de la lumière.»
Par ailleurs, plusieurs études scientiques montrent l’inuence de l’éclairage sur la
préférence visiteur en matière de rendu de couleurs des œuvres (Feltrin et al., 2020; Liu
et al., 2013), de température de couleur de la lumière (Nascimento & Masuda, 2014),
d’intensité lumineuse (Ajmat et al., 2011) et de stimuli dynamiques (Gobbato et al., 2020).
La question des motivations qui incitent une telle démarche se pose en conséquence. Ce
même responsable de l’éclairage au musée du Louvre témoigne de l’importance d’une
collaboration et d’une expérimentation étroites entre les équipes:
L’éclairage dépend aussi de l’œuvre et du propos scientique: que ce soit une
exposition plus dramatique ou pas dramatique, théâtrale ou pas théâtrale.
Nous allons nous adapter à cela, plutôt chaud, plutôt froid. Et puis aussi,
nous tenons aussi en compte de l’origine des œuvres. Par exemple, nous
allons éclairer les peintures italiennes plutôt en chaud, tandis que pour
les peintures amandes nous allons être plutôt sur des 4 000K. Si nous
n’avons pas de propos scientiques qui viennent contredire cela, nous
respectons l’œuvre et l’artiste. C’est comme pour l’Égypte, généralement
on passe tout en chaud, car ils veulent voir «le gout du sable ».
Une conservatrice du musée d’arts de Nantes s’aligne sur ces considérations. L’éclairage
était auparavant conçu par ses équipes d’un seul point de vue technique. Les échanges
interprofessionnels (conservateurs, régie, technique) portaient alors sur le climat et les
questions de conservation préventive qualiées par la conservatrice de «pures» – ce qui
concorde avec les éléments évoqués précédemment. Cependant, depuis les derniers travaux
au Musée d’art de Nantes, le paradigme a changé. La conservatrice explique que:
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Cette idée d’avoir un éclairage directif avec des cadreurs sur les œuvres plus
importantes est une médiation par le regard qui n’est pas fort, pas trop. . . .
Pour moi, l’idée de la médiation lumineuse permettrait d’être moins directifs
avec le visiteur, de donner un peu notre avis, mais sans dire à notre visiteur
qu’il faut regarder telle ou telle œuvre, car c’est cela qui est important dans
la salle.
Ce principe vaut également pour le travail réalisé auprès de la création contemporaine.
Lorsque cela est possible, la discussion avec les artistes est nécessaire pour comprendre
l’attendu recherché. Dans les trois musées dotés d’une équipe responsable de l’éclairage
– le musée MAXXI, le musée du Louvre et le Centre Pompidou –, plusieurs exemples de
collaborations existent entre les éclairagistes (ou concepteurs lumière selon leur propre
dénition) et les artistes vivants. Un éclairagiste rapport notamment sa collaboration avec
Ettore Spalletti au musée MAXXI en 2014:
Il s’est assis et n’a plus bougé. Il y a eu dix jours de rendez-vous, car il fallait
créer une lumière Adriatique. J’avais une idée de ce que c’était, mais de là
à le réaliser avec des sources de lumière, ce n’est pas si simple. Lui et moi
avons travaillé côte à côte, et il est resté silencieux. Au bout de sept jours,
il s’est levé et quand nous avons réalisé que nous étions arrivés, il s’est levé,
m’a fait un sourire, m’a dit «Merci», et il est parti.
Encore, un éclairagiste raconte dans un podcast sa collaboration avec l’artiste Anselm Kiefer
au Centre Pompidou en 2015:
À la question ‘ Anselm, que voulez-vous pour l’éclairage?’, il me dit ‘ je veux
le même éclairage que dans mon atelier’.‘Ah, très bien, alors il faut que je
vienne voir votre atelier’. Donc on a reproduit un éclairage qui vient du jour,
le mieux possible, tout en essayant encore une fois de ne pas trop trahir les
œuvres. Parce que quoi qu’on fasse, on fait un geste quand on éclaire une
œuvre et on ne sera jamais dans la vérité de l’œuvre. (Bouhellier et Con,
2021)
La question est ainsi de considérer l’éclairage comme un geste qui donne indéniablement à
voir une perception de l’œuvre cohérente avec celle de son créateur. Un éclairagiste raconte
par exemple sa collaboration avec l’artiste Pierre Soulages lors de l’exposition hommage au
Salon Carré du musée du Louvre (2019):
Quand Monsieur Soulages est venu, nous avons discuté avec lui. Cela m’a
permis de comprendre aussi les œuvres, car c’est noir, mais il n’y a pas
que du noir. Dans les œuvres, il y a beaucoup de reliefs. Justement il veut
montrer tout ce qui est reliefs et c’est très intéressant. Nous avons travaillé
une semaine, dix jours avec lui, constamment à essayer de travailler sur
l’œuvre, à expliquer ce qu’il voulait relever et tout cela.
Cette appropriation de la lumière admet, de ce fait, une pratique possible d’éclairage pour
soutenir le propos de l’exposition et de l’œuvre. Elle correspond à la notion d’un index
sensoriel spéciquement lumineux en reprenant le terme d’index sensoriel soulevé par
Harley Parker, qui suggérait de «prendre l’œuvre d’un artiste, trouver à quel prol sensoriel
il appartient, et corréler cela avec ses œuvres d’art [ce qui] devrait nous aider à comprendre
la manière de comprendre les artefacts» (McLuhan, Parker & Barzun, 2008, p.141).
Il est entendu alors, par index sensoriel lumineux, une incidence lumineuse propre au
souhait de création de l’artiste, à possiblement prendre en compte lorsqu’elle existe et
fait sens en phase d’exposition de son œuvre (Gobbato, 2022), comme on le voit dans la
collaboration entre le Louvre et Pierre Soulages.
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Ces recherches émergentes, ainsi que les résultats de notre recherche, mettent en évidence
que l’éclairage n’est pas neutre. En eet, quel que soit sa source ou son réglage, il y aura
inévitablement des eets sur l’apparence, sur la lisibilité et donc sur la perception. La
conception d’un éclairage mérite donc une réexion conjointe, pratique et théorique, pour
satisfaire la notion d’un éclairage «juste », qualicatif employé par le responsable de
l’éclairage du Centre Pompidou. Un dialogue plus étroit entre les spécialistes de l’éclairage,
les responsables et les chercheurs des musées permettrait d’expérimenter davantage les
utilisations possibles de l’éclairage en tant que moyen de médiation lumineuse, tout en
anant une connaissance théorique. Ainsi, la muséologie gagnerait plus particulièrement
à approfondir la connaissance sur l’inuence implicite, infraliminale, permise par la
lumière (Gobbato et al., 2021). Une telle connaissance enrichirait des théories encore peu
développées et permettrait également de former les étudiants (futurs professionnels) dans
la perspective de pratiquer le «musée-école» (Bergeron & Carter, 2015).
Impliquer le visiteur
L’application de l’éclairage au musée se fonde également sur une approche explicite de
l’expérience, c’est-à-dire des pratiques visant à impliquer le visiteur par l’inclusion et la
participation. Quelques exemples émergent de nos entrevues. Au musée Soulages, par
exemple, les textes expographiques au sein du parcours intègrent la notion de lumière
dans l’œuvre de Soulages, mais également dans l’agencement du musée. Il est possible de
lire, par exemple, dans le premier texte intitulé Un musée inhabituel que «les passages
réguliers de l’ombre à la lumière et les élévations rythmées entrent en résonance avec
l’œuvre de l’artiste». Pareillement, dans la salle présentant les Brous de noix, le troisième
texte reporte qu’«au contact avec du brou, le blanc du papier fait vibrer la lumière. Il
établit avec lui un rapport intime, incitant ainsi à une lecture globale de l’œuvre».
Ce parcours ponctué par le sujet de la lumière pourrait être mis en perspective avec la lecture
de l’ouvrage Le Louvre, la nuit d’Henri Verne (1937). Dans ce guide du musée rénové par
l’architecte Albert Ferran, le conservateur décrivait les œuvres illuminées par l’électricité,
en témoignant une certaine fascination pour la nouvelle relation esthétique permise par
l’éclairage articiel. Chacune des sessions présentait une réalisation particulière. Par
exemple, les bas-reliefs des sculptures égyptiennes étaient éclairés par une lumière diuse,
décrite comme «une vaste et tranquille clarté orientale» qui évoque la lumière du jour
(Verne, 1937, p.23). Pour d’autres salles, comme celle accueillant la sculpture grecque, celle
du Moyen Âge et celle de la Renaissance, l’éclairage ambiant permettait, selon Verne, «une
atmosphère apaisante qui enveloppe le visiteur» (p.23). Certains chefs-d’œuvre particuliers
étaient enn éclairés par des projecteurs spéciaux, tels que la Vénus de Milo, la Diane de
Versailles, la frise des Panathénées, la Diane d’Anet, le tombeau de Philippe Pot et la Victoire
de Samothrace: «détachés et modelés rigoureusement dans l’ombre, par le reet mystérieux
d’un astre bienveillant» (p.26). Cette visite contée existe, sous une autre forme, au Musée
Soulages. La lumière s’arme alors comme un média alimentant un dispositif possible de
médiation écrite. Attirer explicitement l’attention du visiteur sur la relation entre la lumière
et l’œuvre permet ainsi de stimuler une expérience sensorielle, voire esthétique.
Une autre application de l’éclairage pouvant s’apparenter à une forme de diation
participative concerne l’implication des publics à des expériences. Le Nationalmuseum de
Stockholm a notamment inauguré un laboratoire dédié à l’éclairage en 2013 (en période
de réexion pour sa rénovation) (Kåberg & Evans, 2013). Le Lighting Lab, ainsi nommé,
a été fondé pour étudier un système de contrôle de l’éclairage adapté aux exigences du
musée. Le laboratoire était également ouvert au public. L’approche participative visait alors
à encourager la sensibilisation sur les enjeux de l’éclairage, tels que les valeurs d’éclairement,
les eets de température de couleur, l’inuence de la couleur des cimaises (blanc ou gris),
ainsi que la perception diérente des œuvres sous l’éclairage en fonction des techniques
et des thèmes abordés (peintures de paysages du xviiesiècle aux tons rouges et marron et
du xixesiècle aux tons vifs verts et bleus). Cette expérience inclusive rappelle des actions
participatives de médiation muséales plus traditionnelles, comme les ateliers ou les visites.
130
Les possibilités de l’éclairage dynamique
Le dernier enjeu concerne l’éclairage dynamique et ses usages de médiation. Déjà dans
les années 1960, les principes de son et lumière stimulaient l’imagination de certains
professionnels (Borhegyi, 1963) et théoriciens (McLuhan, Parker & Barzun, 1969) qui
considéraient la lumière changeante comme un dispositif communicationnel sensoriel. Le
cas de la Grande Galerie de l’Évolution du Muséum national d’Histoire naturelle illustre un
projet réussi en la matière (datant des années1990). Aujourd’hui, les protocoles de gestion
dynamique de l’éclairage facilitent le déploiement de tels scénarios. Le projet à la Scuola
Grande diSan Rocco, en est un exemple saillant. Pour sa rénovation de 2018, l’architecte
et concepteur lumière Alberto Pasetti a réalisé sixscénarios pouvant être utilisés par les
guides, les historiens de l’art et d’autres spécialistes an des montrer des détails en fonction
du propos désiré, de valoriser des œuvres avec un regard spécique, et d’induire un parcours
thématique (Bugarelli, 2018). L’objectif de cet éclairage était:
D’obtenir une nouvelle forme de communication visuelle pour les musées,
fonctionnelle à la protection du patrimoine historique et artistique et en
même temps capable de susciter et de transmettre les émotions des visiteurs
à travers une lumière revitalisante» explique l’architecte Pasetti. (Laganier,
2019)
L’intervention à la Scuola Grande diSan Rocco participe aussi à révéler les couleurs des
teleri du Tintoret. Celles-ci ont eectivement été longuement absentes de la perception
du visiteur. Au xixesiècle, d’illustres voyageurs et visiteurs comme John Ruskin et Henry
James se plaignaient d’une absence de bon éclairage (Mamoli Zorzi, 2019; Parker, 2019).
Le président de la Scuola Grande di San Rocco a déclaré en redécouvrant la Preghiera
nell’Ortosous cette nouvelle lumière: «Il s’agit d’une technologie visant un sentiment, une
pensée, celle de découvrir la vérité de ces tableaux, quel est leur message. J’ai ainsi compris
quelque chose du Tintoret que je n’avais pas encore compris» (Bulgarelli, 2018).2
Ces exemples et considérations montrent que, dans la pratique muséale, l’éclairage émerge
comme une opportunité au-delà de sa fonction technique. Il permet de contextualiser la
collection, en contribuant à une atmosphère architecturale ou à reproduire les conditions de
création. Il permet aussi de résonner avec l’œuvre de l’artiste, son prol sensoriel, sa forme
et ses couleurs. Il favorise ensuite l’implication des visiteurs lors d’ateliers ou d’expériences
participatives. Il permet de fabriquer également des scènes lumineuses pour raconter une
histoire et soutenir le discours des conférenciers. Cette réalité s’arme alors même que,
comme évoqué précédemment, l’éclairage est surtout conçu en tant qu’élément fonctionnel
dans ces institutions. En ce sens, au-delà de préserver les œuvres et de permettre une visibilité
susante, ces dispositifs et ces pratiques ouvrent à des perspectives et des appropriations
nouvelles, facilitées par les dernières technologies. Il ne s’agit donc pas uniquement de mettre
en lumière, mais possiblement d’interpréter et de transmettre par une approche implicite et
explicite, sensorielle, voire sensible, du musée – en stimulant des senseurs physiologiques et
psychologiques (Lehmbruck, 1974).
Ces considérations s’inscrivent plus largement dans les courants de la muséologie du sensible
(Lebat, 2022) et de l’expérientiel (Chaumier, 2018). Ce sont en eet des médias admettant
des formes de médiation sensible (Rispal, 2009). Éclairer signie ainsi incarner un concept
par la lumière pour donner à voir, ressentir et comprendre. Les possibilités d’élargir la
réexion sur l’éclairage sont nombreuses. Toutefois, il est observé, il existe la nécessité
de négociations entre les professionnels de l’éclairage et les conservateurs. Cela existe
probablement en raison d’un écart entre le domaine de l’éclairage et celui de la conservation,
qui s’ancre dans une tradition qui a entamé une chasse à la lumière depuis les années1950.
En cela, le développement scientique d’approches esthétiques et sémiotiques de l’éclairage
contribuerait à repenser l’éclairage et ses usages contemporains et futurs.
2 Traduit par l’auteure.
131
Conclusion : un autre regard sur l’éclairage
Les résultats de notre recherche conrment que la lumière demeure comprise avant tout
comme une contrainte technique. Les enjeux concernent d’abord un impératif de exibilité
pour garantir la conservation des expôts. Ainsi, éclairer signie principalement ralentir le
vieillissement et les dégradations des œuvres, tout en permettant une manipulation aisée
des systèmes d’éclairage. Les musées tendent à moins être des institutions dépendantes du
jour comme dans le passé (Desvallées & Mairesse, 2011, pp.27-51). Or, on observe une
dépendance envers les systèmes articiels, comme l’évoquait déjà Gabus (1965).
Toutefois, d’autres questions apparaissent également. Elles concernent la possibilité
d’interpréter, de transmettre, et de faire vivre une expérience du musée et des œuvres par
la lumière. Certains professionnels des musées conçoivent eectivement l’éclairage comme
un dispositif de médiation possible. Notons néanmoins que les postes d’éclairagiste et de
concepteurs lumière sont rares au sein des musées et des sites culturels. «Nous sommes des
mouches blanches »,3 disait notamment la conceptrice lumière du MAXXI en ouverture
de l’entretien. Le savoir sur l’éclairage est ainsi largement externalisé, ce qui exacerbe
probablement un manque de vocabulaire et de culture commune pour que la discussion
soit facilitée. Il existe en eet un savoir-faire, un professionnalisme, une expérience, une
sensibilité, qui est propre au corps de métier des concepteurs lumière et des éclairagistes, et
qui ne peut être remplacé. «Sans la lumière, on ne voit rien, tout simplement. Les gens n’y
pensent souvent pas», rappelle un responsable de l’éclairage du Centre Pompidou.
Une ambiguïté qui oppose l’acte de conserver à celui d’interpréter continue d’exister, alors
même que les deux sont indissociables. En eet, il est impossible de choisir un éclairage
strictement de conservation, sans que celui-ci entraîne des conséquences immédiates sur le
rendu des caractéristiques de l’objet éclairé, sur l’espace et sur l’ambiance. La température
de couleur, l’étendue et la forme du faisceau, l’indice du rendu, le mouvement possible,
ce sont des paramètres qui vont indéniablement modier l’ambiance et l’apparence d’un
expôt, et en conséquence la perception de ce dernier. Cependant, puisqu’il semble invisible,
l’éclairage tend à être remarqué surtout lorsqu’il dérange. C’est peut-être dans cela que
réside une clé d’explication du désintérêt des muséologues envers l’éclairage.
Aujourd’hui, cependant, de nouveaux moyens d’étudier l’inuence de l’éclairage sur
l’expérience des visiteurs et la construction du sens ouvrent de nouvelles voies de recherche.
Dans ses fonctions cognitives, ostensives et esthétiques, l’éclairage va au-delà de la technique.
Ces acceptations ouvrent à un nouveau champ de recherche possible en muséologie, tant
pour les sujets de conception que les enjeux de perception. Les quelques éléments discutés
dans cet article incitent dès lors à reconsidérer le potentiel de la lumière et à développer des
programmes de recherche et d’enseignement adaptés.
3 Traduit par l’auteure.
132
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Article
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L’éclairage peut-il être un dispositif de médiation pour l’art ? Si oui, comment ? L’autrice présente dans cet article quelques réflexions sur la médiation sensorielle lumineuse pour les œuvres exposées dans les musées.
Article
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Since the 1990s, museology and information and communication sciences have been working to define cultural mediation in museums. They came to consider cultural mediation with reference to human mediation, then to aesthetic, artistic, digital, technological, scientific mediations. Nevertheless, there is still an unexplored area in terms of museum devices and mediation that appeal to the senses (lighting, sound, touching, among others). Then, could we properly consider a “sensory” mediation? The authors particularly question the effects of an experimental lighting scenario designed as a mediation device for Raoul Dufy’s painting La Fée Électricité (1937) within the Museum of Modern Art in Paris (MAM). They discuss the visitors’ experience from the REMIND theoretical research program to understand how lighting influences visitors’ cognitive, emotional, and sensory experience (embodied cognition). Results allow to consider new possibilities related to lighting and other “sensory” devices. This could contribute to participating in a theoretical framework for a “sensory” mediation in museology, and then to develop adapted mediation devices.
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The two key objectives of museums — exhibition and preservation — are often in conflict. Exhibiting an object and exposing it to elements like lighting, fluctuating temperature, humidity and variable air quality can cause damage and degradation. The very decision to exhibit an item may mean its future is compromised. In fact, the majority of objects in museum collections are in storage. This is only partly to do with resources and display space. It is largely due to conservation requirements.
Article
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Since the 18th century, architects and museum managers have used natural and artificial lighting to light artworks and exhibits. Today, practitioners such as museographers, scenographers and lighting designers use it as a tool to build atmospheres and to guide the visitor’s gaze. Beyond merely highlighting artwork, lighting defines what is shown, and indicates the object of discussion. The potential of lighting – as a mediating device that directly affects the visitor’s sensitive and cognitive experience – remains to be shown and explained. It was from this standpoint that we studied visitor experience in the Grande Galerie de l’Évolution at the Muséum national d’Histoire naturelle in Paris, which presents a dynamic lighting installation conceived as an immersive scenography. We found that this installation plays an important role in the process of constructing sense and visitor experience. It helps to create an atmosphere of well-being, evoking the colors of natural environments, lighting or darkening the exhibits to attract or reduce attention, and acts as a catalyst for interpersonal and contemplative experiences. These results encourage us to explore the potential of lighting as a mediating device.
Article
Cet article aborde le recours aux dispositifs faisant appel aux sens dans les muséographies contemporaines et son impact sur l’expérience de visite des personnes en situation de handicap visuel. Il propose un cadrage sur les dispositifs sensibles et sensoriels dans les pratiques muséographiques et de médiation culturelle, en explicitant le contexte historique et social qui a rendu possible leur émergence. L’article est alors l’occasion de se pencher sur des formes muséographiques particulières, comme les muséographies d’ambiance ou d’immersion, et de les analyser au regard des enjeux muséologiques qu’elles soulèvent en termes d’expérience de visite et d’intention muséale. Puis, à partir d’un travail de terrain mené dans des musées franciliens et auprès de personnes déficientes visuelles, l’article s’intéresse aux conséquences de ces nouvelles formes muséographiques à la fois sur l’accessibilité de la visite, mais aussi sur les représentations du handicap relayées par l’institution muséale.
Article
A Feeling for light and lighting starts with visual imagination, just as a painter's talent does. Think of the creation of a watercolor rendering—First, major highlights are imagined—then, graded washes of different luminosity are added and—then, the detail of minor lightplay makes the idea clear and entertains the eye.