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Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L'expérience de parents ayant accompagné leur enfant dans la grande maladie et la fin de vie / [The Curative, the Palliative… What Does It Matter? The Experience of Parents Who Accompanied Their Child Through Serious Illness and End of Life]

Authors:
  • Centre for research and expertise in social gerontology (CREGÉS)

Abstract

[FR] Cadre de la recherche : Dans la grande maladie, la prolifération des possibilités thérapeutiques retarde souvent le moment où la mort est envisagée et où les soins palliatifs, trop souvent associés à la fin de vie et à la mort, sont introduits dans les trajectoires des malades. Dans ce contexte, les soins palliatifs pédiatriques tentent de jouer un rôle actif dans la relation de soins, au-delà de l’idée de traitements pour la guérison. Objectifs : Notre article cherche à mieux comprendre le moment où les soins palliatifs deviennent une possibilité dans la trajectoire de la grande maladie, et comment ils sont représentés. Nous nous intéressons à la place que ces soins occupent dans le vécu des parents, ainsi que la manière dont s’exprime leur expérience de la grande maladie, et plus précisément la dimension relationnelle de la fin de vie. Méthodologie : Nous nous appuyons sur les témoignages de parents dont les enfants ont souffert de maladies graves et de décès. Par le biais d’entretiens individuels semi-dirigés entre 2017 et 2019, nous avons recueilli les histoires de 16 enfants et adolescents montréalais d’origine migrante ou non-migrante (10 garçons et 6 filles âgés de quelques semaines à 19 ans), atteints d’une maladie génétique ou rare, d’un cancer ou de plusieurs maladies chroniques. Résultats : Non seulement le type de maladie est une composante importante dans le parcours des soins palliatifs, mais le care et le profil des familles sont également déterminants dans la perception d’une expérience (néanmoins) positive de la fin de vie de leur enfant. Conclusions : Les perspectives thérapeutiques curatives/palliatives ont peu d’influence sur la satisfaction de nos participants quant aux soins de fin de vie, tant qu’un lien de confiance thérapeutique est présent entre la famille et l’équipe soignante. Que ce soit positif ou négatif, ce lien de confiance influence les relations de soins pédiatriques et les trajectoires de maladies graves, ainsi que les expériences de fin de vie vécues par les proches. Contribution : À travers les expériences d’enfants en fin de vie telles que partagées (principalement) par les mères, cet article aborde les perspectives curatives et palliatives telles que choisies par les parents d’enfants confrontés à un sombre pronostic. Au-delà des différentes philosophies qui habitent ces approches, la qualité (et la continuité) des relations établies avec les soignants est un facteur déterminant dans la qualité des expériences documentées par notre étude. __________________________________________________________________________________ [EN] Research Framework: In serious illness, the proliferation of therapeutic possibilities often delays the moment when death is foreseen and when palliative care, too often associated with the end of life and death, is introduced into patients’ care paths. In this context, pediatric palliative care tries to play an active role in the care relationship, beyond the idea of treatments for recovery. Objectives: Our aim is to better understand the moment when palliative care becomes a possibility in the trajectory of serious illness, and how it is represented. We examine how palliative care fits into the parents’ experience, as well as the way in which their experience of serious illness, and more so the relational dimension of the end of life, is expressed. Methodology: We draw on the testimonies of parents whose children suffered major illness and death. Through individual semi-structured interviews between 2017 and 2019, we collected the stories of 16 Montreal children and adolescents (10 boys and 6 girls aged between a few weeks to 19 years) with a genetic or rare disease, cancer or multiple chronic conditions of migrant and non-migrant background. Results: Not only is the type of illness an important figure in the palliative care trajectory, care and the families’ profiles also shape their perception of a (nonetheless) positive experience of their child’s end of life. Conclusions: Curative/palliative therapeutic perspectives have little bearing on our participants’ satisfaction with care at the end of life, as long as a therapeutic trust bond is present between the family and the health care team. Both positively and negatively, this bond of trust influences the pediatric care relationships and major illness trajectories, as well as the end-of-life experiences of loved ones. Contribution: Through the experiences of children at the end of life as shared (mostly) by mothers, this paper discusses both curative and palliative perspectives as chosen by the parents of children facing a poor prognosis. Beyond the different philosophies that inhabit these approaches, the quality (and continuity) of the relationships established with care providers is a determining factor in the quality of the experiences documented through our study.
Enfances Familles Générations
Revue interdisciplinaire sur la famille contemporaine
Articlessouspresse
Le curatif, le palliatif… quelle importance ?
L’expérience de parents ayant accompagné leur
enfant dans la grande maladie et la fin de vie
The Curative, the Palliative… What Does It Matter? The Experience of Parents
Who Accompanied Their Child Through Serious Illness and End of Life
Lo curativo, lo paliativo... ¿ qué importa ? La experiencia de los padres que han
acompañado a su hijo en una enfermedad grave y al final de la vida
SylvieFortin,SabrinaLessardetAlizéeLajeunesse
Éditionélectronique
URL : https://journals.openedition.org/efg/15539
ISSN : 1708-6310
Éditeur
Centre Urbanisation Culture Société (UCS) de l'INRS
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Référenceélectronique
Sylvie Fortin, Sabrina Lessard et Alizée Lajeunesse, « Le curatif, le palliatif… quelle importance ?
L’expérience de parents ayant accompagné leur enfant dans la grande maladie et la n de vie »,
Enfances Familles Générations [En ligne], Articles sous presse, Numéro 42, mis en ligne le 15 mai 2023,
consulté le 06 juillet 2023. URL : http://journals.openedition.org/efg/15539
Ce document a été généré automatiquement le 6 juillet 2023.
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Le curatif, le palliatif… quelle
importance ? L’expérience de
parents ayant accompagné leur
enfant dans la grande maladie et la
fin de vie
The Curative, the Palliative… What Does It Matter? The Experience of Parents
Who Accompanied Their Child Through Serious Illness and End of Life
Lo curativo, lo paliativo... ¿ qué importa ? La experiencia de los padres que han
acompañado a su hijo en una enfermedad grave y al final de la vida
Sylvie Fortin, Sabrina Lessard et Alizée Lajeunesse
Introduction
1 La mort chez les enfants n’est pas pensée d’emblée puisqu’elle inverse l’ordre attendu
du cycle de vie. C’est du moins ce qu’anticipe la société moderne en partie grâce aux
progrès de la biomédecine et de la santé publique qui ont permis des avancées de taille
pour réduire la mortalité infantile et celle dans les années subséquentes. Bien que la
mort soit maintenant moins commune à l’enfance et à l’adolescence, spécialement des
causes de maladies infectieuses, elle est toujours une réalité vécue par des centaines de
familles québécoises chaque année (Institut de la statistique du Québec, 2020). Si les
accidents représentent la principale cause de décès chez les jeunes, la grande maladie
n’en est pas moins une importante cause de décès chez les enfants et les adolescents
(Statistique Canada, 2022).
2 Cette grande maladie prend ancrage dans la définition que les anthropologues
Kleinman, Eisenberg et Good (1978) ont fait de la maladie à la fin des années 70. Elle se
décline dans une triple terminologie en référence aux dysfonctionnements biologiques
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1
(disease), à l’expérience subjective de la maladie (illness) et à son inscription dans le
social (sickness). En biomédecine, la maladie occupe une place centrale se
« concentrent le soin, le curatif, le palliatif, l’aigu, la chronicité. Elle est aussi
souffrance, relation d’aide, technique, savoirs, incertitudes, morale, éthique. Elle est
contrôle, abandon, espoir, chute et rechute » (Fortin, 2019 : s. p. ). Ainsi, la maladie
donne lieu à un éventail de pratiques qui sont étroitement liées aux
dysfonctionnements biologiques, à l’histoire du malade (et de ses proches) et au
contexte social dans lequel elle s’inscrit (Corin et al., 1992). Quant à la « grande
maladie », celle dont on peut mourir, elle est souvent synonyme de prolifération des
possibilités thérapeutiques retardant le moment où la mort devient une éventualité et
où les soins palliatifs, généralement associés à la fin de vie et à la mort (Côté-Brisson et
al., 2006; Fortin et Lessard, 2021), sont introduits dans les trajectoires des malades. Ces
soins, dont la Loi concernant les soins de fin de vie (2015) encadre dorénavant les
pratiques et les droits des malades au Québec, évoquent généralement la sollicitude et
la compassion, le soulagement des souffrances et l’accompagnement. La philosophie de
ces soins rappelle celle du care dans sa forme élémentaire, c’est-à-dire dans les valeurs
de confiance, de prise en charge de la vulnérabilité et de relations (Brugère, 2010)1.
3 L’expérience de la grande maladie et de la fin de vie est à la fois médicale et sociale. Elle
est relation de soins. Comme Worms (2012), nous nous questionnons à savoir s’il est
possible de concevoir la fin de vie d’une personne en l’occurrence un enfant ou un
adolescent sans cette dimension de soin. Il semble, tel qu’en témoignent Le Gall,
Samson et Fortin (2021), que lorsque cette relation de soin vient à manquer, son
absence lui confère un poids accru.
4 Il y a plus de 60 ans, Glaser et Strauss (1964) évoquaient la valeur sociale différentielle
des mourants au regard des appartenances ethniques. Plus près de nous, Králová (2021)
réitère les inégalités de statuts et la portée de ces inégalités sur l’expérience des soins,
malgré les ressources dont peuvent faire preuve les uns et les autres. Ce faisant, notre
exploration des expériences de fin de vie telles que racontées par les parents d’enfants
décédés est aussi soucieuse de la « diversité » montréalaise (non réductible au fait
migratoire tout en étant nourrie par les mouvements de population), et l’expression de
cette diversité tout au long des histoires partagées.
5 À partir des histoires de grande maladie et de fin de vie de 16 enfants qui ont été
racontées par leurs parents de la région montréalaise, nous tenterons de saisir
l’expérience de la grande maladie, et plus particulièrement de la dimension
relationnelle de la fin de vie. Nous explorons également la manière dont les soins
palliatifs sont représentés, la place que ces soins occupent dans ce que les parents
retiennent de leur expérience, ainsi que le contexte de transition des soins à visée
curative vers une visée palliative, au sein de la trajectoire de la maladie. Finalement,
nous examinons la façon dont le care, le lien de confiance familles-soignants et le profil
des familles participent à la perception d’une expérience positive de la fin de vie de leur
enfant.
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2
Le soin
La dimension relationnelle du soin dans la grande maladie
6 Lorsqu’il y a présence de maladie, il y a généralement présence de soins : soins
médicaux dans une optique de traitements, de guérison, mais aussi soins comme
réponse à un besoin, à une souffrance ou à une vulnérabilité. Les dimensions du soin
sont à la fois techniques et relationnelles et s’inscrivent parfois dans cette dichotomie
du cure et care (Fortin, 2015). Au sein des écrits, la tendance à définir le soin comme
uniquement curatif, essentialisé et biologisé fait place au risque de fragiliser la partie
humaine (et du particulier) dans la prestation de soin, réduisant ce dernier à la
technique et au savoir biomédical, tout en dévalorisant les aspects relationnels du care,
du prendre soin, devenant alors accessoire, optionnel (Worms, 2010; 2012). Dans cette
hiérarchie sociale et morale du soin, le care tend à se retrouver sous silence, ses gestes
implicites noyés dans la vie ordinaire, parce que socialement peu valorisés ou
pratiqués, voire même définis comme étant inférieure (Molinier, 2011; Lajeunesse et
al., 2022).
7 Si les pratiques quotidiennes de soins peuvent être comprises comme étant à la fois
médicales et sociales, elles s’inscrivent pourtant dans des contextes institutionnels
particuliers (Buch, 2015). Les gestes, le son de la voix, les mots employés, le toucher
sont des manifestations de bienveillance et de mise à l’avant de la relation qui lie le
soignant au malade (Lessard, 2021) que ce soit à l’hôpital, dans une maison de soins
palliatifs ou à domicile. Le divorce entre le cure et le care n’étant pas si net, leur relation
se voit souvent marquée par une dialectique singulière, propre à chaque soignant, voire
à chaque situation. Cette distinction cure/care voile ou peut voiler le fait que le curatif
peut être empreint du prendre soin. Comme l’ont montré Mino et al. (2016) pour les
soins palliatifs chez les adultes, nous pouvons considérer une première idéologie sous-
tendant une conception séquentielle de la trajectoire de la maladie, où les soins curatifs
et palliatifs sont perçus de manière contradictoire et séparée, tant au niveau temporel,
professionnel que spatial. Une seconde idéologie thérapeutique, celle des soins globaux
dispensés d’une manière continue et collaborative après l’arrêt des traitements à visée
curative jusqu’au bout de la trajectoire du patient, laisse place à une forme
d’acceptation de la prise en charge de la fin de vie et de la mort comme partie intégrale
du travail médical. Dans cette perspective, le curatif n’est pas ontologiquement exempt
du prendre soin au même titre que l’approche palliative ne signifie pas l’abandon de
toute thérapie curative. En pédiatrie, le cure et le care dans la grande maladie sont
souvent étroitement liés plutôt que de s’inscrire en opposition. En oncologie par
exemple, malgré un pronostic réservé, on peut entreprendre une radiothérapie ou une
chimiothérapie visant non pas la restauration de la santé, mais bien un mieux-être (ou
une diminution d’inconfort à la prolifération d’une tumeur) et une qualité de vie
accrue, maintenant.
8 Pourtant, cette relation étroite entre le cure et le care ne donne pas d’emblée lieu à
l’introduction d’une perspective palliative même lorsque les limites du curatif
s’annoncent (Fortin et al., 2021a).
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3
Les soins palliatifs pédiatriques
9 L’approche palliative ou les soins à visée palliative peuvent être définis en référence à
la compassion, à la sollicitude, au relationnel et au soulagement plus qu’à la guérison.
Dans ce contexte, les soins palliatifs pédiatriques peuvent s’avérer une possibilité
complémentaire aux soins actifs jusqu’à l’accompagnement en fin de vie, en misant sur
la qualité de vie ici et maintenant. Les soins à visée palliative embrassent différentes
modalités : traitements orientés vers le maintien de la vie court terme), thérapie
réparatrice (axée sur la qualité de vie restante), gestion des symptômes et
accompagnement de fin de vie lorsque la mort est reconnue.
10 Par ailleurs, le Québec s’est doté en 2006 de normes en matière de soins palliatifs
pédiatriques qui suggèrent une prise en charge précoce, dès le diagnostic (Côté-Brisson
et al., 2006), de soins centrés sur l’enfant et sa famille.
11 Les soins palliatifs pédiatriques peuvent être dispensés sur une longue période (mois,
voire années) à l’hôpital, à domicile ou dans une maison spécialisée en soins palliatifs.
Au Québec, par exemple, il existe deux de ces maisons. Contrairement aux maisons
destinées aux adultes, elles offrent un soutien médical, social et spirituel aux enfants
(et à leur famille) gravement malades ou à ceux en situation de handicaps sévères dont
l’issue est potentiellement fatale. Bien que ces maisons proposent l’accompagnement
en fin de vie, elles prodiguent un ensemble de services d’accompagnement des enfants
et de leurs familles au cours de la vie avec maladie, de soulagement des symptômes, de
transition et de répit (à domicile ou sur place) et d’accompagnement dans la mort et le
deuil.
12 Depuis près de vingt ans, les soins palliatifs pédiatriques veulent jouer un rôle actif
dans les trajectoires thérapeutiques. Ces soins s’inscrivent dans la relation, dans le
soutien et vont au-delà de l’idée de traitements pour la guérison. Si Fortin et al. (2021b)
avaient jadis fait l’observation que peu d’enfants (voire aucun) d’une unité hospitalière
de soins de pointe avaient empruntée une trajectoire de soins à visée palliative, la
présente étude vient nuancée ces constats.
Méthode de la recherche EFVM
13 Les résultats de la recherche EFVM2 discutés ici s’appuient sur les témoignages des
parents (majoritairement les mères) ayant accompagné leur enfant dans la grande
maladie et la fin de vie, dans l’année précédant l’entrevue. Ils s’inscrivent dans une
recherche qualitative plus large qui s’est intéressée aux expériences de fin de vie de
plus d’une centaine de personnes (migrantes et non-migrantes) de tous les âges, entre
2017 et 2019, à Montréal3,4. Notre approche est à la fois phénoménologique et
contextuelle d’inspiration interactionniste (Strauss, 1992 [1985]), souhaitant réunir le
vécu du mourir (Willig, 2015) et son aspect in situ, dans un espace social déterminé
(Kellehear, 2009), avec une attention portée aux contextes culturel, social et relationnel
dans lequel cette expérience se déploie.
14 Par le biais d’entretiens individuels semi-dirigés, les expériences du mourir de
16 enfants (telles que rapportées par leurs parents) ont été recueillies. Nous avons
documenté les trajectoires de maladie et de fin de vie d’enfants et les défis rencontrés
par le ou leurs proches au fil de cette trajectoire. Les entretiens ont été intégralement
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transcrits et ont donné lieu à des résumés détaillés. Le processus d’analyse a été
d’abord monographique (chaque entretien en lui-même), puis thématique et
transversal.
15 Au regard des soins en particulier, les récits des proches donnent à voir une porosité
entre les notions de soins palliatifs, soins de confort et soins… tout court. Ces récits
sont en cela le reflet d’un écart familier entre les déclinaisons administratives ou
médicales de soins particuliers et l’expérience de celles et ceux qui les reçoivent. Il s’est
agi d’entretiens « longs » (entre 60 et 120 minutes) les thèmes centraux à notre
étude (tels que l’histoire de la maladie, de la fin de vie et de la mort, les décisions prises,
les références au religieux, les pratiques transnationales et funéraires) étaient abordés
sous plusieurs angles, à différents moments de l’entretien.
16 La présente étude a reçu l’approbation éthique de l’Université de Montréal et des
institutions de santé et de services sociaux concernés. Les noms des enfants et des
parents cités dans cet article ont été modifiés afin d’assurer leur confidentialité5.
Résultats
17 Nous avons rencontré les parents (surtout les mères) de 16 enfants (10 garçons et
6 filles), âgés de quelques semaines à 19 ans au moment du décès (voir tableau 1). À
l’image de la diversité montréalaise6, sept enfants étaient nés à l’extérieur du pays ou
de parents migrants, neuf étaient de parents nés au Canada. Sept enfants étaient
atteints de maladies génétiques ou rares, six d’un cancer et trois de conditions
multiples chroniques7. Les maladies génétiques ou rares et les conditions multiples
chroniques s’inscrivent généralement dans la durée, pour certains depuis la naissance
ou la première année de vie, le temps d’un diagnostic. À la différence, le cancer
s’exprime souvent plus tardivement, venant perturber le temps de vie jusque-là
« normal » de l’enfant et sa famille.
Tableau 1 : Expériences de fin de vie, selon l’enfant, son âge, son statut social, sa maladie, les soins
palliatifs reçus et le lieu de fin de vie
Prénom de
l’enfant
Âge au
décès
Statut
social Type de maladie Soins palliatifs Lieu de fin de vie
Alex 10 ans Migrant8 Maladie génétique Non reçus Urgences
Myriam 5 ans Non-
migrant Maladie génétique Reçus Maison de soins
palliatifs
Gabriel 5 ans Non-
migrant Cancer Reçus Maison de soins
palliatifs
Léo 11 ans Non-
migrant Cancer Reçus Hôpital
Olivier 3 ans et
8 mois
Non-
migrant Maladie génétique Reçus Soins intensifs
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5
Isa 2 ans Non-
migrant Maladie rare Non reçus Soins intensifs
Laurie 2 ans Non-
migrant Maladie rare Non reçus Soins intensifs
Félix 19 ans Non-
migrant Cancer Non reçus Domicile
Dalia 11
semaines Migrant Maladie génétique Reçus Hôpital Domicile
Ludovic 4 ans et
10 mois
Non-
migrant Cancer
Reçus de
manière
limitée
Soins intensifs
Vladim 15 ans Migrant Maladie génétique Reçus Domicile Maison
de soins palliatifs
Isa 7 ans Migrant Maladie génétique Reçus Maison de soins
palliatifs
Leïla 15 jours Migrant Suites chroniques
d’un incident aigu Reçus
Hôpital
Maison de soins
palliatifs
Adam 3 ans Migrant Cancer Reçus Hôpital
Hubert 2 ans Non-
migrant Cancer Reçus
Domicile
Maison de soins
palliatifs
Charlotte 17 ans Non-
migrant
Suites chroniques
d’un incident aigu Reçus
Domicile
Maison de soins
palliatifs (répit)
Transition vers les soins palliatifs
18 Tous les parents ont été informés, à un moment de la trajectoire de la maladie de leur
enfant (ou adolescent), de l’existence des soins palliatifs. Les soignants ne sont pas
toujours ceux qui évoquent ces soins, puisque certains parents les connaissaient d’une
expérience antérieure (personnelle ou de proches). Cette introduction, parfois aussi
précoce qu’avant le diagnostic (n = 1) ou encore autant tardive que quelques jours avant
le décès, témoigne d’une configuration singulière des soins. Toutefois, c’est souvent
lorsque la maladie se complique et que les soins deviennent de plus en plus prenants,
ou que l’état de l’enfant s’avère critique que les soins palliatifs s’imposent comme une
évidence, un soutien complémentaire aux équipes traitantes ou une alternative aux
soins à visée curative. Bien que tous en connaissaient l’existence, seulement douze
enfants en ont bénéficié.
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19 La grande maladie, même à l’enfance, s’inscrit pour plusieurs dans la durée. Cependant,
pour certains enfants (n = 2), la naissance enclenche d’emblée la fin de leur vie et les
soins palliatifs se présentent comme LA voie à emprunter. L’histoire de Leïla en
témoigne :
La naissance de Leïla avait été difficile. L’accouchement long et problématique avait
eu pour conséquence un manque d’oxygène important et le cerveau de Leïla en
avait grandement souffert. À peine deux jours suivant sa naissance, les médecins
proposent les soins palliatifs à la famille comme solution pour soulager les
souffrances de la petite Leïla. Si les parents en discutent avec leur entourage, la
réponse est rapide et sans équivoque, la petite Leïla bénéficie de soins palliatifs
jusqu’à son décès qui survient deux semaines plus tard.
(Histoire de Leïla et de sa famille)
20 Pour d’autres, cette évidence se révèle après l’épuisement des possibles thérapeutiques
(n = 2) et s’inscrit davantage comme des soins de fin de vie.
Adam est décédé à l’âge de trois ans des suites d’un cancer. Après l’échec de la
troisième greffe, les médecins disent avoir tout tenté. Les parents ont accepté le fait
que la mort soit à l’horizon. Le plus important à ce moment-là était que leur fils ne
souffre pas. Les médecins ont proposé de la chimiothérapie de confort, ce qu’ils ont
accepté. Les effets secondaires étant toutefois trop importants, il y a l’arrêt des
traitements et l’introduction des soins palliatifs (moins d’un mois avant le décès).
Adam passe ses journées à la maison en compagnie de ses parents (grâce à une
transfusion sanguine le matin) et les nuits à l’hôpital (dans l’éventualité d’un besoin
particulier). Dans les derniers jours, Adam ne sort plus de l’hôpital où il décède en
compagnie de ses parents.
(Histoire d’Adam et de sa famille)
21 Ces soins apparaissent parfois comme une évidence pour les soignants, mais moins
pour les proches qui disent les avoir refusés. Ce refus ne représente pas une esquive de
l’éventualité de la mort. Il s’agit plutôt d’un désir de faire soi-même, d’accompagner, de
prendre soin de son enfant. Quoi qu’il en soit, le soutien apporté (sans être nommé
« soins palliatifs ») a été apprécié par les parents.
22 Pour certaines familles, les soins palliatifs sont introduits de façon précoce, soit lors du
diagnostic initial ou d’un premier ou deuxième traitement (de greffe hématopoïétique)
(n = 8). Il s’agit d’enfants souffrant de cancer incurable (n = 4), de conditions chroniques
multiples (n = 2) ou de maladie génétique ou rare (n = 2). Dans ces histoires, les soins
palliatifs s’inscrivent souvent dans la durée où l’enfant bénéficie de traitements à visée
curative (traitements d’épisodes aigus de la maladie) et de soutien. Les soins palliatifs
prennent la forme d’un accompagnement dans la prise de décision, dans la gestion des
symptômes et dans l’offre de répit.
La naissance de Myriam s’était bien déroulée. Cependant, à quelques mois de vie, sa
mère Josiane observe certains retards. Si la petite est suivie de façon régulière dans
un hôpital pédiatrique pour divers problèmes tant aigus que chroniques, son
diagnostic tarde à tomber. C’est Josiane, souhaitant un peu de répit, qui fait la
demande pour avoir accès à des soins palliatifs pédiatriques, avant même d’avoir un
diagnostic. Myriam et sa famille bénéficieront de soins palliatifs d’une maison
spécialisée pendant près de trois ans. À la fin de sa vie, Myriam alterne les séjours
entre le domicile et cette maison de soins palliatifs elle terminera ses derniers
jours accompagnée de sa famille.
(Histoire de Myriam et de sa famille)
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23 Tous les enfants ayant bénéficié de soins palliatifs sur une longue période ne sont pas
nécessairement décédés accompagnés. En ce sens, une enfant s’est éteinte de façon
soudaine, sans que la fin de vie n’ait été reconnue ou du moins, identifiée.
La condition chronique de Charlotte (17 ans), causée par un manque d’oxygène à la
naissance, se décline par un handicap sévère (conditions multiples chroniques) qui
nécessite des soins importants aux quotidiens. Elle est sujette aux infections
respiratoires qui ont plus d’une fois fait craindre le pire à ses parents. Alors qu’elle
est hospitalisée pour l’influenza et qu’elle est sur le point de mourir, l’équipe de
soins palliatifs intervient auprès des parents. Charlotte récupère et l’équipe se fait
moins présente. Trois ans plus tard, à la recommandation d’une amie, les parents de
Charlotte font les démarches pour avoir accès aux services d’une maison de soins
palliatifs pédiatriques. Charlotte bénéficie d’un soutien et de répit pendant
plusieurs années. Bien que l’état de Charlotte ait décliné au cours des six derniers
mois, personne (ni ses proches ni ses soignants) n’avait envisagé sa fin de vie. Elle
est décédée dans la nuit, découverte par sa mère au matin.
(Histoire de Charlotte et de sa famille)
24 Lorsque les soins palliatifs sont perçus comme une alternative (n = 3), ils sont aussi
souvent pensés en tant que soins de fin de vie et refusés par les parents. La particularité
de ces histoires est que les soins palliatifs arrivent alors que l’enfant est en situation de
soins aigus (souvent en soins intensifs) et où l’incertitude (et l’espoir) quant à la survie
de l’enfant semble plus important. Il s’agit ici d’enfants atteints d’une maladie
génétique ou rare (n = 2) les parents, et dans une certaine mesure les soignants,
étaient dans une perspective d’urgence, de correction d’une situation critique, ou
d’enfant souffrant d’un cancer (n = 1) où les parents nourrissaient un espoir (désespéré)
de trouver LE traitement de la dernière chance.
La petite Isa avait un an lors de sa première crise d’épilepsie. Après un séjour à
l’hôpital et la prise de médicament, Isa peut revenir à son domicile où elle reprend
une vie normale avec sa famille. Six mois plus tard, les crises d’épilepsie de très
grande intensité recommencent et ne la quitteront plus. Les médecins décident de
la mettre dans le coma pour calmer ses crises d’épilepsie. Les parents sont très
clairs, même si Isa restera lourdement handicapée, ils feront tout pour qu’elle reste
en vie : « on s’est dit “ben on ne va pas rester à la regarder mourir sur son lit
d’hôpital”, on fera tout pour… pour la sauver finalement […] ». Isa subit une
première opération qui ne sera pas concluante et l’équipe de soins palliatifs leur est
présentée. La mère n’apprécie pas puisqu’elle pense que sa fille va bien. Elle se
questionne s’il y avait quelque chose qu’on ne lui avait pas dite. Après la rencontre,
elle commence à comprendre que sa fille allait bientôt mourir. Isa reçoit une
deuxième opération qui n’aura pas le succès escompté. L’assistance respiratoire est
cessée et Isa décède (à 2 ans) quelques heures plus tard.
(Histoire d’Isa et de sa famille)
25 Dans cette histoire, les soins palliatifs sont compris comme une alternative qui
soustrait le désir de tout faire pour sauver la vie. Cette vie souvent maintenue par de
lourds traitements portant l’espoir en un meilleur lendemain.
26 Le type de maladie (cancer, maladie génétique ou rare, conditions multiples
chroniques) semble avoir une portée sur le fait de recevoir des soins palliatifs puisque
trois des quatre enfants qui n’ont pas bénéficié de soins palliatifs étaient affligés de
maladies génétiques ou rares. Le quatrième était atteint de cancer. Pour trois de ces
quatre enfants (le quatrième étant décédé de façon soudaine), les soins palliatifs ont été
proposés et refusés par les parents. Les raisons de ces refus convergent vers une non-
reconnaissance de la condition critique de l’enfant, ces parents associant les soins
palliatifs à des soins de fin de vie et à une mort imminente. Bien que les soins palliatifs
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soient rejetés et l’éventualité de la mort non reconnue, les enfants décèdent quelques
jours ou semaines plus tard.
27 Que les soins palliatifs aient été considérés comme une évidence, un complément aux
équipes traitantes ou une alternative, ils n’ont toutefois pas toujours été garants d’une
expérience positive de la part des parents. Si chacun d’eux ont estimé avoir bénéficié
d’un accompagnement de qualité, certains témoignent d’une expérience jalonnée
d’irritants, de tensions ou de conflits, ayant pour conséquence une perception plus
mitigée de leur expérience de la fin de vie de leur enfant. Le lieu et la durée de la
prestation des soins (palliatifs ou non) semblent y être pour quelque chose. En effet, les
parents des enfants qui ont bénéficié des soins sur une courte période dans un nouvel
environnement, que ce soit en maison de soins palliatifs spécialisés pour quelques jours
(n = 2), à l’urgence pour quelques heures (n = 1) ou à l’hôpital de quelques jours à
quelques semaines (n = 2), relatent une communication plus difficile avec les soignants.
Ces enfants étaient surtout non-migrants (4/5). Deux d’entre eux étaient atteints d’un
cancer et trois d’une maladie génétique ou rare.
28 À l’inverse, les enfants ayant eu accès ou non aux soins palliatifs, les familles constatent
une expérience positive dans les autres histoires. La relation avec les soignants a été de
grande importance. De ces familles, deux ont connu une fin de vie à domicile, trois aux
soins intensifs (sans soins palliatifs ou avec soins palliatifs limités), un à l’hôpital pour
un séjour d’un mois, et un en maison de soins palliatifs pour la même durée. Les quatre
autres enfants ont vécu une combinaison de lieux de fin de vie : trois à domicile et en
maison de soins palliatifs, ainsi qu’un à l’hôpital et en maison de soins palliatifs. Ils
étaient six migrants et cinq non-migrants. Tandis que quatre d’entre eux étaient
atteints d’un cancer, cinq étaient affectés d’une maladie génétique ou rare et deux des
suites chroniques d’un incident aigu.
29 La durée permet ainsi d’établir une relation de confiance, une communication fluide
entre les soignants et les parents. Ce constat invite à explorer la place du care dans
l’expérience de la grande maladie et de la fin de vie et plus après, le profil des familles
dans l’appréciation des soins.
La place du care dans l’expérience de la grande maladie et de la fin
de vie
30 Plusieurs familles ont vécu des tensions à l’égard de soignants envers lesquels ils
n’avaient pas confiance. Au plan relationnel et pratique, des erreurs ou faux-pas
qualifiés d’inconfortables, d’inacceptables, voire de traumatisants pour les proches, ont
pu survenir et ont affecté la confiance, la satisfaction à l’égard de la qualité perçue des
services et, ultimement, l’expérience de la grande maladie et de la fin de vie. Ceci dit, le
savoir-être des soignants, par leurs qualités humaines dans la relation de soin, semble
au contraire apaiser les tensions et adoucir les expériences de fin de vie.
31 Les trajectoires de maladie apparaissent comme ayant été davantage marquées de
tensions et de conflits que les trajectoires de fin de vie, tant au niveau du savoir-faire
des soignants que de leur relation avec les proches, notamment au regard de la prise de
décision. Ainsi, les soins considérés adéquats sont ceux qui répondent aux attentes, aux
croyances, aux souhaits et, enfin, aux perceptions individuelles du « bon » soin. Ces
derniers influencent positivement l’expérience des soins au cours de la maladie et de la
fin de vie. À contrario, le manque de suivi et de communication entre les soignants,
Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L’expérience de parents ayant a...
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ainsi que l’impact des changements et rotations de personnel médical sont dénoncés,
tout comme le manque de ressources. Ces manques ont été explicitement mentionnés
par les parents d’enfants nécessitant des soins complexes, en comparaison à ceux
disponibles en oncologie. À cet effet, les parents d’Olivier, décédé à près de 4 ans et
souffrant d’une maladie génétique, le déplorent. L’état d’Olivier demandait des soins
complexes et permanents. Selon ses parents, les soins offerts à l’hôpital et encore
moins ceux à domicile (ils ne bénéficiaient pas de soins à domicile faute de services
dans leur quartier) n’étaient pas adaptés à ce type de conditions. Ils ont dû revendiquer
(dans la durée) pour avoir accès à des services répondant aux besoins d’Olivier. À
l’hôpital, ils critiquent le manque d’une unité spéciale 24h/24 pouvant héberger le
patient et sa famille, comme celle du service d’oncologie. Les ressources à leur
disposition étaient limitées, notamment au niveau de leur disponibilité, tout en sachant
que de réunir un grand nombre de spécialistes composant l’équipe des soins complexes
peut être difficile. Les parents soulèvent aussi la portée de la rotation du personnel
médical sur le suivi de leur fils et ils se sont sentis pris entre les désaccords des équipes
infirmières et médicales. Selon la mère d’Olivier, le principal irritant a été les difficultés
de l’hôpital à donner accès au même personnel. En effet, le manque de personnel
infirmier et la quantité limitée de soins qu’ils pouvaient recevoir ont été un autre enjeu
dans leur relation avec le Centre local de santé communautaire (CLSC). Les parents sont
toutefois d’avis que l’infirmière de l’équipe de soins palliatifs de l’hôpital (présente à
partir du diagnostic) a été d’un très grand soutien, tant dans la prise de décision qui a
jalonné la maladie d’Olivier que dans les démarches d’accès aux soins complexes.
32 Malgré l’expérience difficile de la grande maladie et de la perte d’un enfant, les parents
expriment généralement de manière positive leur expérience de soins au cours de la fin
de vie, qu’ils aient bénéficié ou non de soins palliatifs. La relation de confiance entre les
soignants et les parents contribue à la qualité de l’expérience. Les parents témoignent
de l’importance du savoir-être des soignants dans l’exécution des gestes techniques,
mais aussi relationnels, spécialement lorsque le fardeau de la maladie prend le pas et
que l’espoir semble à néant. La proximité relationnelle, tant physique qu’émotionnelle,
apporte soutien et réconfort. Des parents réfèrent parfois aux soignantes comme des
« mamans », ou encore des membres de la « famille » les bras et les larmes
rappellent un réconfort familier. L’histoire de la petite Leïla (décédée à 15 jours) en fait
preuve, les parents valorisant le fait qu’ils n’ont jamais été laissés seuls, que des
soignants s’asseyaient et pleuraient avec eux.
« Parce qu’ailleurs on [ne] ferait pas ça […] quand on voit comment on a été entouré
là, même [à l’hôpital pédiatrique], quand elle était en soins palliatifs, c’était comme
des mamans, là, les dames qui s’occupaient des, les infirmières qui s’occupaient
d’elle. C’était comme des mamans. […] On [ne] nous laissait jamais seuls. C’était
comme si on avait une famille et qu’on les voyait et qu’ils venaient se soucier de
nous […] »
(Nadia, mère de Leïla)
« … [En maison de soins palliatifs,] ils attendaient juste notre venue. Dès qu’ils
entendaient “les parents de Leïla sont là”, ils passaient à tour de rôle, là. Arriver à
trouver des personnes qui travaillent à l’hôpital, qui s’asseyaient avec nous, qui
pleuraient avec nous, c’est… »
(Bilel, père de Leïla)
33 Ces dimensions relationnelles du soin viennent apaiser la crise vécue lors de la
naissance de Leïla. Si les parents ont attribué la condition et la mort de leur fille à la
négligence des médecins, ils témoignent d’une expérience plus paisible à l’égard des
Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L’expérience de parents ayant a...
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soins reçus à la fin de vie de leur fille, parce que ces soins étaient avant tout sollicitude
et compassion.
34 À contrario, au moment d’un changement d’équipe traitante en fin de vie ou lors d’un
transfert en maison de soins palliatifs par exemple, des difficultés peuvent apparaître,
particulièrement lorsque le séjour de l’enfant y est de courte durée et que la
connaissance mutuelle et la relation de confiance n’ont pas le temps de s’installer. À
l’instar d’autres histoires, celle de Gabriel (5 ans) témoigne de ce manque à la fin de la
vie de leur enfant. Les parents de Gabriel (atteint d’un cancer) racontent d’abord une
expérience positive des soins reçus à l’hôpital pédiatrique, mais plutôt mitigée par la
suite, en maison de soins palliatifs. À l’hôpital pédiatrique, la continuité dans la durée
avec l’équipe médicale a contribué à ce lien de confiance si cher à toutes les familles
rencontrées. Les parents de Gabriel témoignent d’une bonne communication avec les
soignants, lesquels les aidaient à affronter la maladie avec leur enfant. Ils ont
particulièrement valorisé l’honnêteté des soignants à la fois directs et encourageants,
sensibles à leurs besoins et faisant preuve d’écoute. Ces parents sont aussi convaincus
du plein investissement de l’équipe médicale auprès de leur fils et de leur volonté de le
« sauver ». En bref, la qualité de ce soutien a largement teintée leur expérience de la
maladie de Gabriel. Plus avant, la relation de soin a toutefois eu une autre saveur, cette
fois en maison de soins palliatifs. Les parents déplorent une transition difficile, ainsi
qu’un manque de coordination et de communication entre les équipes des deux
milieux, ayant mené à des désaccords concernant le pronostic et l’imminence du décès.
Durant ce court séjour de quatre jours en maison de soins palliatifs, la famille n’a pas
été en mesure de développer ce lien de confiance avec l’équipe, ce qui a
défavorablement teinté leur expérience de la fin de vie de leur fils.
35 Les familles dont l’enfant n’a pas bénéficié de soins palliatifs en fin de vie n’étaient pas
moins satisfaites des soins reçus en fin de vie. Ils témoignent du respect de leur volonté
de poursuivre les traitements. Deux de ces enfants sont décédés aux soins intensifs. Les
parents disent avoir été satisfaits des soins reçus à la fin de vie de leur enfant. Pour
l’une (Laurie, 2 ans), le déclin de l’état de santé ayant mené au décès a été très rapide (la
trajectoire de la maladie étant incertaine) et l’orientation des soins est restée dans le
champ curatif. Pour l’autre (Isa, 2 ans), les interventions sont demeurées à visée
curative et les soins palliatifs n’ont pas été discutés. La mère d’Isa mentionne qu’à
chaque fois qu’elle aurait pu envisager l’option palliative, son enfant « revenait à la
vie » renaissait de l’impossible et se portait « bien » à nouveau.
36 La reconnaissance des parents comme acteurs de soins par l’équipe soignante favorise
une expérience de soins perçue de façon positive au cours de la maladie et de la fin de
vie. Les parents d’Hubert (décédé d’un cancer à l’âge de 2 ans et 4 mois) ont bénéficié
des soins palliatifs à domicile (1 mois) et en maison de soins palliatifs pour la toute fin
de vie. Ils témoignent d’une relation de confiance forte tissée autour de la
reconnaissance mutuelle de leur expertise et de leur rôle d’acteurs du soin. Les parents
rapportent avoir eu confiance envers les décisions des soignants et de les avoir sentis
disponibles, ouverts et respectueux de leurs besoins et de leurs savoirs. Rappelant aussi
la grande aisance des soins palliatifs à domicile à s’adapter au quotidien des familles,
Marianne, la mère d’Hubert, se confie :
« [o]n savait que ça ne servait à rien d’aller chercher autre chose. On a une équipe
pour nous, fait qu’on les supporte dans les décisions qu’ils nous proposent. Non, il
n’y a jamais eu de conflit. Jamais, jamais, non. […] Ils [les soignants des équipes
côtoyées] n’en revenaient pas de la façon dont on réagissait [avec maturité]. On
Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L’expérience de parents ayant a...
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était très terre à terre. […] Fait que ça a été une belle fin de vie. Vraiment, ça ne
pouvait pas être mieux que ça.... On avait… Tu sais, les infirmières venaient si on
avait besoin, si on avait des questions, mais on… ils ne voulaient pas non plus trop
s’imposer, ils respectaient notre… besoin, ben ce n’était pas un besoin, mais on… on
l’accompagnait toujours. Fait que ça s’est bien passé ».
(Marianne, mère d’Hubert)
37 Cette reconnaissance des parents comme acteurs du soin demande parfois quelques
ajustements. La participation des parents à la prise de décision reste un élément phare
de cette reconnaissance. Selon la mère de Myriam (5 ans, atteinte d’une maladie
génétique), des tensions se sont d’abord manifestées à l’hôpital, en soins intensifs
elle relate les tentatives des soignants quant à l’orientation des décisions tantôt vers un
niveau minimum de soins et tantôt vers ce qu’elle considère de l’acharnement
thérapeutique. Cependant, lorsqu’elle scrute davantage son expérience, elle se souvient
de certains soignants qui ont « fait la différence » au cours de la fin de vie de sa fille. Or,
la maman de Myriam a particulièrement valorisé la patience de certains soignants en
milieu hospitalier, leur écoute et le temps déployé pour répondre à ses questions et lui
expliquer les procédures; tous ces aspects ont ultimement mené à l’appréciation de son
expérience.
38 Dans l’ensemble des histoires, la question du « temps » est manifeste. En contexte de
soin hospitalier, le temps est rare et précieux. Le soin dans sa dimension relationnelle
requiert des ressources temporelles et émotionnelles. Qu’il y en ait trop (temps
d’attente) ou trop peu (temps d’écoute), les multiples enjeux du temps sont
omniprésents chez les participants : l’obtention de services, la disponibilité du
personnel, le temps accordé par les soignants pour expliquer, être présents,
comprendre la singularité de la situation et écouter la famille. C’est dire combien le
temps fait partie intégrale de la confiance au sein de la relation de soin.
Profil des familles et expériences de soins
39 Nous avons pu constater que la mise en place des soins palliatifs ne garantissait pas
toujours une expérience positive, en particulier les soins de courte durée et assurés par
une équipe inconnue des parents. Dans une expérience de la maladie et de la fin de vie,
le care favorise la perception d’une expérience positive de la part des parents. Lors d’un
épisode de rationnement des services (comme le montre l’histoire d’Olivier, 3 ans) ou
d’un transfert en soins palliatifs tardif (comme dans l’histoire de Gabriel, 5 ans), il
permet à ce que l’expérience ne soit pas complètement négative.
40 Si le care est en partie à la charge des soignants, le profil des parents contribue
également à la perception de l’expérience de la maladie. Les expériences sont vécues
différemment, que ce soit par écart aux normes biomédicales par la mise en place de
pratiques alternatives par les parents, ou au contraire, lors d’une forte valorisation de
ces normes.
41 Ceci étant dit, une majorité de parents témoigne d’une expérience positive des soins à
visée curative, ainsi que de ceux à visée palliative. Le type de maladie (cancer : 4/6;
maladie génétique ou rare ou condition multiple chronique : 7/10) ne semble pas jouer.
Par contre, il est possible de constater que les familles migrantes (6/7) témoignent plus
souvent de façon favorable de leur expérience que les familles nées au pays (5/9).
Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L’expérience de parents ayant a...
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42 Quant à l’orientation religieuse, les familles qui ont souhaité maintenir des visées
curatives jusqu’à la fin de vie de leur enfant ne diffèrent pas sur le plan religieux des
parents ayant retenu une approche palliative. Ces premières étaient protestantes (2),
athées (1) ou ayant une spiritualité personnelle (1) alors que les familles ayant opté
pour des soins palliatifs étaient de confession catholique (4), musulmane (2), athée (2),
bouddhiste (1), protestante (1) ou autres (2).
43 Pour Véronique (maman de Léo, décédé d’un cancer à 11 ans), sa spiritualité et les
pratiques de soins alternatifs qu’elle a adoptées n’ont pas toujours trouvé bon
entendeur et ont même parfois contribué à l’émergence de tensions au fil de la
trajectoire de soins de Léo. Selon cette dernière (née au Canada), ces dimensions n’ont
pas été reconnues, respectées ou entendues par les soignants, ce qui a pu rendre, à
certains moments, l’appréciation de son expérience des soins plus mitigée. Elle avait
entamé des démarches auprès d’une maison de soins palliatifs, mais elle a finalement
décidé de poursuivre aux soins palliatifs d’un hôpital pédiatrique, étant plus à l’aise,
puisqu’elle y connaissait bien l’équipe. La mère de Léo est satisfaite du travail de
proximité et personnalisé des deux infirmiers envers Léo et son grand frère, mais elle
s’est dit plutôt mitigée par rapport aux autres soins reçus. Elle aurait aimé que les
soignants laissent plus de place à la dimension familiale des soins, qu’ils remettent « le
côté parent-enfant-famille en premier dans la qualité […] puis le côté spirituel qui est
complètement absent si on ne le fait pas nous-mêmes ». D’après elle, le psychologue de
l’hôpital lui a déconseillé de parler de l’acceptation de la mort, comme elle le faisait
avec Léo, ce qu’elle a trouvé insensé. Puis, toujours selon Véronique, les médecins
étaient défavorables à ses pratiques de soin telle que l’aromathérapie; ils
méconnaissaient aussi les bienfaits du jus de sureau sur la tumeur. En somme, ses
croyances, ses demandes et ses souhaits ont été qualifiés d’alternatifs, allant « à
l’encontre » des décisions ou pratiques normatives biomédicales des soignants. Dans
cette histoire, il semble que l’enjeu ne se rapporte pas nécessairement à une question
de différence de statut migrant/non-migrant, mais plutôt à l’accord des familles avec
les savoirs, pratiques, normes et codes biomédicaux partagés avec les soignants.
44 Dans un même ordre d’idées, lorsque le parent de l’enfant travaille dans le domaine de
la santé, il semble qu’il soit plus facile pour ces parents d’être considérés comme faisant
partie de l’équipe médicale et que leurs décisions soient plus souvent entendues et
respectées. Nous avons observé les différences migrants/non-migrants entre les
histoires de Dalia (11 semaines) et de Ludovic (4 ans et 10 mois), au niveau du respect
des souhaits des parents familiarisés ou non avec le milieu de la santé et avec les soins
palliatifs. Pour ces deux récits particuliers, les soins palliatifs ont été reçus, mais de
manière très différente.
45 Dalia, née prématurément à 35 semaines de gestation et atteinte d’une maladie
génétique (rare), a bénéficié de soins palliatifs à domicile, en quelque sorte à l’insu des
parents (migrants) qui les avaient au préalable refusés. Bien que ces derniers
recevaient la visite quotidienne du personnel des soins palliatifs en milieu hospitalier,
la mère de Dalia affirme qu’elle les accueillait par politesse, sans en voir leur intérêt. Se
sentant prête à vivre la situation /condition de Dalia, elle ne croyait pas avoir besoin de
ce soutien particulier et ne voyait pas l’utilité de la médication proposée (morphine),
étant donné que sa petite n’était pas souffrante. Les parents ont préféré rentrer à
domicile et, bien qu’ils aient décliné officiellement les soins palliatifs à domicile, ils ont
apprécié l’accompagnement qu’ils y ont reçu puisque ces soins leur ont permis de
Le curatif, le palliatif… quelle importance ? L’expérience de parents ayant a...
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profiter des derniers moments précieux avec leur fille, à la maison. La famille a ainsi
bénéficié des soins (à domicile) d’une équipe entière (médecin, infirmière, travailleuse
sociale) durant 5 semaines, jusqu’au décès de Dalia, sans avoir explicitement consenti à
sa présence. Cette histoire contraste avec celle de Ludovic, décédé d’un cancer aux
soins intensifs, dont la mère (non-migrante) était infirmière. Les soins palliatifs ont été
reçus dans la durée, tels que désirés par sa mère qui affirme avoir grandement
bénéficié du soutien de l’équipe. Étant infirmière, la mère de Ludovic semble avoir
réellement fait partie de l’équipe de soins tout en ayant laissé la place aux soignants
avec confiance. Elle est satisfaite du travail des nombreux médecins impliqués auprès
de Ludovic; elle estime qu’ils détenaient tous une grande expertise et communiquaient
bien entre eux. Qui plus est, elle considère que les membres de l’équipe des soins
palliatifs lui ont offert un accompagnement important, par leurs visites et discussions,
ainsi que leur rôle et appui dans la prise de décision :
« [les membres de l’équipe des soins palliatifs] venaient voir comment ça allait, pis
des fois on entrait dans le bureau et on parlait de la situation, comment ça allait
pour Ludovic […]. Puis surtout, je dirais plus vers la fin, quand il fallait faire la
décision de : “est-ce qu’on continue agressif, actif là-dedans, y a-t-il encore une
possibilité de faire ça, ou on est rendu au point que là, soins de confort on pense à
Ludovic, comme un être…” »
(Marie-Ève, mère de Ludovic)
46 La mère de Ludovic, qui partage des connaissances médicales avec les soignants et
connaît le système de santé, semble avoir obtenu l’accompagnement désiré et avoir été
respectée dans ses souhaits quant au déroulement de la fin de vie de son fils. Quant à la
mère de Dalia, la nature des soins palliatifs ne lui aurait pas été clairement expliquée.
Néanmoins, malgré le non-respect des soignants à l’égard du souhait de la famille de ne
pas recevoir de soins palliatifs, cette dernière témoigne d’une appréciation favorable
du soutien des soignants à la fin de la vie de Dalia. Sa mère dira aussi que certains
gestes délicats ne pouvaient incomber à une mère (même infirmière) :
« [c]’est vraiment délicat pour moi, pour mettre un tube, je ne suis pas une
infirmière et même si j’étais une infirmière, je [ne] pense pas que je pourrais être
capable pour mon bébé de mettre… c’est un peu sensible et elle était tellement
fragile ».
(Aïcha, mère de Dalia)
47 Enfin, Olga, maman de Vladim qui vivait avec une maladie génétique et est décédé à
l’âge de 15 ans, atteste de son expérience positive au Québec dans les soins offerts à son
fils, tant à l’école, à l’hôpital ou en maison de soins palliatifs en comparaison des soins
disponibles dans son pays d’origine la grande maladie était plutôt difficilement
accompagnée.
« And they show respect, to these kids and to their parents. And which is very
important. Because in [pays d’origine], we have such a bad experience. So sick
kids ? [They] are kept at home! Because people are afraid of them or maybe
they don’t know how to behave, with these kids, with these special kids »
(Olga, mère de Vladim)
48 Son expérience de fin de vie avait également été adoucie par les soins offerts à son fils
par une infirmière parlant la même langue qu’elle et ses proches.
« We can speak other languages, of course, but emotions and feelings, um are tied
up with [mother tongue] and … that was very important for us that we could speak
[mother tongue] during Vladim’s lost. […] Supporting families and … making, last
days of these kids full of life, full of joy. […] »
(Olga, mère de Vladim)
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Éléments de discussion
49 Dans cet article, nous avons démontré la manière dont le care, dans sa dimension
relationnelle, s’inscrit tout au long de la trajectoire de la grande maladie et de la fin de
vie des enfants et de leur famille, ainsi que la façon dont ce care contribue à la
perception d’une expérience (malgré tout) positive de la fin de vie. Malgré le fait que
toutes les familles aient été informées (par des soignants ou par des proches) de
l’existence des soins palliatifs, les résultats montrent que tous les enfants n’en ont pas
bénéficié. Lorsque les soins palliatifs sont considérés comme une alternative aux soins à
visée curative et associés à des soins de fin de vie, ces derniers sont fréquemment
refusés.
50 Au fil de ces histoires de grande maladie et de fin de vie, le type de maladie émerge en
tant qu’acteur critique des soins palliatifs. Les enfants atteints d’une condition multiple
chronique, d’une maladie génétique ou rare ont moins bénéficié des soins palliatifs que
ceux ayant un cancer. Ces résultats rejoignent ceux présentés par Friedel et al., (2019),
soit que peu d’enfants atteints de conditions chroniques complexes (en Belgique)
avaient accès à des soins palliatifs pédiatriques. Nos résultats suggèrent que le type de
maladie et son évolution teintent l’orientation thérapeutique, en raison de
l’imprévisibilité de la trajectoire de la maladie. Les soins palliatifs demeurent peut-être
encore associés à des soins de fin de vie et les enfants n’ayant pas reçu ces soins
n’étaient pas « rendus là » pour les parents, et parfois aussi, pour les soignants.
51 Pour les parents d’enfants n’ayant pas reçu de soins palliatifs, cette absence n’est pas
mentionnée comme problématique ou négative. Ils restent plutôt avec le sentiment
d’avoir été entendus et respectés dans leur décision de poursuivre les soins.
52 Bien que les familles migrantes aient davantage perçu une bonne qualité des soins
reçus en fin de vie que les familles non migrantes, être migrant, né de parents migrants
ou non-migrant, n’a pas eu de portée sur la réception ou non des soins palliatifs.
Autrement dit, le profil des familles au regard du groupe d’appartenance (résumé pour
les fins de cet article à « migrant » et « non-migrant ») ne s’avère pas acteur tant dans
les orientations thérapeutiques privilégiées que dans la prestation des soins et
l’accompagnement des familles. Par ailleurs, notre étude rapporte les expériences de
fin de vie telles que partagées par les parents. Si nous avions été en mesure d’observer
ces expériences, peut-être que la coloration spécifique des soins palliatifs, leur apport
ou encore le poids (ou non) de leur absence aurait nuancé notre propos, à savoir si tous
les parents ont une voix égale dans l’orientation des soins. Ces résultats divergent de
ceux rapportés dans plusieurs études réalisées auprès d’adultes où le fait d’être migrant
fragilise l’accès aux soins palliatifs (Chu et al., 2021). Tout comme l’Institut canadien
d’information sur la santé (2018) démontrait qu’une logique d’âge entrait en compte
dans l’accès aux soins palliatifs puisque les plus jeunes et les plus âgés en auraient
moins souvent accès que les personnes âgées entre 45 et 75 ans.
53 La dimension relationnelle des soins a été largement soulignée comme favorable à une
expérience positive de fin de vie (Le Gall et al., 2021; Heimerl et al., 2022). Bien que
d’autres enjeux apparaissent, comme les croyances religieuses ou les pratiques
alternatives, l’enjeu semble davantage reposer au niveau relationnel.
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54 La place des soins palliatifs dans ce que les parents retiennent de leur expérience de la
grande maladie et de la fin de vie de leur enfant est variable. Plus que les soins palliatifs
en eux-mêmes, la dimension relationnelle du soin marque positivement les
expériences. Quoi qu’il en soit, la présence des soins palliatifs rappelle actuellement le
meilleur, une qualité de relation (lorsqu’il y a une connaissance mutuelle) qui s’inscrit
dans un temps de vie limité par l’idée que la mort soit à l’horizon.
55 Nous avons également pu constater que le type de maladie, l’expérience subjective de la
maladie et son inscription dans le social teintent l’expérience de la grande maladie et
de la fin de vie des parents. Les expériences de la maladie ne peuvent être réduites à
leur seule dimension biologique, mais doivent prendre en compte l’ensemble de leurs
dimensions, y compris relationnelle, afin de cultiver le fondement humain de la
relation de soin sur lequel baser l’efficacité médicale (Saintôt, 2020; Lajeunesse, 2022).
Placer l’individu et la relation thérapeutique au centre du soin, dans leur globalité et
leur singularité, contribue à favoriser la reconnaissance et la réponse au besoin d’autrui
(Branicki, 2020).
56 Ces expériences de fin de vie et l’importance que revêt la relation de soin nous
conduisent à réitérer ce que Castra (2010) avance depuis un moment déjà, à savoir
qu’une bonne expérience de fin de vie donne lieu à une bonne mort et… qu’une bonne
mort se dessine à partir de l’expérience de la fin de vie où les dimensions relationnelles
et la négociation avec les différentes personnes impliquées dans les services et les soins
sont centrales.
Limites de l’étude
57 Les trajectoires de maladie et de fin de vie des enfants racontées ici sont riches, par-
delà la question de soins. Nous avons voulu contribuer à une discussion thématique en
proposant cet extrait d’une étude plus vaste où sont mises en dialogues les trajectoires
des plus jeunes avec celles des ainés. Néanmoins, les seize histoires documentées
donnent à voir ce que les parents retiennent de ce moment charnière de leur vie et
nous sommes reconnaissantes pour ce partage. Des observations, si chères à
l’anthropologie, auraient enrichi notre corpus, sans nul doute, ouvrant une fenêtre sur
les non-dits et les actions qui complètent ce que révèlent les paroles. Toutefois,
l’intensité du mourir, avec ou sans soins palliatifs, est telle que nous avons préféré
solliciter la participation de parents qui, dans un récent passé, avaient perdu un enfant
et souhaitaient partager leur expérience.
Conclusion
58 L’examen des expériences de soins de fin de vie des familles nous a menés à considérer
l’importance du lien de confiance dans la dimension relationnelle des soins. Pour les
parents, il était indispensable d’être impliqués et reconnus comme acteurs de soin. Que
leurs souhaits soient respectés, qu’ils soient écoutés et aient accès à l’information
nécessaire, que les soignants « prennent le temps » de leur répondre et que le meilleur
soin possible soit offert à leur enfant, toutes ces dimensions sont intimement liées à la
confiance, à l’humanité de la relation de soin et au care. Au cours de la fin de vie, le
savoir-être des soignants et leurs qualités humaines au niveau de la relation de soin
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sont des éléments importants d’une expérience positive à l’égard des soins pour ces
familles. Les soins considérés adéquats sont ceux qui répondent aux attentes, aux
croyances, aux souhaits, ainsi qu’aux perceptions individuelles des « bons » soins. Ces
derniers influencent alors la « bonne » trajectoire, l’orientation des soins et la
« bonne » expérience des soins de fin de vie.
59 Enfin, la perspective thérapeutique curative/palliative importe peu dans la satisfaction
des participants de notre étude à l’égard de leur expérience de fin de vie, tant que le
lien de confiance thérapeutique est présent. L’accès à des soins de nature palliative
n’est pas nécessairement gage d’une plus grande satisfaction envers la qualité des
soins : l’accent est posé sur la combinaison indissociée des soins techniques et humains.
Lorsque l’un ou l’autre est défaillant, conflits et tensions tendent à émerger dans
l’expérience de la grande maladie et de la fin de vie. La mise de l’avant de la dimension
relationnelle du soin permet l’instauration d’un lien de confiance qui est, finalement,
garant d’une expérience plus positive de la grande maladie et de la fin de vie.
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NOTES
1. Brugère (2010) rappelle les propos de Tronto en soulignant le fait que le care n’est pas que
relation entre individus et qu’il concerne toute activité ou pratique sous la forme d’un soin,
n’excluant pas les institutions de soins.
2. Soutenue par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH,
2017-2023), la recherche Expériences de fin de vie dans un Montréal pluriel ( https://
www.findeviemtlpluriel.ca) réunit des chercheurs et praticiens de divers horizons, soit
S. Fortin, J. Le Gall, I. Olazabal, G. Mossière, L. Rachédi, P. Durivage avec l’étroite
collaboration de M. E. Samson, coordonnatrice du projet, S. Lessard, B, Mathiot,
T. Bytyqi, S. Ouadfel et en amont, celle de J. Fuentes Bernal, P. Gagnon, V. Kayayan,
É. Develey, C. Goglio, J. Simard et M. Cliche-Galarza. A. Simard, M. Drolet, C. Sigouin et
J. Desrochers complètent l’équipe avec leur expertise des milieux de soin.
3. Souhaitant tenir compte des expériences de soins en milieux et institutions
sanitaires tout en recueillant des trajectoires diversifiées, les méthodes de recrutement
ont été des plus variées parmi lesquelles nous retrouvons la diffusion d’affiches dans
des commerces de proximité de quartiers ciblés pour leur mixité, une présence
soutenue dans différents organismes et milieux de culte, des annonces dans des
journaux de quartier et la distribution deflyerdans de multiples endroits tels que les
sorties de métro ou les fêtes populaires à Montréal. Nous avons aussi été en lien avec
des institutions et organismes de soins de la région montréalaise.
4. Les entretiens auprès des parents d’enfants ont été menés par Fortin et Lessard; les analyses
par Fortin, Lessard et Lajeunesse, toutes trois anthropologues.
5. Un formulaire d’information et de consentement à l’étude a été signé par tous les participants.
6. Pour une discussion soutenue sur le thème de la diversité dans le soin en pédiatrie, voir Fortin
et Maynard (2018).
7. Par conditions multiples, nous entendons les situations il y a comorbidité ou encore
plusieurs problèmes de santé concomitants.
8. Migrant ou de parents migrants.
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RÉSUMÉS
Cadre de la recherche : Dans la grande maladie, la prolifération des possibilités thérapeutiques
retarde souvent le moment la mort est envisagée et les soins palliatifs, trop souvent
associés à la fin de vie et à la mort, sont introduits dans les trajectoires des malades. Dans ce
contexte, les soins palliatifs pédiatriques tentent de jouer un rôle actif dans la relation de soins,
au-delà de l’idée de traitements pour la guérison.
Objectifs : Notre article cherche à mieux comprendre le moment les soins palliatifs
deviennent une possibilité dans la trajectoire de la grande maladie, et comment ils sont
représentés. Nous nous intéressons à la place que ces soins occupent dans le vécu des parents,
ainsi que la manière dont s’exprime leur expérience de la grande maladie, et plus précisément la
dimension relationnelle de la fin de vie.
Méthodologie : Nous nous appuyons sur les témoignages de parents dont les enfants ont souffert
de maladies graves et de décès. Par le biais d’entretiens individuels semi-dirigés entre 2017 et
2019, nous avons recueilli les histoires de 16 enfants et adolescents montréalais d’origine
migrante ou non-migrante (10 garçons et 6 filles âgés de quelques semaines à 19 ans), atteints
d’une maladie génétique ou rare, d’un cancer ou de plusieurs maladies chroniques.
Résultats : Non seulement le type de maladie est une composante importante dans le parcours
des soins palliatifs, mais le care et le profil des familles sont également déterminants dans la
perception d’une expérience (néanmoins) positive de la fin de vie de leur enfant.
Conclusions : Les perspectives thérapeutiques curatives/palliatives ont peu d’influence sur la
satisfaction de nos participants quant aux soins de fin de vie, tant qu’un lien de confiance
thérapeutique est présent entre la famille et l’équipe soignante. Que ce soit positif ou négatif, ce
lien de confiance influence les relations de soins pédiatriques et les trajectoires de maladies
graves, ainsi que les expériences de fin de vie vécues par les proches.
Contribution : À travers les expériences d’enfants en fin de vie telles que partagées
(principalement) par les mères, cet article aborde les perspectives curatives et palliatives telles
que choisies par les parents d’enfants confrontés à un sombre pronostic. Au-delà des différentes
philosophies qui habitent ces approches, la qualité (et la continuité) des relations établies avec
les soignants est un facteur déterminant dans la qualité des expériences documentées par notre
étude.
Research Framework: In serious illness, the proliferation of therapeutic possibilities often
delays the moment when death is foreseen and when palliative care, too often associated with
the end of life and death, is introduced into patients’ care paths. In this context, pediatric
palliative care tries to play an active role in the care relationship, beyond the idea of treatments
for recovery.
Objectives: Our aim is to better understand the moment when palliative care becomes a
possibility in the trajectory of serious illness, and how it is represented. We examine how
palliative care fits into the parents’ experience, as well as the way in which their experience of
serious illness, and more so the relational dimension of the end of life, is expressed.
Methodology: We draw on the testimonies of parents whose children suffered major illness and
death. Through individual semi-structured interviews between 2017 and 2019, we collected the
stories of 16 Montreal children and adolescents (10 boys and 6 girls aged between a few weeks to
19 years) with a genetic or rare disease, cancer or multiple chronic conditions of migrant and
non-migrant background.
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Results: Not only is the type of illness an important figure in the palliative care trajectory, care
and the families’ profiles also shape their perception of a (nonetheless) positive experience of
their child’s end of life.
Conclusions: Curative/palliative therapeutic perspectives have little bearing on our participants’
satisfaction with care at the end of life, as long as a therapeutic trust bond is present between the
family and the health care team. Both positively and negatively, this bond of trust influences the
pediatric care relationships and major illness trajectories, as well as the end-of-life experiences
of loved ones.
Contribution: Through the experiences of children at the end of life as shared (mostly) by
mothers, this paper discusses both curative and palliative perspectives as chosen by the parents
of children facing a poor prognosis. Beyond the different philosophies that inhabit these
approaches, the quality (and continuity) of the relationships established with care providers is a
determining factor in the quality of the experiences documented through our study.
Marco de investigación : En las enfermedades graves, la proliferación de posibilidades
terapéuticas retrasa a menudo el momento en que la muerte se aproxima y en que los cuidados
paliativos, asociados con demasiada frecuencia al final de la vida y a la muerte, se introducen en
las trayectorias de los pacientes. En este contexto, los cuidados paliativos pediátricos intentan
desempeñar un papel activo en la relación, más allá de la idea de tratamientos de cura.
Objetivos : Nuestro objetivo es captar el momento en que los cuidados paliativos se convierten en
una posibilidad en la trayectoria de una enfermedad grave, y cómo se representan. Nos interesa
el lugar que ocupan los cuidados paliativos en la experiencia de los padres, así como la forma en
que se expresa su vivencia de la enfermedad grave y, más concretamente, de la dimensión
relacional del final de la vida.
Metodología : Nos basamos en los testimonios, recogidos a través de entrevistas individuales
semidirigidas entre 2017 y 2019, de padres que han acompañado a sus hijos durante el transcurso
de una enfermedad grave y el final de la vida. Estos 16 niños y adolescentes de Montreal de
origen inmigrante y no inmigrante, entre ellos 10 niños y 6 niñas de entre unas semanas y 19
años de vida, padecían una enfermedad genética o rara, cáncer o múltiples afecciones crónicas.
Resultados : No sólo el tipo de enfermedad es un factor crítico en la trayectoria de los cuidados
paliativos, sino que la atención y el perfil de las familias también contribuyen a la percepción de
una experiencia (no obstante) positiva al final de la vida de sus hijos.
Conclusiones : La perspectiva terapéutica curativa/paliativa importa poco en la satisfacción de
los participantes de nuestro estudio con los cuidados al final de la vida, siempre que el vínculo de
confianza terapéutica en el equipo médico esté presente. Tanto positiva como negativamente,
este vínculo de confianza influye en las relaciones asistenciales pediátricas y en las trayectorias
de las enfermedades graves, así como en las experiencias al final de la vida de los seres queridos.
Contribución: A través de las experiencias de los niños al final de la vida relatadas por sus
familiares (especialmente las madres), este artículo aborda los enfoques curativos y paliativos
elegidos por los padres de niños con mal pronóstico. Más allá de las diferentes filosofías que
habitan en estos enfoques, la calidad (y continuidad) de las relaciones establecidas con los
proveedores de cuidados es un factor determinante en la calidad de las experiencias
documentadas por nuestro estudio.
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INDEX
Keywords : therapeutic relationship, care, pediatrics, child, parent, critical illness, end of life,
palliative, accompaniment
Palabras claves : relación terapéutica, cuidados, pediatría, niño, padres, enfermedad crítica,
final de la vida, paliativos, acompañamiento
Mots-clés : relation thérapeutique, soin, pédiatrie, enfant, parent, maladie grave, fin de vie,
palliatif, accompagnement
AUTEURS
SYLVIE FORTIN
Professeure titulaire, Département d’anthropologie, Université de Montréal,
sylvie.fortin@umontreal.ca, auteure de correspondance
SABRINA LESSARD
Ph.D. Chercheuse d'établissement, Centre de recherche et d'expertise en gérontologie sociale,
sabrina.lessard.ccomtl@ssss.gouv.qc.ca
ALIZÉE LAJEUNESSE
Candidate au PhD, Département d’anthropologie, Université de Montréal,
alizee.lajeunesse@umontreal.ca
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Article
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[FR] Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les pratiques décisionnelles liées à la répartition des ressources médicales et au traitement des personnes âgées nous renseignent sur les éthiques présentes en milieu de soin et au niveau sociétal. La comparaison entre la prise de décision dans le contexte quotidien et les particularités d’une éthique de pandémie met en lumière les tenants du passage entre une éthique hors pandémie et une « pandéthique ». L’approche éthique de santé publique, notamment utilitariste, a été mise de l’avant d’une manière prépondérante dans les débats et dilemmes éthiques entourant l’allocation des ressources et la priorisation. En soulevant les oppositions et enjeux associés aux discours et aux choix du rationnement en fonction de l’âge émerge la question du traitement des personnes âgées en contexte de COVID-19, et de l’âgisme vécu dans ce contexte. En parallèle, les décisions et choix éthiques difficiles s’entremêlent au duty to care du soignant, et par conséquent à la possibilité de blessure morale. Un conflit émerge entre les pratiques éthiques décisionnelles et les valeurs personnelles ou professionnelles du soignant, alors que l’équilibre entre ses divers devoirs est bouleversé. Des approches et éthiques alternatives sont ainsi mises de l’avant à la lumière des situations vécues, notamment en contexte de soin de longue durée. La thèse développée vise à soutenir la valeur ajoutée de l’anthropologie aux processus décisionnels et son intégration plus formelle aux approches bien connues en bioéthique. À partir du regard anthropologique, nous ouvrons en conclusion sur des pistes de réflexion associées aux éthiques de la discussion, de la vulnérabilité, féministes, ou encore du care comme d’autres manières d’aborder la prise de décision en contexte de pandémie, à un moment où la réflexion éthique et sociale s’impose comme capitale. _____________________________________________________________________________________[EN] In the context of the COVID-19 pandemic, decision-making practices related to the allocation of medical resources and the treatment of older adults inform us about the ethics present in the health care setting and at the societal level. The comparison between decision-making in the daily context and the particularity of a pandemic ethics highlights the transition between a non-pandemic ethic and a “pandethic”. The public health ethics approach, particularly utilitarian, has been brought forward in a prominent way in the ethical debates and dilemmas surrounding resource allocation and prioritization. By raising the oppositions and issues associated with age rationing discourses and choices, the question of the treatment of older adults in the context of COVID-19, and the ageism experienced in this context, emerges. At the same time, difficult ethical decisions and choices are intertwined with the caregiver’s duty to care, and therefore the possibility of moral injury. Conflict emerges between ethical decision-making practices and the caregiver’s personal or professional values, as the balance between various duties is upset. Alternative approaches and ethics are thus put forward in light of the situations experienced, particularly in the context of long-term care. The thesis developed here aims to support the added value of anthropology to decision-making processes and its more formal integration into well-known approaches in bioethics. Using an anthropological perspective, I conclude by exploring avenues of reflection associated with the ethics of discussion, vulnerability, feminism, or care as other ways of approaching decision-making in the context of a pandemic, at a time when ethical and social reflection is essential.
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[FR] Cette réflexion critique anthropologique met en lumière la construction sociale du soin au Québec que la pandémie de COVID-19 a révélée. Au travers de l’analyse de symboles ayant circulé dans l’espace public québécois, nous tenterons de réfléchir à la manière dont la crise sanitaire a pu justifier et exacerber les inégalités, les vulnérabilités et les souffrances multidimensionnelles vécues par certains groupes de la population. Plus précisément, nous examinerons comment les vies et leur protection ont été traitées différemment selon les valeurs sociales accordées à la santé mentale, au corps biologique, au statut social et à l’âge des individus. Nous utiliserons le cadre conceptuel du soin comme socle commun à ces quatre réflexions. | Mots-clés : anthropologie de la santé, pandémie de COVID-19, construction sociale du soin, vulnérabilités, inégalités, souffrances multidimensionnelles. ____________________________________________________________________________________ [EN] This critical anthropological reflection sheds light on the social construction of care in Quebec revealed by the COVID-19 pandemic. Through the analysis of symbols that circulated in Quebec’s public space, we reflect on how the health crisis may have justified and exacerbated the inequalities, vulnerabilities and multidimensional suffering experienced by certain groups of the population. Specifically, we examine how lives and their protection have been treated differently depending on the social values placed on the mental health, biological bodies, social status and age of individuals. We use the conceptual framework of care as a common base for these four reflections. | Keywords: medical anthropology, COVID-19 pandemic, social construction of health care, vulnerabilities, inequalities, multidimensional suffering.
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Objective To compare recent immigrants and long-term residents in Ontario, Canada, on established health service quality indicators of end-of-life cancer care. Design Retrospective, population-based cohort study of cancer decedents between 2004 and 2015. Setting Ontario, Canada. Participants We grouped 13 085 immigrants who arrived in Ontario in 1985 or later into eight major ethnic groups based on birth country, mother tongue and surname, and compared them to 229 471 long-term residents who were ≥18 years at the time of death. Primary and secondary outcome measures Aggressive care, defined as a composite of ≥2 emergency department visits, ≥2 new hospitalisations or an intensive care unit admission within 30 days of death; and supportive care, defined as a physician house call within 2 weeks, or palliative nursing or personal support worker home visit within 6 months of death. Multivariable logistic regression was used to examine the association between immigration status and the odds of each main outcome. Results Compared with long-term residents, immigrants overall and by ethnic group had higher rates of aggressive care (13.7% vs 17.5%, respectively; p<0.001). Among immigrants, Southeast Asians had the highest use while White-Eastern and Western Europeans had the lowest. Supportive care use was similar between long-term residents and immigrants (50.0% vs 50.5%, respectively; p=0.36), though lower among Southeast Asians (46.6%) and higher among White-Western Europeans (55.6%). After adjusting for sociodemographic characteristics and comorbidities, immigrants remained more likely than long-term residents to receive aggressive care (OR: 1.15, 95% CI 1.09 to 1.21), yet were less likely to receive supportive care (OR: 0.95, 95% CI 0.91 to 0.98). Conclusions Among cancer decedents in Ontario, immigrants are more likely to use aggressive healthcare services at the end of life than long-term residents, while supportive care varies by ethnicity. Contributors to variation in end-of-life care require further study.
Article
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Dans les milieux biomédicaux contemporains, la maladie existe à la suite d'un diagnostic. Certains la présentent comme l’envers de la santé (physique), d’autres diront qu’elle prend appui sur des mondes biologiques, certes, mais aussi juridiques, politiques, technologiques (Lock et Nguyen 2010; Fassin 2000). La « bonne santé » donne lieu à des connotations positives alors que la maladie renvoie davantage au désordre, voire même à l’irresponsabilité individuelle, à l’échec (Massé 2007). Sans diagnostic, le mal-être existe, mais est relégué à un espace trouble, reconnu par certains, ignoré par d’autres. Les maux qui ne trouvent pas d’ancrage (cellule, organe, système) sont dits « fonctionnels » et souvent délaissés. Maux, maladie ou malades? Pour Canguilhem (2011 [1966]), la maladie prend comme point de départ l’expérience individuelle. Le Conflit des médecines (LeBlanc 2002) ne surgit-il pas lorsque la maladie est détachée du malade et que la médecine s’éloigne des sujets souffrants pour investir les possibles de la maladie? Marc Augé (1986) insiste sur la dimension sociale de la maladie; l’expérience de la maladie est à la fois intime, individuelle et sociale. Elle est l’ « exemple concret de liaison entre perception individuelle et symbolique sociale » (p.82). La maladie est aussi ancrée dans un corps souffrant, par-delà la douleur (Marin et Zaccaï-Reyner 2013). C’est dire que, selon le système médical dans lequel s’inscrit le malade, les mises en scène de la maladie, son dévoilement, son expérience, sa guérison prendront un éventail de sens et de formes. Pour sa part, François Laplantine (1986) distingue deux types de médecines, celles centrées sur le malade (et qui embrassent des systèmes de représentation commandés par un modèle relationnel pensé à la fois en termes physiologiques, psychologiques, cosmologiques et sociaux) et celles sur la maladie (où la maladie est pensée en elle-même et où les dimensions physiques prédominent). Ce faisant, la maladie exprimera tantôt une rupture, un déséquilibre avec son environnement (modèle relationnel), tantôt une atteinte d’un système, d’un locus avant tout corporel, physique (modèle ontologique). Les anthropologues anglo-saxons, dont Arthur Kleinman (et al. 1978) et Byron Good (1994) proposent une déclinaison de la maladie qui fait place à une triple terminologie. En tant que « disease », elle devient un phénomène (dysfonction) biologique (organes et systèmes) observé et objectivé, emblématique du modèle biomédical. Quant aux dimensions relationnelles et sociales de la maladie, elles se déclinent selon les vocables « illness » et « sickness ». Le premier renvoie plus spécifiquement à l’expérience (subjective) humaine de la maladie, la maladie comme vécue, alors que le second inscrit la maladie comme phénomène social. Or, comme le rappelle Young (1982), l’expérience de la maladie (illness) peut exister sans qu’une dysfonction ait été identifiée (disease). Dans cette perspective, la notion de maladie évoque aussi celle d'un état socialement dévalué par-delà toute maladie (disease) reconnue. Quant à la notion de sickness, elle se veut englobante et comprend à la fois dysfonction et subjectivité. Cette sickness est un phénomène social où le rôle du malade et les attentes de la société à son égard, envers la maladie et le thérapeutique de manière générale, sont construits selon un ensemble de paramètres (Benoist 1983). Fassin (1996) insiste particulièrement sur les relations de pouvoir inscrites au cœur même de la maladie. La maladie exprime ces rapports de pouvoir dans le corps, à travers les différences entre les individus face aux risques de l’existence et aux possibilités de se soigner… qui sont autant de façons d’inscrire physiquement l’ordre social. Et, de fait, dans les sociétés contemporaines, les taux de morbidité et de mortalité sont les plus élevés dans les échelons les moins favorisés de la population. Dans le contexte d’une médecine du Nord, de l’Ouest, occidentale ou biomédecine (les appellations sont nombreuses), la maladie est un espace névralgique où se concentrent le soin, le curatif, le palliatif, l’aigu, la chronicité. Elle est aussi souffrance, relation d’aide, technique, savoirs, incertitudes, morale, éthique. Elle est contrôle, abandon, espoir, chute et rechute. La maladie traverse les âges, les contrées – certaines plus propices que d’autres à sa genèse et à son maintien. Puis, par-delà toute tentative de synthèse, Godelier (2011) rappelle que, quel que soit le milieu et le système d’interprétation interpelé, les représentations et interprétations de la maladie se déclinent selon quatre paramètres et sur les liens entre ces paramètres : identifier la nature de la maladie à partir de symptômes au moyen d’une taxinomie, repérer la cause de cette altération d’état, identifier « l’agent » ayant participé à ce changement, cerner pourquoi cette maladie survient (pourquoi moi?). Corin, Uchôa et Bibeau (1992) écriront pour leur part que, malgré la diversité des contextes, la maladie se laisse cerner par un ensemble de variables sémiologiques, interprétatives et d’ordre pragmatique. À partir d’un registre de signes, elle est créatrice de sens qui donne lieu à un éventail de pratiques, insécables de l’histoire personnelle et du contexte social. Il n’en reste pas moins que la maladie se transforme. La biomédecine nord-américaine foisonne, les recherches se multiplient, les possibles tout autant. Cette médecine culmine en urgence, la maladie dans sa forme aiguë est souvent matée. « On ne meurt plus », affirment de nombreux cliniciens (Fortin et Maynard 2012). La maladie chronique fleurie (truffée d’épisodes aigus), elle est très souvent multiple (Nichter 2016). La notion de maladie est en plein mouvement et pose de nouveaux défis pour sa prise en charge (l’organisation du travail) au sein des familles, au sein des milieux de soins, pour le malade. Ce travail est constitué d’actes de soins et de toutes autres tâches associées à l’accompagnement du malade et les relations sociales qui en découlent. Diagnostic et pronostic ne sont qu’un point de départ pour de nouvelles trajectoires (Strauss 1992) où la vie et la maladie s’entrelacent. La chronologie de la maladie s’est modifiée au fil des découvertes scientifiques et celles-ci foisonnent. Dans ses travaux sur cette phase liminale de soins, Isabelle Baszanger (2012 : 871) réitère la question « When is the battle over? ». Cette interrogation est devenue centrale alors que la maladie s’inscrit dans une temporalité mixte d’urgences et de quotidienneté, de « viscosité et d’intensité différentes » (Meyers 2017 : 75). Les possibles sont au premier plan et l’espoir s’en trouve nourri d’une chance, même infime, de vaincre la maladie. Espoir d’une vie à venir, quelle que soit cette vie (Mattingly 2010). La chronicité de maladies hier mortelles transforme le projet thérapeutique et la vie de celles et ceux qui la côtoient. Les mots de Canguilhem (2011 [1966] : 122) n’en résonnent que davantage : « La maladie n’est pas une variation sur la dimension de la santé; elle est une nouvelle dimension de la vie ».
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Background Paediatric complex chronic conditions (CCCs) are life-limiting conditions requiring paediatric palliative care, which, in Belgium, is provided through paediatric liaison teams (PLTs). Like the number of children and adolescents with these conditions in Belgium, their referral to PLTs is unknown. Objectives The aim of the study was to identify, over a 5-year period (2010–2014), the number of children and adolescents (0–19 years) living with a CCC, and also their referral to PLTs. Methods International Classification of Disease codes (ICD-9) corresponding to a CCC, as described by Feudtner et al , and national registration numbers were extracted from the databases of all hospitals (n=8) and PLTs (n=2) based in the Brussels region. Aggregated data and pseudonymised national registration number were transmitted to the research team by a Trusted Third Party (eHealth). Ages and diagnostic categories were calculated using descriptive statistics. Results Over 5 years (2010–2014) in the Brussels region, a total of 22 721 children/adolescents aged 0–19 years were diagnosed with a CCC. Of this number, 22 533 were identified through hospital registries and 572 through PLT registries. By comparing the registries, we found that of the 22 533 children/adolescents admitted to hospital, only 384 (1.7%) were also referred to a PLT. Conclusion In Belgium, there may be too few referrals of children and adolescents with CCC to PLTs that ensure continuity of care.
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In pediatric hematology-oncology, technologies and medical progress generate multiple therapeutic avenues. These possibilities and the hope they raise become actors in the decision-making process. Yet, in the context of hematopoietic (bone marrow) transplants complications are numerous and death is a possibility. Based on ethnographic work conducted in a hematology-oncology unit in a pediatric hospital in Montreal, we discuss the decision-making process during poor prognoses and the challenges of moving from a curative to a palliative therapeutic trajectory as they stem from encounters with children, parents and health care providers. We question shared decision-making (patient/family/physician) and the moral role of clinicians in a context where “spontaneous deaths” rarely occur and where the option of prolonging life at all costs competes with palliative medicine.
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La vie et la mort sont étroitement liées en milieux de soins où les questions nombreuses en regard (notamment) de la qualité de vie et de mort, de la poursuite ou de l’arrêt du traitement et de la légitimité des personnes qui prennent part aux décisions façonneront ces moments cruciaux. Devant de nombreux possibles thérapeutiques, quand s’arrêter ou encore quand tendre vers une perspective palliative n’est jamais donné d’emblée. Les frontières entre les catégorisations sociales séparant le curable de l’incurable, le malade du mourant et la compréhension de l’imminence de la mort restent parfois incertaines ou à reconstruire selon les cas. À partir de deux études ethnographiques (observations en unités de soins, entretiens avec soignants, patients et leurs familles), l’une menée en contexte pédiatrique hospitalier (unité d’hématologie-oncologie-greffe de moelle osseuse) et l’autre auprès de personnes de grand âge en milieu hospitalier et en centre d’hébergement et de soins de longue durée à Montréal, les auteures discutent de la diversité des trajectoires de fin de vie. Quand peut-on s’arrêter ? Qui peut répondre ? Ces questions sont récurrentes sans être nouvelles. Elles demeurent néanmoins le quotidien de la « grande maladie ». Les auteures puiseront à même le « prendre soin » et le « devoir de non-abandon » pour dégager quelques éléments de réponse tout en s’interrogeant sur le statut contemporain de la (bio)médecine (entre espoirs et tensions) et les ambigüités conceptuelles et empiriques entre le « curatif » et le « palliatif ».
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In the hospital milieu, daily questions relate to highly invested areas such as quality of life and death issues, choices to continue or stop active treatment, and the legitimacy of those who take part in such decisions. Stemming from an ethnographic study carried out in a hematology-oncology transplant unit in a Montreal pediatric hospital, we discuss the decision-making process (or lack thereof) when a patient faces poor prognosis and the change of trajectory from a curative/disease directed to a palliative perspective. The intricate relationship between science, caregiver, and care receiver sustains action even when (near) death is the probable outcome.
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The COVID‐19 pandemic threatens both lives and livelihoods. To reduce the spread of the virus, governments have introduced crisis management interventions that include border closures, quarantines, strict social distancing, marshaling of essential workers and enforced homeworking. COVID‐19 measures are necessary to save the lives of some of the most vulnerable people within society, and yet in parallel they create a range of negative everyday effects for already marginalized people. Likely unintended consequences of the management of the COVID‐19 crisis include elevated risk for workers in low‐paid, precarious, and care‐based employment, over‐representation of minority ethnic groups in case numbers and fatalities, and gendered barriers to work. Drawing upon feminist ethics of care, I theorize a radical alternative to the normative assumptions of rationalist crisis management. Rationalist approaches to crisis management are typified by utilitarian logics, masculine and militaristic language, and the belief that crises follow linear processes of signal detection, preparation/prevention, containment, recovery, and learning. By privileging the quantifiable ‐ resources and measurable outcomes ‐ such approaches tend to omit considerations of pre‐existing structural disadvantage. This paper contributes a new theorization of crisis management that is grounded in feminist ethics to provide a care‐based concern for all crisis affected people.