Content uploaded by Paul Labic
Author content
All content in this area was uploaded by Paul Labic on Feb 17, 2025
Content may be subject to copyright.
UNIVERSITÉ DE STRASBOURG
ÉCOLE DOCTORALE AUGUSTIN COURNOT [ED 221]
Bureau d’Économie Théorique et Appliquée (BETA), UMR CNRS 7522
THÈSE
Présentée et soutenue publiquement par :
Paul LABIC
2 mars 2023
Pour obtenir le grade de : Docteur de l’université de Strasbourg
Discipline/ Spécialité : SCIENCES DE GESTION
ANTICIPATION ET PREVENTION DE LA CORRUPTION :
ENTRE PHILOSOPHIE MORALE ET MODELES ECONOMIQUES
THÈSE dirigée par :
BURGER-HELMCHEN Thierry Professeur, Université de Strasbourg
SCHMITT André Maitre de conférences, Université de Strasbourg
RAPPORTEURS :
CROS Sophie Professeur, Université du Havre
GARZON César Professeur, École nationale d'administration publique, Montréal
EXAMINATEURS :
CAILLAUD Emmanuel Professeur, Conservatoire national des arts et métiers, Paris
MORTIER Stéphane Direction générale de la gendarmerie nationale
VERY Philippe Professeur, EDHEC Business School
III
Remerciements
Cette thèse vient dans la continuité d’un périple débuté en décembre 2015, alors que je m’étais
inscrit en curieux à une réunion d’information sur la validation des acquis de l’expérience
(VAE). Mes remerciements à Céline Hoffer et à Matthieu Durand ne sont pas seulement les
premiers. Pour avoir plus tard participé à des jurys de VAE, je suis d’autant plus convaincu de
l’importance de leur mission.
La VAE n’est censée que de valider. André Schmitt et Arnaud Grob m’ont demandé d’aller au-
delà du récit et de produire un mémoire qui fut pour moi une introduction à la démarche
académique. Cela m’a tellement plu que j’ai enchainé avec un deuxième master sous la
direction de Pierre Memheld. Il a eu les mêmes exigences. Le pli était pris.
A la recherche d’une suite, j’ai rencontré Thierry Burger-Helmchen le 4 juillet 2017, le soir de
son dernier jour comme doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion. L’équipe
était constituée. Merci André, Arnaud, Pierre et Thierry pour votre pédagogie et votre
professionnalisme. Merci de m’avoir fait découvrir l’université et la joie de la recherche. Merci
pour votre amitié.
Je l’ignorais mais cette thèse a débuté le soir de ce rendez-vous avec Thierry. Elle est une
succession de rencontres, parfois uniques, mais essentielles. En premier viennent André et
Thierry qui ont accepté de me diriger. Je me souviens de nos premières discussions sur la
question de recherche. Je me souviens aussi de mes doutes auxquels je répondais en me disant
« Je vais appeler Thierry et André ». Cela a toujours marché. Comment juger une pédagogie ?
Je les remercie pour leurs conseils et leurs critiques. J’espère ne pas avoir trop démérité.
La plupart des personnes interviewées pour cette thèse, et certaines de celles qui m’ont aidé à
établir les contacts, ne peuvent être nommées. J’ai choisi de ne le faire pour aucune. Je les ai
remerciées séparément.
J’évoque dans cette thèse plusieurs de mes anciens patrons. Beaucoup étaient exceptionnels par
leurs qualités managériales et humaines. Pour les autres, je comprends la complexité de leur
tâche. Je n’en nommerai aucun pour ne froisser personne.
IV
Merci à Maxime Agator, qui a publié un article remarquable « La corruption vue par les
sciences humaines et sociales » (Agator, 2021). La proximité entre l’économie et les sciences
sociales crée des frictions qui sont autant de points de réflexion. Nos conversations m’ont fait
réévaluer les relations de l’organisation avec son environnement. J’avais négligé les sciences
politiques et les travaux de Michael Johnston, cité pourtant par tous les « bons » économistes.
Merci à Jean-Daniel Boyer pour ses conseils de lecture sur Adam Smith. Ou comment en un
repas en apprendre plus sur un sujet que pendant des jours de lecture solitaire.
Merci à Angela Diehl-Becker, qui non seulement m’a permis d’enseigner à Karlsruhe, mais
m’a conseillé à plusieurs reprises pour cette thèse. Dans le feu d’une discussion, nous avions
oublié de commander. Je lui dois beaucoup plus qu’un repas.
Je remercie Esther Lenz, pasteure et inspectrice ecclésiastique, qui a pris le temps de lire mon
développement sur Luther et Calvin. Je prends la mesure de son engagement pour l’Église. Je
lui en suis d’autant plus reconnaissant de m’avoir reçu.
Merci à mes amis de Seebach, les anciens maires Théo Schmipf et Raymond Weissbeck, et les
autres membres du comité du 2CVS, Yvette Becker, Jean-Claude Bossert, Philippe Eyermann,
Jean-Georges Foltzenlogel, Denis Frison, Frank Kreiss, François Rohmer, Martin Schalck et
Marlise Wagner. Alors que nous assistions à la destruction de la Streisselhochzeit et du terrain
de football, vous avez su défendre les valeurs de notre village. Votre courage civique est la
preuve qu’un adversaire n’impose pas son amoralité.
Je remercie mes compagnons de chasse, Etienne Bailly, Michael Bonato, Laurent Gebus,
Richard Hamm, Dominique Kimenau, Steven van der Plas, Roland Rieffel, Michael Schnitzler
et beaucoup d’autres. Je les ai abandonnés depuis presque deux ans pour terminer cette thèse.
La chasse est une pédagogie, elle apprend à vivre. Il est temps de revenir.
Je remercie mes parents qui m’ont soutenu sans faille. Mon père qui m’a aiguillonné, mais m’a
laissé libre de mes choix. Cette thèse fera sans doute écho à leurs propres expériences
professionnelles.
Je remercie enfin mon épouse Sophie qui depuis trente-deux ans me soutient et me conseille.
J’admire son engagement pour l’Église, sa constance et son écoute. Nos filles, nos gendres,
notre petit-fils Adrien et ceux à venir bientôt sont une joie quotidienne, je n’aurais pas pu écrire
cette thèse sans eux.
VII
Table des matières
Remerciements .......................................................................................................................III
Table des matières ................................................................................................................ VII
Liste des tableaux ................................................................................................................. XII
Liste des figures ................................................................................................................... XIV
Liste des annexes ................................................................................................................. XVI
Liste des acronymes .......................................................................................................... XVII
Introduction .............................................................................................................................. 1
Première partie : philosophie morale, modèles économiques de la corruption .................. 8
1 La corruption, définitions, relations entre ses acteurs .................................................. 13
1.1 Définitions, inclusions et exclusions .................................................................... 13
1.2 Limites considérées pour cette thèse .................................................................... 15
1.3 Les acteurs de la corruption, définitions .............................................................. 16
1.4 Différence ontologique entre corrompu et corrupteur.......................................... 16
2 Une éthique universelle anticorruption ........................................................................ 18
2.1 Philosophie morale, définitions, sémantiques et traduction des textes ................ 18
2.2 Éthique des affaires et éthique anticorruption ...................................................... 20
2.2.1 Développement de l’éthique anticorruption en Europe et dans le bassin
méditerranéen ............................................................................................................... 22
2.2.1.1 Aristote (384-322 av. J.-C.) ...................................................................... 22
2.2.1.2 Augustin d’Hippone (354-430) ................................................................ 24
2.2.1.3 Thomas d’Aquin (1225-1274) .................................................................. 26
2.2.1.4 Nicolas Machiavel (1469-1527) ............................................................... 29
VIII
2.2.1.5 La Réforme ............................................................................................... 30
2.2.1.6 Les Lumières, rapprochement entre anciens et modernes........................ 33
2.2.1.7 Révolution française puis apparition du droit positif ............................... 37
2.2.1.8 XIXe siècle, convergence éthique ............................................................ 39
2.2.1.9 Conclusion sur l’histoire de l’éthique anticorruption ............................... 42
2.2.2 Limites des éthiques conséquentialistes et de l’utilitarisme......................... 44
2.2.3 Limites des éthiques déontologiques............................................................ 47
2.2.4 Résolution par la casuistique ........................................................................ 48
2.2.5 Le droit positif .............................................................................................. 50
2.3 Universalité de l’éthique anticorruption ............................................................... 52
2.3.1 Chine, taoïsme, confucianisme et la vertu d’humanité ................................ 52
2.3.2 Hindouisme et bouddhisme, l’Inde hindou de Narendra Modi .................... 62
2.4 Les enquêtes de perception, mesure de l’éthique ? .............................................. 67
2.4.1 La corruption est-elle acceptable ? ............................................................... 68
2.4.2 Êtes-vous satisfait de l’action de votre gouvernement ? .............................. 71
2.4.3 Conclusion sur la mesure de l’éthique anticorruption .................................. 75
2.5 Tableau récapitulatif – contributions à l’éthique anticorruption .......................... 77
2.6 Conclusion – une modélisation de l’éthique ? ..................................................... 81
3 L’entreprise sous la contrainte de son environnement ................................................. 84
3.1 Définitions, limites et choix sémantiques ............................................................ 85
3.2 Théorie de la contingence (TC), environnement corruptif ................................... 86
3.2.1 Adaptations aux contingences, difficultés de modélisation ......................... 89
3.2.2 Adaptabilité des organisations dans la TC de Mintzberg ............................. 97
3.2.2.1 Complexité et diversité............................................................................. 97
3.2.2.2 Stabilité................................................................................................... 102
3.2.2.3 Hostilité .................................................................................................. 106
3.2.2.4 Enjeux et ressources ............................................................................... 119
3.3 Théorie structurelle de la contingence et paradigme fonctionnaliste ................. 126
3.4 Conclusion – une adaptation à un environnement corruptif ? ............................ 127
4 Organisation corrompue ou organisation d’individus corrompus .............................. 133
4.1 Définitions, limites et choix sémantiques .......................................................... 135
4.2 Théorie de l’attention (TA) ................................................................................ 136
4.2.1 Modélisation de la TA ................................................................................ 139
4.2.2 Principe 1 : Concentration de l'attention .................................................... 141
IX
4.2.3 Principe 2 : L'attention située ..................................................................... 145
4.2.4 Principe 3 : Distribution structurelle de l'attention..................................... 150
4.2.5 Relations avec les écoles cognitives et d’apprentissage ............................. 154
4.3 Des pommes et des tonneaux ............................................................................. 159
4.3.1 Les individus corrompus – « Bad apples » ................................................ 162
4.3.2 Les organisations d’individus corrompus – « Bad barrels » ..................... 171
4.3.3 Les mauvaises circonstances et les dilemmes éthiques – « Bad cases ».... 178
4.4 Conclusion .......................................................................................................... 181
5 Conclusion de la première partie ................................................................................ 184
Deuxième partie : épistémologie, mesures et états des moyens disponibles ................... 188
1 Cadre épistémologique ............................................................................................... 190
1.1 Distinctions entre lutte anticorruption, anticipation et prévention. .................... 190
1.2 Paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) ..................... 191
1.3 Processus de recherche ....................................................................................... 196
2 Mesurer l’anticipation et la prévention de la corruption ............................................ 199
2.1 Mesure d’un effet anticipatif ou préventif.......................................................... 200
2.2 Mesures de la corruption – état des données disponibles ................................... 201
2.2.1 Études de cas et décisions de justice .......................................................... 201
2.2.2 Statistiques judiciaires et policières ........................................................... 203
2.2.3 Travaux en économétrie ............................................................................. 205
2.2.4 Mesures de perception ................................................................................ 207
2.2.5 Indicateurs et indices synthétiques ............................................................. 209
2.3 Conclusion .......................................................................................................... 213
3 État des moyens déployables par les organisations .................................................... 214
3.1 Environnements corruptifs ou anti-corruptifs ? ................................................. 214
3.1.1 UE et États européens – structure formelle de l’environnement ................ 215
3.1.2 Effet du FCPA sur l’environnement des organisations européennes ......... 223
3.1.3 Autres éléments corruptifs ou anti-corruptifs............................................. 225
3.2 Obligations règlementaires et législatives pour les entreprises .......................... 227
3.3 Autres actions déployables par l’entreprise ....................................................... 236
4 Conclusion de la deuxième partie .............................................................................. 240
X
Troisième partie : étude qualitative par interview ........................................................... 242
1 Méthode et description du panel final ........................................................................ 245
1.1 Conduite des entretiens ...................................................................................... 245
1.2 Interviews collectées et variables de classement................................................ 245
1.3 Condition d’anonymat ........................................................................................ 248
2 Analyse factorielle des correspondances.................................................................... 249
2.1 Méthode Alceste et logiciel Iramuteq ................................................................ 249
2.2 Analyse des données .......................................................................................... 252
2.2.1 Corpus total, 52 textes ................................................................................ 252
2.2.1.1 Classification hiérarchique descendante (CHD) .................................... 252
2.2.1.2 AFC – variable groupe ........................................................................... 256
2.2.1.3 Analyse de similitude ............................................................................. 258
2.2.2 Sous-ensemble G2 (décideurs), 31 textes .................................................. 259
2.2.2.1 Classification hiérarchique descendante (CHD) – G2 ........................... 259
2.2.2.2 AFC corpus G2 (décideurs) – variable niveau hiérarchique .................. 262
2.2.2.3 AFC corpus G2 (décideurs) – variable expertise géographique ............ 263
2.2.2.4 Analyses de similitude G2 comparé à G1+G3 ....................................... 264
2.3 AFC – conclusion partielle ................................................................................. 265
3 Analyse qualitative des données (AQD) .................................................................... 267
3.1 Carte heuristique ................................................................................................ 269
3.2 Synthèse du codage ............................................................................................ 271
3.3 Analyse ............................................................................................................... 271
3.3.1 Classification hiérarchique des codages par groupe .................................. 273
3.3.2 Classification hiérarchique des codages par expertise géographique ........ 277
3.3.3 Poids relatifs des trois principes de la TA et métacognition ...................... 281
3.3.4 Rapprochements entre les branches de la carte heuristique ....................... 282
3.3.4.1 La corruption institution informelle, biotope criminel complexe .......... 282
3.3.4.2 Les égoïsmes, affaiblissement moral et appels à une morale supérieure 284
3.3.4.3 La corruption problème trop complexe et la réduction au droit ............. 286
3.4 AQD – Conclusion partielle ............................................................................... 289
4 Analyse des hypothèses concurrentes (ACH) et Linchpins ....................................... 291
4.1 Linchpins ............................................................................................................ 293
4.1.1 Linchpin - absence du religieux ................................................................. 294
XI
4.1.2 Linchpin - lois anticorruption non actionnables ......................................... 295
4.1.3 Linchpin – Culture de la corruption actionnable en partie ......................... 296
4.2 Liste des hypothèses – conclusion de l’ACH ..................................................... 297
5 Conclusion de la troisième partie ............................................................................... 303
Conclusion ............................................................................................................................. 307
Bibliographie......................................................................................................................... 325
Annexes ................................................................................................................................. 356
Annexe 1 - Présentation de l’étude aux interviewés .......................................................... 357
Annexe 2 - Trame d’entretien ............................................................................................ 359
Annexe 3 - Tableau des interviews réalisées ..................................................................... 360
Annexe 4 – Efficacité des prises de contact ....................................................................... 361
Annexe 5 – Contrôle qualité après interview ..................................................................... 362
Annexe 6 – Tableau des concepts cités 20 fois ou plus (AQD codages agrégés) .............. 366
XII
Liste des tableaux
Tableau 1 Facteurs de la corruption (Labic & Memheld, 2019) .............................................. 10
Tableau 2 Précisions sur les traductions : éthique et mœurs .................................................... 19
Tableau 3 Processus de construction du Guanxi (Chen et Chen 2004, p. 310) ....................... 53
Tableau 4 GCB 2021 UE, Question 19.2 ................................................................................. 69
Tableau 5 GCB 2021 Pacifique, Question 22.2 ....................................................................... 70
Tableau 6 GCB 2021 Pacifique, Question 22.3 ....................................................................... 70
Tableau 7 GCB 2017, Vingt pays avec la plus forte satisfaction du gouvernement ................ 73
Tableau 8 GCB 2017, Vingt pays avec la plus forte insatisfaction du gouvernement ............. 73
Tableau 9 GCB 2017, Satisfaction des gouvernements supérieure à l’insatisfaction .............. 74
Tableau 10 GCB 2017, Vingt pays avec le plus fort taux de réponse « Ne sait pas » ............. 74
Tableau 11 Contributions à l'éthique anticorruption ................................................................ 80
Tableau 12 Facteurs de la corruption, facteurs externes .......................................................... 85
Tableau 13 Quatre environnements organisationnels de base (Mintzberg 1979, p. 286) ........ 93
Tableau 14 Variables de « Obéissance ou fuite : Examen des influences contingentes de la
corruption sur les exportations des entreprises » (Qi et al., 2020) ................................... 96
Tableau 15 Facteurs de la corruption, facteurs internes ......................................................... 134
Tableau 16 États d'ignorance en cas de discontinuité (Ansoff 1975, p. 24). ......................... 143
Tableau 17 Questions illustratives pour de futures recherches explorant des domaines d'intérêt
particulier (Brielmaier et Friesl 2022, p. 23). ................................................................. 147
Tableau 18 Études de cas et décisions de justice ................................................................... 201
Tableau 19 Statistiques judiciaires et policières .................................................................... 203
Tableau 20 Travaux en économétrie ...................................................................................... 205
Tableau 21 Mesures de perception ......................................................................................... 207
Tableau 22 Mesure de la corruption, comparaison des indices de TI pour le Cambodge et la
France ............................................................................................................................. 208
Tableau 23 Liste des indices synthétiques de la corruption ................................................... 210
Tableau 24 Pays de l'UE par groupe de risque corruption (Mungiu-Pippidi 2013, tab. 3, p. 42).
........................................................................................................................................ 218
Tableau 25 Comparaison principes C2 et loi Sapin 2 ............................................................. 231
Tableau 26 Interviews - variables, modalités et effectifs ....................................................... 246
XIII
Tableau 27 Description des deux corpus analysés ................................................................. 251
Tableau 28 Corpus total, CHD apports et antiprofils des modalités de la variable Groupe pour
chaque classe. ................................................................................................................. 255
Tableau 29 Codage Nvivo répartition selon les variables et modalités ................................. 272
Tableau 30 Poids relatifs des trois principes de la TA ........................................................... 281
Tableau 31 Poids relatifs des trois formes de métacognition ................................................. 282
Tableau 32 Concepts proches de la corruption comme une institution informelle ................ 283
Tableau 33 Concepts proches des éthiques égoïstes ............................................................. 284
Tableau 34 Concepts proches de « la corruption problème trop complexe pour l’organisation »
........................................................................................................................................ 286
XIV
Liste des figures
Figure 1 Intersections éthique universelle anticorruption, théories de la contingence et de
l'attention .......................................................................................................................... 12
Figure 2 Schématisation d’une prise de décision éthique ........................................................ 82
Figure 3 Résumé des variables et des relations dans un modèle de la contingence de
l'organisation (Luthans et Stewart 1977, p. 187) .............................................................. 90
Figure 4 Matrice de la contingence générale pour le management (Luthans et Stewart 1977, p.
189)................................................................................................................................... 91
Figure 5 Approche contingence de la gestion planifiée des changements (Luthans et Stewart
1977, p. 191)..................................................................................................................... 94
Figure 6 Modèle d'attention située et comportement de l'entreprise (Ocasio 1997, p. 192). . 140
Figure 7 Effets dissuasifs ou préventifs après le traitement d'un cas de corruption............... 191
Figure 8 Contrôle de la corruption par pays, source Banque mondiale (2022b). .................. 217
Figure 9 Cartographie des risques, évaluation, mitigation, réévaluation ............................... 235
Figure 10 Répartition des interviews par les variables « groupe » et « niveau hiérarchique »
........................................................................................................................................ 247
Figure 11 Répartition des interviews par les variables « groupe » et « expertise géographique »
........................................................................................................................................ 247
Figure 12 Log des occurrences (formes actives et supplémentaires) pour les deux corpus... 252
Figure 13 Corpus total, CHD ................................................................................................. 253
Figure 14 Corpus total, CHD, AFC facteurs 1 et 2. ............................................................... 254
Figure 15 Corpus total, CHD, AFC facteurs 1 et 3. ............................................................... 256
Figure 16 Corpus total, AFC, variable Groupe ...................................................................... 257
Figure 17 Corpus total - analyse de similitude ....................................................................... 258
Figure 18 Corpus G2 (décideurs), CHD................................................................................. 259
Figure 19 Corpus G2 (décideurs), CHD, AFC facteurs 1 et 2. .............................................. 260
Figure 20 Corpus G2 (décideurs), CHD, AFC facteurs 3 et 4. .............................................. 261
Figure 21 Corpus G2 (décideurs), AFC variable niveau hiérarchique ................................... 262
Figure 22 Corpus G2 (décideurs), AFC variable expertise géographique ............................. 263
Figure 23 Comparaison des corpus G2 (décideurs) avec G1+G3 (analystes et conseils) - analyse
de similitude ................................................................................................................... 264
XV
Figure 24 Classification hiérarchique des codages – G1 Analystes....................................... 273
Figure 25 Classification hiérarchique des codages – G3 Conseils......................................... 273
Figure 26 Classification hiérarchique des codages – G2 Décideurs ...................................... 274
Figure 27 Classification hiérarchique des codages – expertise Afrique ................................ 279
Figure 28 Classification hiérarchique des codages – expertise Asie ..................................... 279
Figure 29 Classification hiérarchique des codages – expertise Europe ................................. 280
Figure 30 Classification hiérarchique des codages – expertise globale ................................. 280
XVI
Liste des annexes
Annexe 1 - Présentation de l’étude aux interviewés .......................................................... 357
Annexe 2 - Trame d’entretien ............................................................................................ 359
Annexe 3 - Tableau des interviews réalisées ..................................................................... 360
Annexe 4 – Efficacité des prises de contact ....................................................................... 361
Annexe 5 – Contrôle qualité après interview ..................................................................... 362
Annexe 6 – Tableau des concepts cités 20 fois ou plus (AQD codages agrégés) .............. 366
XVII
Liste des acronymes
AAP Parti Aam Aadmi
ABV « Attention-based view », vision
basée sur l'attention
ACH Analyse des hypothèses
concurrentes
AFA Agence française anticorruption
AFC Analyse factorielle des
correspondances (logiciel
Iramuteq)
AQD Analyse qualitative des données
(logiciel Nvivo)
B2B « Business to business »,
commerce entreprise à entreprise
B2G « Business to government »,
commerce entreprise à État
BI « Business intelligence »,
intelligence des affaires
BJP Parti Bharatiya Janata
C2 Principes « combat corruption »
CHD Classification hiérarchique
descendante (méthode de Reinert)
CI « Competitive intelligence »,
intelligence compétitive
DGSI Direction générale de la sécurité
intérieure
DPA « Deferred prosecution
agreement », accord de procédure
différée (ou de poursuites
différées)
EaP Partenariat oriental de l'Europe :
Ukraine, Moldavie, Géorgie,
Azerbaïdjan et Arménie
FCPA « Foreign Corrupt Practice Act »,
loi sur la pratique de la corruption
à l’étranger
FEM Forum économique mondial
G1 Groupe 1 : analystes interviewés
lors de l’étude qualitative
G2 Groupe 2 : décideurs interviewés
lors de l’étude qualitative
G3 Groupe 3 : conseils interviewés
lors de l’étude qualitative
GCB « Global corruption barometer »
(Transparency international)
GRECO Groupe d’États contre la
corruption du Conseil de l’Europe
HE « Homo economicus », être
rationnel, informé, egocentrique
et autonome
IBV « Institution-based view », vision
basée sur les institutions
IDE Investissements directs à
l'étranger
IE Intelligence économique
XVIII
IPC Indice de perception de la
corruption (Transparency
International)
LAADQ Logiciels d’aide à l’analyse de
données qualitatives
MIMIC Modélisation multiples
indicateurs, multiples causes
NEP Nouvelle politique économique
(URSS 1921-1930)
NPA « Non-prosecution agreement »,
accord de non-procédure (ou de
non-poursuite)
OCDE Organisation de coopération et de
développement économique
OFC Centres offshore
ONU Organisation des Nations Unies
OODA Boucle observation, orientation,
décision, action
OPP Open philanthropy project
PCC Parti communiste chinois
PE Psychopathe d'entreprise
PECGL Paradigme épistémologique
constructive selon Guba et
Lincoln
PECP Paradigme épistémologique
constructive pragmatique
POE Pays du partenariat oriental de
l’Europe « Eastern Partnership »
(EaP)
RBV « Resource-based view », vision
basée sur les ressources
RN Recherches sur la nature et les
causes de la richesse des nations
(Adam Smith)
RSE Responsabilité sociale de
l’entreprise
RSS Rashtriya Swayamsevak Sangh
SHS Sciences humaines et sociales
SISSE Service de l’information
stratégique et de la sécurité
économique
ST Segment de texte
SWOT Matrice forces – faiblesses –
opportunités – menaces
TA Théorie de l'attention
TC Théorie de la contingence
TCS Théorie de la contingence
Structurelle
TI Transparency International
TS Triade sombre : narcissique,
machiavélien et psychopathe
d’entreprise
TSM Théorie des sentiments moraux
(Adam Smith)
UBKA « U.K. Bribery Act », loi
anticorruption du Royaume-Uni
UE Union européenne
WJP World justice project
1
Introduction
Cette thèse vient à la suite d’un travail de recherche débuté en 2016 sur les interactions entre
les environnements corruptifs et les entreprises.
Cet angle particulier ne fait pas l’impasse sur les responsabilités internes des organisations. Il a
été un point de départ et la conséquence d’une carrière de plus de trente ans comme directeur
des programmes et des ventes pour des fournisseurs de premier rang de l’industrie automobile,
principalement en Allemagne et en Asie. Dans ces fonctions, la question déterminante était la
compréhension de l’environnement de mon entreprise tant du point de vue de l’analyse de la
concurrence, des conditions du marché que de celle des risques.
Ce n’est qu’en 2007, après vingt ans de carrière et alors que je travaillais en Chine pour un
groupe industriel états-uniens que la corruption m’est devenue évidente. A partir de cette
découverte, j’ai conduit un travail de relecture de ma carrière, tout en la poursuivant dans un
environnement professionnel interne et externe. J’identifiais des évènements remarquables sans
pouvoir toujours les attribuer à de la corruption.
Mais l’intérêt était né. Je m’apercevais aussi que certains de mes anciens patrons – qu’ils aient
participé ou non à la corruption – m’avaient donné les bons outils d’analyse. Cela a été
notamment le cas d’une PME en Corée du Sud qui – toujours dans la relecture que je fais
aujourd’hui – maitrisait au plus haut niveau les outils de l’intelligence économique (IE). Leur
cursus dans le renseignement militaire que proclamaient les diplômes affichés dans leurs
bureaux, dans un pays ou la menace est constante, ne laissait pas de doute. La qualité de leur
débriefing après les réunions client a été ma première école d’intelligence économique.
Il y a quelque chose de ludique dans l’observation de la corruption : dans les tentatives de
dissimulation d’appels d’offres faussés, de négociations parallèles, de sur- ou sous-facturations
vers des entreprises coquilles-vides, dans les échanges avec un collègue, seul représentant de
l’entreprise dans un pays non coopératif à l’autre bout de l’Asie, et dont la seule fonction est de
faire passer des fonds d’une banque à une autre. Tout ne pouvait pas être pris à la légère.
Certains de mes contacts professionnels s’avéraient véritablement criminels. Ce qui pouvait
2
sembler de l’ambition se révélait être une intégration assumée à des réseaux alliant
enrichissement personnel, dissimulation, blanchiment et corruption.
Dans la période 2009 – 2016, progressant dans ma carrière et plus libre d’orienter mes équipes,
j’ai pensé qu’une exactitude pointilleuse – par exemple en « bétonnant » les réponses aux appels
d’offre – permettrait d’interdire leur instrumentalisation aux fins de corruption. A plusieurs
reprises la réponse, ce que j’ai nommé plus haut « évènement remarquable », devenait plus
brutale, plus visible, plus attribuable à de la corruption.
Dans le même temps, j’évoluais dans la compréhension de ce qui est développé plus loin dans
les chapitres sur l’éthique et la théorie de la contingence (TC). Un premier article débuté en
2017 avec Pierre Memheld (Labic & Memheld, 2019) a montré que dans le cas particulier de
la Chine et de l’Inde, leur corruption systémique et systématique permettait d’envisager de
remplacer la transaction corruptive par une chaîne de valeur alternative et légale à la façon des
accords de compensation. Dans un tel environnement, les corrompus cherchent moins à
favoriser un des concurrents que de garantir une source de revenu qu’ils partageront avec leur
réseau. L’environnement est peu contingent : le pot-de-vin est assimilable à une taxe, qui
s’applique à tous. Le choix de ces deux pays facilitait l’analyse par la connaissance que nous
en avions, mais surtout grâce à des corpus académiques riches, alimentés par de nombreux
chercheurs.
Il en est résulté une impression générale de dénuement des organisations et de leurs directions
par opposition à des accusations d’incompétence. En poursuivant la phase de préparation à cette
thèse, l’inconsistance entre un rejet universel de la corruption et une multiplication des affaires
a renforcé ce sentiment. Ce qui d’un point de vue éthique était simple semblait inappliqué. La
désignation d’individus ou d’organisations corrompues ne permettait pas d’expliquer un
phénomène qui dans certains pays était si massif. Il n’y avait comme conclusion qu’un « tous
pourris » simplificateur et certainement faux.
Progressant dans le projet de thèse, le choix a été de conduire une vérification, la plus
systématique possible, de ce sentiment. Existe-il une éthique universelle anticorruption ?
S’agit-il d’un dénuement des organisations et de leurs dirigeants ? Sont-ils incompétents ou
complices ? Qu’est-ce que la corruption de l’environnement ? En supprimant la charge
accusatoire de ce qui précède, cela signifiait extraire de la littérature ses enseignements en
termes d’éthique, de processus cognitifs, de capacité de prise en compte de l’environnement
3
par l’organisation. L’objectif devenait de parvenir à une modélisation même partielle menant à
des solutions pour les entreprises.
L’éthique posait le plus de difficulté en raison de l’étendue des connaissances accumulées
depuis les premières sources écrites. La réduction de l’éthique à la corruption ne simplifiait
rien, dès l’antiquité des auteurs majeurs s’étant consacrés à la philosophie morale. Il fallait de
plus considérer toutes les sources disponibles : Chine, Inde et Occident (dans une définition
élargie incluant le monde méditerranéen). Le choix a été d’y consacrer une partie importante –
certains la trouverons déséquilibrée – en débutant par l’Occident, et en traitant de la Chine et
de l’Inde par leurs apports singuliers.
La description des organisations posait moins de difficulté. Parmi les écoles de pensées
économiques de Mintzberg, Ahlstrand et Lampel (1998), les écoles cognitives et
environnementales s’imposaient. Plus tard, à la suite du premier comité de suivi, le choix a été
de réduire l’école environnementale à la théorie de la contingence (TC) et l’école cognitive à la
théorie de l’attention (TA). Ce faisant il devenait possible d’utiliser les modélisations de ces
deux théories : une définition plus précise des concepts et l’apport des appareils critiques
permettant de tester les limites de ces théories appliquées à la corruption.
La recherche de solutions applicables par une entreprise demandait de croiser les trois
ensembles conceptuels (Éthique, TC et TA) avec la pratique.
Grâce à la liberté acquise par un changement d’environnement professionnel, il devenait
possible de contacter mon ancien réseau. Toutefois, la crainte de données trop marquées par la
subjectivité de personnes travaillant dans une seule industrie a demandé d’affiner la démarche
épistémologique. Un critère d’expertise a été ajouté pour ne conserver que les personnes ayant
atteint un niveau d’expertise de la corruption suffisant pour qu’ils proposent une
conceptualisation même partielle (par opposition à une accumulation d’anecdotes). Je retiens
des interviews de mes anciens contacts professionnels une connaissance de la corruption plus
importante qu’attendue. Pour certains, les interviews ont eu un effet cathartique. Mais, sur une
première liste de deux cent cinquante personnes, quatre-vingt n’étaient pas interrogeables en
4
raison de leur degré d’implication
1
. Des cinquante-deux interviews correspondant aux critères,
cet ancien réseau ne représente qu’un peu moins du tiers. Des contacts académiques et
professionnels plus récents ont permis d’identifier les deux autres tiers pour s’assurer de couvrir
l’ensemble des zones géographiques et de ne pas se limiter aux entreprises privées mais
d’inclure d’autres types d’organisation comme les associations et les organismes d’État.
Pour limiter la subjectivité de l’analyse, la suite de l’étude qualitative a fait se succéder trois
outils d’analyse intervenant à trois niveaux du discours :
- unités sémantiques de base (lemmes) et analyse factorielle des correspondances (AFC),
- concepts et analyse qualitatives des données (AQD),
- ensembles conceptuels et analyse des hypothèses concurrentielles (ACH).
Positionnements a priori
Trois positionnements a priori encadrent cette thèse.
« La corruption est la corruption, et les pots-de-vin sont des pots-de-vin, quel que
soit le pays ou la langue dans lesquels ils sont traduits. » (Reich 2013, p.2).
La distinction entre les différentes formes de corruption, ses acteurs, la diversité des modes
d’action font appel à de nombreux concepts et un large champ sémantique. Ils ne nient pas la
corruption mais la précisent.
« La philosophie consiste à passer des apparences, ces ombres qui défilent sur le
mur de la caverne, à la réalité ultime des choses. En stratégie, cela signifie dépasser
les procédés contingents pour s’élever aux principes pérennes. […] De même le
stratège ne médite les principes que pour savoir un jour les transcrire en procédés
efficaces sur le champ de bataille. Encore une fois, la théorie n’a de sens que par
rapport à la pratique. » (Motte 2018, p. 35).
Cette hiérarchisation entre principes et procédés n’est pas toujours faite, y compris par certains
des auteurs cités dans cette thèse. Dans ce même ouvrage « La mesure de la force », Olivier
Zajek complète Martin Motte en précisant :
1
Sauf à conduite une analyse séparée de ces personnes fortement soupçonnables de corruption. Cette possibilité
fait partie des suites possibles après cette thèse dans le cadre d’un enrichissement des données empiriques (voir
conclusion).
5
« […] les principes renvoient à la structure de l’action de la force (ou ordre de la
stratégie), alors que les procédés renvoient à sa conjoncture (ou ordre des
stratagèmes). » (Zajec 2018b, p. 121).
« L’erreur profonde est de croire que des procédés peuvent se hisser à la hauteur
de principes […]» (Zajec 2018, p. 251).
La lutte anticorruption – en tant que déploiement de procédés – ne peut se concevoir que
subordonnée à un ensemble conceptuel, ici celui de la philosophie morale et des sciences
économiques.
Des trois modalités de la corruption, telle que la concevait les physiciens grecs (voir p. 22),
celle des pratiques purgatives sera peu présente dans cette thèse. Elles ressurgissent de loin en
loin dans certaines parties de la société. Elles ne demandent plus un sacrifice animal, mais
d’immoler des personnes ou des entreprises si corrompues qu’elles font obstacle à la parousie
d’une divinité de la pureté économique. Plusieurs des experts anticorruption rencontrés pendant
cette thèse, parlent « d’ayatollahs de l’anticorruption ». Ces individus et ces associations à but
unique font d’un principe un dogme. Ils refusent la complexité. Ils ne sont pas cités dans cette
thèse.
Question de recherche
L’objet de cette thèse est d’identifier les outils d’anticipation et de prévention de la corruption
accessibles à une entreprise.
Elle se limitera aux entreprises dont le siège se trouve dans l’Union européenne. Pour l’analyse
et par analogie, toutes les formes d’organisation pouvant être affectées par la corruption seront
considérées : entreprises, associations, institutions, etc. De la même façon les organisations
originaires d’autres pays de l’OCDE, hors de l’Union européenne seront incluses.
Une distinction sera faite entre la lutte anticorruption et le sous-ensemble de l’anticipation et de
la prévention. Seul ce sous-ensemble est étudié.
Plan général
Le plan de cette thèse est une synthèse en trois parties suivie d’une conclusion. Pour chacune
des parties, n’ont été conservés que les éléments qui permettent de décrire les modèles et les
paradigmes qui en résultent. Une attention particulière a été donnée aux auteurs critiques. Ils
6
permettent de comprendre les conditions limites, les faiblesses de ces modèles ou le manque de
cohérence de ces paradigmes.
- Philosophie morale et modèles économiques de la corruption. Cette première partie débute
par (1) l’extraction de l’éthique anticorruption des sources de la philosophie morale en
Occident, en Chine et en Inde. Les conditions limites sont précisées. Il s’agit ici des
interactions avec l’éthos, les religions ou des éléments amoraux constitutifs de nos sociétés.
Le schéma résultant est celui d’un moteur éthique de la prise de décision (réduit à la
corruption). (2) En s’appuyant sur la théorie de la contingence (TC), suit l’étude des
organisations sous la contrainte d’un environnement corruptif. Comment le décrire et
comment interagit-il avec les organisations ? (3) Enfin cette première partie, en partant de
la théorie de l’attention (TA) et des travaux sur les processus de prise de décision, analyse
les organisations corrompues ou les organisations d’individus corrompus. Quels sont les
mécanismes cognitifs et métacognitifs qui permettent l’apparition et la diffusion de la
corruption au sein d’une organisation ?
- Épistémologie, mesures et états des moyens disponibles. Cette deuxième partie décrit le
processus d’extraction des données de l’étude qualitative de la troisième partie. Elle part de
l’état des actions anticorruption existantes et de leur niveau de validation empirique. Cette
partie est elle-même découpée en trois chapitres. (1) Elle débute par une description du
paradigme épistémologique constructiviste pragmatique et la justification de cette
approche. (2) État des lieux des actions anticorruption, mesures de leurs efficacités en
termes d’anticipation et de prévention. A nouveau les conditions limites (ce qui ne marche
pas ou ce qui ne peut être mesuré) font l’objet d’une attention particulière. (3) Cette partie
se termine sur une synthèse des recommandations et les validations empiriques d’études
précédentes.
- Troisième partie, étude qualitative par interview. En reprenant l’ensemble des éléments des
deux premières parties résumés sous la forme d’une carte heuristique, la succession de trois
outils permet l’extraction et le tri des actions actionnables par une organisation. (1) Analyse
factorielle des correspondances, classification des champs sémantiques en fonction des
différentes populations interrogées. (2) Analyse qualitative des données, codage des
concepts qui apparaissent dans les interviews, analyse des superpositions conceptuelles
entre philosophie morale, TA et TC. (3) Analyse des hypothèses concurrentielles,
7
élimination des ensembles conceptuels vides ou non actionnables, extraction et tris des
actions actionnables par une organisation.
8
Première partie :
philosophie morale, modèles économiques de la
corruption
9
Cette première partie a trois objectifs :
Objectif 1 : clarifier les définitions et les modèles de la corruption. Trois domaines de la
recherche traitent de corruption : la sociologie, les sciences économiques et le droit. L’étude du
corpus montre que les deux premiers se recoupent en partie. Leurs origines, sont elles aussi en
partie communes : philosophie morale et démarche scientifique expliquent cette proximité. Les
sciences économiques comme la sociologie recherchent des modèles explicatifs et prédictifs.
L’objet du droit est différent : définir des règles minimales d’organisation de la société. La
recherche en droit explore la relation entre règles et société, notamment ses impacts
sociologiques et économiques. L’impossibilité de normer une société est l’autre domaine de la
recherche en droit et un autre point de contact avec les sciences économiques et la sociologie :
les évolutions de l’économie, ici la corruption comme modèle de captation de la valeur. C’est
à la fois un indicateur de l’action du droit et la source d’évolutions législatives.
L’approche retenue est de recenser les modèles économiques en lien avec la corruption et de
les compléter avec les apports de la sociologie et de la recherche en droit.
Objectif 2 : explorer les autres domaines de la pensée. Cela inclut la philosophie morale, les
religions, les cultures, mœurs et traditions. Cette exploration est d’autant plus importante que
la séparation entre philosophie morale et théologie est récente, qu’il est difficile de distinguer
ce qui relève de particularismes culturels locaux et ce qui est universel. Le classement de
certains auteurs dans telle ou telle catégorie ne fait pas toujours sens. L’Europe scolastique parle
aussi d’économie. La comparaison entre confucianisme et taoïsme est aussi une réflexion sur
la légitimité de l’autorité et le management. Ces autres domaines de la pensée ont développé
des méthodes et des concepts plus tard repris par les sciences économiques.
Objectif 3 : identification de modèles explicatifs et prédictifs en considérant les limites de
leur validité dans le cas de la corruption ainsi que de la difficulté d’une validation empirique en
raison du manque de données et de la nécessité de faire appel à des indicateurs indirects.
Ce dernier objectif est aussi un préalable nécessaire à l’établissement de la carte heuristique de
la corruption (voir p. 269) utilisée pour le codage des interviews. La plupart des personnes
interrogées ne sont pas des experts de la lutte anticorruption, mais des décisionnels d’entreprises
ou des agents de l’État. La carte heuristique permet de rattacher les éléments des interviews à
la revue de la littérature. Pour un élément donné, les deux principales questions sont de
10
comprendre son lien avec la littérature anticorruption et de connaitre le jugement que porte la
personne interviewée en termes d’effet préventif ou anticipateur sur la corruption.
Pour atteindre ces objectifs, trois étapes ont été nécessaires.
1ère étape : décomposition en facteurs. Un travail préparatoire précédent (Labic & Memheld,
2019), avait conduit à une décomposition du corpus académique sur la corruption selon 4
facteurs (voir Tableau 1). Ce travail était limité à deux environnements, la Chine et l’Inde, plus
simples à analyser en raison d’une corruption systématique : comme faisant partie du modèle
explicatif principal de la relation entre l’entreprise et son environnement. La revue de la
littérature a montré que les mêmes facteurs restent pertinents quelle que soit la prévalence de la
corruption.
Facteurs organisationnels,
législatifs et réglementaires
Facteurs individuels, culturels
et de groupe
Facteurs internes
Culture interne et organisation
de l'entreprise
Éthique personnelle et style de
management
Facteurs externes
Lois, réglementations et
institutions formelles
Environnement culturel et
institutions informelles
Tableau 1 Facteurs de la corruption (Labic & Memheld, 2019)
2ème étape : comparaison avec la classification des écoles de pensée économique de
Mintzberg, Ahlstrand et Lampel (1998) et identification des théories économiques permettant
une modélisation, au moins partielle, de la corruption.
Pour les facteurs externes, l’école la plus proche est l’école environnementale. En particulier la
théorie de la contingence (TC) qui considère l’environnement comme une somme de
contraintes incertaines sur l’organisation. Cette théorie est critiquée car elle considérerait une
relation unidirectionnelle de l’environnement vers l’organisation. En poussant le trait, une
organisation victime ou subissant son environnement. Dans le cas de la corruption, cette critique
est une qualité si la TC n’est pas considérée seule : toutes les sources de la corruption ne sont
pas externes. Si le pas est franchi, la corruption n’est plus qu’externe.
Pour les facteurs internes à l’organisation, plusieurs écoles lui attribuent un rôle prédominant.
Elles étudient les processus de prise de décision, les relations internes et la définition de la
stratégie. Ce sont les écoles cognitives, entrepreneuriales, et du pouvoir. D’autres y ajoutent
une phase d’apprentissage. Ce sont les écoles du design, du positionnement, de l’apprentissage.
11
Ocasio (1997, 2011), inspiré par l’école cognitive, retourne le questionnement en considérant
que la stratégie de l’organisation est principalement influencée par les sujets qui sont au centre
de l’attention. A l’inverse ce qui est négligé ne se verra pas attribué suffisamment de ressources.
La théorie de l’attention (TA) d’Ocasio est pertinente dans le cas d’une organisation naïve qui
ne sait rien de la corruption. Elle l’est aussi si cette organisation, malgré une connaissance
établie de la corruption, ne s’adapte pas. La TA recoupe alors les autres écoles citées plus haut
sur des aspects comme les responsabilités individuelles des décideurs, leurs interactions, la
capacité à s’adapter à une situation nouvelle. L’article très cité de Pinto, Leana et Pil. (2008) «
Organisations corrompues ou organisations d'individus corrompus ? Deux types de corruption
au niveau de l'organisation » sera le titre de ce chapitre.
3ème étape : extension au-delà des écoles de pensée économique. En ne considérant que la
TA et la TC, une partie de la littérature échappe au classement.
Les études de perception confirment une éthique commune : un rejet universel de la corruption
(voir définitions p. 18). Pour traiter le second objectif d’exploration des autres domaines de la
pensée anticorruption, il a été nécessaire de vérifier la constance de ce rejet en étudiant ses
interactions avec les spécificités locales, culturelles, religieuses ou historiques.
Trois corpus se sont révélés suffisamment larges pour permettre cette vérification. Ils couvrent
trois zones géographiques et leurs voisinages : Europe, Chine et Inde. Ils se développent sans
interruption sur plus de deux mille cinq cents ans.
En d’autres termes, il s’est agi d’établir un modèle qualitatif de l’éthique anticorruption,
comprendre comment elle fonctionne : quels éléments externes freinent ou favorisent une
décision éthique.
Avec le modèle éthique et ceux de la TA et de la TC et, il est alors possible de représenter la
littérature anticorruption comme trois ensembles se recouvrant partiellement.
Les 3 intersections partielles feront l’objet d’une attention particulière :
- Non-TA : aucun élément lié à l’attention interne à la corruption
- Non-TC : aucun élément lié aux contingences en particulier environnementales
- Non-E : amoralité, aucune appréciation éthique
Le plan de cette partie débute par un chapitre qui précise les définitions principales, les choix
sémantiques et des règles générales d’approche de la littérature. Puis s’enchaînent les trois
12
chapitres qui regroupent la littérature selon les trois ensembles présentés plus haut et la
conclusion :
- Chapitre 2 : éthique universelle anticorruption
- Chapitre 3 : l’entreprise sous la contrainte de son environnement et la TC
- Chapitre 4 : organisation corrompue ou organisation d’individus corrompus et la TA
- Chapitre 5 : conclusion
Figure 1 Intersections éthique universelle anticorruption, théories de la contingence et de l'attention
Ethique universelle
anticorruption
(E)
Théorie de la
Contingence
(TC)
Théorie de
l’attention
(TA)
Non-TA Non-TC
Non
-E
13
1 La corruption, définitions, relations entre ses acteurs
Les définitions de la corruption sont multiples et la cause de débats qui vont jusqu’à
instrumentaliser le terme. Avant de le définir au chapitre suivant, il faut convenir que le mot
corruption inclut deux acceptions distinctes.
La corruption peut se comprendre comme une action. Une transaction entre un corrompu et un
corrupteur. Elle se distingue des autres atteintes à l’éthique. Les définitions juridiques de la
corruption appartiennent à cette acception. Elles peuvent prendre un sens précis, variable selon
les lois d’un pays : la corruption n’est pas la prévarication, la concussion, le racket ou la
simonie. Et ces quatre délits n’existent pas dans tous les pays.
La corruption est un état. Un fruit, une personne, un pays peuvent être corrompus. Le terme est
descriptif. Il ne précise pas si cette corruption est la conséquence d’un germe ou d’un mauvais
comportement, ni de quel mauvais comportement il s’agit. C’est le cri de colère d’Isaïe :
« Malheur ! Nation pécheresse, peuple chargé de crimes, race de malfaisants, fils
corrompus. Ils ont abandonné le Seigneur, ils ont méprisé le Saint d’Israël, ils se
sont dérobés. » (TOB 2010, Isaïe, 1, 4).
Ce sont aussi ces environnements corruptifs où, pour plusieurs des personnes interviewées pour
cette thèse, la corruption est si répandue qu’on ne peut que s’y soumettre ou fuir.
Cette deuxième acception indique le passage de cas de corruption individuellement identifiables
à l’état corrompu de tout ou partie d’une société. Si les deux acceptions sont distinctes, elles
présentent une continuité et appartiennent toutes les deux à cette étude.
1.1 Définitions, inclusions et exclusions
Il n’existe pas de définition unique ou même simple de la corruption. L’étude la plus complète
des différentes définitions a été faite dans le « Glossaire corruption » publié par l’OCDE
(2008). Elle compare trois sources principales :
- La Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans
les transactions commerciales internationales
- La Convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption
- La Convention des Nations Unies contre la corruption.
Elle inclut également les apports d’organisations comme Transparency International (TI).
14
Pour cette thèse il a été nécessaire d’établir une définition qui reprenant l’ensemble de ces
sources tout en précisant les caractéristiques de la corruption du B2B et du B2G. La définition
alors retenue peut se résumer par la phrase :
La corruption est l’échange par une personne détentrice d’un pouvoir, le
corrompu, d’une décision à l’avantage du corrupteur, contre rétribution et
ce, quelle que soit la nature de la rétribution.
Cette définition :
- Précise que les parties prenantes, corrompus et corrupteurs, sont des agents économiques :
la corruption rémunère une prestation – assimilable à une activité de service.
- Précise l’aspect transactionnel de la corruption et rejette la définition limitée au corrompu
« d’abus de pouvoir à des fins personnelles ». La corruption est un « délit à deux ».
- Précise que la décision peut être partielle : un avantage, non décisif seul, favorisant le
corrupteur. Elle est liée à la notion de distorsion de concurrence.
- Étend, comme ont évolué la plupart des législations, la définition du corrompu au secteur
privé. Il peut être un agent de l’État, un élu ou l’employé d’une entreprise privée.
- Inclut les pratiques « d’alimentation progressive » et « d’entretien du climat » qui dissocient
dans le temps la rétribution et la décision
2
.
- Elle ne fait pas de distinction entre corruption passive et active
3
.
- Elle n’inclut pas la notion d’initiateur de la corruption. Le corrompu comme le corrupteur
peuvent faire le premier pas.
- Elle ne fait pas intervenir la notion d’enrichissement personnel en étendant à toute forme de
rétribution, y compris non valorisable ou au profit exclusif d’un tiers.
2
« Alimentation progressive » (ou « affouragement ») et « entretien du climat » sont les traductions en français
des mots allemands « Anfütterung » et « Klimapflege ». En dehors de la Suisse, ces deux formes de corruption ne
sont pas désignées en tant que telles dans la littérature en français ou en anglais.
3
Contrairement à cette thèse, en droit la distinction entre corruption passive et active fait sens. En créant deux
délits distincts il est possible de ne poursuivre que le corrupteur : corruption active, ou que le corrompu : corruption
passive. « Pourquoi deux incriminations et non une seule ? Pour éviter notamment d’avoir à recourir à la notion
de complicité, qui pourrait fragiliser, le complice n’étant punissable en droit pénal que par emprunt. Avec deux
infractions distinctes, même si la corruption n’a pas abouti, le corrupteur sera punissable. » (Boursier et Feugère
2021, p. 1435).
15
1.2 Limites considérées pour cette thèse
L’objet d’étude de cette thèse sont les solutions anticorruption applicables au niveau d’une
entreprise. Il exclut deux autres champs de la recherche sur la corruption :
- Les évolutions législatives et réglementaires.
- La petite corruption
4
.
Toutefois, pour collecter l’ensemble théorique et empirique des relations entre entreprise et
corruption, la revue de la littérature ne sera pas limitée à cet objet. Elle sera étendue :
- à toute zone géographique,
- à toute forme d’organisation (institution formelle),
- à la petite corruption,
- au cadre réglementaire et juridique, en particulier les propositions d’évolution.
D’autres formes de criminalité atteignant les entreprises sont associées à la corruption. Sans en
faire une revue complète, ni oublier que ces incriminations varient selon les pays :
- L’abus de bien social, la prévarication et le trafic d’influence. Les définitions de ces trois
délits varient selon les systèmes juridiques. Ils impliquent les mêmes acteurs : décisionnels
d’entreprise, élus et fonctionnaires.
- Le racket, qui se distingue de la corruption par la contrainte mise sur l’un ou l’autre des
participants à la transaction. Il passe ainsi de corrompu ou de corrupteur à victime. Une
variante étant « l’argent ou le plomb » : une contrainte rémunérée. La personne sous
contrainte devient alors, au moins partiellement, complice (Dal Bo, Dal Bo, & Tella, 2006).
- Les autres formes de criminalité financière, en particulier le blanchiment (dissimulation de
l’origine des fonds). Dans les environnements moins corrompus (si les autorités ne protègent
pas les corrompus), le blanchiment est nécessaire pour le corrompu et le corrupteur :
dissimulation de la transaction (corrompu et corrupteur), de la source de revenu (corrompu)
(OCDE, 2009).
4
Petite corruption, en anglais « petty corruption » : abus quotidien par des fonctionnaires ou des employés en
position de pouvoir sur des citoyens ordinaires : accès aux services publics ou privés, délivrance de documents
administratifs, barrage routier… Par distinction avec la grande corruption qui représente des enjeux plus
important : abus de pouvoir au détriment de la société dans son ensemble, contrat commerciaux B2B ou B2G. La
limite entre petite et grande corruption n’est pas précise.
16
1.3 Les acteurs de la corruption, définitions
Les acteurs de la corruption tels que définis ci-dessous sont des agents économiques. Ils se
définissent à la fois par leur décision et leur participation à la société (philosophie morale) et
en tant qu’éléments de la chaîne de valeur (philosophie naturelle).
- Corrompu : personne physique qui trahit sa fonction en faisant commerce de son pouvoir de
décision (employé du privé ou du public, membre bénévole d’une association, élu…).
- Corrupteur : personne physique ou morale qui rémunère un corrompu afin d’obtenir une
décision favorable.
- Intermédiaire : tierce personne, physique ou morale, facilitant la transaction entre le
corrompu et le corrupteur gracieusement ou contre rémunération. Un intermédiaire n’est pas
nécessairement informé de la transaction ou complice.
- Initiateur : celui du corrompu ou du corrupteur qui propose la corruption. Cette notion
s’estompe si la prévalence de la corruption est forte. La corruption devient systémique ou
systématique
5
. Il s’agit alors d’un environnement corruptif.
1.4 Différence ontologique entre corrompu et corrupteur
Dans une perspective économique, la transaction entre un corrupteur et un corrompu peut
donner l’impression d’une symétrie. La plupart des systèmes juridiques considèrent les mêmes
peines. Il y a pourtant une différence ontologique entre les deux.
Le corrupteur poursuit ses objectifs ou sa mission par des moyens délictueux. Ce sera le cas du
responsable humanitaire qui paye un pot-de-vin à une autorité portuaire pour accéder à un
container de médicaments, ou celui du commercial qui pour obtenir un marché, paye, lui aussi,
5
La caractérisation de ces degrés élevés de corruption interroge le rapport à la norme : corruption institutionnalisée
(pratique récurrente considérée comme normale), systémique (pratique si fréquente qu’elle est la forme dominante
de gouvernance ou de management, endémique est un synonyme si la corruption est assimilée à une maladie
infectieuse), systématique (inévitable pour les organisations ici étudiées), structurelle (qui fait partie de la structure
de l’État ou de l’organisation), normative (pression sociale sur les acteurs économiques) (Médard, 2006). Ces
précisions sont importantes mais il est difficile de les attribuer à un environnement, un État ou à une organisation
en raison du manque de données pour mesurer la corruption (voir le chapitre consacré aux données disponibles p.
205). Une vision strictement quantitative est tout autant insatisfaisante. Les adjectifs listés plus haut permettent de
décrire qualitativement le fonctionnement de la corruption. Cette approche sociologique est complémentaire du
quantitatif.
17
son interlocuteur acheteur. Ce sera enfin le cas de l’agent d’un État qui poursuit des buts de
guerre en corrompant l’ennemi.
Le corrompu trahit l’essence de sa fonction en profitant à titre personnel du pouvoir qui lui a
été confié.
La réponse en droit est simple, dans les trois exemples plus hauts, le délit de corruption est
constitué. Corrompus et corrupteurs sont coupables. En termes d’éthique, il est plus difficile de
conclure. Cela dépend :
- De la légitimité des institutions auxquelles corrompus et corrupteurs rapportent,
- Des finalités et des conséquences de la transaction.
Ainsi le responsable humanitaire ou l’agent de l’État peuvent éthiquement corrompre à la
condition que leurs missions soient éthiquement légitimes. Cela n’est a priori pas le cas pour le
commercial même si son entreprise est contrainte par l’obligation de résultat.
Pour les corrompus, le jugement éthique varie aussi. L’autorité portuaire ou l’acheteur,
trahissent leurs organisations et agissent probablement contrairement à l’éthique. Mais l’état de
nécessité
6
peut justifier d’accepter un pot de vin. Dans le cas d’une guerre, le corrompu trahit
bel et bien son pays. Mais sa responsabilité éthique dépendra de la légitimité de son
gouvernement, de ses motivations (s’agit-il d’enrichissement personnel, de la préparation d’une
fuite, de la protection de ses proches…), des conséquences sur des tiers.
Le questionnement autour de l’éthique de la corruption est central. Il fait l’objet dans cette thèse
d’un développement spécifique (voir chapitre suivant). Puis il est intégré dans la partie qui traite
de la prise de décision (voir p. 133).
6
L’état de nécessité autorise une action a priori contraire à l’éthique si l’ensemble des actions et de leurs
conséquences est éthiquement plus mauvais (voir doctrine du double effet. L’état de nécessité est reconnu par
certains systèmes juridiques. C’est le cas partiellement en droit français (art. 122-7 du Code Civil) « N'est pas
pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou
un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre
les moyens employés et la gravité de la menace. »
18
2 Une éthique universelle anticorruption
L’éthique anticorruption est un sous-ensemble de l’éthique des affaires, elle-même inclue dans
l’éthique. Cette partie de la philosophie morale est ancienne. Comme tout discours
philosophique, elle est universelle. Son développement au cours des siècles est ininterrompu
alors que les contextes culturels et religieux sont multiples et évoluent. Dans le cadre plus
restreint de cette thèse ce premier développement cherchera à répondre aux questions
suivantes :
(1) Comment les solutions éthiques sont-elles construites ? Quelles difficultés intrinsèques ont-
elles ? Naïvement, est-il toujours possible de trouver une solution éthiquement parfaite ?
(2) Quelles formes de raisonnement éthique existent ? Certaines permettent-elles d’aller plus
directement à la solution éthique ?
(3) Quelles sont les conditions limites et les facteurs qui influencent le modèle ? Ici les
spécificités culturelles, religieuses et d’organisation de la société qui pour certaines renforcent
la recherche de solutions éthiques, pour d’autres s’opposent, pour d’autres encore sont
amorales (sans lien avec le modèle et indifférentes à la solution).
2.1 Philosophie morale, définitions, sémantiques et traduction des textes
Le Littré définit l’éthique comme « la science de la morale ». Mais sa définition de la morale
emprunte à de nombreuses œuvres littéraires. Elle est trop large et trop vague pour être retenue
(Littré, 2018). Les définitions du dictionnaire Larousse (2022) correspondent à la plus grande
partie du corpus et sont plus précises :
« Éthique : (1) partie de la philosophie qui envisage les fondements de la morale.
(2) Ensemble des principes moraux qui sont à la base de la conduite de quelqu'un. »
« Morale : (1) ensemble de règles de conduite, considérées comme bonnes de façon
absolue. (2) Science du bien et du mal, théorie des comportements humains, en tant
qu'ils sont régis par des principes éthiques. » (2 premiers sens).
19
A partir du XVIIIe siècle certains auteurs font dériver les définitions des mots « éthique » et
« morale »
7
. Les sources concernées seront signalées. La définition retenue pour cette thèse est :
Éthique : ensemble de principes moraux
Pour les sources latines et grecques, il a été ponctuellement nécessaire de revenir aux textes
originaux en raison notamment de la dérive des définitions évoquée plus haut (Alarcón, 2006;
Bailly, 2021; Gaffiot, 1934).
Français
Définition, synonymes
Grec
Latin
Allemand
Anglais
éthique
ensemble de principes
moraux
ethikós,
(ἠθικός)
ethica (n),
ethices (n)
Ethik
ethics
mœurs
us et coutumes
éthos
ethos
(ἦθος)
mos (n)
moralis (adj)
ethos (n)
Sitte
moral, ethos,
folkways
Tableau 2 Précisions sur les traductions : éthique et mœurs
7
Paul Ricœur rejette puis invente une distinction. En disant s’éloigner de « l’orthodoxie aristotélicienne ou
kantienne » il décale l’ensemble des définitions. La citation suivante ne vaut que comme illustration de cette
accumulation de décalages par Ricœur « Qu'en est-il maintenant de la distinction proposée entre éthique et morale
? Rien dans l'étymologie ou dans l'histoire de l'emploi des termes ne l'impose. L'un vient du grec, l'autre du latin
; et les deux renvoient à l'idée intuitive de ‘mœurs’, avec la double connotation que nous allons tenter de
décomposer, de ce qui est ‘estimé bon’ et de ce qui ‘s'impose’ comme obligatoire. C'est donc par convention que
je réserverai le terme d'éthique pour la ‘visée’ d'une vie accomplie et celui de morale pour l'articulation de cette
visée dans des ‘normes’ caractérisées à la fois par la prétention à l'universalité et par un effet de contrainte (on
dira le moment venu ce qui lie ces deux traits l'un à l'autre). On reconnaitra aisément dans la distinction entre
visée et norme l'opposition entre deux héritages, un héritage aristotélicien, o l'éthique est caractérisée par sa
perspective ‘téléologique’, et un héritage kantien, o la morale est définie par le caractère d'obligation de la
norme, donc par un point de vue ‘déontologique’. On se propose d'établir, sans souci d'orthodoxie aristotélicienne
ou kantienne, mais non sans une grande attention aux textes fondateurs de ces deux traditions : 1) la primauté de
l'éthique sur la morale ; 2) la nécessité pour la visée éthique de passer par le crible de la norme ; 3) la légitimité
d'un recours de la norme à la visée, lorsque la norme conduit à des impasses pratiques, qui rappelleront à ce
nouveau stade de notre méditation les diverses situations aporétiques auxquelles a d faire face notre méditation
sur l'ipséité. » (Ricœur 1990, p. 200-201).
20
A noter qu’en allemand, la distinction entre éthique et morale d’une part, et mœurs d’autre part
est plus précise grâce au terme « Sitte », à l’étymologie distincte et qui signifie habitude ou
tradition. Certains traducteurs et des auteurs à leurs suites font l’erreur. Ce point est important
car de nombreux auteurs germanophones ont contribué à l’éthique du travail.
Le champ sémantique des auteurs cités a été conservé au risque que leurs discours puissent
sembler désuets ou datés. Ce choix vient en réaction à une réécriture d’auteurs anciens qui
conduit, en ignorant leurs attaches philosophiques, culturelles ou religieuses, à les trahir.
Comme le sont les tentatives d’appropriation du confucianisme et du taoïsme par le parti
communiste chinois (Cheng, 2020) ou le détournement de certains auteurs occidentaux comme
Adam Smith ou Karl Marx.
2.2 Éthique des affaires et éthique anticorruption
Ignaz Seipel
8
invente le mot « Wirtschaftsethik » « éthique des affaires » dans son livre de 1907
« L’enseignement de l’éthique des affaires par les Pères de l'Église ». Théologien et spécialiste
de théologie morale, Seipel s’inscrit à la fois dans la continuité de la pensée des Pères de
l’Église, de l’éthique du travail de Luther et des penseurs protestants. Il participe à la prise de
conscience des enjeux humains et moraux à la suite de la révolution industrielle : des sociétés
chrétiennes où la pratique des affaires semble s’être affranchie de toute règle.
« Les enseignements éthiques des affaires des Pères de l'Église sont d'un grand
intérêt pour nous. Ils réfutent aisément le reproche que le christianisme a conduit
au mépris de la vie et à la fuite du monde, et rendu les gens incapables des affaires
de la vie terrestre. Ce sont eux qui ont permis à l'élément le plus important pour le
progrès futur de la culture séculaire, la valorisation du travail physique et
intellectuel, de percer. L'effort des Pères était de faire respecter les principes
moraux du christianisme dans tous les domaines, y compris économiques» (Seipel
1907, p. v).
Seipel met en lumière la constance d’une éthique économique depuis les premiers siècles de
l’Église, notamment en faisant appel à l’enseignement d’Augustin d’Hippone.
8
Ignaz Seipel (1876-1932), prêtre catholique, membre du parti autrichien social-chrétien et chancelier de 1922 à
1924, puis de 1926 à 1929.
21
« […] C'est pourquoi l'éthique des affaires de Saint Augustin reste pour nous
l'expression parfaite des enseignements de l'Évangile et des Pères sur l'usage
correct et agréable à Dieu des biens terrestres. » (Seipel 1907, p. 304).
L’ouvrage de Seipel fait partie d’une réflexion plus large sur la responsabilité individuelle et
l’intérêt général, à la suite de la révolution industrielle et la multiplication des crises sociales et
économiques du XIXe. Des courants de pensée comme le positivisme ou le marxisme proposent
des solutions nouvelles en opposition plus ou moins forte avec la philosophie morale. Ainsi le
livre de Seipel est une réponse à celui de Théo Sommerlad
9
« Le programme économique de
l'Église au Moyen Âge » (Sommerlad, 1903).
Sommerlad croit discerner chez certains Pères de l’Église, dont Augustin d’Hippone, une
impossibilité de l’aliénation des biens communs dont l’interdiction de la propriété privée : une
forme de communisme qui aurait été pratiquée par l’Église primitive. Sommerlad, comme
d’autres auteurs à la recherche d’une convergence entre marxisme et christianisme, se base sur
une citation unique des Actes des Apôtres.
« Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun.
Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous,
selon les besoins de chacun. » (TOB 2010, Actes 2, 44-45).
La réponse de Seipel est de partir de la responsabilité confiée par Dieu à l’homme sur la
création. Ce pouvoir implique des obligations morales : une éthique. Elle s’impose à l’homme
dans l’ensemble de ses interactions y compris comme agent économique.
Trois environnements culturels offrant un corpus éthique continu et ancien permettent de
démontrer l’intemporalité et l’universalité de l’éthique anticorruption :
- L’Inde, dont l’hindouisme et le bouddhisme,
- La Chine, dont le taoïsme et le confucianisme,
- L’Europe et le bassin méditerranéen depuis la philosophie morale d’Aristote.
Constatant que la presque totalité des pays ont adopté des lois anticorruption (Global
Compliance News, 2023), une convergence s’est donc faite au cours des siècles.
9
Theo Sommerlad (1869-1940), professeur d’histoire médiévale et d’histoire économique à Halle en Allemagne.
22
2.2.1 Développement de l’éthique anticorruption en Europe et dans le bassin
méditerranéen
Celle-ci s’organise dans le discours plus général de la morale : l’éthique définie comme un
ensemble de principes moraux, dont un sous-ensemble est l’éthique des affaires, elle-même
incluant l’éthique anticorruption. Le choix a été de se limiter à quelques auteurs qui ont marqué
la construction de l’éthique anticorruption en insistant sur les XVIIIe et XIXe siècles qui voient,
avec la révolution industrielle, une accélération du discours sur l’éthique des affaires :
l’intensification du questionnement moral entre les agents économiques, les individus et la
société.
2.2.1.1 Aristote (384-322 av. J.-C.)
Ménissier (2007) définit trois modalités de la corruption chez les physiciens grecs dont
Aristote : (1) une altération progressive et inéluctable, (2) une impureté demandant des
pratiques purgatives
10
, (3) le rapprochement avec la maladie et son application dans les
domaines moraux, sociaux et politiques. Ces trois modalités interrogent la part à attribuer à
l’homme : dans quelle mesure est-il responsable de cette altération ? Quelle est son implication
morale ?
« […] dans les trois cas, les Anciens paraissent avoir développé une représentation
de la corruption qu’à défaut de qualifier de « positive » on pourrait nommer «
efficace », en ce que, descriptive et normative, elle permet à l’homme d’évaluer sa
conduite individuelle et collective, mais aussi d’agir sur elle. » (Ménissier 2007
p.12).
Dans « De la génération et de la corruption », Aristote interroge les relations entre génération
et corruption, dans le sens large d’altération ou de dégradation
11
. Il établit que ces changements
ne sont pas spontanés. Ils doivent avoir un moteur distinct
12
de cette dégradation (Aristote 1966,
10
Ces pratiques purgatives sont des sacrifices à la divinité. Leur valeur est déterminée par la lecture des augures :
s’ils sont mauvais, alors un nouveau sacrifice sera fait jusqu’à de bonnes augures. Il s’agit d’une transaction avec
les dieux et non d’un sacrifice symbolique. Ces pratiques purgatives ne doivent pas être confondues avec les
pratiques divinatoires. Voir notamment, les cours des 14 et 21 janvier 2016 de John Scheid au Collège de France
(Scheid, 2016).
11
Le titre en français est le plus souvent « De la génération et de la corruption » ; en remplacement du mot
« corruption », certains traducteurs utilisent les mots « dégradation » ou « altération ».
12
Cause motrice ou efficiente.
23
2, 9-10). La recherche du moteur de la corruption prend toute son importance avec
l’interrogation de la relation de l’entreprise avec son environnement. Pour Aristote,
l’environnement n’est pas son propre moteur, il est corrompu en raison de l’action d’acteurs
distincts. Cela fait de lui le fondateur de la philosophie morale : la responsabilité des acteurs,
quelles actions, devoirs et conséquences.
Dans « L’éthique à Nicomaque », Aristote définit l’éthique comme l’action de l’homme dans
la cité : celle-ci est le produit de vertus à la fois universelles et acquises (non-innées).
« Nous distinguons, en effet, les vertus intellectuelles et les vertus morales : la
sagesse, l'intelligence, la prudence sont des vertus intellectuelles ; la libéralité et
la modération sont des vertus morales. En parlant, en effet, du caractère moral de
quelqu'un, nous ne disons pas qu'il est sage ou intelligent, mais qu'il est doux ou
modéré. Cependant nous louons aussi le sage en raison de la disposition où il se
trouve, et, parmi les dispositions, celles qui méritent la louange, nous les appelons
des vertus. » (Aristote 2014, I.13, 1102a-1103a).
« C'est la raison pour laquelle, il faut avoir été élevé dans des mœurs honnêtes,
quand on se dispose à écouter avec profit un enseignement portant sur l'honnête,
le juste, et d'une façon générale sur tout ce qui a trait à la politique. » (Aristote
2014, I.2, 1095a-1095b).
Pour Aristote, l’exercice de la vertu est lié à la notion d’une nature raisonnable de l’homme.
Celui-ci tend vers la perfection morale (N. Kaufmann, 1899). Le choix de l’éthique, d’une
conduite bonne pour soi-même comme pour la cité, est libre. Il est l’expression d’un courage et
du choix d’en faire montre ou pas.
Parmi les domaines d’exercice de l’éthique, Aristote développe un aspect central à cette thèse :
le rôle du citoyen dans la cité. Il place le courage civique en premier.
« En premier lieu, vient le courage civique, car c'est lui qui ressemble le plus au
courage proprement dit. […] parce qu'il est produit par une vertu (à savoir, par un
sentiment de pudeur) et par un désir de quelque chose de noble (à savoir, de
l'honneur) et aussi par le désir d'éviter le blâme, qui est une chose honteuse. »
(Aristote 2014, III.11, 1116a-1117a).
En choisissant ou en refusant l’éthique, nous sommes le moteur menant vers la corruption ou
pas. Aristote précise, avant son développement sur le courage, que la condition de la pratique
des vertus est la liberté, à la fois de déterminer des choix sages, intelligents et prudents et de les
appliquer. Si nous ne sommes plus libres de choisir, alors nous ne sommes plus moteurs :
24
« En ce qui regarde les vertus en général, nous avons marqué, dans les grandes
lignes, quel était leur genre, à savoir que ce sont des médiétés et que ce sont des
dispositions ; nous avons établi aussi que, par leur essence, elles nous rendent aptes
à accomplir les mêmes actions que celles dont elles procèdent ; qu'elles sont dans
notre dépendance, et volontaires ; qu'enfin elles agissent selon les prescriptions de
la droite règle. » (Aristote 2014, III.8, 1114b).
Dans la suite de « l’Éthique à Nicomaque », Aristote développe les notions de contrainte,
d’ignorance et d’intempérance volontaire ou non. Elles seront traitées en faisant appel à
Augustin d’Hippone puis à Thomas d’Aquin qui sont deux exégètes d’Aristote. Plus tardifs ils
montrent mieux la genèse de l’éthique anticorruption.
2.2.1.2 Augustin d’Hippone (354-430)
Seipel, lorsqu’il crée l’expression « éthique des affaires », part des enseignements d’Augustin
(voir p. 21). Déjà traitée par Aristote, la responsabilité de l’homme dans la gestion du monde
(défini à la fois comme la cité, le monde connu, et par extension dans la sémantique chrétienne
comme la création) est une question centrale alors qu’à partir de la conversion de Constantin
en 313, le christianisme devient la religion de l’Empire romain. L’exercice du pouvoir temporel,
les questionnements sur son exercice, prennent une dimension pratique.
« En premier lieu, la conversion au christianisme de l’empereur Constantin au
début du IVe siècle, outre qu’elle obligea l’Église à s’unifier davantage, ouvrit un
problème redoutable : que serait un État chrétien ? Bon gré mal gré, l’Église était
placée face à face avec le monde. Elle était heureuse de voir mettre fin aux
persécutions, et elle devint une institution officielle richement subventionnée. Elle
ne pouvait pas continuer à dévaluer l’État aussi librement qu’elle l’avait fait
jusque-là. » (Dumont 1981, p. 134).
Augustin, évêque d’Hippone, exerce des responsabilités temporelles. Il est en contact avec les
comtes, qui représentent l’empereur. « La cité de Dieu », ouvrage publié après le sac de Rome
de 410, interroge la responsabilité individuelle de l’homme face à un évènement catastrophique
(Eslin 2002; Augustin d’Hippone 426 apr. J.-C.).
Augustin débute sa démonstration en présentant une cité de Dieu (l’amour de Dieu jusqu’au
mépris de soi) opposée à une cité de la terre (l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu). En
résolvant cette opposition, il répond à certains exégètes chrétiens qui « nient le monde ». Il
s’adresse aussi à ceux qui lient la religion nouvelle à la corruption de Rome. Il explique enfin
25
le refus par l’empereur chrétien des sacrifices purificateurs aux dieux. On retrouve les trois
modalités de la corruption (dégradation, impureté et maladie) des physiciens grecs (voir p. 22).
Mais surtout Augustin montre que la corruption de Rome – à la fois en tant que dégradation de
la cité et disparition de l’éthique – est de la responsabilité de l’homme. Cette étape est
essentielle à la création d’une éthique des affaires et donc d’une éthique anticorruption : la
responsabilité de celui qui entreprend, y compris dans un monde corrompu. Une responsabilité
active : l’expression de sa volonté et d’un exercice libre des vertus
13
.
« Augustin fait exister ce Je à un niveau philosophique jamais atteint. […] Augustin
est le premier de ces philosophes qui laissent parler le moi. » (Eslin 2002, p. 35-
36).
Qui culmine dans les Confessions :
«[…] qui voulait ? Moi. Qui ne voulait pas ? Moi. L’un et l’autre était moi, demi
voulant, à demi ne voulant pas. Et je me querellais moi-même, et je me divisais
contre moi. » (Augustin d’Hippone 401apr. J.-C., 8, 10, 21).
Ainsi Augustin lie la responsabilité de l’individu sur la création au devoir d’une utilisation sage
et prudente (éthique) de celle-ci. La conséquence de la liberté de chacun est aussi le partage
d’un pouvoir commun (Thonnard, 1970). Augustin affirme à la fois que la propriété privée est
une loi naturelle, une liberté offerte à tous : que l’appropriation abusive par un individu ou un
groupe des biens d’autrui est une corruption des biens terrestres.
Augustin n’invente pas la responsabilité individuelle. Il met en évidence la « corruption-éthique
individuelle » qui s’ajoute à la « corruption-dégradation de la cité » et qui se retrouve
aujourd’hui dans une des expressions de l’éthique anticorruption qu’est la loi.
« […] la confusion existant autour de la notion de corruption tient pour beaucoup
à l’ambiguïté fondamentale de ce terme, lequel, dans son usage actuel, impute à
des individus particuliers la responsabilité d’un problème qui, pour la plupart des
auteurs classiques, relevait plutôt d’un dysfonctionnement global de la société.
Nous percevons donc aujourd’hui la corruption comme une déviance individuelle,
mais comprenons mal en quoi elle est également, et peut-être d’abord, un problème
proprement politique. » (Boccon-Gibod 2020, p. 616).
13
Augustin reste dans une perspective chrétienne. Si l’homme est libre et responsable, il ne peut, sans le secours
de Dieu, parvenir à la sainteté. Il s’oppose à son contemporain Pélage qui considère que l’homme peut atteindre
la sainteté seul.
26
Augustin ne fait pas abstraction des difficultés d’exercer des vertus dans un monde complexe
et instable. Une part importante de ses écrits sont consacrés à des problèmes éthiques tels que
la guerre juste, la torture, les ennemis de Rome… à la croisée de la Rome païenne et du
christianisme (Eslin, 2002). Les nouvelles responsabilités temporelles de l’Église multiplient
ces questionnements.
« N’oublions pas toutefois qu’au milieu de ces ennemis mêmes se cache plus d’un
concitoyen futur » (Augustin d’Hippone 426 AD, 1, 35).
Après Augustin, Gilson note à la fin du Ve siècle qu’un court arrêt de l’activité intellectuelle
semble se produire. A partir du VIe siècle l’activité intellectuelle reprend autour notamment
des rapports entre foi et raison, marquée par la restauration de l’empire et du droit romain, la
renaissance carolingienne (VIIIe et IXe siècles). Huit cents ans après Augustin, la continuité du
débat philosophique et la préservation de l’héritage philosophique gréco-romain ont permis
trois acquisitions importantes : la détermination des rapports entre la raison et la foi, le
conceptualisme et la scolastique (Gilson, 1919).
Thomas d’Aquin propose alors une méthode d’analyse reprenant la théorie aristotélicienne de
la causalité (syllogisme), ancrée sur une téléologie morale commune.
2.2.1.3 Thomas d’Aquin (1225-1274)
Son œuvre principale, la Somme Théologique (Thomas d’Aquin, 1984), est un ouvrage
didactique qui traite des conditions du salut par l’exercice des vertus : l’éthique. La synthèse
que fait Thomas à la fois d’Aristote et du message chrétien permet de distinguer les deux. Il ne
s’agit pas d’une réinterprétation mais d’une continuité où les deux apports restent
indépendamment identifiables.
« C'est ainsi que nous comprenons la définition de la vertu morale : ‘La vertu est
une habitude principale qui réside dans un milieu précisé par la raison et la
prudence. Ainsi elle prend rang entre deux extrêmes, le trop et le trop peu.‘
(Aristote 2014, II, 6, 1106b). On le voit, le principe téléologique joue un grand rôle
dans la doctrine aristotélicienne de la vertu ; car celle-ci ne s'acquiert et ne peut
s'exercer que par la mise en œuvre d'activités dirigées vers une fin.
Saint Thomas attribue la même valeur à cet élément de l'éthique d'Aristote, tout
comme il reprend dans son système, la théorie de la vertu, la distinction des vertus
dianoétiques et éthiques, etc. Il a, en plus, une doctrine sur les vertus théologiques
surnaturelles, la foi, l'espérance et la charité […] » (Kaufmann 1899, p. 299).
27
Thomas traite de questions concrètes, proches du temps. Il décompose chaque question en
quatre parties : antithèse, thèse, réponse, solution. Cette méthode permet de recenser les
arguments en opposition puis en accord avec la position de Thomas. Elle définit le domaine de
validité et les conditions d’applicabilité. Elle permet enfin de poursuivre l’analyse de Thomas
en l’étendant à des questions nouvelles.
L’intention principale de Thomas n’est pas économique. Au risque d’un contre-sens historique,
il propose pourtant la première somme traitant de gestion et de la prise de décision pour
l’entrepreneur (Bazela, 2013). Thomas fait appel à la vertu aristotélicienne de tempérance : un
questionnement sur l’équilibre et les contradictions possibles entre fins et moyens ou doctrine
du double effet.
« 1. Le bien qu'on se propose pour fin n'est pas toujours un vrai bien ; quelquefois
il est réel, quelquefois il n'est qu'apparent, et dans ce dernier cas, la fin peut rendre
l'action mauvaise.
2. Quoique la fin soit une cause extrinsèque, néanmoins la proportion voulue et le
rapport qu'elle a avec l'action sont intrinsèques à l'action même. » (Thomas
d’Aquin 1984, Ia IIae, 18.4).
Thomas rassemble sous le titre de Fraude (Thomas d’Aquin 1984, IIa IIae, 77) les pratiques
commerciales abusives. S’il ne traite pas directement de corruption, il inclut dans la fraude
l’ensemble des pratiques commerciales contraire à l’éthique
14
. Thomas définit deux conditions :
(1) La transaction commerciale ne doit porter préjudice à personnes : acheteur, vendeur,
personnes tierces (famille, indigents, patrie).
(2) L’utilité sociale de la transaction par opposition à la recherche d’un gain : un profit qui
représente le salaire de l’effort du vendeur.
L’absence totale de préjudice voulue par Thomas au XIIIe siècle ne doit pas surprendre. Elle se
retrouve aujourd’hui dans les enquêtes d’opinion sur la corruption. Mais ce serait simplifier
Thomas que de limiter sa réponse à un simple rejet.
Une question de la Somme Théologique est au centre de la pensée du Moyen-Âge : celle de la
guerre juste (Menès-Redorat, 2012). La réponse de Thomas est qu’une guerre est juste, est
14
Thomas utilise le terme de négoce. « [Le négoce] consiste à échanger argent contre argent ou des denrées
quelconques contre de l'argent, non plus pour subvenir aux nécessités de la vie, mais pour le gain. Et c'est cet
échange qui très précisément constitue le négoce, d'après Aristote. […] Voilà pourquoi le négoce, envisagé en lui-
même, a quelque chose de honteux, car il ne se rapporte pas, de soi, à une fin honnête et nécessaire. » (Thomas
d’Aquin 1984, IIa IIae, 77.4)
28
éthique, si : (1) elle est déclarée par le prince et non par une personne privée. (2) Elle est une
cause juste : l'ennemi doit être fautif. (3) Elle est bien intentionnée : la guerre doit n’avoir
comme but que de faire triompher le bien commun (Thomas d’Aquin 1984, IIa IIae, 40.1).
Ainsi l’instrumentalisation de la corruption, comme dans l’exemple de la guerre juste, peut être
éthique. Plusieurs des personnes interrogées, celles exerçant des fonctions de renseignement ou
de défense, témoignent qu’à la condition d’une éthique supérieure la corruption se justifie.
Thomas prouve qu’il n’est pas possible d’isoler une question à un champ de l’activité humaine.
Si nous nous limitons à n’être que des agents économiques, peut-être peut-on affirmer un rejet
sans nuance de la corruption. Mais la réalité est plus complexe : si pour un bien ultime, le mal
est nécessaire, alors il faut admettre une hiérarchie du bien qui demande ici part d’une action et
mesure des effets à la fois positifs et négatifs.
« Rien n'empêche qu'un même acte ait deux effets, dont l'un seulement est voulu,
tandis que l'autre ne l'est pas. Or les actes moraux reçoivent leur spécification de
l'objet que l'on a en vue, mais non de ce qui reste en dehors de l'intention, et
demeure, comme nous l'avons dit, accidentel à l'acte. » (Thomas d’Aquin 1984, IIa
IIea, 64.7).
Cette citation, prise au début de la réponse à la question « Est-il permis de tuer un homme pour
se défendre ? », se retrouve sous différentes formulations dans la Somme Théologique en
particulier dans la 2ème partie du livre II (IIa, IIea) qui traite de la morale particulière. Ainsi à la
question « Est-il permis, dans le commerce, de vendre une marchandise plus chère qu'on ne l'a
achetée ? », la solution de Thomas débute, contrairement à la citation précédente, par une
intention qui induit des actions :
« Les clercs ne doivent pas seulement s'abstenir de ce qui est mal en soi, mais
encore de ce qui a l'apparence du mal. Or cela se produit avec le négoce, soit parce
qu'il est ordonné à un profit terrestre que les clercs doivent mépriser, soit parce
que les péchés
15
qui s'y commettent sont trop fréquents. » (Thomas d’Aquin 1984,
IIa IIea, 77.4).
15
Cette citation dont le champ sémantique pourrait troubler le lecteur, utilise le mot « péchés ». Sans oublier le
lien que fait Aristote entre l’aspiration au bien et le courage éthique du citoyen, « péchés » peut être ici remplacé
par « atteintes à l’éthique ». De la même façon, l’éthique de Pierre Abélard (1079-1142), rejetée lors du concile de
Sens de 1140, fait porter le péché sur l’intention et non sur l’acte (de Libera, 2001). En dehors de la scolastique,
la discussion sur l’intentionnalité et la relation entre action, conséquence et finalité prendra une importance
particulière avec les Lumières, les éthiques conséquentialistes et déontologiques.
29
La formalisation des effets contraires des actions, la hiérarchisation du bien et les contradictions
possibles entre intentions, actions, conséquences et finalités sont attribuées à Thomas sous le
nom de doctrine du double effet : une action reste éthique si malgré des conséquences néfastes,
celles-ci n’excèdent pas les conséquences bénéfiques. Plus largement Thomas montre qu’une
conduite éthique demande de considérer avec prudence les actions et leurs conséquences, les
intentions et les finalités.
2.2.1.4 Nicolas Machiavel (1469-1527)
Comprendre l’enseignement éthique de Machiavel présente une difficulté particulière car il est
difficile de ne pas penser à « machiavélisme ». Il est étranger à l’œuvre de Machiavel
16
et ne
sera utilisé que lors de l’étude des facteurs internes à la corruption des organisations (voir p.
133).
La dureté apparente de Machiavel doit être remise dans le contexte historique. En premier lieu,
la peste noire qui à partir de 1346 fait disparaître 30 à 50% de la population européenne. Elle
provoque un arrêt de l’économie suivi de reprises irrégulières au gré d’une épidémie qui se
poursuit jusqu’au XVIe siècle (Benedictow, 2005). L’optimum climatique médiéval, qui a
permis à partir du Xe siècle un développement économique et démographique sans précédent,
est remplacé vers 1310-1350 par le petit âge glaciaire. Les récoltes s’effondrent, la famine
s’installe fragilisant encore plus les populations.
A Florence, la peste provoque la mort de 60% de la population entre 1348 et 1351. L’épidémie
reprend tous les 5 à 10 ans provoquant à chaque fois la mort de 5 à 10% de la population
(Morrison, Kirshner, & Molho, 1985). Dans le même temps, la ville est en conflit quasi
permanent avec ses voisins. Les jeux d’influence de ses grandes familles, dont les Médicis,
renforcent l’instabilité de la république (Pleșcău, 2019).
L’œuvre principale de Machiavel « Le prince », publié en 1532, est un essai de doctrine
politique sur l’accès et le maintien au pouvoir. S’inspirant de l’histoire, Machiavel décrit des
16
Le terme machiavélisme apparait pour la première fois dans le « Discours sur les moyens de bien gouverner et
de maintenir bonne paix en royaume ou autre principauté – contre Nicolas Machiavel florentin » publié en 1576
par Innocent Gentillet. Ce livre est une attaque contre Machiavel écrite à la suite du massacre de la Saint-
Barthélémy (Pouilloux, 2022). « Mais mon but est seulement de montrer que Nicolas Machiavel Florentin, jadis
secrétaire de la République (maintenant Duché) de Florence, n'a rien entendu, ou peu, en cette science politique
dont nous parlons, et qu'il a pris des Maximes toutes méchantes, et battit sur icelles non une science politique mais
tyrannique. Voilà donc le but que je me propose, c'est de confuter la doctrine de Machiavel, et non de traiter à
fond la science politique […] » (Gentillet 1576, p. 3).
30
situations d’exercice du pouvoir. A quelles formes de gouvernement elles se rattachent ? Quels
choix des dirigeants peuvent-ils faire, avec quelles conséquences ? Le lecteur peu attentif peut
avoir l’impression que Machiavel est indifférent à l’éthique et ne recherche que l’efficacité : le
maintien au pouvoir à tout prix. Pourtant il ne cesse de faire référence à la prudence et à la
modération dans l’action.
« Machiavel affirme qu'une mauvaise action n'est justifiée que si une évaluation
complète indique que l'action choisie est la moins mauvaise qu'il puisse prendre en
termes de conséquences globales. Il ne s'agit pas d'un rejet pur et simple de la
moralité, mais d'une théorie morale qui tient compte des dilemmes moraux, dans
lesquels un malheur arrive quoi qu'on fasse. » (Cosans et Reina 2018, p.285).
Ce qui surtout sépare Thomas d’Aquin de Machiavel est la peste noire et le petit âge glaciaire.
Attribuer une forme de pessimisme à Machiavel, n’est peut-être que son adaptation au temps.
Pour Machiavel la corruption est inhérente à toutes les formes de gouvernement. Un fatalisme
où même les plus vertueuses se corrompent.
« Je dis donc que, toutes ces formes de gouvernements offrent des inconvénients
égaux : les trois premières [monarchie, aristocratie, démocratie], parce qu'elles
n'ont pas d'éléments de durée ; les trois autres [tyrannie, oligarchie, licence], par
le principe de corruption qu'elles renferment. » (Machiavel 1962, p. 151).
Ce faisant il ne rend pas la forme de gouvernement responsable de la corruption mais bien les
dirigeants. Il observe que seul un pouvoir partagé, où les gouvernants se surveillent les uns les
autres, permet la stabilité et la vertu (Cosans & Reina, 2018)
17
. Enfin il reprend la doctrine du
double effet de Thomas d’Aquin, qu’il renforce en montrant que l’exercice du pouvoir peut
demander de faire le mal pour atteindre un bien meilleur (un mal nécessaire) et propose la
recherche du moindre mal. Un dirigeant contraint par des facteurs externes (la fortune) mais
qui conserve une capacité d’exercice des vertus (Sfez, 1999).
2.2.1.5 La Réforme
La Réforme protestante, en particulier les apports de Martin Luther (1483-1546) et de Jean
Calvin (1509-1564), est une étape essentielle. L’histoire de la pensée en Occident est marquée
par les réformes de l’Église. Que ce soit la réforme cistercienne au XIe siècle ou l’enseignement
17
Benner pense que Machiavel utilise l’ironie pour dissimuler une critique directe des dirigeants. Son message
s’adresserait au citoyen ordinaire en leur recommandant de ne pas se comporter comme eux (Benner, 2014).
31
de François-Xavier au XIIIe siècle, toutes incluent des éléments de rejet d’une situation
précédente vue comme corrompue.
Mais aucune n’a eu l’impact de la Réforme protestante. Son importance vient aussi de ses fruits
au moment de la révolution industrielle : la création de courants de pensée, aux États-Unis et
en Europe, qui joueront un rôle majeur dans l’apparition puis la diffusion de l’éthique des
affaires.
Les 95 thèses de Martin Luther affichées sur la porte de l’église de Wittenberg en 1517
s’intitulent « Discussion sur la puissance
18
des indulgences ». Luther demande, notamment dans
les thèses 27 et 35, de ne plus en faire le commerce :
« 27. C'est une invention humaine, de prêcher que sitôt que l'argent résonne dans
leur caisse, l'âme s'envole du Purgatoire. […]
35. Ils prêchent une doctrine antichrétienne, ceux qui enseignent que pour le rachat
des âmes du Purgatoire ou pour obtenir un billet de confession, la contrition n’est
point nécessaire. » (Luther, 1517).
La simonie est une faute dénoncée dès l’origine du christianisme (Noonan 1982; Thomas
d’Aquin 1984, IIa IIae, 100). Ses implications religieuses sont connues de tous les exégètes de
l’époque de Luther. Remise dans le contexte de la foi chrétienne, la simonie présente toutes les
caractéristiques de la corruption :
- Un corrupteur : le chrétien qui veut racheter ses péchés et échapper au purgatoire.
- Un corrompu : le pape prononçant l’indulgence contre rémunération et non à la suite d’une
vraie contrition.
On retrouve la différence de nature entre corrupteur et corrompu. Notamment la trahison, à son
profit personnel, de la mission qui a été donnée au pape : apôtre envoyé du Christ. Enfin, pour
les confesseurs, le délit de trafic d’influence est constitué puisqu’il n’est pas nécessaire qu’ils
en tirent un avantage personnel, mais qu’il suffit que leurs actions aient favorisé la corruption.
Deux éléments, qui guident l’enseignement de Luther, sont importants pour cette thèse :
- Tout homme est éligible au salut quel que soit son travail.
18
Le titre original en Latin « Disputatio pro declaratione virtutis indulgentiarum ». Ici « virtutis », génitif de
« virtus », signifie à la fois force (1er sens) mais aussi vertu. Certains auteurs, en particulier germanophones et
contemporains de Luther préfèrent la traduction « … vertu des indulgences ». Luther dénonce la simonie : la
corruption (ou absence de vertu) de l’Église, mais aussi le pouvoir donné aux indulgences, devenues un substitut
à une vraie contrition. La traduction de « virtutis » par « pouvoir » marque la continuité avec Aristote : la
corruption (ici la dégradation de la parole de l’Église) résultant de l’exercice d’un pouvoir contraire aux vertus.
32
- Un rapport attentif à l’argent dans sa capacité à corrompre la relation à Dieu.
L’œuvre de Calvin demande de faire la distinction entre deux acceptions du mot « corruption ».
La plus centrale à son enseignement est la « « corruption totale ou « dépravation totale »
19
qui
sort du sujet de cette thèse. La seconde acception est une conséquence d’une forme de
manichéisme identifié par Weber dans les mouvements calvinistes puritains (1904) : l’homme
est prédestiné au salut ou à la chute. Une « conséquence imprévue, non voulue » (Weber, 1904a,
p. 26), est la mise en place d’une éthique contraignante, d’une culture morale particulière : le
Puritanisme, qui ne considère que le salut de l’âme.
« Calvin a une conception très particulière de Dieu. […] Calvin n’est pas un
tempérament contemplatif, c’est un penseur rigoureux dont la pensée est tournée
vers l’action. De fait, il a régné sur Genève en homme d’État éprouvé, et il y a en
lui une pente légaliste. Il aime promulguer des règles et soumettre à leur discipline
lui-même et les autres. Il est possédé par la volonté d’agir dans le monde et il écarte
par des raisonnements cohérents les idées reçues qui l’en empêcheraient. Cette
disposition personnelle éclaire les trois éléments étroitement liés qui sont
fondamentaux dans la doctrine de Calvin : les conceptions de Dieu comme volonté,
de la prédestination, et de la Cité chrétienne comme l’objet sur lequel porte la
volonté de l’individu. » (Dumont 1981, p. 140).
A la fois ce qui apparaît comme une dureté : ne pas mettre sa foi dans l’entraide ou les amitiés
humaines qui ne peuvent apporter le salut : le seul confident, Dieu lui-même. Et par un
retournement presque ironique, la recherche d’une perfection de la relation à Dieu :
« L'élu chrétien est ici-bas pour augmenter, dans la mesure de ses moyens, la gloire
de Dieu dans le monde en accomplissant les commandements divins, et pour cela
seul. Mais Dieu veut l'efficacité sociale du chrétien, car il entend que la vie sociale
soit conforme à ses commandements et qu'elle soit organisée à cette fin. » (Weber,
1904a, p. 32).
D’une théologie de la prédestination, imprégnée de l’impossibilité pour l’homme de pourvoir à
son salut, le calvinisme puritain a, par opposition, développé au XVIe et XVIIe siècles une
éthique de l’action économique et sociale de l’homme : son entreprise humaine. Elle préfigure
l’apparition de l’éthique des affaires au XIXe siècle dans l’environnement particulier que sont
19
Corruption totale : doctrine théologique selon laquelle l’homme est esclave du péché. Seule la grâce de Dieu lui
permet de s’abstenir du mal. Cette doctrine connait de nombreuses variantes.
33
les États-Unis d’Amérique. Cette deuxième apparente contradiction, d’un Puritanisme qui ne
veut que considérer sa relation à Dieu, et qui pourtant s’implique dans la construction de cette
nouvelle société.
« Le puritanisme n’était pas seulement une doctrine religieuse ; il se confondait
encore en plusieurs points avec les théories démocratiques et républicaines les plus
absolues. » (Tocqueville 1848, p. 69).
La corruption est un élément central pour Calvin. Ce qui pourrait apparaître comme une
confusion entre « corruption-dégradation de la cité » et « corruption-éthique individuelle » ne
l’est pas. Dans une relation exclusive à Dieu, on ne peut acheter son salut en corrompant son
prochain
20
.
2.2.1.6 Les Lumières, rapprochement entre anciens et modernes
Parmi les différentes modalités de la corruption, celle de la dégradation de la cité croise la
définition moderne tout au long de l’histoire de la pensée. Une des critiques internes à la
démocratie athénienne est la mise en cause de ses élus, par les philosophes ou les auteurs de
comédies. La corruption comme une pathologie des régimes (Ménissier, 2007).
« […] la notion de corruption a valu d’un point de vue éthique, dans le but
d’appréhender la rectitude des conduites socio-politiques individuelles et
collectives : selon cet usage, sont désignées comme corrompues certaines formes
d’inconduite. […] telles que le clientélisme et l’évergétisme
21
pour les Anciens, et
la vénalité des offices pour les Modernes.
22
» (Ménissier 2007 p.13).
Ces croisements entre dégradation et corruption se retrouvent chez Montesquieu qui fait de
l’amour de la patrie et de l’amour de soi-même, une vertu qui rejette la corruption. Il montre
aussi que la corruption est un risque universel qui peut atteindre à la fois les démocraties :
20
Le risque de confusion est réel jusqu’à des extrêmes. La famine irlandaise en 1846-1852 voit le refus par le
parlement britannique, dominé par les puritains, de toute aide gratuite à la population affamée au risque de leur
dégradation morale. Il est aussi justifié par la peur de mettre son propre salut en péril en corrompant son prochain
par une aide qui irait contre Dieu : le mildiou est l’agent de la Providence, faire l’œuvre de Dieu demande de ne
pas intervenir (Bensimon & Colantonio, 2014; Magan, 2021).
21
L’évergétisme est la pratique de libéralités de la part d'un riche notable (appelé évergète) en faveur de la cité.
Dans la Rome républicaine, il est interdit si les dons ne sont faits qu’à une partie des citoyens.
22
Ménissier (2018) précise que l’évergétisme dans la république romaine n’était considéré comme de la corruption
électorale que si les dons n’étaient distribués qu’à une partie des électeurs : dans une relation transactionnelle entre
un candidat corrupteur et des électeurs corrompus.
34
« Le principe de la démocratie se corrompt, non seulement lorsqu'on perd l'esprit
d'égalité, mais encore quand on prend l'esprit d'égalité extrême, et que chacun veut
être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander. » (Montesquieu 1748, VIII.ii, p.
128).
Et les aristocraties :
« L'aristocratie se corrompt lorsque le pouvoir des nobles devient arbitraire : il ne
peut plus y avoir de vertu dans ceux qui gouvernent, ni dans ceux qui sont
gouvernés. » (Montesquieu 1748, VIII.v, p. 131).
L’origine commune, quelle que soit la forme de gouvernement est une perversion intrinsèque
de la volonté. Seule la vertu des politiques permet de lutter contre la corruption.
Adam Smith, dans la deuxième partie du XVIIIe siècle, conduit une analyse en deux temps du
fonctionnement de la société, qui pose, comme postulat de départ, la séparation entre
philosophie morale et une lecture économique débarrassée des aspects éthiques, religieux ou
des spécificités culturelles (philosophie naturelle)
23
.
Toutefois l’œuvre de Smith présente quatre difficultés.
(1) Une proximité entre morale et mœurs. Si Smith fait la distinction, une extension de la
moralité aux mœurs ne peut être évitée que si les individus disposent d'informations adéquates
pour juger correctement et qu’ils ne sont pas induits en erreur par des passions ou des intérêts
égoïstes (Fleischacker, 2004).
« [Pour Smith] La moralité est une question d'échange de sentiments dans l'espoir
de pouvoir conclure un accord émotionnel gratifiant. » (Phillipson 2010, p. 152).
(2) Une préciosité de l’écriture, commune à d’autres auteurs de son époque, qui joue sur le sens
des mots et les étend. Smith dans sa « Théorie des sentiments moraux » (TSM) (Smith, 1790)
utilise les mots de « corruption » et « to corrupt » lorsqu’il parle d’une évolution des sentiments
vers moins de moralité ou vers des mœurs dissolues. Ces dernières ne sont pas liées à l’éthique
23
Certains sujets sont traités sous les deux angles. Smith condamne l’esclavage dans la TSM comme une cruauté
réduisant l’homme au « plus vil de tous les états » (Smith 1759, VII.ii.1 p. 256-257). L’esclavage est traité dans la
RN sous les aspects de la productivité du travail, de l’évolution de l’esclavage dans les nations prospères, de la
colonisation et des revenus du Commonwealth. L’analyse de Smith est alors économique. Par exemple sur le coût
du travail « Il ressort donc de l'expérience de tous les âges et de toutes les nations, je crois, que le travail effectué
par des hommes libres revient finalement moins cher que celui effectué par des esclaves. » (Smith 1776, I.viii, p.
67).
35
mais au contexte culturel particulier à son époque. Smith utilise le verbe « to bribe » et en étend
aussi le sens : « He studies to please, and endeavours to bribe you into a good opinion of him
by politeness and complaisance […] » « Il étudie pour plaire et s'efforce de vous corrompre par
la politesse et la complaisance afin que vous ayez une bonne opinion de lui […] » (Smith 1759,
III.ii, p. 113 et VI.iii, p. 232). Mais Smith utilise également le mot corruption dans son sens
moderne. Par exemple dans la « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des
nations » (RN) lorsqu’il traite du coût et par incidence de la corruption du système judiciaire
(Smith 1776, V.i, p. 549-558).
(3) La religion en général, et principalement le christianisme, qui, pour Smith, impose une
morale et des mœurs subjectifs comme des devoirs alors qu’ils sont séparés et sans droit sur la
nature humaine :
« Nos facultés morales ne sont nullement, comme certains l'ont prétendu, sur un
pied d'égalité à cet égard avec les autres facultés et appétits de notre nature, et
elles n'ont pas plus le droit de restreindre ces derniers que ceux-ci n'ont le droit de
les restreindre. » (Smith 1759, III.v, p. 146).
(4) Une difficulté à intégrer les questions éthiques irrésolues. Avec le rapprochement entre
morale et mœurs, il n’est plus possible de poursuivre la philosophie morale thomiste : une
impossibilité de modéliser l’incertain :
« Les deux parties utiles de la philosophie morale sont donc l'Éthique et la
Jurisprudence
24
: la casuistique doit être rejetée complètement ; et les anciens
moralistes semblent avoir bien mieux jugé, eux qui, en traitant des mêmes sujets,
n'affectaient pas une si belle exactitude, mais se contentaient de décrire, d'une
manière générale, quel est le sentiment
25
sur lequel se fondent la justice, la modestie
et la véracité, et quelle est la manière ordinaire d'agir à laquelle ces vertus nous
portent communément. » (Smith 1759, VII.iv, p. 312).
24
Smith définit la Jurisprudence comme « […] la science qui étudie les principes généraux qui doivent être à la
base des lois des nations. » et « […] la théorie des principes généraux du droit et du gouvernement. » (Smith 1763,
p. 1 et 3). Ces deux définitions correspondent aux deux premiers sens du Littré, et diffèrent de l’acception actuelle
« D’ensemble des décisions judiciaires et administratives, qui constitue une source du droit » (Larousse).
25
Pour Smith, comme pour Montesquieu, le mot « sentiment » en anglais traduit par le même mot en français a un
sens plus fort qu’aujourd’hui et peut-être compris comme un « sentiment impérieux ». Il n’atteint toutefois pas le
sens de devoir : une contrainte externe à l’individu. Il reste dans le domaine affectif.
36
Smith, dans ce même chapitre « De la manière dont les différents auteurs ont traité des règles
pratiques de la moralité » (Smith 1759, VII.iv, p. 300), utilise une formulation proche de
Montesquieu :
« La vertu, dans une république, est une chose très simple: c'est l'amour de la
république; c'est un sentiment, et non une suite de connaissances […] »
(Montesquieu 1748, V.ii, p. 64 ).
Smith et Montesquieu s’éloignent d’Aristote. Pour ce dernier, les vertus et l’éthique sont liées
à la nature humaine et la recherche du bien. C’est parce que les autres auteurs cités conservent
la définition d’Aristote qu’ils sont confrontés, pour Augustin au moi (voir p. 25 – voir aussi la
prédestination chez Calvin p. 32), pour Thomas d’Aquin et Machiavel à la doctrine du double
effet ou au moindre mal (voir p. 29 et 30). En ajoutant, comme Smith, les mœurs et les
sentiments à la morale alors le risque est de ne plus parler que de subjectif ou de différences de
ressentis : les mœurs d’une société devenue moralité (Fleischacker, 2004; Gonin, 2014; Sen,
2011). Pourtant ce qui fait de Smith un contributeur essentiel à l’éthique des affaires est cette
expérience exceptionnelle qu’est la RN.
« La RN est à certains égards un triomphe de l'éthique indirecte, d'un enseignement
éthique qui peut réussir à changer le lecteur précisément parce qu'il évite une
terminologie explicitement éthique. » (Fleischacker 2004, p. 52).
Smith parvient à une éthique des affaires non pas en partant des vertus d’Aristote, déjà traitée
dans la TSM, mais par la philosophie naturelle : par l’analyse des mécanismes économiques
qu’il observe. Le corpus interprétatif de Smith n’est pas consensuel. Certains voient chez Smith
soit une évolution de l’économie allant contre l’éthique, soit la vision opposée, soit enfin l’appel
à des réformes pour remédier à des évolutions négatives, possibles mais non certaines (Bassiry
& Jones, 1993; Werhane, 2000; Wilson, 1989). La position de Smith est celle d’un observateur
et d’un analyste. Il faut se garder de lui attribuer des intentions
26
.
Smith aborde ainsi la corruption sous deux angles. D’une part il considère que la capacité de
l’homme à faire preuve d’empathie diminue si le contexte devient plus général. L’homme sera
26
Smith est un des auteurs les plus commentés et qui, pour des motifs parfois difficiles à discerner, subit des
erreurs d’interprétation, heureusement combattues (Kennedy, 2011; Sen, 2011; Woller, 1996) : (1) les auteurs qui
ignorent la TSM et ne considèrent que la RN, oubliant la philosophie morale de Smith et pouvant aller jusqu’à le
réduire à un physiocrate. (2) Les auteurs qui limitent la pensée de Smith à l’expression « main invisible », oubliant
même les paragraphes qui entourent ces deux mots (Smith 1759 IV.1, p. 165 ; 1776, VI.ii, p. 349). (3) Les auteurs
qui plaquent des pratiques économiques actuelles ou passées ou mélangent éthique et éthos.
37
d’autant plus vertueux et saura d’autant plus faire abnégation de son intérêt personnel qu’il
s’agira d’un sujet proche de lui. D’autre part Smith critique la mauvaise gestion de l’État et de
ses ressources.
Smith ne s’arrête pas à cette critique, à cette « corruption-dégradation de la cité » rencontrée
précédemment. Par son étude des mécanismes de l’économie, il distingue plusieurs formes de
ce qui peut être appelé des qualifications pénales (paiement de pot-de-vin, favoritisme,
népotisme, prévarication) qu’il lie à la croissance de l’empire britannique et l’évolution des
relations entre secteur marchand et l’État (Hanley, 2009; Mueller, 2021). Par la TSM et la RN,
Smith revient presque à l’éthique anticorruption d’Aristote : l’exercice des vertus complété de
la fonction d’un agent économique.
« Si Smith est certain que la vertu est le principal rempart contre la corruption
sociale et économique, les vertus qu'il valorise et promeut sont des vertus
commerciales plutôt que civiques […] » (Hill 2006, p. 646).
Hill montre que Smith s’inscrit dans un mouvement plus général du Royaume-Uni de la fin du
XVIIIe siècle qui souhaite se débarrasser de la « vielle corruption » en réformant les pouvoirs
du parlement et son élection dans un contexte de refus d’une société vue, notamment par les
puritains, comme hédoniste, aux mœurs dissolues et décadentes.
Plus largement le foisonnement de nouveaux courants de pensée (physiocrates, l’utilitarisme,
le mercantilisme…) ne permet pas d’en faire un recensement exhaustif. Pour cette thèse il
importe de conserver ceux dont les travaux ont survécu au XIXe siècle après Weber et Seipel.
2.2.1.7 Révolution française puis apparition du droit positif
En France, l’étude des écrits de Robespierre par Van der Hallen (2007) permet de comprendre
l’avancement de la pensée à la fin du XVIIIe siècle. Le discours de Robespierre,
« l’Incorruptible », vise à justifier l’action des révolutionnaires en se réclamant de la
philosophie des Lumières. Il reprend Montesquieu en remplaçant « vertu » par « intérêt
public ». Il établit comme préalable nécessaire à la régénération de la société une phase de
despotisme – de corruption absolue des gouvernants.
« […] quand les peuples sont assez éclairés et assez malheureux pour vouloir être
libres, ils le sont. Les tyrans tombent d’eux-mêmes, quand ils sont mûrs. »
(Robespierre 1794, tome IV, p. 250, 26 mars 1792).
La corruption est considérée comme une atteinte au sacré, à des valeurs supérieures propres à
l’humanité.
38
« Comme l’unique objet de la société est la conservation des droits imprescriptibles
de l’homme, le seul motif légitime des révolutions doit être de la ramener vers ce
but sacré, et de rétablir ces mêmes droits usurpés par la force et par la tyrannie
[…] » (Robespierre 1790, tome IV, p. 110, 1er janvier 1792).
Cause première de la dégradation des États, la corruption provoque, par une sorte de double
négation, un bienfait : la révolution. La fausse équivalence construite par Robespierre en
remplaçant « vertu » par « intérêt public » lui permet de justifier la Terreur de 1793-1794.
« Sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de
se défendre contre toutes les factions qui l'attaquent. Le gouvernement
révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux
ennemis du peuple que la mort. » (Robespierre 1790, tome X, p. 274, 23 décembre
1793).
Mais la fin du XVIIIe siècle voit aussi la fondation de la démocratie des États-Unis. Elle aussi
inspirée des Lumières, elle intègre dès la première rédaction de sa constitution en 1787 un
premier rejet de la corruption.
« Aucun titre de noblesse ne sera conféré par les États-Unis, et aucune personne
qui tiendra d’eux une charge rémunérée ou de confiance ne pourra, sans le
consentement du Congrès, accepter des présents, émoluments, charges ou titres
quelconques, d’un roi, d’un prince ou d’un État étranger. » (Constitution des Etats-
Unis 1787, Art. 1, Sec. 9).
En France, le Code Pénal de 1791 ne traite pas de la corruption en dehors de l’inculpation
générale de trahison (nombreux articles) et de la corruption des fonctionnaires et des jurés
(Code Pénal 1791, 2ème partie, sec. 5, art. 9). C’est dans le Code Civil de 1810, sous le règne de
Napoléon Bonaparte, qu’un délit de corruption apparaît pour la première fois : « De la
corruption des fonctionnaires publics » (Code Civil 1810, chap. IV, art. 177 à 183). Il définit
ce délit incluant à la fois les fonctionnaires corrompus et les corrupteurs (art. 179).
Il ne faut pas confondre droit positif et éthique (voir p. 47), cette apparition dans la loi d’un
délit spécifique pour la corruption est un marqueur d’une évolution liée à de nombreux autres
changements (notamment l’apparition progressive d’un État de droit)
27
.
27
L’exemple le plus marquant est le Japon qui connaît lui aussi, à partir de 1868 et de l’ère Meiji, une révolution
industrielle. La refonte à partir de 1880 de son code civil, inspirée des codes français et allemands, voit l’apparition
du délit de corruption en 1907 (Japon - code civil 1907, loi 45). A noter que comme pour la plupart des pays
occidentaux alors, les corrompus sont limités aux agents de l’État et aux arbitres lors de litiges commerciaux.
39
2.2.1.8 XIXe siècle, convergence éthique
Avec la révolution industrielle, la réflexion sur l’éthique des affaires s’approfondit. Cela est
particulièrement marqué là où l’industrie se développe le plus rapidement : en Angleterre dès
le XVIIIe siècle, suivie par les États-Unis puis le reste de l’Europe. Deux champs de réflexion
sont à l’origine de cette prise de conscience éthique.
Le premier tente de lier le développement économique à une augmentation des inégalités
conduisant à cette prise de conscience. Avec la révolution industrielle, le PIB par habitant
augmente pour la première fois
28
depuis le début la crise du XIVe siècle (peste noire et début
du petit âge glaciaire, voir p. 29). La révolution industrielle correspond à une baisse importante
de l’indice de Gini, suivie sur plusieurs siècles par une augmentation progressive qui semble
commune à toute l’Europe préindustrielle. La littérature romanesque du XIXe siècle, la
succession des révolutions en France et plus généralement les troubles politiques en Occident,
peuvent donner l’impression d’une augmentation des inégalités pendant ce siècle. Pourtant des
travaux récents montrent que l’indice de Gini
29
baisse au XIXe siècle (Alfani, 2021; Allen,
2019; Bolt & Zanden, 2020; Pleijt & Zanden, 2020).
Qualitativement, cela se traduit par un désintérêt pour l’éthique par une partie des économistes
et des sociologues. L’exemple le plus célèbre est Karl Marx et le début des mouvements
socialistes à sa suite. L’appel à la morale ou à l’éthique n’est pas absent de leurs discours.
Toutefois en réservant les comportements vertueux aux classes les plus pauvres et en niant toute
moralité aux plus riches, ils sortent de la philosophie morale d’Aristote qui considère que tout
homme est libre de ses choix éthiques. L’éthique est alors un argument posé comme un
préalable, dont le contenu n’est pas défini, mais qui justifie un discours :
28
A l’exception du siècle d’or hollandais : l’augmentation du PIB par habitant à partir du XVIe siècle, attribuée à
sa puissance maritime et une immigration d’une population riche et urbaine vers la Hollande. Pleijt et Zanden
proposent mais infirment en partie un développement commun aux pays de la mer du Nord. La divergence entre
Angleterre et Hollande est complète après la disparition de l’empire maritime hollandais au XVIIe siècle puis un
début de la révolution industrielle en l’Angleterre presqu’un siècle avant la Hollande (Pleijt & Zanden, 2020).
29
Des indicateurs plus récents comme l’extraction ratio (part de l’inégalité maximale possible en fonction du
revenu moyen par habitant) et le inequality possibility frontier (quotité disponible d’inégalité – qui soustrait le
minimum nécessaire à la survie des plus pauvres à un calcul de la répartition des richesses) ne montrent pas, au
contraire, de dégradation significative avec la révolution industrielle (Milanovic, 2013; Milanovic, Lindert, &
Williamson, 2007).
40
« Éthique sous-jacente mais jamais affirmée. La tension, la présence éthique qui
serait préalable à toute analyse du capitalisme ou à toute rencontre avec les réalités
de la classe ouvrière, est là un fait d'évidence. » (Lew 1987, p. 59).
A rapprocher de la « morale de l’intérêt public » de Robespierre vue plutôt (voir §2.2.1.7).
Une autre explication est que le sujet de l’éthique n’est pas l’objet d’étude de ce courant de
pensée. En poursuivant l’exemple de Karl Marx, Wood montre que l’accuser d’amoralité est
un abus. Si Marx évite systématiquement les jugements moraux, s’il ne remplace pas l’éthique,
comme certains l’ont tenté, par une « morale humaniste marxiste » (elle-même non définie),
c’est que sa conception matérialiste de l’histoire et de la société est difficile à combiner avec
une critique du capitalisme sur des bases morales (Wood, 2015). Après Marx, Maximilien
Rubel et Karl Korsch, cités par Lew, analysent cette difficulté en invoquant une éthique de
l’émancipation de la classe ouvrière ou une dualité irréconciliable entre science et éthique (Lew,
1987). Poursuivre dans cette direction s’éloigne du questionnement sur l’éthique anticorruption
et ne présente plus d’intérêt pour cette thèse.
Le second champ de réflexion est en continuité avec le développement de la philosophie morale
d’Aristote. L’Église méthodiste fondée par John Wesley au XVIIIe en réaction contre le
Puritanisme alors dominant, jouera un rôle essentiel dans cette réflexion. Wesley dénonce la
corruption de ces gouvernements puritains :
« La corruption existait à tous les degrés de la hiérarchie gouvernementale. […]
Robert Walpole, premier ministre pendant vingt ans, fit preuve d’une morale tout
aussi relâchée ; il se vantait de savoir le prix de chaque conscience et mettait la
sienne à un tarif assez élevé. Grâce à lui, les bureaux du Trésor devinrent un
véritable encan, o chaque membre du parlement venait débattre le prix qu’il
entendait recevoir pour son vote. Par des distributions bien combinées, le ministre
s’assurait des majorités imposantes ; la vénalité de la Chambre des communes lui
répondait de sa docilité. » (Lelièvre 1868, p. 40).
Un des fruits de Wesley est la fondation de l’Église méthodiste, qui jouera un rôle essentiel
dans la réforme morale de l’Angleterre du XIXe siècle. Elle passe par la critique du
Puritanisme : pour qui se dit chrétien, l’amour du prochain et sa traduction en acte ne peuvent
être ignorés. La corruption est contraire à la foi car elle nuit au prochain.
Cela s’inscrit dans le cadre plus large d’une réflexion sur le progrès et l’utilisation responsable
des biens terrestres. Ces problématiques sont discutées dès la Grèce antique. Mais la brutalité
du temps, la contradiction apparente entre progrès technique et misère des populations, la prise
de conscience, dès le milieu du XIXe siècle, de ressources limitées accélèrent la réflexion.
41
En reprenant l’exemple précurseur de l’Angleterre, alors que l’industrie du charbon est en plein
essor, Charles Dickens dans son roman « Les temps difficiles » (1854), décrit une société
mécaniste qui détruit sa population, physiquement et dans son âme. La découverte au début du
XIXe siècle que le charbon est le produit de la décomposition de forêts du Carbonifère et du
Permien, est interprétée comme un don de la Providence : plus la consommation augmente, plus
la question d’une utilisation positive de cette ressource limitée se pose. Jevons publie en 1865
une estimation des réserves disponibles inférieures à 100 ans qui provoque de fortes inquiétudes
et renforce encore le sentiment de culpabilité (Jevons, 1865; Mathis, 2021).
« La réflexion montrera que nous ne devons pas songer à entraver le libre usage
des richesses matérielles que la Providence a mises à notre disposition, mais que
nos devoirs consistent entièrement à en faire un usage sérieux et sage. Nous
pouvons la dépenser d'une part dans un luxe accru, dans l'ostentation et la
corruption, et nous serons blâmés. » (Jevons 1865, p. xxv).
Il s’agit à nouveau du double sens de « corruption-dégradation de la cité » et de « corruption-
éthique individuelle » : l’inquiétude de Jevons devant de nouvelles richesses matérielles qui
créent de nouveaux devoirs. Vingt-cinq ans plus tard, la lettre encyclique « Rerum novarum »
« Des innovations » partage la même inquiétude :
« La soif d'innovations qui depuis longtemps s'est emparée des sociétés et les tient
dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard, passer des régions de la politique
dans la sphère voisine de l'économie sociale. En effet, l'industrie s'est développée
et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et
ouvriers se sont modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et
la multitude a été laissée dans l'indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus
haute d'eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime. Tous ces faits,
sans parler de la corruption des mœurs, ont eu pour résultat un redoutable conflit. »
(Leon XIII 1891, p. 1).
En 1907, Seipel crée l’expression « éthique des affaires » (voir p. 21) qu’il définit dans la
continuité d’Augustin. Weber a précisé trois ans auparavant, alors qu’il lui est reproché de faire
de la Réforme l’origine du capitalisme, que :
« […] il ne s'agit pas du tout de défendre une thèse doctrinaire aussi stupide que
celle selon laquelle ‘l'esprit capitaliste’ (toujours dans le sens provisoire de ce mot)
n'a pu naître que comme une émanation de certaines influences de la Réforme, ou
même que le capitalisme en tant que système économique est un produit de la
Réforme. Le fait que certaines formes importantes de l'entreprise capitaliste soient
42
notoirement plus anciennes que la Réforme serait déjà un obstacle à une telle
opinion une fois pour toutes » (Weber, 1904a, p. 26).
Au début du XXe siècle, alors que les premières tentatives de transcription en droit positif d’une
éthique anticorruption ont eu lieu, la philosophie morale et la part des sciences économiques
née de la philosophie naturelle restent entrelacées. Avec les transformations économiques, la
responsabilité éthique de l’homme et le risque de « corruption-dégradation de la cité » ne sont
devenus que plus apparents.
2.2.1.9 Conclusion sur l’histoire de l’éthique anticorruption
Débuter par Aristote peut donner l’impression de noyer dans un grand tout philosophique cette
problématique plus étroite de la prévention et de l’anticipation de la corruption. L’apport
d’Aristote est sa présentation de l’ensemble du champ de la corruption tant en termes d’enjeux
individuels et collectifs que de questionnement éthique : pour l’entreprise et ses décideurs, le
rejet de la corruption, plus largement le lien entre « corruption-dégradation de la cité » et
« corruption-éthique individuelle ».
Il n’y a pas chez Aristote ou ses successeurs de « corruption-dégradation de la cité » qui ne soit
la conséquence de l’exercice d’un pouvoir. Réciproquement, la « corruption-dégradation de la
cité », fait appel au courage citoyen, la vertu première. L’exercice des vertus est le préalable à
l’anticipation et à la prévention de la corruption.
Une autre expression de cette difficulté est que l’éthique anticorruption, comme pour toute autre
domaine de l’éthique, impose des décisions complexes, aux conséquences multiples. Ce que
Thomas d’Aquin appelle la doctrine du double effet et Machiavel la recherche du moindre
mal
30
.
Weber propose de distinguer entre deux éthiques, l’éthique de responsabilité et l’éthique de
conviction. La première recherche une efficacité, une adéquation entre moyens et objectifs. La
seconde recherche une cohérence avec des valeurs.
« […] toute activité orientée selon l'éthique peut être subordonnée à deux maximes
totalement différentes et irréductiblement opposées. Elle peut s'orienter selon
l'éthique de la responsabilité ou selon l'éthique de la conviction. Cela ne veut pas
dire que l'éthique de conviction est identique à l'absence de responsabilité et
30
L’éthique proportionaliste considère que pour tout choix éthique, une part négative est toujours présente, et non
plus seulement possible. Dans cette perspective, la meilleure solution éthique doit considérer la proportion
d’actions et de conséquences positives par rapport aux négatives (Velasquez & Brady, 1997).
43
l'éthique de responsabilité à l'absence de conviction. Il n'en est évidemment pas
question. Toutefois il y a une opposition abyssale entre l'attitude de celui qui agit
selon les maximes de l'éthique de conviction - dans un langage religieux nous
dirions : « Le chrétien fait son devoir et en ce qui concerne le résultat de l'action il
s'en remet à Dieu » -, et l'attitude de celui qui agit selon l'éthique de responsabilité
qui dit : « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes. »
(Weber 1963, p. 141-142).
Weber montre les limites de l’éthique de conviction qui reste proche du conséquentialisme : la
justification des moyens par une fin.
« Il semble donc que c'est bien le problème de la justification des moyens par la fin
qui voue en général à l'échec l'éthique de conviction. En fait, il ne lui reste
logiquement d'autre possibilité que celle de repousser toute action qui fait appel à
des moyens moralement dangereux. […] Le partisan de l'éthique de conviction ne
peut supporter l'irrationalité éthique du monde. » (Weber 1963, p. 143-144).
En regroupant les actions et leurs conséquences selon deux règles morales (responsabilité ou
conviction), Weber ne s’oppose pas à la doctrine du double effet, il réduit le questionnement à
celui qui agit.
L’apport de Weber est majeur. Comment ignorer son éthique de la responsabilité dans l’étude
de la théorie de la contingence (TC) ou celle de l’attention (TA) : Quelles sont les niveaux de
méconnaissance de l’environnement ou de manque d’attention qui dépassent la simple
ignorance et constitue une faute morale ?
Ce qui apparait dans de nombreuses interviews des décideurs confrontés à la corruption est leur
responsabilité individuelle face à des choix éthiques qui peuvent s’opposer (par exemple intérêt
supérieur de l’État contre obligation de résultat).
Toutefois la décomposition en deux éthiques centrées sur la question de la responsabilité
individuelle par Weber, présente une difficulté lorsqu’il s’agit d’identifier des outils de
prévention et d’anticipation de la corruption. Il est nécessaire de maintenir la temporalité
d’actions qui précèdent des conséquences.
Y a-t-il des actions conformes à l’éthique qui interdisent la corruption ? Et la proposition
symétrique : la corruption est-elle toujours contraire à l’éthique ? En d’autres termes, les
éthiques déontologiques ou conséquentialistes incluent-elles, chacune considérée séparément,
une éthique anticorruption ? Les réponses de Weber, de Thomas d’Aquin et de Machiavel sont
négatives aux trois questions : on ne peut considérer les causes et les conséquences séparément ;
les actions peuvent avoir des effets à la fois positifs et négatifs.
44
Toutefois ces trois questions permettent de classer les outils d’anticipation et de prévention en
fonction du moment où ils opèrent ou sont supposés opérer : identification d’effets anticipatifs
ou préventifs dans les mesures de la corruption (voir p. 200) ? Quelles solutions proposent les
personnes interviewées ?
2.2.2 Limites des éthiques conséquentialistes et de l’utilitarisme
Si les termes conséquentialisme
31
ou éthique conséquentialiste sont récents, les origines des
éthiques normatives en particulier l’étude des relations entre « actions – conséquences -
finalités » sont plurimillénaires.
Le débat, depuis l’origine du conséquentialisme, bute sur la simultanéité de conséquences à la
fois positives et négatives ainsi que sur la détermination de ce qui est positif ou négatif.
Anscombe critique aussi chez Sidgwick le refus de distinguer entre conséquences prévues et
intentionnelles (Anscombe, 1958).
Par hypothèse, une éthique anticorruption conséquentialiste utiliserait tout moyen pour que la
conséquence soit la non-corruption. Pourtant la corruption ne peut être considérée seule sans
tenir compte d’autres finalités et d’autres conséquences (Shaw, 1988). Il s’agit ici de la
« corruption-dégradation de la cité » d’Aristote : le constat d’un état, superposition entre
conséquences et finalités qui se décompose en deux courants de pensée.
Le premier dit que pour déterminer si une conséquence est positive ou négative alors un juge
impartial et omniscient (aussi appelé observateur) s’impose. Sans être conséquentialiste, la
solution d’Aristote et des auteurs chrétiens est de faire appel à la divinité et à la notion de bien
et de mal. C’est également la position de Smith, qui, bien que sa méthode de recherche dans la
RN s’abstient du christianisme, fait appel à une « position de conscience » : un observateur
virtuel, impartial à l’équilibre entre intérêts individuels et collectifs, capable de dépasser les
mauvaises informations et les passions (J.-D. Boyer, 2009; Fleischacker, 2004).
« [Pour Smith] Les personnes vertueuses adoptent la position de la conscience,
celle du spectateur impartial, d'où elles voient ‘la vraie petitesse d'elles-mêmes’, le
fait qu'elles ne sont que ’l'un des membres de la multitude, qui ne vaut pas mieux
que les autres’. » (Fleischacker 2004, p. 72).
31
Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe (1919-2001) invente le terme pour montrer chez Henri Sidgwick (1838-
1900) la différence entre son utilitarisme (une utilité pour le plus grand nombre) et d’autres formes de
conséquentialisme (Anscombe, 1958).
45
L’alternative à l’observateur impartial est de poser comme principe que la somme des intérêts
individuels tend vers (ou se confond avec) l’intérêt général
32
. Chaque individu juge
égoïstement. Cette partie de l’éthique conséquentialiste, marquée par les utilitaristes, considère
l’homme principalement comme un agent économique.
Ainsi, Jeremy Bentham (1748-1832), « père de l’utilitarisme », refuse de faire appel à toute
forme de transcendance ou à des lois naturelles. Pourtant sa pensée converge avec la
prédestination du puritanisme anglo-saxon : le succès individuel est la marque du salut et ne
peut être que conforme à l’œuvre de Dieu sur l’ensemble de sa création. Weber critique, parle
de la congruence d’intérêts individuels (Weber, 1904).
Le calcul benthamien des plaisirs et des peines
33
ne considère que le ressenti individuel
(Bentham, 1780). L’action de corrompre ou d’accepter la corruption n’est alors éthiquement
mauvaise que si elle entraîne un ressenti cumulé négatif pour un individu corrompu ou
corrupteur. Si cela n’est pas le cas, par exemple si un corrompu est satisfait du pot-de-vin reçu,
alors son jugement moral est positif.
Par extension à la société, la somme des intérêts individuels du plus grand nombre, y compris
l’enrichissement personnel et égoïste, ne peut plus poser de difficulté éthique puisqu’elle
participe à un calcul visant au bien-être de la population dans son entier : un paradigme de
l’intérêt (Boccon-Gibod, 2020). Poursuivant le raisonnement, Ménissier (2018) montre qu’en
adoptant l’utilitarisme benthamien, alors la notion même de corruption n’est plus vraie
34
.
32
L’objet de ce chapitre est l’éthique. Dans la RN, Smith, à la recherche d’une philosophie naturelle de l’économie,
ne prétend pas que des mécanismes d’autorégulation de l’économie puissent être appliqués par extension ou par
équivalence à l’éthique.
33
Selon Bentham, la somme des peines (négatives) et plaisirs (positifs), permet le jugement moral. Elle se
décompose en quatorze perceptions (plaisir des sens, richesse, habileté, amitié, réputation, pouvoir, piété,
bienveillance, malveillance, mémoire, imagination, attente, par association, par soulagement). Seules trois d’entre
elles (amitié, réputation et pouvoir), selon leurs définitions benthamiennes, font intervenir des tiers : elles mesurent
le ressenti, par la personne, du comportement de tiers (Bentham 1780, p. 26-34).
34
Par un raisonnement proche, Max Stirner (1806-1846), précurseur de l’anarchisme, étendra l’égoïsme à toute
forme de délégation à une autorité supérieure, jusqu’à refuser l’existence d’un État. « C'est pourquoi nous, l'État
et moi, sommes ennemis. Moi, l'égoïste, je ne me soucie pas du bien-être de cette "société humaine", je n'y sacrifie
rien, je l'utilise seulement ; mais pour pouvoir l’utiliser pleinement, je la transforme plutôt en ma propriété et ma
créature, c'est-à-dire je la détruis et forme l'association des égoïstes à sa place. » (Stirner 1845, p. 235). Tous les
moyens sont alors éthiquement bons. Là aussi la corruption n’existe plus.
46
« […] la possibilité de la notion de corruption trouve un de ses ressorts dans l’idée
de l’intangibilité de la chose publique, ou dans une représentation de la sphère
publique en tant qu’autonomes, car situés par principe à l’extérieur des intérêts
privés, voire jugés comme supérieurs à ceux-ci, tandis que ces intérêts motivent la
conduite de l’agent socio-économique. » (Ménissier 2018, p. 66).
Le deuxième courant de pensée pose comme hypothèse qu’il y a des règles ou des interdits
absolus. Elles sont à la fois des actions, ou des interdictions de faire usages de certains moyens,
et se confondent avec des finalités. Anscombe reproche ainsi à David Hume et à Emmanuel
Kant de faire appel à des règles morales, une obsession légaliste de l’éthique : ce qu’il faut
faire
35
pour atteindre une fin (Aucouturier, 2016; V. Boyer & Clot-goudard, 2021).
« Et nous voyons ici la supériorité du terme "injuste" sur les termes "moralement
bon" et "moralement mauvais". En effet, dans le contexte de la philosophie morale
anglaise depuis Sidgwick
36
, il semble légitime de discuter de la question de savoir
s'il serait "moralement correct" dans certaines circonstances d'adopter cette
procédure, mais on ne peut pas dire que cette procédure serait juste en toutes
circonstances. » (Anscombe 1958, p. 16).
Effectivement, sur quelle base affirmer qu’une interdiction de la corruption, en tant qu’action
et non en tant que conséquence « serait juste en toute circonstance » ? Plusieurs travaux
d’économétrie sur la corruption tendent à montrer que le conséquentialisme peut être vrai : que
la corruption, dans les limites des environnements économiques observés, peut avoir des
conséquences positives (Cheung, Rau, & Stouraitis, 2021; Kato & Sato, 2014). Cette analyse
35
Impératif hypothétique kantien : Action, ou ensemble d’actions, qu’il est absolument nécessaire d’exécuter pour
atteindre une fin. Cette fin reste hypothétique : la relation n’est pas réflexive. Le lecteur pourra s’étonner que la
philosophie morale de Kant ne soit pas développée dans cette partie. L’obsession kantienne de la règle morale,
n’est pas une obsession de la morale ou des principes moraux : l’éthique telle que définie. Selon Kant, si nous
refusons la corruption par peur de la justice alors notre action est immorale car nous agissons par intérêt. Pour ce
qui concerne cette thèse, l’interrogation sur l’intentionnalité des actions, sera mieux traitée par l’approche
économique, notamment en termes d’environnement de l’entreprise. La complexité des situations observées
(multitude d’actions possibles pour une même fin, finalités plurielles, et doctrine du double effet) ne permet pas la
réduction à un ensemble de règles impératives.
36
Ce texte d’Anscombe fait référence à Henry Sidgwick (1838-1900), philosophe utilitariste dont elle partage en
partie l’analyse concernant la responsabilité de l’homme sur les conséquences non intentionnelles. « La
responsabilité d'un homme pour un effet de son action qu'il peut prévoir ne change rien au fait qu'il n'en a pas
l'intention. » (Anscombe 1958, p. 11).
47
sera poursuivie dans le chapitre traitant des contraintes de l’environnement sur l’entreprise (voir
p. 84).
2.2.3 Limites des éthiques déontologiques.
Les éthiques déontologiques souffrent, plus que le conséquentialisme, d’un écart entre leur
définition en philosophie morale et l’usage commun.
Pour Bentham, qui invente le terme « déontologie », il s’agit d’un synonyme de « éthique
dicastique » : une éthique qui impose toutes sortes de règles, d’interdits ou d’obligations, y
compris la loi et les normes sociales. Bentham divise l’éthique en éthique dicastique et éthique
exégétique. La seconde est une discussion dépassionnée qui a pour objet la recherche de ce
qu’il faut moralement faire
37
. Un des produits de l’éthique exégétique peut être l’éthique
dicastique, la définition de règles : une déontologie (Bentham, 1816).
Le terme a évolué, excluant les normes sociales. Mais la distinction entre éthique « ensemble
de principes moraux », et déontologie « ensemble de règles morales » est restée. Il ne s’agit
plus de causes premières, susceptibles d’entraîner des actions adaptables selon le poids relatif
de ces principes et de leurs conséquences, mais de règles ontologiquement morales. La
déontologie considère que des actions morales par elles-mêmes, vont entraîner des
conséquences morales au service de fins également morales. Les fins et les conséquences seront
morales soit par elles-mêmes soit par l’intention morale de l’action.
Kant ira jusqu’à parler d’impératifs universels, moraux car leur intentionnalité l’est : une
éthique kantienne de l’intention et du devoir : un retour à la règle en toute circonstance.
Anscombe critiquant Kant écrit :
« Kant introduit l'idée de « légiférer pour soi-même », ce qui est aussi absurde que
si […] on nommait « vote » chaque décision prise par un homme […]. Ses propres
convictions rigoristes sur le sujet du mensonge étaient si intenses qu'il ne lui est
jamais venu à l'esprit qu'un mensonge puisse être décrit de manière pertinente
comme autre chose qu'un simple mensonge (par exemple, comme "un mensonge
dans telle ou telle circonstance"). Sa règle sur les maximes [règles morales]
universalisables est inutile si l'on ne précise pas ce qui doit être considéré comme
37
Bentham lie le plaisir individuel à la moralité. L’éthique exégétique de Bentham est la recherche d’un bien
commun qui est la somme des biens individuels.
48
une description pertinente d'une action en vue de construire une maxime à son
sujet. » (Anscombe 1958, p. 2).
Pour cette thèse sur l’anticipation et la prévention de la corruption, la déontologie est
particulièrement intéressante car ses règles sont définies ab ante. Mais elles présentent deux
difficultés. (1) Elles présupposent des conséquences morales positives. (2) Elles présument que
la multiplication d’actions conformes à ces règles, par les entreprises, les États ou les individus,
va entraîner ou provoquer une diminution de la corruption de la société dans son ensemble (la
« corruption-dégradation de la cité » d’Aristote).
Weber résout ces difficultés en se positionnant au niveau individuel et en considérant à la fois
les actions, leurs conséquences et les finalités. Mais il n’établit pas que la somme de décisions
individuelles conformes à l’éthique de responsabilité est bonne pour l’intérêt général. Ce n’est
pas son sujet.
La déontologie en créant un lien entre conséquence et action ne peut se justifier que si les
conséquences sont effectivement positives pour l’intérêt général. Elle permet, par un processus
itératif et expérimental, de mesurer l’écart entre conséquences attendues et observées, et de
tendre vers la solution éthique. Mais, pour les situations les plus complexes ou les moins
fréquentes, elle risque d’en rester éloignée.
Enfin, dans une perspective plus large, si la déontologie entraîne un effet positif au niveau d’un
individu ou d’une organisation, mais est contraire à l’intérêt général, est-elle éthiquement
bonne ? Cette question est apparue lors des interviews de personnes en charge de question de
sécurité nationale :
- Elles n’avaient pas d’a priori, corrompre était un outil possible parmi d’autres.
- Elles conduisaient une analyse prudente de l’ensemble des conséquences pour toutes les
parties prenantes (individus, entreprises, État…).
- Elles hiérarchisaient les actions et les conséquences selon la distance à l’intérêt général.
C’est la méthode de Thomas d’Aquin (voir p. 28) : des actions conditionnées et hiérarchisées.
Chaque cas est un questionnement éthique particulier.
2.2.4 Résolution par la casuistique
Le terme « casuistique » pourra faire hésiter le lecteur. Les définitions du Larousse et du Littré
sont incomplètes et insistent sur le sens péjoratif : une argutie menant à un relativisme moral,
49
reproche que les jansénistes font aux jésuites au XVIIe siècle
38
. Max Weber, dans un
développement sur l’évolution de certains mouvements protestants précédant le puritanisme,
utilise le sens premier pour décrire l’abandon de l’argumentation morale et la mise en place de
dogmes (Weber, 1904a, note 321, p. 100). Kant réduit la casuistique à la phase d’analyse qui
précède la définition de règles éthiques absolues : l’indifférence de la morale kantienne aux
conséquences des actions (Butterlin, 2009). Certaines définitions la limitent à la théologie
morale, au droit ou à la psychologie.
La casuistique, en tant que processus argumentaire et déductif, est connue dès la philosophie
morale d’Aristote. Elle a comme objet la résolution de questions pratiques et le choix des
meilleures actions, en considérant les particularités du cas étudié, les cas similaires et des
principes généraux. Après les philosophes grecs, elle est présente pendant l’Empire romain,
chez Augustin d’Hippone, dans les études talmudiques et les philosophies d’Averroès
39
et de
son contemporain Pierre Abélard avec les débuts de la scolastique. Elle prend une importance
particulière à partir du XVIIe siècle dans le protestantisme et le catholicisme. Sous le nom
38
Blaise Pascal publie en 1656 et 1657 dix-huit lettres sous le titre complet de « Lettres écrites par Louis de
Montalte à un provincial de ses amis et aux RR. PP. Jésuites sur le sujet de la morale et de la politique de ses
Pères », dites « Les Provinciales ». Pascal défend un théologien janséniste, Antoine Arnauld, en passe d’être
condamné par la Sorbonne. Le jansénisme se veut comme retour à un catholicisme strict inspiré par une relecture
d’Augustin d’Hippone en particulier sur les questions de la grâce et de la négation de la liberté humaine. Les
jansénistes accusent de laxisme la casuistique pratiquée par la Compagnie de Jésus. Ils s’opposent aussi à la
scolastique, au calvinisme, aux libertins et à l’absolutisme royal.
39
Averroès (Ibn Rush, 1126-1198), exégète d’Aristote et philosophe : son influence sur le monde chrétien et juif
est majeure, livrant le commentaire le plus complet d’Aristote et plus encore un modèle de commentaire. Vingt-
cinq ans après sa mort, l’intégralité de son œuvre est déjà traduite en hébreu et en latin. En Andalousie, dans un
contexte troublé de remplacement des almoravides par les almohades et de retour à un islam strict et d’interdiction
de la philosophie (sous l’influence dominante de Al-Ghazali, mort en 1111, et de son livre « La destruction des
philosophes »). Averroès, homme de pouvoir et cadi (juge), pratique donc la philosophie à titre privé. En réponse
à Al-Ghazali, il défend que la philosophie est non seulement compatible avec l’islam, mais devrait être obligatoire :
l’accès à la vérité passe par différentes voies, la philosophie étant la meilleure. Toutes les religions, en premier
lieu l’islam, sont des voies d’accès. Par ailleurs, Averroès lit des traductions fautives d’Aristote : traductions
successives (du Grec par le Syriaque puis l’Arabe), caviardages, modifications volontaires, mélanges avec d’autres
auteurs (dont Platon). Brenet parle « d’un Aristote chimiquement impur ». Enfin Averroès sera mal compris par
une partie des scolastiques, entraînant des confusions supplémentaires (Brenet, 2015, 2019). Pour l’ensemble de
ces raisons, Averroès n’est pas inclus dans ce développement sur l’éthique anticorruption. S’il semble s’éloigner
de l’universalisme de l’éthique des vertus d’Aristote, cette impression est fausse mais demanderait un
développement trop long.
50
d’études de cas conscience, elle est une méthode d’enseignement pratiquée, notamment dans
les collèges jésuites, jusqu’au XIXe siècle.
Le refus de généraliser des cas particuliers et l’élaboration de raisonnements toujours plus
sophistiqués entraînera des accusations de sophisme ou la critique janséniste. Les éthiques
conséquentialistes ou déontologiques peuvent être interprétées comme des réactions à la
casuistique : à la fois plus simples et généralisables.
Mais ce qui provoquera le retrait de la casuistique est le Positivisme qui, dès ses précurseurs
pendant les Lumières, refuse l’idée d’une loi naturelle et d’autre part recherche des solutions
empiriques simples permettant d’établir des règles écrites : le droit positif.
2.2.5 Le droit positif
Celui-ci peut être considéré comme une variante de la déontologie : les actions (ici les lois) sont
définies ab ante ; elles sont bonnes car leurs intentions le sont. Mais une variante qui existe
séparément de l’éthique, pouvant aller jusqu’à une intention hégémonique. Jean Carbonnier,
juriste et inventeur du rapprochement entre droit et sociologie, critique, dit :
« Le législateur et le juge doivent donc veiller à empêcher une interférence de la
morale dans le droit. » (Carbonnier 1996, p. 115).
« Les juristes dogmatiques pensent, sinon que tout est droit, du moins que le droit
a vocation à être partout, à tout envelopper, à soutenir, comme un idéal, tout
l'univers habité. Il règne, chez les juristes dogmatiques, à la fois un idéal et un
postulat de panjurisme. » (Carbonnier 2001, p. 25).
Cette évolution peut être expliquée par une plus forte autonomie de la sphère publique, un État
professionnalisé et rationnel qui donne une nouvelle définition à la corruption. Elle n’est plus
la « corruption-dégradation de la cité », ni « corruption-éthique individuelle ». Elle devient
« corruption-positiviste » (Ménissier, 2018; Weber, 1922).
Le droit connaît alors une complexification croissante. Une adaptation itérative au fil de la
découverte, cas après cas, d’écarts entre la loi et l’éthique : poussé par l’impératif moral de
prendre en compte les actions et leurs conséquences tant au niveau des individus qu’à celui de
l’intérêt général. A l’image de ce que la République romaine avait déjà connu :
« Alors on ne se borna plus à ordonner pour tous ; on statua même contre un seul,
et jamais les lois ne furent plus multipliées que quand l’État fut le plus corrompu. »
(Tacite 110apr. J.-C., III, 2, 27).
51
Cette complexité du droit en fait un monument intellectuel fascinant, aimé pour lui-même : une
esthétique. Carbonnier dans « Le droit et la passion du droit » (1996) décrit l’évolution :
« La loi au XVIIIe, était l’objet exclusif de la passion philosophique […] ; au XXe,
c’est le système juridique tout entier, jurisprudence comprise, qui nous intrigue et
nous passionne. Du coup, les deux passions se séparent dans leurs perspectives :
celle des philosophes visait à unifier, pour atteindre un droit immuable, parce que
fondé sur la nature et la raison ; celle de la Vème République s’accommode d’une
diversité des sources, d’un droit complexe, hétéroclite, baroque même, qui change
et a dans sa vocation de changer. Les changements, les mirages du changement,
les résistances qu’il a éprouvées n’ont fait qu’attiser, enflammer la passion d’une
République pour toujours plus de droit » (Carbonnier 1996, p. 12).
L’analyse du droit positif sera reprise avec l’état des actions d’anticipation, de prévention ou
de dissuasion de la corruption (voir p. 214). Pour conclure sur cette dernière évolution de
l’éthique anticorruption et l’arrivée d’un droit construit en dehors de l’éthique et de la
philosophie morale, deux points sont à préciser :
(1) L’hypothèse du non-droit : la critique du droit positif plus haut, ne signifie pas son rejet en
tant que tel. L’excès comme le manque de droit sont deux dangers. L’intégration d’autres
normes, comme les us et coutumes, est également nécessaire (Carbonnier, 1976). Réduite à
la question de la corruption, l’hypothèse du non-droit rejoint la casuistique sur des questions
comme la volonté de détecter et de poursuivre, la protection des lanceurs d’alerte, l’intérêt
général ou la légitimité du juge.
(2) La fonction répressive du droit : une des fonctions principales du droit, dite répressive, est
de tenter de rétablir la justice, à minima de faire cesser le cas de corruption par un jugement
et des sanctions. Cette fonction répressive est indispensable. Mais, intervenant après les
faits, elle sort du champ de la prévention et de l’anticipation de la corruption.
52
2.3 Universalité de l’éthique anticorruption
Le pouvoir prescripteur de l’Occident
40
, notamment en raison de sa puissance économique
depuis deux siècles, n’est pas la seule cause de la convergence du droit (voir p. 21). Il est
habituel d’opposer un Occident individualiste à une Asie où l’appartenance à une communauté
dominerait. Pourtant la téléologie morale, dès Aristote, lie l’individu à la cité. La première des
vertus est le courage civique : l’engagement de l’individu pour la cité (voir p. 23).
2.3.1 Chine, taoïsme, confucianisme et la vertu d’humanité
Ce chapitre fait un appel important au livre d’Anne Cheng « Histoire de la pensée chinoise »,
dont l’exhaustivité et la précision sont irremplaçables, ainsi qu’à ses cours au Collège de France
depuis 2012, notamment de 2015 à 2018 « Universalité, mondialité, cosmopolitisme (Chine,
Japon, Inde) » et, pour les évolutions récentes de la pensée chinoise, à la première partie de son
cours de 2020-2021 « La Chine est-elle encore une civilisation ? » (Cheng, 1997, 2022).
Le bouddhisme ne sera pas traité dans ce chapitre. Son arrivée en Chine, sans doute au Ier siècle
après J.C., joue un rôle majeur dans l’élaboration de la pensée chinoise. Toutefois, pour ce qui
concerne l’éthique anticorruption, il vient dans la continuité du confucianisme et du taoïsme.
Le bouddhisme sera traité avec l’Inde (voir p. 62).
La corruption est un « délit à deux » : le corrompu et le corrupteur. La complicité des auteurs
nécessite une forme de confiance, à tout le moins un engagement mutuel au secret. Le modèle
d’interaction sociale professionnelle et privée en Chine est le Guanxi
41
. Il est parfois assimilé à
un réseau corruptif. Pourtant le Guanxi présente des caractéristiques de réciprocité et de
progressivité, l’expression d’un respect mutuel qui le distingue des réseaux professionnels ou
privés ou d’échanges de cadeaux ritualisés comme le Potlatch
42
.
40
Les limites de l’Occident et de l’Asie ne sont pas précisées. Ils sont définis comme des environnements
géographiques, culturels, philosophiques et religieux. Ils ne s’excluent pas et peuvent se recouvrir, y compris au
niveau d’un individu qui appartiendrait en tout ou en partie au deux.
41
Guanxi,
关系
(guānxi), litt. :
关
(guān) : porte, passage, fermer
系
(xi) : relation, attacher, système
42
Le Potlatch présente des similarités avec le Guanxi : la valeur des cadeaux, la ritualisation des échanges, le lien
avec d’autres relations (famille, village, activités économiques…). Mais le Potlatch est un échange public, parfois
cérémoniel, qui s’adresse aussi à des tiers afin de rendre publique la qualité de la relation (Meillassoux, 2022).
53
Les origines du Guanxi sont en elles-mêmes un sujet de recherche. Le terme n’apparaît pas
avant le XXe siècle. Xiatong Fei, fondateur de la sociologie et de l’anthropologie en Chine, en
fait une première description en 1947 dans la société rurale chinoise. La première
caractéristique du Guanxi est qu’il est une pratique sociétale, formelle et connue de tous. Il est
(Fei, 1992; Luo, 1997) :
- Personnel : il lie deux personnes physiques, non des organisations.
- Utilitaire : il doit apporter des bénéfices aux deux parties. Si ce n’est plus le cas, il se rompt.
Si l’amitié favorise un bon Guanxi, elle n’est pas nécessaire.
- Réciproque : respect de l’équité, avantage étant donné à celui qui est le plus faible
(hiérarchie, âge, lien familial…).
- Intangible : le remettre en cause, le limiter, le conditionner… impacte négativement l’image
et la réputation de la personne en cause.
- Transférable : si A a un Guanxi avec B et B avec C alors pour que A entre en relation avec
C, il lui faut passer par B. La qualité du Guanxi de B avec A et C est gage de la qualité du
leur.
La dynamique est elle-aussi codifiée : respecter les étapes, y consacrer le temps et les efforts
appropriés est gage d’un Guanxi pérenne (X.-P. Chen & Chen, 2004; Jacobs, 1982).
Avancement du
Guanxi
Objectif du Guanxi
Interactions
Principes de
fonctionnement
Initialisation
Construction de la relation (base)
Familiarisation
Divulgation mutuelle
de l’un à l’autre
Développement
Développement de la qualité de la
relation
Transactions à
visées expressives
et instrumentales
Réciprocité dynamique
En fonction
Obtenir des retombées (avantages)
Réévaluation de la qualité de la
relation
Échanges de
faveurs
Équilibre à long terme
Tableau 3 Processus de construction du Guanxi (Chen et Chen 2004, p. 310)
Si une « innocuité corruptive de principe » peut être attribuée au Guanxi, la qualité de relation
est importante en particulier dans la phase de construction du Guanxi, où une dynamique des
échanges est également attendue : les transactions doivent servir la relation. Vous devez
démontrer que vous êtes capable, sincère et que votre interlocuteur peut vous faire confiance.
(X.-P. Chen & Chen, 2004; Herrmann-Pillath, 2016).
A trop vouloir bien faire le risque de s’affranchir de l’éthique est accru : lorsque la valeur du
cadeau devient significative par rapport à la valeur de la transaction commerciale ou celle des
54
revenus légaux du corrompu, ou si ce que le corrompu propose est illégal (permis de construire,
autorisations diverses…). Une zone grise demeure. Parlant des princes rouges
43
, Desmond
Shum
44
, homme d’affaire chinois réfugié au Royaume-Uni dans une interview en parle ainsi :
« La corruption, plus ou moins assumée, est au cœur du récit de Desmond Shum.
Quand il achète une demi-douzaine de montres à plus de 10000 euros pour faire
des cadeaux, il précise : ‘Ce n’était toutefois que menue monnaie pour ceux qui les
acceptaient, et ainsi moins un pot-de-vin qu’un signe d’affection de notre part.’ »
(Leplâtre, 2022).
Liu, dans une thèse de 2012, analyse le Guanxi à la fois dans son contexte culturel, son
rattachement à la philosophie chinoise et par une étude qualitative par interviews de dirigeants
d’entreprise français en Chine. Elle montre que si le Guanxi permet la construction d’un réseau
social entre individus, la difficulté est grande pour des dirigeants d’entreprise non-
culturellement chinois, de le comprendre (Liu, 2012). A la surface, en reprenant les exemples
cités par Liu, le Guanxi peut sembler proche de la corruption :
« […] dans un contexte d’infrastructure juridique primitive, le Guanxi devient un
moyen populaire de solliciter les faveurs de la part des autorités qui détiennent le
43
Prince rouge : aristocratie héritière du PCC. Si les dirigeants (PCC et grandes entreprises) ne sont pas
exclusivement des princes rouges, ils dominent le régime. Ceux qui n’appartiennent pas à l’aristocratie, même s’ils
sont de rang égal sont subordonnés aux princes rouges. Les princesses rouges ont toutes les prérogatives des
princes. Elles sont souvent en charge des fortunes familiales et sont l’interface financière avec l’étranger. Il y a
une forte endogamie. Pour les hommes, le rang ne s’acquiert pas par mariage même si cela accélère
considérablement les carrières. En cas de défaillance, les princes rouges bénéficient d’une justice séparée et secrète
en général plus douce. Les similitudes avec le mandarinat et l’aristocratie de la Chine impériale sont grandes.
(Andrésy & Yakoubovitch, 2014; T. Chen & Kung, 2019; Qian, 2004). L’article de Chen et Kung permet de
comprendre l’emprise économique des princes rouges (T. Chen et Kung 2019, p. 195-213). Alors que les auteurs
ne constatent qu’un effet limité de la campagne anticorruption de Xi Jinping, ils ne posent pas la question des
objectifs réels. Pourtant en 2018-2019, pour ces universitaires de Hong Kong, la question de la consolidation du
pouvoir de Xi Jinping sous prétexte de lutte anticorruption était connue.
44
Desmond Shum (1968-), né à Shanghai. Après avoir étudié aux États-Unis, il retourne en Chine et épouse
Whitney Duan, une proche de la famille de Wen Jiabao (premier ministre chinois de 2003 à 2013). Elle deviendra
une des femmes les plus riches de Chine (fortune estimée à trois milliards de dollars). Ils divorceront en 2013.
Whitney Duan sera enlevée en 2017. Peu avant la parution de son autobiographie en 2021, Desmond Shum recevra
un appel de son ancienne épouse lui enjoignant de renoncer à publier. Il reste discret sur ses agissements et ceux
de Whitney Duan. Mais il détaille le fonctionnement de la dictature chinoise, notamment les mécanismes de la
corruption et de la captation de la valeur au profit du PCC (Shum, 2022).
55
contrôle des ressources rares. Pour les individus, le Guanxi est une vitamine pour
le ‘bien-être’ de la vie sociale chinoise. Le Guanxi permet d’avoir accès à un bon
dentiste, d’emprunter de l’argent ... prendre soin des enfants des personnes qui
appartiennent au réseau, réserver une place dans une entreprise etc. ; autant de
faveurs qui en retour comportent une notion de réciprocité. » (Liu 2012, p. 36).
Liu replace alors le Guanxi dans le contexte philosophique chinois et montre qu’il est construit
sur le sens de l’humain, l’apprentissage de la bienveillance et des vertus. Liu cite les Analectes
45
de Confucius
46
:
« La vertu d’humanité c’est élever autrui comme on souhaiterait l’être soi-même ;
c’est le faire parvenir là o on le voudrait soi-même. Qui est capable de s’en faire
le modèle offre la recette de cette vertu. » (Confucius 2022, VI.28).
Confucius ne nie pas l’individu bien au contraire. Il le présente dans son choix volontaire
d’exercer les vertus : humain car vertueux. La notion fondamentale, qui marque la pensée
chinoise au-delà de Confucius est le Ren (仁) : vertu d’humanité, ou sens de l’humain, qui fait
de l’homme un être moral. A la suite de Confucius, Mencius
47
précise le Ren :
« […] le projet de Mencius est de montrer que la nature humaine tend à la bonté
aussi naturellement qu’elle tend à sa bonne conservation, le sens moral étant aussi
naturel que le principe vital. » (Cheng 1997, p.169).
Le parallèle avec la philosophie morale en Occident se justifie avec les mêmes notions de
morale, de loi naturelle et d’une éthique des vertus qui n’est pas innée mais résulte d’un
apprentissage
48
. Le Ren est réciproque : à l’amour des parents répond la piété filiale, à la
bienveillance du prince pour ses sujets, ceux-ci lui sont loyaux (Cheng, 1997; Koehn,
Kaufmann, Kraay, Mastruzzi, & Louis, 2013).
45
Les Analectes : compilation des discours de Confucius rassemblée par ses disciples entre 479 et 221 av. J.C.,
après sa mort.
46
Confucius (551-479 av. J.C.), 孔子 (Kǒng Zǐ), philosophe chinois, son enseignement est centré autour des
notions de bienveillance et de réciprocité. Il insiste sur l’apprentissage et la pratique de la morale ainsi que sur
l’importance de relations respectueuses au sein de la famille et envers le prince.
47
Mencius (380-289 av. J.C.),孟子(Meng Zǐ), philosophe chinois, postérieur à Confucius.
48
Aristote dans l’Éthique à Nicomaque « […] il faut avoir été élevé dans des mœurs honnêtes […] » voir p. 22.
56
« Le sage donne son principal soin à la racine. Une fois la racine affermie, la Voie
peut naître. L’affection envers nos parents et le respect envers ceux qui sont au-
dessus de nous sont comme la racine de la vertu » (Confucius 2022, I.2).
Le taoïsme
49
est le deuxième grand courant de pensée en Chine. Il n’a pas de positionnement
éthique (amoralité). C’est une mystique et une cosmologie de la relation terre-ciel. La légitimité
de l’empereur est un mandat du ciel et la porte de la Cité Interdite du haut duquel ses décisions
sont proclamées est la Tiān 'An Mén 天安门. Littéralement : ciel - paix (tranquillité, calme) –
porte « la porte du ciel qui apporte la paix (ou qui calme) ». Cette cosmologie a gardé tout son
sens. En 1949, respectant le rite impérial, Mao Zedong proclame la République populaire de
Chine du haut de la Tiananmen : Il se positionne dans la cosmologie chinoise : empereur
intermédiaire entre ciel et terre.
Le taoïsme est une doctrine du non-agir. Laisser faire le cours inéluctable d’une loi naturelle,
elle aussi amorale. La métaphore de l’eau, qui coule toujours vers le bas. Pour préserver
l’harmonie de la société, nous ne devons pas l’arrêter. La mystique taoïste est une légitimation
de ce qui est : le pouvoir en place, les changements naturels. Plus la vie du peuple sera simple,
plus il sera ignorant (non-pensant comme non-agissant), et si seul ses besoins primaires sont
satisfaits, alors l’harmonie sera préservée.
« Je pratique le non-agir et le peuple évolue de lui-même
Je porte amour à la quiétude : de lui-même il se redresse
Je reste sans rien faire : de lui-même il prospère
Je reste sans désir : de lui-même à la simplicité il revient. »
(Laozi, « Livre de la Voie et de la Vertu », traduit par Cheng 1997, p. 199).
La violence n’est pas absente du taoïsme. Elle se justifie si l’ordre naturel est remis en cause. Il
s’agit nécessairement d’une violence exercée par le pouvoir en place, par essence légitime, sur
les perturbateurs. Pour reprendre l’exemple de la Tiananmen, les manifestations de 1989
s’attaquent à la légitimité du pouvoir à plusieurs niveaux :
- Elles se déroulent devant la Tiananmen, le lieu où ciel donne mandat au souverain.
- Elles proposent des réformes, alors que la loi ne peut venir que du souverain.
49
Taoïsme, 道教 (Dào Jiào) litt. « enseignement de la voie ». Fondé par Laozi, 老子 (Lǎo Zǐ) litt. « le vieux sage ».
C’est un contemporain de Confucius. Son existence historique n’est pas certaine. L’existence de Zhuangzi (4ème
siècle av. J.C.) 莊子(Zhuāng Zǐ), second maitre du taoïsme, elle, est attestée.
57
- Elles perturbent l’ordre naturel des choses, le non-agir : manifestation, opposition au sein du
Parti communiste chinois (PCC), remise en cause des princes rouges.
Plusieurs spécificités de la pensée chinoise doivent être relevées :
(1) La relation à la divinité : la notion même de dieu demande de la prudence. La
cosmogonie ne se pose pas la question d’un ou de dieux créateurs. Les différences avec
la religion gréco-romaine ou les monothéismes en Occident, sont d’autant plus
importantes que le confucianisme et le taoïsme sont aussi des religions d’État.
(2) L’impression erronée d’une uniformité de la pensée chinoise. De nombreux penseurs se
sont opposés tout au long des siècles au confucianisme. Pour ne prendre qu’un exemple :
l’utilitarisme de Mozi
50
et son obsession de la fonctionnalité. Il refuse toute subjectivité,
toute affection, au profit d’un bien commun abstrait (non défini). Poussé par la croyance
que l’homme ne recherche que son intérêt personnel, Mozi défend une uniformisation
des volontés par la soumission à une autorité supérieure dont la raison d’être est
d’unifier le sens du juste (Cheng, 1997). Il s’agit bien d’un utilitarisme. Mais Mozi
résout la question du jugement moral en faisant, comme les conséquentialistes, appel à
une variante du juge impartial et omniscient (voir p. 44) : l’autorité supérieure.
(3) Une uniformité proclamée autour des figures de Confucius et de Laozi, mis « à toutes
les sauces ».
Pour conclure ce développement sur l’éthique anticorruption dans la pensée chinoise, il ne faut
pas avoir l’impression que les proximités entre le confucianisme et l’éthique des vertus
d’Aristote permettent d’ignorer les différences. Celles-ci s’organisent sur trois axes.
Le premier est l’absence de téléologie du taoïsme, ou une téléologie de la continuité : la voie
comme finalité. La critique du pouvoir en place ne peut avoir comme conséquence sa remise
en cause. Il ne s’agit pas seulement d’un contrôle par la peur, mais d’une pensée organisée.
Ainsi en mandarin, « Fazhi » (法 Fa : la loi, 治 Zhi : le contrôle, la règle) peut se traduire à la
fois par « État de droit » et par « droit qui s’impose ». La dictature chinoise use et abuse de
cette confusion aussi bien en interne que dans ses échanges internationaux.
« [...] il existe une différence fondamentale entre la conception du parti du ‘Fazhi’
et la compréhension traditionnelle de l’État de droit. Par exemple, au cœur de la
conception internationalement reconnue de l'État de droit se trouve l'exigence
50
Mozi (479-392 av. J.C.), 墨子 (Mò Zǐ), philosophe chinois. Il vécut entre Confucius et Mencius.
58
selon laquelle l'État lui-même est responsable des lois promulguées publiquement,
appliquées de manière égale et jugées de manière indépendante. Les autres
caractéristiques communes d'une nation en vertu de l'État de droit comprennent le
respect des principes de suprématie du droit, de l'égalité devant la loi, de la
responsabilité devant la loi, de l'équité dans l'application de la loi, de la séparation
des pouvoirs, de la participation à la prise de décisions, de la sécurité juridique, de
procédures non-arbitraires, et de la transparence procédurale et juridique. »
(Reeves, Alcala, et Gregory 2018, p. 44).
Est légal en Chine ce qui respecte la hiérarchie du pouvoir. Tant que la corruption ne perturbe
pas cette hiérarchie, elle n’est pas seulement tolérée. Elle est, du point de vue de l’amoralité
taoïste, légitime : un monopole de la corruption et de la violence par le PCC (Heilmann, 2013).
Le second axe est un discours universaliste de réécriture du confucianisme et du taoïsme
construit en trois étapes :
(1) Après les manifestations de Tiananmen en 1989, le PCC commence à faire appel au
confucianisme. Ce changement est majeur après cinquante ans de dénigrement de tout
ce qui a précédé, réuni sous le terme de « féodalité ». Cette récupération de Confucius
est orientée. Elle insiste sur la défense de l’intérêt général et la soumission à l’ordre
établi en réaction à un individualisme grandissant attribué au début de l’enrichissement
de certains chinois (Béja, 1995).
(2) A la suite de la crise de 2008, une internationalisation de ce confucianisme réécrit. En
Chine, il s’agit de renforcer l’appartenance à la nation. A l’étranger la Chine proclame
sa supériorité intellectuelle sur les valeurs universelles de liberté, d’égalité, de fraternité,
de droits de l’homme, professées par des démocraties en déroute (Cheng, 2020; X. Zhu,
2010).
(3) A partir 2012 et de la prise du pouvoir par Xi Jinping, la réécriture se poursuit avec
l’angoisse croissante du pouvoir devant son manque de légitimité et sa remise en cause
morale, à laquelle s’ajoute l’obsession de la chute de l’Union soviétique en 1991, la
faiblesse de la croissance chinoise depuis la crise de 2008, l’impossibilité de dissimuler
59
ce qui se passe en Chine
51
. Confucius est toujours mis en avant, mais subit un décalage
vers le légisme
52
en particulier vers Han Feizi
53
: une pensée totalitaire du pouvoir
centrée sur le souverain, l’exercice de la force pour imposer des institutions fortes,
légitimes parce que fortes (Bougon, 2017; Cheng, 2020).
C’est un effort qui implique toutes les structures de l’État y compris les publications
académiques en Chine et à l’étranger, les instituts Confucius, l’enseignement universitaire et,
dans les écoles, les ouvrages de vulgarisation (DeBlasi, 2015).
Dans le même temps, Xi Jinping réaffirme que la Chine est une économie dirigée. Tout ce qui
est en Chine, y compris les filiales des entreprises étrangères, font partie de la Chine.
« Tout doit être placé sous la direction du parti, que ce soient les organisations du
parti, le gouvernement, l'armée, la société civile, et quel que soit l'endroit où l'on
se trouve. Il faut implanter dans l'esprit de chacun la conscience politique, la
conscience de l'intérêt général, la conscience du noyau dirigeant et la conscience
de l'alignement. » (Xi 2017, p. 25).
L’intégration de la société civile sous la direction du PCC met en cause la notion d’entreprise
privée. Dans un tel système, une lecture juridique fait disparaître le délit de corruption entre
entreprises ou entre entreprise et État : le corrompu et le corrupteur appartiennent à une
institution unique
54
.
Dans la perspective du taoïsme totalitaire de Han Feizi, les opérations de purges que Xi Jinping
mène contre ses rivaux sous le prétexte de lutte anticorruption n’est pas l’action d’un pouvoir
51
La falsification de ses données statistiques par la Chine touche tous les domaines (pandémie du Covid 19,
espérance de vie, indicateurs économiques…). Des indicateurs indirects tels que l’importation de matières
premières, les images satellites, ou des variations peu crédibles d’indices permettent de détecter ses falsifications,
souvent de les corriger (Holz, 2014; Koch-Weser, 2013; Martínez, 2022). A noter que des universitaires en Chine
dénoncent aussi ces manipulations mais se limitent à des provinces dont les dirigeants ne sont plus en faveur ou à
des données anciennes. Ils proposent des solutions allant dans le sens du pouvoir central. A titre d’exemple cet
article soumis par trois chercheurs en Chine en 2020 à la revue « Journal of Economic Behavior and
Organization » sur des données de 2003 à 2010 : (S. Chen, Qiao, & Zhu, 2021).
52
Légisme (IV-IIe siècles av. J.C.) théorie politique puis courant philosophique qui élève la loi en principe absolu
autosuffisant et autojustifiant. Il rejette toute téléologie, toute tradition, toute morale. Une analyse froide de la
société telle qu’elle est. « La loi seule susceptible d’exercer quelque influence sur la nature humaine […] les
motivations d’ordre moral n’y trouvant plus leur place » (Cheng 1997, p. 240)
53
Han Fei Zi (280-233 av. J.C.), 韓非子 (Hán Fēi Zǐ) : philosophe, courant totalitaire taoïste à la suite du légisme.
54
Le délit pourrait alors être qualifié de trafic d’influence ou de prévarication.
60
judiciaire sur des citoyens corrompus ou corrupteurs. Xi Jinping est le pouvoir, le droit et le
juge. Toute perturbation de l’ordre naturel est corruption de la cité. Ainsi le 11 février 2020, au
début de l’épidémie de Covid 19 à Wuhan :
« Le gouvernement central a également envoyé une équipe de sa plus haute agence
anticorruption au Hubei pour enquêter sur le traitement du docteur Li par la
police » (BBC News, 2020).
Ce qui ne fait a priori pas de sens : le docteur Li avait été contraint de se taire pour ne pas
divulguer sa découverte de l’épidémie. Les fonctionnaires locaux étaient sans doute coupables
d’avoir étouffé l’information, non de corruption.
Mais cette agence, la Commission Nationale de Surveillance, présentée comme la plus haute
instance anticorruption, est en fait la recréation par Xi Jinping du Censorat, l’organe de contrôle
et de sanction, rattaché directement à l’empereur depuis la dynastie Qin (221-207 av. J.C.). Elle
rapporte à Xi Jinping
55
et fonctionne indépendamment du système judiciaire (cour suprême
comprise). Elle est compétente pour tout manquement envers le régime personnifié par son
chef. Il s’agit bien de la conception taoïste et légiste de l’État.
Le troisième axe est le relativisme éthique. Il est fréquent d’entendre que la corruption en Chine
est inévitable. Le Guanxi n’est pas la corruption et l’éthique confucéenne la rejette.
Quelles pratiques des affaires favorisent alors la corruption en Chine ?
La pensée chinoise est marquée par le goût pour l’ordre : le LI 理 (ordre naturel, structure,
ordonnancement). Pour Confucius le LI permet au Ren (voir p. 55) de s’exprimer. Avec le
55
En mars 2022, le directeur du la Commission Nationale de Surveillance est Yang Xiaodu. Il est un des 25
membres du bureau politique du PCC, l’organe exécutif du parti dirigé par Xi Jinping. Ses membres sont cooptés,
parmi l’oligarchie du régime (officiellement ils sont élus).
61
néoconfucianisme
56
, le LI se rapproche d’un homophone : le li 禮 (esprit rituel)
57
entraînant une
perte de la réciprocité du Ren (voir p. 55) : il impose la piété du fils pour son père, du sujet pour
son souverain, du subordonné pour son supérieur (Koehn et al. 2013 ; Cheng 1997). Cette
évolution du Ren vers le LI est source de tension : quel est la bonne décision éthique si votre
supérieur fait un choix contraire ?
Ho et Redfern (2010) interrogent 180 managers d’une banque de Hong Kong après la
rétrocession à la Chine en 1997 et avant la reprise en main par le PCC en 2019-2020. Les
formulaires sont rédigés en mandarin, dans une ville ethniquement chinoise à 98%. Leur étude
permet de mesurer la pratique chinoise de l’éthique dans un environnement au moins
partiellement protégé de la hiérarchie stricte inhérente à la dictature
58
. Elle propose à ces
managers quatre cas réels d’atteinte à l’éthique et interrogent quatre valeurs (bienveillance,
loyauté, piété filiale et confiance). La partie exploitable
59
de l’étude montre que les personnes
interrogées font appel à l’éthique des vertus d’Aristote et à la doctrine du double effet (pas
d’effet ethnique, culturel…). Cela est vrai particulièrement pour le cas qui interroge la piété
filiale. Il aurait pu faire apparaître une tension entre Ren et LI. Au contraire, l’analyse statistique
des réponses à ce cas montre une réaction éthique (dans le sens de l’éthique des vertus
d’Aristote) plus forte que pour les trois autres.
56
Néoconfucianisme : à partir de la dynastie Song (960-1279), redécouverte de Confucius après l’assimilation du
bouddhisme. Les Song succèdent, après une période troublée, à la dynastie Tang (618-907) qui voit un renouveau
artistique et intellectuel exceptionnel, le renforcement du mandarinat (méritocratie, concours pour accéder aux
responsabilités…).
57
Pour distinguer les homophones LI 理 (ordre naturel) et le li 禮 (esprit rituel), le premier est en majuscules et le
second en minuscules, les deux en italiques. Le li n’explique pas la cosmologie ; il en fait partie. Charge pour les
hommes de la comprendre. Il n’y a pas de révélation. Il n’y a pas de non plus de continuité entre religion et éthique.
L’homme doit chercher l’harmonie avec l’Univers. Il n’est pas à l’écoute d’un message divin qui lui indiquerait la
bonne attitude. A l’opposé, Zunxi (310-238 av. J.C.) donne à l’homme une fonction d’ordonnancement (LI) de
l’Univers (Cheng 1997, p. 54-60 et 217-219).
58
Pour comprendre la force du PCC dans la société et au sein des entreprises, voir l’étude du Merics « Principaux
dirigeants chinois - styles, structures et processus de leadership sous Xi Jinping » (Heilmann & Stepan, 2016)
59
Malheureusement, l’étude n’est que partiellement exploitable : les auteurs se basent sur la théorie du
développement moral de Kohlberg qui pose comme hypothèse un développement moral progressif et irréversible.
S’ils admettent dans leur conclusion une plus grande adéquation des résultats avec le modèle interactif de Treviño
(1986), ils ne remettent pas en cause leur approche.
62
Hwang et al. (2009) conduisent une étude comparable en 2006 à Taïwan. Également rédigée en
mandarin, les questionnaires interrogent les limites entre Guanxi, éthique des affaires et
corruption. Ils obtiennent 337 questionnaires exploitables (59% des participants ont 25 ans ou
moins, 94% ont un diplôme universitaire, un tiers de femmes). Leur conclusion confirme que
les valeurs confucéennes portées par le Guanxi ne sont pas en tant que telles génératrices de
corruption ; qu’elles peuvent avoir des effets éthiquement positifs même en dehors du contexte
chinois. Mais les auteurs montrent aussi qu’un abus du Guanxi - ils parlent d’une lame à double
tranchant - peut avoir des effets éthiquement dommageables.
2.3.2 Hindouisme et bouddhisme, l’Inde hindou
60
de Narendra Modi
Étudier l’éthique anticorruption en Inde est une mission d’exploration à travers une diversité
d’écoles philosophiques et de religions avec deux sources principales : l’hindouisme (IIIe
millénaire avant J.C.) et le bouddhisme (VIe siècle avant J.C.). Au cours des siècles, les
évolutions sont permanentes, intégrant des influences extérieures et se diffusant en dehors de
la sphère culturelle indienne. L’hindouisme rassemble 80% de la population
61
, le bouddhisme
est numériquement faible (0,7% de la population) mais son influence historique est importante.
Une place particulière sera donnée à l’hindouisme du premier ministre Narendra Modi, à son
parti le Bharatiya Janata Party (BJP) émanation du groupe nationaliste hindou le Rashtriya
Swayamsevak Sangh
62
(RSS).
Le corpus académique sur l’éthique en Inde est de qualité inégale, souvent fautif dans ses
définitions et ses comparaisons avec les philosophies occidentales et chinoises. Scheuer (2011)
dans son article « L'éthique dans l'univers indien et hindou, pistes d'exploration et amorces de
réflexion » montre la difficulté à passer de l’une aux autres. Ce chapitre reprend une part
significative de son analyse.
60
Hindou (adjectif et nom) relatif à l’hindouisme ; adepte de l’hindouisme (dictionnaire Larousse). Par opposition
à la définition vieillie qui englobe toute la population indienne.
61
Données Inde, ministère de l’Intérieur, recensement 2011 : hindouisme 80%, islam 14%, christianisme 2,3%,
sikhisme 1,7%, bouddhisme 0,7%, jaïnisme 0,4%, autres religions et religions non déclarées 0,9%. En mars 2022,
les données du recensement de 2021 ne sont pas disponibles.
62
Rashtriya Swayamsevak Sangh « Organisation volontaire nationale » : groupe nationaliste paramilitaire fondé
en 1925 destiné à lutter contre le colonialisme britannique et le séparatisme musulman. Interdit à trois reprises
depuis l’indépendance indienne, ses membres participent régulièrement à des violences contre les minorités
religieuses ou leurs opposants politiques.
63
Le questionnement éthique s’organise sur deux principes hindous, le Dahrma et le Karma,
repris dans le bouddhisme et le jaïnisme.
- Le Dahrma est la loi. Il inclut aussi les fonctions, les devoirs, les us et coutumes, la moralité,
la piété, la religion. Il exprime ce que l’homme pieux doit observer. Par extension, il désigne
l’hindouisme dans son ensemble, comme les religions du livre désignent la Bible. Dharma
est malheureusement parfois traduit par « loi naturelle » amenant à une confusion avec la
philosophie morale aristotélicienne. A titre d’exemple : (Heaton, Carlisle, & Brown, 2003).
L’expression « ordre bienfaisant » est plus exacte (Scheuer, 2011, 2017).
- Le Karma : action ou travail nécessaire pour passer du désir à la satisfaction. Il est
transactionnel : les offrandes aux dieux se font pour obtenir leurs bienfaits, les relations en
société le sont aussi. Il est cumulatif, par la réitération du désir (besoin renouvelé), par un
bilan des actions qui ne s’interrompt pas avec la mort physique et qui conditionne la
renaissance (caste, handicap, milieu favorable, réussite économique…). S’il est possible
d’atteindre la divinité par un Karma exceptionnel, les dieux eux-mêmes sont soumis au cycle
des renaissances.
Pour sortir de cercle infernal, ou mal-être (Dukkha bouddhique), et atteindre la libération finale
(Moksha, sens proche de Nirvana : extinction bouddhique) et la fin du cycle des renaissances,
il faut revenir sur soi et accéder à sa propre intériorité : perdre toute préoccupation pour le
monde et le Dharma. Il n’y a plus de Karma :
« Quittant tout esprit de calcul, toute volonté de poser des actes méritoires ou
d’éviter des actes déméritoires, il se tient parfaitement équanime et indifférent. »
(Scheuer 2011, p. 71).
Le bouddhisme propose une solution proche : sortir des devoirs et rechercher
« […] exclusivement l’extinction (Nirvana) de la souffrance : s’attacher à la
moralité des actes, à quelque forme d’action vertueuse ou méritoire, ce serait
encore s’attacher. » (Scheuer 2011, p.72).
Une telle perfection du soi semble inatteignable. Scheuer parle d’un divorce absolu entre le
salut et l’action dans le monde. Accumuler un Karma positif est impossible si vos fonctions
vous imposent de tuer. C’est le « dilemme du roi », qui doit faire la guerre pour préserver son
royaume, ou le soigneur qui doit sacrifier une gazelle pour nourrir un lion : briser l’interdit
absolu de tuer. C’est aussi l’impossibilité d’agir si les conséquences d’une action ne sont pas
connues en termes de Dahrma.
A moins de sortir du dualisme Karma – Dahrma et d’accepter un relativisme, ce divorce se
prolonge en termes d’éthique. Soit reprendre l’éthique occidentale et « vivre avec » deux
64
paradigmes séparés, l’un hindou, l’autre philosophie morale. Soit adopter une solution
intermédiaire en reprenant des éléments du Dahrma les plus compatibles tels que la non-
violence ou une part de non-implication.
L’arrivée au pouvoir en 2014 de Narendra Modi et de son parti le BJP a renforcé les tensions.
Son programme est une tentative d’uniformisation hindoue de la société : l’Hindutva. A la fois
défense de l’identité hindoue et appel à un réveil de l’hindouité, il s’agit pour Modi de reprendre
en main la société afin de créer l’Hindu Rashtra (le royaume hindou, une théocratie). Elle passe
par le contrôle de la presse et des universités, la criminalisation et l’interdiction des oppositions,
la persécution des autres religions. Modi ne remet pas en cause les institutions – il n’a pas la
majorité à la chambre haute – il les adapte. Il bénéficie de la faible proportion de non-hindous
dans la fonction publique : moins de 2%, plus faibles encore dans la police et l’armée. La
population à 80% hindoue n’accepte pas toujours cette hindouisation. Mais la pensée hindoue
progresse (Jaffrelot, 2018b, 2018c; Mohammad-Arif & Naudet, 2020; Racine, 2020; Thomas,
2019, 2020)
La corruption n’est pas apparue avec Narendra Modi. Elle profite toutefois de l’amoralité de
l’hindouisme pour se développer : dépénalisation de la corruption si les pots-de-vin sont
d’origine étrangère, plus de démission des membres de son gouvernement ou des élus
convaincus de corruption, renforcement des castes supérieures et du système castique, référence
aux écrits védiques dans des décisions de justice
63
, police du Darhma par des mouvements
extrémistes hindous (passivité des autorités, diminution des non-hindous dans la fonction
publique, pogroms contre les musulmans et les chrétiens)… (Acharya, Roemer, & Somanathan,
2015; Banerjee & Pande, 2007; Ferry, 2019; Jaffrelot, 2018a, 2018b; Prabhu, 2018).
63
L’Inde est un État sécularisé et non laïc : La loi indienne ne reconnaît aucune religion à l’exception d’une partie
des lois qui concernent la famille, les mariages et les successions. L’État doit conserver un respect égal, mais ni
égalité de traitement des religions, ni neutralité. Ces inégalités sont également internes à l’hindouisme, en
application du Dahrma : infériorité de la femme, oppression des « intouchables », renforcement de l’organisation
castique. En pratique, Modi finance la construction de temples hindous y compris en remplacement de mosquées
ou d’églises détruites lors d’émeutes. Il modifie certaines aides sociales pour favoriser les hindous. En 2018, il
interdit le mot de « Dalit » (traduction : opprimé) car il serait trop menaçant. Modi n’a pas introduit ces différences
de traitement. Il les renforce et les rend légitimes. L’islam est la cible principale car il représente 14% de la
population et en raison du conflit avec le Pakistan. Le christianisme est moins persécuté bien que les églises soient
régulièrement attaquées et les paroissiens tués. Les sikhs ne sont pas non plus épargnés. (Bhargava, 2012; Dwivedi
& Mohan, 2020; Thomas, 2019).
65
En 2015, l’étude de Acharya, Roemer et Somanathan « Caste, corruption et compétition
politique en Inde » conduite dans L’Uttar Pradesh
64
tente de séparer les facteurs politiques,
castiques et de classes sociales. Les auteurs sont prudents dans leurs conclusions, en raison de
la dispersion des réponses de perception de la corruption par parti politique :
« On pourrait penser qu'en raison de l'importance de ces écarts-types, les partis
sont essentiellement indiscernables. Ces écarts-types importants pourraient être
dus au fait que les réponses aux questions sur la corruption et la distribution
reflètent, en partie, les préjugés de caste des électeurs. Par exemple, les répondants
peuvent tenir compte du fait que la caste est corrélée à la classe sociale et attribuer
la politique d'un parti à une caste particulière. » (Acharya, Roemer, et Somanathan
2015, p. 31).
Pour conclure, il est difficile d’identifier une éthique des affaires et encore moins une éthique
anticorruption dans le contexte philosophique et religieux indien. Une étude de Marquette
(2012) permet de séparer le contexte religieux de l’influence des religions sur la corruption.
Elle analyse la situation en Inde (hindouisme et sikhisme) et au Nigéria (islam, christianisme et
religions traditionnelles africaines). Elle montre que l’influence des religions sur le
comportement individuel doit être considéré avec prudence. L’analyse de l’auteur est :
« […] que la religion peut avoir un certain impact sur les attitudes à l'égard de la
corruption, mais il est probable qu'elle ait très peu d'impact sur le comportement
corrompu réel. Cela s'explique par le fait que la corruption est perçue comme étant
si répandue, si intégrée au système, que le fait de ne pas être corrompu n'a souvent
guère de sens. » (Marquette 2012, p. 2).
Marquette fait référence à l’agentivité morale d’Albert Bandura : (1) la diffusion de la
responsabilité : là où tous participent, personne ne se sent vraiment responsable. (2) Le
désengagement moral : la construction d’une justification morale (démonisation de l’autre,
double standard : l’autre ne mérite pas un comportement moral de ma part…), une
euphémisation et une comparaison avantageuse (l’autre est moins moral que moi). Bandura
64
L’Uttar Pradesh est un des États les plus sensibles. Sa population est représentative de l’Inde (environ 80%
d’hindous et 14% de Musulmans, minorités sikhes, jaïnes et chrétiennes). Les violences politico-religieuses sont
nombreuses : attentats islamistes en 2006, 2007 et 2010, répressions anti musulmans en 2020, lois et
règlementations locales visant à une ségrégation castique et religieuse, mariages interreligieux soumis à jugement,
safranisation des manuels scolaires…).
66
montre que la motivation est un calcul utilitariste auquel s’ajoute la minimisation des
conséquences pour autrui, individus ou intérêt général (Bandura, 2002).
Établir un lien entre religion et éthique anticorruption se complexifie avec la diversité indienne.
Un hindouisme polythéiste mais pyramidal : des dieux spécialisés avec au sommet une
transcendance, complétée d’écoles exégétiques elles aussi diverses. Des castes où chacune se
voit affecter des droits, des devoirs et des modèles de comportement particuliers, mais
surplombées par des valeurs plus universelles (Scheuer, 2017).
« Les difficultés proviennent cependant de deux obstacles – probablement liés. Tout
d’abord, la réflexion éthique, nous l’avons vu, n’a guère été élaborée pour elle-
même, dès lors que les contenus concrets des activités et comportements se
répartissaient entre traités de rituel ou de liturgie d’une part, et traités de politique
royale ou d’administration, d’autre part.
Par ailleurs, si l’esprit et les motivations des actes ont pu connaître de profondes
évolutions, les contenus demeuraient en principe immuables, dès lors que
continuaient à s’imposer les stipulations précises, voire minutieuses de la
Révélation et surtout, plus concrètement, de traités de dharma revêtus de l’autorité
d’une Tradition non moins intangible. » (Scheuer 2011, p. 80-81).
Faute de meilleure synthèse, nous ferons appel à notre expérience de la pratique des affaires en
Inde.
D’une part une corruption systémique et systématique, intriquée dans la société indienne,
construite principalement sur les partis politiques, les castes et les familles. Le remplacement
d’élus par de nouvelles majorités ne semble pas l’affecter. Il ne semble pas non plus que
certaines castes soient plus corrompues que d’autres. Les évolutions législatives, en particulier
sur la transparence, semblent sans effet significatif. L’ensemble entraîne une résignation,
l’acceptation d’un ordre établi qui inclut la corruption (Acharya et al., 2015; Banerjee & Pande,
2007; Sukhtankar & Vaishnav, 2015).
« En raison du désir d'Artha (accumulation de richesses), de l'ouverture des
marchés internationaux et de la jalousie à l'égard de la réussite économique
mondiale de la Chine, l'idéologie dominante du marché a encore détérioré l'éthique
des affaires en Inde. […] À un niveau culturel profond, la plupart des Indiens
pensent que la vie n'a rien de rigide. Tout est gérable, soluble ; tout a une solution
de rechange, surtout lorsque les lois et les règlements ne sont pas en votre faveur. »
(Berger et Herstein 2014, p. 1081).
67
D’autre part une attraction vers l’éthique des vertus, dont le courage civique (voir p. 23) et le
sens d’un intérêt général. Le constat que la corruption ralentit le développement de la société
(l’accès à la santé, à l’éducation, les infrastructures, …). La vie démocratique et la liberté de la
presse, notamment les nombreuses organisations anticorruption, y contribuent. Le mouvement
anticorruption de 2011 est un tournant avec à sa suite la fondation du parti Aam Aadmi (AAP),
à l’origine un parti à thème unique : l’anticorruption (Belhoste, 2017; Jayal & Lama-Rewal,
2014). Mais ce second pôle est plus faible. Au-delà d’un désir d’anticorruption, il n’y a pas
d’élément montrant un renforcement.
L’effet de ces deux courants est mis en évidence dans un article remarquable de Vaidya (2019)
« Corruption, re-corruption et ce qui se passe entre les deux : Le cas d'un fonctionnaire en
Inde ». L’auteur interroge de 2009 à 2012 les acteurs du marché agricole réglementé dans quatre
zones géographiques. Il montre que les fonctionnaires font varier leurs pratiques pour atteindre
une « acmé corruptive » qui va en diminuant à l’approche de leurs mutations, environ tous les
deux ans. Puis dans leurs nouvelles fonctions, ils miment un comportement éthique afin de
pouvoir obtenir des pots-de-vin plus élevés, à la recherche d’une nouvelle acmé :
« […] une tentative d'équilibrer le compte. En d'autres termes, les fonctionnaires
rationalisent l'utilisation de l'honnêteté afin de compenser leurs pratiques
corrompues, puis reprennent les pratiques corrompues lorsqu'ils estiment avoir été
honnêtes pendant une période suffisamment longue. » (Vaidya 2019, p. 618).
2.4 Les enquêtes de perception, mesure de l’éthique ?
Des organisations tentent de mesurer la corruption (voir p. 201). La plupart utilisent des panels
d’experts. Pour mesurer l’universalité d’une éthique anticorruption il faut interroger la
population générale. Une seule source est accessible
65
: les Global Corruption Barometers
(GCB - Transparency International, 2022) de TI. Ce sont des sondages de ressenti de la
corruption. Ils sont renouvelés régulièrement.
A l’origine, les questionnaires du GCB se focalisaient sur l’expérience de la corruption : « ces
douze derniers mois avez-vous payé un pot-de-vin ? ». Ils incluent depuis 2021 une question
sur le ressenti de la corruption.
65
Le World Justice Project (WJP) publie un Indice « Rule of Law » « État de droit » qui
interroge la population et des experts. Mais les résultats ne sont pas publiés séparément.
68
Plusieurs limites dues à l’utilisation particulière des résultats de TI, sont à noter :
- Les personnes interrogées savent que TI lutte contre la corruption. Cela peut influencer leurs
réponses ou entraîner un biais de sélection en rassemblant plus de réponses des personnes
qui partagent l’engagement de TI.
- Les questionnaires présentent la corruption négativement.
- Les questions se focalisent sur l’expérience de la corruption et non sur l’éthique.
Toutefois deux questions qui donnent des indications sur l’éthique des personnes interrogées :
- La corruption est-elle acceptable ?
- Êtes-vous satisfait de l’action de votre gouvernement ?
2.4.1 La corruption est-elle acceptable ?
Les questionnaires GCB de TI intègrent depuis 2021 des questions sur l’acceptabilité de la
corruption. En mars 2022, seules deux études sont publiées : Union européenne (UE) 2021 et
Pacifique 2021.
Pour l’UE Q19.2 :
« Il est acceptable pour le gouvernement de s'engager dans la corruption tant qu'il
obtient de bons résultats » (GCB - Transparency International, 2021b).
Pour le Pacifique Q22.2 :
« Il est acceptable que le gouvernement s'engage dans un peu de corruption tant
que cela donne de bons résultats »
et Q22.3 :
« Si quelqu'un qui occupe un poste à responsabilité m'aide, j'estime que je dois lui
offrir un cadeau ou un soutien politique en guise de reconnaissance. » (GCB -
Transparency International, 2021a).
Pour chacune de ces trois questions, quatre réponses possibles : « accord », « désaccord », « ni
accord ni désaccord », « ne sait pas ».
Pour le pacifique, plusieurs États ne figurent pas dans les résultats en raison du trop petit nombre
de réponses (moins de 500 répondants) : Iles Cook, Iles Marshall, Nauru, Niue, Tokelau
(Nouvelle Zélande), Tuvalu
69
EU, Q19.2 "Il est acceptable pour le gouvernement de s'engager dans la corruption tant qu'il obtient de
bons résultats"
Pays
Accord
Ni accord ni
désaccord
Désaccord
Ne sait pas
Autriche
12%
6%
80%
2%
Belgique
12%
6%
80%
2%
Bulgarie
15%
10%
72%
3%
Croatie
31%
9%
58%
2%
Chypre
18%
9%
69%
3%
Tchéquie
13%
6%
78%
3%
Danemark
4%
2%
91%
2%
Estonie
18%
13%
62%
7%
Finlande
9%
6%
83%
2%
France (hors DOM TOM)
11%
6%
82%
1%
Allemagne
7%
6%
85%
2%
Grèce
17%
15%
64%
5%
Hongrie
24%
6%
60%
10%
Irlande
9%
5%
84%
2%
Italie
11%
6%
81%
1%
Lettonie
21%
18%
58%
2%
Lituanie
33%
19%
42%
7%
Luxembourg
10%
6%
82%
1%
Malte
12%
7%
77%
5%
Pays-Bas
13%
4%
82%
1%
Pologne
21%
12%
63%
4%
Portugal
11%
5%
84%
0%
Roumanie
53%
9%
32%
6%
Slovaquie
13%
4%
79%
4%
Slovénie
14%
9%
75%
2%
Espagne
12%
3%
84%
1%
Suède
5%
3%
90%
3%
Moyennes pondérées UE
16%
8%
73%
3%
Tableau 4 GCB 2021 UE, Question 19.2
70
Pacifique Q22.2 « Il est acceptable que le gouvernement s'engage dans un peu de corruption tant que cela
donne de bons résultats »
Pays
Accord
Ni accord ni
désaccord
Désaccord
Ne sait pas
Papouasie Nouvelle Guinée
24%
18%
57%
0%
Fidji
24%
8%
63%
5%
Iles Salomon
33%
8%
59%
0%
Nouvelle Calédonie (France)
5%
13%
64%
18%
Vanuatu
33%
8%
56%
2%
Polynésie française (France)
11%
13%
73%
2%
Samoa
17%
13%
65%
6%
Tonga
2%
20%
78%
1%
États fédérés de Micronésie
15%
19%
65%
1%
Kiribati
67%
6%
23%
5%
Moyennes pondérées Pacifique
23%
13%
60%
4%
Tableau 5 GCB 2021 Pacifique, Question 22.2
Pacifique Q22.3 « Si quelqu'un qui occupe un poste à responsabilité m'aide, j'estime que je dois lui offrir
un cadeau ou un soutien politique en guise de reconnaissance. »
Pays
Accord
Ni accord ni
désaccord
Désaccord
Ne sait pas
Papouasie Nouvelle Guinée
44%
25%
30%
0%
Fidji
31%
9%
55%
4%
Iles Salomon
40%
9%
51%
0%
Nouvelle Calédonie (France)
8%
17%
60%
15%
Vanuatu
51%
16%
33%
1%
Polynésie française (France)
18%
24%
57%
1%
Samoa
31%
19%
45%
5%
Tonga
45%
43%
11%
1%
États fédérés de Micronésie
22%
15%
62%
1%
Kiribati
80%
7%
9%
4%
Moyennes pondérées Pacifique
37%
18%
41%
3%
Tableau 6 GCB 2021 Pacifique, Question 22.3
71
Pour l’UE (question 19.2) et le Pacifique (question 22.2) les réponses montrent un refus de la
corruption même si elle apporte des résultats positifs. Les seuls pays qui font exception sont le
Kiribati et la Roumanie. Pour ces deux zones géographiques, il y a bien un refus de principe de
la corruption et l’utilitarisme est minoritaire.
La question 22.3, pour laquelle il n’y a des données que pour le Pacifique, présente des résultats
plus contrastés : un cadeau ou un soutien politique peut se justifier sans pour autant qu’il
s’agisse d’une transaction entre un corrupteur et un corrompu. Une conclusion sur l’éthique
n’est pas possible.
2.4.2 Êtes-vous satisfait de l’action de votre gouvernement ?
La 9ème étude globale GCB de TI a été conduite de mars 2014 à janvier 2017. Sa question 7 est :
« Selon vous, dans quelle mesure le gouvernement actuel gère-t-il bien ou mal les
questions suivantes, ou n'en avez-vous pas entendu assez pour vous prononcer :
lutter contre la corruption au sein du gouvernement ».
Cinq réponses possibles : « très mal », « plutôt mal », « plutôt bien », « très bien », « ne sait pas
/ n’en n’a pas assez entendu ».
Un degré d’insatisfaction important des populations indiquerait une attente et donc un rejet de
la corruption. Toutefois, pour ce questionnement sur l’éthique, plusieurs biais doivent être
considérés :
- La peur de répondre librement (TI s’assure de la liberté de parole des personnes interrogées
et garantit l’anonymat).
- Une satisfaction ou une insatisfaction influencée par d’autres questions que la corruption.
- Le dénigrement ou l’apologie de l’autorité en tant que tel (dont biais culturels, ethniques,
religieux…).
- La réalité de la corruption qui peut rendre les personnes plus sensibles si elle est forte (et
inversement).
Résultats :
- Pas de donnée pour la Chine. Il faut remonter à la 7ème édition de 2010-2011 et une question
proche :
« Pourcentage de la population qui pense que le gouvernement combat la
corruption de façon efficace »
72
Inefficace ou très inefficace
Efficace et très efficace
Ni efficace ni inefficace
35%
36%
30%
- La moyenne pondérée est de 57% de « très mal et plutôt mal » et de 30% de « plutôt bien et
très bien ».
- La moyenne pondérée des « ne sait pas / n’en n’a pas assez entendu » est 13%.
- Parmi les 20 pays qui montrent le plus fort taux de réponse « très mal et plutôt mal », le taux
de « ne sait pas / n’en n’a pas assez entendu » est inférieur ou égal à 15%.
- 22 pays ont un taux de « plutôt bien et très bien » supérieur à « très mal et plutôt mal »
- 13 pays sur les 20 avec le plus fort taux de réponse « ne sait pas / n’en n’a pas assez entendu »
appartiennent à l’UE (27 membres en mars 2022).
- 17 pays sur les 20 avec le plus fort taux de réponse « ne sait pas / n’en n’a pas assez entendu »
ont également un taux d’insatisfaction supérieur au taux de satisfaction.
- Parmi les 20 pays qui montrent le plus fort taux de réponse « ne sait pas / n’en n’a pas assez
entendu » seul le Sri Lanka présente un taux élevé de « plutôt bien et très bien » à 49%, le
second est la Suède à 34%.
73
Pays
Très mal et
plutôt mal
Très bien et plutôt
bien
Ne sait pas
Thaïlande
28%
72%
0%
Indonésie
33%
64%
2%
Tadjikistan
20%
61%
20%
Honduras
37%
55%
8%
Botswana
42%
54%
4%
Équateur
36%
54%
10%
Guatemala
28%
54%
18%
Inde
35%
53%
12%
Suisse
28%
51%
20%
Sri Lanka
23%
49%
28%
Swaziland
48%
48%
4%
Argentine
42%
48%
11%
Sénégal
46%
47%
7%
Lesotho
41%
47%
12%
Nicaragua
40%
47%
12%
Myanmar
38%
47%
15%
Niger
47%
46%
8%
Pakistan
55%
45%
0%
Burkina Faso
49%
45%
5%
Australie
41%
45%
14%
Tableau 7 GCB 2017, Vingt pays avec la plus forte satisfaction du gouvernement
Pays
Très mal et
plutôt mal
Très bien et plutôt
bien
Ne sait pas
Yémen
91%
6%
4%
Madagascar
90%
9%
1%
Ukraine
87%
9%
3%
Gabon
86%
14%
0%
Moldova
84%
7%
8%
Bosnie-
Herzégovine.
84%
4%
12%
Liberia
81%
18%
2%
Espagne
80%
17%
3%
Zimbabwe
80%
17%
3%
Afrique du Sud
79%
20%
1%
Benin
79%
19%
2%
Nigeria
78%
22%
1%
Slovénie
78%
8%
14%
Lebanon
76%
22%
2%
Venezuela
76%
21%
4%
Corée du Sud
76%
14%
10%
Pérou
73%
16%
11%
Ghana
71%
25%
4%
Maurice
71%
25%
4%
Lituanie
71%
13%
15%
Tableau 8 GCB 2017, Vingt pays avec la plus forte insatisfaction du gouvernement
74
Pays
Très mal et
plutôt mal
(1)
Plutôt bien
et très bien
(2)
Ne sait
pas
(1) – (2)
Swaziland
48%
48%
4%
0%
Sénégal
46%
47%
7%
-1%
Albanie
38%
40%
21%
-2%
Australie
41%
45%
14%
-4%
Argentine
42%
48%
11%
-6%
El Salvador
38%
44%
18%
-6%
Lesotho
41%
47%
12%
-6%
Suède
28%
34%
38%
-6%
Nicaragua
40%
47%
12%
-7%
Allemagne
24%
31%
45%
-7%
Myanmar
38%
47%
15%
-9%
Azerbaïdjan
14%
25%
61%
-11%
Botswana
42%
54%
4%
-12%
Équateur
36%
54%
10%
-18%
Honduras
37%
55%
8%
-18%
Inde
35%
53%
12%
-18%
Suisse
28%
51%
20%
-23%
Guatemala
28%
54%
18%
-26%
Sri Lanka
23%
49%
28%
-26%
Indonésie
33%
64%
2%
-31%
Tableau 9 GCB 2017, Satisfaction des gouvernements supérieure à l’insatisfaction
Pays
Très mal et
plutôt mal
Très bien et
plutôt bien
Ne sait pas
Azerbaïdjan
14%
25%
61%
Pologne
27%
26%
47%
Allemagne
24%
31%
45%
Suède
28%
34%
38%
Estonie
38%
26%
37%
Portugal
37%
27%
36%
Bulgarie
55%
11%
34%
Macédoine du
Nord
48%
19%
33%
Géorgie
41%
26%
33%
Monténégro
51%
17%
32%
Roumanie
43%
27%
31%
Slovaquie
57%
14%
29%
Sri Lanka
23%
49%
28%
Croatie
57%
17%
26%
Serbie
46%
28%
26%
Biélorussie
46%
29%
26%
Kosovo
67%
8%
25%
Grèce
59%
15%
25%
Chypre
47%
29%
25%
Lettonie
71%
7%
22%
Tableau 10 GCB 2017, Vingt pays avec le plus fort taux de réponse « Ne sait pas »
75
2.4.3 Conclusion sur la mesure de l’éthique anticorruption
Les données sont parcellaires et il ne faut pas occulter les biais présentés plus haut. Toutefois
elles confirment que les populations dans leur ensemble sont insatisfaites de la lutte
anticorruption. Même si elle peut avoir des effets positifs, la corruption n’est pas acceptée.
Conclusion principale : les études GCB de TI montrent qu’il y a bien une
éthique anticorruption universelle.
Plusieurs pays révèlent des biais ou marquent des situations particulières.
En premier lieu, ce qui semble bien être une indifférence des populations de l’Union européenne
à la corruption. 12 pays sur les 22 membres de l’UE inclus dans le GCB global de 2017 sont
dans le top 20 de ceux qui se disent ne pas savoir. Ces démocraties respectent globalement la
liberté d’expression, ce qui élimine la peur de représailles. Cette impression est renforcée par 4
des autres pays de ce top 20 : Macédoine du Nord, Géorgie, Monténégro et Serbie qui sont
européens mais hors de l’UE
66
(voir Tableau 10).
Deuxièmement, l’Allemagne et la Suède : Ces pays sont à la fois dans le top 20 des populations
qui ne savent pas, et qui ont un taux de satisfaction supérieur à l’insatisfaction. L’hypothèse est
que pour ces deux populations la corruption est ailleurs et n’affecte pas le quotidien :
- Des entreprises de ces deux pays sont régulièrement impliquées dans des dossiers de
corruption. Mais elle est peu visible : pas de « petty corruption » mais de la corruption
« business to business » (B2B) ou « business to government » (B2G).
- Ces affaires sont dénoncées par des justices étrangères (notamment par les États-Unis) et se
déroulent dans des pays tiers (pour ne citer que des cas récents : Chine, Inde, Asie du Sud-
Est, Italie et Amérique du Sud).
- Les rapports du Bundeskriminalamt (Allemagne) et du Brå (Suède) ne couvrent qu’une
partie des cas de corruption. En Suède, le dernier rapport qui mentionne la corruption date
66
Ne sont pas considérés pas les 4 autres pays de ce top 20 : Kosovo et la Biélorussie en Europe, Azerbaïdjan et
Sri Lanka qui connaissent tous les quatre des situations politiques très troublées : la peur de représailles est plus
probable.
76
de 2013 (Bra - Swedish National Council for Crime Prevention, 2013, 2021;
Bundeskriminalamt, 2021).
- Seuls 3% des Allemands et 1% des Suédois disent avoir payé un pot-de-vin dans les douze
mois précédents.
Enfin le Sri Lanka présente des résultats contradictoires : le taux de satisfaction de 49% pour
l’action du gouvernement est à comparer avec le fort taux de réponse « le gouvernement est un
gros problème » (confirmé dans le GCB Asie de 2020 à 79%). Le fort taux de ceux qui disent
ne pas savoir (28%) ne semble pas être une explication suffisante. L’hypothèse est que les
conséquences de la guerre civile et l’omniprésence de l’armée dans une population divisée
affecte la qualité des données collectées.
Le tableau de la page suivante résume ce premier développement sur l’éthique anticorruption.
Sa construction au fil des siècles a été progressive. D’autres auteurs et courants de pensée, jugés
moins essentiels ou redondants n’apparaissent que dans ce tableau.
77
2.5 Tableau récapitulatif – contributions à l’éthique anticorruption
Contributions à l’éthique anticorruption Formes de corruption considérées par le contributeur : X en totalité, (X) partiellement
(en gris les contributions importantes évoquées mais non développées : redondantes ou moins pertinentes pour la suite de cette thèse)
Origine
Contributeur principal
ou courant de pensée
Modalité de la corruption
Amoralité ou
Positivisme
Contributions et remarques
Purgative
Dégradation
de la cité
Éthique
individuelle
XXV av.
J.C.
Hindouisme
(X)
(X)
X
Recherche individuelle de la pureté par l’observance de lois
(Dahrma) sans portée morale
VI-V av.
J.C.
Bouddhisme Inde
(X)
X
Recherche de l’extinction par la perte de toute préoccupation pour
le monde
VI-V av.
J.C.
Confucius
X
X
Loi naturelle, éthique individuelle apprise, pratique des vertus
Ren : vertu d’humanité
VI-V av.
J.C.
Laozi
(taoïsme)
X
X
Non-agir et amoralité
IV-II av.
J.C.
Légisme
X
La loi principe absolu, autosuffisant et auto justifiant
IV av. J.C.
Zhuangzi
(taoïsme)
X
X
Non-agir et amoralité
IV av. J.C.
Aristote
X
X
X
Fondateur de la philosophie morale : responsabilité des acteurs :
actions, devoirs et conséquences. Éthique des vertus, la première
des vertus est le courage citoyen qui participe au bien de la cité.
78
Contributions à l’éthique anticorruption Formes de corruption considérées par le contributeur : X en totalité, (X) partiellement
(en gris les contributions importantes évoquées mais non développées : redondantes ou moins pertinentes pour la suite de cette thèse)
Origine
Contributeur principal
ou courant de pensée
Modalité de la corruption
Amoralité ou
Positivisme
Contributions et remarques
Purgative
Dégradation
de la cité
Éthique
individuelle
IV-III av.
J.C.
Mencius
X
X
A la suite de Confucius, le sens moral est aussi naturel que le
principe vital
III av. J.C.
Han Feizi
X
Taoïsme totalitaire et légisme : le souverain est la loi
I ap. J.C.
Bouddhisme Chine
X
X
Non traité, dans la continuité du confucianisme et du taoïsme
Voir Inde
IV-V
Augustin d’Hippone
X
X
Commentateur d’Aristote, l’exercice des vertus est libre,
questionnement sur la responsabilité individuelle et ses
conséquences sur la cité
VIII-IX
Renaissance
carolingienne
Continuité d’Aristote et d’Augustin d’Hippone, institutions précurseurs de l’université (scriptura, schola…)
X
Néoconfucianisme
X
X
Rapprochement entre LI (ordre structure) et li (esprit rituel)
Tension entre Ren (vertu d’humanité) et LI
XI
Averroès
Commentateur d’Aristote, contributeur majeur à la philosophie morale du Moyen-Âge
XI
Scolastique
Commentaire et continuité d’Aristote, synthèses des philosophies grecques, romaines, juives, arabes…
Pierre Abélard, Albert le Grand, Roger Bacon
XII
Thomas d’Aquin
(Scolastique)
X
X
Méthode thomiste, doctrine du double effet
XII
Casuistique
X
X
Continuité de Thomas d’Aquin, recherche de solutions
XIV
Machiavel
X
X
Moindre mal
(des actions éthiquement mauvaises pour un plus grand bien)
79
Contributions à l’éthique anticorruption Formes de corruption considérées par le contributeur : X en totalité, (X) partiellement
(en gris les contributions importantes évoquées mais non développées : redondantes ou moins pertinentes pour la suite de cette thèse)
Origine
Contributeur principal
ou courant de pensée
Modalité de la corruption
Amoralité ou
Positivisme
Contributions et remarques
Purgative
Dégradation
de la cité
Éthique
individuelle
XV-XVI
Martin Luther
X
X
Critique de la corruption de l’Église : la négation des fins (le salut)
au profit d’intérêts personnels.
XVI-XVII
Puritanisme
(X)
(X)
L’éthique supplantée par une obsession du salut individuel jusqu’à
ne pas intervenir pour le bien de la cité ou de ses prochains.
XVII-
XVIII
Montesquieu
X
X
Toutes les formes de gouvernement peuvent être corrompues, seul
le choix délibéré, par les gouvernants, de la vertu permet d’éviter
la corruption de la cité.
XVIII
Adam Smith
X
X
Description de la corruption par la philosophie morale (TSM), puis
première tentative de modélisation économique de la corruption
(RN).
XVIII
Jeremy Bentham
(Utilitarisme et
Conséquentialisme)
(X)
X
Seules les conséquences sont éthiques ou ne le sont pas
Utilitarisme : la somme des intérêts individuels converge vers
l’intérêt général
XVIII
Éthiques
déontologiques
(X)
X
(X)
Les actions en tant que règles prédéfinies sont éthiquement bonnes
car leurs conséquences espérées le sont.
XVIII
Emmanuel Kant
(X)
X
Éthique kantienne de l’intention et du devoir
XVIII
Positivisme
X
Pas de téléologie morale
Fin XVIII-
XIX
Robespierre
(X)
Détournement de l’éthique au profit d’un intérêt public non défini.
80
Contributions à l’éthique anticorruption Formes de corruption considérées par le contributeur : X en totalité, (X) partiellement
(en gris les contributions importantes évoquées mais non développées : redondantes ou moins pertinentes pour la suite de cette thèse)
Origine
Contributeur principal
ou courant de pensée
Modalité de la corruption
Amoralité ou
Positivisme
Contributions et remarques
Purgative
Dégradation
de la cité
Éthique
individuelle
XIX
Karl Marx
X
Marx ne se positionne pas par rapport à l’éthique ou la corruption :
la morale est une aliénation. Mais sa définition de la morale n’est
pas éthique (confusion éthique et éthos)
A partir de
la fin
XVIII
Droit positif
(Positivisme)
X
Pas de téléologie morale mais tiraillement avec l’impératif moral
Fin XIX
Max Weber
X
X
Éthique de responsabilité : actions et conséquences éthiques
participent au jugement éthique par l’individu
Fin XIX
Proportionalisme
X
X
Tout choix éthique implique une part négative (contraire à la loi
naturelle), la meilleure solution éthique contient (actions et
conséquence) une plus grande proportion positive que négative
XX
Jean Carbonnier
X
X
Décalage entre droit positif et éthique, entraînant un retard et des
rattrapages permanents vers toujours plus de complexité du droit
et une corruption en accroissement.
XX
Chine du PCC
X
Amoralité taoïste et reprise Dan Feizi (Xi Jinping)
Réécriture du confucianisme et du taoïsme
XXI
Inde de Modi
X
Mouvement nationaliste hindou (BJP et RSS)
Renforcement d’un hindouisme strict et tentative d’uniformisation
de la société.
Tableau 11 Contributions à l'éthique anticorruption
81
2.6 Conclusion – une modélisation de l’éthique ?
Une recherche sur une éthique anticorruption universelle aurait pu se limiter aux enquêtes par
sondage auprès des populations. Les données de TI citées plus haut démontrent, a minima, que
personne ne considère la corruption comme bonne en soi.
La philosophie morale au cours des siècles, n’est pas parvenue à modéliser la prise de décision
éthique. Mais là aussi les corpus occidentaux, chinois et indiens montrent un même rejet et le
même besoin d’un tel modèle. Les tentatives sont nombreuses. Leur point commun est d’ignorer
une partie des variables (à l’exemple des éthiques conséquentialistes et déontologiques)
pouvant aller jusqu’à un processus amoral (prise de décision hors du champ de l’éthique) qui
fait appel à une finalité supérieure : tel que le légisme chinois, l’intérêt public de Robespierre,
certaines philosophies ou religions.
Plus fondamentalement, la double analyse de Smith des mécanismes économiques par la
philosophie morale puis par la philosophie naturelle poursuit ce même objectif de modélisation.
Sa démarche est à rapprocher de la casuistique. Smith accepte la complexité de l’économie. Il
assume de ne pas avoir de modèle explicatif complet et de laisser des questions ouvertes. C’est
aussi ce que disent Thomas d’Aquin (doctrine du double effet), Machiavel (moindre mal) et
l’éthique de responsabilité de Weber en maintenant à la fois actions, conséquences et finalités.
La figure suivante représente, de façon simplifiée, le processus de prise de décision lors d’un
questionnement éthique. Deux étapes peuvent amener à une solution éthique ou hors de
l’éthique (solution amorale). La première est un préalable : l’éducation morale du décideur et
l’acquisition des vertus. Si ces vertus sont acquises, alors un raisonnement éthique est possible
(« oui » flèches bleues ou « non » flèches rouges). La seconde est la réflexion sur les actions,
leurs conséquences et leurs finalités (ou casuistique). Elle va selon le cas donner plus de poids
aux unes ou aux autres : vers une approche déontologique ou conséquentialiste avec au centre
l’éthique de responsabilité. Aucune de ces approches n’est par principe contraire à l’éthique.
La prise de décision peut venir à la suite d’un calcul (voir note 37, p. 45) ou par sur- ou sous-
estimations des actions ou de leurs conséquences. Ces dérives constituent une partie importante
du corpus étudié. Si elles sont bien le produit d’un raisonnement éthique, elles peuvent conduire
à une solution amorale comme dans certaines applications du droit positif ou du
conséquentialisme (lignes en pointillés).
82
Figure 2 Schématisation d’une prise de décision éthique
Questionnement éthique
Culture,
éthos
Contraintes
extérieures
(dont
prévalence
de la
corruption)
Contraintes
internes
(dont
obligation
de résultat)
Education morale
NON
Vertus
acquises
Moteur éthique
Déontologie
Conséquentialisme
Ethique de responsabilité
OUI
Utilitarisme
Egoïsme
Amoralité
Droit positif
Actions
Conséquences
Finalités
Solution
éthique
Amoralité -
Solution hors
éthique
NON
Amoralité -
Solution hors
éthique
83
Quatre éléments jouent un rôle important dans le fonctionnement de ce modèle.
(1) Les deux modalités de la corruption à la fois la « dégradation de la cité » et « éthique
personnelle » sont indissociables. A un peu plus d’un siècle d’écart, Confucius puis Aristote
posent la question de la responsabilité de l’homme et définissent, en des termes quasi
identiques, des vertus nécessaires à l’homme et à son action dans la cité. Cette éthique n’est pas
un code. Elle mène à des questionnements présents dans la philosophie morale des héritiers de
Confucius et d’Aristote mais aussi de leurs critiques : qui est légitime à agir, qui est responsable
des actions, de leurs conséquences et pour quelles finalités ? Ce questionnement éthique appelle
des solutions non généralisables, incompatibles avec la définition de règles préétablies.
(2) L’Occident, la Chine et l’Inde ont connu et connaissent encore des religions et des courants
de pensée amoraux. Certains reprennent une partie de l’éthique des vertus, ignorant actions,
conséquences ou finalités, proposant des « définitions alternatives » aux vertus et aux principes
moraux, parfois mélangés avec les us et coutumes d’époques particulières. Tenter de leur
attribuer un enseignement éthique est un échec. C’est aujourd’hui le cas avec Narendra Modi
en Inde et peut-être de façon encore plus marquée dans le contexte chinois :
« On ne nous enseigne pas à coopérer ni à faire preuve d’esprit d’équipe. Nous
sommes formés à dénoncer nos parents, nos professeurs et nos amis pour peu que
le parti nous le demande. On nous laisse entendre que ce qui compte, c’est de
gagner, et que seuls les nuls souffrent de scrupules moraux » (Shum 2022, p. 254).
(3) La complexité de l’éthique est reconnue par tous. Aristote et Confucius insistent sur la
nécessité de l’apprentissage de la morale. Mais cela va bien au-delà. Toutes les religions ont un
enseignement de théologie morale. Tous les courants de pensée proposent un positionnement
éthique. Sans préjuger du contenu qui peut être amoral.
(4) L’éthique anticorruption se retrouve dans toutes les cultures et à toutes les époques. Les
aspirations des populations restent inchangées. Les difficultés à trouver les meilleures solutions
éthiques perdurent elles-aussi.
Le juge omniscient du conséquentialisme capable de nous dire ab ante quelle solution éthique
s’avèrera ex-post la meilleure, n’existe pas. Notre capacité à agir éthiquement est le produit
d’une éducation morale : vertu d’humanité et éthique des vertus.
Apprendre permet d’anticiper et de prévenir, en éthique comme pour le reste.
84
3 L’entreprise sous la contrainte de son environnement
Les entreprises qui ont réussi dans leur environnement d’origine peuvent être tentées,
lorsqu’elles se déploient ailleurs, d’employer les mêmes modèles de développement : la même
offre, les mêmes méthodes. Certaines marques mondiales peuvent donner l’impression que cela
fonctionne : Apple vend partout les mêmes Iphones.
Mais Apple ne se limite pas à ses produits. Au fil des années cette entreprise n’a cessé de
modifier sa proposition de valeur : ses services clients, la présence ou non de magasins
physiques. Ils ont connu des succès et des échecs. Ils ont dû s’adapter.
Il est plus difficile d’analyser les évolutions des entreprises en termes de mesures d’anticipation
et de prévention à la corruption. (1) La corruption est universellement condamnée : éthiquement
et juridiquement. La plupart des pays ont adopté des lois anticorruption (Global Compliance
News, 2023). (2) La corruption est discrète, les données objectives et vérifiables manquent.
Machiavel, dans un temps où la guerre et la peste minent Florence et l’Europe, s’interroge sur
la bonne conduite à tenir pour maintenir ou établir un gouvernement libre dans une cité
corrompue.
« Je supposerai d'abord une cité parvenue au dernier terme de la corruption, ce
qui présente la question dans toute sa difficulté ; car là où le dérèglement est
universel, il n'y a ni lois, ni institutions assez puissantes pour le réprimer. En effet,
si les bonnes mœurs ne peuvent se conserver sans l'appui des bonnes lois, de même
l'observation des lois exige de bonnes mœurs. » (Machiavel 1962, p. 178).
L’environnement de l’entreprise n’est pas toujours aussi déréglé que l’écrit Machiavel. En
reprenant le tableau introductif (voir p. 10 et ci-dessous), l’objet de ce chapitre est d’établir
l’état de la connaissance sur les relations entre l’organisation et son environnement : la ligne
inférieure du tableau. Quels sont les facteurs externes ? Comment interagissent-ils avec
l’organisation ? Et comme Machiavel, comment interagissent-ils entre eux ?
85
Facteurs organisationnels,
législatifs et réglementaires
Facteurs individuels,
culturels et de groupe
Facteurs internes
Culture interne et
organisation de l'entreprise
Éthique personnelle et style
de management
Facteurs externes
Lois, réglementations et
institutions formelles
Environnement culturel et
institutions informelles
Tableau 12 Facteurs de la corruption, facteurs externes
3.1 Définitions, limites et choix sémantiques
Parler d’un environnement plutôt que d’institutions formelles et informelles, en tant qu’entités
isolées, vient de « l’orientation entreprise » de cette thèse
67
. Il s’agit d’identifier des outils
d’anticipation et de prévention qu’une entreprise peut mettre en œuvre.
Cette partie traite de la réalité de l’environnement pour l’entreprise et non de sa prise en compte
par les décideurs de l’entreprise. La prise en compte de l’environnement sera traitée dans la
partie suivante (voir p. 132).
La corruption est transactionnelle. L’entreprise corruptrice ou corrompue agit avec un
complice, éventuellement avec des intermédiaires. Une autre perspective est de considérer
l’environnement comme un tout qui contribue positivement ou négativement à la corruption.
Le mot « stratégie » revient souvent lorsqu’il s’agit de définir les intentions d’une entreprise.
Deux sens seront exclus : (1) les stratèges de la Grèce antique n’étaient pas nécessairement des
soldats. De la même façon, une entreprise n’est pas en guerre avec ses concurrents ou quelque
autre institution. (2) La seule finalité est la création de valeur dans la durée, il n’y a pas de
« victoire finale ».
D’autres institutions que l’entreprise peuvent être en guerre ou ne respecter ni l’éthique, ni la
loi. Cela peut mener à la conclusion que tel ou tel environnement est incompatible avec la
67
L’alternative est une vision basée sur les institutions ou « institution-based view » (IBV) qui considère les jeux
entre des institutions à égalité de distance d’observation. L’approche retenue est plus proche des enjeux
décisionnels d’une entreprise : elle ne maitrise que ses décisions. Il ne s’agit pas de négliger le contexte. L’IBV et
la vision basée sur les ressources « resource-based view » (RBV) sont nécessaires à la définition de la stratégie
(Peng, Sun, Pinkham, & Chen, 2009). Il s’agit de caractériser les actions déployables par l’organisation par
opposition avec ce qui ressort de son environnement. En reprenant l’analyse SWOT, considérant de la corruption
est une faiblesse interne (RBV) ou une menace externe (IBV), que peut-elle faire ?
86
création de valeur. La stratégie est alors de protéger l’entreprise et ses équipes : quitter ce
marché, se redéployer pour limiter son exposition, etc.
Il s’agit d’épisodes douloureux, entraînant des coûts ne permettant que d’éviter des
conséquences financières, judiciaires ou éthiques encore plus lourdes. A cela s’ajoute le risque
réputationnel
68
, une vulnérabilité accrue face à la concurrence et des difficultés d’accès futures
aux marchés. Pour les décideurs qui se sont soumis ou ont initié la corruption, ils ont fait le pari
de n’être pas détectés. Si toutefois ils le sont, après la phase de traitement de la crise, deux types
d’entreprise se distinguent :
(1) Celles qui ajoutent la corruption à leurs contingences. Elles s’adaptent pour limiter une
nouvelle exposition. L’impact touche toute l’organisation : structures, processus de
décision, recrutement…
(2) Celles qui ne changent rien, remplacent éventuellement les décideurs impliqués et
passent à autre chose.
Les entreprises du deuxième type prennent souvent la position de victime d’une « guerre
économique » : une dystopie qui justifie leurs décisions passées et maintient leur exposition.
Plusieurs auteurs utilisent cette expression de « guerre économique ». Elle permet d’illustrer la
dureté que peut être la compétition ou de faire des parallèles. Mais pour une entreprise il n’y a
pas plus de guerre économique qu’il n’y a de victoire finale (Auzet & Mortier, 2019; Coussi &
Moinet, 2019; Labic, 2021).
3.2 Théorie de la contingence (TC), environnement corruptif
Pour une organisation confrontée à un cas de corruption le risque est de le considérer comme
un évènement unique sans lien avec le contexte dans lequel elle évolue. La prévalence de la
corruption est ce qui fait de la TC une théorie applicable à la corruption. La corruption est une
contrainte : un coût direct pour l’entreprise. Mais comme pour toute activité contraire à
l’éthique et la loi, elle porte une incertitude :
- Quant à son efficacité première : pour l’entreprise est-il efficace ou profitable de payer un
pot-de-vin ?
68
Risque réputationnel : une organisation accusée publiquement de corruption, s’expose à une réaction de la
société. La hauteur du risque dépend de l’émotion ressentie, non de la réalité des faits ou du préjudice causé. Il
n’est pas limité à la valorisation des actifs intangibles. L’impact réel pour l’organisation est difficile à prévoir.
87
- Dans sa finalité : la corruption va-t-elle contribuer à l’obligation de résultat de l’entreprise ?
- Dans sa probabilité d’apparition (notamment si l’entreprise n’est pas l’initiatrice).
« Contingence (bas latin contingentia, hasard)
1. Caractère de ce qui est contingent ; éventualité, possibilité que quelque chose
arrive ou non.
2. Dépendance, liaison entre deux caractères généralement qualitatifs » (Larousse,
2022)
Le risque s’exprime sous la forme d’un coût unitaire et d’une probabilité dont le produit est un
critère de sévérité.
Sévérité = cot unitaire du risque x probabilité d’occurrence
La sévérité permet un classement des risques. Mais la somme des sévérités n’a pas de
signification. Par exemple une entreprise confrontée à un grand nombre de risques très coûteux
mais peu probables ne peut conclure sur son exposition totale (régression à l’infini). En
pratique, aucune entreprise avant 2020 ne pouvait faire figurer au chapitre « risques et
opportunités » de son bilan le risque pandémique. L’éventualité d’une pandémie était identifiée,
mais la multitude des scénarios (germes, localisations, modes de diffusion), chacun exprimé
comme un coût multiplié par une probabilité d’occurrence infinitésimale, ne permettait pas de
calculer une sévérité totale.
La contingence se distingue du risque car elle est imprévisible : elle ne permet pas de calculer
une probabilité d’occurrence.
Si la corruption est considérée comme une variable unique, une faible prévalence de la
corruption, fait disparaître cette contingence : la contrainte est nulle. A l’opposé, une forte
prévalence fait de la TC le modèle explicatif principal. Dans ce cas, combinée aux autres
88
atteintes à la probité
69
, la corruption fera d’un État une kleptocratie
70
. Un régime politique dont
la caractéristique principale est la captation de la valeur vers quelques-uns. L’éventualité de la
corruption est maximale, la contrainte est forte.
La TC ne se limite pas aux contingences environnementales. La littérature en identifie trois en
particulier qui interagissent avec la corruption :
- Les pouvoirs de contrôle internes et externes de l’organisation.
- L’âge de l’organisation : l’intégration dans des réseaux professionnels, aristocraties, liens
familiaux… avec l’effet possible de favoriser la corruption. Mais aussi la soumission à des
habitudes qui ne permet plus de remettre en cause les mauvaises.
- La taille de l’organisation : la distance à la source de la corruption interne ou externe, la
multiplication des décideurs intermédiaires à la fois contrôles supplémentaires, filtres de
l’information et pouvant servir de fusible. Des structures toujours plus complexes voulues
comme telles ou demandant d’être court-circuitées si elles nuisent.
Nous reportons le traitement des pouvoirs internes au chapitre suivant (voir p. 132). Nous
intègrerons les pouvoirs externes, l’âge et la taille des organisations principalement à
l’environnement corruptif.
La TC appartient aux théories organisationnelles. Mintzberg qui, s’il n’est le « père » de cette
théorie, l’a structurée et a normé son champ sémantique dans un ouvrage de 1979 « The
69
Les atteintes à la probité incluent toute forme de détournement des moyens de l’État ou d’une organisation. Les
définitions varient selon les systèmes juridiques. Habituellement elles incluent la corruption, la prévarication, le
trafic d’influence, la prise illégale d’intérêt, le détournement, etc. Pour la France, l’AFA publie une liste des
atteintes à la probité (Agence française anticorruption, 2022). Cette liste ne comprend pas la prévarication, absente
du code pénal français, ni la concussion qui pourtant y figure dans la section « des manquements au devoir de
probité » (art. 432-10).
70
Kleptocratie : les dictionnaires Larousse et Robert définissent la kleptocratie comme une forme de pouvoir basé
sur ou, qui pratique la corruption. Elles sont étymologiquement fausses (du grec ancien kleptos : voler et kratos :
pouvoir). Plus exacte est la définition qu’en donne Jared Diamond en parlant des sociétés non égalitaires à
gouvernement central « Au pire, elles fonctionnent ouvertement comme des kleptocraties, transférant la richesse
nette des roturiers aux classes supérieures. […] La différence entre un kleptocrate et un homme d'État avisé
[…] n'est qu'une question de degré : il s'agit de savoir quel pourcentage du tribut prélevé sur les producteurs est
conservé par l'élite [...] » (Diamond 2005, p. 276). La captation de la valeur par un petit nombre de gouvernants
ne se limite pas à la corruption. Elle inclut le trafic d’influence, la prévarication. Plus généralement il s’agit d’une
confusion organisée entre l’intérêt personnel d’une oligarchie et l’intérêt public. Tout moyen est légitime à cet
effet.
89
structuring of organizations: a synthesis of the research » (Mintzberg, 1979). Il y décrit les
degrés de liberté d’une organisation soumise à son environnement.
Que « veut » adapter la TC en fonction de l’environnement ? La réponse courte est : tout ce qui
concerne :
- La définition de la stratégie (qui modèle les trois points suivants)
- L’organisation hiérarchique et structurelle,
- Les processus de décision opérationnelle,
- Les processus d’adaptation des trois points précédents.
3.2.1 Adaptations aux contingences, difficultés de modélisation
Ce qui pose plus de difficulté est de déterminer quelles adaptations auront un effet positif. En
prenant l’exemple du paiement d’un pot-de-vin, une idée simple est de contrôler les dépenses
de l’entreprise (traçabilité, procédure d’approbation écrite…). De telles procédures existent
depuis longtemps pour de nombreux autres motifs, ne serait-ce que de bonne gestion. Si les
contrôles se limitent à cela, les possibilités de les contourner sont tellement nombreuses qu’il
n'est pas possible d’en dresser la liste. La capacité d’anticipation ou de prévention de la
corruption de cette mesure est nulle. L’organisation a bien identifié la contingence
« environnement corruptif ». Elle s’est adaptée sans gain d’efficacité.
La critique la plus fondamentale de la TC serait son incapacité à expliquer l’ensemble des
mécanismes économiques :
« Reconnaître l'exactitude de la théorie de la contingence dans des domaines
spécifiques n'en fait pas une théorie générale. Divers concepts et écoles offrent un
aperçu des particularités mais ne constituent pas des théories générales
correctement intégrées. […]
Les théoriciens de la contingence générale tentent de façonner une théorie générale
à partir des débris d'autres théories inadéquates, exposant sans cesse les limites
des principes universels antérieurs. » (Longenecker et Pringle 1978, p. 680).
La TC serait une soumission de l’organisation à son environnement, manquerait de réactivité,
ne pourrait intégrer des contingences multiples ou contradictoires, nierait le libre arbitre des
dirigeants (situationnisme). Ces critiques ont été identifiées dès l’origine, y compris par certains
de ceux qui ont développé la TC (Donaldson, 2008; Longenecker & Pringle, 1978; Mintzberg
et al., 1998; Shenkar & Ellis, 2021).
90
Trois articles vont servir de trame exploratoire : Luthans et Stewart et leurs échanges avec
Longenecker et Pringle (Longenecker & Pringle, 1978; Luthans & Stewart, 1977, 1978). Ils
permettent d’analyser la validité et les limites de la TC dans le cas particulier de la corruption.
Il en ressort trois difficultés :
(1) La modélisation d’une multitude de variables. Luthans et Stewart proposent de les regrouper
en trois variables primaires : environnement, ressources, management et trois variables
secondaires :
- Situationnelles : le système avec lequel le management interagit et au sein duquel il opère.
- Organisationnelles : structure organisationnelle (relations sociales, normes de comportement
socialement acceptables) hors les contingences de l’environnement
- Critères de performance : à la fois les objectifs organisationnels, leur adéquation avec les
variables environnementales et l’allocation des ressources pour maintenir la performance.
Les variables secondaires génèrent des variables tertiaires : les interactions entre les variables
secondaires.
Environnement
Variables
situationnelles
Variables critères de
performance
Performance
du système
Variables organisationnelles
Management
Ressources
Figure 3 Résumé des variables et des relations dans un modèle de la contingence de l'organisation (Luthans
et Stewart 1977, p. 187)
91
Une représentation matricielle permet de comprendre la complexité de cette modélisation.
La littérature critique constate que cette matrice ne peut être résolue : par l’impossibilité de les
mesurer toutes, par la contingence des variables primaires, secondaires et tertiaires entre elles.
Cette modélisation ne permet ni de définir la performance du système à un moment donné, ni
d’en tirer un modèle prédictif.
« Une théorie doit non seulement contenir des propositions de loi, mais aussi un
énoncé complet des relations opérationnelles entre ses concepts et les
comportements dans le monde réel auxquels les concepts font référence. »
(Longenecker et Pringle 1978, p. 681).
Toutefois l’affirmation qu’une théorie économique doit être complète et qu’elle doit avoir une
forte capacité prédictive est débattue.
« Même un bon modèle peut avoir un pouvoir prédictif limité pour (au moins) deux
raisons qui sont absentes des sciences physiques : les phénomènes autoréalisateurs
et l'incertitude comportementale. Premièrement, les économistes, et plus
généralement les spécialistes des sciences sociales, soulignent depuis longtemps
que des "complémentarités stratégiques" peuvent résulter de l'interdépendance des
comportements […] Cependant, si la multiplicité des "comportements auto-
Variables management
Mj
Variables situationnelles
Si
Variables critère de performance
PCk
Figure 4 Matrice de la contingence générale pour le management (Luthans et Stewart 1977, p. 189)
92
confirmés"/"équilibres" fascine à juste titre les chercheurs en sciences sociales, elle
entrave également la prédiction. Deuxièmement, les agents économiques présentent
souvent des biais comportementaux ; si un grand nombre de ces biais ont été
intégrés dans les modèles économiques au cours des 30 dernières années, nous
savons également que les agents sont très hétérogènes en ce qui concerne ces biais,
et nous disposons d'informations limitées sur la distribution des biais dans la
population. » (Tirole 2019, p. 2).
(2) La critique de la TC comme tentative de rassembler des bouts épars d’autres théories.
« L'élaboration d'une théorie générale à partir des décombres des théories
conventionnelles brisées ou rejetées nécessite l'identification de points communs
entre les différents domaines d'étude et de pratique, de similitudes entre les
dissemblances. » (Longenecker et Pringle 1978, p. 682).
Pourtant la TC, comme le montre la modélisation de Luthans et Stewart, part de variables
simples (quand bien même nombreuses) et de la dualité organisation / environnement. Elle ne
fait pas appel à d’autres théories. Les rapprochements faits par les auteurs, critiques ou non, de
la TC, avec d’autres théories elles vraiment partielles
71
, viennent de leur autolimitation à (voir
Figure 3, p. 90) :
- une partie des deux variables primaires : les ressources, la structure de l’organisation (les
questionnements sur les organigrammes et les liens hiérarchiques),
- une partie des variables secondaires organisationnelles : presque exclusivement les chaînes
de décision et de transfert de l’information.
La conséquence est la substitution de la recherche de la performance du système, par celle de
la performance de la structure. Deux indices au fil de la littérature l’indiquent : le remplacement
de l’expression « théorie de la contingence » par celle de « théorie structurelle de la
contingence » qui n’est ni une autre théorie, ni la volonté de se limiter à une problématique plus
limitée. Le second indice est le large corpus autour de quatre structures et leurs classements
71
Le spectre des théories qui ont été croisées avec la TC est large. En reprenant le classement de Mintzberg en dix
écoles, deux se retrouvent le plus souvent dans le corpus consulté : l’école configurationnelle pour les auteurs qui
s’attachent à la structure de l’organisation, l’école du pouvoir pour ceux qui partent de la prise de décision
(Mintzberg et al., 1998). Un recensement exhaustif de l’ensemble des auteurs qui empruntent à la TC et à d’autres
théories n’a pas d’intérêt pour cette thèse. Quelques exemples (Mealiea & Lee, 1979; Stock, Six, & Zacharias,
2013; Williams, Ashill, & Naumann, 2017)
93
selon deux variables environnementales : stabilité et complexité. Elles sont représentées de
différentes façons. La plus citée est un tableau de Mintzberg
72
adapté de Perrow (1970) :
Stable
Dynamique
Complexe
Décentralisé, bureaucratique
(centralisation des talents)
Décentralisé, organique (ajustements
mutuels)
Simple
Centralisé, bureaucratique
(centralisation des processus de travail)
Centralisé, organique
(supervision directe)
Tableau 13 Quatre environnements organisationnels de base (Mintzberg 1979, p. 286)
Mintzberg utilise le terme d’adhocratie, « ad hoc », pour définir les organisations décentralisées
et organiques adaptées aux environnements complexes et dynamiques (coin supérieur droit du
tableau).
Pourtant, et cela fera encore plus de sens dans le chapitre sur la chaîne de décision et la
corruption d’origine interne à l’organisation (voir p. 132), il ne s’agit pas seulement de s’adapter
à l’environnement mais de favoriser une prise de décision éthique. Or, plus les organisations
sont complexes, plus elles génèrent de conflits. Mintzberg citant Sayles :
« [La structure matricielle] oblige les organisations à se modifier constamment en
raison de conflits d'objectifs, de valeurs et de priorités et rend la structure même
de l'organisation instable. » (Sayles L. 1976, p. 15).
La limite d’une TC réduite à ces deux variables, pour ce qui concerne une corruption d’origine
externe à l’organisation élimine l’éthique. Plus largement elle ignore, comme l’écrit Tirole plus
haut, que l’économie, science humaine et sociale (SHS) doit tenir compte des comportements
humains. Dans le modèle de Luthans et Stewart, les SHS sont bien incluses dans les trois
variables primaires et les variables secondaires « situationnelles » et « organisationnelles »
(voir Figure 3, p. 90). Le corpus qui se limite à un environnement tel que dans le Tableau 13 ne
considère pas des variables telles que corruption.
(3) La troisième difficulté est une conséquence de la précédente. L’adaptation des ressources et
des structures est un processus lent et itératif : des décisions figées pour un temps afin
d’observer leurs résultats avant de définir l’évolution suivante. L’environnement évolue lui en
permanence. Les structures et les ressources sont donc toujours en retard. La faiblesse
72
Ce tableau repris de Mintzberg, ne résume pas sa pensée. Au contraire Mintzberg se positionne dans l’école de
la configuration qui intègre les autres neuf écoles dont l’école environnementale à laquelle la TC (et donc la théorie
structurelle de la contingence) appartient (Barabel, 2017; Mintzberg et al., 1998).
94
prédictive de la TC s’y ajoutant, le retard est accentué par la difficulté à définir l’évolution
suivante.
Figure 5 Approche contingence de la gestion planifiée des changements (Luthans et Stewart 1977, p. 191)
Ces trois difficultés de la TC doivent être considérées prudemment : ce n’est pas parce que la
plupart des auteurs qui font appel à la TC traitent principalement de la structure et dans une
moindre mesure des ressources, que cette théorie ignore les autres variables. Le modèle de
Luthans et Stewart est exhaustif. Mintzberg dont nous avons, à dessein, extrait les éléments les
plus cités, n’élimine aucune variable. Il affirme qu’aucune organisation n’est idéale (Mintzberg,
1987) ce qui est la seule conclusion possible puisque de nombreuses variables sont non
mesurables.
Enfin, un retard d’adaptation sur tout ou partie des ressources et de la structure n’implique pas
une mauvaise performance du système. D’autres variables peuvent compenser. Pensons par
exemple aux variables liées aux comportements individuels et de groupe.
Il est presque ironique de critiquer la trop grande complexité du modèle puis de ne traiter que
quelques variables pour expliquer la faiblesse de la TC et de son modèle.
La TC dès ses origines a été critiquée, Perrow en 1973 parle de la courte vie des théories
organisationnelles (non seulement de la TC) disparues car n’étant que des résurgences du
taylorisme (en tant qu’organisation scientifique du travail) : trop simple, pas adapté à la
complexité de l’environnement, des tâches à effectuer, et des attentes des personnes. Pour
Perrow :
« Au cours de plusieurs décennies de recherche et de théorie, nous avons
probablement appris davantage sur les choses qui ne fonctionnent pas (même si
certaines d'entre elles auraient manifestement dû fonctionner) que sur les choses
qui fonctionnent. Tout compte fait, il s'agit d'un acquis important qui ne doit pas
nous décourager. Comme vous le savez, les organisations sont extrêmement
complexes. Disposer d'autant de connaissances que nous en avons dans une
Évaluation des contingences
Développement de la stratégie
d'intervention [sur l'organisation]
Implémentation de la stratégie
Évaluation des résultats et mise à jour
des données « CT générale »
95
discipline naissante qui a dû emprunter aux divers outils et concepts de la
psychologie, de la sociologie, de l'économie, de l'ingénierie, de la biologie, de
l'histoire et même de l'anthropologie n'est pas si mal. » (Perrow 1973, p. 14).
Cinquante ans plus tard, Shenkar et Ellis (2021) font une « autopsie » de la TC. Leur conclusion
est sensiblement différente, mais se félicitent aussi de la contribution de la TC à la recherche.
« S'il est difficile d'établir une lignée directe entre la théorie de la contingence
structurelle
73
(TCS) et les théories ultérieures, la TCS peut avoir inspiré
indirectement les théories récentes. Une autre possibilité, peut-être moins
acceptable, est que d'autres théories ont indépendamment identifié des concepts et
des constructions similaires à ceux du TCS, une "réinvention de la roue" qui
soulève de sérieuses questions quant à la réalisation de progrès dans le domaine
de la théorie de l'organisation, qui bénéficierait de la construction de la base
théorique existante. Quoi qu'il en soit, nous pensons que la TCS a fourni des cadres
et des outils qui sont non seulement utiles à la recherche contemporaine sur les
organisations, mais qui, à un certain niveau, sont supérieurs à ceux d'aujourd'hui
ou, du moins, peuvent être considérés comme complémentaires. » (Shenkar et Ellis
2021, p. 805).
La corruption comme variable affectant la performance du système ne fait pas l’objet de
nombreuses publications. Deux raisons dominent : (1) la difficulté de mesurer la corruption,
souvent remplacée par des mesures de ressenti. (2) L’essentiel des articles d’économétrie
traitent de la corruption dans une approche macroéconomique : le système est l’économie dans
son entièreté ou un large sous-ensemble (une industrie, une région, un groupe humain…).
Un rare contre-exemple est l’article remarquable de Qi et al. (2020) « Obéissance ou fuite :
Examen des influences contingentes de la corruption sur les exportations des entreprises ». Il
étudie une partie de la performance du système « entreprise » comme variable dépendante de
variables de l’environnement indépendantes.
Variable
Description
Remarques
Performance
du système
(dépendante)
Part des exportations dans le
chiffre d’affaires de
l’entreprise
Cette variable est directement liée à la stratégie de
l’entreprise (ressource et structure).
73
Théorie de la contingence structurelle : variante ou sous ensemble de la TC qui, à la suite de Laurence et Lorsch
(1967a), insiste sur la contingence de l’environnement sur la structure de l’organisation et ses performances.
96
Indépendantes
Corruption (pourcentage des
paiements informels sur le
chiffre d’affaires)
Cette variable extractible du bilan des entreprises a le
mérite de ne pas être une mesure de ressenti de la
corruption ou d’un indicateur établi par un panel
d’experts. Mais deux biais doivent être considérés :
- Des paiements informels identifiables impliquent
un degré significatif de désorganisation de l’État
(faiblesse de l’audit externe et administration
fiscale).
- Il s’agit de données extraites des questionnaires de
l’ « Entreprise Survey » de la Banque mondiale
(2017) : liberté d’expression des déclarants et
validité de leurs déclarations.
Instabilité politique
Mesures de perception (source : voir référence et
biais ci-dessus). Ici la perception par les dirigeants de
ces trois variables est bien ce qui est recherché.
Compétition du secteur
informel
Poids réglementaire
Contrôles
(corrélations
déjà établies
dans la
littérature)
Participation étrangère au
capital
Variable extraite du rapport annuel mais données
déclaratives obtenues par questionnaire (source : voir
référence et biais ci-dessus). Sans en connaitre
l’impact sur l’étude, cette variable ne permet pas de
capturer les participations étrangères dissimulées.
Certifications internationales
ISO14000 (management
environnemental) et ISO
9000 (qualité)
Intention : degré de préparation à l’environnement
« export » et capacité de supporter le poids
réglementaire du marché intérieur.
Expérience industrielle de la
direction (nombre d’années)
Intention : la familiarité avec l’environnement du
marché intérieur facilite la décision pour une
stratégie d’exportation
Age de l’entreprise et taille
Intention : affecte la capacité à développer une
stratégie d’exportation
Entreprise cotée
Tableau 14 Variables de « Obéissance ou fuite : Examen des influences contingentes de la corruption sur les
exportations des entreprises » (Qi et al., 2020)
En ne considérant que quelques variables, il s’agit bien d’une résolution partielle de la matrice
de Luthans et Stewart (voir p. 91). En ce sens il est conforme à la description de la TC comme
une théorie incomplète, agglomération d’autres théories partielles ou inspiratrice d’autres
théories plus récentes : la matrice ne permet qu’une résolution partielle.
Ce que cet article met en lumière est une branche TC de l’économétrie. Elle s’intéresse à la
performance du système « entreprise ». Son pouvoir prédictif est limité car la matrice des
97
variables sera d’autant plus facile à résoudre que les données seront proches de l’entreprise
considérée. Reste la difficulté des variables environnementales dont la pertinence va dépendre
de leur proximité là aussi avec le cas considéré
74
. La corruption, dont la mesure est
ontologiquement contradictoire
75
, augmente encore la difficulté.
3.2.2 Adaptabilité des organisations dans la TC de Mintzberg
Ce qui distingue les travaux de Mintzberg est, qu’après avoir repris les quatre modèles
classiques d’organisation (Tableau 13, p. 93), il prend une approche différente qui permet
d’explorer une autre partie de la littérature : les contingences de l’entreprise (ou degrés de
contrainte) en fonction de la diversité de l’environnement. Pour cette thèse, quelles sont les
variables qui décrivent un environnement corruptif ?
Mintzberg (1979) identifie quatre dimensions de l’environnement : stabilité, complexité,
diversité du marché et hostilité. Qu’il complète, empruntant à Miller, Droge et Toulouse (1988),
avec les enjeux et les ressources (Mintzberg et al., 1998).
L’analyse de la littérature permet un regroupement des variables « environnement corruptif »
en quatre groupes :
- Complexité et diversité,
- Stabilité,
- Hostilité,
- Enjeux et ressources
3.2.2.1 Complexité et diversité
L’environnement d’une organisation peut varier de simple à complexe. Le marché peut être
intégré ou diversifié. Ces deux variables n’auront pas la même importance selon la compétence
de l’entreprise et de ses décideurs : son degré de sophistication, ses capacités d’analyse et
d’adaptation. Elles correspondent à trois des cinq principes du management de l’inattendu
74
La précision des variables de l’environnement est une difficulté identifiée depuis une vingtaine d’années. Dans
la plupart des pays, les indicateurs macro-économiques sont suffisamment précis. Mais, dans le cas particulier de
la corruption, de l’environnement social et des risques, des cabinets experts établissent des modèles multicritères
spécifiques à une entreprise et à un marché. Voir par exemple Global Risk Profile (2020, 2019)
75
Contradiction sur la propriété de la mesure de la corruption qui pour être objective doit être mesurable, vérifiable,
avec une incertitude connue (tolérance) et indépendante du moyen de mesure. Ne serait-ce que sur le critère de
vérifiabilité, une propriété et son contraire ne peuvent être valable en même temps.
98
énoncés par Weick et Sutcliffe (2007) : la réticence à simplifier, la sensibilité aux opérations et
la déférence envers les experts.
Toute évolution d’un marché peut créer un effet d’aubaine et l’apparition de nouveaux crimes
ou délits. Les marchés complexes ou diversifiés ont une propension plus importante à faire
apparaître de telles aubaines. La littérature ne lie pas, à une exception près, ces deux variables
à une plus grande corruption.
Cette exception concerne la relation entre les mesures de lutte anticorruption toujours plus
nombreuses, et l’efficacité de la lutte. Il s’agit bien d’une complexification de l’environnement
de l’entreprise. La relation entre complexification des mesures et pertes d’efficacité est un
mécanisme connu dès Tacite (voir p. 50). Elle est au centre de l’œuvre de Carbonnier
76
(1996,
2001). Dans son analyse des dérèglements du droit, il voit deux effets de l’inflation juridique et
réglementaire.
- L’ignorance de la loi :
« Si des lois sont mal connues, la probabilité est accrue qu’elles soient mal
appliquées. Elles s’étouffent mutuellement par leur surabondance. » (Carbonnier
1996, p. 111).
- La dévalorisation de la loi qui se traduit par la désobéissance : il considère que l’économie
souterraine est une réponse à l’inflation des règlements économiques. Cette dévalorisation
se traduit aussi par une multiplication des textes. Dont la complexification ultime est
l’invention des études d’impact par une circulaire de 1996. Si l’idée est d’évaluer l’efficacité
de la loi à venir, une application stricte permet de stopper tout projet.
« La circulaire témoigne peut-être par elle-même, plus qu’elle ne le voudrait, de la
difficulté à maîtriser la passion du droit : pour prévenir l’excès de la norme,
d’autres normes encore. » (Carbonnier 1996, p. 113).
Enfin Carbonnier se pose la question de l’amélioration de la société, comme conséquence du
progrès du droit. Lui-même se complexifiant. Il conclut à une impossibilité de la mesure :
« La notion de progrès, pourtant, en toute matière, ne va pas sans difficulté. De ces
difficultés, l’une des plus notoires est que si le progrès matériel peut être un objet
d’observation, il n’en n’est pas de même du progrès moral. Or le progrès du droit,
76
Voir aussi l’analyse de Carbonnier du droit comme objet fascinant et intriguant, une passion enflammée pour
un droit toujours plus complexe (Carbonnier, 1996).
99
s’il en est un, paraît bien relever de cette sphère de la moralité qui échappe à toute
vérification objective. » (Carbonnier 2001, p. 16).
En reprenant la matrice de Luthans et Stewart, cette partie de la complexité de l’environnement
est une équation où :
- La performance du système, est un progrès sociétal non mesurable.
- Les variables environnementales sont en partie mesurables (nombre de textes réglementaires
et législatifs, taux d’application des textes, modification des procédures qui entourent
l’entreprise, etc.) et en partie ne le sont pas (impact sur l’économie souterraine, ignorance et
dévalorisation de la loi, etc.).
Il y a de l’ironie chez Carbonnier qui, professeur de droit et doyen de l’université de Poitiers,
développe des doutes qui sont aussi des hypothèses
77
. S’il ne parvient pas à les vérifier toutes,
il ne conclut pas à l’inutilité ou à l’inefficacité du droit. En d’autres termes, et cela vaut aussi
bien pour la TC que pour le droit, ce n’est pas parce que la modélisation n’est pas complète
qu’il faut conclure qu’il n’y a pas de modèle ou pas d’effet.
A la suite du projet européen Anticorrp (2017) conduit de mars 2012 à février 2017. Dans un
article séparé, deux des auteurs présentent une partie des résultats.
« La création d'agences anticorruption dédiées a été l'une des principales
recommandations institutionnelles dans les conventions anticorruption à ce jour.
[…] Nous n'avons trouvé aucune amélioration significative dans les estimations
moyennes du risque de corruption après l'introduction d'une agence anticorruption
dédiée. » (Mungiu-Pippidi & Dadašov, 2017, p. 390-392).
« Les restrictions légales sur le financement des partis ne réduisent donc pas les
pratiques de corruption - elles pourraient même inciter à davantage de
comportements illégaux. » (Mungiu-Pippidi & Dadašov, 2017, p. 392).
« L'étendue des réglementations n'est pas significativement associée à un meilleur
contrôle de la corruption […] en moyenne, les pays avec moins de contrôle de la
corruption ont tendance à avoir un cadre réglementaire plus complet et plus
strict. » (Mungiu-Pippidi & Dadašov, 2017, p. 394).
77
L’ironie de Carbonnier est aussi une interrogation sur sa propre discipline « Mais la philosophie du droit étant
le plus souvent l’œuvre de juristes, il est rare qu’elle se donne sérieusement pour tâche d’organiser ainsi le suicide
de la matière. » (Carbonnier 2001, p. 16)
100
Ces résultats doivent être considérés avec prudence : (1) la mesure de la corruption et de ses
évolutions est difficile. Celle de l’efficacité d’une mesure l’est tout autant. (2) Le contexte
européens est particulier : des démocraties, États de droit, avec des systèmes réglementaires et
législatifs déjà très élaborés.
Les études qui tentent de mesurer l’impact de la complexification de l’environnement corruptif
sont rares et partielles en raison de la difficulté à établir des données objectives. Cela nécessite
qu’une réglementation précise et partagée par un panel suffisant préexiste aux mesures (mesures
de la corruption et mesures d’efficacité). Deux études y parviennent. Leurs résultats sont
cohérents avec les conclusions d’Anticorrp :
- Cordis et Milyo (2013) ne parviennent pas à établir de lien entre le renforcement des
législations sur le financement des campagnes électorales au niveau des États et une
augmentation des condamnations aux États-Unis. Leur étude montre une probabilité égale
d’augmentation ou de baisse de la corruption à la suite de ces renforcements législatifs.
« Jusqu'à présent, de nombreux juges et législateurs ont considéré qu'il allait de
soi que les réglementations restrictives en matière de financement des campagnes
électorales étaient une prophylaxie de la corruption publique ; nous démontrons
que cette présomption est sans fondement. » (Cordis et Milyo 2013, p. 30).
- Fazekas et Cingolani (2016), étudient l’attribution des marchés publics dans l’Europe des 27
plus la Norvège et la Suisse sur la période 2009-2014. Ils comparent ces attributions à un
critère composite de « restriction déloyale de la concurrence »
78
calculé sur des données
objectives d’attribution des marchés publics. Leur conclusion est :
« L'effet positif significatif des réglementations du financement politique sur les
risques de corruption dans les marchés publics dans certains modèles suggère
malheureusement qu'elles peuvent être utilisées stratégiquement par les élites
corrompues pour dissimuler leur emprise croissante et particulariste sur les
marchés publics ou pour modifier stratégiquement les règles de la compétition
électorale à leur propre avantage. » (Fazekas et Cingolani 2016, p. 20).
Dans des contextes différents que ceux des États-Unis ou de l’Europe, il est plus difficile
d’isoler la relation entre complexité et corruption. A titre d’exemple, Gulzar, Rueda et Ruiz
78
Critère de « restriction déloyale de la concurrence » inclut la non-publication des appels d’offre, les appels
d’offre envoyés à des compétiteurs présélectionnés, les appels d’offre trop courts pour permettre la soumission
d’une offre pour les compétiteurs les moins bien informés, les critères d’évaluation des offres subjectifs ou non-
quantifiables et les temps d’évaluation des offres trop court.
101
(2021) étudient la relation entre la limitation des contributions aux frais de campagne électorale
et l’attribution des marchés publics en Colombie. Les données qu’ils utilisent sont objectives et
vérifiables (les contributions et les contributeurs ainsi que les données sur les appels d’offre
sont publiques). Ils établissent que plus les contributions peuvent être élevées, plus les gros
contributeurs remportent de marchés publics. Dans le contexte colombien et des régulations
moins contraignantes que dans les deux études citées plus haut, ce résultat est attendu. Mais ce
que les auteurs montrent aussi est une diminution de la qualité d’exécution des contrats, limitée
aux contrats les plus importants. La variable « complexité » est elle-même complexe et ne se
limite pas une transaction « contribution vs. appel d’offre ».
En élargissant la notion de complexité plusieurs indicateurs semblent mieux décrire
l’environnement : l’indépendance de la justice et de la presse, la transparence et les libertés
individuelles semblent diminuer la corruption. Ces variables sont difficiles à mesurer. Mais les
études convergent. Les évolutions des anciennes républiques socialistes depuis 1989 et
maintenant membres de l’Union européenne semblent présenter une baisse de la corruption
d’autant plus importante que les contacts avec les membres plus anciens de l’Union sont forts.
La baisse de la corruption ne s’explique pas seulement par le rapprochement des systèmes
juridiques et réglementaires des nouveaux membres, mais aussi par les rapprochements
culturels et sociétaux (Guasti & Dobovsek, 2011; Millar & Köppl, 2014).
Là encore le manque de précision des données disponibles demande de la prudence. Roland
(2018) compare les évolutions des anciennes républiques socialistes avec la Chine. Il lie la
corruption à l’apparition des oligarques en particulier en Ukraine comme étant un phénomène
nouveau, post socialisme. Il ne sous-estime pas les difficultés des régimes socialistes et de la
Chine. Mais les explique par d’autres mécanismes que la corruption. La critique principale de
cet article n’est pas tant l’analyse de l’auteur, que les données dont il semble disposer.
Lesquelles n’incluent pas la corruption systémique des républiques socialistes depuis leur
origine en Russie et en Chine. La corruption de ces États est consubstantielle à leur complexité :
chaînes de décisions complexes et en opposition, planification découplée de la réalité,
falsification des données pour réaligner les résultats avec ceux espérés (Courtois & al., 1997).
Les évolutions rapides des nouveaux membres de l’Union européenne et l’impact sur la
corruption apparaît à plusieurs reprises dans l’étude qualitative (voir p. 242). Les personnes
interrogées, en particulier les dirigeants et cadres dirigeants (groupe 2), qui tous ont débuté leur
carrière avant 1989, ne perçoivent pas de baisse de la corruption dans ces pays. Mais ils
102
rencontrent également des difficultés à évaluer les évolutions de la corruption de l’époque
soviétique ou celle des pays d’Europe de l’Ouest.
En termes de modélisation, la complexité, seule, ne semble pas être une contingence en lien
avec la corruption. Toutefois l’absence d’amélioration des mesures anticorruption pour les
environnements les plus complexes est l’indicateur de l’inefficacité de mesures anticorruption
prises au niveau de l’environnement extérieur de l’entreprise. Or ces environnements
complexes sont en grande partie des démocraties (schématiquement les membres de l’OCDE),
dont il est attendu plus d’efficacité et un rôle de leader dans la lutte anticorruption.
3.2.2.2 Stabilité
L’incertitude inhérente à la notion de contingence se rapproche de celle d’instabilité. Un
environnement peut être stable ou instable. Pour l’entreprise la stabilité de la corruption sera
liée à la qualité de la transaction :
- Les interlocuteurs sont-ils stables (corrupteurs, corrompus, intermédiaires) ?
- Les termes sont-ils stables (coûts des pots-de-vin, conditions et modalités d’exécution) ?
- Stabilité de la transaction : les mêmes interlocuteurs et les mêmes termes entraînent-ils
toujours un résultat positif et constant ?
Une réponse positive à ces trois questions, sans considération pour leur illégalité, permet
d’assimiler la corruption à un coût variable, comme le serait une taxe calculée à partir du chiffre
d’affaires. La littérature sur la stabilité de la corruption, parle du critère d’arbitraire
79
.
Wei (1997) tente de vérifier l’effet d’une corruption due à l’incertitude sur les investissements
directs à l’étranger (IDE) : La corruption peut-elle être assimilée à une taxe : un coût prévisible,
pourcentage de la transaction ou bien l’incertitude, liée au degré de désorganisation de l’État,
a-t-il un effet sur le niveau de cette taxe (Shleifer & Vishny, 1993) ? L’intérêt de cette étude
79
Le calcul des risques ne fait habituellement intervenir que deux termes : coût unitaire du risque et prévalence.
Le critère d’arbitraire fait alors partie de la prévalence. Toutefois dans le cas de la corruption il est intéressant de
sortir l’arbitraire de la prévalence. Cela permet, à coût et prévalence égaux, de considérer deux effets de la
réalisation du risque corruption : (1) le paiement d’un pot-de-vin peut ouvrir des appétits et entraîner de nouvelles
sollicitations de pots-de-vin provoquant un retard ou une remise en cause de la décision avec leurs coûts afférents.
(2) L’effet du paiement d’un pot-de-vin peut varier et ne pas conduire mécaniquement une décision favorable au
corrupteur : pouvoir réel du corrompu, effets des intermédiaires, complexité et degré de désorganisation de
l’environnement. En d’autres termes une incertitude à ajouter au risque réalisé.
103
est que Wei se limite à des entreprises qui investissent dans des pays étrangers. Elles sont
confrontées à un environnement qui est différent de leur origine.
Wei croise une mesure de la corruption avec un « critère d’arbitraire dû à l’incertitude » dont
l’objectif est d’exprimer la désorganisation de l’environnement en termes de corruption : coût
total, nombre de paiements (de pots-de-vin unitaires), degré de certitude du résultat après
paiement(s). Ses conclusions sont :
« Le résultat est impressionnant. L'effet de l'incertitude sur les IDE est négatif,
statistiquement significatif et quantitativement important. Une augmentation de
l'incertitude du niveau de Singapour à celui du Mexique, au niveau moyen de
corruption de l'échantillon, équivaut à augmenter le taux de taxation des
entreprises multinationales de 32 points de pourcentage. Étant donné que notre
mesure de l'incertitude est susceptible de contenir des erreurs, l'estimation
présentée ici doit être considérée comme une limite inférieure. Par conséquent,
l'effet de second ordre (incertitude) est effectivement de première importance. »
(Wei 1997, p. 15).
Malheureusement l’auteur se base, faute d’autres données disponibles, sur des enquêtes de
ressenti.
(1) D’une part l’enquête « Global Competitiveness Report 1997 » (GCR 1977) du Forum
Économique Mondial (FEM) : 2381 réponses d’entreprises ayant investi dans 58 pays.
Les auteurs établissent alors un « critère d’arbitraire dû à l’incertitude » basé sur des
questions concernant le ressenti des entreprises en termes d’organisation de l’État,
d’efficacité de la dépense, le favoritisme…
(2) D’autre part trois enquêtes de ressenti de la corruption : GCR 1977, le Business
International Index et l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de TI.
Une autre expression de la stabilité est celle d’un effet positif de la corruption pour
l’organisation corruptrice
80
. Deux situations distinctes doivent être considérées :
- Lors de la négociation de nouveaux contrats, le pot-de-vin fait partie pour le fournisseur-
corrupteur des frais de transaction (toutes considérations éthiques, juridiques ou fiscales
mises à part). Le calcul de rentabilité est simple. Il ne s’agit plus d’arbitraire ou d’instabilité.
Cette situation fait partie des enjeux de la corruption pour l’entreprise (voir p. 119).
80
Pour le corrompu, la corruption est toujours profitable, au risque près de perdre sa fonction ou d’être condamné.
104
- Dans le cas de contrats déjà signés, des tiers peuvent exercer une influence sur les
performances en freinant ou en accélérant le projet (obtention de permis de construire,
autorisations diverses). C’est également le cas des renégociations alors que l’entreprise s’est
engagée et ne peut dénoncer le contrat sans perte. Peut-il être moins coûteux ou plus efficace
de payer un pot-de-vin que de ne pas le faire ?
L’effet attendu est celui d’un effet de « graissage des rouages » obtenu par la corruption. Les
expressions de « graissage de patte » ou de « frais de facilitation », sont utilisé comme des
synonymes de « pot-de-vin »
81
.
Deux articles de Méon et Sekkat (2005), et Méon et Weill (2010) fondent les études sur ce
« graissage des rouages », par opposition au « sable dans les rouages ». Ces études de
macroéconomie ne présentent toutefois qu’un intérêt limité pour cette thèse. D’une part car
elles utilisent des indices indirects de la corruption et de la gouvernance, mais surtout car l’objet
de ce chapitre sont les contingences subies par l’entreprise. Toutefois ces deux articles
établissent :
- Que la faiblesse de l’État de droit, l’inefficacité de la gouvernance et la violence politique
ont tendance à aggraver l'impact négatif de la corruption sur l'investissement.
- Que la corruption ralentît encore plus la croissance dans les pays où l'État de droit est faible
et le gouvernement inefficace, même lorsque l'on contrôle l'investissement.
- Que pour les pays les plus inefficaces, la corruption pourrait avoir un effet positif. Mais les
auteurs montrent aussi que pour ces pays la corruption ne renforce que peu ou pas leur
inefficacité. Ce qui tend à montrer qu’ils sont déjà au plus bas.
La conclusion a minima est que la corruption a un effet négatif sur l’entreprise. A l’exception
peut-être des pays les plus désorganisés où certaines entreprises pourraient bénéficier d’un effet
de graissage.
De nombreux articles ont suivi, interrogeant des situations particulières. La sélection qui suit
s’est faite en fonction de leurs apports à la TC.
Dreher et Gassebner (2013) établissent, dans une étude conduite sur des données de 2003 à
2005 dans 43 pays, que les États avec les réglementations les plus complexes et qui exigent les
capitaux de départ les plus élevés sont les moins favorables à la création d’entreprise. Puis ils
montrent que dans ces mêmes pays la corruption a un effet significatif favorable à la création
81
Cette forme de corruption est la plus courante pour la petite corruption (obtention de documents administratifs,
barrages routiers, etc.) qui sort du sujet de cette thèse. Tant que leurs coûts restent négligeables, sont aussi exclus
les paiements de facilitation à la limite entre pourboire et corruption pratiqués dans certains pays.
105
d’entreprise. Les auteurs précisent qu’il n’est pas possible d’établir si un plus grand nombre de
nouvelles entreprises est plus favorable à l’économie : un des effets espérés des régulations est
de trier les entreprises qui échoueront. De plus, la possibilité de la corruption peut encourager
les agents de l’État à créer des obstacles afin de maximiser leurs profits.
Kato et Sato (2014), dans le contexte particulier de l’Inde, de sa bureaucratie pléthorique et
dysfonctionnelle et de sa corruption omniprésente, montrent un effet positif de la corruption sur
la valeur ajoutée par employé, la productivité et l’intensité capitalistique (ratio capital-travail).
Cette étude présente l’intérêt d’être l’une des rares à se concentrer sur l’intérêt de l’entreprise
corruptrice.
B. Zhu et Shi (2019) interrogent des investisseurs de la Chine communiste. Comme le notent
les auteurs, ces personnes sont rompues à la corruption. Zhu et Shi questionnent leur probabilité
d’investissement dans plusieurs pays étrangers fictifs en faisant varier les caractéristiques de la
corruption dont l’arbitraire. Leur conclusion est que la corruption n’a pas d’effet positif (pas de
graissage des rouages). Mêmes pour des investisseurs habitués à la corruption, celle-ci est
considérée plus défavorablement que la désorganisation de l’État. Toutefois si une corruption
prévisible est plus favorable qu’une corruption arbitraire, cela ne vaut que pour les investisseurs
dont les entreprises ont une forte rentabilité : celles pouvant couvrir ces coûts supplémentaires.
Pour les autres le critère d’arbitraire disparaît : seul le coût de la corruption est décisif.
En termes de modélisation de la corruption, la stabilité est une contingence majeure pour
l’entreprise. Pour passer d’une contingence à un risque, elle doit estimer :
- Le nombre de pots-de-vin,
- Le probabilité qu’un paiement fasse naître des appétits,
- Les exigences tardives, la création de nouveaux obstacles après une décision favorable (que
des pots-de-vin aient déjà dû être payés ou non),
- L’effet inconstant du pot-de-vin : décision partielle, retard ou coûts induits.
Cela n’est pas plus simple pour l’entreprise qui refuse la corruption : l’impact du refus n’est pas
non plus certains (hors corruption systémique).
La recherche peine à établir des relations de causalité en raison de la qualité des données. La
corruption comme toute activité contraire à l’éthique ou la loi est dissimulée. La plupart des
106
auteurs identifient cette difficulté et sont prudents dans leur conclusion
82
. Trois phénomènes
l’illustrent :
- La contradiction intrinsèque dans les pays les plus régulés, qui s’ils sont a priori les mieux
armés pour lutter, semblent offrir, par la complexité de leur réglementation, le plus
d’opportunités de corruption.
- Un effet de graissage probable mais limité aux pays présentant à la fois une réglementation
complexe et une désorganisation de l’État suffisante pour que la corruption soit possible.
- Une hypothèse inverse de « sable dans les rouages » qui semble validée d’un point de vue
macroéconomique. Mais qui, au niveau d’une entreprise, demande de considérer de
nombreux facteurs environnementaux (gouvernance, transparence, liberté d’expression,
etc.).
3.2.2.3 Hostilité
« Enfin, l'environnement d'une organisation peut aller du bienfaisant à l'hostile
[…] L'hostilité est influencée par la concurrence, par les relations de l'organisation
avec les syndicats, le gouvernement et d'autres groupes extérieurs, ainsi que par la
disponibilité des ressources. » (Mintzberg 1979, p. 269).
L’hostilité ou la bienfaisance de l’environnement peuvent être considérées du point de vue de
l’entreprise ou de la corruption :
Un environnement non corruptif pour l’entreprise élimine cette contingence. Un environnement
corruptif est hostile en ce sens qu’il expose l’entreprise à la pression des corrompus qui, même
si l’entreprise refuse de payer, peut se traduire par une distorsion de concurrence, à tout le moins
par un doute sur le comportement des compétiteurs, des clients, des fournisseurs et de
82
Certains articles font exception et ne relativisent pas la qualité des indicateurs. Cela peut aller jusqu’à des
variables comme « payez-vous des pots-de-vin ? oui/non » dont les réponses sont obtenues par l’interview de
dirigeants d’entreprises. La question est intéressante et mérite une analyse (peur de répondre, positionnement
comme victime, intentions diverses, etc.). Mais une telle variable ne dit rien de la réalité d’une activité contraire à
l’éthique et la loi, ici le paiement de pot-de-vin. Ne pouvant conclure un article de Iorio et Segnana voit une
simultanéité des effets de graissage et de sable dans les rouages (Iorio & Segnana, 2022). Une autre expression
d’une corruption contingence.
107
l’ensemble des tiers : rien ne dit que les corrompus ont les mêmes exigences pour tous
83
. Cela
suppose un niveau de désorganisation de l’État permettant à la corruption de prospérer.
On retrouve alors les variables de stabilité développées plus haut. Un environnement stable,
grâce à un État puissant même si corrompu permet de rapprocher le pot-de-vin d’une taxe. Alors
que l’instabilité, notamment si l’État est faible, maximise la contingence (voir p. 103 et 129).
L’IBV ajoute une variable : la distance institutionnelle. A la suite de Schleifer et Vishny (1993)
et Wei (1997) – déjà cité au chapitre précédent sur la stabilité – trois articles écrits par des
coauteurs récurrents étudient les stratégies d’entrée sur de nouveaux marchés. (Doh, Rodriguez,
Uhlenbruck, Collins, & Eden, 2003; Rodriguez, Uhlenbruck, & Eden, 2005; Uhlenbruck,
Rodriguez, Doh, & Eden, 2006).
L’article de 2003 montre que les entreprises sous estiment l’arbitraire de la corruption dans le
pays visé alors que les coûts liées à la « simple prévalence » sont bien identifiés. De cela il
découle un manque de réflexion quant aux stratégies pour réduire l’exposition à ce qui n’est vu
que comme un risque stable – comparable à un coût fixe comme le serait une taxe.
En 2005 les auteurs vont plus loin et identifient que si la prévalence est élevée les entreprises
vont se protéger en utilisant un partenaire local afin de mieux s’intégrer au nouveau marché, ce
d’autant plus que l’arbitraire est élevé.
« Bien sûr, la nature de la corruption locale est très importante en soi. Une
corruption très arbitraire augmente la probabilité que les entreprises
multinationales choisissent un partenaire local, car les partenaires locaux
augmentent la légitimité externe. » (Rodriguez, Uhlenbruck, et Eden 2005, p. 393).
L’année suivante le même groupe conduit une étude de 400 projets de télécommunication dans
96 pays en développement (données Banque mondiale). Ils montrent que les entreprises
étrangères choisissent de ne pas prendre de participation locale (entrée sans capital) si la
corruption est plus répandue mais aussi si l’arbitraire est élevé (Uhlenbruck et al., 2006).
De 2003 à 2006 trois articles se succèdent pour parvenir à la conclusion que le critère
d’arbitraire reste sous-estimé. La prise en compte de la distance institutionnelle combinée avec
une forte prévalence, entraine le choix d’une stratégie à investissement direct étranger (IDE)
83
Racket et corruption : bien que les deux doivent être distingués, il faut évoquer ici la proximité de la corruption
avec le racket. Ce dernier est une transaction contrainte (fournisseur ou client captif) par des menaces contre
l’entreprise ou ses décideurs. Une variante consiste à imposer une rémunération à la victime du racket, consacrée
par l’expression « l’argent ou le plomb » (Dal Bo, Dal Bo, et Tella 2006).
108
réduit. Qui de fait limite l’exposition à des poursuites pour corruption. Mais cette approche est
en contradiction avec l’engagement éthique que ces entreprises professent dans leurs pays
d’origine. En allant au-delà de la conclusion des auteurs, tout porte à croire que ces entreprises
n'ont considéré la corruption que comme un risque « à cout fixe » menaçant la rentabilité de
l’investissement comme le ferait une taxation trop élevée. Sans que l’incertitude, conséquence
d’un arbitraire élevée, n’ait été véritablement pris en compte.
Sans la rejeter, la variable de distance institutionnelle pose une difficulté en tant que telle. Elle
permet de caractériser ce qui sépare une organisation d’un environnement nouveau (culture,
contacts personnels, etc.). Mais la distance institutionnelle n’est pas la seule variable qui
intervient dans le critère d’arbitraire. Ni est-il établi que la distance institutionnelle intervienne
toujours.
Certains auteurs se sont posé la question des contingences que l’environnement exerce sur la
corruption. Ils en font une institution informelle, comparable à une infection microbienne dont
le développement et la capacité de contamination des institutions formelles sont conditionnés
par les conditions du milieu : de favorable à hostile à la corruption. La suite de ce chapitre
considérera la corruption comme une institution informelle qui, comme une infection, peut
prospérer si l’environnement lui est favorable. C’est un emprunt partiel à l’IBV. Toutefois
l’objectif reste celui d’identifier des variables de modélisation de la corruption. Il est alors plus
approprié de parler de critère d’arbitraire sans pour autant exclure la distance institutionnelle
développée plus haut.
(1) États corrompus et kleptocraties : en excluant à nouveau les États désorganisés, se pose la
question des États organisés qui favorisent la corruption. Tous ont des législations
anticorruption (Global Compliance News, 2023). Mais ce qui les différentie est la systématicité
des processus de corruption et conséquemment une corruption qui a dépassé le stade endémique
pour tendre vers une corruption systématique.
L’exemple le plus documenté est la Chine
84
. Les travaux de Sébastien Heilmann de l’institut
Merics, spécialisé dans l’étude de la Chine, sont essentiels (Heilmann, 2008, 2013; Heilmann
& Perry, 2011; Heilmann & Stepan, 2016). Les auteurs décrivent :
84
Notamment par de nombreux chercheurs issus de la diaspora chinoise : plus de 50 millions de personnes
émigrées de première génération auxquels s’ajoutent leurs enfants et des populations ethniquement chinoises
installées principalement en Asie du Sud et en Amérique du Nord parfois depuis plusieurs siècles.
109
- Une corruption institutionnalisée, qui draine l’ensemble de l’économie.
- Un État en adaptation permanente, dont le système nerveux – fusion entre le PCC et
l’administration – est fragile. Il s’appuie sur son monopole de la violence pour se maintenir
au pouvoir, mais aussi pour maximiser sa prédation sur l’économie.
La corruption est un outil au service d’un système de gouvernement organisé qui va bien au-
delà de l’enrichissement des dirigeants. Elle permet d’éliminer les menaces : ambitions
individuelles au sein des institutions ou dissidents (Pedroletti, 2019). Elle est utilisée pour
donner le change quand les tensions montent dans la population. Ainsi à son arrivée au pouvoir
en 2012, Xi Jinping lance une vaste campagne anticorruption qui répond aux attentes de la
population excédée (Yuen, 2014). La méthode est efficace, avec un renforcement du pouvoir
central, un meilleur drainage vers celui-ci et une baisse de la captation par les administrations
plus éloignées du centre. Les connections des entreprises privées au pouvoir se renforcent : la
campagne anticorruption rend ces entreprises plus dépendantes : elles ont besoin, plus que les
entreprises d’État, de l’aide du pouvoir central (Alonso, Palma, & Simon-Yarza, 2022; N. Chen
& Zhong, 2020).
Une liste des kleptocraties et des États corrompus ne présente pas d’intérêt pour cette thèse qui
s’attache aux pratiques anticorruption accessibles à une entreprise. Classer un pays dans une
telle liste ne signifie pas, sans analyse plus poussée, qu’il est strictement impossible pour
l’entreprise d’y agir : choix des interlocuteurs (clients, fournisseurs, intermédiaires), modalités
d’organisation, intérêts particuliers, produits uniques protégeant ou exposant à la corruption.
De plus, un interlocuteur corrompu, dans un État lui aussi corrompu, n’est pas nécessairement
un kleptocrate.
Les États favorables à la corruption ne peuvent prospérer qu’avec l’aide, en premier lieu, de
réseaux de dissimulation et de blanchiment, puis en second, de pays qui acceptent des
investissements étrangers sans contrôle efficace. Ces services sont essentiels aux kleptocrates
qui ne peuvent sécuriser le produit de leur corruption qu’en dehors de leur pays. Seul moyen de
se protéger d’une saisie si leur fortune se retournait.
« La kleptocratie, cette forme suractivée de corruption […], est le côté obscur de
la mondialisation. La finance offshore est ce qui la rend possible. » (Bullough 2018,
p. 28).
110
Bullough (2018) décrit la finance offshore comme un ensemble de particularismes
juridiques locaux
85
dont l’objet principal est un service de dissimulation et de blanchiment
contre rémunération
86
.
« Les kleptocraties impliquent toujours de multiples juridictions, c'est pourquoi il
a fallu contourner les contrôles de capitaux de Bretton Woods pour qu'elles
puissent voir le jour. Les fonctionnaires peuvent voler de l'argent au Nigeria,
dissimuler leur propriété de cet argent en Suisse et le dépenser à Londres. Ou bien
ils peuvent voler de l'argent en Guinée équatoriale, le dissimuler aux Bahamas et
le dépenser à Paris. Voler en Afghanistan, cacher à Dubaï, dépenser au Liban.
Venezuela, Panama, Miami. Le schéma peut être reproduit à l'infini. Les méthodes
utilisées pour dissimuler l'origine de l'argent ne sont limitées que par l'imagination
des avocats, des banquiers et des comptables qui font le travail. » (Bullough 2018,
p. 33).
(2) États organisés qui ne luttent que de façon imparfaite contre la corruption. Après les
kleptocraties, cela inclut tous les autres pays. La littérature regroupe trois types d’articles : des
commentaires de la loi, des analyses de l’efficacité de la loi et des études de cas, complétés
parfois de proposition d’amélioration.
85
Principaux particularisme en 2022 : non enregistrement des informations relatives à la propriété, trusts,
fondations, sociétés en commandite.
86
Centres offshore (OFC) : Ce sont des États dont les particularismes juridiques et réglementaires permettent la
dissimulation (secret bancaire, manque de coopération judiciaire, etc.). Ils n’offrent pas ces services seulement aux
kleptocrates. Ils permettent la fraude fiscale et favorisent les trafics (drogues, contrefaçons, espèces en danger,
produits soumis à autorisation d’exportation ou d’importation, etc.). Les OFC sont identifiables notamment par la
traque des abus d’optimisation fiscale. Une étude conduite sur des données de 2015 (98 millions d’entreprises
listées) identifie les pays où les chaînes de participation au capital des entreprises se terminent. Ils sont classés
selon le ratio entre capital entrant sur capital sortant. Vingt-quatre dépassent un ratio de 10 (par ordre décroissant)
: Iles Vierges Britanniques (ratio 5235), Taiwan, Jersey, Bermudes, Iles Caïmans, Samoa, Lichtenstein, Curaçao,
Iles Marshall, Malte, Maurice, Luxembourg, Nauru, Chypre, Seychelles, Bahamas, Belize, Gibraltar, Anguilla,
Liberia, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Guyana, Hong Kong, Monaco (ratio 11). Cinq pays sont les premiers en
termes de volume de capital entrant puis sortant (facilitateurs de la dissimulation des transactions) : Pays-Bas,
Royaume-Uni, Suisse, Singapour, Irlande (Garcia-Bernardo, Fichtner, Takes, & Heemskerk, 2017a, 2017b).
111
L’exemple du « Londongrad » mis en lumière avec les sanctions (Royaume-Uni, 2022b, 2022a)
contre les oligarques
87
russes et biélorusses en février 2022 (les premières sanctions datent de
2014 pour la Russie), est révélateur des opportunités que créent la non-application de la loi.
L’identification des propriétaires immobiliers est une obligation légale au Royaume-Uni,
renforcée en 2016. La répartition des fruits de la prédation entre les oligarques est essentielle à
la protection du régime. Les intérêts économiques du Royaume-Uni sont en opposition avec la
mise en place des sanctions. Malgré l’engagement du gouvernement britannique, celles-ci sont
freinées (Pooley, 2022).
La critique de la non-application de la loi est plus profonde. Elle prend trois aspects qui sont
importants en termes de lutte anticorruption.
Le premier est le principe « de minimis non curat praetor » « la loi ne se soucie pas des petites
choses ». Ne pas poursuivre les infractions les plus petites devient « de minimis non curatur,
de modico in jure non est curandum » « de ce qui est petit je ne cure, les atteintes légères en
droit ne se soignent pas ». Carbonnier montre que ce principe, aujourd’hui généralisé, est
énoncé à l’origine pour le cas particulier du non-remboursement d’un emprunt « surtout si la
restitution demandée doit porter préjudice à une affaire dont la nature ou l'objet est plus
considérable »
88
.
« […] des variantes qui auraient pu estomper son aspect judiciaire, mais qui ont
eu, en récompense, le mérite de montrer qu'il s'agissait bien, brutalement, de dénier
aux affaires de peu d'importance tout accès à la justice, non pas simplement de les
faire renvoyer à une juridiction inférieure ou de les priver d'une voie de recours. »
(Carbonnier 2001, p. 75).
La limite de ce qu’est une affaire de petite importance n’est pas définie. Devant les affaires les
plus complexes (impliquant par exemple plusieurs juridictions), devant le manque de moyen,
cette limite augmente ou les poursuites sont tronquées : poursuite des corrupteurs et non des
87
Les États russes et biélorusses sous les directions de Vladimir Poutine et d’Alexandre Loukachenko sont à la
fois des oligarchies (gouvernement par un petit groupe) et des kleptocraties.
88
Il s’agit de fragments de Callistrate (grammairien, IIe siècle avant J.C.) dont le texte (Livre 1 de l’Édit Monitoire)
est perdu. Mais qui est cité au Digeste de Justinien (IV.1.4 - recueil de citations juridiques) publié à Byzance en
533. Ce document qui rassemble la jurisprudence depuis le début de la république (509 avant J.C) jusqu’à la fin
de l’empire romain (476 après J.C.) propose des solutions juridiques appuyées de citations coupées de leur contexte
(Duco, 2022).
112
corrompus, requalification des faits pour exclure la corruption qui est plus difficile à démontrer
(voir note 3, p. 14).
L’affaire Enron est représentative de cette dissymétrie de l’application de la loi
89
. Aucune
condamnation pour corruption n’a été prononcée, seuls Enron, le cabinet d’audit Anderson et
certains dirigeants de ces deux entreprises ont été condamnés pour escroquerie, fausse
déclaration, délit d’initié ou blanchiment. Toutefois l’enquête a montré que la manipulation du
marché de l’électricité par Enron avait été rendue possible par des modifications de la loi
fédérale. Or 248 sénateurs et représentants ainsi que les partis républicains et démocrates
avaient reçu des contributions d’Enron et d’Andersen ainsi que d’autres entreprises faisant du
secteur de l’énergie un des plus gros contributeurs (Windolf, 2004). Le nombre d’élus,
corrompus potentiels et à des degrés difficiles à démontrer, ont interdit en pratique les
poursuites pour corruption. Windolf dit que la corruption facilite la colonisation du pouvoir
politique par les grandes entreprises et qu’elle réduit l’autonomie des institutions politiques
90
.
Dans cet exemple, la complexité est une contingence telle, que la corruption peut prospérer sans
contrainte (que ces élus soient coupables ou non).
Le deuxième aspect est celui des peines négociées. Il est une conséquence du débat sur une des
fonctions du pouvoir judiciaire : recherche de la vérité ou recherche de la justice.
Certains pays comme les États-Unis ont tranché, poussés (1) par le coût des enquêtes et la
difficulté de démontrer la culpabilité des criminels les mieux organisés. L’objectif est alors de
condamner à une peine juste, même si elle n’est pas liée avec les faits les plus graves et en
89
Voir p. 129, deux articles qui étudient un retournement de cette dissymétrie pour ne poursuivre que les corrompus
(Karna Basu et al., 2016; Kaushik Basu, 2011).
90
Windolf reprend la théorie des systèmes sociaux de Niklas Luhmann. La société se décompose en sous-systèmes
qui ont chacun a un médium : la politique est médiée par le pouvoir légitime, l’économie par l’argent, le judiciaire
par la justice. « La corruption est définie comme un échange entre sous-systèmes dans lequel le code spécifique
d'un système est violé. Les entreprises qui achètent la ‘justice’ ou la ‘politique’ et les politiciens qui utilisent leur
pouvoir pour forcer les scientifiques à produire une vérité politiquement utile violent le code de chaque système
respectif. Au niveau du système, la corruption brouille la différenciation au sein d'un système social en faisant
perdre aux sous-systèmes une partie de leur autonomie. Au niveau des valeurs, la corruption conduit à une perte
de légitimité pour des opérations spécifiques et, au niveau fonctionnel, à l'effondrement des opérations du système.
Si les entreprises achètent des politiciens, le système politique est ‘colonisé’ par les entreprises : les décisions
politiques perdent leur légitimité et la différence entre économie et politique tend à disparaître. » (Windolf 2004,
p. 166).
113
interrompant la recherche de la vérité ; (2) poussé également par la volonté d’éviter à certains
délinquants la récidive, en remplaçant la prison par la réparation et une peine d’intérêt général
91
.
Dans les deux cas, la coopération du mis en cause est nécessaire. Ce qui impose une négociation
de la peine
92
.
Aux États-Unis, ces accords négociés (DPA et NPA
93
) ont été détourné de leur intention
d’origine et sont devenus la norme pour la criminalité en col blanc (Reilly, 2015). L’examen de
l’ensemble des poursuites au titre du « Foreign Corrupt Practice Act » (loi sur la pratique de la
corruption à l’étranger - FCPA)
94
montre que toutes se sont conclues par des sanctions
négociées, la presque totalité limitée à des amendes réduites, sans commune mesure avec le
préjudice subi, notamment par les entreprises ayant perdus des contrats en raison des pots-de-
vin versés par leur concurrents (Stanford Law School & Sullivan & Cromwell LLP, 2022).
Il s’agit d’un affaiblissement de la fonction répressive de la loi : des sanctions diminuées par
rapport à la loi, la condamnation des organisations à des peines d’amende, sans condamnation
des individus responsables, avec comme objectif de ne pas affecter l’activité.
En septembre 2015, Sally Yates, alors procureur général adjoint des États-Unis, publie un
rappel (dit « mémorandum de Yates ») sur l’importance d’une application entière de la loi,
notamment des poursuites contre les individus responsables lors de délits financiers. Elle insiste
91
Code de procédure fédéral des États-Unis (U.S. Attorneys’ manual) 9.22.010, cité par Reilly (2015). En juin
2022, cet article est encore en application.
92
A l’exemple d’Al Capone qui plaide coupable pour fraude fiscale en 1931 et se voit condamné à 17 ans de prison
et à une amende de 50000 dollars. L’amende est insignifiante par rapport aux montants fraudés. Mais Capone est
définitivement emprisonné, ce qui était le vrai enjeu.
93
DPA et NPA « deferred prosecution agreement » et « non-prosecution agreement » sont des accords entre un
mis en cause (personne physique ou morale) et le procureur sous conditions : accord de poursuite différé et accord
de non-poursuite. Ceux-ci incluent typiquement la reconnaissance de la faute, le paiement d’amende, des réformes
internes et une coopération totale avec la justice. Si les conditions sont remplies, les poursuites cessent. Il s’agissait
à l’origine d’accélérer les procédures pour limiter le coût de la justice et de limiter les conséquences négatives
pour les tiers (employés, actionnaires, clients, fournisseurs, etc.).
94
Le FCPA est une loi états-unienne de 1977 qui vise la corruption d'agents publics à l'étranger par des entreprises
ou des individus ayant un lien, même ténu, avec les États-Unis. Son utilisation, notamment contre des entreprises
européennes, a conduit à la considérer comme une loi supranationale et un instrument de distorsion de la
concurrence à l’avantage des entreprises états-uniennes. Toutefois les entreprises concernées sont bien coupables
de corruption et sur un total de sanctions cumulé de 28,165 milliards de dollars, 48% (13,411 milliards de dollars)
ont été reversés à des pays étrangers dans le cadre de coopérations judiciaires (Stanford Law School et Sullivan &
Cromwell LLP 2022, données collectées le 2 juin 2022).
114
sur l’importance de la fonction répressive pour créer un effet dissuasif menant à un changement
de comportement des organisations (Yates, 2015).
Reilly (2015) dans une analyse qui suit immédiatement le « mémorandum de Yates » montre
que les organisations anticipent des sanctions à la fois réduites et n’affectant que les
organisations et non leurs décideurs : un coût maîtrisé (l’amende négociée) multiplié par une
faible probabilité de détection. Il sera comparé à l’opportunité, en termes de création de valeur,
que permet le paiement d’un pot-de-vin.
« Les entreprises sont heureuses de conclure ces accords de poursuites différées
parce que c'est devenu tellement banal maintenant. Elles subissent la presse
pendant un temps limité. Les marchés boursiers ne semblent même pas les punir. »
(Reilly 2015, p. 355).
C’est l’autre critique de Reilly qui montre que le risque est plafonné. Il ne peut avoir de
conséquence sur les tiers (autres entreprises, investisseurs, employés, économie locale, etc.).
L’affaire Airbus est emblématique. Cette entreprise est poursuivie par les États-Unis, auxquels
se joignent le Royaume-Uni et la France, pour des faits répétés de corruption d’agents d’une
dizaine d’États. Airbus accepte en janvier 2020 de payer une amende de 3,9 milliards de dollars.
Ce qui correspond à environ un an de résultat net. L’observation du cours de l’action sur la
période 2015-2020 montre qu’il n’est affecté que pendant environ 6 mois : après l’annonce en
2019 qu’une enquête est en cours depuis 2016. Puis le cours se rétablit et reprend sa progression
comme précédemment. L’annonce de l’amende début 2020 ne ralentit pas la progression de
l’action. Les corrupteurs, pourtant clairement identifiés, ne sont pas poursuivis (certains
responsables de second rang démissionnent). A aucun moment l’entreprise n’a vu ses positions
en termes de création de valeur, d’accès aux marchés ou de profitabilité, impactées
(Guillermard, 2020; Ministère de la Justice, 2020; US department of justice, 2020).
Dans cet exemple, il faut se féliciter que les justices des trois pays aient accepté un « accord
raisonnable ». Des condamnations à hauteur des préjudices (éventuellement renforcés de
dommages punitifs comme le permet la loi états-unienne) auraient eu des conséquences
catastrophiques pour Airbus et son environnement économique. Il n’en reste pas moins que le
calcul du risque « obtention de marchés contre pot-de-vin » a été profitable pour Airbus au
détriment principalement de Boeing.
On retrouve ici le moindre mal de Machiavel (voir p. 30) avec un effet de contagion : puisque
les entreprises corruptrices doivent être protégées en raison d’intérêts supérieurs (raisonnables
et réels) elles ne sont plus soumises à la règle commune : le droit positif.
115
« Les individus et les entreprises évitent les poursuites, et le reste de l'Amérique
paie un prix certain et coûteux pour cet évitement. Une justice différée
95
pour un
groupe restreint d'individus et d'entreprises signifie une justice refusée au reste
d'entre nous. » (Reilly 2015, p. 307).
Concernant la contingence « hostilité » pour l’institution informelle qu’est la corruption, cette
justice négociée limite – élimine selon Reilly – l’effet dissuasif et donc préventif de la loi. En
d’autres termes, des intérêts supérieurs à la lutte contre la corruption deviennent si dominants
qu’ils entraînent un affaiblissement de l’institution judiciaire qui ne recherche plus ni la justice,
ni la vérité mais un compromis financièrement sans conséquence durable pour l’organisation
corruptrice et son environnement économique.
En retournant la perspective, une entreprise confrontée à un tel environnement institutionnel ne
trouvera pas de soutien l’aidant à prévenir ou à anticiper la corruption. Elle pourra toutefois
espérer être protégée si elle cède à cet environnement corruptif.
L’affaiblissement des institutions est étudié par Capasso, Goel et Saunoris (2019). Ils
décomposent l’anticorruption en 3 facteurs : le cadre institutionnel (les gencives), l’application
de la loi (les dents) et le taux de condamnation (la morsure).
« L'idée principale est que si l'application des lois n'est pas nécessairement efficace
pour lutter contre la corruption, la qualité du cadre institutionnel est une condition
nécessaire pour réduire la corruption. Cela se produit à la fois parce que
l'application des lois peut drainer (évincer) les ressources publiques d'autres
investissements publics utiles, et parce que le cadre institutionnel en est le cadre
contingent (les institutions sont donc les « gencives » dans lesquelles les « dents »
sont fixées). » (Capasso, Goel, et Saunoris 2019, p. 330).
Le troisième et dernier aspect d’affaiblissement des institutions est l’impunité des corrompus.
Dans la relation entre corrupteur et corrompu, le corrompu est par définition une personne
physique qui trahit sa fonction par intérêt personnel. Tous les corrompus ne sont pas des agents
95
Reilly fait référence à l’accord de poursuite différé qui se conclut par un abandon des poursuites si les conditions
de l’accord sont respectées.
116
de l’État. Ils peuvent travailler pour une entreprise privée ou être bénévoles d’une association
(décisionnels des services achats et finance par exemple)
96
.
Thompson (2013) part du constat que si les États ne cessent de renforcer leurs législations
anticorruption, l’application de ces lois est inconstante.
« Le monde ne prend pas encore au sérieux l'élimination de la corruption. Si le
monde était sérieux […] les gouvernements des pays riches, ainsi que les
institutions internationales du monde entier, auraient étudié les moyens d'éduquer
et de faire respecter la loi de manière efficace ; et les résultats de la mise en œuvre,
tant du côté de l'offre que de la demande de l'équation de la corruption, seraient
évidents dans tous les pays. […] La vérité est qu'il y a assez de conventions, assez
d'argent et assez de prisons, mais malheureusement, il y a aussi beaucoup de
fonctionnaires et de politiciens corrompus. » (Thompson 2013, p. 57).
En reprenant les données du FCPA, l’analyse de Thompson reste valable en juin 2022. A
l’exception de quelques cas où il est difficile de distinguer entre corrompu et intermédiaire, les
sanctions concernent presque exclusivement les corrupteurs et les intermédiaires (personnes
physiques ou morales). Il faut aussi noter que ces affaires portent toujours le nom du corrupteur
(affaires Airbus, Siemens, Novartis…). Parfois le titre du dossier indique le pays du ou des
corrompus. Mais qu’aucune sanction n’ait été prise contre eux.
La difficulté de poursuivre est d’autant plus grande que les échanges entre les États sont de plus
ou moins bonne foi. Ainsi, en 2007, alors que plusieurs entreprises allemandes (Siemens,
96
Sans exclure le cas particulier des régimes socialistes. L’absence d’entreprise privée en Chine ou le cas des
anciens pays du pacte de Varsovie, donc la faiblesse des institutions face à la corruption ne semble s’améliorer
que lentement, y compris pour ceux qui ont rejoint l’Union européenne (Millar & Köppl, 2014; Zagaïnova, 2008).
Dans ces économies dirigées (ou qui l’était il y a peu), la corruption institutionnalisée est plus simple à analyser
en raison de l’absence d’institution externe au régime. Werth définit trois phases pour l’Union soviétique. « Il faut
en effet, quand on parle du développement de la corruption dans le système soviétique, bien distinguer trois
phases : 1) avant l’établissement de la NEP [Nouvelle politique économique], on a vu se perpétuer une corruption
que l’on pourrait qualifier ‘d’ancien régime’ ; 2) sous Staline, les bases économiques d’une corruption à grande
échelle ont été posées, avec l’instauration de la planification. Mais, du fait des purges massives dans l’appareil
du parti, de l’instabilité des carrières, de la répression menée par le pouvoir central à l’égard des potentats locaux,
les réseaux d’une corruption proprement politique n’ont pu se mettre en place ; 3) l’ère brejnévienne, entre 1965
et 1980 principalement, a été l’âge d’or de la corruption, marquée par une consolidation des nomenklaturas
locales et l’apparition de véritables mafias politico-économiques. Mais, sur le plan strictement économique, il y a
bien une permanence : c’est toujours selon le même processus, qui a perduré jusqu’à nos jours, que se font les
trafics. » (Werth 2019, p. 439).
117
Daimler, BMW et Volkswagen) viennent de faire l’objet de perquisitions, Wolfgang
Schaupensteiner, procureur de Francfort déclare :
« La mondialisation est devenue un moteur de la corruption en Allemagne.
[…] Elle crée un potentiel dangereux si on ne la contrôle pas. » (Dougherty 2007,
p. 1).
En 2007, au moment où ses propos sont recueillis, Schaupensteiner enquête sur plusieurs
dossiers de corruption dans la fonction publique allemande. Dix ans auparavant, il a été un des
initiateurs de la loi de 1997 « Loi de lutte contre la corruption » (Bundestag, 1997), qui renforce
l’équilibre de la concurrence et supprime la déductibilité fiscale des pots-de-vin versés par les
entreprises allemandes à l’étranger. Schaupensteiner sait l’existence d’une corruption ancienne,
initiée par des entreprises et des agents de l’État allemands et sans lien avec la mondialisation.
Il n’ignore pas non plus que des entreprises allemandes majeures - celles précisément contre
lesquelles il enquête - participent au développement de la corruption internationale.
Avec une ironie peut être volontaire, Thompson, à la suite de sa citation, poursuit :
« Au lieu de cela, les États-Unis font cavalier seul dans leurs efforts de mise en
œuvre et semblent même hypocrites puisqu'ils n'ont pas emprisonné ou mis en
faillite quelqu'un d’important. » (Thompson 2013, p. 57).
Jusqu’à présent l’ensemble des évolutions législatives dans les pays de l’OCDE ne visent qu’à
sévériser ou à complexifier les outils juridiques et réglementaires de lutte contre la corruption.
En Europe ces renforcements sont peu probants (voir p. 99). Deux propositions de loi originales
pourraient avoir un effet dissuasif et donc préventif. En juillet 2022, elles ne sont effectives
dans aucun pays. Elles présentent l’intérêt pour cette thèse d’impliquer le décisionnel de
l’entreprise.
(1) La possibilité pour les tiers lésés de demander réparation auprès des corrompus. La
probabilité qu’une telle procédure aboutisse, malgré les conventions déjà signées en ce sens par
la plupart des pays de l’OCDE, est très faible, en particulier si les intérêts d’États sont attaqués
(Carrington, 2010). En reprenant l’exemple du dossier Airbus, il est probable que les clients ont
été lésés : les décideurs « achat » ont trahi leurs fonctions et n’ont sans doute pas obtenu les
meilleures conditions. Mais il est certain que le concurrent d’Airbus, Boeing, a perdu plusieurs
dizaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires. Airbus est devenu le premier avionneur
civil mondial grâce en partie à la corruption, renforçant son image par cette position même.
Comme développé plus haut, une telle demande d’indemnisation serait en contradiction avec
l’importance pour la survie d’Airbus d’un accord raisonnable (voir p. 114) à moins de
118
transformer tout ou partie de l’amende en indemnité. Et donc de n’indemniser Boeing que pour
une part négligeable du préjudice.
(2) La dépénalisation du corrupteur pour ne poursuivre que le corrompu (Kaushik Basu, 2011),
éventuellement renforcé par un remboursement du pot-de-vin augmenté d’une prime au
corrupteur s’il dénonce le corrompu (Karna Basu, Basu, & Cordella, 2016). En rendant la loi
asymétrique et en retournant la pratique de ne poursuivre que les corrupteurs, il s’agit
d’augmenter la détectabilité de la corruption, sans augmentation des coûts d’enquête et de
justice supportés par l’État.
L’article de Karna Basu, Basu et Cordella montre que la corruption ne baisse qu’aux conditions
(1) que la prime au dénonciateur soit suffisamment élevée, (2) que le coût de la détection de la
corruption soit faible. En d’autres termes, que la menace de dénonciation par le corrupteur soit
réelle et que l’État soit suffisamment efficace pour qu’une dénonciation par l’entreprise
corruptrice et protégée se transforme en condamnation du corrompu, (3) que les enjeux soient
faibles : pour qu’il ne puisse pas y avoir un effet d’accumulation et qu’une dénonciation ne soit
pas compensée par un nouveau pot-de-vin augmenté lors de la transaction suivante.
Le modèle développé permet aux auteurs de faire varier ces trois conditions. Le coût de la
détection est la condition principale : Dans le cas des kleptocraties, ou dans les pays
particulièrement désorganisés la deuxième condition « coût de la détection » n’est pas remplie
et une dénonciation à l’initiative du corrupteur sera sans effet.
La contingence d’hostilité, ici considérée comme l’absence d’hostilité de l’environnement
envers l’institution informelle « corruption », est la plus importante des contingences. Elle est
identifiée comme telle et de nombreux pays y concentrent leurs efforts.
Ils le font par l’outil le plus évident, le plus immédiat, celui dont la fonction même est de
combattre la corruption : la loi. Pourtant les conditions d’efficacité ne sont pas toutes
juridiques :
- L’environnement doit être suffisamment organisé pour permettre l’application de la loi. Les
États les plus désorganisés ne répondent bien entendu pas à cette condition.
- L’objet de l’État ne doit pas être de favoriser la corruption : les kleptocraties et la plupart
des régimes autoritaires ne répondent pas à cette condition.
- Les environnements les plus complexes voient une perte d’efficacité de la loi. Tout indique
que la plupart des membres de l’OCDE ont dépassé ce point.
Toutefois la condition la plus présente et la plus limitante, celle qui bloque de nombreuses
actions anticorruption, rend la dissuasion inefficace, casse tout effet préventif, est que la
119
corruption est avant tout un problème éthique. Elle ne se limite ni à un questionnement
juridique, ni à un calcul économique. Quelle que soit la culpabilité des uns ou des autres, les
pertes ou profits causés, la recherche d’une solution éthique, après les faits, demande de
considérer toutes les conséquences.
Cela se traduit, en termes de variable d’hostilité pour une entreprise entrant sur un nouveau
marché, par une vulnérabilité accrue : Si elle est victime d’une corruption externe, étant
nouvelle sur ce marché, elle aura moins à perdre. Son élimination du marché sera, toutes
conséquences considérées, de moindre impact que la protection de ce qui préexistait à son
arrivée : un environnement éthiquement hostile
97
.
3.2.2.4 Enjeux et ressources
Miller, Droge, et Toulouse (1988) ajoutent aux variables de contingence de l’environnement de
Mintzberg les enjeux et les ressources (voir p. 97). Ils peuvent être internes ou externe à
l’organisation.
Le corpus qui traite des variables enjeux et ressources s’étend au-delà de l’économie ou de la
philosophie morale. Ce sujet fait l’objet de recherche en géopolitique, sciences politiques et
sociologie. Pour rester dans des limites raisonnables de longueur, la revue de la littérature a été
ici limitée aux problématiques les moins tranchées ou les plus complexes en termes de prise de
décision par l’organisation.
L’enjeu le plus constant pour une organisation est son obligation de résultat. Elle s’impose à
une entreprise privée dans sa relation avec ses investisseurs et plus largement avec toutes les
parties prenantes (employés, fournisseurs, clients, élus, État, etc.). Elle s’impose aussi à une
association humanitaire qui s’engage à utiliser, par exemple, des dons pour un usage précis.
97
Hulpke (2017), fait le même constat de l’échec de la dissuasion. En reprenant le cas de la fraude à la pollution
par le groupe Volkswagen, il considère ce qu’aurait signifié une « peine de mort de l’entreprise » « corporate
death penalty ». Il combat l’argument que les conséquences auraient été globalement défavorables en soutenant
que des entreprises meurent régulièrement à la suite d’échecs commerciaux entrainant un rééquilibrage des
marchés. Toutefois l’auteur ne considère pas la compétition entre les nations. Avant le scandale, tout indique que
les autorités allemandes ont été, à tout le moins laxistes, dans la définition et le contrôle des certifications
antipollution. Lors de la crise, la politique poursuivie mordicus a été de protéger une des plus grosses entreprises
allemande (Gude, Hawranek, Traufetter, & Wüst, 2015). Il n’en reste pas moins que seule une « peine de mort de
l’entreprise » semble être capable de créer un effet dissuasif.
120
Pour ces deux types d’organisation cette obligation est éthique. Elle intègre l’ensemble des
parties prenantes et ne doit pas être confondue avec une obligation légale ou réglementaire
98
.
Est-il profitable de payer un pot-de-vin ? Est-il possible de respecter l’obligation de résultat
sans payer ? Si de meilleurs résultats économiques peuvent être obtenus grâce à la corruption
alors les décideurs d’une entreprise privée peuvent lier le refus de la corruption à un coût (perte
de chiffre d’affaires, baisse de rentabilité, etc.). Si cela peut être établi, la corruption en termes
d’enjeu de rentabilité, n’est plus une contingence mais un risque par élimination de
l’incertitude. Un calcul de sévérité est possible.
Il s’y ajoute les conséquences éthiques du refus de la corruption. Ainsi une décision basée sur
le principe unique du « refus de payer un pot-de-vin » est strictement déontologique (impératif
kantien) et ignore les conséquences négatives ou positives de ce refus.
Cheung, Rau et Stouraitis (2021) étudient la relation entre le paiement de pots-de-vin et la
valorisation de l’entreprise. Leur conclusion est qu’une augmentation d’un pot-de-vin de 1
dollar est associé à une augmentation de la valorisation de 6 à 9 dollars. Leur échantillon de
195 cas documentés de corruption B2G pose des difficultés statistiques. Ainsi l’augmentation
de valorisation citée plus haut est calculée à partir de valeurs d’augmentation de capital de +143
millions de dollars en moyenne avec un écart type de 1790 millions de dollars et une médiane
de +1,8 millions de dollars.
Presque la moitié des cas étudiés ont vu une baisse de valorisation. Quelques cas ont été très
profitables plaçant la moyenne au-dessus de la médiane. L’écart type, plus de dix fois supérieur
à l’écart entre moyenne et médiane, indique la grande dispersion des résultats. Enfin le fait que
ces cas soient connus pose la question de leur représentativité.
Cette incertitude se retrouve lors de la vérification d’hypothèses « rentabilité du pot-de-vin
comme fonction de l’environnement de l’entreprise ». Les auteurs croisent leurs premiers
résultats avec des indicateurs de gouvernance de TI et de l’OCDE. Leur modèle corrèle une
baisse des avantages à la suite du paiement d’un pot-de-vin avec les pays plus transparent et
ceux où l’État de droit est meilleur. Mais il ne corrèle pas cette baisse avec une meilleure
application des lois anticorruption.
98
Les lois et règlementations sur l’obligation de résultat diffèrent significativement selon les pays autour de deux
questionnements principaux : (1) obligation de moyens ou obligation de résultat et, (2) usage approprié des
moyens. Cela affecte par exemple la définition de l’abus de bien social, l’obligation ou non pour une entreprise de
générer du profit et de payer l’impôt, la rémunération des intermédiaires, etc.
121
Il faut donc prendre ces résultats avec distance et contrairement à la conclusion des auteurs voir
que la corruption est bien une contingence et non un risque : l’incertitude quant aux résultats
ne peut être remplacée par une probabilité d’occurrence. Par ailleurs pour les 195 cas cités, rien
n’est dit des conséquences à plus long terme pour les entreprises et les agents des États mis en
cause. Plus brutalement, si ces cas de corruption ont été identifiés, c’est que les mis en cause se
sont moins bien débrouillés que les autres.
Zeume (2017) cité à plusieurs reprises dans l’article précédent utilise une approche comparable.
Son article souffre de la difficulté habituelle à mesurer la corruption qu’il remplace par une
variable « d’exposition à la corruption ». Elle combine la présence de filiales en dehors du
Royaume-Uni avec l’IPC de TI. Toutefois, une partie de l’étude n’utilise pas cette variable en
analysant les variations anormales de valorisation boursière au moment de l’introduction du
« U.K. Bribery Act », la loi sur la corruption au Royaume-Uni en 2011 (UKBA)
99
. En
comparant 1097 entreprises britanniques avec 9487 non-britanniques (dont une partie est
soumise au UKBA en raison de filiales au Royaume-Uni), Zeume observe des écarts de
valorisation en fonction de l’exposition au UKBA :
- Baisse relative des entreprises britanniques avec l’introduction de la loi.
- Baisse relative mais moindre des entreprises non-britanniques à filiales au Royaume-Uni.
- Augmentation des entreprises non exposées au UKBA.
L’explication la plus simple est une réponse négative du marché à l’UKBA sans lien avec la
corruption. Toutefois en faisant intervenir la variable d’exposition à la corruption, Zeume
parvient à établir un effet statistiquement significatif d’une augmentation de la valorisation
attribuable à la corruption (en tant que variable isolée).
Qi et al. (2020) étudient des entreprises originaires de pays fortement corrompus en utilisant les
données déclaratives d’entreprises rassemblées par la Banque mondiale dans les économies
émergentes. Ils établissent que le développement à l’export des entreprises est favorisé par une
corruption plus importante dans le pays de départ. Cet effet est plus important que l’avantage
99
« U.K. Bribery Act » (UKBA), voté le 8 mars 2010. Il renforce la lutte contre la corruption. Son apport est de
créer un délit de corruption d’agent étranger (reprenant ainsi de FCPA des États-Unis). Cette loi crée surtout un
délit de non-prévention de la corruption, non limité dans le temps. Elle demande que des moyens appropriés,
reprenant les principes C2 soient mis en œuvre. En 2010, l’inefficacité de ces principes est déjà connue. Toutefois
l’article de Cheung, Rau et Stouraitis montre que l’UKBA a eu à minima un effet anxiogène anticorruption.
122
compétitif que ces entreprises obtiennent, grâce à la corruption, dans ce même pays de départ.
A la condition toutefois que la corruption dépasse un niveau minimum.
Qi et al. s’inspirent d’un article de Olney (2016) qu’ils citent. Alors qu’Olney utilise la même
source de la Banque mondiale (données déclaratives d’entreprises originaires de pays
émergents), ses résultats sont sensiblement différents : La corruption de l’environnement
augmente la probabilité que l’entreprise exporte. Elle augmente aussi la probabilité qu’elle
exporte grâce à un intermédiaire. Mais elle diminue la probabilité que l’entreprise exporte par
elle-même.
Plusieurs éléments réduisent la pertinence des conclusions de ces deux articles.
- Les données sont déclaratives. Une vérification des données mise à disposition par la Banque
mondiale montre en juin 2022 que les réponses sur l’importance de la corruption (coût du
pot-de-vin, probabilité, etc.) sont instables. Par exemple l’incidence de la corruption à
Madagascar passe de 11,6% en 2009 à 32,9% en 2013 alors que rien ne peut expliquer une
telle variation. D’autres données sont irréalistes. Au Rwanda, qui est un modèle de
kleptocratie, seules 7% en 2006 et 6,9% en 2011 des entreprises déclarent avoir reçu au
moins une demande de paiement de pot-de-vin
100
. Voir également la note 51 p. 59 sur la
falsification des données en Chine).
- Le choix de se limiter aux pays émergeants sélectionne des économies de production, plutôt
de faible technologie, et dont la part d’entreprises exportatrice est limitée par d’autres
facteurs, comme par exemple, les moyens logistiques.
Avec une méthodologie proche de Qi et al., Song (2022) propose un modèle qui lie
internationalisation des entreprises chinoises (vers des marchés moins corrompus) avec un effet
de baisse de la corruption en Chine. Là encore la qualité des données, notamment le lien entre
la baisse de l’IPC de la Chine entre 2012 et 2022 et une baisse réelle de la corruption, limite la
100
Cet article « Obéissance ou fuite : Examen des influences contingentes de la corruption sur les exportations
des entreprises.» (Qi et al., 2020) présente une particularité : les auteurs sont tous basés dans des universités
chinoises d’élite (top 5% dit « projet 211 »). L’usage de la base de données déclaratives de la Banque mondiale,
par des auteurs qui publient, dans une revue reconnue, un article sur la corruption pose de nombreuses questions.
Les auteurs ne peuvent ignorer, ne serait-ce qu’en lisant les données disponibles pour leur propre pays, que la
qualité de la source pose un problème. Celle-ci indique qu’en 2012 (seule donnée disponible), 11,6% des
entreprises chinoises déclarent s’être vu réclamer un pot-de-vin. Cette valeur est en contradiction avec la corruption
systémique et systématique chinoise.
123
portée de l’étude
101
. Il n’en reste pas moins que le modèle de Song montre l’effet positif que
pourrait avoir une lutte anticorruption efficace hors de Chine sur les entreprises exportatrices
chinoises.
Si ces cinq articles (Cheung et al., 2021; Olney, 2016; Qi et al., 2020; Song, 2022; Zeume,
2017) présentent des faiblesses en raison de la qualité des données, la divergence de leurs
résultats illustre ce que la modélisation de la TC avait déjà identifié : la multitude des variables
ne permet pas de résolution simple. Mais ces articles indiquent des solutions partielles et des
points d’observation.
- La valorisation de l’entreprise (Cheung et al., 2021; Zeume, 2017) mesure la confiance du
marché dans la capacité de l’entreprise a créer de la valeur. La révélation d’un cas de
corruption peut réduire cette confiance et atteindre durablement la réputation.
- La décision d’une entreprise de se développer sur un nouveau marché peut être due à la
nécessité de fuir un marché d’origine trop corrompu (Olney, 2016; Qi et al., 2020). Song va
jusqu’à émettre l’hypothèse d’un effet anticorruption dans le pays d’origine corrompu :
l’entreprise pour conserver sa réputation sur ses nouveaux marchés ne peut plus l’accepter
sur son marché d’origine (Song, 2022).
Dans une autre perspective, certains enjeux peuvent être extérieurs à l’organisation. Dans sa
déclaration introductive à la chambre des représentants des États-Unis, parlant de l’importance
de la lutte anticorruption, Madame Marie Yovanovitch, ancienne ambassadrice des États-Unis
en Ukraine, présentait la corruption ainsi :
« Pourquoi est-ce important ? Pour faire simple : les efforts de lutte contre la
corruption servent les intérêts de l'Ukraine. Ils servent également les nôtres. Les
dirigeants corrompus sont par nature moins dignes de confiance, tandis qu'une
direction ukrainienne honnête et responsable rend le partenariat entre les États-
Unis et l'Ukraine plus fiable et plus précieux pour les États-Unis. Des règles du jeu
équitables dans ce pays stratégiquement situé - dont la masse continentale
européenne n'est dépassée que par la Russie et dont la population est l'une des plus
importantes d'Europe - créent un environnement dans lequel les entreprises
américaines peuvent plus facilement commercer, investir et profiter. La corruption
101
Song croise l’IPC avec d’autres indicateurs économiques chinois. Mais la falsification des données statistiques
par les autorités chinoises ne permet pas de validation.
124
est également une question de sécurité, car les fonctionnaires corrompus sont
vulnérables à Moscou. En bref, il est dans notre intérêt de sécurité nationale d'aider
l'Ukraine à se transformer en un pays où l'État de droit règne et où la corruption
est tenue en échec. » (Yovanovitch 2019, p. 3-4).
Yovanovitch décrit la corruption comme une perte de confiance, un environnement moins
facile. Dans cet environnement, les fonctionnaires sont vulnérables. Pour les entreprises, il ne
s’agit pas d’un risque quantifiable mais bien d’une contingence par la complexité de la
corruption en Ukraine et par le jeu d’influence russe.
La dernière perspective de ce développement non exhaustif des variables enjeux et ressources
est celle des associations à objectifs sociétaux ou humanitaires. Elle permet de faire ressortir
des enjeux internes non liés au profit.
Le témoignage d’une des personnes que nous avons interviewées présente un cas simple : si
pour dédouaner un container de médicaments dans un pays en crise un pot-de-vin est exigé,
alors payer, du point de vue de cet humanitaire est nécessaire. C’est sans doute aussi la meilleure
solution éthique (sans ignorer la conséquence négative de perpétuer la corruption en s’y
soumettant). Le cas de L214 est un exemple plus discutable. Cette association se donne comme
missions de :
« Soulever la question animale auprès des citoyens et dans le débat public. Faire
reculer les pires pratiques d’élevage, de transport et d’abattage. Promouvoir
l’alimentation végétale pour réduire le nombre d’animaux tués. » (L214, 2022).
Portée par un petit nombre de membres très engagés, L214 se focalise sur ses objectifs. Elle
agit avec conviction négligeant toute autre partie prenante (associations ou entreprises ne
partageant pas ses idées, plus largement les institutions considérées comme des obstacles). Cela
se traduit par des actions illégales toujours plus violentes : menaces de mort, destructions de
biens privés ou publics, agressions, apologie de crime, etc. Ce faisant L214 connait des
difficultés de financement. : la violence de ses actions la coupe d’une partie de son audience.
A partir de 2017, L214 commence à recevoir des dons d’une association états-unienne, l’OPP
(1,14 million d’euros en 2017). Une série d’enquêtes révèlera que derrière l’OPP se trouvent
des entreprises de production d’aliments de substitution à la viande (culture de cellules et
125
préparation végétale). Elles-mêmes financées par des dirigeants de la Silicon Valley dont
Dustin Moskovtiz, Mark Zukerberg et Jan Koum
102
(Colnet, 2021).
L214 est un exemple de la puissance des variables enjeu et ressource sur une organisation. Il
n’est pas établi que les versements de l’OPP puissent être qualifié – au sens juridique – de
corruption. Toutefois l’appauvrissement de l’engagement éthique de L214, qui se limite à une
cause, est une carricature de ce que certains reprochent aux entreprises privées : ne penser qu’à
leur profit. Cette « vision en tunnel », ici par la contingence de l’environnement sur
l’organisation, est plus marquée quand elle se complète d’un aveuglement volontaire ou par
ignorance des décideurs de l’organisation. Ce point sera repris au chapitre 4 , p. 133.
Le choix de regrouper les variables enjeux et ressources dans ce chapitre, reprend le processus
de prise de décision des organisations. Quels moyens, pour quels objectifs et conséquemment
quels sont les moyens disponibles ? et la réflexive : considérant les moyens (qualitatifs et
quantitatifs) disponibles, quels objectifs peuvent être fixés ?
En reprenant le cas d’une prise de contrôle d’une entreprise sans échange de participation
(Labic, 2021), la ressource ressort comme une variable déterminante. Cette filiale chinoise
d’une entreprise états-unienne ne parvenait pas à se développer, alors que par un jeu de
participations croisées, elle payait les pots-de-vin exigés (5 à 15% du chiffre d’affaires). En
2006, l’entreprise prend la décision de nommer un nouveau directeur général Chine, fils d’un
prince rouge (voir p. 54). En 18 mois il retourne la situation. La présence du PCC est renforcée.
Les difficultés d’embauche disparaissent. Le plan à 5 ans est révisé et prévoit une croissance de
30% par an. Après la crise de 2008, la Chine devient pour l’entreprise la seule zone
géographique où une croissance est encore possible. La soumission au PCC devient une
question de survie. Ce qui permet à ce parti de capter l’essentiel du profit mondial de
l’entreprise. Subissant à l’origine une corruption externe, l’entreprise devient activement
corruptrice.
La variable ressources dans un tel environnement est une contingence « à double tranchant » :
l’adaptation nécessaire des moyens à l’environnement, et les caractéristiques de ces moyens.
Dans quelles mesures seront-ils capables de répondre aux enjeux ? Y aura-t-il des conséquences
en termes d’exposition à la corruption ?
102
Les deux premiers sont co-fondateur de Facebook. Le dernier est fondateur de Whatsapp.
126
Pour une organisation, même en réduisant la variable enjeux à un élément (par exemple la
création de valeur pour une entreprise), il n’y a pas de conclusion simple. Ceci est à l’image de
la corruption qui par sa complexité plus qu’un risque est une incertitude.
3.3 Théorie structurelle de la contingence et paradigme fonctionnaliste
Alors qu’une part substantielle de la TC étudie l’adaptation des structures (variables
organisationnelles et de critères de performances - voir Figure 3, p. 90), la corruption ne semble
pas avoir été intégrée dans cette réflexion.
Un article de Lamptey et Singh (2018) analyse l’effet des contingences environnementales sur
les fraudes et de la falsification des rapports financiers. La corruption et la fraude diffèrent : la
fraude n’est pas transactionnelle, les falsificateurs et fraudeurs sont internes à l’organisation.
Ce qui est remarquable dans cet article, et qui peut être comparé à la corruption, est que les
auteurs débutent par une analyse de l’environnement mais le ramène à des variables internes à
l’organisation : croissance rapide, faiblesse des contrôles externes, importance donnée par
direction sur la réalisation des objectifs de profitabilité, faiblesse du management, propriété de
l’entreprise (actionnariat). Poursuivant dans cette voie, leurs hypothèses, celles qu’ils valident
comme celles qu’ils infirment, ne portent que sur des actions internes.
Cette autolimitation se retrouve dans une partie significative de la littérature. Il faut noter que
la TC est apparue alors que de nombreuses entreprises occidentales s’internationalisaient. Le
classique organigramme hiérarchique et découpé par expertise (services achats, ventes, finance,
etc.) atteignait ses limites. Il devenait nécessaire de mieux traiter l’information (filtration,
valorisation) et de gagner en efficacité : prise de décision et utilisation des ressources.
Comme décrit p. 92, certains auteurs réduisent la TC à une théorie structurelle de la
contingence. C’est le cas de Lawrence et Lorsch (1967a, 1967b) qui, à partir des années 1970,
sont à la pointe de la recherche sur les organisations. Leurs apports sont majeurs. S’ils
identifient les contingences environnementales, leurs propositions se focalisent sur l’interne.
Dans le même temps, Robert House, « père » de la théorie du leadership, dans une approche
qui répond ou complète la TC, procède de la même façon. L’environnement n’est pas ignoré
mais ramené à des forces au sein des processus de l’organisation :
« Par la suite, Robert House a élaboré la théorie du leadership axée sur les
objectifs, qui identifie les variables contingentes du comportement de leadership, à
savoir (a) les forces environnementales identifiées dans la structure des tâches, qui
127
englobent l'autonomie et la portée des tâches, et (b) les caractéristiques des
subordonnés, qui englobent les attentes, la clarté du rôle et la satisfaction. »
(Lorsch 2013, p.151).
La théorie structurelle de la contingence et celle du leadership, qu’elles se répondent, se
complètent, ou s’opposent, font une « victime » : l’environnement simplifié à très peu de
variables : complexité seule, ou complexité et stabilité comme dans le Tableau 13 (p. 93).
Ces deux théories font partie d’un mouvement qui, à la même époque, inclut le renforcement
de l’ensemble des procédures (dont audit interne et prise de décision) et une complexification
croissante du droit des entreprises. L’idée est qu’il est possible d’établir un ensemble de règles
qui décrivent la totalité de l’organisation et que ces règles vont mener vers plus d’efficacité.
C’est le paradigme fonctionnaliste et positiviste décrit par Burrell et Morgan (2017)
103
:
l’organisation comme une réalité objective et nomothétique
104
.
Ce paradigme est intéressant car il donne l’impression de pouvoir créer des modèles
d’organisation en partant de peu de variables (ici la corruption comme un des éléments de la
variable de complexité de l’environnement). Mais en s’opposant à la difficulté principale de la
TC qui est précisément le grand nombre de variables, il n’est pas possible de vérifier si ce
paradigme est cohérent (est vrai). En conséquence, il n’est pas non plus possible de déterminer
si telle ou telle forme d’organisation (hiérarchique, matricielle, etc.) sera plus à même de
protéger l’organisation d’un environnement corruptif.
3.4 Conclusion – une adaptation à un environnement corruptif ?
Un des reproches fait à la TC est qu’elle ne proposerait que de soumettre l’organisation à son
environnement. Dans le cas d’une corruption externe à l’organisation, en recherchant à
103
Burrell et Morgan décrivent quatre paradigmes : humaniste radical, structuraliste radical, interprétatif et
fonctionnaliste. Ils présentent ce dernier comme le paradigme dominant et le moins capable d’adaptation. « Il se
caractérise par un souci de fournir des explications sur le statu quo, l'ordre social, le consensus, l'intégration
sociale, la solidarité, la satisfaction des besoins et l'actualité. Elle aborde ces préoccupations sociologiques
générales d'un point de vue qui tend à être réaliste, positiviste, déterministe et nomothétique. » (Burrell et Morgan
2017, p. 26)
104
Nomothétique : « science, discipline dont l’objet et la méthode permettent d'établir des lois générales ou
universelles, représentées par des relations constantes entre les phénomènes observés. » (Thines & Lempereur,
1975).
128
optimiser la performance du système (voir Figure 3, p. 90), la TC ne proposerait comme
solution que de se soumettre à la corruption : une organisation victime.
Ce reproche est injustifié à plusieurs titres.
(1) Par la complexité de tout environnement. Les variables de Mintzberg (Mintzberg et al.,
1998) : complexité, diversité, stabilité, hostilité, enjeu et ressource peuvent toutes dépendre de
la corruption. Elles ne se limitent pas à une description de l’environnement. Certaines comme
les enjeux et les ressources, peuvent évoluer à l’initiative de l’organisation. La modélisation de
la TC (Luthans & Stewart, 1977) dit qu’une des contingences est l’environnement. Cette
contingence n’est pas unique. L’ensemble des relations entre environnement, ressources et
management
105
sont réflexives. Ainsi s’il est pertinent pour cette thèse d’isoler les variables
liées à la corruption, cela ne signifie pas qu’il soit possible d’ignorer les autres, d’ignorer la
réflexivité entre variables, ni de conclure que ces ignorances justifient une critique de la TC.
(2) Par la réduction de la TC à une théorie structurelle de la contingence. Certains auteurs
limitent les adaptations possibles de l’organisation à l’adaptation de ses structures et de ses
processus de décision. C’est l’apport de Mintzberg qui étend son analyse dépassant les
« limites » de la TC vers l’école configurationnelle (Barabel, 2017). La TC pose qu’il n’existe
pas une meilleure organisation, mais que toutes les organisations n’ont pas les mêmes
performances. La littérature montre que l’organisation interne (structure et processus) joue peu
de rôle dans le cas d’une corruption externe. Cela n'invalide pas la TC, mais réduit la possibilité
d’anticiper ou de prévenir la corruption en ne jouant que sur la structure et les processus.
(3) Par le manque de validation empirique. Pour la corruption s’ajoute le problème de la qualité
des données. La corruption est par nature discrète. Faute de mesure directe, la littérature ne peut
qu’utiliser des indices indirects : perception de la corruption, gouvernance, distance à la
décision, liberté d’expression… La plupart des publications cités font état de ce problème et
sont prudentes dans leurs conclusions. Toute modélisation de la corruption sera confrontée à la
corruption. Le débat entre opposants et soutiens de la TC n’est pas parvenu à une conclusion
définitive. Des résultats partiels ou contradictoires ne peuvent être considérés, pour cette thèse
sur la corruption, comme invalidant la TC.
105
Variables primaires dans la modélisation de Luthans et Stewart (1977). Leur modèle considère que l’ensemble
des relations entre les variables primaires, secondaires et au-delà sont réflexives.
129
La décomposition de la littérature en trois ensembles a aussi comme intention de faire apparaître
les textes qui ne feraient aucune référence à la TC. Pour cette thèse, il s’agirait d’études ne
faisant pas référence à l’environnement de l’organisation : l’intersection « Non-TC » de la
Figure 1 (p. 12).
Cette intersection est vide, sans doute en raison de la nature transactionnelle de la corruption
qui impose un corrompu extérieur à l’organisation corruptrice. Au chapitre suivant, le corpus
qui étudie une corruption d’origine interne à l’organisation, montre le même résultat. Des
individus corrompus ou corrupteurs, même s’ils agissent à l’insu de tout ou partie de
l’organisation, ne peuvent le faire sans interlocuteur extérieur.
L’exception déjà présentée de l’économie dirigée (voir p. 59), où tout est intégré dans une seule
institution96 n’en n’est pas une.
(1) Soit les organisations (entreprises, associations, État) sont considérées comme des
institutions formelles distinctes. Alors la corruption existe et implique au moins un individu
extérieur à l’organisation : la forme la plus réduite d’un environnement.
(2) Soit les organisations sont fusionnées dans une seule institution formelle (en Chine la fusion
entre entreprises, associations, PCC et État). La corruption est alors remplacée par le trafic
d’influence ou la prévarication (voir p. 59 et note 54 à la même page).
Plusieurs aspects ressortent de cette partie de la revue de la littérature. Ils sont intégrés à la carte
heuristique de la corruption (voir p. 269) qui est la base de codage de l’analyse qualitative des
interviews.
La corruption, plus qu’un risque, est une contingence. Elle est aussi appelée « critère
d‘arbitraire ». La littérature montre que plus que la valeur du ou des pots-de-vin, c’est
l’impossibilité de savoir si un pot-de-vin sera exigé et si un premier paiement fera naître des
appétits, qui a le plus d’impact. C’est ce que montre la contradiction apparente entre deux
articles cités précédemment : Cheung, Rau, et Stouraitis ( 2021) « Qu'est-ce qui détermine le
retour de la corruption ? Témoignages de cas de corruption dans le monde entier » (voir p.
120) et Qi et al. (2020) « Obéissance ou fuite : Examen des influences contingentes de la
corruption sur les exportations des entreprises » (voir p. 95). Une forte augmentation de la
valorisation de l’entreprise grâce à la corruption pour le premier. Des entreprises qui fuient
leurs marchés d’origine, fortement corrompus, pour se développer dans des marchés moins
corrompus et ainsi améliorer leur profitabilité pour le second.
130
C’est également le résultat du calcul d’arbitraire par Wei (1997). Au-delà des difficultés déjà
signalées concernant la qualité des données, l’auteur conclut à une surévaluation du risque : le
critère d’arbitraire est plus important que la valeur du pot-de-vin
106
.
Dans des cas particuliers, de « graissage des rouages » la corruption peut avoir un effet positif
sur l’organisation : si les institutions sont suffisamment organisées pour que le corrompu puisse
faire appliquer sa décision et suffisamment désorganisées pour que la corruption soit possible
(voir p. 104).
L’excès de lois et de régulations favorise la corruption. C’est une des conclusions du groupe
de travail 7 de l’étude Anticorrp (voir p. 99). Elle est probablement la plus contre-intuitive dans
une approche juridique de la corruption. Comme développé dans la sous-partie concernant le
droit positif (voir p. 50), elle est pourtant identifiée depuis la Rome antique. Comme cité
précédemment :
« Alors on ne se borna plus à ordonner pour tous ; on statua même contre un seul,
et jamais les lois ne furent plus multipliées que quand l’État fut le plus corrompu. »
(Tacite 110apr. J.-C., III, 2, 27).
Par la sociologie, Carbonnier (1976) parvient à la même conclusion. Il ajoute que la non-
application de ces lois toujours plus nombreuses participe aussi à la perte d’efficacité de la loi,
perte de la fonction répressive, absence d’effet dissuasif.
Les peines négociées réduisent fortement l’effet dissuasif de la loi et favorisent la corruption.
Aux États-Unis, où les négociations des peines sont devenues la pratique la plus courante pour
la criminalité en col blanc (pratique systématique pour les poursuites sous FCPA), Reilly (
2015) parle de négation de la justice. Les amendes sont anticipées par les potentiels mis en
cause. Elles sont des coûts prévisionnels. Ces peines sont d’autant réduites qu’il est nécessaire
de protéger les résultats et le futur d’entreprises pourtant convaincues de corruption (voir p.
114).
Les interviews collectées (voir étude qualitative p. 242) montrent que dans la population des
décideurs (corrupteurs ou corrompus potentiels – groupe 2), comme celle des conseils (groupe
3), le risque judiciaire n’est pas évoqué ou est considéré comme négligeable. Dans la population
106
Le critère d’arbitraire peut être vérifié a contrario dans les kleptocraties ou les pays à corruption systématique
ou systémique. La certitude de devoir payer un pot-de-vin permet de l’assimiler à une taxe.
131
des analystes (groupe 1) qui interviennent sur des dossiers de corruption après les faits
(magistrats, universitaires, polices), ceux qui ont une expérience de terrain de la corruption
confirment que le risque de poursuite est, dans le meilleur des cas, anticipé. Dans la plupart des
cas il ne donne pas lieu à des mesures préventives hors la préparation d’une défense contre une
mise en accusation (voir également p. 227).
L’absence de poursuite contre les corrompus crée un environnement favorable au
développement de la corruption. Avec la protection des entreprises corruptrices, l’absence de
poursuite contre les corrompus (agent de l’État, élus, ou décisionnels d’entreprises privées)
favorise le développement de la corruption. La lutte anticorruption ne peut être considérée
comme un absolu. Des intérêts supérieurs, l’accès aux marchés ou les relations entre États,
prévalent.
Certaines institutions formelles renforcent l’environnement corruptif. L’hétérogénéité des
systèmes juridiques et financiers, les particularismes développés par certains pays (voir note
86, p. 110) renforcent encore cette conclusion.
Les kleptocraties ou les États qui font de la captation de la valeur au profit d’un nombre réduits
d’individus une des fonctions principales de l’État, réduisent la contingence. La corruption n’est
plus une incertitude ou un risque, mais peut être comparée à une taxe. Les entreprises peuvent
n’avoir comme solution que de se soumettre ou de fuir (Qi et al., 2020).
L’obligation de résultat favorise un environnement corruptif, à la condition que
l’environnement soit prédisposé à la corruption ou qu’il impose la corruption à l’organisation.
Un tel environnement est une spirale infernale. La corruption devient une des conditions du
marché, que le pot-de-vin soit une obligation, ou pire que la corruption reste une contingence
qui maintient l’incertitude. Parvenue au bout de la spirale, l’organisation n’est plus soumise à
un environnement corruptif, mais elle y participe.
L’adaptation de l’organisation formelle (structure, processus de décision) semble ne pas être
une adaptation efficace face à une corruption externe à l’organisation.
L’adaptation de l’organisation comme réponse anticipatrice ou préventive anticorruption est
peu étudiée. Toutefois la multiplication des procédures d’audit interne, les modifications des
processus de prise de décision et des chaînes hiérarchiques semblent ne pas être efficaces.
L’analyse de l’ensemble des dossiers de corruption sous FCPA recensés par Stanford (Stanford
132
Law School & Sullivan & Cromwell LLP, 2022), montre que seules 12,2% des entreprises ne
produisaient pas de reporting et que 48,8% des entreprises faisaient même appel à un
certificateur extérieur. Pourtant les faits de corruption admis par ces entreprises, notamment les
opérations de paiement des pots-de-vin, ont pu se dérouler parfois pendant plus de dix ans, sans
que la structure ou les processus internes ou externes n’interfèrent (qu’ils soient complices ou
qu’ils aient été abusés).
La corruption est bien une institution informelle dont la caractéristique principale est son
hostilité à l’entreprise. Sa limite de prédation, si le reste de l’environnement n’a pas d’effet
anticorruption, est la survie de l’organisation. C’est ce qui peut être observé dans les
kleptocraties. L’entreprise ne peut pas lutter seule contre une corruption d’origine externe
« Lutte contre la corruption : l’implication des États est impérative - à chacun son rôle. »
(Memheld & Labic, 2021).
133
4 Organisation corrompue ou organisation d’individus
corrompus
Le titre de ce chapitre reprend celui d’un article de Pinto, Leana et Pil (2008). Souvent cité, il
est à la fois une somme sur les comportements corrompus ou corruptifs et, une décomposition
de la corruption en fonction des interactions au sein de l’organisation.
Les auteurs utilisent une définition large de la corruption, qui n’est pas nécessairement
transactionnelle mais axée sur la recherche individuelle d’un profit : une atteinte morale et un
pourrissement de l’organisation, proche de la dégradation de la cité des physiciens grecs (voir
p. 22). C’est un point commun à beaucoup de textes cités dans ce chapitre : les auteurs
sociologues et économistes, malgré des différences de vocabulaire, développent des
raisonnements proches. On retrouve le tronc commun de la philosophie morale aristotélicienne.
Pour être efficace une organisation (entreprise, association, service de l’État, etc.) doit avoir
mené une réflexion sur ses processus de décisions internes et les risques auxquels elle s’expose.
En France, la loi Sapin 2 de 2016
107
exige que les entreprises de plus de 500 millions de chiffre
d’affaires établissent une cartographie du risque corruption
108
.
La dernière enquête par l’Agence Française Anticorruption (AFA) en février 2020 auprès de
plusieurs milliers d’entreprises montre que 47% des entreprises n’ont pas de cartographie des
risques. Pour presque la moitié des entreprises ce sujet ne fait pas l’objet d’une analyse
structurée, voire d’aucune attention : 61% n’évaluent pas l’intégrité de leurs tiers, 44%
n’organisent même pas de formation spécifique. Pourtant 22% des entreprises déclarent avoir
été confrontées à un cas de corruption dans les cinq années précédentes (Agence française
anticorruption, 2020).
Les experts conseil anticorruption interviewés restent surpris par le nombre de leurs clients qui
ne prennent pas ce sujet en compte. C’est également le constat de l’AFA, qui dans ses
107
Loi Sapin 2 n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la
modernisation de la vie économique.
108
La cartographie des risques est un outil d’analyse qui permet le classement des risques selon deux dimensions
(impact et prévalence). Son apparition remonte au plus tard à 1949. Elle se généralise avec les programmes
spatiaux aux États-Unis.
134
recommandations à la commission des lois en 2021, voit dans l’engagement de la direction de
l’entreprise un des trois piliers du dispositif anticorruption interne :
« Les dispositions générales précisent ainsi qu’un dispositif anticorruption doit
s’appuyer sur trois piliers : l’engagement de l’instance dirigeante, la cartographie
des risques (qualifiée de ‘pierre angulaire’ du dispositif), et la gestion des risques
(qui recouvre les sept autres piliers légaux). L’insistance sur l’engagement de
l’instance dirigeante, qui n’est pourtant pas explicitement prévue par la loi Sapin
2, s’explique par le fait que celle-ci reste trop souvent ‘imperceptible’, alors même
que, comme l’agence [l’AFA] l’indiquait dans la réponse transmise au
questionnaire de vos Rapporteurs, ‘les contrôles initiaux [...] révèlent que
l’engagement de l’instance dirigeante peut être, dans le même secteur d’activité, le
principal facteur éclairant les différences de maturité des dispositifs’. »
(Assemblée Nationale 2021, p. 47), accentuations de l’auteur.
Seuls les moyens internes à l’organisation sont immédiatement mobilisables. Le degré de
préparation au risque corruptif est à la mesure de la culture de l’organisation, de ces processus
ainsi que des qualités individuelles de ses membres. En reprenant le tableau introductif (voir p.
10 et ci-dessous), l’objet de ce chapitre est d’établir l’état de la connaissance sur les relations
au sein de l’organisation : quels sont les facteurs internes à l’organisation ? Comment
interagissent-ils ?
Facteurs organisationnels,
législatifs et réglementaires
Facteurs individuels,
culturels et de groupe
Facteurs internes
Culture interne et
organisation de l'entreprise
Éthique personnelle et style
de management
Facteurs externes
Lois, réglementations et
institutions formelles
Environnement culturel et
institutions informelles
Tableau 15 Facteurs de la corruption, facteurs internes
Ce chapitre se compose de deux parties suivies d’une conclusion. Après avoir précisé certaines
définitions, limites et choix sémantique, la revue de la littérature considèrera successivement :
- La TA qui est l’élément principal de ce chapitre.
- Une métaphore filée « des mauvaises pommes et des mauvais tonneaux » par plusieurs
auteurs sur presque 40 ans. Ils interrogent la génération interne des atteintes à l’éthique dont
la corruption.
135
4.1 Définitions, limites et choix sémantiques
Dans les développements précédents sur l’éthique anticorruption et une corruption d’origine
externe à l’organisation, la définition de la corruption considérait un « délit à deux » une
transaction entre un corrompu et un corrupteur (voir p. 13). Pour cette partie qui traite d’une
corruption interne à l’organisation, il s’agit de considérer l’action interne d’un individu ou d’un
groupe, corrompu ou corrupteur. La définition de la corruption est alors étendue à l’abus de
pouvoir.
Les solutions applicables au sein de l’organisation varieront en fonction de la position des
personnes impliquées, ce qui peut aller jusqu’à l’impossibilité d’action interne si, par exemple,
la direction générale est corrompue.
Traiter d’une corruption interne est à distinguer de la question de l’initiateur. Une corruption
interne peut être la conséquence d’un environnement corruptif. Céder à la corruption n’abolit
pas la responsabilité ; si cet état se maintient, la responsabilité augmente. Savoir qui, du
corrompu ou du corrupteur est l’initiateur, perd de son importance.
Se pose alors la question de la dénonciation de la corruption
109
. L’organisation a-t-elle agit en
raison d’une obligation éthique supérieure ou par ordre d’un État (agissant lui aussi par
obligation éthique) : par exemple l’ONG qui accepte de corrompre pour dédouaner des
containers maritimes de médicament. Il s’agit plus largement du discours de Thomas d’Aquin
sur la fraude et sur la guerre juste (voir p. 28). A l’opposé la dénonciation de la corruption, qui
peut être une obligation éthique ou légale, demande un engagement individuel. Il suppose que
le dénonciateur ne subira pas de représailles.
Pour cette thèse, la limite reste les actions que peut conduire l’organisation. Cela inclut la
transmission interne des alertes avec éventuellement le support d’un prestataire extérieur (ligne
109
En France plusieurs articles du Code civil définissent l’obligation de signaler les crimes et délits. Ils sont
complétés d’une large jurisprudence à l’image de la complexité éthique du sujet : La règle générale est définie au
début de l’article 434-1. « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de
prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui
pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans
d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. »
136
d’alerte). Sont exclus les cas où le lanceur d’alerte fait appel à des relais extérieurs (journaux,
justice, etc.) : l’organisation n’agit plus de son initiative
110
.
Autre limite, les effets d’une organisation corrompue sur son environnement ne seront pas
traités. Cela inclut l’effet cumulée d’organisations corrompues, déjà abordé dans le cas des
kleptocraties, ainsi que les institutions formelles, assimilables à des organisations criminelles,
qui parviennent à contrôler de larges pans de l’économie (tel le corps des gardiens de la
révolution islamique en Iran ou l’entreprise Sherriff en Transnistrie). Si elles créent de la valeur,
exercent des activités associatives ou caritatives, celles-ci sont secondaires par rapport à leur
fonction criminelle au sein de ces États.
4.2 Théorie de l’attention (TA)
Cyert et March publient en 1963 « Une théorie comportementale des entreprises » (Cyert &
March, 1963)
111
. Dans leur analyse des objectifs de l’organisation, ils développent l’idée que
les décisionnels focalisent leur attention en fonction de l’urgence de tel ou tel sujet, de leur
110
La nécessité de protéger les lanceurs d’alerte est le marqueur de la faiblesse des institutions, qui ne parviennent
pas à protéger des citoyens témoins de faits répréhensibles (non limités à la corruption). La nécessité de protéger
spécifiquement les témoins de faits s’étant produit au sein d’une organisation présente de nombreuses difficultés
depuis le risque de dénonciation calomnieuse, le manque de preuve, la confidentialité des données, jusqu’au
représailles internes, la mise en accusation du lanceur d’alerte et l’impossibilité pour lui de retrouver un emploi.
Enfin ne doivent pas être négligée toutes les formes d’instrumentalisation du lanceur d’alerte, de l’organisation
qu’il dénonce, de ses concurrents, etc. L’OCDE et le GRECO (Groupe d’États contre la corruption du Conseil de
l’Europe) notamment, ont publiés des recommandations qui se sont traduites par une directive du parlement
européen en cours de transposition dans leurs pays membres (Conseil de l’Europe, 2017; OCDE, 2016; Parlement
européen & Conseil de l’Europe, 2019). Pour la France, après les recommandations du rapport d’information sur
la loi Sapin 2 en 2021 (Gauvin & Olivier, 2021), une retranscription est attendue en 2022 (situation en mars 2022).
111
Cyert et March, avec Simon, font partie de l’école de pensée économique dite école de Carnegie (aujourd’hui
l’université Carnegie Mellon) à laquelle appartiennent également Oliver Willamson, John Muth, Robert Lucas et
Thomas Sargent. Cyert, March et Simon publient trois livres parmi les plus cités pour l’étude du comportement
des organisations : « Administrative behavior » (Simon, 1947), « Organizations » (March & Simon, 1958), « A
behavioral theory of the firm » (Cyert & March, 1963). L’école de Carnegie se focalise sur l’importance de la
coordination des individus, la prise de décision comme point central de l’organisation, l’importance du réalisme
comportemental pour l’élaboration de théories basées sur des cas réels d’organisations et soutenues par une base
théorique psychologique et sociologique (Gavetti, Levinthal, & Ocasio, 2007).
137
capacité à traiter un nombre de sujets important et de la rationalité partielle ou totale de ce qu’ils
sont capables d’observer à un instant donné.
« La notion de focalisation de l'attention est l'une des raisons pour lesquelles les
organisations parviennent à survivre avec un large éventail d'objectifs non
rationnels. Ils voient rarement les objectifs contradictoires simultanément. […]
L'attention séquentielle aux objectifs est un mécanisme simple. Une conséquence
de ce mécanisme est que les organisations ignorent de nombreuses conditions que
les observateurs extérieurs considèrent comme des contradictions directes. Elles ne
sont contradictoires que si l'on imagine un ordre de préférence conjoint bien établi
ou un marchandage omniscient. Aucune de ces conditions n'existe dans une
organisation. Si nous supposons que l'attention portée aux objectifs est limitée,
nous pouvons expliquer l'absence de toute pression forte pour résoudre les
incohérences internes apparentes. Il ne s'agit pas d'affirmer que tous les conflits
impliquant des objectifs peuvent être résolus de cette manière, mais il s'agit d'un
mécanisme important qui mérite une étude beaucoup plus approfondie. » (Cyert et
March 1963, p. 40-41).
A partir de ce premier texte s’est développé un corpus qui utilise comme des quasi synonymes
« théorie de l’attention » et « vision basée sur l’attention » « attention based view » (ABV).
L’auteur fondateur de la TA est William Ocasio. Son article « Vers une vision de l’entreprise
basée sur l'attention » servira de base de chapitre (Ocasio, 1997).
La matrice de la TC présente la difficulté d’un nombre trop important de variables pour
permettre une résolution. Une approche consiste à simplifier l’environnement en deux variables
complexité et dynamisme (voir Tableau 13, p.93). Une autre approche, celle choisie pour cette
thèse au chapitre précédent, est d’extraire les variables liées à la corruption et de se limiter à
une résolution partielle : des liens entre variables primaires, secondaires, etc. et des variables
dépendantes.
Ces deux approches sont critiquables car le risque est un excès de simplification par une
attention portée sur quelques variables. Ce risque a été identifié par les modélisateurs de la TC,
Luthans et Stewart :
« De plus, comme une grande partie de notre attention se concentre sur les
situations les plus courantes auxquelles sont confrontés les gestionnaires, le
nombre de critères de performance, de variables environnementales, de ressources
138
et de gestion à prendre en compte dans la réalité peut être assez limité. » (Luthans
et Stewart 1978, p. 685).
Les auteurs ne peuvent que recommander un choix prudent basé sur des critères clairs sans
préciser quels sont ces critères.
Les spécialistes de l’Intelligence Économique (IE), praticiens des environnements complexes,
posent comme principe de limiter la collecte d’information au minimum nécessaire à la prise
de décision
112
. Pour être efficace, il ne faut pas perdre de temps à vouloir « tout comprendre sur
tout ». L’IE propose des outils de sélection et de classement des variables en fonction de leurs
contributions potentielles à la prise décision. Mais là encore il s’agit du produit d’une pratique
et d’une expérience.
La difficulté augmente face à des situations nouvelles, Hannan et Freeman décrivent des
« perspectives écologiques », causes premières de l’adaptation de l’organisation :
« Bien qu'il existe une grande variété de perspectives écologiques, elles sont toutes
axées sur la sélection. C'est-à-dire qu'elles attribuent les modèles de la nature à
l'action des processus de sélection. La majeure partie de la littérature sur les
organisations souscrit à un point de vue différent, que nous appelons la perspective
de l'adaptation. Selon la perspective de l'adaptation, les sous-unités de
l'organisation, généralement les gestionnaires ou les coalitions dominantes,
analysent l'environnement pertinent pour y déceler les opportunités et les menaces,
formulent des réponses stratégiques et ajustent la structure organisationnelle en
conséquence. » (Hannan et Freeman 1977, p. 929-930).
Les auteurs décrivent l’organisation comme une communauté de destin s’adaptant à son
environnement. Les individus qui la composent ont des accès variables à l’information,
proposent, sans pouvoir les imposer des solutions individuelles et s’opposent. Hannan et
Freeman identifient des biais de sélection des variables en fonction d’un accès toujours partiel
à l’information extérieure, à l’expertise des uns ou des autres (qui oriente le type d’information
collectée), à des inerties notamment due à une surévaluation de la difficulté à évoluer (difficulté
à pénétrer un nouveau marché ou à en quitter un) renforcée si l’organisation se voit comme
légitime dans sa stratégie avant changement (biais de confirmation et biais déterministe). Un
112
Principe de simplicité ou « rasoir d’Ockham ». Guillaume d’Ockham (1285-1347), franciscain et scolastique,
défend que la connaissance fondamentale est la connaissance intuitive. « Les multiples ne doivent pas être utilisés
sans nécessité. ». Ockham exclut toute pluralité de raison et critique l’accumulation de subtilités. Une règle
d’économie qui demande de réduire les hypothèses au minimum nécessaire (Gandillac & Quillet, 2022).
139
changement de l’environnement risque alors d’être vu comme une agression (ou choc exogène)
entraînant un raidissement affaiblissant la capacité à évoluer.
Les auteurs cités ci-dessus partent de l’environnement et analysent la capacité de réaction
interne à des évènements externes. Sans qu’elle s’y oppose, la TA part au contraire du
fonctionnement interne de l’organisation
113
. Cela entraîne une vision particulière du processus
de prise de décision : une succession de milieux filtrants et d’autres milieux qui agissent par
capillarité. Ces mécanismes bloquent ou promeuvent les informations. Le choix d’appeler cette
théorie « théorie de l’attention » oriente vers l’effet des déficits d’attention : une organisation
qui décide par défaut, partiellement aveugle.
4.2.1 Modélisation de la TA
Le modèle de la TA retenu pour cette thèse est le modèle initial créé par Ocasio en 1997 (voir
page suivante).
« Ce modèle conceptuel ne constitue pas une théorie entièrement développée du
comportement des entreprises, mais une formulation initiale, basée sur un ensemble
de constructions théoriques et un ensemble de mécanismes généraux reliant ces
constructions. » (Ocasio 1997, p. 204).
Il décrit le processus de filtration et de sélection des informations (mécanismes) permettant une
décision. L’approche est qualitative et non quantitative. La validation des mécanismes qui
relient les entités (structure de l’attention, procédures et canaux de communication, etc.) sont
empiriques (psychologie cognitive expérimentale). En particulier les recherches sur la
métacognition montrent que les processus cognitifs de la prise de décision ne sont pas figés.
113
Miller (1990) dans « le paradoxe d’Icare » qui analyse des exemples d’échec, défini quatre trajectoires qui sont
aussi des modalités d’ignorance de l’environnement : (1) l’organisation artisanale, pointilleuse, composée
d’ingénieurs chevronné. Axée sur la qualité et des processus hermétiques, rigide et obsédée par les détails, elle
s’aliène ses clients avec des offres parfaites, mais non pertinentes. (2) L’organisation de constructeurs, axée sur la
croissance, l’imagination des dirigeants, des équipes financières et de planification. Impulsifs et avides, ils
surchargent leurs ressources. Ils sont désordonnés dans des secteurs qu'ils ne connaissent pas. (3) L’organisation
pionnière : R&D inégalés, flexibles et produits de pointe. Une secte de scientifiques utopistes qui gaspillent leurs
ressources dans la poursuite d'inventions désespérément grandioses et futuristes. (4) l’organisation découplée : des
vendeurs experts marketing dont le fétichisme de la vente occulte les questions de conception. Ils produisent une
gamme désuète « moi aussi » (suiveuse).
140
Figure 6 Modèle d'attention située et comportement de l'entreprise (Ocasio 1997, p. 192).
Environnement de la décision : l’ensemble des
variables internes ou externes qui influent l’activité
décisionnelle.
Questions et réponses : répertoire culturel et
cognitif qui donne un sens aux stimuli
environnementaux (questions) et permet d’y
répondre (réponses).
Structures de l’attention sont les structures
sociales, économiques et culturelles qui régissent le
temps, les effort et l'attention des décideurs.
Procédures et canaux de communication sont
l’ensemble des contextes situationnels dans lesquels
l'attention et l'action prennent place.
Décideurs sont les individus qui participent
conjointement à la mise en place de l'environnement
et à la construction sociale des changements
organisationnels.
Changement organisationnel sont le résultat d'un
traitement attentionnel et d'une prise de décision.
Mécanismes
Principe 1 : Concentration de l'attention. (5b)
Les décideurs se concentrent sur un ensemble limité
de questions et de réponses. (5c) ces questions
déterminent ce qu'ils font.
Principe 2 : L'attention située. L'attention est
située dans les procédures et les canaux de
communication : (1a) les stimuli environnementaux
de la prise de décision, (2) l'incarnation des
questions et des réponses dans les symboles
culturels, les artefacts et les récits, et (5a) les
interactions entre les participants au canal. (3) Le
contexte et les caractéristiques des procédures et des
canaux de communication interagissent pour
façonner le répertoire de questions et de réponses.
Principe 3 : Distribution structurelle de
l'attention. La distribution des questions, des
réponses et des décideurs au sein des différents
canaux dépend de la façon dont ces structures
d'attention : (4a) génèrent un ensemble de valeurs
qui ordonnent les questions et les réponses, (4b)
canalisent et distribuent la prise de décision selon
les procédures et les canaux de communication, (4c)
fournissent un ensemble structuré d'intérêts et
d'identités qui façonnent leur compréhension et
motivent leurs actions.
Mécanismes supplémentaires (1b) et (1c) sur la
façon dont l'entreprise est façonnée par
l'environnement. (6) comment l'environnement est
façonné par les changements organisationnels
précédents.
(Ocasio, 1997)
Changement
organisationnel
Décideurs
Procédures
et canaux
de
communi-
cation
Structures de
l’attention
Questions et
réponses
Environnement
de la décision
1a
1b
1c 4a
2
3
5a
4b
4c
6
5b
5c
141
La validation d’un mécanisme donné sera alors partielle ou limitée à une situation particulière
(par exemple l’opposition entre routine et flexibilité au changement).
Après 1997, les avancées d’Ocasio et de ses co-auteurs seront intégrées au fur et à mesure
(Gavetti, Greve, Levinthal, & Ocasio, 2012; Joseph & Ocasio, 2012; Ocasio, 1997, 2011;
Ocasio et al., 2022), tout comme les apports d’autres auteurs de la TA. Les apports des auteurs
qui traitent de la corruption sans faire référence à la TA interviennent de la même façon au fil
du développement.
Le parti-pris de ne pas amender le modèle d’Ocasio ne se justifie que par la difficulté de
représenter graphiquement des mécanismes de plus en plus nombreux.
« L’ABV a déclenché une pléthore de recherches théoriques et empiriques éclairant
des phénomènes organisationnels très divers, tels que l'allocation des ressources
dans les entreprises multinationales, les réponses aux grands défis ainsi que les
fondements de l'innovation organisationnelle. Dans l'ensemble, si les recherches
fondées sur l’ABV ont fait l'objet d'une attention savante substantielle et croissante
au cours de la dernière décennie, elles ont également donné lieu à un corpus de
recherches complexe et incohérent. » (Brielmaier et Friesl 2022, p. 1).
4.2.2 Principe 1 : Concentration de l'attention
(5b) Les décideurs se concentrent sur un ensemble limité de questions et de
réponses. (5c) Ces questions déterminent ce qu'ils font (Ocasio, 1997). Voir p. 140.
Traiter peu mais bien traiter, est une contrainte et une nécessité pour tout décideur. Les limites
cognitives dictent le raisonnement imposant une limitation du nombre de variables qui peuvent
être embrassées simultanément. Les variables éliminées seront considérées comme
secondaires : des détails. Ou, consciemment ou non, elles seront ignorées.
Miller (1956) définit l’étendue de l’attention
114
comme la capacité pour une personne de traiter
une information entrante (variable discrète), dont la variance est une quantité (variable
continue). La covariance est la quantité d’information transmise corrélée aux variances des
informations entrantes. Miller montre que le nombre d’informations entrantes demande un
effort qui croit logarithmiquement (base 2 : chaque information est traitée comme une
alternative : une variable binaire ou bit). Ainsi, trois informations demandent de choisir parmi
114
« Span of attention » à la fois étendue et capacité de l’attention.
142
32 = 8 solutions. En reprenant des résultats d’expérience plus anciens, Miller constate que la
capacité de traitement d’un individu sature lorsque le nombre de solutions s’approche de 7. Ce
qui correspond à environ 2,5 bits.
Les caractéristiques des informations, de leurs variances, de l’environnement d’apprentissage
(vitesse, stress, mémoire immédiate contre apprentissage, etc.) sont primordiales. Miller fait
notamment appel à l’inférence bayésienne
115
:
« Les principes du raisonnement bayésien étendent, à des valeurs continues de
plausibilité, les principes de la logique classique avec des valeurs de vérité
discrètes. […] L’inférence bayésienne rend bien compte des processus de
perception : étant donné des entrées ambigües, notre cerveau en reconstruit
l’interprétation la plus probable. Nos décisions combinent un calcul bayésien des
probabilités avec une estimation de la valeur probable de nos choix. » (Dehaene
2012, 1er cours, 10 janvier 2012)
116
.
Les applications sont nombreuses. Un interlocuteur qui noie dans les détails bloque la capacité
de répondre à moins de parvenir à « faire le tri ». C’est la force de la boucle OODA
117
, qui
sollicite en continu l’adversaire pour saturer ses défenses. Elle l'oblige à choisir des solutions
trop rapidement pour ses processus internes (manque d’expertise, de préparation, etc.).
Miller nous apprend que la limite des informations traitables est vite atteinte (saturation
cognitive). Plusieurs mécanismes viennent encore limiter l’attention disponible à l’anticipation
et la prévention de la corruption :
115
Thomas Bayes (1702-1761) mathématicien. Le théorème de Bayes permet le calcul de probabilités
conditionnelles de plusieurs évènements (Probabilité de l’évènement B, étant donné que l’évènement A s’est
produit). L’inférence bayésienne, permet de calculer la probabilité d’un évènement en fonction de ses liens avec
d’autres déjà établis, sans que sa probabilité propre soit connue.
116
Stanislas Dehaene est titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France. Son
cours de 2012-2013, disponible en ligne, portait sur « Le cerveau statisticien : la révolution bayésienne en sciences
cognitives » (Dehaene, 2012).
117
Boucle OODA ou cycle de Boyd (1976, 1995) : développée pour le combat aérien, elle consiste en une
succession rapide d’observation, d’orientation, de décision et d’action permettant de dépasser la capacité de
réaction de l’adversaire. La succession d’action rapide le force à se repositionner en permanence limitant ses
capacités d’initiative. La boucle OODA est devenue une méthode de négociation dont l’efficacité a été observée
notamment lors des poursuites sous FCPA d’Alstom. Ses dirigeants, incapables de traiter les sollicitations trop
rapides de la justice états-uniennes, ont été réduit à merci et se sont soumis à leur concurrent General Electric
(Coussi & Moinet, 2019).
143
(1) Alors que les organisations ont comme mission première de créer de la valeur, la capacité
d’attention restante, pour ce qui n’est pas au cœur de la chaîne de valeur, sera faible.
(2) Les routines sont en tant que telles des moyens d’anticipation et de prévention (Cyert &
March, 1963; March & Simon, 1958). Mais par essence, elles ne traitent pas l’inattendu. Rerup
(2009), parle de la nécessité d’un équilibre de l’attention entre stabilité, vivacité et cohérence.
C’est en grande partie également l’analyse de Weick et Sutcliffe (2007) qui insistent sur une
culture d’entreprise basée sur cinq principes : la préoccupation de l’échec, le refus de la
simplification, la sensibilité aux opérations, l’engagement à la résilience, le respect de
l’expertise.
(3) L’article célèbre d’Ansoff « Manager les surprises stratégiques en réponse à des signaux
faibles » (Ansoff, 1975), reprend le point précédent en ajoutant une analyse de la qualité de
l’information et de sa réceptivité.
États d'ignorance en cas de discontinuité
État de la
connaissance
Type
d’information
Sentiment
de menace
/
opportunité
Source de
menace /
opportunité
Menace /
Opportunité
concrète
Réponse
concrète
Résultat
concret
Conviction que les
discontinuités sont imminentes
Oui
Oui
Oui
Oui
Oui
Source de discontinuité
identifiée
Non
Oui
Oui
Oui
Oui
Caractéristiques, nature,
gravité et moment de l'impact
compris
Non
Non
Oui
Oui
Oui
Réponse identifiée : le
calendrier, l'action, les
programmes, les budgets
peuvent être identifiés
Non
Non
Non
Oui
Oui
L'impact sur les bénéfices et les
conséquences de la réponse
sont calculables
Non
Non
Non
Non
Oui
Tableau 16 États d'ignorance en cas de discontinuité (Ansoff 1975, p. 24).
La psychologie cognitive indique que la qualité de l’information joue un rôle dans la capacité
à y être attentif. Le décideur a besoin d’informations présentées selon certains standards :
144
- Il intègre mieux les données dimensionnées (chiffrées) : il sait classer et traiter une
discontinuité
118
adossée à une évaluation (coût, prévalence, sévérité - voir p. 87) ; il ne sait
pas traiter l’incertitude.
- Il doit ressentir une contrainte de temps. Plus elle sera forte, mieux la discontinuité sera
perçue.
Une menace lointaine ou incertaine sera difficilement prise en compte par les décideurs. Pour
la corruption cela implique plusieurs actions qui ne sont pas du fait de la faiblesse du signal,
mais de l’acuité des sens du décideur (ou de son organisation) :
- Capacité de transformer une incertitude en un risque : expérience de la corruption, de ses
mécanismes, de ses coûts.
- Attentivité à la corruption : des décideurs activement à la recherche d’indices d’une
corruption potentielle, d’une exposition particulière, etc.
L’attentivité à la corruption est à la fois une préalerte améliorant la sensibilité à des événements
potentiels mais circonscrits. Elle est aussi la connaissance de ses propres processus cognitifs ou
métacognition.
« La régulation métacognitive fait référence aux processus qui coordonnent la
cognition. Il s'agit à la fois de processus ascendants appelés surveillance cognitive
(par exemple, la détection des erreurs, la surveillance de la source dans la
récupération de la mémoire) et de processus descendants appelés contrôle cognitif
(par exemple, la résolution des conflits, la correction des erreurs, le contrôle
inhibiteur, la planification, l'allocation des ressources).
La métacognition est étroitement liée à la fonction exécutive, qui implique la
capacité de surveiller et de contrôler le traitement de l'information nécessaire pour
produire une action volontaire. » (Fernandez-Duque, Baird, et Posner 2000, p.
288).
Fernandez-Duque, Baird et Posner montrent que la métacognition est le processus d’un
développement orienté de capacités cognitives spécialisées. Elle fait appel à l’évaluation
subjective de ses propres capacités cognitives et à des mécanismes non spécifiques tel que
l’inhibition des émotions (boucle métacognitive contrôle-évaluation).
118
Ansoff utilise le terme « discontinuité » dans lequel il inclut tout ce qui n’a pas fait l’objet d’une prévision et
qui surprend le manager.
145
« La poursuite de tâches exécutives/métacognitives peut fréquemment nécessiter
l'inhibition ou l'atténuation d'émotions, en particulier celles de valence négative.
Par conséquent, la capacité de détourner l'attention des réponses pénibles facilite
très probablement la planification et le maintien d'objectifs éloignés. » (Fernandez-
Duque, Baird, et Posner 2000, p. 295).
Pendant les interviews de l’étude qualitative (voir p. 242), certains des experts de
l’anticorruption (groupe 3) et des analystes (groupe 1), présentent cette capacité d’inhibition
(de distanciation) qui leur a permis de développer une expertise de la corruption plus
« conceptualisante » : une capacité de détection large (non spécifique à une forme de corruption
particulière). Elle est le produit d’un entraînement cognitif
119
.
Ce que l’on peut appeler en termes plus simples d’une part un instinct de chasseur (un gout
pour l’enquête), et d’autre part, une forme de bénévolence, distanciée mais sans compromis,
pour la corruption : une vocation.
La métacognition reviendra à plusieurs reprises dans la suite de ce développement : avec les
deux autres principes d’Ocasio, dans la littérature sur les psychopathes organisationnels (voir
p. 162), et dans celle sur la pensée de groupe (voir p. 171).
4.2.3 Principe 2 : L'attention située
L'attention est située dans les procédures et les canaux de communication : (1a) les
stimuli environnementaux de la prise de décision, (2) l'incarnation des questions et
des réponses dans les symboles culturels, les artefacts et les récits, et (5a) les
interactions entre les participants au canal. (3) Le contexte et les caractéristiques
des procédures et des canaux de communication interagissent pour façonner le
répertoire de questions et de réponses (Ocasio, 1997). Voir p. 140.
L’attention située est des trois principes d’Ocasio celui qui a été le moins traité ou plus
exactement qui est le moins visible. Il est masqué par l’importance prise par les questions des
119
En l’absence de ces capacités d’inhibition et d’évaluation, la fonction cognitive se limite à l’exécution de
routines. « De même, les théories de la fonction exécutive proposent que le système exécutif module les schémas
de niveau inférieur en fonction des intentions du sujet. En l'absence d'un système exécutif, l'information est traitée
automatiquement par les schémas. Par conséquent, sans contrôle exécutif, le traitement de l'information perd de sa
flexibilité et devient de plus en plus lié au stimulus externe. » (Fernandez-Duque, Baird, et Posner 2000, p. 289).
146
ressources et des structures qui depuis soixante-dix ans façonnent la recherche sur les
organisations conduites par l’école de Carnegie.
Cette difficulté a été étudiée par Brielmaier et Friesl (2022). Les auteurs font la synthèse de 173
articles sur l’ABV
120
. Constatant le petit nombre d’articles dédiés à l’attention située, ils
construisent une méthode d’extraction des élements situationnels en repartant des définitions
de Simon (1947). Ils parviennent à extraire les éléments situationnels masqués par d’autres
aspects de la TA.
« Notre compréhension de la manière dont l'attention des décideurs individuels
émerge réellement dans des situations particulières est, au mieux, embryonnaire.
Ceci est remarquable car l'idée d'une ‘attention située’ est une contribution clé de
l'ABV, qui prolonge les réflexions de l’école de Carnegie sur l'attention dans le
contexte des organisations. » (Brielmaier et Friesl 2022, p. 22).
Leur analyse permet d’établir un classement selon quatre facteurs situationnels :
Facteur
situationel
Exemple de
variable
explicative
Exemple de question de recherche
Matérialité
Artéfacts
matériels
Comment les artefacts matériels tels que les appareils électroniques ou
les présentations imprimées influencent-ils l'attention portée aux
questions et aux réponses dans des situations particulières ?
Environnement
matériel
Comment l'environnement matériel (par exemple, les salles et les
bâtiments), mais aussi les environnements de travail numériques ou
hybrides, influencent-ils l'attention portée aux questions et aux réponses
dans des situations particulières ?
Outils/canaux
numériques
Comment les différents canaux et outils numériques (et les questions et
réponses qu'ils rendent disponibles) influencent-ils l'attention portée aux
questions et réponses dans des situations particulières ?
Comment la demande attentionnelle des différents canaux et outils
numériques influence-t-elle l'attention portée aux questions et réponses
dans des situations particulières ?
Dynamique
sociale
Pouvoir
Comment la hiérarchie et le statut des autres influencent-ils la façon dont
l'attention est accordée aux questions et aux réponses dans des situations
particulières ?
120
Paramètres de sélection : citation de (Ocasio, 1997), notoriété de la revue, présence du mot « attention » dans
le titre, puis exclusion des articles ne traitant pas de l’ABV.
147
Processus
psychologiques
sociaux
Comment les entreprises gèrent-elles le "rétrécissement de l'attention"
sur certaines questions et réponses en raison de phénomènes sociaux
comme la pensée de groupe ?
Diversité
sociale et
nouveaux
acteurs
Comment la présence de nouveaux acteurs (internes et externes) ou la
diversité sociale influencent-elles l'attention portée aux questions et aux
réponses dans des situations particulières ?
Temporalité,
Structures
temporelles
Comment des structures temporelles différentes, telles que les
calendriers de réunions ou les échéances de projets, influencent-elles
l'attention portée aux questions et aux réponses dans des situations
particulières ?
Pression
temporelle
Comment la pression du temps dans des situations particulières
influence-t-elle l'attention portée aux questions et aux réponses ?
Timing
Comment le moment choisi pour aborder les questions et les réponses
(par exemple, au début ou à la fin d'une réunion ou après une expérience
négative ou positive) influence-t-il l'attention portée aux questions et
aux réponses dans des situations particulières ?
Cadrage de
la stratégie
Environnement
concurrentiel
Comment (l'adoption de) l'évolution de l'environnement concurrentiel
(par exemple, l'arrivée de nouveaux concurrents) modifie-t-elle
l'attention portée aux questions et aux réponses dans des situations
particulières ?
Performance
de l'entreprise
Comment la (mise en œuvre de) performance antérieure (inférieure ou
supérieure aux aspirations) influence-t-elle l'attention portée aux
questions et aux réponses dans des situations particulières ?
Contexte
structurel
Comment les (mises en œuvre de) changements dans les structures
d'attention de l'organisation (par exemple, un changement de la structure
organisationnelle ou des "règles du jeu" de l'organisation) changent-
ils/impactent-ils l'attention portée aux questions et aux réponses dans
des situations particulières ?
Tableau 17 Questions illustratives pour de futures recherches explorant des domaines d'intérêt particulier
(Brielmaier et Friesl 2022, p. 23).
Une autre explication de la difficulté à identifier le corpus situationnel de la TA, tient à la
pluralité des mécanismes entre « environnement » et « décideurs ». Ocasio dans son modèle
indique quatre voies (ou enchaînement de mécanismes) :
- Les voies passant par « questions et réponses » : mécanismes 1b+5b ou 1b+2+3. La liaison
5b est bidirectionnelle, les décideurs influent sur le filtre cognitif que sont « questions et
148
réponses » mais ils ne disposent, avant ce filtre, que des « questions et réponses » mises à
disposition par le contexte environnemental
121
.
- Les voies passant par « structure de l’attention » : mécanismes 1c+4c ou 1c+4b+3. Cet
enchaînement filtre la prise en compte du contexte en fonction de la distribution culturelle
de l’attention qui sera développée au chapitre suivant (voir p. 150).
Du contexte dans lequel se trouve les décideurs viennent une partie de leurs limites cognitives.
Elles participent à la culture d’entreprise. Ce sont par exemple un processus cognitif qui rendra
dans un contexte particulier les décideurs sensibles à une information particulière. Elle pourra
produire des routines plus efficaces pour traiter ce qui est connu. Mais ce sont aussi des
ensembles d’information ignorées ou tabous : par éducation des décideurs, par culture, par
excès de spécialisation (saturation cognitive et ignorance de ce qui n’est pas le cœur de métier).
Haas, Criscuolo, et George (2015) étudient les réponses apportées à un ensemble de plus de
treize mille problèmes informatiques traités par un forum de discussion en ligne. Ils constatent
que des facteurs métacognitifs, qui ne sont pas liés à la difficulté du problème mais à ses
caractéristiques présupposées ou ressenties, entraînent des niveaux de réaction différents.
(1) Un problème court ou routinier peut ne pas attirer l'attention par son manque d’originalité
alors qu’un problème estimé comme long ou nouveau rebutera par la charge cognitive
présupposée.
(2) Le manque ou l’excès d’autres problèmes aura un effet sur l’attention portée à un problème
nouvellement signalé.
Si ces résultats sont de bon sens, l’apport des auteurs est la non-linéarité des réactions. Pour le
premier une courbe en U indique que pour qu’un problème soit l’objet d’attention il doit se
situer à l’équilibre entre simplicité supposée et originalité. Pour le second, l’attention sera là si
les experts ne sont pas accaparés par d’autres problèmes. A la fois on retrouve la saturation
cognitive (voir p. 142), non plus pour un sujet donné, mais pour un ensemble de sujets à traiter.
Pour illustrer ce second principe, l’exemple de l’obligation pour les entreprises de réaliser une
cartographie du risque corruption (voir p. 133) peut être pris. En décomposant selon le modèle
d’Ocasio (voir Figure 6, p. 140) les rapports d’activités de l’AFA et le rapport d’évaluation de
121
La boucle métacognitive contrôle-évaluation intervient également affectant les mécanismes 5b et 3+5a.
149
l’Assemblée nationale il est possible de situer l’attention des entreprises soumises à la loi Sapin
2 (Agence française anticorruption, 2020, 2021; Gauvin & Olivier, 2021).
Le point de départ pour toutes ces entreprises est le même. L’environnement est modifié : une
nouvelle obligation s’impose (mécanisme 1a). Les « questions et réponses » ont plusieurs effets
(mécanisme 2) qui vont ouvrir ou fermer les « procédures et canaux » cognitifs de
l’organisation.
(1) En 2020, 47% des entreprises ignorent l’obligation : la cartographie des risques est un non-
sujet. Cela peut-être par ignorance du juridique, par externalisation des fonctions exposées
(finance, achats, ventes, management des projets), ou par désintérêt. Les « procédures et
canaux » ne traitent pas cette information.
(2) Une partie des entreprises adaptent leurs procédures et canaux de décision pour se protéger
d’une enquête de l’AFA. Cela prend la forme d’une cartographie a minima, du renforcement
du service juridique, d’une communication anticorruption de façade, etc.
122
La question est
« L’entreprise est-elle exposée à un risque juridique si l’obligation n’est pas respectée ?»
123
.
Les « procédures et canaux » sont victimes de biais cognitifs : biais d’attention, d’ambiguïté,
dissonance cognitive, effet Dunning-Kruger
124
.
122
La première décision de la commission de sanction de l’AFA : une entreprise qui avait établi une cartographie
des risques a minima, a obtenu gain de cause contre les recommandations de l’AFA. La commission des sanctions
a estimé que la loi était respectée. Certes une victoire juridique pour l’entreprise, mais surtout le marqueur de son
impréparation et sa fermeture cognitive : méconnaissance de la corruption, absence de plan d’amélioration, puis
absence de correction après les premières recommandations de l’AFA (Agence française anticorruption, 2019).
123
C’est l’angle choisi par la quasi-totalité des publications juridiques après la loi Sapin 2 (une revue approfondie
de ce corpus n’a donné aucun résultat). Ces auteurs semblent considérer que l’insécurité juridique due à la loi est
un risque supérieur à la corruption. La nécessité d’un équilibre de la fonction punitive de la loi, semble faire oublier
que l’anticipation et la prévention de la corruption précèdent une éventuelle mise en cause. Ce corpus utilise
l’expression « fonctions de répression et de dissuasion ». il fait un tout de ces deux fonctions alors qu’une autre
partie de la littérature juridique, économique et sociologique a montré l’absence d’effet dissuasif.
124
L’effet Dunning-Kruger est une surestimation par les moins qualifiés de leurs compétences. Il est dû à une
mauvaise estimation de ses propres compétences et à un déficit d’inhibition « Selon l'argument présenté ici, les
personnes présentant des déficits substantiels en matière de connaissances ou d'expertise ne devraient pas être en
mesure de reconnaître ces déficits. Bien qu'elles puissent commettre erreur sur erreur, elles devraient avoir
tendance à penser qu'elles se débrouillent très bien. En bref, les personnes incompétentes, par manque d'un
meilleur terme, devraient avoir peu d'idée de leur incompétence - une affirmation connue sous le nom d'effet
Dunning-Kruger »(Dunning 2011, p. 260).
150
(3) Un autre groupe d’entreprise complète une cartographie des risques existante en ajoutant ou
renforçant ce qui concerne la corruption. Leur mécanisme 2 était ouvert à des « questions et
réponses » proches, les « procédures et canaux » savent traiter, les décideurs également.
(4) Un dernier groupe prend conscience du sujet et le traite. Si les capacités métacognitives des
décideurs le permettent, ils étendent la cartographie des risques au-delà de la corruption. Ce que
les praticiens appellent la « fonction d’anticipation de l’intelligence économique » (Memheld,
2016).
Le rôle des décideurs (mécanismes 3 et 5a), capables de maintenir ouverte la capacité cognitive
et métacognitive
125
, est primordial. Il est déficitaire dans les deux premiers groupes : les
entreprises qui ignorent l’obligation de cartographie des risques et celles qui se méprennent sur
les objectifs.
Par leur engagement et une vraie communication, les décideurs peuvent favoriser (mécanisme
3) les procédures et canaux cognitifs. Ici une recherche préventive d’indices de corruption : un
état d’esprit produit d’un entraînement cognitif. Weick et Sutcliffe (2007) nomment cela la
sensibilité aux opérations. L’AFA parle de l’engagement de la direction comme principal
facteur éclairant la maturité des dispositifs anticorruption.
Parmi les biais présentés plus haut, l’effet de Dunning-Kruger peut conduire à un judiciarisation
de la structure cognitive anticorruption de l’organisation. En liant la corruption à la fonction
juridique, le risque est de couper les fonctions susceptibles d’être confrontées en premier à une
corruption interne ou externe des procédures et canaux cognitifs anticorruption. L’ajout d’une
fonction compliance n’aura pas plus d’effet préventif ou d’anticipation.
Autrement dit, une attention anticorruption sera située efficacement si elle se trouve là où les
autres évolutions de la chaîne de valeur ont également lieu : président-directeur-général,
ressources humaines, achats, ventes, management des projets et des investissements, finance.
Leur déficit d’attention à la corruption initie l’exposition au risque.
4.2.4 Principe 3 : Distribution structurelle de l'attention
La distribution des questions, des réponses et des décideurs au sein des différents
canaux dépend de la façon dont ces structures d'attention : (4a) génèrent un
ensemble de valeurs qui ordonnent les questions et les réponses, (4b) canalisent et
distribuent la prise de décision selon les procédures et les canaux de
125
Adaptabilité de la cognition et limitation des routines cognitives.
151
communication, (4c) fournissent un ensemble structuré d'intérêts et d'identités qui
façonnent leur compréhension et motivent leurs actions (Ocasio, 1997). Voir p. 140.
L’attention structurelle est le principe le plus présent dans la littérature. Elle se superpose à la
structure hiérarchique développée précédemment avec la TC ainsi qu’avec les interactions entre
individus qui seront développées au chapitre suivant.
Les mécanismes 4a, 4b et 4c d’Ocasio filtrent ou valorisent certaines informations. Ils sont une
forme de métacognition de groupe qui structure ce vers quoi les individus ou les fonctions de
l’organisation pourront orienter leur attention : (4a) quels sujets peuvent être traités (questions
et réponses) ? (4b) Quels procédures et réseaux cognitifs ont un sens ? (4c) Que doivent
considérer les décideurs lors de leurs prises de décision ?
L’effet, essentiellement délétère, peut s’exprimer par la question « Que suis-je autorisé à
penser ? ». « Je » étant le décideur ou une des fonctions de l’organisation. Cette question
structure l’attention. Les réponses ne sont pas les mêmes pour tous. Elles se distribuent selon
les expertises et la répartition du pouvoir autour de la décision. La peur
126
est souvent invoquée
comme motivation sous-tendue : peur de déplaire, peur de la confrontation, etc. (Kish-Gephart,
Detert, Treviño, & Edmondson, 2009; Vuori & Huy, 2016).
Les mécanismes de la peur sont cognitifs et métacognitifs : le « Que suis-je autorisé à
penser ? » est renforcé par analogie. Les routines cognitives se développent avec
l’accumulation d’expériences négatives.
« À long terme, cependant, ces expériences épisodiques individuelles [de la
peur] peuvent conduire à ce que nous appelons le silence habitué. Le silence
habitué résulte de la tendance naturelle des humains à développer des
comportements d'évitement axés sur la sécurité afin de réduire la peur en
minimisant l'exposition à des situations menaçantes qui pourraient la déclencher. »
(Kish-Gephart et al., 2009)
126
Si la peur est une émotion bien identifiée (en médecine et en psychologie), un corpus s’est développé entre
littérature académique et grand public sur la stupidité (des individus intelligents se comportant stupidement au sein
de l’organisation), la fainéantise ou sur l’incompétence organisationnelle. A titre d’exemple « The stupidity
paradox » de Spicer et Alvesson propose une « vision structurée par la stupidité » supportée par des études de cas
(Spicer & Alvesson, 2016). L’attrait de ce livre réside dans la répétition du mot « stupidité ». Mais les auteurs
développent bien un argumentaire qui reprend l’ABV. La stupidité y est l’explication et la conséquence d’une
distribution structurée de l’attention déficiente.
152
Vuori et Huy ont documenté la chute de Nokia entre 2005 et 2010. La peur apparait comme le
point de convergence pour plusieurs des mécanismes de l’attention menant à la sous-estimation
de la menace (ici un retard technologique de plus en plus sévère). Elle se traduit par le silence
du management intermédiaire entraînant un excès d’optimisme de la direction. L’ensemble
renforçant un sentiment de stabilité et de domination de la concurrence (Vuori & Huy, 2016).
Les auteurs ont poursuivi leur étude sur la période 2007-2013 (Vuori & Huy, 2022). Après la
chute de Nokia, ils montrent comment les managements intermédiaires et supérieurs sont
parvenus à accepter les émotions négatives ou positives (résultats de décisions mauvaises ou
bonnes). Ils décrivent alors sans le nommer un redémarrage de la boucle métacognitive
contrôle-évaluation : la sortie de l'inhibition et de l'atténuation des émotions (voir p. 144).
« Les groupes ayant un pouvoir sur les cadres supérieurs aident ces derniers à
contenir temporairement leurs émotions, ce qui leur permet d'envisager les options
plus largement et plus profondément. Au fur et à mesure que les cadres supérieurs
examinent les options, ils procèdent à des réévaluations fondées sur des données,
ce qui entraîne des changements progressifs dans leurs émotions. Les groupes
organisationnels qui fournissent une capacité cognitive affectivement neutre
soutiennent les cadres supérieurs dans le processus de réévaluation qui conduit à
des changements dans les émotions. Les groupes qui augmentent la vivacité des
options contribuent également à l'évolution des émotions des cadres supérieurs.
Les changements émotionnels encouragent ensuite d'autres recherches, des
réévaluations fondées sur des données et des changements émotionnels. En
définitive, ce processus récursif permet aux cadres supérieurs d'initier des
changements stratégiques radicaux qu'ils dédaignaient au départ. » (Vuori et Huy
2022, p. 332).
Cette réouverture cognitive modifie les mécanismes de filtration et redistribue la structure de
l’attention. La distribution structurelle de l’attention des différents groupes organisationnels et
du management supérieur a évolué, rendant ultimement possible l’évolution stratégique de
l’organisation.
La peur est une émotion naturelle face à la découverte d’une corruption interne à l’organisation.
Elle interroge sur la conduite à tenir : le silence, sinon qui alerter ? Quelles conséquences pour
l’organisation, ses collègues et soi-même ? Il est particulièrement difficile de demander à une
organisation de traiter la corruption comme une information nouvelle et d’importance, de la
faire remonter à travers le processus de prise de décision alors qu’elle est universellement
153
reconnue comme contraire à l’éthique, illégale et fait l’objet de communications internes
l’interdisant (peur de l’interdit). La routine cognitive peut être si puissante que l’organisation
ne pourra pas aller au-delà d’un traitement mécanique du cas, sans adaptation cognitive.
Cet effet a été évoqué par plusieurs personnes interviewées des groupes 2 (décisionnels
d’entreprise) et 3 (experts conseil anticorruption) : lors de la découverte de l’implication de
l’entreprise d’un cas de corruption, celui-ci est traité (par exemple en renvoyant les personnes
impliquées) et les procédures anticorruption sont renforcées (voir p. 227). Mais l’attention aux
causes premières comme le peuvent l’être une obligation de résultat excessive, des jeux de
pouvoir, les liens personnels de certains décideurs avec des organisations criminelles, ou un
aveuglement pour ce qui n’est pas le cœur de métier ne seront pas considérés. Dans le modèle
d’Ocasio (voir p. 140), la structure de l’attention, les questions et réponses et les décideurs n’ont
pas évolué, les mécanismes 4a et 4c continuent de filtrer ou de valoriser l’information comme
précédemment.
Les conséquences peuvent aller au-delà de la corruption. Ainsi le cas d’une entreprise implantée
en Chine et devenue dépendante de ce marché. L’implication du responsable Chine et ses liens
avec la direction générale a entraîné une inhibition complète autour des appels d’offre et des
paiements des pots-de-vin. Les membres de la direction Chine se sont tus ou sont partis.
L’inhibition perdurant, le pouvoir de ce dirigeant Chine s’est étendu, permettant en quelques
années la captation par le PCC de l’essentiel des profits mondiaux du groupe (Labic, 2021).
Alors qu’Ocasio donne bien deux rôles aux mécanismes cognitifs : filtrer ou valoriser. La
littérature se focalise sur la filtration. Il en résulte une difficulté à définir une stratégie
cohérente
127
. Une somme d’informations filtrées ne fait pas une stratégie au-delà de l’exemple
négatif des organisations inhibées et du cas de Nokia présenté plus haut.
127
Cette difficulté est identifiée par Rerup (2009) qui insiste sur la cohérence attentionnelle. C’est un des axes de
recherche que proposent Ocasio, Yakis-Douglas, Boynton, Laamanen, Rerup, Vaara et Whittington dans un article
choral de juillet 2022. « La dynamique de l'attention dans le monde de l'entreprise n'est plus la même qu'en 1997
[date de la parution du premier article d’Ocasio]. Les limites cognitives de l'attention sont des contraintes
biologiques qui transcendent l'histoire, la culture et la technologie, mais la façon dont les humains transcendent
ces contraintes par la technologie et l'organisation est historiquement contingente. Le concept de stratégie lui-
même est historiquement contingent, à la fois en théorie et dans la façon dont la théorie elle-même informe la
pratique. » (Ocasio et al. 2022, p. 3).
154
Les textes qui décrivent une valorisation de l’information semblent se limiter au dépassement
de l’interdit : de « Que suis-je autorisé à penser ? » à « Ce que je pense malgré l’interdit. »
avec deux directions principales : l’étude des sources de l’innovation (en particulier les
innovations en rupture), et la sortie de l’organisation : des individus qui ne supportent plus la
structure de l’attention que l’organisation impose. Ce qui, dans le cadre de cette thèse sur la
corruption, mène aux problématiques de l’alerte interne, des capacités cognitives et
métacognitives lors de situations nouvelles.
Ultimement il s’agit des lanceurs d’alerte. Ils s’autoexcluent ou sont expulsés des organisations
dont les capacités d’attention ne sont pas capables de traiter la corruption. Notre objet sont les
outils de prévention et d’anticipation de la corruption au sein de l’entreprise. Le départ d’un de
ses membres est avant tout un échec. Les moyens pour éviter un tel départ et le traitement
interne de la corruption restent dans le cadre de cette thèse. Le traitement de la corruption à la
suite du départ d’un lanceur d’alerte ne fait pas partie de l’anticipation, de la prévention ou des
solutions internes.
4.2.5 Relations avec les écoles cognitives et d’apprentissage
Comme pour les deux corpus étudiés précédemment, la TA reste dans la rationalité
aristotélicienne. La décision est celle d’un individu qui soumis à des contraintes qui obèrent
tout ou partie de sa liberté. La rationalité de la décision ne signifie pas que celle-ci est volontaire.
« On admet d'ordinaire qu'un acte est involontaire quand il est fait sous la
contrainte, ou par ignorance. Est fait par contrainte tout ce qui a son principe hors
de nous, c'est-à-dire un principe dans lequel on ne relève aucun concours de l'agent
ou du patient : si, par exemple, on est emporté quelque part, soit par le vent, soit
par des gens qui vous tiennent en leur pouvoir. » (Aristote 2014, III, 1, 1009b-
1110b).
Ce que la TA interroge n’est plus la responsabilité de cet individu comme dans le chapitre sur
l’éthique anticorruption, ou les principes extérieurs de la TC, mais les mécanismes de la prise
de décision. La TA, comme en partie la TC
128
, ajoute un élément supplémentaire. Entre
l’individu et la cité, l’organisation est le milieu ou la prise de décision se fait. La TA interroge
la prise de décision comme une action qui peut être le produit d’un individu ou d’un groupe.
128
Avec l’environnement et le management la troisième variable primaire de la TC est les ressources. Celles-ci
sont en partie internes à l’organisation.
155
Entrent en jeu leurs interactions ainsi que l’effet des contraintes et des ignorances communes
ou individuelles.
La proximité de la TA avec les écoles cognitives et d’apprentissage est certaine : par ses
précurseurs Simon, March et Cyert. Plus largement par le questionnement central de la TA sur
les interactions au sein de l’organisation et leur importance dans la prise de décision.
Mais il faut considérer cela avec circonspection. Certains auteurs, à la suite des premier travaux
de Simon
129
et de March (March & Simon, 1958; Simon, 1947), prennent une position
pessimiste et réduisent l’école cognitive aux biais cognitifs. L’information filtrée de biais en
biais converge vers l’immobilisme et le « biais de tous les biais » : le biais de confirmation
130
.
La réponse de Simon se trouve dès 1947 dans sa définition des critères d’efficacité.
« D'autre part, il est reproché à l'efficacité d'accorder toute son attention aux
moyens et de négliger les fins. […] L'efficacité, que ce soit dans l'État démocratique
ou dans l'État totalitaire, est le critère approprié à appliquer à l'élément factuel du
problème décisionnel. D'autres critères, éthiques, doivent être appliqués au
problème de l'évaluation. […]
L'élément éthique de la décision consiste en une reconnaissance et une évaluation
de tous les éléments de valeur inhérents aux possibilités alternatives. Les
principales valeurs impliquées sont généralement exprimées en tant que ‘résultats’
129
Il serait hors de proportion, concernant cette thèse, de reprendre le corpus complet de l’économie
comportementale. Herbert Simon reçoit en 1978 le prix Nobel d’économie principalement pour son livre de 1947
« Administrative behavior - a study of decision-making processes in administrative organizations » issu de sa thèse
de 1946. Un des apports de ses premiers travaux est de considérer l’organisation comme une machine rationnelle
à produire des décisions. Simon considère une limite à cette rationalité ou « bounded rationality » : manque
d’information, capacité limitée de traitement, répétition des décisions précédentes, etc. (Balducci, 2009). Cette
partie de l’œuvre de Simon est en lien direct avec la TA. Ocasio, comme Simon, ne se limite pas aux biais cognitifs.
Leurs approches qui prennent à la fois aux sciences économiques et à la psychologie tendent vers la question de
l’intentionnalité. Pour cette thèse cette même question se pose : la rationalité de la décision en matière de
corruption n’est pas toujours visible : divergence entre objectifs individuels et de l’organisation, interactions entre
individus, troubles comportementaux.
130
Voir le recensement de la littérature sur les biais cognitifs dans la prise de décision (Acciarini, Brunetta, &
Boccardelli, 2020). Les auteurs montrent que la surcharge d’information est, avec les biais, les deux éléments les
plus présents dans la littérature. Il existe une littérature spécifique qui traite de la surcharge d’information (Speier,
Valacich, & Vessey, 1999).
156
de l'activité administrative et, comme nous l'avons vu, l'activité elle-même est
généralement considérée comme neutre du point de vue de la valeur. Cela conduit
à isoler deux valeurs : (1) les valeurs positives exprimées en tant que ‘résultats’, et
(2) les valeurs négatives, ou coûts d'opportunité, exprimés en termes de coût en
temps ou en argent. » (Simon 1947, p. 260).
… et de leur rationalité :
« Une décision est rationnelle du point de vue de l'individu (subjectivement
rationnelle) si elle est cohérente avec les valeurs, les alternatives et les informations
qu'il a prises en compte pour y parvenir. Une décision est rationnelle du point de
vue du groupe (objectivement rationnelle) si elle est conforme aux valeurs qui
régissent le groupe et aux informations que le groupe juge pertinentes pour la
décision. Par conséquent, l'organisation doit être construite de telle sorte qu'une
décision qui est (subjectivement) rationnelle du point de vue de l'individu qui
décide, restera rationnelle lorsqu'elle sera réévaluée du point de vue du groupe. »
(Simon 1947, p. 324).
Ces deux citations ne doivent pas laisser penser que Simon considère l’éthique uniquement du
point de vue des conséquences éthiques d’une décision rationnelle. Il rapproche rationalité et
science comme le fait Adam Smith en réponse à une « efficacité brutale » qui ne serait que la
mesure d’une performance (voir p.34).
Le reproche qui pourrait être fait à Simon est de limiter les exemples des éléments non-éthiques
au champ social, notamment les conditions de travail. Celles-ci font tendanciellement baisser
l’efficacité de l’organisation (limitation du temps de travail par exemple).
Mais rien dans son raisonnement n’exclut des atteintes à l’éthique dont l’effet serait sans impact
sur l’efficacité, ne serait pas mesurable ou poserait une difficulté « purement éthique ». Rien
n’indique non plus que Simon considère, par calcul benthamien
131
, qu’une atteinte à l’éthique,
même d’une grande « efficacité brutale » doive emporter la décision. Ainsi pour Simon, toute
atteinte à l’éthique doit être considérée, tout comme toutes les autres conséquences de la
131
Si Simon dit qu’il faut tenir compte de tous les éléments de valeur, résultats, coûts et opportunités, sa pensée
diffère sensiblement du conséquentialisme benthamien en ce qu’il ne propose pas une somme des éléments de
valeurs induisant la décision.
157
décision : profitabilité, légalité, etc., sans qu’il définisse un automatisme de la décision sur ce
qui seraient, par exemple, des échelles du profit ou de l’éthique
132
.
L’autre rapprochement à considérer prudemment, celui avec l’école de l’apprentissage, procède
également d’une réduction de cette école à deux parties de son champ d’étude.
(1) L’article de Lindblom (1959) précurseur de l’école de l’apprentissage est intitulé « La
science de la débrouille ». Ce titre ne rend pas justice à la pensée de l’auteur. Face à des
situations complexes et à l’impossibilité de considérer l’ensemble des variables, Lindblom
propose de conduire des successions de comparaisons limitées à quelques variables (moyens et
objectifs). Les difficultés qui s’en suivent sont les évolutions successives des politiques
133
et le
classement de ces comparaisons (par exemple deux actions répondant différemment à plusieurs
objectifs sans que l’une des deux répondent mieux à leur ensemble). L’article de Lindblom
parfois considéré comme une défense de la méthode « essai-erreur » qui elle-même fait l’objet
de critiques car elle admet l’erreur dans le processus d’apprentissage. Tout en défendant la
supériorité des comparaisons limitées successives par rapport à la recherche d’une exhaustivité
impossible, Lindblom ne nie pas ses imperfections.
« Les comparaisons limitées successives sont donc bien une méthode ou un
système ; il ne s'agit pas d'un échec de la méthode pour lequel les administrateurs
devraient s'excuser. Néanmoins, ses imperfections, qui ne sont pas explorées dans
cet article, sont nombreuses. […]
Pourquoi alors prendre la peine de décrire la méthode dans tous les détails
susmentionnés ? Parce qu'il s'agit en fait d'une méthode courante de formulation
des politiques, et qu'elle constitue, pour les problèmes complexes, le principal
recours des administrateurs ainsi que des autres analystes politiques. Et parce
qu'elle sera supérieure à toute autre méthode de prise de décision disponible pour
les problèmes complexes dans de nombreuses circonstances, certainement
132
Selon Balducci (2009), après son prix Nobel, Simon s’est orienté vers la psychologie. L’organisation est un
instrument pour décider plutôt que pour réaliser des biens ou des services. « [Il définit] les organisations comme
des mécanismes qui servent à « réduire la complexité décisionnelle » de ses membres. Les règlements internes des
organisations, la chaîne hiérarchique, les normes non écrites, la tradition sont des instruments qui contribuent à
réduire la complexité décisionnelle de l’individu, en garantissant aussi la coordination entre les différents
individus qui composent l’organisation. » (Balducci 2009, p. 542-543).
133
Lindblom puise ses exemples dans l’administration publique.
158
supérieure à une tentative futile d'exhaustivité surhumaine. » (Lindblom 1959, p.
87-88).
A la fois, la corruption est une débrouille en ce sens que les processus officiels de l’organisation
ne peuvent en faire un moyen et encore moins un objectif
134
. Par ailleurs, il y a une forme de
flottement, de vision partielle, pour une organisation qui prend ce chemin. En se limitant à la
comparaison limitée « coût/bénéfice de la corruption », l’incertitude est telle qu’il est difficile
d’anticiper un résultat. La débrouille de Lindblom s’attaque à la complexité, qui peut inclure la
corruption. Mais ce n’est pas son objet principal.
(2) Une partie importante du corpus de l’école de l’apprentissage étudie le processus
d’innovation. Celle-ci est vue comme une « boite noire » dont les résultats sont toujours
empreints d’incertitude et qui fait l’objet de modélisations depuis des processus linéaires
jusqu’à une théorie du chaos appliquée à l’innovation (Cohendet, Mehouachi, & Simon, 2014;
Kline & Rosenberg, 1986).
Sans développer plus avant ce que seraient ces modèles appliqués à l’anticipation et la
prévention de la corruption, plusieurs des variables importantes pour les auteurs en économie
de l’innovation, sont communes au corpus de la TA appliquée à la corruption : mécanismes
cognitifs, compétence et développement de la connaissance, positionnement face à
l’incertitude.
Face à une situation nouvelle – ici une corruption interne risque ou incertitude – l’organisation
doit évoluer. Les modèles de l’innovation (définie comme la diffusion d’une invention) peuvent
s’appliquer à la condition que la connaissance des moyens d’anticipation, de prévention et
ultimement de réduction de la corruption soient acquis. Leur diffusion au sein de l’organisation
est une innovation.
La revue de la littérature montre ici une limite. Le croisement entre innovation et corruption,
plus généralement le thème des menaces comme source de l’innovation pour des organisations
non criminelles est un champ de recherche non exploré.
- La littérature sur la corruption est principalement descriptive. Elle permet d’évaluer l’effet
d’une politique publique
135
. Elle propose des modifications de l’environnement ou de la
réglementation ou impose des processus à l’organisation.
134
Ne sont pas considérées ici les organisations qui agissent pour un principe éthique supérieur comme dans le cas
des États légitimes. La corruption peut alors être un moyen ou un objectif participant une la solution éthique.
135
Voir les résultats de l’étude Anticorrp (Bauhr, 2017).
159
- La criminologie, de longue date, étudie l’intersection entre criminalité et économie,
notamment les entreprises criminelles, les réseaux et mafias. Mais ces institutions formelles
ou informelles ont comme caractéristique principale d’agir illégalement
136
.
- La zone grise entre activités légales et illégales est étudiée. Mais la perspective est celle du
glissement d’un monde vers l’autre (Véry & Monnet, 2008) et non de la menace comme une
opportunité d’innovation pour l’organisation.
La plupart des entreprises qui connaissent une corruption interne, et a fortiori externe, n’ont pas
comme caractéristique principale d’être criminelles. Leurs chaînes de création de valeur
respectent l’éthique, les lois et règlementations. Il semble y avoir une forme de frilosité à
intégrer dans la recherche sur l’innovation les réponses aux menaces. Celle-ci sont traitées
comme des éléments annexes, souvent externalisées : une perturbation de la chaîne de valeur
qui doit être réduite si elle ne peut pas être éliminée. Le cas de la menace cyber est révélateur.
Une organisation exposée renforcera ses moyens informatiques et son personnel expert ou fera
appel à des prestataires extérieurs. Mais elle n’intègrera pas cette menace dans son processus
d’innovation.
Pourtant les progrès rapides des sciences économiques dans les domaines du « machine
learning », du « big data » et de l’intelligence artificielle, sont la source de nombreuses
innovations qui partent toutes de l’analyse de la donnée. Les menaces produisent des données,
il ne reste qu’à les considérer.
4.3 Des pommes et des tonneaux
En traitant la corruption d’origine interne à l’organisation, il est apparu qu’une partie
significative de la littérature ne faisait référence ni à la TA ni à l’ABV. Les relations
interpersonnelles au sein de l’organisation sont le sujet d’étude de ces auteurs. Leur approche
est sociologique et éthique. Les mécanismes du modèle d’Ocasio (voir p. 140) ne sont que les
136
Ces organisations sont très innovatrices. Elles profitent des rentabilités augmentées conséquences de l’illégalité.
L’industrie de la méthamphétamine au Mexique est exemplaire de ce processus d’innovation permanente qui
affecte l’ensemble de leur chaîne de valeur interne et externe (León & Ochoa, 2014). En cas de changement
disruptif, comme la fin de la prohibition des alcools aux États-Unis en 1933, les trafiquants changent de produits.
Ils ne deviennent pas des commerçants d’alcool légal, mais créent le premier réseau de trafic international
d’héroïne : la French Connection (Colombié 2012). Ils conservent leur cœur de métier : le crime, et modifient leur
offre.
160
résultantes de ces relations. Plutôt que de forcer ces textes dans la classification TA des
chapitres précédents, le choix a été de conserver leur approche sociologique.
Treviño et Youngblood (1990) initient des échanges autour de la métaphore des pommes et des
tonneaux : sont-ce les pommes qui pourrissent les tonneaux ou le contraire ? Cinq articles en
trente ans serviront de trame à ce chapitre :
- 1990 « Mauvaises pommes dans des mauvais tonneaux : une analyse causale du
comportement de prise de décision éthique. » (Treviño & Youngblood, 1990).
- 2010 « Mauvaises pommes, mauvaises situations, et mauvais tonneaux : preuves méta-
analytiques sur les sources des décisions non éthiques au travail. » (Kish-Gephart, Harrison,
& Treviño, 2010).
- 2011 « Mauvaises pommes et mauvais tonneaux : un examen des effets au niveau du groupe
et de l'organisation dans l'étude du comportement contre-productif au travail. » (O’Boyle,
Forsyth, & O’Boyle, 2011).
- 2012 « Ni mauvaise pomme ni mauvais tonneau : comment le contexte sociétal influe sur
les comportements non éthiques dans les organisations. » (Gonin, Palazzo, & Hoffrage,
2012).
- 2019 « Pommes pourries, mauvais tonneaux et situations délicates : une étude des
comportements non éthiques sur le lieu de travail. » (Gifford et al., 2019).
La problématique de ces chercheurs est la prise de décision non-éthique. Leur postulat est de
considérer l’éthique comme un tout. Il s’appuie sur les notions de loi naturelle et d’universalité
de l’éthique, telles que développées dans le chapitre 2 « Une éthique universelle
anticorruption » (voir p. 18). Cette thèse reprend ce postulat. La corruption est à la fois la
relation transactionnelle telle que définie pour cette thèse (voir p. 13), mais elle est aussi la
« corruption-éthique individuelle » et la « corruption-dégradation de la cité » (voir p. 22) de la
philosophie morale.
Le cadre théorique et empirique est le suivant :
« L'argument des ‘mauvaises pommes’ attribue le comportement contraire à
l'éthique dans l'organisation à quelques individus peu recommandables qui
manquent de certaines qualités personnelles, comme le caractère moral. Les
recherches fondées sur cette approche des différences individuelles ont montré que
161
des mesures telles que le locus de contrôle
137
, l'orientation vers les valeurs
économiques, l'orientation vers les valeurs politiques, le machiavélisme et le
développement moral cognitif
138
sont liées de manière significative au
comportement de prise de décision éthique.
Selon l'argument des ‘mauvais tonneaux’, quelque chose dans l'environnement
organisationnel empoisonne les pommes qui seraient autrement bonnes. Ce point
de vue, soutenu par des enquêtes, attribue les comportements non éthiques à la
concurrence, à l'orientation de la direction vers les résultats, au manque de
renforcement du comportement éthique, aux demandes des figures d'autorité de se
comporter de manière non éthique et au comportement des pairs. » (Treviño &
Youngblood, 1990, p. 390).
Il est à noter que le modèle de Kohlberg de développement moral est évoqué par plusieurs
auteurs. Il est une pierre d’achoppement entre théorie et validation empirique sans être
totalement rejeté.
« Une des limites du modèle de Kohlberg est que les tests de jugement moral se
limitent aux cognitions - comment les individus pensent aux dilemmes moraux - et
non au comportement - ce qu'ils feraient réellement dans une situation de décision
particulière. La relation entre le jugement moral et l'action morale n'est pas encore
clairement définie. Le modèle postule que les deux devraient être liés en raison de
la volonté de l'individu d'assurer la cohérence entre la pensée et l'action. Les
recherches indiquent qu'il existe une relation modérée entre la pensée et l'action.
Ainsi, le jugement moral est une condition nécessaire mais non suffisante pour un
comportement moral tel que l'honnêteté, l'altruisme et la résistance à la tentation. »
(Treviño, 1986, p. 609).
La validité du modèle de Kohlberg pose d’autant plus de difficulté que l’ensemble des études
empiriques citées sont conduites sur des populations réduites (quelques centaines de personnes
137
Locus de contrôle (ou lieu de contrôle) est un concept en psychologie inventé par Julian Rotter en 1954. Un
individu avec un locus de contrôle externe attribuera à une causalité externe ce qui lui advient (fatalité, action d’un
tier, divinité). Un individu avec un locus de contrôle interne croit qu’il y a un lien entre ses actions et ce qui lui
advient (échec, réussite, maladie, etc.).
138
La littérature sur le développement moral cognitif, principalement celle concernant le développement moral de
l’adolescent, reprend la vision aristotélicienne et confucianiste d’une éthique acquise par éducation.
162
au mieux). Elles interrogent la moralité des répondants dans leur organisation. Il est difficile
d’établir les conditions de leurs réponses : enjeux, pressions, volonté de se conformer, etc.
La suite de ce chapitre étudiera successivement :
- Les individus corrompus – « Bad apples »,
- Les organisations d’individus corrompus – « Bad barrels »,
- Les mauvaises circonstances et dilemmes éthiques – « Bad cases ».
4.3.1 Les individus corrompus – « Bad apples »
Est-il possible pour un individu, appartenant à une organisation, d’agir seul ? La plupart des
organisations ont des procédures internes qui imposent la complicité de tiers ou leur
manipulation
139
. Cela dépendra du type d’atteinte à l’éthique, de la capacité de cet individu à
utiliser une partie des membres de l’organisation à son profit : a minima d’obtenir leur silence,
leur passivité, voir leur complicité qu’ils en retirent un profit ou pas.
Paulhus et Williams (2002) inventent l’expression « triade sombre » (TS) qui regroupe trois
profils d’individus : narcissique, machiavélien16 et psychopathique. L’expression est rendue
célèbre avec les « psychopathes d’entreprise » (PE) par Clive Boddy pour décrire les traits de
personnalités de certains managers (Boddy, 2005)
140
.
La validité psychopathologique de ces profils, dans l’usage qu’en fait Boddy et les autres
auteurs de la psychologie légale appliquée aux organisations, est critiquée. L’utilisation des
termes « narcissique », « machiavélien » et « psychopathique d’entreprise » pour des cas
subcliniques, non-diagnostiqués et dans l’environnement particulier de l’entreprise pose des
139
Le cas de « l’idiot utile » ne sera pas traité en tant que tel. L’expression est péjorative et mal attribuée. Elle a
servi à qualifier les complices des dictatures communistes dans les démocraties. Il est préférable de le réserver à
cet usage. Le cas des naïfs ou des complices involontaires (les deux mots sont antinomiques) sera traité dans le
chapitre suivant.
140
Boddy s’inspire des travaux de Robert Hare sur les psychopathes. Hare est à un psychologue judiciaire
spécialiste des psychopathes désocialisés ou incarcérés qui à partir des années 1990 étend ses recherches vers les
cas subcliniques. Boddy est à l’origine un chercheur et un conseil en marketing. Il découvre dans son activité de
conseil les PE. A partir de 2005 il redirige ses recherches vers eux. Boddy et Hare s’opposent notamment sur les
outils de mesure de la psychopathie. Ce sont deux vulgarisateurs de talent, générant un important volume de
travaux académiques et de tous niveaux.
163
difficultés
141
. L’objet de cette thèse n’est pas d’ajouter au débat. Les profils décrits par Boddy
sont validés empiriquement
142
. Ils permettent de comprendre le fonctionnement de ces
managers, pourquoi et comment ils parviennent à leurs fins.
Par extension la TS permet de comprendre ce qu’un individu corrompu ou corrupteur non
pathologique peut atteindre. La suite de ce chapitre recense la littérature sur la TS. Les profils
non pathologiques seront traités dans le chapitre suivant.
(1) Narcissique
« Le narcissisme comprend une vision gonflée de soi, des fantasmes de contrôle, de
succès et d'admiration, et un désir de voir cet amour de soi renforcé par les autres.
[…] Les narcissiques exagèrent leurs réalisations, bloquent les critiques, refusent
de faire des compromis et recherchent des relations interpersonnelles et
amoureuses uniquement avec des personnes qui les admirent. […] L'hypothèse de
l'égoïsme menaçant soutient que les narcissiques rejettent généralement les
commentaires négatifs, mais que s'ils sont censurés ou critiqués publiquement, ils
sont susceptibles de réagir de manière agressive. » (O’Boyle et al. 2012, p. 558).
Des trois profils de la TS, le profil narcissique est le plus difficile à identifier. Il est attendu d’un
manager qu’il se mette en avant, qu’il soit visible. Le diagnostic se fera sur des critères indirects,
comme par exemple un trop grand nombre de photos le représentant dans les publications de
l’organisation, un écart de salaire inhabituel entre un dirigeant narcissique et ses collaborateurs,
141
Psychopathie : « État de déséquilibre psychologique caractérisé par des tendances asociales sans déficit
intellectuel ni atteinte psychotique. » (Larousse, 2022). Les psychopathies varient. Depuis des comportements si
erratiques et si inadaptés que ces personnes sont incapables d’interaction sociale. Elles sont souvent incarcérées
ou institutionnalisées. A l’autre extrémité, il s’agit de personnes présentant des difficultés de lien social et
d’empathie. Les PE sont situés selon les auteurs au milieu du spectre, jusqu’au niveau le moins affecté (Harrison,
Summers, & Mennecke, 2018; Sheehy et al., 2021).
142
La validation empirique des trois profils de la TS, en particulier des PE, permet de vérifier leur existence. La
prévalence des PE au sein des organisation est de l’ordre de 1% de l’organisation avec une plus forte concentration
dans les niveaux hiérarchiques plus élevés (de l’ordre de 3,5% du management senior). Selon les études entre 5 et
13,4% des personnes interrogées disent avoir travaillé à un moment de leur carrière avec un PE (Babiak et al.,
2010; Boddy, 2006, 2011; Caponecchia et al., 2012). Pour cette thèse, on retiendra que l’existence des PE est
empiriquement validée et que leur prévalence est significative. La limite est que les études de prévalence ont toutes
été réalisées sur des faibles populations (quelques centaines de personnes au maximum et moins de dix
organisations à chaque fois).
164
des résultats d’évaluation de ces mêmes collaborateurs en fonction des qualités que ce dirigeant
pense rassembler (Bollaert, 2010).
Si le profil narcissique fait bien parti de la TS, cela ne signifie pas que son action soit
nécessairement mauvaise pour les performances de l’organisation (Christensen, Mackey, &
Whetten, 2014). Les narcissiques prennent des initiatives et veulent mener. Ce qui est la
fonction même du manager.
Le danger pour l’organisation vient de l’incapacité à se remettre en cause : l’adaptabilité à une
situation nouvelle, la difficulté à intégrer une information dont ils ne peuvent s’approprier
l’origine, etc. L’organisation recevant en permanence de nouvelles informations, la capacité
pour un profil narcissique de rester au contact avec la réalité va en diminuant. Avec la
surestimation de sa vision de lui-même vient la sous-compréhension de sa performance réelle
(Furnham, Richards, & Paulhus, 2013; Paulhus & Williams, 2002). L’impact d’un manager
narcissique sur l’organisation est majeur. Par extension, Duchon et Drake (2009) parlent de
narcissisme organisationnel. Il résulte d’une fusion entre le ou les narcissiques et l’organisation
qu’ils mènent.
« Les narcissiques extrêmes sont entièrement égocentriques, déconnectés de la
réalité. L'organisation narcissique extrême institutionnalise la domination, le
contrôle, le droit et l'exploitation pour renforcer son identité inadaptée. Ainsi, il est
possible d'observer des attributs et des activités organisationnels qui peuvent être
utilisés pour qualifier un système de narcissique extrême, bien que les notions de
vertu et de comportement éthique ne fassent probablement pas partie de ces
attributs. » (Duchon et Drake 2009, p. 303).
Le manager narcissique, surtout s’il est hiérarchiquement élevé, croit que son organisation est
unique jusqu’à l’illusion : une organisation omnipotente, omnisciente et qui lui appartient (que
cette organisation soit service, une entité plus large ou toute l’entreprise). Il dédaigne les autres
et toute information qui contredirait l’image qu’il a de lui-même et de son organisation.
Contredites les organisations narcissiques nient les faits. Elles créent un narratif auto
justificateur basé sur leurs caractéristiques uniques. Le narcissique et son organisation
renforcent leur identité (bureaux et architectures exceptionnels, préciosité, affectation et
vanité). Tout est légitime à servir leurs destins. Il n’y a plus de conscience morale (A. D. Brown,
1997; M. E. Brown, Treviño, & Harrison, 2005).
« Le narcissique extrême désire tellement les biens extérieurs qu'il se comportera
de manière contraire à l'éthique pour les obtenir. […] Le narcissique extrême est
165
l'exploiteur suprême et, en tant que tel, il est lui-même une institution corrompue. »
(Duchon et Drake 2009, p. 306).
(2) Machiavélien
« La personnalité machiavélique est définie par trois ensembles de valeurs
interdépendantes : une croyance avouée en l'efficacité des tactiques de
manipulation dans les relations avec les autres […], une vision cynique de la nature
humaine […], et une vision morale qui place l'opportunisme au-dessus des
principes […]. Ils réussissent relativement bien dans leur carrière, en particulier
lorsqu'ils travaillent dans des environnements non structurés et moins organisés.
[…] Ils sont plus susceptibles de tricher, mentir et trahir les autres, mais ils ne
s'engagent pas régulièrement dans des formes extrêmement négatives de
comportement antisocial. » (O’Boyle et al. 2012, p. 558).
Les profils narcissiques machiavélien se recoupent au point que McHoskey, Worzel, et Szyarto
(1998) considèrent, qu’au moins pour les cas subcliniques, ils partagent la même construction
de la personnalité. Les deux dénominations seraient le fruit de recherches séparées en
psychologie sociale et clinique. Selon d’autres auteurs le machiavélisme serait une forme
subclinique de psychopathie
143
.
La différence que font les auteurs en sciences sociales tient aux motivations premières des
machiavéliens par rapport au PE. Ce dernier se caractérise par son indifférence à l’autre. Le
machiavélien croit au pouvoir qu’il peut exercer. Le PE s’attache à maintenir les apparences si
elles le servent, notamment l’apparence d’un comportement éthique. Le machiavélien voit dans
l’éthique et la non-éthique des outils équivalents. Il est plus intraverti, plus nerveux, moins
« agréable à vivre » que le PE. La comparaison entre narcissique et machiavélien révèle que ce
dernier est plus perspicace, plus conscient de la réalité et de lui-même, plus indifférent à son
image. (Boddy, 2010; Furnham et al., 2013; Paulhus & Williams, 2002).
L’absence d’étude validant spécifiquement le lien entre éthique et machiavélisme montre que
ce profil, qui semble au premier abord bien caractérisé, est trop proches du PE. Celui-ci semble
« tirer à lui » toute la littérature. Des études de cas mentionnent le machiavélisme comme la
143
Les tests d’évaluation spécifiques MACH IV et MACH V (test de personnalité de Lickert) cherchent à mesurer
un degré de machiavélisme. Les adaptations et reprises sont nombreuses, Par exemple en théorie des jeux, un score
élevé de machiavélisme indiquerait un profil d’« homo economicus » n’agissant que par intérêt personnel.
166
cause de comportement non-éthique, mais le manque de précision dans la définition choisie ne
permet pas de les retenir.
(3) Psychopathe d’entreprise (PE)
« […] la psychopathie, se caractérise par un manque d'intérêt pour les autres et les
mécanismes de régulation sociale, l'impulsivité et l'absence de culpabilité ou de
remords lorsque leurs actions nuisent aux autres. Sur le plan interpersonnel, ce
sont souvent d'habiles gestionnaires d'impression, qui sont désinvoltes et
charismatiques. Émotionnellement superficiels, ils adoptent souvent des styles de
vie parasites, s'engageant dans une variété d'activités criminelles pour parvenir à
leurs fins. » (O’Boyle et al. 2012, p. 558).
Depuis le premier article de Boddy (2005) « Les implications des psychopathes d'entreprise
pour les affaires et la société : Un premier examen et un appel aux armes », le profil du PE s’est
enrichi, phagocytant les profils des narcissiques et des machiavéliens
144
. Il y a une attractivité
dans le terme « psychopathe d’entreprise » (PE). Il est tentant, en l’absence d’un diagnostic
psychopathologique précis, de traiter quelqu’un ayant un comportement inhabituel de fou. Lui
attribuer un profil de PE ou plus simplement de psychopathe n’est pas autre chose.
Il serait tout aussi faux de nier presque vingt ans de recherche sur ces profils de manager ; la
définition de la TS, hors le cadre des sciences économiques, par Paulhus date de 2002.
L’accumulation des études empiriques et des études de cas ainsi que le rapprochement, encore
non abouti, entre recherche clinique, sociologie et sciences économiques confirme la réalité de
ces trois profils. Leur rassemblement sous celui de PE ne présente, au moins pour cette thèse,
pas de difficulté. Il y a des degrés pour la TS comme pour tous les humains. Les trois profils de
la TS ont une propension augmentée à s’affranchir de l’éthique, de corrompre ou d’être
corrompus.
144
Furnham, Richards, et Paulhus (2013) font un bilan de la recherche sur la TS. En décomposant leurs
caractéristiques ils montrent le fort recouvrement deux à deux de ces trois profils (jusqu’à 50% dans le cas des
narcissique et des PE. « La clé de la différenciation de la triade noire réside dans l'administration de mesures de
ces trois éléments à un même échantillon et dans l'application d'une régression multiple pour déterminer leurs
contributions indépendantes. […] Par rapport aux deux autres, les machiavéliques sont plus susceptibles de
plagier des essais et d'éviter les paris risqués. Plus que les deux autres, les narcissiques se mettent en valeur et
agissent après une menace pour leur ego. Enfin, plus que les deux autres, les psychopathes intimident les autres,
et réalisent leurs fantasmes de vengeance. » (Furnham, Richards, et Paulhus 2013, p. 203).
167
Le PE présente des caractéristiques lui permettant une certaine réussite professionnelle : Peu
sensible au stress, il sait prendre des risques, notamment dans les situations difficiles. Son style
charismatique, sa pensée stratégique, sa créativité et ses talents de représentation font de lui un
« leader naturel ». Mais il est aussi un impulsif, sans respect pour les règles sociales, incapable
de créer des relations personnelles. C’est un mauvais équipier qui surestime ses prérogatives,
sous-estime et méprise ses supérieurs, ses collaborateurs ou ses collègues. Pour parvenir à ses
fins, il ment de façon routinière, tente de défausser ses erreurs sur les autres. Il agit
malhonnêtement à son avantage exclusif. Avec le temps ses insuffisances managériales
prennent le pas. Il crée une atmosphère de travail empoisonnée. Son objectif est le pouvoir
145
.
Il n’est jamais satisfait et, par exemple, repousse un départ en retraite qui le couperait de l’objet
de sa domination. Le trait qui distingue le plus le PE des du reste de la TS est sa propension à
la menace, aux brimades, à la violence y compris physique et à la vengeance. Son degré de
psychopathie, moindre que pour les cas cliniques, limiterait ou retarderait l’escalade de ces
violences. (Babiak, Neumann, & Hare, 2010; Boddy, 2011; Caponecchia, Sun, & Wyatt, 2012;
Sheehy, Boddy, & Murphy, 2021).
L'effet sur les organisations débute par la première impression qu’ils donnent : charisme,
dynamisme, adaptabilité. Ils semblent rassembler toutes les qualités. Cela favorise leur
embauche et leur concentration à des postes hiérarchiquement élevés. Un premier mécanisme
qu’ils déclenchent est la division entre une fraction qui les soutient et une autre qui pense que
l’organisation est en danger. Typiquement cette dernière est battue et le PE progresse dans la
hiérarchie sans plus d’opposition.
« Les commentateurs du leadership ont remarqué que l'on a tendance à écrire sur
le leadership comme s'il était toujours positif, éthique et bon. Ces commentateurs
soulignent que cela ne tient pas compte du côté sombre du leadership, où l'auto-
agrandissement narcissique et la poursuite du pouvoir personnel pour le gain
personnel sont évidents. Ce type de leadership est facilité par des suiveurs
conformistes, pragmatiques ou passifs qui font ce qu'on leur dit afin de trouver
145
Certains auteurs rapprochent le PE de « l’homo economicus » un décideur purement rationnel ne fonctionnant
que par la recherche égoïste du profit. Au-delà de l’existence même de l’homo economicus, ce rapprochement est
erroné. Le PE cherche le pouvoir et la domination. L’argent est pour lui un moyen et non un but. La destruction
de l’organisation, qui est le résultat attendu de l’action du PE, n’est pas la conséquence d’une maximisation de son
profit personnel, mais de ses inaptitudes managériales (Boddy, Sheehy, & Murphy, 2022).
168
grâce aux yeux du leader qu'ils suivent et d'obtenir ainsi des avantages pour eux-
mêmes. […]
De plus, l'imitation et la reproduction du comportement des leaders
organisationnels ont été constatées dans les recherches sur le leadership toxique
des organisations ce qui signifie que la présence de psychopathes d'entreprise au
sein d'une organisation peut avoir un effet insidieux sur la prise de décision éthique
de l'ensemble de l'organisation. » (Boddy, Ladyshewsky, et Galvin 2010, p. 125).
Les études de cas dédiées à la recherche de PE sont rares
146
. En ce sens l’article de Clive Boddy
« Leadership psychopathe : étude de cas d'un PDG psychopathe d'entreprise » (Boddy, 2017)
est exceptionnel à plusieurs titres :
- L’organisation étudiée est caritative. Sans but lucratif, ces organisations sont moins
attractives pour des personnes qui lient succès et réussite financière. La motivation du PE
est le pouvoir et la domination. La réussite financière ne présente d’intérêt que si elle marque
ce pouvoir et cette domination.
- Ce PDG PE était suffisamment nouveau pour qu’il ait été possible de comparer son style de
management avec celui de son prédécesseur.
- L’article utilise une méthode standardisée d’évaluation de la psychopathie (PM-MRV2
147
)
qui a permis de comparer le PDG précédent et le nouveau.
146
Les autres études de cas qui font intervenir des profils de PE ne procèdent pas à une évaluation spécifique des
individus. Elles constatent que les mécanismes internes et l’évolution de l’organisation sont conformes à l’effet
d’un PE.
147
Le PM-MRV2 (mesure de la psychopathie – recherche en management version 2 « Psychopathy Measure–
Management Research Version 2 ») est un outil de screening des PE par questionnaire développé par Clive Boddy.
Ses détracteurs lui reprochent un manque de discrimination avec les profils machiavéliens ou narcissiques et un
manque d’efficacité générale (Jones & Hare, 2016). D’autres outils eux aussi critiqués existent. La littérature
montre une difficulté générale à mesurer les psychopathies y compris sévères. Le positionnement des PE par
rapport au spectre psychopathique n’est pas fermement établi (il varie entre le milieu et le bas du spectre tout en
étant subclinique). Enfin les origines diverses des chercheurs (médecine, psychologie, sociologie et sciences
économiques) constituent sans doute un frein.
169
Grace à une différence de score PM-MRV2 importante entre les deux PDG et une évolution de
l’organisation telle que décrite dans la littérature, cette étude valide l’effet d’un individu PE sur
une organisation
148
. Les auteurs relèvent quatre éléments principaux :
- Alors que sous le PDG précédent, les performances perçues et réelles correspondaient, avec
le PDG PE, six mois après son arrivée, les deux courbes s’écartent. La performance perçue
continue de progresser ; la performance réelle se dégrade rapidement.
- Les capacités managériales du PDG PE sont décrites comme absentes. Cela est d’autant plus
visible que pour cette organisation caritative un management éthiquement exemplaire était
attendu.
- Le climat de peur que le PDG PE a développé entraîne la démission de l’ensemble d’un
effectif de 70 personnes (85% au bout de deux ans, plus de 100% y compris le départ de
certains nouveaux arrivés au bout de deux ans et demi).
- Le PDG PE déclenche deux restructuration en trois ans supprimant plusieurs postes de
direction. Les quatre directeurs restants sont décrits comme inutiles pour trois et comme
fainéant pour le quatrième. Ces personnalités sont décrites par la littérature comme
particulièrement attractives pour un PE car elles sont manipulables par leur manque de
compétence et d’engagement.
En poussant le raisonnement et avec un sourire, il y a des aspects de l’entrepreneur
schumpétérien dans le profil du PE et partiellement dans ceux des narcissistes et des
machiavéliens de la TS. D’une part la non prise en compte du risque. L’entrepreneur ne perd
rien si l’entreprise échoue. Schumpeter le distingue de l’investisseur qui au contraire perd en
cas d’échec. Le PE va au-delà, puisqu’il met en place des techniques de déflexion des risques :
collaborateur fusible gagné par la sympathie, absence au moment clef mais présence en cas de
succès, etc. Ses actions sont rationnelles et sans considération pour autrui. Sa psychopathie l’en
affranchit (Boddy, 2006). Mais ses motivations sont bien celles de l’entrepreneur
schumpetérien.
« Quelles sont les motivations de l’entrepreneur ? Qu’est-ce qui incite les
entrepreneurs à entreprendre ? Ici encore, l’analyse de Schumpeter se montre
étonnamment moderne. Elle insiste sur les aspects psychologiques, liés à
148
L’étude d’une seule organisation ne suffit bien entendu pas. Malgré une technique de collecte de donnée
rigoureuse, seuls deux managers de l’entreprise ont été interrogés.
170
l’existence de sources intrinsèques de motivation, plutôt que sur l’anticipation de
profit monétaire. » (Pénin 2016, p. 25).
Pénin poursuit citant Schumpeter.
« Il y a d’abord en lui le rêve et la volonté de fonder un royaume privé, le plus
souvent, quoique pas toujours, une dynastie aussi. Un empire, qui donne de
l’espace et le sentiment de la puissance […] Cette motivation on peut chez l'un la
préciser avec les mots de liberté et de piédestal de la personnalité, chez l'autre par
sphère d'influence, chez le troisième par snobisme [...] Puis vient la volonté du
vainqueur [...] vouloir remporter un succès pour le succès même [...] Il s'agit d'une
motivation étrangère à la raison économique et à sa loi [...] La joie enfin de créer
une forme économique nouvelle [...] Il peut n’y avoir que simple joie à agir.
L'exploitant pur et simple vient avec peine au bout de sa journée de travail, notre
entrepreneur lui a un excédent de force. » (Schumpeter 1999, p. 135-136).
Pour clore ce développement sur les mauvaises pommes comme initiatrices seules de la
corruption, la masse de la littérature est l’indicateur d’une recherche active qui a permis
plusieurs avancées : (1) les trois profils de la TS sont identifiés et caractérisés. Ils se recoupent
en partie et le PE attire plus l’attention que les deux autres. Les apports de la psychologie
clinique et de la sociologie ne sont pas totalement intégrés. Le PE n’est-il qu’un cas subclinique
de psychopathie ? (2) Les effet de la TS sur l’organisation sont eux-aussi caractérisés. Mais la
différence avec ce qui peut n’être qu’un « simple » très mauvais management est difficile à
trancher et il est difficile sans de rares études de cas d’aller au-delà de :
« Les résultats de ce type de leadership sombre seraient un gaspillage de
ressources, des carrières ruinées et un effondrement de l’organisation. Le côté
obscur des entreprises comprendrait la dégradation de l'environnement, la
corruption, la fraude, les fausses déclarations financières et les pratiques de travail
nuisibles, et serait motivé par la cupidité, l'impatience et la soif de pouvoir. »
(Boddy, Ladyshewsky, et Galvin 2010, p. 125).
L’état de la recherche permet de caractériser a posteriori l’effet des profils de la TS. Anticiper
et prévenir demandent leur identification avant qu’ils ne sévissent. Une piste semble être les
scores d’évaluation. Mais ils sont aussi l’objet d’un débat. Leur utilisation à titre préventif, par
exemple lors des recrutements, pose des difficultés d’interprétation.
171
4.3.2 Les organisations d’individus corrompus – « Bad barrels »
« Quels types de traits, en plus de la force et de l'intelligence personnelle,
contribueraient à la prospérité de cette créature socialement dépendante ? L'un de
ces traits, ou une combinaison de traits, pourrait être appelé docilité. Être docile,
c'est être malléable, et plus que tout, être enseignable. Les personnes dociles ont
tendance à adapter leur comportement aux normes et aux pressions de la société.
Le terme "docilité" évoque peut-être un peu trop la passivité, mais je ne connais
pas de meilleur mot.
L'argument n'est pas que les gens sont totalement dociles, ni qu'ils sont totalement
égoïstes, mais que l'aptitude exige une réactivité mesurée mais substantielle à
l'influence sociale. Dans certains contextes, cette réactivité implique une
motivation à apprendre ou à imiter ; dans d'autres contextes, une volonté d'obéir
ou de se conformer. Du point de vue de l'évolution, avoir un degré considérable de
docilité n'est pas de l'altruisme mais de l'égoïsme éclairé. » (Simon 1947, p. 303).
Le pendant de l’analyse de Simon est celle de Pinto, Leana et Pil (2008) « Organisation
corrompue ou organisation d’individus corrompus ». Pour les membres de telles organisation,
l’interrogation est double :
- De la naïveté en passant par la bêtise, l’ignorance, l’aveuglement volontaire jusqu’à la
complicité et l’action en bande organisée ou gang.
- Du suiveur passif en passant par l’incompétent contraint à la corruption par ignorance de son
environnement ou des enjeux de son organisation, ou l’ambitieux sans structuration éthique,
jusqu’aux profils de la TS.
Il est difficile d’interroger l’ignorance et la bêtise. A un certain niveau de responsabilité elles
ne sont pas tolérables. Mais il s’agit alors d’un problème disciplinaire : une inadaptation à la
responsabilité exercée devant entraîner une réorientation ou un renvoi.
Si un individu est intellectuellement et cognitivement compétent – ne serait-ce que de signaler
un cas potentiel de corruption – alors sa responsabilité est engagée. Il se trouve devant un choix
éthique.
« Comme l'a déclaré un examinateur anonyme, ‘Certaines personnes dans la
plupart des cas et la plupart des personnes dans certains cas se comportent de
manière éthique.’ Cette approche individuelle est parfois qualifiée de ‘caractère
moral’. De ce point de vue, lorsque le caractère moral est exemplaire, des théories
supplémentaires sur les comportements non éthiques sont inutiles. En revanche,
172
lorsque le caractère moral est modéré ou douteux, l'étude des ‘cas’ devient
importante et nécessite des théories et des pratiques supplémentaires, comme
l'accent mis sur les mauvais tonneaux, les problèmes ou les relations. » (Brass,
Butterfield, et Skaggs 1998, p. 15).
Tous les individus corrompus n’appartiennent pas à la TS. Comme le distinguent Gifford et al.
(2019) une mauvaise pomme n’est pas nécessairement une pomme pourrie. La psychologie et
la sociologie tentent de caractériser des traits de personnalité indicateurs du degré d’éthique.
Gifford et al. lient les mauvaises pommes (individus non-éthiques, non TS) au locus de
contrôle137 et aux « cinq traits de personnalité »
149
. Ils montrent que ces individus tiennent
compte de leurs pairs et de leurs supérieurs. Par exemple, le besoin d’appartenance au groupe
augmente le risque d’un choix non-éthique.
Irving Janis publie en 1972 « Victimes de la pensée de groupe : une étude psychologique des
décisions et des fiascos en matière de politique étrangère ». Il y analyse notamment l’échec de
l’opération de la baie des Cochons au début de la présidence Kennedy en 1961 (Janis, 1972). Il
reprend le même exemple l’année suivante dans un article qui peut être considéré comme un
outil « d’aide au diagnostic » des organisations.
« Au début, j'étais perplexe : comment des hommes brillants et avisés comme John
F. Kennedy et ses conseillers pouvaient-ils se laisser prendre au piège du stupide
plan en patchwork
150
de la CIA ? J'ai commencé à me demander si une sorte de
contagion psychologique, semblable aux phénomènes de conformité sociale
observés dans les études psychologiques de petits groupes, n'avait pas perturbé leur
vigilance mentale. » (Janis 1973, p.21).
Janis y définit 8 symptômes de la pensée de groupe (PG) :
« 1. Une illusion d'invulnérabilité, partagée par la plupart des membres, qui crée
un optimisme excessif et encourage la prise de risques extrêmes.
149
Cinq traits de personnalité : ouverture, conscienciosité (ou conscience morale), extraversion, amabilité,
instabilité émotionnelle. Ce modèle est contesté et concurrencé par d’autres. La recherche souffre de définitions
qui varient selon les auteurs et d’une difficulté à valider empiriquement des traits de personnalité qui se
superposent.
150
Le plan de la CIA prévoyait que la prise d’une zone limitée de Cuba par une troupe, elle aussi peu nombreuse
(1400 opposants cubains), allait entraîner par contagion un retournement de la population.
173
2. Des efforts collectifs de rationalisation afin d'écarter les avertissements qui
pourraient amener les membres à reconsidérer leurs hypothèses avant de s'engager
à nouveau pour leurs décisions politiques précédentes.
3. Une croyance incontestée en une moralité inhérente au groupe, qui incite les
membres à ignorer les conséquences éthiques ou morales de leurs décisions.
4. Une vision stéréotypée des rivaux et des ennemis comme étant trop mauvais pour
permettre de véritables tentatives de négociation, ou comme étant trop faibles et
stupides pour être capables d’une tentative sérieuse de les faire échouer à atteindre
leurs objectifs.
5. Une pression directe sur tout membre qui émet des arguments forts contre
n’importe lequel des stéréotypes, illusions ou engagements du groupe, en faisant
comprendre que ce type d’opposition est contraire à ce que l'on attend d’un membre
loyal.
6. L'autocensure de tout écart au consensus apparent du groupe, reflétant la
tendance de chaque membre à minimiser pour lui-même l'importance de ses doutes
et de ses arguments contraires.
7. Une illusion partagée d'unanimité concernant les conclusions conformes à
l'opinion majoritaire (résultant en partie de l'autocensure des écarts, augmentée
par la fausse supposition que le silence signifie le consentement).
8. L'émergence de censeurs autoproclamés - des membres qui protègent le groupe
contre les informations défavorables qui pourraient ébranler leur complaisance
commune quant à l'efficacité et à la moralité de leurs décisions. » (Janis 1973, p.
21-22).
La critique de Janis la plus sérieuse est venue de Bertram Raven (1998). Elle porte sur la
cohérence du groupe. S’agit-il d’un effet de groupe ou de l’obéissance d’individus à un leader
commun ? Alternativement s’agit-il d’une pensée de groupe ou d’une attraction partagée pour
le prestige, le sentiment de succès, une mission ? Raven propose une « norme de
l’emballement », « runaway norm » : dans certains cas la conformité aux décisions du groupe
ne suffit pas. Chacun des membres cherche à en faire plus ce qui entraîne une escalade vers des
décisions toujours plus extrêmes et plus risquées.
L’affaire Enron (Voir également p. 112) met en évidence une autre forme d’interactions entre
les décideurs et l’organisation : un petit groupe adopte une « morale alternative » qui ne vaut
que pour eux. On retrouve les symptômes de Janis (voir p. 172) à l’exception du troisième : ce
174
groupe ne prétend pas agir moralement
151
. Se considérant comme une élite, ils harcèlent,
abusent, pratiquent un ensemble large d’atteintes à la probité : abus de biens sociaux, fraudes,
manipulation de cours de bourse, corruption, etc. Ils forment un club (Stein et Pinto parlent
d’un gang) partageant des goûts communs : voyages, produits de luxe, prostitution, etc. (Sims
& Brinkmann, 2003; Stein & Pinto, 2011; Windolf, 2004)
Leur position envers les femmes est révélatrice. Exclues du groupe, elles sont affublées de
surnoms de méchants de gang ou de bandes dessinées
152
. Les membres du groupe sont ceux
qui correspondent aux canons de l’homme beau. Une esthétique qui lie le masculin, à
l’héroïsme, au succès et donc au bien
153
. Ils sont beaux car ils ont réussi et réciproquement. Ce
qui est féminin (qualités attribuées, personnes, etc.) est laid : une mauvaise nouvelle est
repoussante et « monstrueusement féminine » (Edwards, Hawkins, & Schedlitzki, 2019). Pour
le reste de l’organisation, réussir demande de faire allégeance, avec l’espoir de certains de
rejoindre l’équipe des gagnants.
Plusieurs dynamiques de groupe, assimilables aux mécanismes cognitifs de la TA sont à
rapprocher de l’exemple d’Enron. Leurs effets s’enchaînent vers une neutralisation volontaire
de l’éthique par tout ou partie des décideurs avec la complicité d’autres membres de
l’organisation. « Quand des employés font de mauvaises choses pour de bonnes raisons »
(Umphress & Bingham, 2011a). Appliqués à la corruption, deux articles (Anand, Ashforth, &
Joshi, 2005; Ashforth & Anand, 2003) décomposent le processus en trois étapes :
151
L’explication de comportements contraires à l’éthique seulement en raison de la forte compétition interne n’est
pas satisfaisante. Si la compétition interne favorise les résultats, la diffusion des comportements non-éthiques serait
due à l’adoption par les « perdants » des comportements des « gagnants ». L’organisation serait éthiquement
indifférente. Autrement dit elle serait incapable de limiter les atteintes à l’éthique initiées par les « gagnants »
(Kulik, O’Fallon, & Salimath, 2008).
152
Rebecca Mark, directrice de Enron International, sera nommée « Mark the shark » « Mark le requin ». Sherron
Watkins, vice-présidente développement du groupe, sera « the buzzsaw ». A la fois un tueur qui utilise une scie
circulaire et une femme qui essaie d'être amicale ou drôle, mais qui ne réussit qu'à être agaçante (Edwards et al.,
2019).
153
A rapprocher de Kallos : du grec ancien, beauté physique et morale (Bailly, 2021). La beauté est attribuée par
les dieux. L’entretien du corps comme la pratique des vertus rend physiquement beau. Par opposition un corps laid
indique une âme vile et non aimée des dieux. Kallos s’applique aux hommes et aux femmes. Mais il est surtout
magnifié chez l’homme grec : sport, héroïsme guerrier, etc. « Malheureux Pâris ! sois donc fier de ta beauté,
maintenant, guerrier efféminé, lâche séducteur ! » (Homère, Illiade, chant 3).
175
(1) Rationalisation : face à des indices de corruption, l’individu considère qu’il est préférable
de ne pas s’opposer. Il rationalise sa décision en considérant que ce n’est pas de sa
responsabilité
154
, que personne ne subit de préjudice (qu’il n’y a pas de victime), que d’autres
font la même chose, que les enjeux sont plus importants que ce problème secondaire de
corruption (alternativement que l’organisation a suffisamment prouvé sa vertu pour se
permettre ce petit écart).
(2) Socialisation : pour que la corruption puisse prospérer, il faut que la rationalisation fasse
consensus. Ce qui pose un problème avec l’arrivée de nouveaux membres. Face à la corruption,
certains, les moins adaptables, choisirons de partir. D’autres seront encouragés à adopter la
même rationalisation : désir d’appartenance au groupe, renforcé par une participation aux
résultats, introduction progressive à la réalité des pratiques, compromission.
(3) Institutionnalisation : le départ rapide des nouveaux arrivants non adaptables, l’intégration
des plus adaptables ou la compromission des autres, institutionnalise la corruption
155
.
« Les comportements organisationnels institutionnalisés ont été définis comme des
activités stables, répétitives et durables qui sont mises en œuvre par de nombreux
membres de l'organisation sans que l'on s'interroge sur la pertinence, l'utilité ou la
nature du comportement. Dans la corruption institutionnalisée, l'impulsion et
l'appareil de corruption sont extérieurs à toute personne : la corruption est une
propriété de la collectivité. […] Nous considérons la corruption collective comme
une pente glissante où les pratiques de corruption initiales, idiosyncrasiques,
s'institutionnalisent avec le temps. » (Ashforth et Anand 2003, p. 4).
Pour Ashford et Anand, les mauvaises pommes font les mauvais tonneaux, mais :
154
La rationalisation passe par un transfert de responsabilité. Il peut s’agir, comme le dit Janis, des circonstances,
de personnes tierces « tout le monde le fait ». Mais lorsque l’individu ne peut plus se nier à lui-même que sa
corruption est une faute morale, la recherche désespérée d’une rédemption peut aller jusqu’à la l’invention d’une
cause sacro-sainte (un absolu substitut moral) ou d’illusions grandioses. Ultimement l’individu peut invoquer un
diable en lui ou la puissance tierce du diable sur lui (De Klerk, 2017).
155
L’institutionnalisation peut dépasser les limites de l’organisation. L’étude d’une série de cas de corruption,
collusion et abus de bien sociaux à l’université de médecine et de dentisterie du New Jersey en 2005, montre que
l’institution doit être comprise comme l’ensemble du système de santé : depuis les élus et fonctionnaires qui
décident des financements, et conduisent des carrières entre gouvernement, université et secteur privé jusqu’aux
étudiants devenus médecins ou administratifs qui passent de la soumission à l’autorité académique à la collusion
avec les élus et fonctionnaires (Schwartz, 2017).
176
« […] notre analyse n'a pas pour but d'exempter les individus de leur responsabilité
personnelle dans la corruption - en particulier les cadres supérieurs, avec leur
pouvoir relativement plus grand et leur responsabilité fiduciaire pour
l'organisation. Ce que nous voulons dire, c'est que lorsque des mauvaises pommes
produisent un mauvais tonneau par le biais de l'institutionnalisation, le tonneau
lui-même doit être réparé : seules des réponses systémiques peuvent inverser la
normalisation systémique. » (Ashforth et Anand 2003, p. 37).
Le corpus sur les mauvais tonneaux, la corruption et le processus rationalisation-socialisation-
institutionnalisation est riche. En compléments plusieurs concepts ressortent :
- Dépersonnalisation : Nieuwenboer et Kaptein (2008) font appel à la théorie de l’identité
sociale (TIC). Ils utilisent le terme dépersonnalisation au lieu de celui de neutralisation. En
cela ils sont plus proches de l’exemple d’Enron où les personnes impliquées ne sont pas
seulement complices mais partagent des goûts et des « valeurs communes ».
- Agression et ostracisation : l’institutionnalisation de la corruption neutralise l’éthique
individuelle des membres de l’organisation (Umphress & Bingham, 2011b). Elle la protège
des « agressions » : une dénonciation sera considérée comme une déviance par rapport à la
norme (Schehr, 2008). Le dénonciateur sera ostracisé par ses collègues et sera l’objet de
sanctions (Near & Miceli, 1996; Rothschild & Miethe, 1999).
- Appel à la loyauté : déjà identifié par Janis (voir p. 172), il est le pendant au besoin
d’appartenance au groupe, parfois reformulée comme une croyance dans le groupe. A
rapprocher, par exemple en Chine à la réécriture du taoïsme et à l’alignement sous l’autorité
du PCC (voir p. 56 et 59).
- Perception de la hiérarchie (préoccupation hiérarchique) : Un ressenti négatif de sa
position par rapport aux autres peut entraîner un comportement contraire à l’éthique contre
ses pairs (vol de contrat, sabotage, etc.). Plus la hiérarchie sera perçue comme importante,
plus l’effet corruptif sera important. Si le corrompu ici est un individu, sa corruption est
induite par l’organisation (Nieuwenboer, Kish-Gephart, Treviño, Peng, & Reychav,
2022)
156
.
156
L’article qui propose ce concept est unique et date d’avril 2022 (pas de réponse ou de critique identifiée en
juillet 2022). Mais la qualité des auteurs et leur référence à la théorie de la comparaison sociale qui elle est souvent
citée dans la littérature sur les organisations corrompues a fait retenir cet article.
177
- Éducation : La validation empirique d’un effet des écoles de management et des formations
du type MBA ou executive MBA sur une augmentation de la corruption n’est pas établie.
Mais plusieurs articles vont en ce sens (Ashforth, Gioia, Robinson, & Treviño, 2008; Gioia,
2002) complétés par des études statistiques sur des panels réduits et des questions proches
concernant la fraude, l’éthique, etc. Cette évolution éthique négative de ces étudiants ne
serait pas uniquement due à leur formation académique. Dans une étude comparant des
étudiants de plusieurs disciplines Laméris, Méon et van Prooijen établissent une différence
dans les choix d’étude.
« Nous constatons que les études de commerce attirent des étudiants qui sont moins
préoccupés par le pouvoir de marché des entreprises et plus confiants dans les
avantages de l'échange que les autres étudiants. Les étudiants en commerce sont
également plus enclins à croire que le sort des individus dans la vie est mérité. Cela
suggère que les étudiants en commerce ont davantage confiance dans les
mécanismes du marché que les autres étudiants. En outre, ils sont plus optimistes
quant à leurs perspectives d'avenir. Nos résultats montrent également que les
étudiants en commerce ont tendance à moins valoriser l'égalité, et à valoriser
davantage les biens matériels et la richesse. » (Laméris, Méon, et van Prooijen
2022, p. 22).
Toutefois une étude de l’institut Aspen de 2008 (dernière version publiée) montre une forte
évolution des étudiants de quinze MBA aux États-Unis vers plus d’éthique et de
responsabilité sociale de l’entreprise (Aspen Institute, 2008; Frank & Schulze, 2000).
- Choc et exposition publique : La vertu salvatrice du choc ou de l’exposition publique est
évoquée par plusieurs des personnes interviewées. Ils indiquent une prise de conscience à la
suite du renvoi des personnes impliquées et d’un plus grand intérêt pour les formations
anticorruption (voir étude qualitative p. 242).
« Inverser la corruption peut donc être un défi. Comme les employés concernés ne
se considèrent pas comme corrompus, il faut souvent un choc important - comme
une exposition publique - pour faire reconnaître la nécessité d'un changement. »
(Anand, Ashforth, et Joshi 2005, p. 50).
Pour clore cette revue de la littérature sur les organisations corrompues, aucun article ne
propose de solution si ce n’est les principes C2 (voir p. 228) et des appels à l’exemplarité du
management. Aucun article n’évalue leurs efficacités, que ce ne soit pas le sujet ou qu’ils
limitent ces « solutions » à un court paragraphe. Malgré leurs finesses d’analyse, ces auteurs
experts des organisations et de la corruption buttent sur la question primordiale de la décision
178
individuelle. Qu’il soit dépersonnalisé, neutralisé ou soumis par ses collègues, un groupe ou
l’organisation dans son entier, il reste responsable.
« Les vertus ne manquent pas dans les entreprises. Le problème est plutôt de les
défendre avec une conviction ferme. Il faut trouver des moyens de cultiver la
conscience privée qui s'écartent des voies conventionnelles de l'incorporation. […]
L'introspection et la socialité
157
sont, en termes pratiques, les clés de la
construction de la conscience. Il est possible que ceux qui sont prêts à suivre les
mauvais leaders (les méchants, les acolytes, les spectateurs et les isolés) soient plus
nombreux que ceux qui s'y opposent. Cependant, comme l'histoire des entreprises
l'a montré, en particulier ces derniers temps, la conviction personnelle est, dans un
sens très réel, la source de la conscience collective. » (Solas 2019, p. 55-56).
4.3.3 Les mauvaises circonstances et les dilemmes éthiques – « Bad cases »
Après les premières recherches sur les pommes et les tonneaux sont apparus, par les mêmes
auteurs, en particulier Linda Treviño et Jennifer Kish-Gephart (Kish-Gephart et al., 2010), les
« bad cases » : une extension de la discussion aux circonstances autour de la prise de décision
éthique.
Ce questionnement vient aussi de la critiques de l’expérimentation sur les décisions éthiques,
par exemple sous la forme de jeux sanction-récompense conduits avec de panels d’étudiants
(Treviño & Youngblood, 1990). Elles souffrent de la distance, elle aussi difficile à évaluer, avec
les situations réelles.
Comment recréer des conditions représentatives de la corruption au sein d’une organisation ?
Comme dans la citation de Solas qui conclut le chapitre précédent, comment faire intervenir
l’éthique et les convictions personnelles lors d’une expérience comme dans une situation
réelle ? Cela ne retire rien à la validité de l’expérimentation mais le domaine de validité et les
conditions limites doivent être considérées avec prudence.
Pour ce qui concerne cette thèse, ces questions sont les mêmes que l’interrogation sur l’éthique
universelle anticorruption (voir p. 18). L’observation aristotélicienne du monde est validée par
l’accumulation au fil des siècles de la pensée d’auteurs déjà cités. Le désir d’un sous-ensemble
artificiel représentatif de la relation de l’homme à son environnement (une expérience du
monde), est une utopie.
157
Socialité : ensemble des liens sociaux découlant de la capacité de l'homme à vivre en société (Larousse, 2022).
179
Deux articles, qui sont plus des incises, sur l’universalité de l’éthique et la relation entre
l’individu et sa relation cognitive à l’organisation, doivent toutefois être notés :
(1) Dans une méta-analyse extensive de la littérature sur comportements contraires à l’éthique
(136 articles, 17 hypothèses sur les caractéristiques individuelles, morales et
organisationnelles), Kish-Gephart, Harrison, et Treviño concluent :
« Malgré l'intérêt croissant des praticiens et des universitaires pour la prise de
décision éthique, de nombreuses questions subsistent quant aux facteurs
fondamentaux des décisions non éthiques. Les pommes pourries sont-elles à blâmer
pour les décisions éthiques non conformes, et qui sont-elles ? Quelles sont les
caractéristiques des mauvais cas et des mauvais tonneaux qui peuvent gâcher
l’ensemble ? […] Les données cumulées suggèrent non seulement l'existence de
sources multiples ou de facilitateurs de choix contraires à l'éthique – mauvaises
pommes, mauvais cas et mauvais tonneaux - mais aussi la possibilité intrigante que
ces agents agissent au moins parfois par des voies plus impulsives et automatiques
que calculées ou délibératives. » (Kish-Gephart et al., 2010, p. 23).
Reformulé plus efficacement dans l’abstract par :
« Cela suggère la nécessité de considérer plus fortement une nouvelle perspective
‘d'impulsion éthique’ en plus de la perspective traditionnelle de ‘calcul éthique’. »
(Kish-Gephart et al., 2010, p. 1).
Les auteurs ne consacrent qu’un bref passage à la philosophie morale. Pourtant se retrouvent
ici la casuistique et le moteur éthique (voir p. 82) : des règles (déontologie), des calculs ou des
estimations des conséquences (dont le conséquentialisme), où l’homme est le moteur d’une
décision alimentée notamment, et comme le notent les auteurs, par son éducation morale.
(2) Gonin, Palazzo, et Hoffrage (2012) partent de la relation de l’homo economicus
158
(HE). Sa
réalité présente moins d’intérêt que ce que les auteurs développent quant à sa relation avec une
entreprise coupée ou non de son environnement social. La théorie des institutions dit que les
individus comme les entreprises agissent dans un environnement d’institutions formelles et
informelles, que les auteurs nomment « garde-manger ». L’HE et son entreprise s’y nourrissent.
158
Homo economicus : sujet conçu par l'analyse économique comme un être agissant de manière parfaitement
rationnelle (Larousse, 2022). Il est rationnel, informé, egocentrique, autonome. Ses objectifs sont la maximisation
de l’usage et de la valeur.
180
Les auteurs montrent que la spécialisation, la recherche de l’efficacité maximale, la
globalisation économique conduisent à une insuffisance de la moralité de l’entreprise et une
perte de leur légitimité aux yeux de la société.
« Alors qu'il y a toujours eu, et qu'il y aura probablement toujours, des mauvaises
pommes et des mauvais tonneaux, la construction d'un garde-manger salubre
159
pourrait être le meilleur moyen d'empêcher d'autres pommes et tonneaux de devenir
mauvais » (Gonin, Palazzo, et Hoffrage 2012, p. 41).
L’apport de cet article, est une reformulation de l’influence de l’environnement sur
l’organisation. En 2012 la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) et l’inclusion de
l’ensemble des parties prenantes dans l’évaluation stratégique font consensus depuis longtemps.
Plutôt que de présenter l’environnement soit comme un risque, une contingence ou un champ
d’opportunités, les auteurs parlent d’un effet assainissant de l’environnement.
(3) Ce même article (Gonin et al., 2012) se termine par un appel au monde académique, qui
recoupe à nouveau la philosophie morale d’Aristote (voir p. 23) et de Confucius (voir p. 55). Il
reprend l’hypothèse d’un effet délétère des formations en management (voir p. 177).
« Les chercheurs ne peuvent plus éviter une discussion ouverte et critique sur leurs
responsabilités dans la conception étroite de l'HE dans la pratique actuelle. En
même temps, les différents scandales de gestion, comme ceux liés à la crise
financière et économique actuelle, sont aussi une source d'encouragement. Bien
que les universitaires prétendent souvent n'être que des observateurs neutres de la
réalité, le fait que de telles conséquences puissent être le résultat d'une prophétie
auto-réalisatrice suggère qu'un modèle alternatif développé par eux peut gagner,
avec le temps, une influence pratique et mieux intégrer les acteurs du marché
actuellement débridés dans une vision du monde sociétale plus large. Le
développement d'une telle alternative exige que les chercheurs et les praticiens ne
soient plus dominés par la pensée de l'Homo economicus mais qu'ils mettent en
avant toutes les ressources possibles de l'Homo sapiens. » (Gonin, Palazzo, and
Hoffrage 2012, p. 41).
159
« Sanitary larder ». « Sanitary » peut se traduire par « sain, propre » ou « sanitaire ». Le contexte montre que
les auteurs précisent un effet antiseptique de l’environnement sur l’organisation et ses membres et non un
environnement aseptique.
181
4.4 Conclusion
Le même reproche d’une théorie incomplète faite à la TC peut s’appliquer à la TA. Le nombre
de facteurs intervenant dans la prise de décision est lui aussi trop important. Toutefois la
modélisation de la TA comme un processus permet de classer les facteurs en fonction des étapes
de la prise de décision pendant lesquels ils interviennent. En se limitant à la corruption, il est
alors possible d’identifier en creux les facteurs manquants. Puisque l’objectif est de trouver des
solutions de prévention et d’anticipation de la corruption, la TA devient une critique des
pratiques managériales favorisant la corruption. Simon (1947), l’école de Carnegie et la
synthèse d’ Ocasio proposent une théorie du déficit de l’attention.
Cette dernière partie de la littérature sur la corruption permet de compléter l’analyse. Avec la
TC et l’éthique anticorruption, l’ensemble des facteurs internes et externes sont couverts (voir
Tableau 1, p.10). Comme pour les intersections « Non-E » et « Non-TC », l’analyse montre
également que l’intersection « Non-TA » est vide. Toutefois, et c’est l’intérêt aussi de cette
lecture en creux de la TA, trois quasi-exceptions sont à noter :
(1) Les mécanismes cognitifs et métacognitifs de la TA ne sont évoqués que par une faible
partie du corpus éthique. Construite sur la psychologie, puis enrichie par la psychiatrie et les
neurosciences, la TA est éloignée de la philosophie morale. Mais cela n’est que partiellement
vrai. Les auteurs qui traitent des interactions entre individus de l’organisation, construisent leurs
raisonnements à la fois sur les mécanismes cognitifs et sur l’éthique. C’est la raison pour
laquelle une limitation trop stricte à la TA est apparue comme oblitérant une partie trop
importante de la littérature sur les causes internes de la corruption.
(2) La TC, par une concentration trop exclusive sur les facteurs externes à l’organisation,
semble oublier la prise de décision. Le modèle de la TC précise que l’efficacité du système
dépend de trois variables primaires : ressources, management et environnement (voir Figure 3,
p. 90). Mais la concentration de la littérature sur les contingences de l’environnement ignore
largement le management et les ressources. La vision conflictuelle de la relation des
organisations à leur environnement évoquée en introduction au développement sur la TC
augmente encore cet effet (voir p. 85).
(3) Dans une moindre mesure, l’homo economicus peut être considéré comme appartenant à
l’intersection « Non-TA ». Rationnel, omniscient et informé, il est indemne de limite cognitive.
Toutefois cet homo economicus n’est qu’une expérience de pensée, utile, mais sans réalité.
182
Le message principal que la littérature sur la TA porte, est la limite des capacités des cognitives
des individus et des organisations. Si comme le calcule Miller (1956), il n’est pas possible de
traiter plus de 2,5 informations simultanément (voir p. 141) et que dans le même temps les
mécanismes cognitifs agissent plus comme des filtres que pour valoriser l’information (voir p.
150), alors on obtient une image essentiellement négative de la prise de décision.
Elle se traduit par les deux questions « Que suis-je autorisé à penser ? » (voir p.151) et « Ce
que je pense malgré l’interdit. » (voir p. 154). Plus fondamentalement la revue de la littérature
montre, en particulier dans le cas des atteintes à l’éthique et explicitement dans le cas de la
corruption, que la peur est essentielle pour comprendre les prises de décision (voir note 126, p.
151). La peur décale la concentration de l’attention (principe 1), interdit certaines questions et
réponses (principe 2), modifie la distribution structurelle de l’attention (principe 3).
L’autre apport de la TA est une réflexion sur l’adaptabilité de l’organisation freinée par des
routines cognitives. Elles permettent un traitement plus rapide et plus efficace du « quotidien
informationnel » de l’organisation. Symétriquement, ces routines rendent l’organisation moins
en mesure de traiter ce qui est nouveau, notamment les crises. Elles peuvent aussi affecter la
métacognition des décideurs, rendant l’organisation non seulement peu adaptable à une crise,
mais aussi peu adaptable à des modèles économiques différents comme le peuvent être les
environnements corruptifs ou les kleptocraties.
Pour cette thèse et l’analyse des interviews de l’étude qualitative (voir p. 242), l’intérêt du
questionnement sur les organisations corrompues et les organisations d’individus corrompus
est qu’il permet de lister des aspects remarquables et dont identifiables de la corruption. Ils sont
intégrés à la carte heuristique de la corruption (voir p. 269) qui est la base de codage de l’analyse
qualitative des interviews.
Sans rependre ce qui a déjà été développé, cela comprend pour les individus :
- Les profils narcissiques, machiavéliens et les PE. Que ces personnes présentent un tableau
complet (tout en restant subcliniques), où que certains traits évoquent ces profils (voir p.
162).
- Les deux interrogations sur les comportements individuels : de la naïveté jusqu’à l’action en
bande organisée, du suiveur passif jusqu’aux profils de la TS (voir p. 171).
Pour les dynamiques de groupe :
- Les huit symptômes de la pensée de groupe de Janis (voir p. 172).
183
- La neutralisation de l’éthique, le processus « rationalisation-socialisation-
institutionnalisation » et l’hypothèse « les mauvaises pommes font les mauvais tonneaux »
(voir p. 175) qui sont reformulés comme une dépersonnalisation par la théorie de l’identité
sociale.
- Un ensemble de marqueurs d’une « morale alternative » (voir p. 176) : Agression et
ostracisation des dénonciateurs des atteintes à l’éthique, appel à la loyauté devenue vertu
cardinale, hiérarchie si pesante que les individus sont prêts à tout pour réussir (corruption
induite), effet potentiellement pervers des formations en management.
Il est à noter qu’un seul mécanisme de transformation de l’organisation est décrit dans la
littérature : le choc à la suite de l’exposition publique d’une atteinte à l’éthique entraînant une
prise de conscience. Il est complété du vœu d’un effet salubre de l’environnement sue
l’organisation (Gonin et al., 2012).
Ceux des textes qui annoncent des propositions de solutions anticorruption, soit ne traitent pas
ce point, soit font appel au renforcement des lois ou des règlementations internes ou externes à
l’organisation. Cela a déjà été évoqué lors du développement sur le droit positif (voir p. 50), et
pour la partie réglementaire ce sera traitée avec les principes C2 (voir p. 228rp). Les résultats
sont au mieux faibles (Anticorrp, 2017).
Ce qui est remarquable est la convergence de la TA – comme description des mécanismes
cognitifs (voir Figure 6, p. 140) – et de l’éthique anticorruption. Le moteur éthique (voir Figure
2, p. 82), s’il n’est pas neutralisé, pris par la peur, victime de la TS ou de la pensée de groupe,
motive le processus cognitif.
184
5 Conclusion de la première partie
Les objectifs de cette première partie étaient (1) de clarifier les définitions et les modèles de la
corruption (2) de croiser les modèles des théories de la contingence et de l’attention avec les
autres domaines de la pensée en particulier la philosophie morale qui est à la fois une base
commune pour les sciences économiques et la sociologie et qui interagit avec les religions et
les cultures., (3) d’identifier des modèles explicatifs et prédictifs.
Cette première étape a permis de compléter la carte heuristique de la corruption qui servira de
grille de codage pour l’étude qualitative de la troisième partie.
La recherche d’outils d’anticipation ou de prévention de la corruption applicable par une
organisation a conduit à une définition de la corruption transactionnelle, impliquant l’existence
de corrompus et de corrupteurs.
Dès Aristote la distinction est faite entre la « corruption-dégradation de la cité » et la
« corruption-éthique individuelle ». La première décrit un état ; la seconde une prise de décision
produit d’une éducation à des vertus universelles (loi naturelle ou vertu d’humanité). Les deux
se rejoignent : la première des vertus est le courage civique (voir p. 23).
Le risque est grand de réduire encore la corruption à un ensemble de règles définies sur la base
des conséquences supposées de telle ou telle conduite contraire au droit. C’est la critique du
droit positif. Il présente les mêmes limites que la déontologie. Les deux sont capables d’une
solution éthique pour peu que les conséquences attendues coïncident avec les conséquences
réelles.
Ainsi il est en général éthique de refuser la corruption en particulier pour des organisations qui
n’ont pas un intérêt supérieur à leur fonction de création de valeur. Cela vaut - peut-être encore
plus - pour le corrompu qui trahi la mission qui lui a été confiée. Mais payer un pot-de-vin n’est
pas toujours contraire à l’éthique. Appliquer strictement une loi anticorruption à des personnes
corrompues ou des entreprises corruptrices, peut être éthiquement faux.
Cette complexité mène au « Flexible droit » de Carbonnier (1976). « Pour une sociologie du
droit sans rigueur. » comme il l’écrit en sous-titre. Elle mène aussi à une complexification
toujours plus grande de la loi qui tente de s’approcher de l’éthique. Ultimement cela conduit
d’une part à une esthétique du droit, détachée et même refusant la moralité. Les légistes chinois
du IVe siècle avant J.C en sont l’expression la plus aboutie. D’autre part, d’évolutions en
évolutions le droit fini par se restreindre lui-même. A l’exemple des conventions judiciaires
185
d’intérêt public ou du constat que l’application du droit peut-être si dommageable qu’elle en
devient contraire à l’éthique : une illustration de la doctrine du double effet (voir p. 29) et de
l’échec d’une l’approche uniquement déontologique.
La recherche d’une solution éthique est donc complexe. La casuistique d’Abélard, puis de
Thomas d’Aquin, cherche à circonscrire le questionnement éthique par une méthode rationnelle
d’analyse des causes et de leurs conséquences. L’élément constant est la recherche d’une
solution éthique (téléologie morale). Les solutions proposées sont conditionnées aux actions et
à leurs conséquences.
Adam Smith fait un exercice comparable mais limité à l’observation. Sa double analyse de
l’économie par la philosophie morale puis par la philosophie naturelle interroge la relation entre
actions, conséquences et finalités. En cherchant des explications naturelles à l’économie, libres
de la philosophie morale (et donc de l’éthique), Smith ne parvient pas toujours à conclure. Il
accepte la complexité de l’économie. Il assume de ne pas avoir de modèle explicatif complet.
Il revient alors presque à l’éthique anticorruption d’Aristote : l’exercice des vertus complété de
la fonction d’un agent économique.
Au niveau d’une organisation, la modélisation de la TC conduit à une matrice qui ne peut être
résolue qu’en regroupant certaines variables en une. La complexité et la stabilité deviennent
des variables en tant que telles, regroupant tout ce qui est incertain ou changeant. La corruption
affecte ces variables. Elle est incertaine et donc contingente. Sa détectabilité est d’autant plus
faible que la corruption est difficile à quantifier et qu’elle n’est pas considérée comme une
urgence puisque dissimulée (Ansoff, 1975).
La variable d’hostilité permet de retourner la perspective et de considérer la corruption comme
une institution informelle. Quelles sont les variables de l’environnement qui peuvent faire
prospérer la corruption ? La littérature qui traite cet aspect ne fait pas référence à la TC. Mais
elle décrit bien ces conditions favorables :
- Les environnements les plus complexes et à l’opposé ceux qui sont les moins organisés
créent le plus d’incertitude.
- L’impunité soit par l’anticipation de sanctions négociées, soit par l’absence de poursuite
contre les corrompus, transforme la corruption en un risque maitrisé ou une absence de
risque. Cette impunité est à rapprocher du problème éthique rappelé plus haut. L’application
systématique du droit peut être pire que la corruption.
- La multiplication des normes et procédures internes ne donnent que l’impression de mesures
efficaces contre la corruption. Celles-ci sont connues par avance. Le corrupteur aura tout
186
loisir de s’organiser pour payer le corrompu. Ce qui sera d’autant plus simple qu’il
bénéficiera de complicité ou sera élevé hiérarchiquement. Le corrompu qui profite à titre
personnel de la corruption ne devra que s’assurer qu’elle est invisible de son organisation
160
.
L’article le plus révélateur est celui de Qi et al. (2020) « Obéissance ou fuite : Examen des
influences contingentes de la corruption sur les exportations des entreprises » (voir p. 95) : des
entreprises qui fuient leurs marchés d’origine, fortement corrompus, et ainsi améliorer leur
profitabilité. Quitter un marché corrompu est une recommandation habituelle que les praticiens
de la lutte anticorruption proposent à leurs clients. Toutefois, pour une entreprise prise dans un
environnement qu’elle n’a pas compris, les efforts nécessaires pour sortir de la corruption
demandent une telle remise en cause et peuvent être si couteux que certaines choisissent de ne
rien faire.
Il est presque anecdotique d’étudier la triade sombre (TS) dans cette thèse. Ce sont des profils
si néfastes que pour l’organisation ils sont « le vrai problème » et non la corruption (qui n’est
qu’un des outils qu’ils peuvent utiliser). Ce que les profils de la TS révèlent, avec la
neutralisation, la peur et la pensée de groupe, est l’échec du moteur éthique que pourtant chacun
possède pour peu qu’il l’ait acquis.
C’est ce qui a éclairé la dernière partie de cette revue de la littérature. Il est dévastateur de
constater à quel point les capacités cognitives peuvent être limitées alors que la complexité de
l’environnement est telle qu’il ne peut être embrassé dans sa totalité. La saturation cognitive
trop vite atteinte, les routines, la difficulté de traiter ce qui n’est pas le cœur métier ou un
élément habituel de ses processus décisionnels, laissent la porte ouverte à la corruption.
En reprenant la Figure 1, p. 12 (rappelée ci-dessous), constatant que les trois intersections
« Non-E », « Non-TC » et « Non-TA » sont vides, la pierre d’achoppement pour toute
organisation est sa capacité de mobilisation de l’éthique quelles que soient les contingences de
l’environnement ou les limites de l’attention.
Il ne s’agit donc pas d’opposer éthique et modèles économiques. Si une telle opposition se
retrouve de loin en loin dans la littérature, ces auteurs semblent oublier que la philosophie
morale est une des bases des sciences économiques. Les tentatives d’une économie amorale par
160
Ces mesures de contrôle ou d’audit sont capables de détecter des prises de décisions ou des transactions
irrégulières. Parmi les atteintes à la probité, cela sera efficace pour un détournement de fonds ou un abus de bien
social. Cela peut également fonctionner pour le paiement d’un pot-de-vin s’il est peu sophistiqué.
187
la construction d’une morale alternative ou par la négation de la philosophie morale ne
permettent que de prendre conscience de l’absence, dans l’état actuel de la connaissance, d’un
modèle économique de l’éthique. Pourtant l’éthique n’est pas seulement miscible dans
l’économie elle en est un constituants. Symétriquement la réduction de la prise de décision à
des processus et des structures, même parfaitement attentifs aux contingences et aux risques,
ne sera pas capable de capturer la complexité de l’éthique. La résultante sera destructrice pour
l’entreprise comme pour la cité.
La problématique de cette thèse doit alors être complétée d’une condition. Pour permettre la
mise en œuvre d’outils d’anticipation et de prévention de la corruption par l’entreprise, il est
nécessaire que les processus de prise de décision soient simultanément attentifs aux
contingences, aux risques internes et externes et à l’éthique. Aucun terme ne peut être exclut.
Rappel de la Figure 1, p. 12 : Intersections éthique universelle anticorruption, théories de la contingence et de
l'attention.
Ethique universelle
anticorruption
(E)
Théorie de la
Contingence
(TC)
Théorie de
l’attention
(TA)
Non-TA Non-TC
Non
-E
188
Deuxième partie :
épistémologie, mesures et états des moyens
disponibles
189
Le travail préparatoire à cette thèse a débuté en 2017 avec la question « Comment développer
une entreprise dans un environnement corruptif ? » appliquée aux cas particuliers de la Chine
et de l’Inde. Un article en 2019 a permis une première synthèse alors que l’idée de cette thèse
se précisait (Labic & Memheld, 2019).
La conclusion de ce premier travail a été que la compréhension de l’environnement devait être
telle que l’entreprise soit capable de proposer une chaîne de valeur alternative et légale aux
paiements de pots-de-vin. Cette exploration devait être effectuée avant tout contact local.
En conséquence, le questionnement a évolué dans deux directions :
- Comment, pour une équipe décisionnelle, appréhender un nouvel environnement ? Quelles
sont les difficultés spécifiques en termes d’accès à l’information ?
- Pourquoi tant d’entreprises et de cadres dirigeants ne parviennent-ils pas à intégrer la
corruption dès la phase de définition de la stratégie ?
L’accès aux données de terrain ne présentait pas de difficulté en termes du nombre de sources
accessibles. Mais leur qualité demandait de la prudence.
Comment valider un paradigme autour des organisations, de la corruption et de l’exploration
de nouveaux environnements ? Autrement dit, (1) comment émettre un ensemble hypothèses
issues de la connaissance et de l’expérience – par définition partielle et subjective – de l’auteur
et des personnes interrogées ? (2) Comment valider cet ensemble en un tout cohérent et indemne
de subjectivité ?
Cette deuxième partie sera composée de trois chapitres suivis d’une conclusion.
- Cadre épistémologique. Quels choix ont été faits, quelles sont leurs limites, quelles
précautions observer ?
- Mesure de l’efficacité des solutions de prévention.
- État des moyens d’anticipation et de prévention déjà existants déployables par une
entreprise ?
190
1 Cadre épistémologique
Lors de la définition du projet de recherche pour cette thèse, une difficulté inhérente à l’étude
de la corruption en tant que délit est apparue. Comment obtenir des acteurs de terrain qu’ils
partagent leur expérience - dont d’éventuels compromis - alors qu’ils ont la charge
d’organisations exposées et qu’ils sont soumis à la confidentialité ? Comment vérifier leur
propos ?
La subjectivité et l’expérience, par définition partielle, de l’auteur ne pouvaient servir seules de
clef de lecture.
1.1 Distinctions entre lutte anticorruption, anticipation et prévention.
A la suite de la revue de la littérature, trois points, qui demandent une attention particulière,
sont ressortis.
- La corruption est universellement rejetée.
- Anticipation : principalement en lien avec la théorie de la contingence (TC), la corruption
est un mécanisme économique. Elle est aisément identifiable mais dissimulée.
- Prévention : la corruption est une information qui peut être traitée par les mécanismes
cognitifs.
Deux hypothèses doivent alors être considérées. Ce sont les conséquences d’un cas de
corruption, qu’il ait affecté l’organisation ou ait été rapporté publiquement, sur la prévention et
l’anticipation :
- Hypothèse ou effet cognitif : une amélioration de l’anticipation de la corruption.
L’organisation est en alerte. Ses membres sont attentifs et recherchent activement des
indicateurs de corruption. S’ils en trouvent, ils seront capables de mieux les traiter (attention
située et attention structurelle).
- Hypothèse ou effet dissuasif : un refus augmenté de la corruption par les membres de
l’organisation en raison d’un intérêt accru pour l’éthique, du souhait de protéger
l’organisation et ses équipes, ou la peur de sanctions internes ou externes.
191
Figure 7 Effets dissuasifs ou préventifs après le traitement d'un cas de corruption
1.2 Paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP)
Les livres de Gavard-Perret et al. (2012) « Méthodologie de la recherche en sciences de
gestion » et de Easterby-Smith, Thorpe et Jackson (2015) « Management and business
research » ont servi de guides pour le choix du cadre épistémologique de cette thèse.
Le principe d’une étude qualitative par interview a été retenu dans le projet de recherche. Quatre
auteurs ont conforté ce choix.
L’importance de l’observation et de la décomposition des phénomènes, avant toute
interprétation. C’est la démarche épistémologique de Adam Smith qui dans la « Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations » (RN) observe le monde en se débarrassant de
toute considération morale – tout jugement et tout commentaire éthique. Alors qu’il considère
que son œuvre et son modèle principal est celui de la « Théorie des sentiments moraux » (TSM)
(Fleischacker, 2004).
Lorsque Janis définit huit symptômes de la pensée de groupe, ce sont une liste d’hypothèses à
vérifier lors de l’observation d’une organisation (voir p. 172 et suivantes). Raven ne conteste
ni ces symptômes ni leur validation empirique, mais les motivations des membres de
l’organisation (Janis, 1973; Raven, 1998).
Matérialisation
t0
Découverte
Prévention
Anticipation Traitement
Effet cognitif ?
Effet dissuasif ?
192
Les deux derniers auteurs qui ont permis de définir le cadre épistémologique sont Richard
Heuer
161
et Douglas MacEachin
162
. Ce sont des praticiens du renseignement. Ils ont étudié
l’articulation entre la liberté dans la formulation d’hypothèses et la rigueur du processus de
validation ou d’infirmation (analyse des hypothèses concurrentes – ACH). Comment éliminer
la subjectivité et les biais cognitifs pour atteindre le niveau de validation minimum nécessaire
à la prise de décision ? Heuer, qui complète MacEachin, développe le concept d’hypothèses
pivots ou Linchpins qui permettent de parvenir efficacement à une décision (Heuer, 1999;
MacEachin, 1994).
Gavard-Perret et al. (2012) montrent, dans leur présentation des paradigmes épistémologiques
post-positivistes, que pour les phénomènes sociaux qui sont, comme pour la corruption,
difficiles à mesurer, un raisonnement abductif est plus adapté. Ils décrivent l’enchaînement
d’observations, de formulations d’hypothèses et d’une double validation théorique et
empirique. Ce processus est, dans un autre champ sémantique, proche de Janis, Heuer et
MacEachin (cités plus haut).
« En effet, à la différence de l’induction, l’abduction ne cherche pas à définir des
règles […]. Elle vise plutôt à identifier l’ensemble des phénomènes observés, en
mobilisant la totalité des informations dont elle dispose, même si elles sont
hétérogènes. » (Gavard-Perret et al. 2012, p. 34).
En débutant par l’adduction, l’induction devient alors un processus de formulation de
conjectures
163
par comparaison avec les données empiriques.
« De la même façon, la phase déductive ne consiste pas à déduire les évènements
qui seront à observer, mais à examiner si les mécanismes générateurs imaginés
permettent bien d’expliquer l’ensemble des évènements observés, y compris les
nouveaux évènements apparaissant au fil de l’étude. Les phases d’induction,
d’abduction et de déduction sont donc enchâssées, au sein de boucles itératives
déployées tout au long de l’étude. » (Gavard-Perret et al. 2012, p. 34).
161
Richards J. Heuer (?-2018) est un expert en psychologie cognitive, responsable pendant 28 ans de l’unité de
méthodologie du bureau d’analyse politique de la CIA.
162
Douglas J. MacEachin (1937-1921), directeur du bureau d’analyse soviétique, puis de 1993 à 1996, directeur
adjoint du renseignement au sein de la CIA.
163
Conjecture : « hypothèse formulée sur l'exactitude ou l'inexactitude d'un énoncé dont on ne connaît pas encore
de démonstration. » (Larousse, 2022)
193
Des recouvrements entre les différents paradigmes épistémologiques, et une certaine
imprécision due à la vivacité de la recherche, a demandé de se focaliser sur les points principaux
en faisant abstraction d’une partie des divergences entre auteurs
164
. Trois éléments ont été
déterminants.
(1) La difficulté de mesurer la corruption limite l’approche quantitative. Cela n’est pas un point
de blocage puisque cette thèse se focalise sur l’entreprise et non sur l’ampleur de la corruption.
Mais il importe de comprendre l’efficacité des actions anticorruption. Une validation
empirique, même si elle n’est que partielle peut être suffisante pour les classer, connaître leurs
conditions limites et leurs champs d’application. Cela a conduit à l’élimination des paradigmes
épistémologiques positivistes et post-positivistes. Avec toutefois une discussion sur la
définition de la vérité qui sera reprise plus loin.
(2) La prédominance donnée à l’expérience humaine. Il n’y a pas d’expérience fondatrice. La
confrontation des expériences individuelles ne converge pas nécessairement vers une
connaissance objective, indépendante des individus.
Cet élément peut être considéré de façon négative. Pour limiter les biais, l’approche a été de
combiner des décideurs ayant une expérience de plusieurs zones géographiques avec des
experts pays. Que disent-ils de différent lorsque l’expérience est globale ou lorsqu’elle est
locale mais parfaitement inculturée ?
(3) L’interdépendance entre le sujet et ce qu’il étudie. Cela s’applique à l’auteur de cette thèse
ainsi qu’aux personnes interviewées (elles aussi sujets interdépendants avec l’organisation, la
corruption et l’environnement). Pour que la collecte de données soit efficace, il a fallu faire
appel à des personnes ayant atteint un niveau de conceptualisation suffisant (ayant leur propre
paradigme organisation-corruption-environnement). Au risque que ce paradigme soit biaisé, ou
que ces personnes mentent, comme cela a été le cas avec quelques-unes.
164
La discussion entre positivisme, interprétatif et constructivisme ne sera pas développée. L’approche positiviste
interprète le réel à partir de lois. La TC et de la TA montrent que la modélisation n’est que partielle : il n’existe
pas une loi de la corruption, comme il n’existe pas de solution éthique positiviste à la corruption. L’approche
interprétative, à la mesure des difficultés de mesure de la corruption, est trop externe pour permettre de découvrir
le réel. Le choix du constructivisme s’impose. Il accepte l’interaction et la subjectivité du chercheur (et des
personnes interviewées) avec l’objet corruption. La validation vient de l’accumulation et des oppositions
(constructivisme).
194
La proximité entre le paradigme épistémologique constructiviste selon Guba et Lincoln (1989)
(PECGL) et le paradigme épistémologique constructiviste pragmatique (PECP) a posé une
difficulté particulière sur la relation entre le réel, l’expérience du réel et l’existence ou non de
plusieurs réalités. Puisque cette thèse demandait de faire appel aux différents paradigmes
organisation-corruption-environnement des personnes interrogées, comment ne pas tenir
compte de leurs expériences, elles-aussi diverses, du réel ?
165
L’article de Marie-José Avenier (2011) « Les paradigmes épistémologiques constructivistes :
post-modernisme ou pragmatisme ? » a permis de trancher sur deux critères en faveur du PECP.
(1) Selon Avenier, l’hypothèse de la connaissance
166
pour le PECP est :
« Le critère de vérité retenu dans ce paradigme est le principe pragmatique du
verum/factum
167
: le vrai est le même que le fait (‘factum’). » (Avenier 2011, p.
377), accentuation de l’auteur.
Cela peut être compris, dans le cas d’une activité dissimulée et contraire à l’éthique, comme
une simplification abusive éliminant l’intentionnalité. Mais la proposition du PECGL est encore
165
Si l’objet d’étude était encore plus limité (une organisation), la recherche-intervention pourrait être considérée
(André Perez, 2008). Mais, cette thèse a un objet plus large et la discrétion de la corruption limite les possibilités
de collecte et de partage de données pour un chercheur intégré dans une organisation. Contrairement au
constructivisme, un processus itératif d’essais-erreurs (interventions) n’est pas compatible avec une corruption-
contingence (voir TC).
166
Ou « question gnoséologique » qui traite de la nature de la connaissance.
167
Avenier cite à trois reprises « verum/factum » et sa traduction par « le vrai est le même que le fait ». Elle précise
que cette citation latine vient d’un article de Ernst von Glasersfeld de 1988 « Introduction à un constructivisme
radical ». En ce qui concerne le constructivisme radical, il est possible de considérer l’expression « le vrai est le
même que le fait ». Toutefois Glasersfeld, qui cite lui-même Giambasttista Vico, a tronqué une citation extraite de
« De antiquissima italorum sapientia » « De la très ancienne philosophie des peuples italiques » de 1710. Ce que
dit Vico, « père » du constructivisme, est sensiblement différent. Pons (2004) précise : « Vico affirme qu'en latin
‘verum et factum convertuntur’ (‘ le vrai et le fait sont convertibles ‘), et que par conséquent ‘verare’ (dire la
vérité) et ‘facere’ ont le même sens : ‘il en suit que Dieu sait les choses physiques, et l'homme les choses
mathématiques’. » En omettant le verbe « convertuntur » l’action est supprimée. Vico est pourtant précis : «
‘Verare’ et ‘facere’ [dire le vrai et faire], c’est la même chose ; d’o il suit que Dieu sait les choses physiques et
l’homme les choses mathématiques. […] le ‘mens’ [intelligence] humain fait le vrai par hypothèse, et le ‘mens’
divin le vrai absolu. » (Vico 1894, p. 279-280). Pour Pons, la pensée de Vico est gnostique et métaphysique. Il
considère que la connaissance humaine se limite au vraisemblable ; seul Dieu est susceptible de connaître la nature,
et donc la vérité, car il l’a créé.
195
plus éloignée. Elle définit la vérité comme une représentation faisant consensus parmi les
individus les plus compétents.
Le choix a été de ne pas interviewer les personnes identifiées comme « habituellement
corrompues ou corruptrices ». La détermination du degré de cette habitude est subjective. Il
peut être regretté que des corrupteurs, qui à l’origine aurait refusé la corruption mais qui sous
la contrainte en auraient fait une pratique habituelle (voir p. 131), ne soient pas retenues. Mais
dans la recherche de solutions anticorruption, le point de vue est orienté : le consensus recherché
est celui d’une méthodologie de protection de l’organisation et de ses équipes
168
.
Une exception a été faite pour les personnes qui corrompent en raison d’un enjeu éthique
supérieur. Cela a été le cas de plusieurs des personnes interrogées. Il n’y a pas de « corruption-
dégradation de la cité », si la meilleure solution éthique est de corrompre. Elle est possible en
philosophie morale, mais elle s’oppose au droit positif. Symétriquement, la recherche
« éthérée » de solutions purement éthiques qui ignoreraient le droit, ne fait pas de sens dans le
cas général d’une entreprise et d’équipes soumises au droit commun. Ces solutions éthiquement
optimales mais contraires à la loi demandent d’être considérées : elles testent ce qu’est une
solution éthique, ce que sont les limites de la loi et les écarts entre le réel et l’expérience du
réel.
(2) Avec le PECP le but de la connaissance est fonctionnel.
« Savoir, c’est disposer de manières et de moyens pour penser et agir
intentionnellement. Le processus de connaissance a pour but l’élaboration de
représentations fonctionnellement adaptées et viables pour cheminer dans le
monde. » (Avenier 2011, p. 378).
En débutant par abduction, une des conséquences est une représentation, certes fonctionnelle,
mais partielle. La déduction puis l’induction vont renforcer le paradigme mais, à l’image de la
TC et de la TA, une modélisation complète n’est probablement pas possible. Il serait
souhaitable, d’un point de vue académique, d’atteindre une modélisation complète. Mais pour
l’objet limité de cette thèse, il suffit que le paradigme soit suffisamment construit pour identifier
et évaluer les solutions efficaces. La presque totalité des auteurs cités dans la première partie
168
Pour les corrompus, qui par définition profitent à titre personnel de la corruption, l’intention est une condition
préalable. Les corrompus trahissent leurs organisations, ils ne la protègent pas.
196
ne font pas explicitement appel à un PECP. Toutefois, les études de cas et une partie des études
en économétrie procèdent par la même succession abduction puis déduction et enfin induction.
Par exemple Vaidya (2019), déjà cité p. 67, modélise une acmé corruptive en fonction de la
perspective d’évolution de carrière d’agents de l’État indien. Du constat de la pratique
corruptive (abduction), un modèle partiel est établi (déduction) qui est rapproché de la littérature
(induction). Le corps de l’article est enfin un commentaire qui permet de déterminer des
conditions limites (ou domaine de validité).
Sans qu’il puisse y être totalement opposé au PECP, le but de le connaissance du PECGL est
une compréhension de l’objet d’étude améliorée et faisant consensus. Ce sera le cas du juriste,
qui a priori part de la loi, puis qui de l’écart à cette norme appréhende la réalité de la corruption.
La limite, en reprenant à nouveau l’article de Vaidya (2019), est qu’il est difficile en
commençant par une phase d’induction de découvrir un phénomène nouveau, valable dans un
domaine limité (fonctionnaires indiens chargés de l’achat de produits agricoles).
1.3 Processus de recherche
Le risque identifié, dès le projet de recherche, était que la subjectivité de l’auteur ne permette
pas de valoriser les informations en contradiction avec son expérience
169
. Le PECP ne refuse
pas la subjectivité. Il contient les écarts possibles en examinant au fur et à mesure de la
construction de la connaissance si les mécanismes identifiés lors des itérations induction-
abduction expliquent les phénomènes observés lors de la phase déductive (Gavard-Perret et al.,
2012).
Même si cette thèse s’inscrit dans une continuité de recherche plus longue, la possibilité de
conduire plusieurs itérations était limitée. La solution a été d’ajouter un outil d’analyse
automatisé des données non subjectif (méthode de Reinert) pour parvenir au processus suivant :
- Synthèse de la littérature (dont carte heuristique)
- Étude qualitative par interviews
- Contrôle qualité des interviews avec possibilité de rétractation
- Extraction d’hypothèses par la succession de trois outils
▪ Analyse factorielle des correspondances (méthode de Reinert).
169
Pour l’étude qualitative, le sujet abordé ne permettait pas d’enregistrer les interviews. Une rigueur particulière
a été nécessaire pour ne pas reformuler ou interpréter lors de la prise de note papier.
197
▪ Analyse qualitative des données (codage manuel, base carte heuristique)
▪ Analyse des hypothèses concurrentes (ACH et Linchpins)
- Synthèse
Sélection des personnes interviewées
Pour permettre la montée en abstraction et parvenir à une conceptualisation (Avenier, 2017;
Gavard-Perret et al., 2012), une attention particulière a été apportée à la sélection des personnes
interviewées. Il était nécessaire :
- Que les personnes interrogées aient une connaissance confirmée de la corruption.
- Qu’elles aient eu la responsabilité, seule ou dans un groupe réduit, d’accepter ou à refuser la
corruption (en tant que corruptrices, corrompues ou intermédiaires potentiels).
- Que ces personnes aient une méthode. Idéalement qu’elles aient construit leur propre
paradigme organisation-corruption-environnement.
- Que ces personnes soient suffisamment en confiance pour dire la vérité (sans naïveté
excessive sur le sens que certains attribuent à ce mot).
- Que le questionnaire semi-directif des interviews interroge des concepts et ne favorise pas
les anecdotes.
Les personnes qui rassemblaient ces caractéristiques ont été classées en deux groupes. Ce sont
les groupes 2 (décisionnels d’entreprise) et 3 (experts conseil anticorruption).
Le groupe 1 est lui constitué de personnes sans expérience directe de la corruption, mais qui
ont étudié des cas de corruption a posteriori (universitaires, avocats, magistrats, forces de
l’ordre). Dans ce groupe 1, plusieurs chercheurs, experts de domaines particulièrement affectés
par la corruption (industrie extractive en Afrique de l’Ouest, monde associatif agissant dans des
pays en voie de développement), mais non experts de la corruption en tant que tels ont été
interviewés. Seules ont été retenues les interviewés qui ont montré qu’ils avaient développé une
méthode face à la corruption.
Les conceptualisations de ces trois groupes sont-elles différentes ? Proposent-elles d’autres
actions de prévention et d’anticipation ? Avant de conduire l’étude, l’hypothèse est que les
personnes du groupe 2 débutent leur réflexion par l’abduction et celle du groupe 1 par
l’induction. Il est attendu des interviews du groupe 3 une vision plus élaborée mais plus orientée
vers des solutions pratiques.
198
L’adaptation comme seule réaction face à la corruption ?
Déjà évoqué, le pragmatisme de la PECP, demande que l’adaptation soit le but principal de
l’activité cognitive. Glasersberg fait une analogie avec l’adaptation en biologie.
« Pour reconnaître toute la puissance de cette position, il faut savoir que
l'adaptation n'est pas une activité mais le résultat de l'élimination de tout ce qui
n'est pas adapté. Par conséquent, au niveau biologique, tout ce qui parvient à
survivre est ‘adapté’ à l'environnement dans lequel il se trouve. […] Sorti du
contexte biologique et appliqué à la cognition, cela signifie que ‘savoir’ ne consiste
pas à posséder des représentations vraies de la réalité, mais plutôt à posséder des
moyens d'agir et de penser qui permettent d'atteindre les objectifs que l'on a
choisis. » (Glasersfeld 2001, p. 39-40).
Glasersfeld voit l’adaptation par l’élimination de ce qui ne fonctionne pas et par l’évitement
des obstacles et des pièges. Dans le contexte hostile de la corruption, cette approche est partagée
par les praticiens. Cette question a été intégrée à la trame des interviews.
199
2 Mesurer l’anticipation et la prévention de la corruption
Le chapitre sur l’histoire de l’éthique anticorruption se conclut sur la question du classement
des outils d’anticipation et de prévention. S’ils sont efficaces, il doit être possible de mesurer
leur effet (voir p. 43).
Il existe trois types de mesure de la corruption :
- par sondage auprès de la population générale ou d’organisations,
- par la combinaison de données macroéconomiques et d’indicateurs synthétiques
(gouvernance, état de droit, liberté de la presse, etc.),
- par l’interrogation de panels d’experts.
D’autres données peuvent être utilisées par les panels d’experts sans qu’ils y fassent toujours
référence. Ce sont les études de cas et les décisions de justice, les statistiques judiciaires et
policières.
Comme pour tout travail de recherche, existe une littérature dédiée à la critique de ces mesures
(Apaza, 2009; Jäckle & Bauschke, 2009; Louis, 2007). Elle identifie trois difficultés :
- Comme pour toute activité illégale, les données obtenues auprès des parties prenantes ne
sont pas fiables. Quelques soient leurs rôles, les corrompus, corrupteurs, intermédiaires,
victimes, témoins ou experts, ne disent pas toujours la vérité.
- D’autres intérêts interfèrent. Il peut s’agir de dissimulation ou de falsification par un État ou
une entreprise, de la manipulation de données par des personnes mal intentionnées ou qui
poursuivent leurs propres objectifs (depuis la négation de la corruption jusqu’au « tous
pourris »).
- Les données peuvent ne pas être disponibles. Certains États, notamment les plus
désorganisés, n’ont pas les moyens nécessaires à la collecte et au traitement.
Ces difficultés sont connues et intégrées à la réflexion de tous les experts, notamment des
institutions qui publient sur ces sujets (Lesné, 2017). Une correction des données semble
impossible : la corruption est une contingence. Les incertitudes des mesures sont inconnues et
200
les interactions entre les variables ne sont que partiellement décrites
170
. Pour y remédier, les
institutions préfèrent joindre des fiches explicatives (par pays, par marché). Elles sont plus à
même de décrire la complexité.
2.1 Mesure d’un effet anticipatif ou préventif
La recherche d’un indicateur mesurant un effet préventif ou anticipatif des actions
anticorruption est une gageure
171
. Il doit :
- Isoler l’effet des actions anticorruption. L’indicateur ne doit pas être sensible à d’autres
causalités.
- Permettre une mesure reproductible, absolue ou relative (indice, indicateur, classement) de
l’effet des actions.
Pour cette thèse, une condition supplémentaire est que cet indicateur doit être utile à
l’organisation : pour comprendre par exemple l’efficacité anticorruption de tel ou tel moyen
interne ou externe (par exemple concernant la procédure de recrutement ou le code de conduite).
Le chapitre suivant recense les données disponibles. Sont-elles des mesures de la corruption ?
Et si oui, peut-on établir une relation entre variation de la mesure et actions de prévention ou
d’anticipation ?
170
Certains auteurs opposent une économie classique, limitée au domaine légal et de plus en plus éloignée du
monde réel, qui seul inclut l’illégal. Champeyrache (2019), critique, parle du monde irénique de la sciences
économique. La frontière entre le légal et l’illégal est la loi. Elle est un élément de la modélisation de l’économie
non une limite. Les lois naturelles de l’économie, ici en opposition avec Champeyrache, s’appliquent aux domaines
légaux et illégaux. Elles subissent les contraintes que sont les lois ou leur absence. Il est heureux de noter que
l’ensemble des mesures de la corruption consultées n’interrogent pas la limite entre le légal et l’illégal, mais
l’atteinte à l’éthique telle que les parties prenantes l’estiment. La définition de la corruption perd en précision ; il
s’agit ici de philosophie morale et de deux de ses descendants : les sciences économiques et la sociologie.
171
L’exemple de la sécurité routière est révélateur de la difficulté de la mesure d’actions préventives ou
anticipatrices. Les données montrent une corrélation entre vitesse moyenne et nombre d’accidents. Les lois de la
physique corrèlent vitesse au moment du choc et sévérité de l’accident. Mais une corrélation entre l’introduction
des radars automatiques et le nombre de morts est plus difficile à établir. Pour la France, la conclusion est claire :
les vitesses moyennes avant et après l’introduction des radars baissent (env. -7%) avec le nombre de morts (env. -
30%). Mais, l’étude a dû isoler d’autres effets (conditions météorologiques, prix des carburants, conditions de la
route, volume de circulation) dont l’impact représente 13% des -30% de baisse de la mortalité (Vadeby, 2018).
201
2.2 Mesures de la corruption – état des données disponibles
Les mesures de la corruption consolident toutes leurs résultats par pays et dans une moindre
mesure par industrie ou lors d’évènements remarquables (covid 19, etc.). La perspective est
celle de l’école environnementale et de la TC : une organisation évoluant dans un
environnement plus ou moins corrompu.
Ces données ont été divisées en cinq groupes. Le dernier groupe est celui des indices
synthétiques qui sont une synthèse de l’ensemble des données disponibles.
2.2.1 Études de cas et décisions de justice
Sources
Intérêt pour cette thèse
Limites
Publications académiques
Exemples chiffrés (impact)
Analyse de chaîne de décision de
l’organisation
Relation corrompu / corrupteur
Conditions spécifiques
(fonctionnement interne de
l’organisation, marché, pays)
Pas de consolidation possible
Analyse a postériori
Jugements, communications des
autorités judiciaires
Pas de consolidation possible
Analyse a posteriori
Exploitable uniquement pour les
États de droit
Tableau 18 Études de cas et décisions de justice
Remarques :
- Les études de cas et les décisions de justice ont été intégrées dans la revue de la littérature
de la première partie. Leurs apports sont principalement qualitatifs. Mais ils permettent de
donner des ordres de grandeurs (ratio pot-de-vin / chiffre d’affaires, etc.).
- Pour les décisions de justice, il est nécessaire de traiter séparément les dossiers ayant fait
l’objet d’une peine négociée (voir p. 112). Cela inclut l’ensemble des dossiers sous FCPA
aux États-Unis et une part grandissante dans les autres États de droit. Les informations
communiquées sont alors partielles et seule une partie des mis en cause sont identifiés.
- Une partie des publications académiques et l’ensemble des décisions de justice pour les pays
qui ne sont pas des États de droit doivent être exclus. En reprenant quelques-uns des éléments
déjà développés il s’agit de l’instrumentalisation de la corruption et de la falsification des
données51.
202
Interprétation :
Ces cas de corruption sont des échecs de la prévention. Les organisations et les personnes
impliquées sont corrompues ou corruptrices. On peut alors décomposer les mesures
anticorruption en deux groupes :
- Prévention : Les mesures existantes ont échoué. Cela comprend les mesures internes à
l’organisation et l’ensemble des lois et règlementations. Il n’a a pas eu d’effet dissuasif
(régime de sanctions internes et lois).
- Détection : La détection a fonctionné a posteriori. Toutefois l’analyse des dossiers montre
que dans la quasi-totalité des cas, la détection est externe à l’organisation : police, justice,
dénonciation d’un concurrent
172
. S’y ajoute le cas particulier des lanceurs d’alerte qui
n’utilisent pas leur hiérarchie ou les lignes d’alerte internes à l’organisation
173
.
- Le corpus des cas de corruption le plus complet est le recensement par Stanford de
l’ensemble des cas soumis au FCPA (Stanford Law School & Sullivan & Cromwell LLP,
2022) : 701 dossiers de corruption impliquant un agent corrompu étranger aux États-Unis
entre 1977 et 2022
174
. La totalité des cas a fait l’objet d’une peine négociée. Seuls les
corrupteurs sont sanctionnés. Moins de 10% des dossiers donnent des indications sur
l’identité des corrompus (personnes physiques)
175
. Dans 44% des dossiers il est indiqué que
des intermédiaires (78,46% agents et consultants, 17,13% sociétés écran) ont participé.
- A noter l’intérêt des récidives. Les données de récidives pour corruption en Europe
manquent. Mais une étude conduite aux États-Unis, sur les condamnations d’entreprises au
niveau fédéral (3000 cas jugés) montre que la criminalité en col blanc (non limitée à la
172
Les statistiques pour le FCPA (Stanford Law School & Sullivan & Cromwell LLP, 2022) indiquent que 42%
des entreprises poursuivies ont signalé d’elles-mêmes une suspicion d’atteinte au FCPA. A la lecture des 50
dossiers les plus récents signalés par des entreprises, il s’agit pour la presque totalité (7 dossiers non conclusifs)
du résultat d’un accord avec la justice états-uniennes ou de la commission de surveillance des opérations. Ces
entreprises faisaient déjà l’objet d’enquêtes aux États-Unis ou ailleurs. Par exemple la Société Générale signale le
7 mai 2014 à la justice états-unienne qu’elle fait l’objet d’accusations de corruption au Royaume-Uni. Ce
signalement est spontané du point de vue de la justice des États-Unis. Mais il fait partie de la défense post
accusation de l’entreprise, non de ses actions de lutte anticorruption.
173
Ce point ne doit pas être généralisé à l’ensemble des atteintes à l’éthique (autres atteintes à la probités,
harcèlement, etc.). Il ne s’agit ici que des lanceurs d’alerte dénonçant des cas de corruption.
174
Données au 5 aout 2022.
175
Le FCPA interdit la corruption d’un agent étranger. Il n’exclut aucun des bénéficiaires de la corruption, y
compris les agents étrangers corrompus.
203
corruption) serait en augmentation et que la récidive augmenterait encore plus rapidement
(Lund & Sarin, 2021)
176
.
Apport pour cette thèse :
- L’apport est limité. Mais ces données permettent un éclairage précis sur une entreprise ou
un secteur de l’économie. Ils permettent de décrire des schémas corruptifs.
- Aucune valeur de prévalence ne peut être établie. Mais ces cas permettent d’estimer une
limite inférieure de la corruption pour un sous ensemble donné (marché, pays).
2.2.2 Statistiques judiciaires et policières
Sources
Intérêts pour cette thèse
Limites
État, autorités judiciaires et de
police
Limité
Indice d’une limite inférieure à la
prévalence de la corruption
Mesure d’activité de l’État et non
mesure de la corruption
Tableau 19 Statistiques judiciaires et policières
Remarques :
- Ces statistiques sont des mesures de l’activité des autorités judiciaires et de police. Ils
permettent la mesure de la politique des États.
- Ces données sont liées aux classifications juridiques et de police spécifiques à chaque État.
- Pour les kleptocraties, les États autoritaires ou les pays désorganisées, les données ne sont
pas exploitables (données partielles ou falsifiées).
Interprétation :
- Ces statistiques permettent d’estimer le niveau d’activité anticorruption d’un État. Mais leur
interprétation nécessite de la prudence. Par exemple, la Bundeskriminalamt en Allemagne
publie un rapport annuel sur la corruption. Le dernier rapport disponible concerne l’année
176
Les auteurs citent le cas d’HSBC qui bien que condamné en 2012 et en phase de négociation pour une récidive
est mis en accusation pour la troisième fois en 2019. Une cause de la récidive serait que les 51 récidivistes, dans
l’échantillon étudié de 272 entreprises, ne sont pas condamnées plus lourdement. Les auteurs calculent que plus
l’entreprise est grande (capitalisation et chiffre d’affaires) moins la peine est importante et plus les cas de récidive
sont nombreux.
204
2020
177
. Il recense 5510 dossiers de corruption pour un préjudice cumulé de 81,2 millions
d’euros. Soit un préjudice moyen de 14736 euros. La consultation de l’ensemble des rapports
disponibles de 2001 à 2020 montre de faibles variations
178
(+/- 1500 cas par an, préjudice
moyen +/- 10%). Dans la même période, aucun des dossiers de corruption sous FCPA et
impliquant des entreprises allemandes (dont sept dossiers traités en coopération entre États-
Unis et Allemagne), n’est intégré à ces statistiques. Ainsi Siemens reconnait en 2007 sa
culpabilité dans le paiement de 12 millions d’euros de pots-de-vin au Nigéria, en Russie et
en Lybie. Les autorités allemandes (police et justice) ont participé à l’enquête et l’amende
de 201 millions d’euros est payée par Siemens à l’État allemand. Le dossier n’ayant pas été
initié en Allemagne, il n’apparait pas dans les statistiques de la Bundeskriminalamt
(Bundeskriminalamt, 2021, 2022; Stanford Law School & Sullivan & Cromwell LLP, 2022).
- L’interprétation des données des autres pays de l’OCDE pose des difficultés semblables :
classification non standardisée du délit de corruption, statistiques judiciaires et policières
distinctes ne permettant pas un rapprochement, absence de publication ou publications
partielles.
Apport pour cette thèse :
- Ces données mesurent l’activité de l’État, leur intérêt pour les organisations est limité.
- Les États, y compris les plus engagés dans lutte anticorruption, ne communiquent que peu
d’informations. Ces données ne sont pas standardisées. Les comparaisons entre États sont
limitées.
- Il faut espérer que dans les années avenir les progrès du big data et de l’intelligence
artificielle permettront d’aller plus loin. Notamment dans les pays où la justice est publique,
les jugements et leurs pièces annexes sont de plus en plus souvent disponibles en ligne.
- Le choix de ne présenter ici qu’un commentaire général sur ces données des États résulte
d’une analyse longue et infructueuse conduite depuis quatre ans avec les données d’une
dizaine de pays (notamment France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni et États-Unis).
177
Situation en aout 2022.
178
Deux exceptions en 2011 (+30000 cas) et 2014 (+20000 cas) dues à des affaires impliquant de nombreuses
personnes pour de petits montants (2011 : employés d'un constructeur automobile et employés civils de l'armée
britannique, 2014 contrat de photos scolaires).
205
2.2.3 Travaux en économétrie
Sources
Intérêts pour cette thèse
Limites
Publications académiques,
laboratoires de recherche,
consortiums de recherche
Mesure de la corruption pour un
sous ensemble de l’économie : un
marché, un mécanisme particulier
La qualité des données
conditionne la qualité des
travaux.
Tableau 20 Travaux en économétrie
Remarques :
- Ces travaux souffrent de la difficulté générale d’accès à des données de qualité sur la
corruption. Leur portée, notamment à l’usage d’une organisation (sévérité de la corruption,
contingence, etc.), doit être déterminée au cas par cas.
- Beaucoup d’études comparent un ensemble de variables (qui décrivent un mécanisme
économique, un marché, etc.) avec un indice synthétique de la corruption. L’exercice est
intéressant car il permet d’émettre des hypothèses sur les facteurs influençant la corruption.
Interprétation :
- Pour les études qui font intervenir un indicateur synthétique de la corruption, l’intérêt est
limité à la description de mécanismes possibles. C’est le cas, par exemple, des trois études
sur la profitabilité de la corruption déjà citées (voir p. 120 et suivantes). En première lecture,
leurs conclusions sont contradictoires : (1) Cheung, Rau et Stouraitis (2021) voient une
augmentation de la valorisation des entreprises à la suite du paiement de pots-de-vin. (2)
Zeume (2017) montre que la loi au Royaume-Uni a un effet dissuasif en raison du coût des
condamnation. (3) Qi et al. (2020) identifient des entreprises chinoises qui décident de se
diversifier hors de Chine pour échapper à la corruption et ainsi rétablir leur marges. Sans
précision sur les modalités de calcul, il n’est pas possible de déterminer un domaine de
validité ou les conditions limites.
Or aucune des institutions interrogées – est-ce seulement possible ? – ne publie ce niveau
de détail. Les sources sont connues, pas le processus en partie qualitatif de création de
l’indicateur. A titre d’exemple, Dreher, Kotsogiannis, et McCorriston (2007) proposent un
indicateur synthétique de la corruption, obtenu par une modélisation MIMIC (multiples
indicateurs, multiples causes). Ils veulent démontrer que les variables qu’ils utilisent
(indicateurs : PIB par habitant, consommation de ciment, endettement privé, etc. / causes :
État de droit, latitude géographique, ancienneté de la démocratie, etc.) permettent une
206
meilleure prédiction des conséquences de la corruption que l’indice de perception de la
corruption (IPC) de TI. Les auteurs montrent que dans le cas particulier des fusions-
acquisitions transfrontalières l’IPC est plus élevé que leur indicateur. Ils concluent que l’IPC
surestime alors la corruption. Aucune donnée empirique n’intervient dans l’analyse. Les
auteurs mesurent l’écart entre deux indicateurs synthétiques
179
.
- D’autres études utilisent exclusivement des mesures directes (par opposition aux indicateurs
synthétiques). Elles permettent de valider des mécanismes économiques liés à la corruption.
(1) Lehne et al. (2018) étudient 88000 appels d’offre pour la construction de routes dans le
secteur rural en Inde. Ils établissent que si le nom de famille de l’entrepreneur correspond
à celui du nouvel élu local, la part de marché de l’entrepreneur augmente de 63%
180
. Ces
études posent la difficulté de l’interprétation des résultats. Dans le cas de Lehne et al., le
lien entre l’augmentation de la part de marché et une forme de rémunération pour l’élu
est probable, car leur étude montre aussi une augmentation des coûts de construction.
(2) Dans le cas de l’analyse par N. Chen et Zhong (2017) de l’impact de la campagne
anticorruption de Xi Jinping à partir de 2012 sur l’économie chinoise, l’interprétation est
plus complexe. Ainsi une visite d’inspection dans une région donnée coïncide avec une
baisse moyenne des créations d’entreprises de -0,9%, une baisse des ventes de véhicule
de -3,4%, mais une augmentation du prix de vente des terrains par les autorités locales
de +3,9%. Les auteurs présentent deux explications possibles sans pouvoir conclure. Soit
les autorités locales, par peur d’être démasquées, ne réduisent plus les prix des terrains
contre un pot-de-vin. Soit, il s’agit d’un transfert de la corruption vers l’immobilier, les
autres secteurs présentant un danger plus important d’être démasqué.
179
Si toutefois une valeur empirique de prévalence de la corruption dans ce cas particulier existait, sa précision
serait faible. Les fusions-acquisitions transfrontalières sont des opérations où la corruption est facilitée : sur- ou
sous-estimations, intermédiaires, transactions offshore, saucissonnage, étalement dans temps, etc. Ces
vulnérabilités sont identifiées. Elles font l’objet d’une attention et de recommandations particulières de l’AFA à
l’usage des entreprises françaises acheteuses (2021b).
180
Une enquête journalistique à Montréal révèle qu’à la suite de la mise en place de forces de police dédiées à la
lutte anticorruption, le coûts des travaux d’infrastructures ont baissé de 30%. La peur serait la cause principale de
cette baisse (Larochelle, 2013).
207
Apport pour cette thèse :
- L’apport est limité, particulièrement pour une organisation qui cherche à déterminer son
exposition.
- Beaucoup de ces études ne permettent pas d’aller au-delà de la description de mécanismes
possibles qui restent des hypothèses. Les modélisations de la TC et de la TA semblent plus
pertinentes. Ce que confirme le large appel à la littérature de gestion mise en introduction de
ces articles.
- Les études sans variables synthétiques sont des points de mesure essentiel de la corruption,
y compris pour mesurer l’impact de changements de l’environnement : nouvel élu en Inde
ou visite d’inspection en Chine (N. Chen & Zhong, 2020; Lehne et al., 2018).
2.2.4 Mesures de perception
Sources
Intérêts pour cette thèse
Limites
Associations, institutions
publiques et privées (le plus
connu est le GCB de TI)
Le ressenti de la population
interagit avec les organisations.
Perception et non mesure de la
corruption
Les biais culturels font partie de
la mesure
Tableau 21 Mesures de perception
Remarques :
- Les mesures de perception interrogent un ressenti. Elles sont soumises à l’affect et à
l’ensemble des biais cognitifs. Les mesures ponctuelles de cas de corruption ne corrèlent pas
avec les indices de perception.
« Les indices plus subjectifs de la corruption perçue, basés sur des évaluations
d'experts et des opinions d'hommes d'affaires et de citoyens, s'avèrent être
fortement corrélés avec une variété de facteurs que l'on croit généralement être à
l'origine de la corruption. […] Cependant, les mesures de l'expérience réelle de la
corruption, basées sur des enquêtes qui demandent aux hommes d'affaires et aux
citoyens de différents pays s'ils ont dû payer des pots-de-vin récemment, ne sont
pratiquement pas corrélées à ces facteurs, une fois que l'on a contrôlé les entrées. »
(Treisman 2007, p. 212).
- Les sondages auprès de la population générale demandent d’interroger des échantillons
représentatifs des populations. Ce sont des opérations couteuses, demandant de faire appel à
des instituts de sondages spécialisés par pays (s’ils existent).
208
- Un niveau minimum de liberté d’expression est nécessaire.
- L’indice le plus complet est le global corruption barometer (GCB) de TI (GCB -
Transparency International, 2022). Les entretiens sont conduits dans la plupart des pays en
face à face sur un échantillons d’au moins 1000 personnes par pays (réduit pour les pays à
très faible population dont certaines îles du Pacifique). Il est renouvelé irrégulièrement mais,
depuis sa création en 2003, plusieurs jeux de données sont disponibles pour la plupart des
pays.
Interprétation :
- Les mesures de perception mesurent le ressenti des populations. Elles capturent le quotidiens
des personnes en particulier la « petty corruption »4 et leurs relations avec les
administrations et les services (police, hôpitaux…).
- Globalement ces indicateurs se dégradent
181
. Toutefois une corrélation avec la corruption ne
peut être établie.
- L’intérêt de ces mesures est dans leur comparaison avec d’autres indices. Pour ne prendre
que les exemples du Cambodge et de la France et en comparant le GCB avec l’IPC tous les
deux publiés par TI (GCB - Transparency International, 2020, 2021b; Transparency
International, 2022a).
Sources
Indices / questions
Mesures
Cambodge
France
IPC
13 institutions
expertes
Rang mondial
157/180
22/180
Score
23/100
71/100
GCB
Sondage auprès
de la population
Pensez-vous que la corruption du
gouvernement est un gros problème (oui/non) ?
33%
29%
Avez-vous payé un pot-de-vin pour un service
public dans les 12 derniers mois (oui/non) ?
37%
5%
Avez-vous utilisé vos connections personnelles
pour obtenir un service public dans les 12
derniers mois (oui/non) ?
6%
48%
Tableau 22 Mesure de la corruption, comparaison des indices de TI pour le Cambodge et la France
181
UE (27) comparaison des GCB 2016 et 2021 : données disponibles pour 17 pays sur 27, 4 pays voient une
baisse du ressenti de la corruption (Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie), 1 une stabilité, 12 une augmentation. Afrique
entre 2015 et 2019 les GCB (27 sur 54 pays) voient une baisse pour 3 (Ghana, Libéria et Tanzanie), 2 une stabilité,
21 une augmentation (GCB - Transparency International, 2022).
209
- Alors que le Cambodge est classé 157ème sur 180 pays dans son évaluation par un ensemble
consolidé de 13 institutions expertes de l’évaluation de la corruption, le sondage auprès de
la population donne une mesure très différente. Seuls 33% pensent que la corruption du
gouvernement est un gros problème. Ce score est comparable au 29% de la France classée
22ème selon l’IPC. Il faut aussi remarquer le croisement entre les 37% de Cambodgiens qui
déclarent avoir payé un pot-de-vin par rapport au 5% de Français et des résultats inversés
pour ce qui est de l’appel à ses relations personnelles. Plusieurs interprétations sont
possibles. Les différences culturelles jouent sans doute un rôle mais aussi le nombre
d’interactions entre la population et l’administration dans ces deux pays.
Apport pour cette thèse :
- L’apport est limité.
- Ces données mesurent le ressenti de la « corruption-dégradation de la cité » qui, comme
développé précédemment, fait partie de l’environnement des organisations. Dans quelle
mesure l’environnement est-il favorable à la corruption ?
- Un poids important de la corruption dans le quotidien de la population est un indicateur
d’une corruption institutionalisée. Tendanciellement cela indique une plus grande difficulté
pour les organisations à lutter contre la corruption (voir p. 108, la corruption comme une
institution informelle). Ne peuvent être retenue de ces mesures qu’une impression de
l’intensité de la corruption. Un résultat plus qualitatif que quantitatif qui doit permettre de
regrouper les pays en grands ensembles (pays faiblement atteints, kleptocraties, etc.).
2.2.5 Indicateurs et indices synthétiques
Pour qui étudie la corruption, le point de départ le plus connu est l’indice de perception de la
corruption
182
(IPC) publié par Transparency International (TI). D’autres institutions publient
leur propres indices. TI en intègre certains dans l’IPC. La liste suivante est un recensement non
exhaustif des principaux.
182
Le nom d’IPC peut induire en erreur. Il ne fait pas intervenir des données de perception mesurées par sondage
auprès de la population générale. La méthodologie a évolué. A l’origine en 1995, il s’agissait d’une mesure de
perception obtenue par sondage auprès de journalistes et d’hommes d’affaires. Le nom est resté.
210
La TC enseigne que la modélisation de l’environnement est si complexe que tout paradigme –
en tant que représentation de l’économie – est simplificateur. C’est ce qui advient avec ces
indices qui tentent de synthétiser l’ensemble des données disponibles
183
.
Nom des indices et
des institutions
Sources
Types de données
IPC, Transparency
International
Banque africaine de développement,
Fondation Bertelsmann, Economist
Intelligence Unit (journal The Economist),
Freedom House, Global Insight, IMD (école
de commerce), Political and Economic Risk
Consultancy (société de conseil), PRS
Group International (société d’évaluation
des risques), Banque mondiale, Forum
économique mondial, World Justice
Project, Université de Göteborg
(Transparency International, 2022a).
Indicateurs synthétiques
(développement économique,
gouvernance, etc.).
Enquêtes d’opinion auprès de cadres
dirigeants d’entreprises
Évaluations d’experts.
Les sources varient selon la données
disponibles.
Sustainable
Governance
Indicators,
Fondation
Bertelsmann
Panels d’experts internes et externes à la
fondation.
Indicateurs synthétiques
(développement économique,
gouvernance, etc.). Limité aux pays
de l’OCDE et de l’UE.
Indice Nations in
Transit, Freedom
House
Panels d’experts internes et externes à
l’organisation.
Indicateurs synthétiques
(développement économique,
gouvernance, etc.). Limité à 29 pays.
Indice Rule of Law
Corruption, World
Justice Project
Double sondage auprès de 66000 personnes
(population générale) et 2000 experts
locaux dans 66 pays.
Indicateurs synthétiques
(développement économique,
gouvernance, etc.).
Entreprise Survey –
Corruption, Banque
mondiale
Banque mondiale, Entreprise Analysis Unit.
Sondage auprès de plusieurs milliers
d’entreprises dans 154 pays (150 à
1800 entreprises par pays) réitéré
depuis 2005.
Tableau 23 Liste des indices synthétiques de la corruption
Tous butent sur des limites attendues :
183
L’IPC de 2021 fait appel à 12 sources qui chacune publie plusieurs indices. TI modifie sa méthodologie
régulièrement en fonction des données disponibles (Lambsdorff, 2004).
211
- Nommer une variable « corruption » implique qu’il s’agirait d’un objet unique. Elle ne serait
qu’une variable dépendante. Ce n’est pas le cas. La corruption est un ensemble de variables
dont les dépendances de sont pas toutes connues : une contingence et non une incertitude.
- La corruption ne peut être considérée en dehors de son modèle. La complexité des
interactions entre variables, prévue par la TC, se réalise : par exemple, plus la gouvernance
d’un État est faible, moins les informations qu’il publie sont fiables (tautologie). Mais plus
l’hypothèse d’une forte corruption peut-être vraie.
- Les perceptions de la corruption, celles des populations ou des experts, sont soumises aux
limites cognitives décrites dans la TA. La définition de la corruption est alors instable et
biaisée. D’autres atteintes à la probité se superposent. La corruption finit par inclure
l’ensemble des griefs à l’encontre de l’État
184
.
L’agrégat d’indices synthétiques et de mesures par sondage ne permet pas de progresser dans
la connaissance. Un article de Louis (2007), qui ne fait référence ni à la TC ni à la TA, parvient
au même résultat.
« […] ce faisant, elles [les institutions internationales qui publient des
indices] produisent une vision sans nuance de la corruption en ne distinguant pas
les différents types et formes de corruption et ne permettent pas, ainsi, de réduire
l’opacité qui entoure les actes de corruption […] » (Louis 2007, p. 46).
Dans les pages qui suivent cette citation, Louis teste plusieurs hypothèses entre indices de
gouvernance (nature du régime, qualité, efficacité) et corruption. Malgré de fortes corrélations
pour certaines, il s’interroge sur ce qu’il identifie comme de possibles lacunes conceptuelles
(dont tautologies et raisonnement circulaires).
« L’étude de la corruption par l’intermédiaire de l’IPC ne permet pas de répondre
correctement à ces questions. En outre, ce flou conceptuel devient pratiquement
rédhibitoire lorsque l’on envisage le processus d’estimation du niveau de
corruption. La faute aux experts ? Le contenu et l’ordonnancement des sondages
nuisent certainement à leur évaluation. En définitive, l’on n’obtient d’eux guère
plus que ce que chacun pourrait affirmer sur la corruption, leur expertise n’étant
pas exploitée. Les enquêtes de perceptions pèchent par excès. À trop vouloir en
184
Un article de Charron (2014) compare une étude Eurostat de perception de la corruption (85000 personnes dans
24 pays) avec les indices de TI et de Freedom House. La conclusion est une forte corrélation entre indice
synthétique et perception par la population. L’étude ne considère que la petty corruption. Une corrélation avec la
grande corruption n’est pas établie.
212
saisir, elles conduisent à produire une vision globale, transversale et uniformisée
non de plusieurs dimensions d’un seul phénomène, mais de plusieurs phénomènes
qui, pour être connexes, ne sont pas moins détachables. L’analyse quantitative se
heurte à la circularité de ces raisonnements, tant et si bien que l’on n’est jamais en
mesure de discriminer ce qui est de ce qui n’est qu’artificiellement. » (Louis 2007,
p. 62).
Apport pour cette thèse :
L’apport de ces indices synthétiques pour la mesure de la corruption est faible. Si les modèles
de la TA et de la TC permettaient de le prévoir, il n’en reste pas moins que pour beaucoup
d’organisations, la première réaction est d’utiliser ces indices.
La vision sans nuance que relève Louis a des conséquences sur les possibilités d’action de
l’organisation. En présentant la corruption sous la forme d’un indice unique, la réflexion est
bloquée. L’IPC classe la Chine 66ème sur 180 pays (Transparency International, 2022a). La
revue de la littérature décrit en Chine une corruption systémique et systématique. Un monopole
de la violence visant au drainage des pots-de-vin vers le pouvoir central. (Heilmann, 2008,
2013; Labic & Memheld, 2019). N’y aurait-il comme solution que de fuir la Chine ainsi que
les 114 autres pays moins bien classés ?
Ce que le corpus sur la Chine révèle est que l’expertise de certains – ceux-là même que TI
sollicite – est réelle. Ils comprennent le fonctionnement de la corruption dans ce contexte
particulier. La distribution structurelle de l’attention imposé dans le processus de création de
l’IPC bloque leur apport : les questions posées à ces experts ne sont pas les bonnes, les
procédures et les canaux ne savent pas traiter leurs informations (voir modélisation de la TA
Figure 6, p. 140).
Que savent ces experts de la complexité de la corruption en Chine ? Quelles solutions
préventives ou anticipatrices peuvent-ils proposer ?
185
185
Certaines entreprises spécialisées développent des indicateurs spécifiques de la corruption adaptée à leurs
clients. Toutefois, ces analyses prennent tout leur sens quand elles incluent, en plus de l’indicateur, un descriptif
précis (par exemple une fiche pays), qui peut aller jusqu’à identifier les personnes particulièrement à risque (Global
Risk Profile, 2022). L’évaluation du risque demande un plan de surveillance des risques, dont la corruption. Cela
peut prendre la forme d’un rapport d’information régulier, avec ou sans indicateurs synthétiques. On retrouve ici
la veille et l’intelligence économique (IE).
213
2.3 Conclusion
La recherche de mesure de l’effet des actions d’anticipation et de prévention de la corruption
n’a pas apporté de résultat. Il ne s’agit pas d’une découverte récente. Elle précède le début de
cette thèse.
Les indicateurs synthétiques de la corruption sont les meilleures outils de mesure. Mais ils ne
permettent qu’une évaluation sommaire peu sensible aux évolutions sur quelques années ou au
classement entre pays proches. A l’image de l’incertitude des données, il semble plus pertinent
d’utiliser plusieurs indicateurs et de regrouper les pays, entreprises ou marchés en grands
ensembles présentant quelques caractéristiques communes.
Comme TI, les autres institutions qui publient des indicateurs de la corruption, soutiennent leurs
évaluations par des rapports organisés par pays, par industrie, etc. Ces informations
principalement qualitatives sont essentielles. Elles expriment la contingence de
l’environnement sur les organisations. Les points de mesure ponctuels que sont les études de
cas, les décisions judiciaires et certains travaux en économétrie semblent plus à même de
déterminer l’effet d’une action anticorruption. Mais étendre la validité de ces points de mesure
demande de repasser par les données qualitatives citées plus haut.
214
3 État des moyens déployables par les organisations
Ce chapitre vise à compenser l’absence de mesure des effets des actions anticorruption.
L’objectif est de recenser les moyens existants. Si des données permettent d’estimer une
efficacité, elles seront précisées.
L’efficacité des moyens dépend en partie de l’environnement de l’organisation. Les États et les
organisations supranationales agissent par la loi et la règlementation ainsi que par des
recommandations.
La production de textes est considérable. Sans jugement sur leur qualité, du point de vue de
l’entreprise, leurs conclusions convergent vers peu d’éléments : le rappel de l’interdit juridique
de la corruption et des obligations.
Ce chapitre débutera par la caractérisation des actions anticorruption hors des organisations
menant à des environnements corruptifs ou anti-corruptifs. Puis seront considérées les
obligations règlementaires et législatives pour les entreprises, suivies des autres actions que
celles-ci peuvent déployer. Pour chacune de ces actions, il s’agit d’identifier les effets préventifs
ou anticipatifs.
3.1 Environnements corruptifs ou anti-corruptifs ?
Bien que cette thèse étudie les capacités anticorruption internes à l’organisation, il est approprié
de considérer les actions de l’environnement.
La lutte anticorruption est devenue un sujet mondial avec des attentes croissantes en matière
éthique, sociale et environnementale. Au point que les États autoritaires instrumentalisent la
215
corruption pour se donner une image de droiture et mater leurs populations
186
. Sans les excès
de ses régimes violents, l’UE et les États européens portent une attention soutenue à la lutte
anticorruption. Ils répondent notamment à une perte de confiance relative dans les
institutions
187
.
3.1.1 UE et États européens – structure formelle de l’environnement
L’UE et les État européens agissent par deux canaux
188
:
- L’information, notamment les publications d’études, les recommandations, et tout ce qui
contribue à la formation des décisionnels publics et privés.
- La structure formelle de l’environnement : les lois et règlementations.
L’ensemble des pays européens ont des législations anticorruption, certains depuis plus de deux
cents ans (voir p. 37 et suivante). La convergence des droits européens progresse. Elle
186
Quelques exemples : en Russie, les purges anticorruption orientées contre les opposants au régimes (Vitkine,
2019). Les opposants ne sont plus déclarés fous et institutionalisés comme dans la Russie soviétique (Courtois &
al., 1997), mais accusés de corruption. En Chine, la campagne anticorruption de Xi Jinping à partir de 2012 qui
permet l’élimination des oppositions internes au PCC, l’amélioration du drainage des pots-de-vin vers le cœur du
PCC et la mise au pas des potentats provinciaux (voir p. 113). En Iran, Ebrahim Raïssi, arrivé à la présidence en
2019 sur un programme de lutte anticorruption, est avant tout une garantie que le statu quo d’un régime
massivement corrompu sera maintenu. Ce qui se confirme en 2022, malgré l’instrumentalisation de condamnations
à mort sous le chef de « dissémination de la corruption sur terre » (qui englobe la corruption et une notion étendue
d’atteinte à l’intérêt général) prononcées pour calmer l’exaspération de la population (Beyler, 2021; Bourdillon,
2022; Hosseini, 2003).
187
Les mesures de la confiance dans les institutions européennes (parlement, commission et banque centrale)
montrent une grande stabilité, avec une moyenne de confiance à environ 50% sur la période 2006-2022 (réponse
à la question « Veuillez indiquer si vous avez plutôt confiance ou plutôt pas confiance en ces institutions
européennes. »). Mais les disparités sont importantes : (1) La population la moins éduquée ou avec les revenus les
plus bas exprime une confiance d’environ 30%, les revenus les plus hauts et les plus éduqués atteignent environ
60%. (2) Le Portugal est le pays montrant la plus grande confiance avec environ 70% pour les trois institutions.
La France a les taux les plus bas respectivement 33%, 30% et 25% (Commission européenne, 2022).
188
Ne sont pas considérées les entreprises de souveraineté. Pour le lot commun, la possibilité de recevoir l’aide
des services de l’État n’est pas exclue mais ne peux être considérée comme un élément constitutif de
l’environnement. En France, dans le cadre des atteintes économiques aux entreprises ou de la lutte anticorruption
ce sont des entités comme le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), l’AFA ou
la sous-direction K de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). En dehors du territoire national, ce
sont les services des ambassades (douanes, services économiques et de sécurité intérieure).
216
s’accompagne d’une multiplication des textes : lois, règlementations ou recommandations.
L’UE joue son rôle de coordination, mais les retards et les particularismes locaux ne permettent
pas de considérer qu’il s’agit d’un ensemble uni.
La complexité est d’autant plus grande, qu’isolée la lutte anticorruption n’a pas de sens. Les
études de cas et les décisions judiciaires montrent une superposition des atteintes à la probité.
Elles se combinent avec d’autres crimes et délits (racket, blanchiment, trafics, terrorisme, etc.).
Tous sont « nécessaires » au paiement puis à la dissimulation des pots-de-vin. La corruption
fait partie d’un biotope criminel (Maillard, 2021; Nielsen, 2003; Sberna & Vannucci, 2015).
Enfin, la corruption n’est pas uniformément répartie, comme ne le sont pas non plus les moyens
de lutte et l’expertise anticorruption. L’ensemble entraîne des adaptations différenciées de la
législation européenne dans chaque droit local. Ces exceptions sont autant d’opportunités pour
la criminalité en col blanc (Maillard, 2005).
La seule étude extensive de la corruption en Europe est le projet Anticorrp (2017)
189
qui de
2012 à 2017 a recherché les facteurs qui facilitent ou limitent la mise en place de politiques
anticorruption efficaces. Ce travail exceptionnel demande d’être présenté. Les paragraphes qui
suivent extraient les actions anticorruption du projet. Elles sont issues principalement du tome
3 de la somme publiée par Anticorrp « Le favoritisme gouvernemental en Europe » (Mungiu-
Pippidi, 2019) ainsi que d’articles publiés par les participants au projet
190
.
Le projet a fait face à la difficulté, déjà identifiée, de mesurer la corruption. La plupart des
douze blocs de travail sont descriptifs et ne parviennent pas à mesurer l’effet des actions
existantes.
Anticorrp fait une omission presque totale de l’entreprise et de la sphère économique. C’est à
la fois surprenant et particulièrement intéressant pour ce qui est alors une description de la
189
Titre complet : « les politiques de lutte contre la corruption revisitées : tendances mondiales et réponses
européennes au défi de la corruption ». 21 unités de recherche dans 16 pays européens. Projet financé par la
Commission européenne, budget total 10,534 millions d’euros.
190
Le rapport final signale dès mars 2017 plus de 70 publications et 8 livres (Bauhr, 2017). Parmi les membres
d’Anticorrp le chercheur le plus important pour cette thèse est Alina Mungiu-Pippidi. Elle a dirigé le pilier 4 «
politiques de réponses à la corruption » ainsi que les groupes de travail 3 « Corruption et amélioration de la
gouvernance dans des perspectives globales et continentale, 8 « Corruption, aide et développement » et 12 «
Diffusion : traduire la recherche en une politique fondée sur des preuves et informer les parties prenantes ».
Mungiu-Pippidi a dirigé ou co-dirigé la publication de quatre sommes. Elle est aussi l’auteur de nombreux tirés à
part.
217
corruption « hors création de valeur ». La corruption est définie comme l'abus d'une fonction
publique à des fins privées. La transaction et le corrupteur disparaissent. Ne subsiste qu’un
corrompu réduit à la fonction publique et aux élus. La corruption devient un écart par rapport à
une norme d’intégrité individuelle (Mungiu-Pippidi, 2013).
Cette approche permet d’inclure la corruption à la problématique de la gouvernance et
d’éliminer l’incertitude éthique (le raisonnement est proche de l’impératif kantien ou du droit
positif).
La méthode de quantification de la corruption utilise des indices synthétiques qui posent les
mêmes difficultés de modélisation et d’absence de validation empirique que celles présentées
p. 209.
Pour mesurer l’effet des politiques de gouvernance, les auteurs utilisent un indice de contrôle
de la corruption
191
. En reprenant la même source que les auteurs (Mungiu-Pippidi 2013, fig. 1
p. 4) et en y ajoutant les années depuis 2013, les résultats restent inchangés. A l’exception des
anciennes républiques socialistes qui voient leurs indices s’améliorer jusqu’en 2002, les indices
par pays sont stables.
Figure 8 Contrôle de la corruption par pays, source Banque mondiale (2022b).
191
Contrôle de la corruption : indice de la Banque mondiale de 0 (pas de contrôle) à 100. Perception de la mesure
de l’exercice du pouvoir public pour obtenir un gain personnel, y compris la petite et la grande corruption, ainsi
que la mainmise sur l'État par les élites et les intérêts privés (D. Kaufmann, Kraay, & Mastruzzi, 2010).
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Controle de la corruption
Bulgarie Croatie Estonie France Allemagne Grèce
Italie Lettonie Portugal Espagne Suède
218
« Le contrôle de la corruption est un équilibre complexe et l'absence de progrès au
cours des quinze dernières années de lutte contre la corruption est due, au moins
en partie, à l'illusion que quelques solutions miracles peuvent régler le problème,
alors que ses causes profondes sont ignorées. » (Mungiu-Pippidi 2013, p. 5).
Les auteurs proposent une matrice du risque de la corruption en fonction de deux variables de
gouvernance :
- La force de la dissuasion comme une contrainte exercée sur la corruption.
- Les opportunité de corruption (ou ressources).
Dissuasions / contraintes
Ressources / opportunités
Faibles
Importantes
Fortes
Autriche
Belgique
Danemark
Finlande
France
Allemagne
Irlande
Luxembourg
Malte
Pays-Bas
Suède
Royaume-Uni
Chypre
Estonie
Hongrie
Lituanie
Faibles
Italie
Portugal
Slovaquie
Slovénie
Espagne
Bulgarie
Tchéquie
Grèce
Lettonie
Pologne
Roumanie
Tableau 24 Pays de l'UE par groupe de risque corruption (Mungiu-Pippidi 2013, tab. 3, p. 42).
- Le groupe A (fortes dissuasions, faibles opportunités, Autriche…) est le groupe présentant
le plus faible risque de corruption. La corruption est sous contrôle. Les cas occasionnels de
corruption peuvent être traités avec succès.
- Le groupe B (Chypre …) comprend les pays qui ont réussi à créer des moyens de dissuasion
significatifs mais offre d’importantes opportunités à la corruption en particulier la part de
l’économie informelle et des fonds européens importants.
- Le groupe C (Italie…) comprend des pays dont les ressources et les contraintes sont
relativement faibles. La capacité d'audit et de contrôle, l’indépendance du pouvoir judiciaire
et les outils de contrôle du gouvernement par la société sont jugées insuffisantes.
219
- Le groupe D (Bulgarie…) réunit le plus d’opportunités pour la corruption avec le moins de
dissuasion publique. En plus des vulnérabilités des groupes B et C, s’ajoutent une forte
complexité administrative (régulation excessive) et une faible attente de la population en
termes de gouvernance.
Les auteurs émettent sept recommandations qui peuvent être résumées en trois axes d’action :
(1) La multiplications des lois et les agences anticorruption spécialisées n’ont pas d’effet
mesurable sur la corruption.
Cet argument pourrait, à tort, être opposé à ce que serait la corruption en l’absence de loi (voir
hypothèse du non-droit p. 51). Cette thèse, tout comme Anticorrp, ne considère que les pays de
l’UE. Tous ont des lois anticorruption « simples et anciennes »
192
et un niveau de gouvernance
élevé
193
, conditions d’entrée dans l’UE. La mesure du contrôle de la corruption ne permet pas
de mesurer un effet de l’enrichissement législatif au-delà de ces lois « simples et anciennes ».
« La pertinence est évidente, puisque des millions d'euros ont été dépensés pour des
réformes judiciaires et anti-corruption. Pourtant, certains pays parviennent à
mettre en œuvre l'État de droit, tandis que d'autres assistent à une stagnation, voire
à un déclin, malgré des réformes complètes. […] L'étude suggère que l'UE a facilité
un alignement des lois nationales sur les normes internationales, mais a en même
temps contribué à miner la stabilité juridique. » (Bauhr 2017, p. 22).
Pour mesurer l’effet des actions, Mendelski (2016) compare les républiques baltes (entrées dans
l’UE) et les pays du partenariat oriental de l’Europe
194
(POE). Il parle d’un « effet vicieux » des
législations d’amélioration de la gouvernance et de lutte anticorruption.
« Les résultats suggèrent que l'UE (avec l'aide des réformateurs nationaux et des
donateurs internationaux) a eu un impact positif sur la légalité substantielle
(alignement de la législation sur les normes internationales) et sur la capacité
judiciaire qui a augmenté. Mais elle a sapé la moralité interne de la loi (instabilité
juridique) et l'impartialité judiciaire. La divergence de l'État de droit (en
particulier, les effets pathologiques des réformes menées par l'UE dans les pays du
POE) s’explique par un cycle vicieux de réforme dans lequel la structure, l'agence
192
En droit français, les articles 433-1 et suivants (corruption active et trafic d’influence), 435-1 et suivants
(corruption et trafic d’influence passif) du Code Civil.
193
Voir les indices mondiaux de gouvernance publiés par la Banque mondiale (Banque mondiale, 2022b)
194
Partenariat oriental de l’Europe (POE) : « Eastern Partnership » (EaP) Ukraine, Moldavie, Géorgie,
Azerbaïdjan et Arménie
220
et le processus de réforme se renforcent mutuellement de manière circulaire. En
particulier, j'ai soutenu que l'hétérogénéité sociale (structurelle) et idéologique (en
Ukraine, Moldavie, Géorgie) a produit des acteurs politiques divisés et concurrents
(et des structures étatiques fragmentées) qui ont instrumentalisé les réformes
juridiques, judiciaires et de lutte contre la corruption (politisé le système judiciaire
et les institutions de responsabilité) pour défendre leurs intérêts particuliers et ceux
de leurs partisans étrangers. L'autonomisation partisane de ces réformateurs pro-
occidentaux par l'UE (et les États-Unis) a entraîné l'accumulation d'abus de
pouvoir, de nombreux scandales de corruption, le renforcement des pathologies de
la réforme et l'affaiblissement général de l'État de droit. » (Mendelski 2016, p. 134-
135).
Les républiques baltes ont été protégées de ces effets détrimentaux en créant des États-Unis
grâce à l’exclusion partielle des Russes ethniques (limitation des droits, de l’accès à la fonction
publique, non reconnaissance de la langue russe). La désignation d’un ennemi commun (la
Russie) a permis l’établissement d’un État de droit capable d’absorber les nouvelles lois. Les
violences entre groupes ethniques ont été en grande partie évitées grâce à une croissance
économique rapide. Pour Mendelski, la priorité est de créer ou de maintenir l’unité de l’État par
un pouvoir judiciaire unitaire, indépendant et impartial plutôt que d’imposer des lois qui
conduisent à la fragmentation de la société et dont à la perpétuation de la corruption (Mendelski,
2016).
Cette recommandation recoupe l’analyse de Carbonnier déjà cité dans le développement sur le
droit positif (voir p. 50). Il est demandé au droit plus qu’il ne peut donner. La fonction répressive
de la loi est nécessaire. Mais, comme le dit Carbonnier (1976, 1996), la loi s’applique dans un
environnement sociologique donné qui conditionne son efficacité. L’accumulation des textes
ne change pas la sociologie.
(2) Réduire les ressources administratives consacrées à la lutte anticorruption. Il est plus
efficace de simplifier la réglementation, libéraliser le commerce, rationaliser pour réduire
l’informalité, augmenter la transparence de l’administration.
Cet axe d’action s’oppose directement à ce que font l’UE et les pays membres. Il n’y a pas
d’exemple de réduction des ressources administratives consacrées à la lutte anticorruption dans
aucun des pays de l’UE. Il n’y a pas non plus de données par pays concernant le budget consacré
221
spécifiquement à la lutte anticorruption. L’indice d’efficacité de la gouvernance
195
de la Banque
mondiale indique pour les membres de l’UE une légère baisse d’efficacité entre 1996 et 2020
(les pays baltes progressent, les autres sont stables ou baissent – y compris les anciennes
républiques socialistes). Il est dont impossible de mesurer ce que serait l’effet de ce deuxième
axe. En émettant l’hypothèse, probable, d’une augmentation des budgets consacrés à la lutte
anticorruption, il n’est pas non plus possible de mesurer une baisse de l’efficacité de la lutte
anticorruption.
(3) La transparence et le contrôle par la société civile sont les outils anticorruption les plus
efficaces.
Ce troisième axe d’action pose les mêmes difficultés que le précédent. L’indice voix et
responsabilité
196
de la Banque mondiale indique une stabilité pour l’ensemble des pays de l’UE
entre 1996 et 2020. Il n’y a pas d’effet mesurable. Une utilisation de cet indice pour la grande
corruption et à l’environnement des organisations est une difficulté d’interprétation
supplémentaire.
Que penser du projet Anticorrp ? Bien que la faiblesse des données quantitatives soit un
obstacle, ce projet reste le meilleur document disponible. La plupart des participants apportent
des éléments qualitatifs en soutien aux trois axes d’action décrits plus haut. En simplifiant, la
sociologie et les modèles économiques décrivent une corruption qui n’est pas affectée par la
structuration anticorruption formelle de l’UE.
Les interviews de l’étude qualitative de cette thèse vont dans le même sens. Pour les décideurs
des entreprises (groupe 2), l’environnement réglementaire et juridique n’est pas un sujet. Ils ne
parlent pas des lois, des règlementations ou de leurs modifications. Les solutions d’anticipation
et de prévention de la corruption qu’ils proposent ne sont ni règlementaires ni juridiques. Tout
195
Efficacité de la gouvernance : capture les perceptions de la qualité des services publics, de la qualité de la
fonction publique et de son degré d'indépendance vis-à-vis des pressions politiques, de la qualité de la formulation
et de la mise en œuvre des politiques, et de la crédibilité de l'engagement du gouvernement envers ces politiques
(Banque mondiale, 2022b).
196
Voix et responsabilité : capture les perceptions de la mesure dans laquelle les citoyens d'un pays peuvent
participer à la sélection de leur gouvernement, ainsi que la liberté d'expression, la liberté d'association, et des
médias libres (Banque mondiale, 2022b).
222
porte à croire que, pour ces décideurs, les actions anticorruption de l’UE et des États membres
n’interviennent pas dans la prise de décision.
Pour conclure, il reste le bon sens ; il est raisonnable de penser :
- Que les moyens de mesure sont saturés et qu’ils ne mesurent pas la corruption. Dans l’UE,
les progrès de la gouvernance plafonnent, conduisant à des mesures stables
197
. Les écarts
d’indice entre pays sont des artefacts (biais culturels, etc.).
- Que la corruption est sous-estimée. Cette sous-estimation est corroborée ponctuellement lors
d’articles de presse, d’études de cas et de décisions de justice
198
. En 2021, lors du colloque
« 25 ans après l’appel de Genève »
199
Jean de Maillard parle d’une corruption qui ne cesse
de progresser, devenue systémique et globalisée (Maillard, 2021).
- Que les systèmes les plus complexes sont les plus vulnérables à la corruption (voir p. 114).
- Que l’absence de mesure ne peut justifier l’absence de lutte. Même sans effet anticipatif,
préventif ou dissuasif, la répression de la corruption est une nécessité de bonne gouvernance
et de morale, à tout le moins pour stopper le délit.
197
La mesure par un indice (et non un indicateur) et le classement des pays pose une question de méthodologie
pour un phénomène économique valorisable, notamment la confusion entre prévalence et valeur de la corruption.
Il s’agit d’une simplification de la corruption en une variable dépendante dont les dépendances sont simplifiées,
regroupées ou non identifiées. Si la Banque mondiale ou TI donnent des noms précis à leurs indices
(respectivement « contrôle de la corruption » et IPC) la confusion avec ce que serait une mesure de la corruption
perdure.
198
Par exemple : en 2022 le constat de la dégradation des forces armées russes du fait de la corruption fait ressortir
que l’estimation d’une valeur mondiale des pots-de-vin à 1000 milliards de dollars (pour un coût total de la
corruption estimé à 2600 milliards de dollars) n’est pas compatible avec l’estimation de 200 milliards de dollars
pour la fortune de Vladimir Poutine seul. Il prélèverait 50% des pots-de-vin collectés par les oligarques dans un
pays classé 136/180 selon l’IPC (45ème État le plus corrompu). Cela alors que le PIB de la Russie ne représente
que 1,85% du PIB mondial 2021 (Banque mondiale, 2022a; ONU, 2018; Transparency International, 2022b; Ward,
2022).
199
Appel de Genève (1er octobre 1996): signé par sept magistrats anticorruption européens (Bernard Bertossa,
Edmondo Bruti Liberati, Gherardo Colombo, Benoît Dejemeppe, Baltasar Garzón, Carlos Jiménez Villarejo,
Renaud Van Ruymbeke) il demande la création d’un espace judiciaire européen pour lutter contre
l’internationalisation de la fraude fiscale, du blanchiment et de la corruption (Bertossa et al., 1996).
223
3.1.2 Effet du FCPA sur l’environnement des organisations européennes
Le FCPA interdit aux personnes morales ou physiques présentes aux États-Unis de corrompre
les agents de gouvernements étrangers. Son usage s’est étendu au point d’être considérée
comme une loi extraterritoriale. Aujourd’hui, toute organisation qui directement ou
indirectement intervient dans le paiement d’un pot-de-vin à partir du territoire états-unien peut
être poursuivie. Il suffit qu’un intermédiaire (une banque par exemple) ou qu’un accessoire
(paiement en dollar) intervienne dans la transaction
200
. De nombreuses entreprises européennes
ont été condamnée sous FCPA. C’est devenu un élément important de leur environnement.
Dès son introduction en 1977, le FCPA a été accusé aux États-Unis de décourager les activités
des entreprises états-uniennes à l’étranger
201
. En réponse la loi « Omnibus Trade and
Competitiveness Act » « commerce pour tous et compétitivité » est adoptée en 1988. Cette loi
valable pour trois ans a été renouvelée jusqu’en 2001. Une de ses principales dispositions est
de diriger l’action de l’exécutif et du pouvoir judiciaire contre les pays avec lesquels les États-
Unis ont un déficit commercial.
L’effet du FCPA pour les entreprises états-uniennes est peu discernable. Perlman and Sykes
(2017) en font une synthèse prudente. Ils identifient quatre hypothèses. (1) Il serait plus facile
pour une entreprise états-unienne de refuser le paiement de pot-de-vin, car le FCPA est connu
des agents étrangers. (2) Le coût des obligations imposées par le FCPA aux entreprises états-
uniennes créerait un désavantage concurrentiel. (3) Dans le cas d’un oligopole de fournisseurs,
le FCPA favoriserait une entente sur les pots-de-vin entre concurrents et par conséquence la
constitution d’un cartel.
Les auteurs précisent qu’il s’agit d’hypothèses énoncées à la suite d’interviews de juristes
praticiens du FCPA. A noter que la troisième hypothèse peut être rapprochée de la corruption
systémique de certains États, et d’une convergence des pots-de-vin vers des valeurs de l’ordre
200
Un des amendements de 1988 au FCPA précise que seuls les paiements qui affectent la décision de l’agent
étranger sont interdits. L’enquête doit établir ce lien. Les paiements qui n’affectent pas sa décision et les paiements
qui respectent la législation du pays étranger en question sont licites. Sont également autorisés les paiements « de
routine ». Enfin aucune valeur limite n’est définie (Koch, 2005).
201
Il semble qu’une corrélation puisse être établie entre une baisse des investissements des entreprises états-
uniennes avec les pays ayant au préalable été le théâtre de condamnation sous FCPA (Graham & Stroup, 2016).
224
de 5 à 20 % du chiffre d’affaires
202
. Cette convergence est d’autant plus vraie si l’environnement
est peu arbitraire (voir p. 129) : le paiement du pot-de-vin est efficace.
(4) La quatrième hypothèse est que le coût des sanctions contre les entreprises étrangères
diminuerait leur compétitivité par rapport aux entreprises états-uniennes.
« Bien que nous ne suggérions pas que l'application de la loi soit ‘biaisée’ contre
les entreprises étrangères, les preuves montrent clairement que les autorités
américaines poursuivent les entreprises étrangères de manière agressive. »
(Perlman et Sykes 2017, p. 175).
Les auteurs citent les données disponibles au moment de leur publication. Les entreprises
étrangères représentaient alors environ 40% des entreprises mises en accusation. Sur la période
janvier 2017 à août 2022, les entreprises étrangères atteignent 57% des mises en accusation. La
dernière année qui a vu plus d’entreprises états-uniennes qu’étrangères mises en accusation est
2017. Malgré le petit nombre de dossiers (63 entre janvier 2017 et août 2022, 701 depuis 1977),
l’évolution est nette, renforçant l’analyse de Perlman et Sykes (Stanford Law School & Sullivan
& Cromwell LLP, 2022). Cette dernière hypothèse est aussi le reproche principal fait en Europe
au FCPA qui créerait une distorsion de concurrence en s’attaquant de façon préférentielle aux
entreprises européennes.
Avant de poursuivre, il est nécessaire de rappeler que la vulnérabilité au FCPA naît de faits de
corruption avérés : une entreprise corruptrice, ici européenne, a payé un pot-de-vin à un agent
étranger pour obtenir un marché200. La sanction prononcée constitut le désavantage
concurrentiel.
Peut-on alors identifier des effets anticipatifs ou préventifs résultant du FCPA en Europe ?
Les conditions d’application du FCPA sont les mêmes en Europe qu’aux États-Unis. Le recours
systématique à des peines négociées qui sont anticipées par les entreprises a été dénoncée par
Reilly et Yates comme une négation de la justice (voir p. 113 et suivantes). Non seulement les
202
Une étude de l’OCDE sur 55 cas jugés, calcule un pot-de-vin moyen de 10,9% du chiffre d’affaires (ou 34,5%
des bénéfices). Sur un autre ensemble de cas, les pourcentages convergent vers des valeurs différentes en fonction
du secteur d’activités (par exemple distribution d’eau et éducation 2%, extraction 21%, commerce 19%). Les
auteurs précisent que ces pourcentages dépendent de la capacité de l’entreprise corruptrice à recouvrer le pot-de-
vin : baisse des coûts (prestation, salaires, délocalisation, etc.) ou majoration du prix (OCDE, 2014). Mais une
entente sur les pots-de-vin n’est pas exclue.
225
entreprises corruptrices sont condamnées à des amendes rendant la corruption profitable (voir
l’affaire Airbus p. 114), mais les corrompus ne sont pas poursuivis.
Lund et Sarin (2021) indiquent que pendant la présidence Trump, la politique adoptée a été de
limiter encore les poursuites, pour ne s’attaquer qu’aux entreprises corruptrices et non au
personnes physiques. Les amendes ont encore été diminuées, très éloignées de ce qui pourrait
avoir un effet dissuasif. Une réflexion sur les poursuites contre les corrompus serait en cours
sous la présidence Biden (Maison blanche, 2021).
Il reste que les nombreuses publications, les articles de presse et le battage autour des
condamnations sous FCPA ont peut-être un effet pédagogique et donc préventif. Les données
manquent pour le confirmer. Les cas de récidives par des entreprises européennes ou états-
uniennes indiquent un effet limité à nouveau en raison de la faiblesse des sanctions
203
.
« Une caractéristique intéressante des statistiques de poursuites mises à jour [les
auteurs parlent des données FCPA 1977-2014] est le fait que plusieurs des
nouveaux cas impliquent des entreprises récidivistes, telles que Siemens et General
Electric, qui ont toutes deux déjà été punies en vertu de la loi pour le même
comportement illégal. Ces statistiques soulignent la perception selon laquelle le
FCPA est un ‘coût de la conduite des affaires’ plutôt qu'un moyen de dissuasion
réglementaire significatif contre le comportement illégal des entreprises. »
(Weismann, Buscaglia, et Peterson 2014, p. 596).
3.1.3 Autres éléments corruptifs ou anti-corruptifs
Pour terminer le recensement de ce qui rend l’environnement corruptif ou anti-corruptif,
plusieurs points – certains déjà évoqués – doivent être ajoutés.
203
L’affaire Alstom est peut-être une exception. La conséquence de ce dossier a été la prise de contrôle d’une des
branches de l’entreprise par son concurrent General Electric (GE). Cette pénalité pour Alstom est restée très en
deçà du préjudice subi par GE. La justice états-unienne a été un outil de négociation en faveur de GE. Les dégâts,
tant pour l’entreprise que pour l’économie française, ont été significatifs provoquant une commission d’enquête
parlementaire et l’implication directe du gouvernement français. Fait exceptionnel un cadre dirigeant d’Alstom a
été condamné et emprisonné (Coussi & Moinet, 2019; Stanford Law School, 2014; US department of justice,
2019). Un effet pédagogique pourrait être espéré. Toutefois le PDG du groupe, directement impliqué dans la
corruption, ne démissionnera que deux ans plus tard en 2016 et Alstom sera de nouveau impliqué dans une affaire
de corruption sous FCPA en 2020 (Reuters, 2020).
226
- Finance offshore et blanchiment : sur 304 cas jugés, l’OCDE (2014) indique que pour 71%
des intermédiaires sont impliqués (personnes physiques ou morales). Il s’agit de dissimuler
les paiements par le corrupteur. Mais surtout il s’agit pour le corrompu de dissimuler les
sommes reçues, tout en en conservant l’accès. Pour les régimes autocratiques, les
kleptocraties, ces sommes sont de préférences dissimulées à l’étranger. En pratique ces
moyens de dissimulations sont aisément accessibles.
- Criminalité organisée : les interactions entre corruption et criminalité organisée sont
nombreuses, pour ne citer que quelques mécanismes : (1) la participation au blanchiment de
la corruption. Le produit des trafics doit aussi être blanchi et dissimulé. (2) La frontière
parfois floue entre corruption et racket.
- Les entreprises, clientes ou fournisseurs, qui appartiennent aux réseaux de corruption
organisés de certains États. Ce sont des institutions formelles et criminelles qui créent une
zone grise entre secteur privé et public. Elles drainent les produits de la corruption et
participent au contrôle du pays (voir p. 136). Ce sont des interlocuteurs inévitables capables
d’imposer leurs conditions.
- L’économie informelle : en première approche, des institutions fortes permettent de lutter
contre la corruption. Toutefois Williams et Kedir (2016), cités par Ado (2022), établissent
dans une étude de quarante pays africains, que les entreprises de l’économie informelle sont
plus profitables et croissent plus vite. Certes, elles payent des pots-de-vin
204
mais sont moins
affectées pas la prédation de l’État que les entreprises formelles. Lors de l’interview d’un
chef d’entreprise nigérien qui s’apprête à formaliser son entreprise, Ado obtient la réponse :
« Les inconvénients de la formalisation, je n’ai pas expérimenté pour l’instant.
Mais je sais qu’il y aurait des contraintes à respecter, des impôts et des charges à
payer. Ce n’est pas si grave du moment o l’entreprise tourne bien. Je crains tout
de même la bureaucratie et la corruption. Car au Niger c’est connu qu’il y a un
décalage entre les textes et leur application. Bon, pour le moment, je reste
optimiste. » (Ado 2022, p. 329).
- Pour les États faillis, un secteur social de substitution peut pallier la disparition des services
publics. Il offre, dans des pays grevés par la corruption, une bulle de protection relative. Pour
une entreprise européenne qui veut évaluer le risque corruptif dans ce pays, la précision dans
204
Ces pots-de-vin sont à distinguer du « graissage des rouages ». Ici les entreprises informelles payent pour se
protéger de la prédation de l’État et non seulement pour l’obtention de passe-droits. Elles payent aussi lors des
interactions entre entreprises informelles.
227
l’analyse est déterminante. Elle permet d’identifier les bons relais, les limites géographiques
ou dans le temps.
« L’État failli qui n’assume plus ses responsabilités régaliennes, sociales et
économiques donne inévitablement naissance à des substituts. Bien qu’elles s’en
défendent au nom de la souveraineté et l’appropriation nationales, les institutions
internationales prennent en mains de facto certaines fonctions étatiques : l’ONU
confie la sécurité publique aux Casques bleus avec leur habituel mandat de
protection de la population, la santé est cogérée par l’OMS et les bailleurs, etc.
Mais ce sont surtout les acteurs de la société (les églises, le secteur privé, les
associations, etc.) qui répondent en premier à la disparition des services publics de
base (sécurité, eau, santé, éducation, électricité). » (Vircoulon 2022, p. 3).
3.2 Obligations règlementaires et législatives pour les entreprises
Les premières lois anticorruption apparues aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, puis en
Europe, sont répressives : elles interdisent la corruption et définissent un régime de sanctions
(voir p. 50).
Bien que la corruption ait toujours été réprouvée, la prise de conscience de son importance s’est
faite à partir des années 1990
205
. Avec la disparition du bloc soviétique, l’amélioration des
échanges avec des États structurellement et systématiquement corrompus a rendu la corruption
plus visible. Le phénomène est renforcé par les attentes grandissantes des populations, vers une
plus grande responsabilité sociale de l’entreprise.
L’importance des scandales dans la transformation des normes sociales est relevée par Agator
dans son « État de l’art, la corruption vue par les sciences humaines et sociales » (2021). Le
décalage entre une « affaire » devenue un scandale qui renforce le processus de transformation
sociale. Blic et Lemieux (2005), cités par Agator, décrivent la difficulté pour certains auteurs
205
La plupart des ONG qui luttent contre la corruption sont plus anciennes, mais la plus célèbre TI, est fondée en
1993. Le FCPA est voté en 1977, mais le nombre de dossiers traités reste très faible jusqu’en 2001. Il augmente
fortement à partir de 2007. L’unité antifraude de l’UE fondée en 1988 voit ses responsabilités élargies en 1993 à
la corruption (entre autres). Le groupe de travail contre la corruption de l’OCDE est fondé en 1994. Le conseil de
l’Europe crée en 1994 un groupe multidisciplinaire sur la corruption (qui deviendra le GRECO en 1998). L’appel
de Genève est signé en 1996. La convention des Nations Unies contre la corruption date de 1997.
228
de concevoir que les scandales ne sont pas seulement le marqueur d’un décalage entre attentes
sociales et les faits dénoncés.
« Elle [la sociologie pragmatique] repose sur le constat que le scandale, malgré
d’hâtives conclusions, ne laisse jamais les choses en l’état. En tant que ‘cérémonie
de dégradation statutaire’, il conduit à des repositionnements, à une redistribution
des cartes institutionnelles, voire à des remises en cause brutales des rapports
institués. Il donne lieu, souvent, à des refontes organisationnelles, à la production
de nouveaux dispositifs légaux, à la validation collective de pratiques inédites. »
(de Blic et Lemieux 2005, p. 11-12).
L’éthique des affaires et l’approche économique parviennent au même constat. Le débat sur
une corruption venant d’une mauvaise pomme ou d’un mauvais tonneau occulte l’influence de
l’environnement sur l’organisation (Gonin et al., 2012). Les attentes sociales ont changé,
« l’affaire » n’est plus socialement acceptable, elle devient un scandale. Les affaires de
corruption provoquent deux types d’actions qui correspondent aux deux conceptions du
scandale : (1) la recherche renforcée d’indicateurs de la corruption capables de révéler un écart
à la norme (loi, code de conduite, etc.). (2) L’anticipation d’une crise réputationnelle.
Ces actions font parties de l’arsenal habituelle d’une organisation. C’est particulièrement le cas
pour une entreprise mise en concurrence : savoir mesurer son activité et communiquer lorsque
ses prestations sont attaquées. En pratique cela signifie que l’organisation doit mettre en place
des moyens de détection. Elle doit aussi pouvoir démontrer qu’elle a tout fait pour interdire la
corruption. A ces fins, Hess et Dunfee (2000) proposent un ensemble d’actions qu’ils nomment
principes C2 « combat corruption ».
L’Europe multiple les lois, directives et décisions qui incluent des éléments anticorruption
206
.
En ce qui concerne les actions du ressort des organisations, elles reprennent les principes C2.
C’est également le cas des retranscriptions dans les droits des États membres. En France, la loi
Sapin 2 de 2016 reprend - à une exception et un ajout près - les principes C2. Cette loi s’impose
206
Entre 2010 et aout 2022 : 22 directives et lois, plusieurs centaines de décisions contraignantes. La dernière
directive en date est celle sur la protection des lanceurs d’alerte (Parlement européen & Conseil de l’Europe, 2019).
En plus des textes contraignants s’ajoutent des avis et des recommandations non contraignants. L’UE (conseil,
commission, Parlement) travaille en permanence à l’amélioration de la lutte anticorruption. Entre 2010 et aout
2022, 625 textes sont parus. Ils couvrent la corruption et l’ensemble des activités liées : autres atteintes à la probité,
blanchiment, etc.
229
aux entreprises ayant un effectif d’au moins 500 personnes et un chiffre d’affaires de plus de
100 millions d’euros (Assemblée Nationale 2016, art. 17).
La combinaison de la loi française et des principes C2 recouvre – et en partie excède –
l’ensemble des obligations qui s’imposent aux organisations en Europe
207
. Charles Duchaine,
directeur de l’AFA :
« […] pour prendre une image à la mode, si on est vacciné en France on est
immunisé partout. » (Global anticorruption summit 2022, Charles Duchaine, 0’39"
– 0’45")
Catégories
Principes C2
Loi Sapin 2 (article 17)
(1) Publicité de la
lutte
1. A divulguer publiquement et à faire
connaître largement son adhésion aux principes
C2.
Sans équivalent
6. Faire un rapport annuel sur la politique de
l'entreprise en matière de pots-de-vin et de
corruption, ainsi qu'une description de
l'expérience de l'entreprise dans la mise en
œuvre et l'application de cette politique.
11. Déclarer publiquement toute sollicitation
de paiement, ou déclarer en privé à une
organisation de contrôle ou à un auditeur social.
(2) Formation et
discipline interne
2. Établir une politique écrite très claire
interdisant à tout employé de l'entreprise de
payer ou de recevoir des pots-de-vin ou des
‘dessous-de-table’.
1° Un code de conduite définissant
et illustrant les différents types de
comportements à proscrire comme
étant susceptibles de caractériser
des faits de corruption ou de trafic
d'influence. Ce code de conduite
est intégré au règlement intérieur
de l'entreprise et fait l'objet, à ce
titre, de la procédure de
consultation des représentants du
207
Le recensement des mesures anticorruption déployables par une organisation a considéré tous les pays de
l’OCDE. Il a inclus les obligations et les recommandations faites aux entreprises. Les entreprises sont les
organisations les plus règlementées. Pour les autres formes d’organisations (associations), le recensement n’a été
que partiel.
230
Catégories
Principes C2
Loi Sapin 2 (article 17)
personnel prévue à l'article L.
1321-4 du code du travail
3. Mettre en œuvre la politique avec la
diligence requise et prendre les mesures
disciplinaires appropriées à l'encontre de tout
employé dont on découvre qu'il a effectué des
paiements en violation de la politique.
7° Un régime disciplinaire
permettant de sanctionner les
salariés de la société en cas de
violation du code de conduite de la
société ;
4. Fournir une formation aux employés pour
qu'ils appliquent la politique, et fournir un
soutien continu, tel que des lignes d'assistance,
pour aider les employés à agir en conformité
avec la politique de l'entreprise.
6° Un dispositif de formation
destiné aux cadres et aux
personnels les plus exposés aux
risques de corruption et de trafic
d'influence ;
(3) Mesures et
contrôles
5. Enregistrer toutes les transactions de manière
complète et juste, conformément à des
procédures d'enregistrement et des contrôles
comptables clairement définis, et procéder à
des audits internes pour s'assurer qu'aucun
paiement inapproprié n'est effectué.
5° Des procédures de contrôles
comptables, internes ou externes,
destinées à s'assurer que les livres,
registres et comptes ne sont pas
utilisés pour masquer des faits de
corruption ou de trafic d'influence.
Ces contrôles peuvent être réalisés
soit par les services de contrôle
comptable et financier propres à la
société, soit en ayant recours à un
auditeur externe à l'occasion de
l'accomplissement des audits de
certification de comptes prévus à
l'article L. 823-9 du code de
commerce ;
8° Un dispositif de contrôle et
d'évaluation interne des mesures
mises en œuvre ;
7. Faire vérifier le rapport annuel du principe
six soit par un auditeur financier indépendant,
soit par un auditeur social indépendant, soit par
les deux.
8. Demander à tous les agents de l'entreprise
d'affirmer qu'ils n'ont pas effectué et
n'effectueront pas de paiements irréguliers dans
le cadre d'une entreprise ou d'un contrat auquel
l'entreprise est partie.
10. Mettre en place un système de contrôle et
d'audit pour détecter tout paiement irrégulier
effectué par les employés et les agents de
l'entreprise.
9. Exiger de tous les fournisseurs de l'entreprise
qu'ils affirment qu'ils n'ont pas effectué et
n'effectueront pas de paiements irréguliers dans
le cadre d'une entreprise ou d'un contrat auquel
l'entreprise est partie
4° Des procédures d'évaluation de
la situation des clients, fournisseurs
de premier rang et intermédiaires
au regard de la cartographie des
risques ;
(4) Procédure
d’alerte
12. Établir un système permettant à tout
employé ou agent de l'entreprise de signaler
2° Un dispositif d'alerte interne
destiné à permettre le recueil des
signalements émanant d'employés
231
Catégories
Principes C2
Loi Sapin 2 (article 17)
tout paiement irrégulier sans crainte de
représailles pour leurs révélations. »
et relatifs à l'existence de conduites
ou de situations contraires au code
de conduite de la société ;
(5) Cartographie
des risques
Sans équivalent
3° Une cartographie des risques
prenant la forme d'une
documentation régulièrement
actualisée et destinée à identifier,
analyser et hiérarchiser les risques
d'exposition de la société à des
sollicitations externes aux fins de
corruption, en fonction notamment
des secteurs d'activités et des zones
géographiques dans lesquels la
société exerce son activité ;
Tableau 25 Comparaison principes C2 et loi Sapin 2
(1) Publicité des actions anticorruption
Si la publicité sur les actions anticorruption ne fait pas partie des obligations créées par la loi
Sapin 2, beaucoup d’organisations les publient, que ce soit en rappelant leur engagement
éthique dans leurs communications (page web, etc.) ou dans la partie non financière du rapport
annuel. Plus rarement, la corruption peut faire partie des risques et opportunités du rapport
annuel. Mais la simple mention d’un risque, sans que des mesures correctives n’aient déjà été
mises en place, serait l’aveu que ce risque n’est pas maitrisé.
Sans qu’il soit possible de vérifier l’efficacité de la publicité sur la lutte anticorruption, rien
n’indique que cela soit contreproductif. Au contraire, l’AFA insiste sur l’importance de
l’engagement de la direction. Un effet pédagogique, interne et externe à l’organisation peut être
espéré.
« L’insistance sur l’engagement de l’instance dirigeante, qui n’est pourtant pas
explicitement prévue par la loi Sapin 2, s’explique par le fait que celle-ci reste trop
souvent ‘imperceptible’, alors même que, comme l’agence [l’AFA] l’indiquait dans
la réponse transmise au questionnaire de vos Rapporteurs, ‘les contrôles initiaux
[...] révèlent que l’engagement de l’instance dirigeante peut être, dans le même
secteur d’activité, le principal facteur éclairant les différences de maturité des
dispositifs’. » (Assemblée Nationale 2021, p. 47), déjà cité p. 134.
232
(2) Formation et discipline interne et (3) Mesures et contrôles
Ces deux groupes ont été rassemblés car ils présentent plusieurs caractéristiques communes.
Elles font parties d’une bonne gouvernance : permettre une prise de décision informée grâce à
une transparence interne adaptée. Ils sont nécessaires au fonctionnement normal d’une
entreprise et doivent être capables de détecter l’ensemble des atteintes à la probité. Ce sont aussi
des actions anciennes qui peuvent être analysées à la lumière d’études de cas.
L’industrie pharmaceutique est particulièrement exposée à la corruption : marchés et chaînes
de valeur globalisées, procédures de validation propres à chaque marché, etc. Mais ce sont aussi
des entreprises qui doivent, plus que d’autres, démontrer l’exactitude de leurs pratiques et
l’excellence de leurs prestations. Un article de David-Barrett et al. (2017) fait le bilan des
actions formelles prises par ces entreprises et de l’absence d’un effet mesurable.
« Notre énigme est la suivante : de nombreuses grandes entreprises
pharmaceutiques ont adopté des normes et des engagements élevés pour empêcher
les pots-de-vin et la corruption de se produire dans leurs organisations. Pourtant,
des violations des lois anticorruption continuent d'apparaître fréquemment dans ce
secteur, souvent liées à l'offre de cadeaux et d'hospitalité. » (David-Barrett et al.
2017, p.2).
A la suite des affaires Enron, Worldcom, Tyco International et Adelphia communication, alors
que ces entreprises respectaient formellement l’ensemble de leurs obligations légales, avaient
des codes de conduites et communiquaient sur leur engagement éthique, les États-Unis ont
adopté en 2002 la loi Sarbanes-Oxley qui renforce les obligations de transparence, d’intégrité
et de responsabilité. Certaines entreprises vont au-delà de la loi et ajoutent des obligations
internes (éthique, formation, reporting, etc.). Une première analyse en 2003 sous le titre « Les
bons, les mauvais et leurs codes d'éthique d'entreprise : Enron, Sarbanes-Oxley et les
problèmes liés à l'adoption d'une loi sur les bons comportements. » tire une conclusion
pessimiste sur l’efficacité des obligations faites aux entreprises et des renforcements internes.
« La nouvelle approche agressive des codes d'entreprise est une réponse naturelle
aux récents scandales qui se sont produits malgré l'existence de codes, mais il est
certainement dangereux de penser que l'augmentation du nombre de
réglementations dissuadera tous les actes répréhensibles. […] La tentative de
Sarbanes-Oxley d'améliorer la transparence des codes d'entreprise en exigeant une
divulgation accrue est un bon exemple d'un effort législatif dont l'esprit peut
s'évaporer par la conformité. Les cadres qui ont abusé des codes (ou qui n'ont pas
réussi à superviser correctement ceux qui ont abusé des codes) avant la loi
233
Sarbanes-Oxley ne seront probablement pas dissuadés aujourd'hui, car les codes
peuvent être réécrits de manière astucieuse. » (Harvard law review 2003, p. 2141).
Quelques années plus tard les résultats sont conformes à cette analyse. Aucune baisse de la
corruption ne peut être établie. La compliance et l’éthique ce sont transformées en un
formalisme où l’accumulation des moyens sert de démonstration d’efficacité. Le seul objectif
est de se prémunir d’éventuelles accusations de négligence
208
. Nul n’est dupe (Solas, 2016,
2019; Treviño, 2010; Treviño & Brown, 2004; Verschoor, 2002) et cette erreur d’approche
s’étend à l’ensemble de la criminalité en col blanc. Dans un court article-bilan, Mary Jo White,
ancienne présidente de la U.S. Securities and Exchange Commission (organisme états-unien
chargé du contrôle des marchés financiers) dit :
« La plus grande erreur que commettent les entreprises qui tentent de prévenir les
délits ou les fautes est de renforcer la conformité en y consacrant simplement plus
de ressources. Elles pensent que chaque dollar supplémentaire a le même effet
incrémentiel. C'est faux. En particulier lorsque vous avez affaire à des violations
potentielles de la loi sur les pratiques de corruption à l'étranger (qui vise les pots-
de-vin) ou de la loi sur le secret bancaire (qui se concentre sur le blanchiment
d'argent), vous devez être chirurgical et intelligent pour savoir où se trouvent les
plus grands risques. » (White 2019, p. 59).
(4) Procédure d’alerte
Deux types d’alerte doivent être considérées : (1) les alertes qui passent par une procédure
internes ou un prestataire extérieur. (2) Les alertes qui se font en dehors de l’organisation
(justice, forces de l’ordre, presse).
Les secondes constituent un échec de l’organisation et sortent du cadre de cette thèse :
L’organisation n’a pas été capable de capturer l’information. Les causes sont nombreuses. Mais
les craintes pour le lanceur d’alerte de ne pas être entendu, d’être réduit au silence ou d’être
208
L’argument que ces actions sont utiles car si elles étaient supprimées, la corruption serait favorisée, est
spécieux : formation, discipline interne, mesures et contrôles font partie d’une bonne gouvernance, sans lien avec
la corruption. En ne posant pas la question de l’économie des moyens, le seul résultat est de créer une bulle de
dépenses incontrôlées.
234
sanctionné sont réelles
209
. Il ne s’agit plus de prévenir ou d’anticiper, mais de traiter une crise.
Que les faits de corruption se soient réalisés ou qu’ils aient été évités grâce à l’alerte,
l’organisation ne maitrise plus la suite des évènements.
Pour les alertes détectées en interne, elles se retrouvent dans la « loi commune » de la détection
d’un signal. L’alerte seule n’est pas un outil de lutte contre la corruption. Elle est la première
étape d’un processus comme décrit dans le développement sur la TA. Il ne s’agit plus
d’anticipation. Cela peut encore faire partie de la prévention : le risque corruptif est
suffisamment concret pour qu’il soit considéré comme une alerte.
(5) Cartographie des risques
L’obligation d’une cartographie du risque corruptif est une particularité de la loi française. Elle
est sans équivalent en Europe (ni dans aucun pays de l’OCDE). L’innovation ici est d’en faire
une obligation, car la cartographie des risques – non limitée à la corruption - est un outil
ancien
210
.
La prise en compte des risques n’est pas non plus une nouveauté. L’annonce des risques et des
opportunités fait partie du rapport annuel. La cartographie des risques, permet une analyse
structurée de l’exposition (sévérité = coût unitaire du risque x probabilité d’occurrence, voir p.
87). En abscisse figure la probabilité d’occurrence, en ordonnée l’impact du risque (sa gravité).
La liste des risques et le calcul de leurs sévérités demande un engagement de l’organisation
sous l’impulsion de sa direction. La compréhension de l’environnement inclut, comme le
précisent les principes C2 et la loi Sapin 2, les clients et les fournisseurs, mais aussi des sujets
comme le recrutement, les relations entre les différents branches de l’entreprise, etc.
209
La protection des lanceurs d’alerte a fait l’objet d’une directive de l’UE (Parlement européen & Conseil de
l’Europe, 2019). La nécessité de protéger la confidentialité, et l’abus des procédures baillons ne sont pas résolus.
La retranscription en droit français (Assemblée Nationale, 2022) a permis d’éviter une tentative
d’instrumentalisation par des mouvements militants (et associations de façade), en limitant partiellement les
lanceurs d’alerte à des personnes physiques. Un dispositif permet de lutter contre les procédures baillons.
Toutefois, des décisions de justice contradictoires (notamment dans l’affaire Luxleaks) et les faiblesses de la
directive européenne entraineront des retards dans les retranscriptions dans le droits de certains États. De nouveaux
textes européens (notamment contre les procédures baillons) sont probables.
210
La cartographie des risques dans sa forme actuelle se généralise à partir des années 1980. Une évaluation des
risques en considérant les deux variables d’impact et de prévalence remonte à 3200 avant J.C (Covello &
Mumpower, 1985). Cette méthode trouve de nombreuses applications (par exemple en conception industrielle,
l’analyse des modes de défaillance, de leurs effets et de leur criticité : AMDEC).
235
« Il ne suffit pas d’avoir un dispositif anticorruption efficace, encore faut-il le
mettre en œuvre effectivement. Et j’allais dire : chaque chef d’entreprise doit le
comprendre et ‘aide toi le ciel t’aidera’ » (Global anticorruption summit 2022,
Charles Duchaine, 0' 47"-1'03").
Après une première évaluation, une limite du « risque acceptable » est définie (voir Figure 9,
lignes 1 et 2). La ligne 2 considère qu’un niveau de prévalence ou de risque étant dépassé,
l’autre variable ne doit plus être considérée. La liste des risques, l’estimation de la sévérité et
les limites 1 ou 2 du « risque acceptable » sont du ressort de l’organisation. Les difficultés de
modélisation de la corruption et de mesure de la corruption entrainent une évaluation au mieux
des capacités de l’organisation.
La loi Sapin 2 ne va pas au-delà. Elle demande des mises à jour régulières et qu’en cas
d’évaluation par l’AFA la qualité de la cartographie des risques soit vérifiée. Mais aucun plan
de mitigation des risques n’est exigé.
Pour les praticiens, la cartographie des risques ne se comprend que comme la première étape
d’un processus itératif « évaluation-mitigation » qui débute avant l’exposition au risque et la
prise de décision.
Figure 9 Cartographie des risques, évaluation, mitigation, réévaluation
La pratique impose aussi de déterminer une limite acceptable. Par exemple, en considérant le
risque 3 de la Figure 9, son impact faible et sa prévalence élevée le positionnent au-dessus de
la limite. Le plan de mitigation permet de réduire son impact. Mais sa prévalence est presque
Prévalence
Impact (gravité)
1
2Risque
1
Risque
3
Risque
2
Prévalence
Impact (gravité)
1
2Risque
1
Risque
3
Risque
2
Evaluation des risques Exécution du plan de
mitigation des risques Réévaluation des
risques
Risque
2’
Risque
1’
Risque
3’
236
inchangée (risque 3’). Dans le cas d’une entreprise ayant de nombreux fournisseurs et qui utilise
un intermédiaire pour ses achats en Asie. Si cet intermédiaire impose aux fournisseurs des pots-
de-vin peu élevés (0,5 à 1%). Quelle est la limite acceptable de dégradation de la marge ? Dans
quelle mesure ces pots-de-vin limitent l’attractivité de l’entreprise pour les meilleurs
fournisseurs ? Ces « petits pots-de-vin », ne risquent-t-ils pas de se transformer en un risque
réputationnel majeur ?
3.3 Autres actions déployables par l’entreprise
L’avancée importante qu’est la cartographie des risques imposé par la loi Sapin 2 ne suffit pas
à prévenir ou à anticiper la corruption. Le dernier rapport d’activité de l’AFA (Agence française
anticorruption, 2021) indique que sur les 34 contrôles effectués en 2021 seules 2 organisations
(l’AFA parle d’acteurs économiques) n’avaient pas de cartographie des risques. Mais :
« 85 % des contrôles ont révélé un manquement relatif à la qualité de la
cartographie des risques, notamment en raison des lacunes observées dans
l’identification des risques ;
67 % des contrôles ont révélé un manquement relatif à la non-conformité du
processus d’identification des cadres et des personnels les plus exposés ou au
contenu des formations anticorruption ;
91 % des contrôles ont révélé un manquement relatif à la qualité du dispositif
d’évaluation des tiers ;
100 % des contrôles ont conduit à un constat de manquement sur la mesure relative
aux contrôles comptables anticorruption ;
92 % des contrôles ont conduit à un constat de manquement sur la mesure relative
au contrôle et à l’évaluation du dispositif anticorruption. » (AFA 2021a, p. 20).
La loi Sapin 2 date de 2016, il est donc compréhensible que les cartographies des risques aient
été réalisées après le début de l’exposition aux risques et donc qu’une partie des autres
obligations de la loi Sapin 2 soient difficiles à mettre en œuvre. Ce que révèlent les 85% des
cartographies n’ayant pas identifié correctement les risques est un désintérêt pour le sujet, une
absence d’éducation au risque ou une corruption acceptée. L’échantillon est trop faible pour
être représentatif. Mais le rapport de l’AFA illustre trois éléments identifiés dans la première
partie :
237
- L’importance des processus cognitifs (TA), l’équilibre entre la capacité d’adaptation et
l’efficacité des routines cognitives. Sans expertise de la corruption, l’organisation aura plus
de mal à s’adapter.
- La complexité de l’environnement (TC) qui impose de faire un tri entre l’essentiel et
l’accessoire au risque de se tromper. Quel est le niveau minimum d’information nécessaire
à la prise de décision ?
- La difficulté à intégrer des informations qui ne sont pas le cœur de métier de l’organisation :
la corruption comme un contingence (TC), le traitement d’un signal non valorisé ou ne
présentant pas de menace imminente (Ansoff, 1975).
La cartographie des risques est un préalable aux autres obligations de la loi Sapin 2. La tentation
est grande de mettre en place des moyens standards (notamment en ce qui concerne la
formation, les mesures et les contrôles : voir Tableau 25, p. 231). Beaucoup font partie de la
bonne gouvernance d’une organisation.
L’erreur est ici de considérer la corruption comme quelque chose de statique. Ce que la triade
sombre (TS voir p. 162) nous apprend, notamment dans le cas du psychopathe d’entreprise
(PE), est que ces individus utilisent l’organisation à leur profit. L’ensemble des processus leur
sont connus. Ils savent en jouer. C’est également ce que montre les études de cas (voir chapitre
précédent) : les organisations citées respectaient l’ensemble des exigences de gouvernance.
Elles avaient subi des audits internes et externes avec succès, leurs comptes étaient certifiés
chaque année
211
.
Tout ce qui procède d’une défense statique contre la corruption, peut certes être classé dans les
actions préventives ou anticipatrices, mais est prévisible et donc contournable. C’est le cas pour
tout ce qui ressort des procédures comptables et des audits. Deux entretiens lors de l’étude
qualitative de la partie suivante ont relevé que le seul effet du renforcement des procédures est
d’augmenter la sophistication des transactions entre corrupteur et corrompu.
Mettre en place des moyens d’anticipation et de prévention de la corruption, tient au
développement de capacités cognitives spécialisées pour les personnes exposées et pour la
211
Les « Panama papers » sont révélateurs de l’adaptabilité de la corruption. Par exemple, plusieurs dirigeants de
la kleptocratie du Cambodge y figurent. Cela signifie qu’en trente ans, la corruption est passée dans ce pays des
paiements en liquide aux formes les plus sophistiquées de blanchiment et de dissimulation.
238
chaîne de décision. En reprenant le modèle de la TA (voir Figure 6, p. 140), il s’agit de la
structure de l’attention, de l’environnement de la décision et des questions et réponses.
Cette approche est développée dans le rapport Martre (1994) qui rassemble sous l’expression
d’intelligence économique (IE) une méthodologie de collecte du renseignement, d’analyse et
d’aide à la prise de décision de l’entreprise
212
.
Vingt-huit ans plus tard, les progrès accomplis depuis le rapport Martre sont contrastés. Une
recherche exhaustive des formations et des moyens accessibles aux entreprises européennes
213
montre une forte domination de la culture états-unienne. Elle se traduit sous deux formes (non
spécifique à la lutte anticorruption) :
- La « business intelligence » (BI) et la « competitive intelligence » (CI) – les deux
intraduisibles – considèrent quelques éléments d’IE, mais leur objet commun est le
développement de l’activité de l’entreprise. Si elles ne négligent pas a priori ce qui pourrait
être hostile à l’organisation, elles ont évolué vers des stratégies agressives de développement
« à tout prix ». BI et CI sont enseignées dans de nombreuses universités en Europe.
- Des entreprises de conseil et de formation, qui proposent des solutions, parfois très élaborées
de cartographie de l’environnement : conditions du marché (dont risque, lois et
règlementations), analyse des procédures de prise de décisions des clients et fournisseurs,
identification et évaluation des interlocuteurs, plan de mitigation. Il s’agit là encore
d’approches BI + CI.
214
La France ne constitue pas un cas particulier. Le rapport Martre signalait « une circulation
élitiste de l’intelligence économique » : un dialogue exclusif entre « grands corps de l’État » et
grandes entreprises, renforcé par le centralisme parisien. En termes plus brutaux, la plupart des
212
Henri Martre préside le groupe de travail « Intelligence économique et stratégie des entreprises » pour le
commissariat au plan. Leur rapport de 1994, dit rapport Martre, étudie la protection et la diffusion de l’information
dans une perspective historique (modèles britanniques et suédois). Puis en comparant les forces et faiblesses des
entreprises françaises (et les articulations avec l’État) par rapport aux pays qui en 1994 dominent l’économie
mondiale (Japon, États-Unis, Allemagne). Deux de ses recommandations sont de diffuser de la pratique de
l’intelligence économique dans l’entreprise et, de mobiliser le monde de l’éducation et de la formation.
213
Ne sont pas considérées ici les entreprises de souveraineté qui bénéficient des moyens de l’État.
214
Le programme « Strategic Selling » de Miller Heiman (intégré dans Korn Ferry depuis 2020) conserve une
position dominante depuis presque vingt ans.
239
entreprises françaises, hors les entreprises de souveraineté et quelques fleurons, n’avaient pas
accès à une information économique privilégiée. Ces entreprises du « désert français » ne
pouvaient compter que sur elles-mêmes (Martre 1994, p. 55). Depuis le rapport Martre, le
changement le plus visible a été le développement de masters spécialisés en IE. D’autres
formations, qui ne s’adressent pas strictement au secteur privé, portent cette culture (Bulinge &
Moinet, 2013). C’est le cas par exemple de l’institut des hautes études de défense nationale.
La perméabilité entre le secteur public et privé aux États-Unis permet à des spécialistes du
renseignement de conduire des doubles ou des triples carrières (agence d’État – entreprise
privée – université). En entreprise, ils jouent un rôle important dans l’analyse et le traitement
des menaces internes ou externes ainsi que dans la diffusion d’une culture de l’IE. Certains
contacts en Corée du sud, aux États-Unis et au Canada correspondent à ces profils. D’autres
contacts laissent à penser que la vision trop partielle des BI + CI est comblée de la même façon
en Europe. En espérant que cela permette l’évolution culturelle appelée par le rapport Martre.
240
4 Conclusion de la deuxième partie
La fin du chapitre précédent, ne fait pas, à dessein, une liste d’outils qui seraient des martingales
pour contrer la corruption.
Toute évolution de l’environnement crée un effet d’aubaine et demande une évolution de
l’organisation. Cela s’applique à la corruption comme aux autres formes de criminalité
financière.
La crise de 2008 a entrainé le renforcement du contrôle des banques, une baisse de l’accès légal
au crédit et le développement du « shadow banking ». Les lois, réglementations et codes de
conduite sont contournés. Leur renforcement entraine une convergence entre d’une part les
corrompus et les corrupteurs et d’autre part avec les organisations criminelles. Tous partagent
les mêmes besoins en matière de blanchiment et de dissimulation (Gayraud, 2012; Maillard &
Grézaud, 1998).
Quelle est l’ampleur de la corruption ? Cette deuxième partie n’est pas parvenue à y répondre.
Le chiffre de 2600 milliards de dollars (ONU, 2018) permet de comprendre que le phénomène
est important. Il faut espérer qu’il s’agisse du bon ordre de grandeur. Dans une intervention en
2012 devant la commission spéciale du Parlement européen sur « la criminalité organisée, la
corruption et le blanchiment de capitaux » Jean-François Gayraud parle d’un échec de la lutte
anticorruption. Il fait trois remarques.
« […1 :] les marchés financiers dérégulés de manière aveugle sont des proies
faciles pour les appétits criminels.
[…2 :] la lutte contre le blanchiment de l’argent du crime organisé et de la
corruption est un échec complet. Il faut ici souligner le rôle pernicieux joué par les
paradis fiscaux et bancaires (très présents en Europe) et par la banalisation des
instruments juridico financiers destinés à rendre anonyme l’origine des flux
financiers (trusts, fiduciaires, etc.).
[…3 :] certains acteurs des marchés financiers et bancaires sont aussi parfois des
prédateurs. Les méga escroqueries sur les marchés initiés par des « criminels en
cols blancs » se multiplient. » (Gayraud, 2012) accentuations de l’auteur.
Depuis 2012, rien n’indique une baisse de la corruption. Le projet européen Anticorrp (2017)
conclut que la limite de la complexité et du renforcement des textes a été dépassée sans
241
amélioration mesurable. Jean de Maillard, parle de menaces devenues interconnectées et
systémiques.
« Les signataires de l’Appel de Genève199 découvraient ou révélaient l’apparition
de quelque chose encore très largement seulement en filigrane, les effets de l’entrée
dans ce nouveau monde, dont on ne connaissait encore que les premiers
symptômes. […] L’un des aspects les plus importants a été l’interconnexion des
menaces entre elles, le caractère systémique qu’elles ont revêtu et leurs liens avec
le développement de la mondialisation elle-même. » (Maillard 2021, p. 2-3).
Pour les organisations l’environnement est donc, à des degrés divers, hostile et corruptif. Il s’y
ajoute que la faiblesse de la répression et la nécessité de protéger des entreprises pourtant
coupables de corruption, annule toute dissuasion (voir p. 113).
Les martingales anticorruption évoquées dans le chapeau, n’existent pas. Sans la volonté des
décideurs de l’organisation de refuser la corruption rien ne peut se faire. Mais la volonté ne
suffit pas, anticiper et prévenir la corruption est une tâche complexe à la mesure de la
complexité de la corruption.
C’est ce que décrit la première partie de cette thèse : l’équilibre de l’éthique entre actions,
conséquences et finalités ; la superposition entre les définitions de la corruption où il n’est pas
possible d’évacuer la corruption de la cité ; la multi-dimensionnalité de la corruption impossible
à simplifier à quelques variables ; la chaîne de décision, qui est un processus cognitif
dimensionné par sa capacité à capter l’information et à conserver une ouverture métacognitive
à l’inattendu (Weick & Sutcliffe, 2007). Autrement dit, pour anticiper et prévenir, aucune
règlementation et aucun processus statique ne peut être efficace.
Pour identifier des solutions prévention et d’anticipation de la corruption, les approches
quantitatives souffrent de l’absence ou de la faiblesse des données disponibles. Mais cette
difficulté met en lumière la puissance des sciences économiques en tant qu’héritières de la
philosophie morale.
Le choix d’une épistémologie constructiviste et pragmatique fait alors sens : accéder à des
données qualitatives issues de la réflexion de praticiens de la corruption (décideurs à la direction
des organisations ou experts conseils). Puis de l’abduction passer à la déduction en examinant,
avec l’apport d’analystes (universitaires, magistrats, police), si les solutions proposées peuvent
être consolidées en une réalité objective. Un paradigme de la corruption, sans doute partiel, à
l’image des modélisations partielles de la TA et de la TC.
242
Troisième partie :
étude qualitative par interview
243
L’objectif de cette étude est d’interroger des personnes qui ont développé une expertise terrain
de la corruption, qu’ils y aient été confrontés ou qu’ils exercent une activité de conseil auprès
d’entreprises exposées.
Quels effets anticipatifs ou préventifs peuvent identifier les personnes
interviewées parmi les actions anticorruption existantes (internes ou
externes à leur organisation) ? Quelles autres solutions proposent-ils ?
L’étude a été décidée au début de 2020. Elle fait suite à la mise en évidence d’un écart entre :
- la revue de la littérature qui couvre l’ensemble des aspects de la corruption, depuis la
philosophie morale, jusqu’aux théories économiques développées dans la première partie,
et
- un discours sur la corruption où les entreprises qui, si elles sont de plus en plus présentes, ne
vont jamais à l’au-delà de l’interdit juridique.
Cet écart s’exprimait aussi comme celui entre un discours toujours plus véhément, par les
entreprises, les citoyens et leurs élus, et la pauvreté de ce discours limité au consensus de
l’interdit absolu et au « dans tel pays, tout le monde paye, on n’a pas le choix ». Pourtant, pour
les entreprises et leurs décideurs, qu’ils soient initiateurs ou qu’ils subissent la corruption,
devant un phénomène si présent dans la sphère publique une analyse et des pratiques plus
élaborées étaient espérées.
Une troisième expression de cet écart, découverte progressivement grâce à la veille des
publications journalistiques et académiques sur la corruption à partir de 2017, a montré que
seules les personnes « sorties de l’entreprise » : lanceurs d’alerte, anciens industriels devenus
enseignants, etc. présentaient une vision complexe – et en ce sens « académiquement
significative » – de la corruption du point de vue de l’entreprise
215
. Que pouvait-on apprendre
des personnes toujours en fonction dans des organisations exposées ?
A la suite d’un bilan des contacts professionnels développés pendant une trentaine d’années.
Un premier panel de 250 personnes a conduit à l’élimination de 80 dont la participation active
215
L’ exemple déjà cité de Desmond Shum, époux d’une proche de la famille de l’ancien premier ministre chinois
Wen Jiabao, qui décrit après avoir fui le fonctionnement de la corruption institutionalisée de la Chine communiste
(Shum, 2022) ou celui de Frédéric Pierucci, pris dans un chantage entre la direction d’Alstom, coupable de
corruption, son concurrent Général Electric et les autorités états-uniennes et françaises (Pierucci, 2020).
244
à la corruption (corrompu ou corrupteur) était probable. Puis par itérations successives, et avant
toute prise de contact, un panel de départ de 53 personnes a été établi selon les critères :
- Susceptible d’accepter une interview.
- Ayant a priori une connaissance confirmée de la corruption, quel que soit leur rôle :
corrompu, corrupteur, intermédiaire, témoin, conseil, etc.
Il s’agissait de couvrir le plus large champ possible pour rassembler un état de la connaissance
non académique de la corruption. Les personnes qui répondaient à ces critères ont été classées
en deux groupes :
- Groupe 2 (décisionnels d’entreprise)
- Groupe 3 (experts conseil anticorruption)
A été ajouté le groupe 1 constitué de personnes sans expérience terrain de la corruption, mais
analystes de la corruption : universitaires, avocats, magistrats, forces de l’ordre. Ce groupe 1
devant permettre d’identifier des écarts entre le terrain et une analyse a posteriori de la
corruption : déduction puis induction et lien avec l’approche abductive attendue des groupes 2
et 3.
Cette troisième partie est composée de quatre chapitres.
- Méthode et description du panel final
- Analyse factorielle des correspondances (AFC), méthode de Reinert, logiciel Iramuteq
codage automatique (cooccurrence et distance du chi2)
- Analyse qualitative des données (AQD), logiciel Nvivo, codage manuel sur la base d’une
carte heuristique.
- Analyse des hypothèses concurrentes (ACH) et Linchpins.
ACH et Linchpins sont une première synthèse issue de l’AFC et l’AQD.
245
1 Méthode et description du panel final
L’appel à l’expertise des interviewés a imposé le choix d’entretiens semi-directifs. Ils
permettent de laisser les personnes s’exprimer tout en guidant la conversation vers les différents
thèmes à traiter. La saturation sémantique a été atteinte après environ 45 entretiens. Les contacts
déjà engagés ont été menés à leur terme pour atteindre 52 interviews exploitables.
1.1 Conduite des entretiens
Les interviews ont été réalisées entre le 21 septembre 2020 et le 3 mars 2021. Elles ont été
précédées de deux interviews-tests pour s’assurer de la méthode. Après la première prise de
contact et un accord informel, le processus des entretiens a été le suivant :
- Envoi d’une présentation de l’étude et des conditions d’entretien (voir Annexe 1 -
Présentation de l’étude aux interviewés, p. 357).
- Accord formel par écrit en précisant que l’interviewé peut se rétracter et demander la
suppression de l’ensemble des informations y compris après interview.
- Entretien d’environ une heure (constaté : minimum 45 minutes, maximum 1h 45 minutes),
en utilisant une trame non communiquée à l’interviewé (voir Annexe 2 - Trame d’entretien,
p. 359)
- Questionnaire qualité après interview (voir Annexe 5 – Contrôle qualité après interview, p.
362) en réitérant la possibilité pour la personne interrogée de faire supprimer toutes les
données.
1.2 Interviews collectées et variables de classement
Les interviews collectées et l’efficacité des prises de contact sont détaillées dans deux annexes :
- Annexe 3 - Tableau des interviews réalisées, p. 360.
- Annexe 4 – Efficacité des prises de contact, p. 361.
246
Variable
Modalité
Définition
Effectif
Groupe
G1
Analystes : personnes ayant connaissance des faits de
corruption après qu’ils sont survenus : universitaires, polices,
magistrats, administrations publiques anti-corruption…
15
G2
Décideurs : personnes exposées à la corruption dans leurs
fonctions : cadres décisionnels des achats, ventes, chef de
projet et des investissements, directions…
31
G3
Conseils : expert conseils anti-corruption.
6
Niveau
hiérarchique
C
PDG : président directeur général ou équivalent.
19
C-1
Directeur exécutif : rapporte directement à un président
directeur général, direction exécutive ou équivalent.
14
C-2
Directeur opérationnel : rapporte directement à un directeur
exécutif, direction opérationnelle ou équivalent.
4
Autre
Seulement pour la modalité G1 : le niveau hiérarchique n’est
pas lié à une prise de décision en lien avec la corruption.
15
Chercheur
Oui
Conduit exclusivement ou en complément d’une autre activité
des recherches académiques en lien avec les SHS.
15
Non
37
Opérationnel
terrain
Oui
Personnes qui ont dû prendre au moins une fois la décision
d’accepter ou non la corruption (OUI).
43
Non
9
Sexe
Femme
9
Homme
43
Zone
géographique
d’expertise
19 pays
Pays de meilleure compétence professionnelle (dont le
fonctionnement local de la corruption).
19 pays
Expertise
géographique
Asie
Regroupement par continent de la variable « zone
géographique d’expertise ». L’expertise a été considérée
comme globale si elle couvrait plus d’un continent. Pour les
Amériques l’ensemble des personnes interrogées avait une
expertise globale. Pas de personne interrogée en Océanie.
10
Afrique
10
Europe
7
Amérique
0
Océanie
0
Globale
25
Tableau 26 Interviews - variables, modalités et effectifs
247
Figure 10 Répartition des interviews par les variables « groupe » et « niveau hiérarchique »
Seules les modalités G2 (décideurs) et G3 (conseils) sont réparties par niveaux hiérarchiques.
Figure 11 Répartition des interviews par les variables « groupe » et « expertise géographique »
Autre C
C-1
C-2
0
5
10
15
G
1
G
2
G
3
G1
G2
G3
Répartition des interviews par groupe et niveau hiérarchique
Globale
Europe Asie
Afrique
0
5
10
G
1
G
2
G
3
G1
G2
G3
Répartition des interviews par groupe et expertise
géographique
248
1.3 Condition d’anonymat
Pour assurer l’anonymat, aucun enregistrement n’a été réalisé. Seule une prise de note papier
retranscrite au format texte a été conservée.
Chaque interview est identifiée par un code de trois lettres aléatoires (codage non parlant). Les
paires code - identités figurent dans un fichier unique chiffré, non communiqué, non accessible
sur Internet, le cloud ou aucun serveur.
Les interviews ne font apparaître ni les identités, ni les fonctions des personnes ou de leurs
organisations. N’ont été conservés que les noms de cas connus de corruption (personnes ou
organisations) s’ils étaient cités comme illustrations et à la condition qu’aucun lien avec la
personne interrogée n’existe.
Les interviewés ont été prévenus par écrit et par avance de ces conditions. Ce point a été
reprécisé oralement au début de chaque entretien. Puis une nouvelle confirmation par écrit a été
demandée après interview (voir Annexe 5 – Contrôle qualité après interview, p. 362).
249
2 Analyse factorielle des correspondances
Ce premier outil d’analyse automatisé des interviews a comme objectif d’identifier des
éléments du discours sans que la subjectivité de l’auteur intervienne dans le codage. Les
résultats sont des analyses statistiques de proximité (ou cooccurrences) entre des éléments du
discours.
L’interprétation des résultats se fait par comparaison entre les variables définies plus haut et par
rapprochement avec la revue de la littérature de la première partie.
2.1 Méthode Alceste et logiciel Iramuteq
Si le terme d’analyse factorielle des correspondances (AFC) est celui retenu, il couvre un
ensemble d’outils d’analyse du discours dite méthode Alceste
216
développée par Max Reinert
(1983, 2008). Le logiciel libre Iramuteq
217
, développé sous la direction de Pierre Ratinaud sera
utilisé. Il reproduit la méthode Alceste en y ajoutant des modules de représentation graphique
des résultats (Ratinaud, 2009; Ratinaud & Déjean, 2009).
L’objectif est d’identifier par calcul les mots importants (indicateurs polysémiques) en fonction
de leur importance (indicateurs de contexte) caractérisée par leur proximité dans le texte. Pour
y parvenir, les mots sont réduits à leur lemmes
218
. Trois outils d’analyses seront utilisés :
- L’analyse factorielle des correspondances (AFC) : cet outil permet une représentation
graphique qui reproduit les liaisons entre l’ensemble des lemmes et les modalités d’une
variable.
- La classification hiérarchique descendante de Reinert (CHD) : cet outil consiste à construire
une arborescence en regroupant les lemmes afin qu’il y ait le moins de classes possibles et
216
Alceste : Analyse des Lexèmes Co-occurrents dans les Énoncés Simples d'un Texte.
217
Iramuteq (version 0.7 alpha 2, 2020) : Interface de R pour les analyses multidimensionnelles de textes et de
questionnaires. Version de R : 4.1.2 (2021).
218
Lemme : unité sémantique de base présente dans toutes les formes fléchissables. Le lemme d’un verbe est sa
forme à l’infinitif. Les substantifs sont réduits au masculin singulier. D’autres lemmes conservent leur forme
complexe « Comment allez-vous ? » est une unité sémantique de base. La base sémantique serait perdue si cette
phrase était lemmifiée en « comment », « aller » et « vous ». Pour cette étude les termes « lexème », « unité
lexicale » et « morphème lexical » sont considérés comme des synonymes de « lemme ».
250
que la proximité entre les lemmes d’une classe soit maximale. Il est alors possible de créer
des AFC en utilisant ces classes comme les modalités d’une variable.
- L’analyse de similitude : rassemble des lemmes en nuages de mots en fonction de leur
cooccurrence dans un segment de texte.
La méthode Alceste est critiquée quant à l’interprétation des résultats. Comment un traitement
automatisé, qui ne tient pas compte du sens des mots, peut-il faire sens ? Reinert (2008) montre
que la mesure de proximité est déterminante. Il constate que le vocabulaire a tendance à se
distribuer dans des mondes lexicaux stabilisés. Une mesure de proximité entre deux lemmes par
simple cooccurrence (présence de deux lemmes dans le même segment de texte) peut ainsi
conduire à la proximité entre deux textes qui traitent de sujets différents. Elle s’explique par un
processus maitre, commun à toute activité discursive.
« car il a bien fallu admettre l’existence d’un mode de fabrication de la différence
relativement indépendant des domaines de connaissance dont relevaient ces
corpus ! […] l’activité discursive, comme toute activité humaine (donc sémiotique),
s’introduit à travers un certain ordre. » (Reinert 2008, p. 984).
Toutefois, si les textes traitent du même sujet, un monde lexical stabilisé est attendu : les
personnes traitant des mêmes sujets partagent des champs lexicaux proches. La méthode
Alceste permet alors, au sein de ce monde lexical commun, de faire apparaître les lemmes de
plus forte inertie – ou central au discours. Par opposition, les lemmes les plus éloignés
indiquent, pour un même sujet, qu’ils ne sont pas associés.
Reinert met ici en lumière une limite de la méthode Alceste. Elle ne fait sens que pour un
ensemble de textes qui traitent d’un même sujet. Il faut aussi tenir compte de l’effet des lemmes
de plus fortes occurrences – pour cette étude « corruption » et « entreprise » – lorsque l’analyse
utilise considère les cooccurrences. Ce sera le cas pour les analyses de similitudes à suivre. En
excluant ces deux lemmes les autres cooccurrences apparaissent.
Les interviews sont retranscrites au format texte (.txt) et suivent un traitement en trois étapes :
(1) Les interviews (appelées textes) sont formatées de façon identique, dans la même langue
(ici le français) et regroupées dans un fichier unique appelé corpus. Les variables et
modalités sont ajoutées en entête de chaque texte.
251
(2) Le corpus est lemmatisé
219
. Les lemmes sont classés entre formes actives (verbes, noms,
adjectifs, adverbes) et formes supplémentaires (pronoms, conjonctions, certains adverbes et
verbes fréquents).
(3) Les textes sont découpés automatiquement en segments de texte (ST) : paragraphe ou
ensemble de phrases de deux à trois lignes. Iramuteq cherche le meilleur ratio entre taille et
ponctuation. L’objectif est d’obtenir des ST de tailles homogènes en respectant la structure
du langage
220
.
Après analyse, deux corpus ont été considérés : l’ensemble des 52 textes et les 31 textes des
interviews du G2 (décideurs).
Ensemble des 52 textes
Sous-ensemble des 31
textes du G2 (décideurs)
Nombre de textes
52
31
Nombre d’occurrences221
40496
24971
Nombre de lemmes
3656
2731
Formes actives
3309
2434
Nombre d’hapax222
1692
1284
Moyenne d’occurrences par texte
779
805
Tableau 27 Description des deux corpus analysés
Les analyses conduites sur d’autres sous-ensembles (les autres modalités des différentes
variables) n’ont pas donné de résultat probant. Le critère de rejet est la superposition des nuages
de lemmes qui exprime que ces modalités ne forment pas des champs sémantiques cohérents et
distincts des autres modalités de la même variable.
219
Dictionnaire de lemmatisation : Lexique 2004 version 3.83 (New, Pallier, Ferrand, & Matos, 2001).
220
L’optimisation de la taille des ST joue un rôle important dans le calcul des inerties. Un effet négatif, mais
inévitable peut être observé. Un lemme peu prévalent mais réparti sur l’ensemble du texte a une inertie plus forte
d’autant plus que l’interviewé maitrise un vocabulaire riche (où de nombreux autres lemmes n’apparaissent que
dans un ST). L’alternative est de ne pas découper les textes en ST, ce qui augmente les lemmes de très fortes
occurrences (ici « corruption » et « entreprise ») en faisant disparaître des lemmes importants mais présents
seulement dans une partie du texte.
221
Nombre d’occurrences : somme des lemmes multipliés par l’occurrence de chacun.
222
Hapax : lemme n’apparaissant qu’une seule fois dans le corpus.
252
Figure 12 Log des occurrences (formes actives et supplémentaires) pour les deux corpus
2.2 Analyse des données
Deux passes successives vont considérer premièrement l’ensemble des 52 interviews, puis le
corpus des 31 interviews du G2 (décideurs). L’analyse des résultats sera présentée au fur et à
mesure en précisant les paramètres choisis. Seules les résultats significatifs sont présentés.
2.2.1 Corpus total, 52 textes
L’objet de cette analyse est de comparer l’ensemble des textes en observant les lemmes de plus
forte inertie et l’apport des modalités des différentes variables.
2.2.1.1 Classification hiérarchique descendante (CHD)
Deux analyses sont menées. La première est une CHD. Elle classe 829 segments de texte (ST)
sur un total de 1088 (76,19%). L’analyse factorielle des correspondances (AFC) qui suit utilise
les classes de la CHD comme modalités
223
.
223
Le nombre de dimensions (ou facteurs) de l’AFC est égal au nombre de modalités moins un. Dans le cas présent,
la CHD crée 4 classes. L’AFC projette les lemmes selon trois facteurs d’inertie maximale (distance au chi2)
orthogonaux entre eux.
Corpus total (52 textes) Corpus groupe 2 (31 textes)
253
Figure 13 Corpus total, CHD
- Les classes 2, 3 et 4 sont regroupées séparément de la classe 1. La classe 1 ne représente que
28% des occurrences hiérarchisées (contre 72,1% pour la somme des classes 2, 3 et 4). Les
personnes interviewées évoquent peu le champ sémantique « organisations sociales, locales
et culturelles » dans leurs discours. Ces personnes l’évoquent séparément des structures et
pratiques internes et externes à leur organisations.
- Au niveau hiérarchique suivant, les classes 2 et 3 sont séparées de la classe 4. Cette
hiérarchisation montre le lien entre individus actions personnelles et au sein de l’organisation
par opposition avec les structures formelles internes et externes.
- Le lemme « corruption » (non représenté) occupe le 116ème rang de la classe 1. Il est absent
des autres classes. Le lemme « entreprise » est absent de la classe 1. Il n’est qu’au rang 13
de la classe 4 (classe 2 rang 109, classe 3 rang 108). La répartition homogène des deux
lemmes les plus fréquents, explique ces absences. Ces lemmes sont trop présents pour être
liés à une seule partie du discours.
- Le lemme « corrupteur » est au 9ème rang de la classe 4. Ceci est à rapprocher des
contributions des G1 (analystes) et des G3 (conseils) et de l’antiprofils des G2 (décideurs) à
Institutions formelles et
droit
28,4 %
Organisations sociales,
locales et culturelles
28%
Pratiques, actions
15,7 %
Intérêts personnels et
relations
28 %
Economie, institutions
et pratiques
Pratiques et motivations
personnelles
254
la classe 4 (voir Tableau 28). On retrouve ici le rôle donné au corrupteur dans la littérature
juridique et sur les institutions formelles et l’éloignement relatif des G2 de ce discours.
Figure 14 Corpus total, CHD, AFC facteurs 1 et 2.
Cette AFC (Figure 14) reprend les codes couleurs des quatre classe de la CHD de la Figure 13
selon les deux facteurs d’inerties maximales 1 (axe horizontal) et 2 (axe vertical) :
- La proximité entre les classes 2 et 3 de la CHD se retrouve dans l’AFC : les champs sont
superposés.
- L’AFC montre que la classe 4 n’est proche des classes 2 et 3 que selon le facteur 1 (axe
horizontal) : le formalisme de l’organisation et de ses pratiques. Sur l’axe vertical les classes
2 et 3 sont séparées de la classe 4. Cette dernière regroupant le champ sémantique de la loi et
la lutte anticorruption.
- La classe 1 est séparée (dans l’AFC et la CHD) avec peu d’inertie selon le facteur 2 (axe
vertical - institutions formelles et informelles), un resserrement autour de la partie gauche
du facteur 1 : forte inertie du champ sémantique sur les notions de culture, de pays et des
populations.
Le Tableau 28 montre que les modalités de la variable groupe contribuent fortement à certaines
des classes.
- Les analystes (G1) avec la classe 4 : le champ de la loi et du formalisme anticorruption.
Alors que les décideurs (G2) sont les plus éloignés (antiprofils).
Somme des facteurs 1 + 2 : 73,13%
Facteur 1 : 39,81 % (représenté)
Facteur 2 : 33,32 % (représenté)
Facteur 3 : 26,86 % (non représenté)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
AFC sans variable imposée
Formalisme / appel à
la norme
Organisation sociale, locale
et culturelle Organisation formelle
Organisation informelle
et pratiques
255
- Pour les classes 2 et 3 la contribution des décideurs (G2) est maximale : l’intégration à un
environnement économique.
- Plus étonnant pour la classe 1, l’opposition entre les analystes (G1) qui y contribuent
fortement d’une part et les conseils (G3) qui sont les plus éloignés de cette classe 1 d’autre
part.
Classe 3
Classe 2
Classe 4
Classe 1
Interprétation
des classes
Intérêts personnels et
relations
Pratiques, actions
Institutions
formelles et droit
Organisation de la
société
G1 (analystes)
33,77%
32,67%
G2 (décideurs)
30,3%
18,75%
G3 (conseils)
47,62%
Antiprofils224
G1 -7,5%
G2 -34,54%
G3 -12,05%
Tableau 28 Corpus total, CHD apports et antiprofils des modalités de la variable Groupe pour chaque classe.
Le Tableau 28 montre que les modalités de la variable groupe contribuent fortement à certaines
des classes.
- Les analystes (G1) avec la classe 4 : le champ de la loi et du formalisme anticorruption.
Alors que les décideurs (G2) sont les plus éloignés (antiprofils).
- Pour les classes 2 et 3 la contribution des décideurs (G2) est maximale : l’intégration à un
environnement économique.
- Plus étonnant pour la classe 1, l’opposition entre les analystes (G1) qui y contribuent
fortement d’une part et les conseils (G3) qui sont les plus éloignés de cette classe 1 d’autre
part.
224
Antiprofils (chi2 négatif pour la classe considérée) : l’analyse des antiprofils mesure la non-association, ici entre
une classe et une modalité.
256
Figure 15 Corpus total, CHD, AFC facteurs 1 et 3.
Cette seconde AFC (Figure 15) reprend les mêmes paramètres que la précédente. Elle conserve
le facteur 1 en axe horizontal, mais utilise le facteur 3 en axe vertical.
- Les classes 2 et 3 sont séparées contrairement à la CFD précédente : une séparation entre la
dynamique de la prise de décision (classe 2 et haut de l’axe vertical (facteur 3) et la structure
de l’entreprise et de ses membres (classe 3 et bas de l’axe vertical).
2.2.1.2 AFC – variable groupe
Une nouvelle série d’AFC en faisant permuter les variables (voir liste des variables et des
modalités : Tableau 26, p. 246), montre qu’à une exception, les nuages de lemmes se
superposent. Ces variables ne sont pas discriminantes.
L’exception est la variable groupe dont les 3 modalités (G1 analystes, G2 décideurs et G3
conseils) forment 3 nuages de lemmes distincts. Ce résultat avait déjà été aperçu dans la CHD
(voir Tableau 28) où ces trois modalités se répartissaient séparément entre les 4 classes de la
CHD.
Somme des facteurs 1 + 3 : 66,68 %
Facteur 1 : 39,81 % (représenté)
Facteur 2 : 33,32 % (non représenté)
Facteur 3 : 26,86 % (représenté)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
AFC sans variable imposée
Structure de
l’organisation
(statique)
Organisation sociale, locale
et culturelle
Prise de décision (dont
dynamique de la
corruption)
Organisation formelle
257
Figure 16 Corpus total, AFC, variable Groupe
Lecture de l’AFC :
- L’inertie selon les deux axes sont proches (52,67% et 47,33%).
- Les trois modalités ne se recouvrent pas. Les champs sémantiques sont distincts.
- Sur l’axe horizontal G1 (analystes) et G3 (conseils) se superposent. Ils ont une approche
analytique commune.
- Le champ sémantique de la G3 est concentré sur les risques encourus par leurs
clients (risque, FCPA, pression) et une analyse orientée éthique et compliance.
- La modalité G1 utilise un vocabulaire normatif et classant : une modélisation de la
corruption et l’appel à la norme (réseau, droit, criminalité, organiser, participer, etc.)
- La G2 (décideurs) s’oppose sur l’axe horizontal aux G1 et G3 par une approche non-
analytique, dans le concret (problème, offrir, construire). Sur l’axe vertical le G2 a une
position centrée sur l’axe vertical alors que les G1 et G3 sont distribués chacun sur un demi-
axe vertical.
- La G2 est faiblement plus proche de la G3 : peut-être le marqueur de la proximité
professionnelle entre les conseils et leur clients.
AFC, variable imposée Groupe
(3 modalités donc somme des
facteurs = 100%)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
Les modalités sont repositionnées
proportionnellement
Approche
analytique
Approche terrain,
pratique
Vision risque,
prévention
Vision formelle,
normante
G2
G3
G1
258
2.2.1.3 Analyse de similitude
Figure 17 Corpus total - analyse de similitude
L’analyse de similitude considère la cooccurrence des lemmes dans un même ST. L’image de
gauche montre que les lemmes de plus fortes occurrences « corruption » et « entreprise » ont
aussi les plus cooccurrents. Ils regroupent en deux blocs séparés l’ensemble des autres
lemmes
225
.
Plus parlante est l’image de droite. En excluant les deux lemmes de plus fortes occurrences,
l’analyse de similitude fait apparaître les cooccurrences sous-jacentes. Trois halos s’organisent
autour des lemmes « travailler », « problème » et « payer »
226
. 4 halos (nuances de vert et jaune)
reprennent un champ sémantique « stratégie de l’entreprise, prise de décision et relations
clients-fournisseurs-intermédiaires ». Les autres halos extérieurs rassemblent des particularités
de l’environnement de l’entreprise.
A noter qu’aucune des modalités d’aucune des variables ne se concentre dans un des halo. Cette
absence est un indicateur du monde sémantique stabilisé de Reinert (2008) : quelle que soit la
variable considérée, les effectifs des lemmes sont distribués dans l’ensemble du corpus.
225
Pour rendre ces images lisibles, les lemmes d’occurrences inférieures à 9 (image de droite) et à 5 (image de
gauche) ont été supprimés. Les halos colorés représentent des ensembles de lemmes cooccurrents à un lemme
principal.
226
La taille du texte est proportionnelle à l’effectif (occurrence du lemme sur somme des occurrences).
Corpus total –suppression des cooccurrences non liées aux
halos principaux
Corpus total –suppression des deux lemmes de plus fortes occurrences «corruption » et
«entreprise » –suppression des cooccurrences non liées aux halos principaux
259
2.2.2 Sous-ensemble G2 (décideurs), 31 textes
Le G2 (décideurs) regroupe les 31 interviews des personnes confrontées à la décision d’accepter
ou de refuser la corruption. Que nous apprend ce sous-ensemble de textes et sa comparaison
avec l’analyse précédente ?
2.2.2.1 Classification hiérarchique descendante (CHD) – G2
Deux analyses sont menées : une CHD qui classe 433 segments de texte (ST) sur un total de
670 (64,63 %). La faiblesse relative de la proportion de ST classés limite la signification de
l’analyse. L’analyse factorielle des correspondances (AFC) qui suit utilise les classes de la CHD
comme modalités.
Figure 18 Corpus G2 (décideurs), CHD
- Le premier niveau hiérarchique distingue l’entreprise (classes 1 et 4) de son environnement
(classes 2,3 et 5). On retrouve la dichotomie entre ce qui est du ressort de l’organisation (y
compris ses interfaces et ses moyens d’action) et ce qui est hors de son champ d’action. La
hiérarchie « entreprise » ne représente que 31,7 % par comparaison au 68,3 % de la
hiérarchie « environnement ». Le discours du G2 est plus orienté vers l’extérieur de
l’organisation.
Corruption, lutte
anti-
24.2 %
Population,
société18 % Aspects locaux et
culturels 26,1 %
Interne ent.
16,2 %
Externe ent.
15,5 %
EntrepriseEnvironnement
Interactions
société - corruption
260
- Dans la hiérarchie « entreprise » la distinction entre les classes 1 et 4 est difficile. Ce sont
celles de plus faibles effectifs (15,5% et 16,2%). Les AFC plus bas seront plus parlantes.
- Dans la hiérarchie « environnement », au niveau suivant, on retrouve, comme pour la CHD
précédente (voir Figure 13) un champ sémantique « aspects locaux et culturels ». Cette
classe 5 est la plus importante (26,1 % du corpus classifié). Mais elle est hiérarchiquement
plus basse que dans la CHD précédente. Cette différence conforte la dichotomie du point
précédent et fait une distinction entre les discours des G1 (analystes) et G3 (conseils) d’une
part et du G2 d’autre part.
- Pour l’ensemble des cinq classes, les verbes sont hiérarchisés plus haut que dans la CHD
précédente. Le champ sémantique du G2 semble plus dirigé vers l’action. Ce point conforte
le ressenti lors des interviews.
L’AFD qui suit est représentée en deux graphiques qui montrent les quatre dimensions (ou
facteurs) conséquences de la CHD en cinq classes223. Les quatre facteurs ont des inerties
proches.
Figure 19 Corpus G2 (décideurs), CHD, AFC facteurs 1 et 2.
Facteurs 1 et 2 (somme des facteurs 57,16%) :
- Les classes 2, 3 et 5 de la hiérarchie « environnement » sont regroupées selon l’axe
horizontal (facteur 1). La dichotomie avec la hiérarchie « entreprise » apparait comme dans
Somme des facteurs 1 + 2 : 57,16 %
Facteur 1 : 31,05 % (représenté)
Facteur 2 : 26,11 % (représenté)
Facteur 3 : 22,47 % (non représenté)
Facteur 4 : 20,35 % (non représenté)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
AFC sans variable imposée (classes de la CHD)
Intérêts individuels Aspects internes
entreprise Aspects externes entreprise
Intérêts sociétaux
261
la CHD. Au contraire les classes 1 et 4 sont quasi-centrées sur l’axe vertical (facteur 2
intérêts individuels ou sociétaux.).
- Le classe 1 « externe entreprise » est centrée sur l’axe horizontal. Ce positionnement fait
sens entre classe 2 « interne entreprise » et la hiérarchie « environnement ».
Figure 20 Corpus G2 (décideurs), CHD, AFC facteurs 3 et 4.
Facteurs 3 et 4 (somme des facteurs 48,83 %) :
- La somme de ces deux inerties selon ces deux facteurs indique qu’ils sont moins
discriminants. En conséquence les cinq classes se recouvrent partiellement. Il est aussi plus
difficile de nommer les axes.
- La classe 5 est centrée. Elle n’est attirée ni selon l’axe horizontal (facteur 3), ni vertical
(facteur 4). Elle regroupe des aspects locaux et culturels (voir Figure 18). Pour les personnes
interviewés, ces lemmes ne sont que peu utilisés en conjonction avec l’environnement de la
corruption, ou les relations internes et externes à l’entreprise.
- Les classes 2 et 3, qui sont superposées dans les projections selon les facteurs 1 et 2 (voir
Figure 19), sont dans cette nouvelle AFC aux deux extrémités de l’axe horizontal (facteur
3). Bien que la CHD (voir Figure 18) les hiérarchise ensemble, le facteur 3 distingue deux
champs sémantiques : environnement corruptif par opposition à environnement
anticorruption.
Somme des facteurs 3 + 4 : 42,83 %
Facteur 1 : 31,05 % (non représenté)
Facteur 2 : 26,11 % (non représenté)
Facteur 3 : 22,47 % (représenté)
Facteur 4 : 20,35 % (représenté)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
AFC sans variable imposée (classes de la CHD)
Relations externes
de l’entreprise
Environnement
corruptif
Environnement
anticorruption
Relations internes à
l’entreprise
262
- Le facteur 4 (axe vertical) est celui discrimine le plus les classes 1 et 4 (contrairement aux
facteurs 2 et 3, partiellement au facteur 1). Il est difficile de nommer cet axe qui semble
distribuer ces deux classes selon des formes différentes de relations internes ou externes.
Pour terminer cette lecture de la CHD et de l’AFC par classes, le tableau des apports et des
antiprofils ne montre pas de modalité contribuant de façon significative à aucune des classes :
chi2 faible, chi2 négatif faible, ou valeur p > 5%
227
.
2.2.2.2 AFC corpus G2 (décideurs) – variable niveau hiérarchique
Figure 21 Corpus G2 (décideurs), AFC variable niveau hiérarchique
Cette AFC montre que les trois niveaux hiérarchiques présents dans le groupe G2 utilisent des
champs sémantiques distincts.
Il faut toutefois relativiser ce résultat. Un des critères de sélection des personnes du G2 a été
leur expérience réelle du rejet ou de l’acceptation de la corruption.
Toutefois, la plupart des personnes de la modalité C ont des responsabilités globales. Si elles
sont impliquées dans une problématique de corruption locale (dans une des filiales de leur
groupe) leur quotidien, et par conséquent leur champ sémantique, est global. Elles portent
directement l’obligation de résultat et sont responsables vis-à-vis de tiers majeurs : autorités,
actionnaires…
227
Iramuteq fixe une limite de significativité du chi2 à une probabilité d’erreur « valeur p » < 5%.
Somme des facteurs 1 + 2 : 100 %
Facteur 1 : 52,86 % (représenté)
Facteur 2 : 47,14 % (représenté)
Taille du texte proportionnelle au Chi2
AFC G2, variable niveau hiérarchique,
3 modalités : C (rouge) , C-1 (vert) , C-2 (bleu)
Les modalités sont repositionnées
proportionnellement
C
C-2
C-1
Orientation
interne Vision
entreprise
vision concrète,
terrain
Orientation
extérieure
263
De la même façon, la modalité C-2 surreprésente les responsables de petites filiales excentrées
de grands groupes internationaux. Cela explique leur autonomie de décision
228
. Si ces filiales
prennent de l’importance, l’implication de la direction générale augmente avec les enjeux.
La modalité C-1, pose une difficulté comparable. Leurs fonctions les placent au contact
permanent de la modalité C. L’AFC montre que les problématiques qu’ils traitent sont les
mêmes que celle de leur supérieur (facteur 1, axe horizontal) mais ils sont orientés vers l’interne
de l’organisation (facteur 2, axe vertical).
L’isolation du champ sémantique de la modalité C est remarquable. Les lemmes « corruption »,
« anticorruption », « pot-de-vin », « pouvoir », « institution » et « entreprise » y sont fortement
associés (inertie maximale). Ces mêmes lemmes montrent des antiprofils maximaux (chi2
négatifs) avec les deux autres modalités (C-1 et C-2). Tout en restant prudent en raison du
nombre limité d’interviews, ce résultat fait douter de l’autonomie de décision en matière de
corruption pour ces niveaux hiérarchiques subordonnés.
2.2.2.3 AFC corpus G2 (décideurs) – variable expertise géographique
Figure 22 Corpus G2 (décideurs), AFC variable expertise géographique
228
A niveau hiérarchique égal, les responsables des filiales proches de la direction générale de l’entreprise ont une
autonomie de décision plus réduite. Elles ne correspondent plus au critère d’autonomie de la décision sur la
corruption retenu pour cette étude. Seules quatre interviews correspondent à la modalité C-2.
Facteur 1 : 34,81 %, facteur 2 : 34,12 %, facteur 3 : 31,0 7 %. Taille du texte proportionnelle au Chi2, AFC variable expertise géographique
Somme des facteurs 1 + 2 : 68,93 % Somme des facteurs 1 + 3 : 65,88 %
Non-Afrique
Non-francophone
Internationalisation
Europe non-Europe
Europe
Asie
Globale
Afrique
Afrique
Asie
Globale
Europe
Europe non-Europe
Afrique et/ou
francophone
Asiatique / non
international
264
Cette AFC par expertise géographique présente les quatre modalités distinctement. Toutefois
la lecture des lemmes de plus fortes inerties montre que l’explication est, elle aussi,
géographique. Autrement dit, ce qui distingue les modalités Afrique, Asie et Europe sont des
particularités africaines, asiatiques et européennes, non liées au sujet de cette étude.
La modalité « globale » souffre elle d’un biais lors de la sélection des personnes interrogées.
L’expertise a été considérée comme globale si elle couvrait plus d’un continent. Pour les
Amériques l’ensemble des personnes interrogées avait une expertise globale, c’est le cas de la
plupart des personnes d’origine asiatique. Seuls les Africains et les Européens ont, pour la
plupart, une expertise limitée à leur continent.
Une difficulté apparue lors des interviews a été le manque de précision de cette variable. Ces
quatre modalités regroupent des personnes interrogées expertes de 19 pays. En considérant
qu’une expertise de la corruption en France ou au Japon pouvait être regroupé sous les
modalités « Europe » et « Asie », la perte de précision et donc de sens est trop importante.
2.2.2.4 Analyses de similitude G2 comparé à G1+G3
Figure 23 Comparaison des corpus G2 (décideurs) avec G1+G3 (analystes et conseils) - analyse de similitude
La comparaison entre l’analyse de similitude du G2 (décideurs) et celle conduite sur l’ensemble
des 52 interviews (voir Figure 17), montre des résultats semblables : principalement la
cooccurrence des lemmes « corruption » et « entreprise ».
La comparaison entre d’une part les modalités G1 (analystes) + G3 (conseils) et la G2
(décideurs), si les lemmes de plus fortes occurrences « corruption » et « entreprise » sont
Corpus G1 + G3 –suppression des deux lemmes de plus fortes occurrences «corruption » et
«entreprise » –suppression des cooccurrences non liées aux halos principaux
Corpus G2 –suppression des deux lemmes de plus fortes occurrences «corruption » et
«entreprise » –suppression des cooccurrences non liées aux halos principaux
265
exclus, permet d’isoler une autre différence entre ces deux populations. Les cooccurrences
principales du G2 s’organisent autour du lemme « problème » : « payer », « client », « État »,
« pays ».
Pour l’ensemble G1+G3, le lemme principal est « risque ». Certains des lemmes qui lui sont
directement liés sont identiques au G2 : « payer », « État ». Mais un ensemble de lemmes (halo
jaune) est spécifique au sous-ensemble G1+G3
229
: le champ sémantique de la loi. Plus
intéressant est l’absence de cooccurrence pour le groupe G2 entre les lemmes
« anticorruption », « pot-de-vin » ou « offrir » et le champ sémantique du droit.
L’interprétation peut être celle d’une sous-considération de la loi par le G2. En reformulant,
cela peut être aussi le manque d’importance de la loi pour ces personnes pourtant confrontées
la corruption : elle ne fait ni partie du problème, ni des actions en lien avec la corruption.
2.3 AFC – conclusion partielle
L’AFC est un outil de mesure de distance entre des champs sémantiques. Elle permet de
comparer ce qui est inclut de ce qui ne l’est pas. Cette conclusion partielle a comme objet de
faire ressortir certains aspects des AFC, sans éliminer ce qui n’est pas redit ci-dessous.
- Au sein des organisations, les intérêts individuels sont proches mais distincts des intérêts du
groupe. La corruption est perçue comme extérieure à l’organisation.
- Les analystes (G1) et les conseils (G3) anticorruption placent le risque avant la résolution de
problème. La différence de vision avec les décideurs (G2) est profonde et affecte toute la
perception de la corruption : rapport à la loi, qualification criminelle, etc.
- Les organisations placent la résolution de problème avant la notion de risque. Les risques
formels (exposition à la loi, criminalité) sont secondaires. Ces organisations se voient
comme incluse dans un ensemble client-fournisseur-intermédiaire (la chaîne de valeur
comme un paradigme).
- L’environnement culturel et les institutions informelles sont extérieurs à l’organisation. Sans
être ignorés, ces aspects sont d’importance moindre par rapport à la chaîne de valeur. Les
229
Les cooccurrences qui traitent de « cabinet » et secondairement de « criminalité », « organiser » ne sont pas
considérées. Les ST où elles se trouvent décrivent le marché des conseils anticorruption (G3) et celui des avocats
et magistrats (une partie du G1). Ce sont des artefacts hors sujet pour cette étude.
266
organisations décrivent ce qui est extérieur de façon transactionnelle et dynamique et non
comme un état figé.
- Les dirigeants s’approprient plus que leurs subordonnés l’acceptation ou le refus de la
corruption. Ceci reste valable y compris lorsque ces subordonnés disent avoir un pouvoir de
décision autonome.
Deux limites de ces AFC sont apparues :
- Le manque de précision de la variable « expertise géographique » qui ne permet pas
l’analyse. Cette difficulté est relative pour les industries du B2B globalisés. Mais la
littérature et le reste des AFC maintiennent l’importance des contextes locaux, non limités
aux cultures.
- Les variables définies au début de cette étude ne se sont pas toujours révélées pertinentes.
C’est le cas des variables « chercheur », « opérationnel terrain » et « sexe ». Les modalités
de ces variables n’apparaissent dans aucune des analyses (faiblesse du chi2, cooccurrences
trop uniformément réparties ou absentes).
267
3 Analyse qualitative des données (AQD)
Les logiciels d’aide à l’analyse de données qualitatives (LAADQ), appliquée à des données
textuelles, se distinguent par leurs degrés d’automatisation du codage. Iramuteq et la méthode
de Reinert utilisés au chapitre précédent, codent automatiquement en s’appuyant sur deux
caractéristiques de la langue : (1) la possibilité de réduire un texte a un ensemble de lemmes218,
(2) la proximité entre deux lemmes (cooccurrence ou distance du chi2), au sein d’une même
phrase ou d’un même paragraphe, indique qu’ils contribuent à un même message, ultimement
à un même monde lexical (voir p. 250).
La limite est qu’un texte réduit à une juxtaposition de signifiants, par ailleurs lemmifiés, perd
une partie de son sens. Par exemple pour cette étude, les mots « corruption » et
« anticorruption » sont sensibles à la négation de l’argument : « lutte contre la corruption » et
« lutte anticorruption » peuvent avoir le même sens. Mais ils peuvent aussi indiquer le point de
vue de la personne interrogée ou son degré de conceptualisation de ce qu’est la corruption.
Le risque d’un codage manuel est celui de la subjectivité du codeur. S’y ajoute la subjectivité
des personnes interrogées : par la nature délictueuse de la corruption et de ses implications
éthiques.
Certains LAADQ proposent un traitement semi-automatique des textes en les croisant avec un
thésaurus documentaire
230
. L’analyse lexicométrique dépend alors de la qualité de cette
catégorisation sémantique (Lebraty, Lobre-Lebraty, & Trébucq, 2018; Roy & Garon, 2013).
Malheureusement pour cette étude un thésaurus documentaire « corruption-entreprise »
n’existe pas. Les exemples de tels thésaurus montrent qu’ils sont d’autant plus précis qu’ils
accumulent sur un temps long l’ensemble des données disponibles (publication académiques,
journalistiques et données terrain) sur des sujets toujours plus étroits.
La solution retenue a été celle d’un traitement manuel des textes à l’aide du logiciel Nvivo
231
en extrayant de la revue de la littérature le thésaurus documentaire dont la carte heuristique p.
269 est une représentation.
230
Thésaurus documentaire : liste organisée de concepts et de signifiés standardisées, organisé par thèmes et
groupes de mots. Il permet la détection de concepts et de signifiés indépendamment de la qualité d’expression (y
compris le langage naturel) ou de la langue.
231
Nvivo, version 1.7.1, octobre 2022.
268
La méthode de codage reprend les concepts identifiés lors de la revue de littérature en
conservant les rattachements conceptuels : théorie de la contingence (TC), théorie de l’attention
(TA) et éthique. S’y ajoute un bloc « réglementaire et juridique » à distinguer en raison de
position particulière prise par le droit positif par opposition avec la philosophie morale et
l’économie. Un dernier bloc « autre » rassemble trois ensembles de concepts retrouvés à la fois
dans la littérature et lors des interviews : us et coutumes, amoralité et philosophie naturelle.
Un passage de texte qui confirme ou infirme un concept recevra le même code. Par exemple le
code « la corruption est une distorsion de concurrence » sera attribué aux segments des
interviews qui vont en ce sens ou s’y opposent, sans considération sur la subjectivité de la
personne interrogée. La distinction et la contextualisation seront faites lors de l’analyse de
l’ensemble des segments codés.
Une limite de la représentation par carte heuristique est que les extrémités des branches
recouvrent des concepts proches dans des expressions différentes. C’est par exemple le cas de
l’impératif kantien, du légisme, du panjurisme et de la simplification par la judiciarisation. Une
meilleure représentation prendrait la forme d’une sphère où les extrémités se rejoindraient. En
d’autres termes la carte heuristique ne représente pas les unités conceptuelles de la corruption
car elle place au centre une division en cinq branches (TA, TC, éthique, droit et autre). Le
codage résout en partie cette difficulté en permettant d’attribuer plusieurs codes à un même
passage.
Enfin la carte heuristique ne représente que les concepts significatifs pour cette étude. Le niveau
de détail varie de la même façon. Un passage de texte sera codé en fonction de son adéquation
avec chaque concept. S’il ne correspond pas avec précision à un concept mais appartient au
même ensemble, il sera codé au niveau supérieur. Si ce passage couvre plus que le concept en
question, il sera codé aux deux niveaux.
269
3.1 Carte heuristique
271
3.2 Synthèse du codage
Pour limiter la subjectivité de cette opération manuelle, le codage s’est effectué en trois passes
réparties sur 18 mois en 2021 et 2022
232
. L’évolution principale a été la conséquence d’une plus
grande précision dans la définition des codes (leurs intitulés). La version finale de ces codes
reprend la hiérarchie et les intitulés exacts de la carte heuristique (voir Tableau 29, p. 272).
- Nombre de codes uniques : 173
- Nombre de codages : 1688 (un même extrait peut se voir attribuer plusieurs codes)
3.3 Analyse
L’extraction et le classement manuel des concepts identifiés dans les interviews est la partie la
plus subjective de la méthodologie constructiviste : l’accumulation d’éléments de confirmation
ou d’infirmation. L’AQD part de concepts exposés par les interviewés (et non de textes
lemmifiés comme pour l’AFC). Ils sont le produit de raisonnements abductifs et déductifs. Les
« meilleurs » interviewés proposent des paradigmes de la corruption. Par une succession de
raisonnements inductifs, abductifs et déductifs, ils ont créé un tout cohérent.
C’est le cas des personnes du G3. Ces conseils anticorruption n’étudient pas la corruption. Ils
proposent à des organisations des solutions pratiques qui dépendent d’un paradigme corruptif
préétabli. C’est aussi le cas des personnes qui ont une connaissance globale de la corruption.
Leurs capacités à comparer les particularités géographiques mènent aussi à des paradigmes de
la corruption
233
.
En d’autres termes, l’objectif de cette thèse qui est d’identifier des solutions d’anticipation et
de prévention de la corruption, demande à ce stade de ne pas sauter une étape en reprenant les
propositions des interviewés sans les avoir confrontées à la revue de la littérature de la première
partie : une lecture critique de la fin du processus abduction – déduction – induction.
232
Les revues à comité de lecture peuvent exiger qu’un double codage, par l’auteur et par une tierce personne.
L’intérêt est certain. Toutefois la démarche ne correspond pas à l’exercice solitaire qu’est la rédaction d’une thèse.
233
Il est à noter que pour cette étude ces deux modalités (G3 et expertise globale) se superposent. Seul un des
interviewés du G3 a une expertise limitée à l’Asie.
272
Variables
Groupe
Niveau hiérarchique
Expertise géographique
Modalités
(nombre
d’interviews)
G1
(15)
G2
(31)
G3
(6)
Total
(52)
C
(19)
C-1
(14)
C-2
(4)
Autre
(15)
Total
(52)
Afrique
(10)
Asie
(10)
Europe
(7)
Globale
(25)
Total
(52)
Nombre de codes (% par colonne)
Éthique
universelle
anticorruption
82
173
47
302
130
76
14
82
302
57
47
29
169
302
20%
18%
14%
18%
17%
18%
17%
20%
18%
16%
15%
23%
19%
18%
Théorie de la
contingence
107
238
77
422
229
69
17
107
422
102
87
17
216
422
26%
25%
23%
25%
29%
17%
20%
26%
25%
29%
27%
14%
24%
25%
Théorie de
l’attention
148
370
124
642
246
211
37
148
642
137
127
64
314
642
36%
39%
37%
38%
31%
51%
45%
36%
38%
39%
39%
51%
35%
38%
Réglementaire
et juridique
51
85
75
211
124
28
8
51
211
33
38
10
130
211
12%
9%
22%
13%
16%
7%
10%
12%
13%
9%
12%
8%
15%
13%
Autre
21
75
15
111
55
28
7
21
111
26
23
5
57
111
5%
8%
4%
7%
7%
7%
8%
5%
7%
7%
7%
4%
6%
7%
Total
409
941
338
1688
784
412
83
409
1688
355
322
125
886
1688
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
100%
Tableau 29 Codage Nvivo répartition selon les variables et modalités
273
3.3.1 Classification hiérarchique des codages par groupe
Les trois figures suivantes représentent la part relative des codages pour les trois modalités de
la variable groupe. L’objectif est de comparer les concepts utilisés par les personnes du G2
(décideurs) avec ceux des G1 (analystes) et G3 (conseils).
Figure 24 Classification hiérarchique des codages – G1 Analystes
Figure 25 Classification hiérarchique des codages – G3 Conseils
Autre (hors philosophie morale)
Us et coutumes
Culture de la corruption Particularismes c...
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation de la cité Diffé...
Ethique individuelle
La c...
Ethique et téléologie
Casuistique
Conséquentialisme
Déontologie
Réglementaire et juridique
Droits
Con...Flexible droit
Lois anticorrupt...
Recommandations et dir...
Effet didactique ...
Efforts concertés, norm...
Inf...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrompu...Mauvaises circonstances et dilemmes éthiques 'Bad cases'
Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, concentration de...
Capacité de traiter ce...
Principe 2, l'attention située
Metacognition
Principe 3, distribution str...
Métac...Peur de déplair...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité
Enjeux et ressources
Hostilité
La corruption comme une institution infor... Stabilité
Autre (hors philo...
Us et coutumes
Culture de la ...
Le s...Parti...
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation ...
Différence on...Ethique individuelle
La corruption ...
Ethiq...
Cas...
Con...
Ethi...
Réglementaire et juridique
Droits
Conventions judiciair...
Flexible droit
Lois anticorruptions
Recommandati...
Effet didacti...
Efforts conce...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corr...
Mauvaises circonstances et dilemmes éthiques 'Bad ...
Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, concentration de l'attention
Capacité de traiter ...Métacognition
Principe 2, l'attentio...
Attribution de la co...
Metacognition
Principe 3, distri...
Métacognition d...
Peur de déplaire ...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité Enjeux et ressources
Hostilité
La corruption comme u... Stabilité
274
Autre (hors philosophie morale)
Us et coutumes
Culture de la corruption Particularismes...
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation de la ... Différence ...
Ethique individuelle
Ethique et téléologie
Casuistique Consé... Déo...
Réglementaire et juridiq...
Droits
Flexible droit
Lois anticorruptions
Recommandations et...
Efforts conce...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrompus 'Bad apples'
Mauvaises circonstan...Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, conc...
Capa...Métac...
Principe...
Metac...
Principe 3, distribution structu...
Métacognition de groupe
Peur de déplaire et de la con...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité Enjeux et ressources
Hostilité
La corruption comme une insti... Stabilité
Figure 26 Classification hiérarchique des codages – G2 Décideurs
275
Les codes sont regroupés selon les hiérarchies de la carte heuristique. La surface occupée par
chaque concept est proportionnelle au nombre d’extraits qui s’y réfèrent. Les éléments relevés
ci-dessous ne sont pas exhaustifs. Ils sont les plus symptomatiques des différences
conceptuelles entre G1, G2 et G3.
Les décideurs (G2) donnent plus d’importance à l’environnement (théorie de la contingence -
TC) et au fonctionnement interne de l’organisation (théorie de l’attention - TA). Ce groupe est
également celui qui donne le plus d’importance à la métacognition et la capaciter à traiter les
signaux faibles. L’adaptabilité de l’organisation se retrouve essentiellement dans les concepts
internes à l’organisation. On retrouve également la prédominance de l’attention structurelle (TA
principe 3, voir p. 150).
Les trois groupes sont remarquablement proches dans le poids donné aux concepts autour de la
théorie de la contingence. Il s’agit en premier lieu de l’existence d’un biotope criminel, externe
à l’organisation (sous-code de « complexité et diversité »). Toutefois les trois groupes diffèrent
sur ce qui est inclus dans ce biotope. Trois interviews du G1 proposent un paradigme de la
corruption particulièrement inclusif :
Interviewé : BGY, G1, niveau autre, expertise globale
Autour de ces chaînes d’approvisionnement on retrouve l’ensemble des atteintes au droit les plus essentiels
le financement des conflits, les droits de l’homme et les crimes économiques : financement du terrorisme,
corruption et blanchiment.
La question de l’initiateur de la corruption n’est pas la bonne approche. Il s’agit d’un écosystème corrompu.
Interviewé : BMN, G1, niveau autre, expertise globale
La criminalité organisée fonctionne autour d’un tripode : trois pieds qui se soutiennent l’un l’autre en
équilibre : les grands patrons du crime, les grands politiques, les grands policiers.
Interviewé : BVB, G1, niveau autre, expertise globale
Les intermédiaires, les cabinets de conseils, y compris parfois les cabinets spécialisés dans la lutte anti-
corruption font partis du problème. D’une part, par leur apport technique, ils donnent les moyens de
facilitation et de sophistication, de dissimulation de la corruption. D’autre part, ils en profitent. Par exemple
par l’organisation de séminaires de formation anti-corruption pour des fonctionnaires de pays pauvres et
dans des conditions luxueuses.
Ces intermédiaires peuvent être successivement ou simultanément corrompus, corrupteurs, ou
intermédiaires. Je pense au Émirats arabes unis ou à l’Arabie saoudite où on vous indique par quelle
personne il faut passer.
276
Alors que le G2, tout en conservant le concept de biotope, l’envisage comme un élément de
l’environnement de l’organisation.
Interviewé : FTC, G2, niveau C, expertise Afrique
Qui soutient : soutiens externes, experts tiers, États, institutions, ONG : Les pires scénarios sont l'État et
les institutions.
Interviewé : BOC, G2, niveau C, expertise globale
En Allemagne la situation est différente. Les Allemands chassent en meute et montent des opérations entre
industriels permettant des paiements croisés, des sur- et sous-facturations croisées etc…
La bonne méthode, celle pratiquée par les États-Unis est de créer des réseaux d’intermédiaires, un système
complexe qui indirectement abouti au bénéficiaire ultime.
Le G2 est celui qui évoque le moins l’effort concerté – sous-code des « recommandations et
directives ». Deux explications apparaissent. (1) Dichotomie entre l’interne et l’externe de
l’organisation pour ces décideurs (voir p. 259). L’externe fait un tout. Il est hostile et ne
comprend pas l’entreprise.
Interviewé : PEN, G2, niveau C-1, expertise globale
L’agence française anticorruption (AFA) a progressé depuis son premier questionnaire envoyé à des
entreprises et qui montrait alors qu’ils ne comprenaient rien. Depuis ils ont fait appel à des experts
extérieurs avec une expérience terrain. Maintenant ils savent où et quoi chercher.
(2) Ces recommandations et ces directives sont trop nombreuses et ne deviennent
contraignantes206 que lorsqu’elles sont retranscrites dans les droits locaux. Les rédacteurs de
ces textes connaissent les limites de leurs actions.
Interviewé : BGY, G1, niveau autre, expertise globale (organisation supranationale)
Nos recommandations ne sont pas des lois.
Nous poussons aussi au développement de l’Initiative pour la transparence des industries extractives en
passant d’une recommandation souple à des obligations plus contraignantes.
Ils identifient ce qui est peut-être un déficit de l’attention à la corruption. Mais qui aussi peut
être considéré comme une différence d’appréciation de ce que l’entreprise devrait observer (TA
principe 1, concentration de l’attention, p. 141).
Interviewé : BGY, G1, niveau autre, expertise globale (appartient à une organisation supranationale)
Elles demandent un travail volontaire des entreprises. L’objectif est que les entreprises fassent un travail
récurrent, qu’elles soient en permanence connectée à l’information.
277
Les conseils (G3) sont ceux qui font le plus référence au réglementaire et juridique. Cela
s’explique par la vision risque déjà identifiée pour ce groupe (voir p. 257).
Interviewé : ZUL, G3, niveau C, expertise globale
Je pense que la situation de la corruption, pour les très grandes entreprises occidentales, évolue. La peur
du gendarme, la peur pour les patrons de se faire prendre, la prise de conscience des populations, le
renforcement des lois, la difficulté croissante de mettre en place des circuits de transfert intraçables.
Le FCPA est évoqué par tous ces conseils, devant les droits locaux. Le G3 inclut aussi les
éléments liés aux conventions judiciaires et au droit flexible : peines négociées et anticipées,
calculs coût/bénéfice, poursuites limitées aux corrupteurs (les clients du G2) et protection des
corrompus.
Le G3 est enfin le groupe qui donne le plus d’importance à l’attention située (TA principe 2,
voir p. 145). Ils font appel à égalité aux filtres cognitifs (refus de traiter la corruption), l’absence
de procédure de traitement et les biais (biais d’attention, d’ambiguïté, dissonance cognitive et
effet Dunning-Kruger). Ils constatent des déficits de l’attention et identifient leurs sources.
Interviewé : QWE, G3, niveau C, expertise Afrique
70% de notre activité est réactive après que notre client a été confronté à un problème. Nous constituons
des dossiers pour résister à la corruption, résister à la puissance publique qui est corrompue.
Interviewé : SFW, G3, niveau C, expertise globale
Je n’ai jamais vu d’anticipation de la corruption. 2 failles : manque de formation des personnels et manque
de connaissance des risques.
3.3.2 Classification hiérarchique des codages par expertise géographique
Comme pour l’analyse par groupe ce chapitre cherche à relever les différences conceptuelles
entre les modalités (Afrique, Asie, Europe, globale) de la variable « expertise géographique ».
Bien que ce codage soit peu présent, les experts de l’Afrique évoquent plus que les autres la
dégradation de la cité. Il s’agit d’un effet induit par le lien fait par ces personnes entre la petite
corruption du quotidien (barrage routier par exemple) et la corruption du B2B et du B2G.
Les experts globaux sont ceux qui font appel au spectre le plus large de concepts : une part plus
importante donnée à l’éthique et au réglementaire et juridique. Cette vision plus complexe
s’allie à une certaine impuissance. Pour deux dirigeants internationaux du B2G :
278
Interviewé : FSD, G2, niveau C, expertise globale
Je me souviens, alors que j’accompagnais un client à la conférence [confidentiel], l’avion était plein de
politiques avec les délégations du Parti Socialiste, des communistes, de la droite, d’autres élus. [Un
ministre [confidentiel], pensant que seul mon client et lui parlaient le français, s’approche et lui dit : « vous
n’oublierez pas mon chèque ? ». Après qu’il est parti, j’ai demandé à mon client et ami, ce qu’il en était.
Il m’a dit qu’il n’avait pas le choix.
Interviewé : BOC, G2, niveau C, expertise globale
Dans certains cas la corruption peut être utile en particulier lorsque les pays souffrent de blocage
idéologique, religieux, politique… La corruption peut permettre de débloquer une situation.
Les experts globaux sont ceux qui ont apporté les interprétations les plus originales, notamment
les analystes du G1, leur vision va jusqu’à une fusion des concepts.
Interviewé : JYV, G1, niveau autre, expertise globale
Refuser la corruption c’est un jugement de valeur. Les politiques sont à l’écoute de la population, plus
celle-ci accepte la corruption moins ils vont s’engager à lutter contre.
Les experts de l’Afrique, l’Asie et globaux présentent des classifications proches. Les concepts
qu’ils font intervenir et leurs classements sont proches. Pour ces trois modalités, la TA domine
(respectivement 29%, 27% et 24% contre 14% pour l’Europe). Toutefois une analyse plus
détaillée relativise cette impression (voir p. 281).
De ces quatre classifications hiérarchiques, l’Europe montre une répartition différente des trois
autres. (1) La part moins importante donnée à la TC (environnement externe de l’organisation).
(2) La faible importance donnée aux autres concepts (surface bleue) limités à deux extraits sur
le désengagement moral et deux autres sur la question d’une culture de la corruption, sans
position tranchée.
Interviewé : ZRK, G2, niveau C-2, expertise Europe
Je ne suis pas certain que l’on puisse parler d’une culture de la corruption. Elle est, dans certains pays, très
présente et cela va être difficile de la changer. Cela va prendre du temps.
279
Figure 27 Classification hiérarchique des codages – expertise Afrique
Figure 28 Classification hiérarchique des codages – expertise Asie
Autre (hors philosophie...
Amoralité et appel à d...
Us et coutumes
Culture de la ...
Particularismes c...
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation de la ...
Différe...
Ethique individuelle
La cor...
Réglementaire et juridique
Droits
Flexible droit
Lois anticorrupt...
Recommandations et directive...
Efforts concertés, no...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrompus 'Bad a...
Mauvaises circonstances et dilemmes éthiques 'Bad cases'
Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, concentr...
Capacité de traiter ...
Métacognition
Principe 2, l'attentio...
Metacognition
Principe 3, distributi...
Métacognition de ...
Peur de déplaire et...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité Enjeux et ressourc...La corruption comme une instituti...
Stabilité
Autre (hors philosophie morale)
Am...Us et coutumes
Culture de la corruption Particulari...
Ethique universelle antico...
Ethique des vertus
Dégradation de... Dif...
Ethique individuelle
Ethique et téléologie
Réglementaire et juridique
Droits
Flexible droit
Lois anticorruptions
Recommandations et directi...
Efforts concertés, norm...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrom...Mauvaises circonstances et...Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, concen...
Capaci...Métac...
Principe...
Metac...
Principe 3, distribution structu...
Métacognition...
Peur de d...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité Enjeux et ressources
Hostilité
La corruption comme une ins... Stabilité
280
Figure 29 Classification hiérarchique des codages – expertise Europe
Figure 30 Classification hiérarchique des codages – expertise globale
(3) L’Europe présente enfin la particularité que le nombre moyen de codages par interview est
en moyenne de 18 pour des valeurs entre 32 et 35 pour les trois autres modalités d’expertise
géographique. Ces interviews d’experts de l’Europe se sont déroulées en français, en allemand
ou en anglais ce qui tend à éliminer l’hypothèse de la proximité culturelle entre les interviewés
et l’intervieweur : une plus grande proximité diminuerait-elle la capacité de récolter de
l’information ? A la relecture des interviews, il est apparu que si ces personnes n’étaient
Autre (hors philosophie m...
Us et coutumes
Culture de la corruption
Particularismes culturels
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation de la cité
Ethique individuelle
Ethique et téléologie
CasuistiqueConséquentialisme
Réglementaire et juridique
Droits
Lois anticorruptions
Reco...
Effor...
Infor...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrompus 'Bad apples'
Mauvaises circonstances et dil...Organisation d'individus corrompus 'Ba...
Principe 1, concentration de l'atten...
Capacité de traiter ce qui n...
Métacognition
Principe 2, l'attention située
Metacognition
Principe 3, distribution structurelle ...
Métacognition de groupe
Peur de déplaire et de la confron...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diver... Enjeux et ress...
La corruption comme une institution i...
Autre (hors philosophie morale)
Us et coutumes
Culture de la corruption Particularismes...
Ethique universelle anticorruption
Ethique des vertus
Dégradation de la cité
Différence ontologique entre ...
Ethique individuelle
Ethique et téléologie
Casuistique
Conséquentialisme
Déontol...
Réglementaire et juridique
Droits
Convent...Flexible droit
Lois anticorruptions
Recommandations et directives ...
Effet...
Efforts concertés, no...
Théorie de l'attention (TA)
Pommes et tonneaux
Individus corrom...
Mauvaises circonstances et dilemmes éthiques 'Bad cases'
Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
Principe 1, concentration de l'attenti...
Capacité de traiter ... Métacogniti...
Principe 2, l'...
Attribution ...
Metacogni...
Principe 3, distribu...
Métacognition de ...
Peur de déplaire ...
Théorie de la contingence (TC)
Adaptabilité de l'organisation
Complexité et diversité Enjeux et ressources
Hostilité
La corruption comme une institution informelle (hosti...
Stabilité
281
expertes que de l’Europe, elles avaient néanmoins toutes une expérience confirmée dans
plusieurs pays européens. Un biais d’interprétation commun à ces personnes est alors
improbable.
3.3.3 Poids relatifs des trois principes de la TA et métacognition
L’analyse croisée des variables groupe et expertise géographique fait ressortir des proportions
qui n’apparaissent pas clairement à la lecture des interviews. Le cas le plus significatif est
l’appel aux trois principes de la TA et, pour chacun d’entre eux, à la part donnée à la
métacognition.
Groupes
Expertise géographique
G1
G2
G3
Total
Afrique
Asie
Europe
Globale
Total
Principe 1, concentration
de l'attention
2%
3%
2%
7%
3%
1%
6%
2%
12%
Principe 2, l'attention
située
2%
2%
6%
10%
1%
1%
3%
4%
9%
Principe 3, distribution
structurelle de l'attention
5%
4%
5%
14%
3%
2%
8%
5%
17%
Total des trois principes
9%
9%
14%
31%
6%
3%
17%
11%
37%
Tableau 30 Poids relatifs des trois principes de la TA
La distribution structurelle de l’attention représente la part la plus importante des codages qu’ils
soient consolidés selon les variables groupe ou expertise géographique. Ce résultat correspond
à la part de la littérature qui, tant pour la TC que pour la TA, donne plus d’importance à
l’adaptation structurelle (voir pour la TA p. 150 et pour la TC p. 126). Ce résultat doit être
relativisé, car l’Asie (3%) et dans une moindre mesure l’Afrique (6%) donnent peu de poids
aux principes de la TA (au profit de l’approche « pommes et tonneaux »).
Le poids relatif donné au deux premiers principes s’inverse selon les consolidations par groupe
ou par expertise géographique. Il s’agit d’une part de l’importance donnée par le G3 au
l’attention située. Ce résultat va à l’encontre de la littérature qui traite peu ce second principe
de la TA (voir p. 145). Il faut ici considérer la position particulière du G3. Dans leurs activités
de conseil aux entreprises, ils sont à la fois externes à l’organisation tout en étant en position
de proposer des évolutions.
En considérant les sous-codages de la métacognition pour chacun des trois principes, le constat
est que les différences s’estompent. Le poids donné à la métacognition pour l’attention situé est
égal ou supérieur aux processus métacognitifs des deux autres principes.
282
Groupes
Expertise géographique
G1
G2
G3
Total
Afrique
Asie
Europe
Globale
Total
Principe 1, concentration de
l'attention\ Métacognition
0%
2%
1%
3%
1%
1%
3%
1%
5%
Principe 2, l'attention située\
Métacognition
2%
2%
4%
8%
1%
1%
3%
3%
8%
Principe 3, distribution
structurelle de l'attention\
Métacognition de groupe
2%
2%
2%
6%
2%
1%
1%
2%
5%
Total des trois formes de
métacognition
4%
6%
7%
17%
4%
2%
7%
6%
19%
Tableau 31 Poids relatifs des trois formes de métacognition
Ce qui domine est le nombre significatif de codages autour des déficits de l’attention que les
interviewés attribuent à un spectre de causes allant de l’ignorance…
Interviewé : OIR, G2, niveau C-1, expertise globale
C’est le problème principal des entreprises, notamment occidentales, en Inde. Le manque de connaissance
du pays, de sa culture, le manque d’engagement, de persévérance, de temps, la faiblesse des connaissances
des personnes, le manque de réseaux sont la cause de l’échec. Dans ce cas, cela signifie qu’avec tous ces
manques, on se retrouve à commettre un délit et à payer des pots-de-vin.
… au refus actif de traiter.
Interviewé : CSH, G1, niveau autre, expertise globale (ancien dirigeant G2 reconverti)
Au sujet des lanceurs d’alerte, mon patron à l’époque m’avait dit « tu ne mettras pas en place de système
de délation dans l’entreprise. ».
3.3.4 Rapprochements entre les branches de la carte heuristique
La proximité entre les concepts aux extrémités des cinq branches de la carte heuristique a
entrainé une superposition de codages. Sont développés ci-dessous les plus remarquables.
3.3.4.1 La corruption institution informelle, biotope criminel complexe
La TC exprime le mieux ce concept qui se retrouve dans d’autres branches également.
Branche
Codages / concepts
Proximité
TC
États corrompus et kleptocraties, centres
offshore, dissymétrie de l’application de la
loi et protection des corrompus.
Les institutions formelles sont détournées
ou instrumentalisée pour favoriser la
corruption.
283
TC
Biotope criminel (superposition des
atteintes à la probité, criminalité organisée,
organisations terroristes, sectes, autre
crimes et délits et intermédiaires).
Un biotope qui favorise la croissance de la
corruption. Mais qui n’est pas
nécessairement un tout organisé.
TA
La corruption problème trop complexe,
filtre cognitif (refus de traiter), Sous-
estimation de la menace.
L’organisation en réaction de l’institution
informelle qu’est la corruption ne sait pas
ou ne veut pas la considérer.
Éthique
Dégradation de la cité.
Effet de cette institution informelle qu’est
la corruption.
Réglementaire
et juridique
Poursuites limitées aux corrupteurs.
Considéré ici comme l’application
normale de la loi non comme son
détournement intentionnel par des
complices de la corruption.
Autre
Culture de la corruption, Absolu de
l'harmonie, non-pensant, non agissant, ne
pas perturber l'ordre naturel.
Un environnement qui varie entre
corruption culturelle et passiveté devant
ce qui est naturel (dont l’acceptation de
l’autorité, même corrompue, parce qu’elle
est par essence légitime).
Tableau 32 Concepts proches de la corruption comme une institution informelle
L’institutionnalisation de la corruption va transformer la contingence en un risque. Dans une
telle situation, si l’organisation prend le soin de lire son environnement, elle sera capable d’en
comprendre les règles du jeu.
Interviewé : GYW, G1, niveau autre, expertise Afrique
Nous devions prendre en charge l’hébergement, les transports… A une occasion nous avons constaté qu’un
million d’euros avait disparu. Nous avons tout bloqué et l’argent a réapparu.
La décision de corrompre ou d’être corrompue est simplifiée. La corruption se banalise, les
tensions baissent.
Interviewé : BMN, G1, niveau autre, expertise globale
Il ne s’agit pas de menacer ou de contraindre, mais de créer un lien gagnant-gagnant. Le système fonctionne
aussi parce qu’en général il n’y a pas de violence. Toutes les parties sont gagnantes.
Mais les possibilités de travailler dans un tel environnement sans participer à la corruption sont
réduites.
Interviewé : ZUL, G3, niveau C, expertise globale
Si l’environnement est très sollicitant en termes de corruption, il n’y a pas vraiment de solution à part
partir.
284
Cela a un effet vertueux mais il y a un fort déséquilibre entre ce qu’on impose aux entreprises avec ce qui
se passe avec les pays corrompus. Il s’agit de stratégie et non plus de lutte anti-corruption.
Le modèle le plus simple est celui des kleptocraties. Mais une corruption institution informelle
peut s’appuyer sur d’autres réseaux.
Interviewé : GDL, G1, niveau autre, expertise globale
Pour les anciens pays du bloc de l’Est, je ne crois pas à l’homo sovieticus. Ce qui se passe
est que l’élite de l’URSS et de ses satellites était les services secrets. Après la disparition
de l’Union soviétique, ces organisations se sont maintenues comme des réseaux qui ont
pris le contrôle de l’économie. Ils ont le pouvoir et ils contrôlent la société. Cela évoluera
et après quelques générations leur pouvoir diminuera.
3.3.4.2 Les égoïsmes, affaiblissement moral et appels à une morale supérieure
Le pendant des éthiques égoïstes est le discours sur les individus corrompus « bad apples » et
la pensée de groupe. On retrouve des concepts proches dans les autres branches de la carte
heuristique.
Branche
Codages / concepts
Proximité
Éthique
Égoïsme (responsabilité
individuelle, conséquentialisme).
Selon les auteurs, opposition ou adéquation entre
courage civique et égoïsme.
TA
Individus corrompus, pensée de
groupe.
Croyance en une morale inhérente au groupe,
sentiment de supériorité morale d’un individu ou
d’un groupe.
TC
Obligation de résultat, vision
tunnel, organisation à but unique.
Alternative supérieure à la morale, organisation à but
unique (objectif considéré comme supérieur à
l’éthique et la remplaçant).
Réglementaire
et juridique
Large spectre de concepts depuis
les risques maitrisés jusqu’à
l’esthétique du droit.
Substitut à l’éthique ou ne peut être contraire à
l’éthique que ce qui est illégal.
Autre
Appel à des morales supérieures.
Justification individuelle ou du groupe par son
appartenance à une morale alternative.
Tableau 33 Concepts proches des éthiques égoïstes
26 des 52 interviews font appel à la pensée de groupe.
Interviewé : BRX, G3, niveau C-1, expertise globale
Les personnes qui contrôlent l’information se sentent protégés. Ils ne veulent pas remettre en cause leur
organisation et leur pouvoir. Ils sont en situation d’impunité.
285
Interviewé : DMF, G1, niveau autre, expertise Europe
Ces personnes pensent que la loi ne s’applique pas à eux. Elles sont corrompues, elles harcèlent, elles
fraudent le fisc. Elles considèrent qu’elles ne sont pas comme les autres. Pour elles c’est un jeu.
J’ai constaté qu’il s’agit en général d’une personne unique qui est au centre. Elle a des aides et des relais
mais c’est elle qui décide.
Morale alternative, esthétique du droit et organisation à but unique : ces concepts ont la
particularité de ramener le discours à une explication ou une justification unique – un modèle à
une seule variable. A titre d’exemple, même si l’extrait suivant ne rend pas justice à la personne
interviewée, celui-ci dit en début d’interview :
Interviewé : BVB, G1, niveau autre, expertise globale
La situation est simple : la corruption c’est mal et il faut la combattre.
Le choix de faire appel à des personnes ayant une connaissance confirmée de la corruption a
sans doute éliminé les conceptualisations les moins développées. A l’inverse, l’expertise de la
corruption permet d’identifier derrière un message simplificateur des motivations ou une
ignorance favorable à la corruption.
Interviewé : BOC, G2, niveau C, expertise globale
Un autre problème sont les ayatollahs de l’anticorruption. Typiquement certains magistrats, journalistes,
ONG… sur la base de théories partielles, partiales et fumeuses. Ils prennent pour cible une catégorie de
personnes, par exemples les chefs d’entreprise. Ils balancent des informations fausses. Ils restent à la
surface en se refusant de considérer l’ensemble de la situation. Ils ne font qu’aggraver le problème et
diffusent une vision totalement fausse.
Un gros problème sont les humanitaires. Ce sont souvent des bisounours, des gentils, qui ne comprennent
rien. Ils ne se rendent pas compte où ils sont. Ils favorisent la corruption en permettant le détournement
des aides qui sont revendues etc.
La motivation de ces personnes peut être la recherche de leur intérêt personnel (égoïsme) ou
l’appartenance à un groupe. Comme pour les « ayatollahs de l’anticorruption » plus haut, ces
motivations dominent. Elles se substituent à l’éthique.
Interviewé : MEJ, G2, niveau C, expertise Asie
Le pire sont les expatriés internationaux qui sont envoyés dans ces pays pauvres. Ils gagnent beaucoup
d’argent. Ils trouvent encore le moyen de profiter du pays en achetant, par exemple en Afghanistan, des
tapis à très bas prix, en profitant de la misère des gens.
286
Interviewé : MQD, G2, niveau C-1, expertise Afrique
Nous avons aussi une classe de nouveaux riches qui est apparue depuis une trentaine d’années et la
privatisation des entreprises d’état. Ils fonctionnent comme des oligarques russes.
Interviewé : OPQ, G2, niveau C, expertise globale
Comme il était de l’ethnie zouloue, pour les autres zoulous cela ne posait pas de problème.
3.3.4.3 La corruption problème trop complexe et la réduction au droit
La difficulté pour une organisation de traiter ce qui est loin de sa chaîne de valeur est décrit par
Ocasio (1997) dans son deuxième principe sur l’attention située (voir p. 145). Des trois
principes c’est aussi celui est le moins visible pour les décisionnels car il ne fait appel ni à
l’attention décisionnelle (concentration de l’attention, premier principe), ni à la structure de
l’organisation (distribution structurelle de l’attention, troisième principe).
Branche
Codages / concepts
Proximité
Éthique
Le corrupteur poursuit sa mission
(obligation de résultat) par des
moyens illicites.
Les moyens sont illicites, mais considéré comme
éthiques (le courage civique première des vertus ?)
Large spectre de concepts liés à l’affaiblissement
éthique ou à une réduction au conséquentialisme.
TC
Mauvaise application des lois et
réglementation surabondante
Obligation de résultat et
appauvrissement du jugement
éthique.
L’organisation ne sait ou ne veut pas traiter ce qui la
dépasse, est considéré comme hors son champ de
compétence principal (chaîne de valeur).
Réglementaire
et juridique
Esthétique du droit (postulat du
panjurisme et éviter
l’interférence de la morale dans
le droit).
Réduction de la corruption au juridique.
Autre
Le droit est par essence moral
(légisme).
Non observé lors des interviews.
Tableau 34 Concepts proches de « la corruption problème trop complexe pour l’organisation »
Dans le cas de la corruption il débute par un refus implicite ou explicite de traiter la question.
287
Interviewé : SFW, G3, niveau C, expertise globale
Ce qu’il faut étudier est le profil des cadres qui sont les corrupteurs potentiels. Leur profil ne leur permet
pas de comprendre. Par exemple, le cas d’un polytechnicien brillant mais ignorant des risques qui est
envoyé en expatriation et sur place est surpris. Il ne s’agit pas que de la corruption mais des risques en
général. Profil typique cadre, école de commerce ou équivalent, avec 8 à 10 ans d’expérience
professionnelle et aucune formation aux risques.
Interviewé : ZUL, G3, niveau C, expertise globale
Le point de vue d’un patron est de dire : si je prends en compte tous les risques alors je me paralyse et je
ne peux plus rien faire. Il n’est pas possible de traiter tous les risques potentiels ou non avérés. Je risque
aussi de ne pas voir les opportunités.
Confronté à l’obligation de « faire quelque chose », poussé par une médiatisation des affaires
de corruption et la multiplication des lois, directives et réglementations, le mécanisme décrit
par les interviewés est une réduction au juridique.
Interviewé : BRX, G3, niveau C-1, expertise globale
La question est la conformité, le respect de la loi et des réglementations. Pour une entreprise c’est le plus
simple, on fait appel à des avocats et tout va bien.
L’effet est renforcé avec l’impunité et le risque s’estompe. La corruption est considérée comme
un élément d’un calcul coût/bénéfice. L’effet du pouvoir judiciaire en est une des variables.
Parlant de ce cadre sans formation au risque (voir plus haut), l’interviewé SFX poursuit ainsi :
Interviewé : SFW, G3, niveau C, expertise globale
Pas de préparation, donc il paye et en général il ne se passe rien. D’où le sentiment d’impunité. Les
enquêtes ne sont faites que s’il y a d’autres enjeux, notamment en cas de risque de poursuite sous FCPA.
Un pouvoir judiciaire dans une démarche à la fois réaliste et de recherche du moindre mal,
réduit le risque en deçà de ce qui mettrait l’entreprise en difficulté.
Interviewé : SVI, G1, niveau autre, expertise globale
L’agence française anticorruption (AFA) sert surtout, lorsqu’une nouvelle entreprise est prise la main dans
le sac, à ne pas perdre de nouveau une de nos entreprises. L’AFA est surtout une équipe de négociation
pour répondre au Department of Justice étatsunien.
Le parquet national financier ne traite que quelques dizaines de dossiers par an. Puis la plupart des dossiers
se terminent par un plaider coupable bien pratique.
Interviewé : YLO, G3, niveau C, expertise globale
288
La dissuasion ne marche pas, car la justice américaine ne va pas jusqu’au bout et se contente de condamner
les entreprises financièrement sans poursuivre leurs dirigeants au pénal. C’est le Non Prosecution
Agreement (NPA), accord de non-poursuite des États-Unis.
La judiciarisation de la corruption est renforcée par l’effet Dunning-Kruger : si l’incitation à
« faire quelque chose » n’est considérée qu’en raison d’une loi ou d’une réglementation, les
juristes de l’organisation s’estimeront compétents. Pourtant ils sont loin de la chaîne de valeur
et ne participent pas aux prises de décision les plus sensibles (achats, ventes, gestion des projets
et des investissements)
234
.
Ce sentiment de compétence sera d’autant plus fort que le décisionnel de l’entreprise les
maintiendra dans l’ignorance. La structure de l’attention peut affaiblir la capacité de détection
tout en renforçant le pouvoir des décisionnels (l’interviewer oppose ici la direction exécutive
aux personnes en charge de la prévention de la corruption dans l’entreprise).
Interviewé : BRX, G3, niveau C-1, expertise globale
Quand on observe des problèmes de corruption dans les entreprises alors qu’elles ont mis en place des
procédures, c’est que celles-ci laissent trop de choses passer. Si les mécanismes de contrôle ne sont pas
efficaces cela donne du pouvoir, par exemple à la direction exécutive.
Une variante est la création d’un service spécialisé anti-corruption – aussi appelé compliance –
qui a comme fonction d’être l’interface avec les autorités judiciaires. Son instrumentalisation,
comme fusible, est un risque connu de ces professionnels.
Interviewé : ZUL, G3, niveau C, expertise globale
Pour un compliance officer, le plus important est que toute ses communications reçues et envoyées le soient
par écrit. Ceci afin que si un jour il y a une enquête, on soit à même de prouver ses dires. C’est une position
délicate car le CO n’a pas toutes les informations. Il n’a que ce qu’on veut bien lui dire.
Ce n’est pas tant le risque d’être un fusible que de s’assurer que ses dossiers sont parfaitement en ordre.
J’ai été interrogé pendant deux jours par l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance
Financière et je m’en suis rendu compte.
234
Pour les entreprises du B2B et du B2G considérées, l’exception sont les fusions-acquisitions où les services
juridiques sont impliqués dans la prise de décision, notamment lors des due-diligences.
289
3.4 AQD – Conclusion partielle
En termes de méthodologie, il est remarquable que la méthode de Reinert et son codage
automatique de textes lemmifiés parvienne à des classifications hiérarchiques proches du
codage manuel par concept.
Le codage manuel à un niveau sémantique supérieur est toutefois irremplaçable par sa prise en
compte de la valeur qu’attribuent les personnes interrogées à chaque concept. Cela est d’autant
plus important s’ils l’utilisent dans un enchaînement abductif-déductif. Par exemple, l’AFC
attribue le champ sémantique du risque au G3 (conseil). Le G2 (décideur) est à l’autre extrémité
de cet axe principal d’inertie (voir p. 257). L’AQD montre que la corruption se transforme pour
les organisations, et donc pour les décideurs du G2, en un calcul coût/bénéfice. Mais elle est
décrite principalement par des personnes du G3. Elle ne peut pas être identifiée par la méthode
de Reinert.
Le premier apport de l’AQD est celui de l’absence de codage pour une partie importante de la
revue de la littérature. C’est le cas :
- D’une large partie du conséquentialisme dont il ne subsiste que l’égoïsme et l’utilitarisme.
- De la totalité des autres définitions de l’éthique ou des confusions sur éthique et morale.
- D’une large partie des questions de modélisation (TA et TC).
L’absence d’utilisation de ces concepts est à attribuer aux profils des personnes interrogées et
au cadre de l’étude.
Au contraire, certains concepts sont partagés par l’ensemble des personnes interrogées. Il s’agit
par ordre décroissant d’importance donnée :
- De la relation entre individus et organisations corrompus.
- De la complexité de l’environnement.
- De l’éthique individuelle (responsabilité de celui qui entreprend, courage civique et partage
d’un pouvoir commun).
Des rapprochements de concepts sont observés fréquemment, les trois principaux ont été décrits
au chapitre précédent :
- La corruption institution informelle, biotope criminel complexe
- Les égoïsmes, l’affaiblissement moral ou l’appel à des morales supérieures
- La corruption problème trop complexe et la réduction au droit
290
Enfin deux ensembles conceptuels sont plus surprenants :
- La faible importance donnée à une culture de la corruption. Tous les interviewés replacent
leurs analyses dans un contexte culturel. Mais ils excluent ou doutent de ce qui serait une
culture de la corruption.
- La revue de la littérature identifie un corpus important sur l’inefficacité de l’accumulation
des lois et réglementations anticorruption dans le contexte des démocraties (voir p. 99 et
suivantes). L’AQD révèle que le réglementaire et le juridique sont essentiels pour
comprendre comment les organisations s’adaptent. Ce sont d’une part les calculs
coût/bénéfice en relation avec des sanctions rares, réduites et anticipées. Mais il s’agit aussi
du déplacement de la problématique de la corruption vers les services juridiques. Or, ces
services sont éloignés de la chaîne de valeur. Cela signifie que, face à un corrompu interne
ou externe qui interagit avec le processus de décision principal de l’organisation (voir
modélisation de la TA p. 140), celle-ci ne sera pas capable d’identifier la menace ou
détournera ses processus pour participer activement à la corruption.
291
4 Analyse des hypothèses concurrentes (ACH) et Linchpins
La méthode ACH, développée par Richards Heuer, est un outil d’analyse structuré des
possibles : quelles hypothèses sont soutenues par l’observation ? Que faudrait-il observer pour
valider l’hypothèse (Besson et al., 2010; Heuer, 1999) ? L’effet espéré est une réduction des
biais cognitifs, notamment du biais de confirmation (Dhami, Belton, & Mandel, 2019; Lehner,
Adelman, Cheikes, & Brown, 2008).
A l’origine, l’ACH est un outil d’intelligence économique (IE) permettant la prise de décision.
Toutefois son utilisation pour l’analyse de situations complexes s’est développée car elle
permet de classer les hypothèses en fonction du niveau de validation empirique (Valtorta,
Huhns, Dang, Goradia, & Huang, 2020). En ce sens, l’ACH se distingue de l’approche
strictement hypothético-déductive en conservant les hypothèses susceptibles d’être validées
ultérieurement.
Ce dernier point rend la méthode particulièrement adaptée à la veille informationnelle. Dans le
cas de cette étude, elle ajoute des questionnements complémentaires au répertoire culturel et
cognitif de la TA (voir p. 140). Elle oriente l’attention vers des stimuli environnementaux
significatifs mais non encore observés et réduit la matrice de la TC (voir p. 91 et suivantes) aux
variables significatives (interface entre la TA et la TC).
Heuer avait identifié ce mécanisme dans sa première version de l’ACH de 1999. Il la complète
en 2005 en faisant appel à l’inférence bayésienne. Mais en praticien, il constate qu’en passant
d’une évaluation des hypothèses par des variables discrètes et indépendantes (chaque hypothèse
est isolée) à des variables continues et des hypothèses inférentes, l’effort n’est plus compatible
avec les contraintes de moyens et de temps de l’organisation (Heuer, 2005).
« La plupart des applications bayésiennes de l'ACH utilisent des réseaux de
croyance bayésiens [inférences], ce qui signifie que plusieurs ensembles
d'hypothèses sont analysés, les résultats d'une analyse étant utilisés comme données
d'entrée pour d'autres analyses. Cela rend l'analyse encore plus complexe et plus
longue. » (Heuer 2005, p. 8-9).
La solution retenue est de limiter le nombre d’hypothèses en s’appuyant sur la méthode des
Linchpins (pivots ou méthode des présupposés clefs), développée par MacEachin. Un Linchpin
292
est une condition validée qui permet d’éliminer
235
un ensemble d’hypothèses contraires
(MacEachin, 1994)
236
. Pour cette étude il s’agit :
- Des ensembles de lemmes isolés des champs sémantiques « entreprise », « corruption »,
« solution » identifiés lors de l’analyse factorielle des correspondances (AFC, voir p. 248 et
suivantes).
- Des ensembles de concepts sans codage lors des interviews. Ils ont été identifiés lors de
l’analyse qualitative des données (AQD, voir p. 267 et suivantes).
- Des concepts critiqués par les interviewés en distinguant entre les évaluations des décideurs
(G2), des analystes (G1) et des conseils (G3).
- Des ensembles d’hypothèses, même validées, hors de portée du décisionnel des
organisations (elles sortent du cadre de cette thèse).
La combinaison de l’ACH et des Linchpins suit alors le processus suivant :
(1) Collecte des hypothèses : revue de la littérature, ajout des hypothèses issues de l’AFC et
de l’AQD mais qui ne seraient pas apparues dans la revue de la littérature.
(2) Critère de tri : ont été retenus les concepts de la carte heuristique qui ont rassemblé vingt
codages ou plus.
(3) Formulation de chaque hypothèse comme une « action-actionnable » par le décisionnel de
l’organisation ayant un effet d’anticipation ou de prévention de la corruption positif.
(4) Reclassement des hypothèses, regroupement, dédoublement.
(5) Pour chaque hypothèse, ajout des éléments de preuve et évaluation de leur crédibilité grâce
aux interviews et à la revue de la littérature de très cohérent, neutre à très incohérent.
235
Cette méthode est à rapprocher de la solution de Karl Popper au problème de l’induction de David Humes : la
recherche de réfutation des hypothèses permet de ne conserver que celles non réfutées.
236
MacEachin développe sa méthode entre 1991 et 1993 dans le contexte particulier de la disparition de l’Union
soviétique. Ce changement géopolitique affecte profondément les processus internes de la CIA. MacEachin
appartient à un groupe de réformateurs qui promeuvent « […] (a) une conscience épistémologique de la
transparence du raisonnement, (b) un accent mis sur l'explication plutôt que sur la prédiction, et (c) la
personnalisation des analyses pour des consommateurs particuliers [le gouvernement états-unien] […]. La
transparence et l'accent mis sur l'explication peuvent en effet servir de passerelles vers et depuis ‘l'analyse
objective’ […] » (Westerfield 1997, p. 50-51). Pour MacEachin, il ne s’agit pas tant d’éliminer des hypothèses
que de conserver l’articulation entre analyses objectives et analyses actionnables. Seules ces dernières permettent
la prise de décision. Mais elles sont issues d’un processus épistémologique qui doit être transparent et objectif
(Westerfield, 1997).
293
(6) Injection des Linchpins, élimination des hypothèses contraires.
Les deux chapitres suivants présentent les Linchpins et l’ACH après cette 5ème étape. L’ACH
indique pour chaque hypothèse, les actions déployables, un condensé des éléments de preuve
(degré d’importance), l’estimation de la probabilité de chaque hypothèse, les éléments
manquants ou les évolutions futures qui pourraient affecter la validité de l’hypothèse (preuve
sujette à interprétation).
4.1 Linchpins
Deux Linchpins ne seront pas considérés. il s’agit des concepts de saturation cognitive et de
modélisation de la corruption. Ils répondent bien à la définition des Linchpins par leur absence
dans l’analyse factorielle des correspondances (AFC) et dans l’analyse qualitative des données
(AQD). Aucune des personnes interrogées n’a développé d’hypothèse proche ou en opposition
avec la saturation cognitive. Seuls deux interviewés (SVI et BMN) ont développé des
paradigmes complets assimilables à des modélisations de la corruption. Ils l’incluent dans un
biotope criminel plus vaste (criminalité organisée, superposition des crimes et délits,
intermédiaires, etc.). Cette conceptualisation est reprise en partie dans 33 autres interviews (voir
carte heuristique p. 269, « TC / Adaptabilité de l’organisation / complexité et diversité / biotope
criminel », violet).
294
4.1.1 Linchpin - absence du religieux
Description
Les concepts liés au religieux sont essentiels dans le processus qui a mené à l’éthique
des affaires en Occident et leurs équivalents en Asie (voir première partie). Sur la carte
heuristique, il s’agit des concepts de l’encadré « Christianisme XVI-XIX »
(« Éthique », vert) ainsi que du concept « amoralité / soumission à/aux dieu et partie
amorale de certaines religions ou philosophies » (« Autre », bleu clair).
Validation
Validation AFC :
Des lemmes liés aux religions (christianisme, hindouisme et islam) font partie des
mille lemmes conservés par l’AFC. Mais ils sont de faibles inerties et n’apparaissent
dans aucune des classifications hiérarchiques descendantes (CHD). Le seul lemme de
forte inertie dans ce champ sémantique est « orgue », qui est utilisé à plusieurs reprises
lors d’une longue anecdote d’un seul interviewé (effet lié au calcul des segments de
texte (ST), voir p. 251).
Validation AQD :
Aucun codage pour l’encadré « Christianisme XVI-XIX », 6 codages pour le concept
« amoralité / soumission à / +aux dieu et partie amorale de certaines religions ou
philosophies… ».
Pour l’hindouisme et l’islam, il s’agit de cas d’instrumentalisation au profit de réseaux
corruptifs et non d’une conceptualisation de la corruption par la reprise de tout ou
partie de ces religions.
Des lemmes « christianisme » apparaissent dans l’AFC en raison des profils de deux
des personnes interviewées : deux prêtres, en Europe et en Afrique, ayant des
responsabilités de direction financière pour l’église catholique.
Commentaire
Le document préparatoire (voir annexe 1, p. 357) et la trame des interviews (voir
annexe 2, p. 359) ne font, de façon délibérée, aucune référence aux religions. Il est
remarquable que bien qu’un nombre significatif des personnes interviewées soient
pratiquantes (bouddhisme, christianisme, hindouisme, islam, judaïsme) elles n’y font
pas référence. Peut-être est-ce un biais induit par le cadre professionnel et non privé
des interviews. L’explication qui semble la plus solide est l’universalité de l’éthique
anticorruption.
295
4.1.2 Linchpin - lois anticorruption non actionnables
Description
Les concepts liés à la loi affectent à de nombreux niveaux l’organisation et ses
relations à l’environnement. La question de l’efficacité des lois anticorruption est
localisée dans « Droits / Lois anticorruption » (« Réglementaire et juridique », orange)
ainsi que dans « Réglementaire et juridique », « Principe 2 / Métacognition /
Simplification par la judiciarisation » (« TA », bleu foncé), et « Adaptabilité de
l’organisation / La corruption comme une institution informelle » (TC, violet).
Validation
Validation AFC :
Les lemmes liés à la loi sont regroupés avec l’environnement, séparés de
l’organisation. Elles sont un ensemble distinct « norme et formalisme ». Dans l’AFC
limitée aux décideurs (G2), les lemmes liés à la loi sont d’inertie trop faible pour
apparaître dans les graphiques : voir Figure 18, p. 253 (52).
Validation AQD :
Seuls 25 interviews sur 52 évoquent les lois anticorruption, soit 76 extraits. 7 extraits
(3 interviews) attribuent un effet positif aux lois anticorruption. D’autres lois,
notamment concernant la rémunération des agents de l’État, sont évoquées comme
ayant un effet anticorruption positif mais en lien avec la petite corruption4.
Les codages présentent, à l’exception d’une interview, les lois comme inefficaces ou
favorisant la corruption : peines trop faibles, poursuites limitées au corrupteurs,
instrumentalisation de la lutte anticorruption, etc. Elles sont considérées comme une
menace faible, sous ensemble de « la corruption est une institution informelle et
hostile ».
Commentaire
Les lois anticorruption sont un Linchpin : (1) les lois ne sont pas actionnables par
l’organisation.
Les interviewés des trois groupes qui parlent des lois anticorruption, ne les considèrent
pas efficaces (une interview fait exception dans le contexte particulier du Japon des
années 1990, les deux autres interviews qui indiquent un effet positif potentiel le
réfutent).
La cartographie des risques (imposée par le droit français) pourrait être considérée
comme une exception. Mais pour l’ensemble des personnes qui interagissent avec le
droit Français (9 interviews) la corruption est avant tout une institution informelle et
hostile, dont le droit est une expression de cette hostilité. Cette vision se retrouve dans
36 interviews sur 52, dont 22 sur 31 du G2.
296
4.1.3 Linchpin – Culture de la corruption actionnable en partie
Description
Le concept de culture de la corruption est rattaché dans la carte heuristique aux « Us
et coutumes » (groupe « Autre », bleu clair). Ce rattachement correspond à la
distinction entre éthique et éthos précisé dans la première partie.
Validation
Validation AFC :
Les lemmes culturels se superposent avec le contexte social et culturel externe à
organisation (voir figures p. 253 et suivantes). Le contexte social et culturel constitue
des nuages distincts quels que soient les axes de projection. Il est séparé de l’entreprise,
des interactions société-corruption et des institutions formelles et informelles.
Ces lemmes culturels sont de trop faible inertie pour apparaître dans la CHD (voir p.
253). Ils n’apparaissent que dans la partie « environnement / aspects locaux et
culturels » de la CHD limitée au G2 (voir p. 259).
Validation AQD :
Tous les interviewés utilisent des anecdotes qu’ils situent dans un contexte culturel.
Toutefois ils distinguent le récit du mécanisme corruptif. 31 interviews abordent la
question d’une culture de la corruption (48 codages). Ils se décomposent en trois. (1)
La corruption est inhérente au fonctionnement du pays ou du groupe (ethnie, caste,
anciens élèves). Elle utilise des réseaux, normes sociales ou traditions qui ne se
limitent pas à la corruption (31 codages). (2) La corruption est une culture (9 codages).
(3) La corruption n’est pas une culture (8 codages).
A noter que sur les 9 codages qui parlent d’une culture de la corruption, 5 disent que
la société ne l’accepte plus ou de moins en moins, 4 nomment la jeunesse comme
moteur de cette évolution culturelle.
Commentaire
La distinction entre éthique et éthos n’est pas faite par tous les interviewés. Si tous les
interviewés précisent le contexte culturel, ils n’y font pas appel dans leur analyse de
la corruption. Ainsi, ils vont expliquer que telle ou telle forme de corruption utilise un
contexte culturel particulier – c’est le cas par exemple du Guanxi41 en Chine – il s’agit
peut-être d’une « vulnérabilité culturelle à la corruption » et non du mécanisme de la
corruption en tant que tel.
La culture de l’environnement de l’organisation n’est pas actionnable par
l’organisation, elle est donc bien un Linchpin. A l’opposé, la culture d’entreprise est
actionnable (référence à l’histoire de l’organisation, recrutement, style de
management, formation interne, etc.) elle sera conservée dans l’ACH.
297
4.2 Liste des hypothèses – conclusion de l’ACH
L’annexe 6, p. 366 fait la liste des concepts cités vingt fois ou plus dans les interviews. Ils ont été le point de départ pour établir la liste des
hypothèses (voir processus p. 292).
Chacune des hypothèses retenues est soutenue par plusieurs concepts de l’annexe 6. Ils appartiennent à plusieurs des cinq branches de la carte
heuristique et apparaissent dans plusieurs interviews. Conformément à la méthode choisie, plusieurs hypothèses ont été éliminées par les trois
Linchpins du chapitre précédent.
La cohérence de chaque hypothèse est déterminée en fonction du consensus qui ressort de la lecture des interviews. Une part de subjectivité ne
peut être exclue. Elle est limitée par l’objectivité des résultats de l’AFC ainsi que par le nombre d’interviews qui vont dans le même sens. Le cas
d’opinions opposées ne s’est pas présenté. La limite de cette méthode est qu’elle élimine les concepts les moins cités. L’étude est qualitative. Une
hypothèse importante mais peu citée peut avoir été éliminée.
Pour conserver sa lisibilité, le tableau ci-dessous ne cite pas la littérature. Les codages de l’AQD sont cités pour indiquer l’adhésion des interviewés
aux hypothèses.
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
Éthique
individuelle
condition
nécessaire
L’éthique individuelle des
décisionnels est une condition
nécessaire à l’anticorruption
(éthique individuelle).
++
Rien ne remplace l’éthique individuelle : « responsabilité de celui qui entreprend, y compris dans
un environnement corruptif » (18 interviews) et « seule la vertu des politiques et des agents de
l’État permet de lutter » (16 interviews).
La recherche de la meilleure solution éthique est complexe et demande de considérer les causes,
les conséquences et les finalités (éthique de responsabilité et casuistique – 9 interviews).
298
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
La vulnérabilité à
une corruption
d’origine interne
est maximale
L’éthique individuelle des
décisionnels est le seul moyen de
lutter contre une corruption
d’origine interne (éthique
anticorruption).
+
La vulnérabilité à une corruption d’origine interne est maximale. Elle est due soit à une faiblesse
de l’éthique individuelle (individus corrompus - 36 interviews), soit à la pensée de groupe
(organisation d’individus corrompus - 33 interviews), soit à une combinaison des deux.
L’effet est renforcé si l’organisation est fortement hiérarchisée : la progression hiérarchique peut
être un enjeu supérieur à l’éthique (2 interviews).
L’effet est encore renforcé pour les corrompus : les acheteurs, les agents de l’État et les élus tirent
un avantage personnel de la corruption (différence ontologique entre corrompu et corrupteur) en
particulier si leurs salaires sont peu élevés (3 interviews).
Le recrutement n’est évoqué dans aucune des interviews. Toutefois la littérature signale que les
profils à risque préexistaient à leur recrutement.
Adjonction d’une
expertise
anticorruption
dans la chaîne de
décision
Une expertise anticorruption est
nécessaire pour l’organisation. Mais
elle ne peut être efficace que si elle
fait partie de la chaîne de décision
liée à la création de valeur (TA,
principe 1 : concentration de
l’attention)
+
Comme pour toute expertise, l’expertise anticorruption ne peut être efficace que si elle est
intégrée dans le décisionnel de la chaîne de valeur.
La situation opposée est la délégation de l’anticorruption aux activités de soutien (service
juridique, service compliance dédié). Les décideurs du G2 ont développé leur expertise
anticorruption dans le cadre de leurs fonctions achat, vente, finance ou de management de projet
(au centre de la chaîne de valeur). Les conseils du G3 ont tous évolué à partir de fonctions du G2.
Les atteintes à
l’éthique sont
concomitantes
La détection d’une atteinte à
l’éthique est l’indicateur d’une plus
grande vulnérabilité à la corruption
(TA, principe 2 : attention située).
+
Les vertus sont un tout, les atteintes à l’éthique également. La pensée de groupe neutralise
l’ensemble de l’éthique. 26 interviews présentent une concomitance entre corruption et autres
atteintes à l’éthique (depuis d’autres atteintes à la probité jusqu’au harcèlement et au
proxénétisme). L’enrichissement personnel des corrompus joue un rôle prédominant (acheteur ou
agent de l’État corrompu).
299
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
La connaissance
des lois et
réglementations
anticorruption
permet la
prévention
La connaissance des lois et
règlementations (y compris codes
de conduite internes, régimes de
sanction, règles de bonne gestion et
d’audit, etc.) des décisionnels de
l’organisation conduit à un refus de
la corruption (TA, principe 2 :
attention située).
--
L’éthique anticorruption est universelle. Le choix de corrompre ou de se corrompre est volontaire.
La prise de risque est limitée (non-application de la loi, protection des corrompus, peines
anticipées et négociées pour les corrupteurs). Elle est d’autant plus limitée pour les personnes qui
maitrisent les lois et règlementations et peuvent mieux les contourner (voir étudiants en MBA).
Une meilleure
formation à
l’éthique permet la
prévention
La formation à l’éthique par
l’organisation ou lors de la
formation académique initiale des
décisionnels de l’organisation
conduit à un refus de la corruption
(TA, principe 2 : attention située).
--
L’acquisition des vertus (éthique des vertus / vertu d’humanité / courage civique) précède
l’activité professionnelle (éducation familiale). Certains interviewés observent un refus croissant
de la corruption par la jeunesse, d’autres voient dans cette population une recherche croissante de
l’intérêt personnel « à tout prix ». Ces deux évolutions contradictoires s’observent dans un temps
qui précède l’activité professionnelle.
La pensée de groupe neutralise l’éthique individuelle. Ce mécanisme est identifié par 14
interviewés.
Les profils de la triade sombre (TS) poursuivent leur intérêt personnel en détournant la chaîne de
prise de décision, y compris en manipulant les plus vertueux (une seule interview identifie le cas
d’un psychopathe d’entreprise).
Création d’un
service dédié
anticorruption
Une expertise anticorruption sous la
forme d’un service dédié
anticorruption (ou compliance)
permet d’anticiper et de prévenir la
corruption (TA, principe 3 :
structure de l’attention).
- / --
Les interviews des personnes qui ont exercé des fonctions dans des services dédiés
compliance/anticorruption témoignent qu’ils servent dans le meilleur des cas de faire-valoir, dans
le pire de fusible.
L’emprise sur les décisions les plus susceptibles d’une exposition à la corruption est nécessaire
pour que leur expertise anticorruption puisse avoir un effet.
300
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
La corruption
n’est pas
profitable (cas
général)
Le décisionnel de l’entreprise
refusera la corruption car son
rapport cout/bénéfice n’est pas
compatible avec l’obligation de
résultat (TC, enjeux et ressources).
0 / -
La non-application de la loi, la rareté des poursuites contre les corrupteurs, la protection des
corrompus, les peines réduites et négociées, rendent le calcul coût/bénéfice favorable à la
corruption.
La corruption facilite et accélère les activités de l’organisation plus qu’elle ne les freine (opinions
diverses liées au contexte).
La corruption
n’est pas
profitable
(kleptocraties)
Le décisionnel de l’entreprise
refusera la corruption car son
rapport cout/bénéfice n’est pas
compatible avec l’obligation de
résultat (TC, enjeux et ressources).
-
Les kleptocraties les plus organisées préservent une profitabilité minimale de l’organisation pour
maximiser la prédation dans la durée (risque anticipable pour l’organisation). Cette gestion vers
une acmé corruptive peut s’observer également chez des individus corrompus.
La corruption
n’est pas
profitable (États
désorganisés ou
faillis)
Le décisionnel de l’entreprise
refusera la corruption car son
rapport cout/bénéfice n’est pas
compatible avec l’obligation de
résultat (TC, enjeux et ressources).
+ / 0
Le critère d’arbitraire affecte plus négativement le rapport coût/bénéfice que le coût unitaire du
pot-de-vin. Les États les plus désorganisés font de la corruption une contingence incompatible
avec l’obligation de résultat.
Intégration de
l’anticorruption
dans la stratégie
La corruption fait partie de la chaîne
de valeur interne ou externe. Son
intégration lors de la définition de la
stratégie de l’organisation permet
d’anticiper les effets, coûts, risques
et contingences (TC, adaptabilité de
l’organisation).
++
L’intégration de moyens anticorruption et la définition d’actions anticipatrices face à un
environnement toujours partiellement corruptif, fait partie de la stratégie. L’ignorer peut être dû
à un manque de compétence (filtre cognitif), ou résulter d’un affaiblissement moral dont les
causes sont diverses : peur de déplaire, obligation de résultat, marché stratégique mais corrompu,
vision tunnel, organisation à but unique, etc.
A l’opposé, ne traiter la corruption que comme un risque non provisionné (car illégal) maximise
l’exposition de l’organisation. Les conseils (G3) observent que leurs clients ont ignorés
volontairement (concentration de l’attention / pensée de groupe) ou involontairement (attention
située).
301
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
Sollicitation
externe, protection
de la loi.
L’organisation peut faire appel aux
lois et réglementations pour se
protéger contre une corruption
externe dans le cas d’une
sollicitation par un client privé ou
un agent de l’État (TC, la corruption
institution informelle).
--
L’absence de poursuite contre les corrompus est le concept dominant quels que soient les marchés
et les zones géographiques. Les lois et réglementations qui visent à interdire la corruption sont
connues et anticipées (17 interviews). Leur effet se limite à une sophistication de la transaction
(3 interviews). 1 interview note un effet positif de la loi pour prévenir la corruption.
Remarque : 3 interviews de personnes du G1 voient un effet positif des efforts concertés entre
pays (EU, OCDE, etc.) pour inciter ou aider les organisations (État et entreprises) à lutter. 18
autres interviews voient une absence d’effet, mais on connaissance de l’intensification de ces
efforts concertés.
Distorsion de
concurrence,
concurrent
corrupteur
L’organisation peut faire appel aux
lois et réglementations pour se
protéger d’une distorsion de
concurrence en raison de l’action
corruptrice d’un concurrent (TC, la
corruption institution informelle).
-
Actionnabilité partielle si l’organisation est soutenue par les autorités locales et qu’elles ne
protègent ni le corrompu, ni le concurrent corrupteur.
Analyse préalable
de
l’environnement
Pour anticiper, l’adaptation des
capacités métacognitives de
l’organisation doit précéder son
exposition à un environnement
inconnu (TC, complexité et
diversité).
++
L’ensemble des personnes interviewés identifient dans leur anecdotes une incompréhension de
l’environnement (culture, organisation du marché, de l’État, biotope criminel) comme cause
initiale de la corruption (initiée ou subie).
Remarque : Après exposition à la corruption, l’organisation ne peut que corriger (gestion de
crise).
302
Hypothèse
« Action actionnable » (ensemble
conceptuel)
Cohérence
++ / + / 0 / - / --
Évaluation dominante extraite des interviews
L’environnement
est la cause
première de la
corruption de
l’organisation
L’environnement est toujours au
moins partiellement corrompu. Les
interfaces de l’organisation avec
son environnement sont les plus
efficaces pour agir (TC, complexité
et diversité / biotope criminel)
++ / +
Pour l’organisation ces interfaces incluent :
- les activités achats, ventes, management des projets et des investissements
- les fusions-acquisitions, alliances, etc.
- le recrutement (dont recrutement dans un pays nouveau)
- les intermédiaires (y compris les conseils anticorruption, juridiques et les banques).
36 interviews font référence à un biotope criminel comme étant l’élément structurant principal de
la corruption. 2 interviews incluent à ce biotope les agents anticorruption de l’État (pouvoirs
exécutifs et judiciaires). 16 interviews font en tout ou partie référence à une fusion des réseaux
criminels (dont la corruption et le blanchiment sont les dénominateurs communs – 4 interviews).
Remarque : une corruption d’origine externe non traitée peut devenir interne (dépendance au
marché corrompu, rétro-commission du corrompu externe vers le corrupteur, etc.)
303
5 Conclusion de la troisième partie
La deuxième partie concluait que l’ampleur de la corruption, malgré la difficulté de mesure,
était telle que pour les organisations et leurs décideurs, il fallait considérer l’environnement
comme essentiellement corruptif et multifactoriel. Les interviews de l’enquête qualitative vont
dans le même sens. Quelle que soit la zone géographique ou l’expérience des participants à
l’étude, le concept d’un biotope corruptif multiforme domine. A l’augmentation ressentie de la
corruption, correspond l’analyse par plusieurs interviewés d’une convergence des réseaux
criminels avec la criminalité financière.
« […]il n’y a pas d’organisation terroriste sans financement, pas de trafics sans
blanchiment, pas de corrupteurs sans corrompus, pas d’évasion fiscale sans
complaisances étatiques, etc. et la mondialisation a mis de surcroît toutes ces
menaces en interrelation, les faisant dépendre même les unes des autres. »
(Maillard 2021, p. 3).
Il est aisé de critiquer « les organisations » ou leurs dirigeants en extrayant le pire par
l’anecdote. Cette fusion en un tout médiocre, somme de tous les travers, donne une impression
faussée de la réalité des actions menées par les organisations. Au contraire, les interviews
permettent d’identifier un consensus sur « ce qui marche » et « ce qui ne marche pas ».
Il est décevant de constater que les moyens de contrôle internes ou externes, qu’ils soient à
l’initiative de l’organisation ou imposés par la loi, ne soient pas efficaces contre la corruption.
Mais que ce résultat, déjà identifié dans la littérature, soit confirmé par cette étude n’est pas
surprenant. Pourquoi attribuer une fonction éthique à ce qui est du ressort de la bonne
gouvernance ? Pourquoi attendre de mécanismes statiques de contrôle des processus qu’ils
soient vertueux ?
De même il est décevant pour les « ayatollahs » de l’anticorruption, nommés en ces termes dans
plusieurs interviews, de constater que la fonction répressive du droit ne punit jamais assez.
L’espoir pour la criminalité économique d’une fonction préventive ou anticipatrice de la loi,
alors qu’elle a perdu sa force dissuasive, est faux.
C’est un des apports de cette étude : la lecture de la corruption, dans ses prémisses comme dans
ses conséquences, faite par la presque totalité des interviewés est éthique. Ils insistent sur la
nécessité de protéger les organisations, même coupables de corruption, pour éviter un plus
304
grand mal. Mais ils n’étendent pas cette protection raisonnable des organisations aux individus.
Ils critiquent la faiblesse des poursuites contre les personnes en particulier la protection des
corrompus.
Ce premier résultat apparait à plusieurs reprises dans l’étude. Dans la classification hiérarchique
automatique de l’analyse factorielle des correspondances (AFC), le champ sémantique culturel
et celui des institutions formelles ne se recouvrent pas avec celui de l’entreprise et de sa prise
de décision. On retrouve le même résultat dans l’analyse qualitative des données (AQD) avec
une séparation marquée (pas de superposition des codages) entre la responsabilité individuelle
et l’effet des lois et règlementations.
Le deuxième résultat est une clef de lecture du corpus académique. En conservant les apports
de la philosophie morale, force est de constater que les interviews font peu appel à certains
ensembles conceptuels :
- Le religieux, y compris l’amoralité ou l’appel à des valeurs supérieures. Il est peut-être
masqué par la base éthique commune partagée par la plupart des religions.
- Les signaux faibles, la saturation et les routines cognitives. Les interviewés les abordent
peut-être indirectement en interrogeant la compétence de la chaîne de décision.
- La mesure de la corruption et les aspects macroéconomiques. Les interviewés considèrent
une omniprésence de la corruption, nécessitant pour les décideurs du G2 et les conseils du
G3, une analyse différenciée selon chaque situation.
D’autres concepts ne sont évoqués que négativement. Schématiquement il s’agit des éthiques
purement déontologiques ou conséquentialistes, du droit positif et du panjurisme, de la structure
de l’attention et des solutions structurelles à la corruption.
Cette clef de lecture est à la fois une méthode de tri pour ne conserver qu’un paradigme
« corruption et organisation ». C’est aussi le croisement entre une abondance de concepts et une
réalité plus étroite.
La critique peut être faite de la sélection des personnes interviewés. Ainsi l’hypothèse du non-
droit, pourtant identifiée dans la littérature, n’apparait dans aucune interview. Il s’agit d’un biais
de sélection volontaire. L’objet de recherche sont des solutions déployables par les
organisations et leurs décideurs. Il serait faux de penser que puisque les personnes interviewées
ne voient pas de recours dans la loi, celle-ci est inutile. Elle ne l’est que parce qu’ils ne peuvent
pas l’actionner.
305
Ce constat est le troisième résultat de l’étude. Les organisations et leurs décideurs sont seuls.
Les moyens qu’ils peuvent déployer n’appartiennent qu’à eux-mêmes. C’est ce que l’analyse
des hypothèses concurrentes (ACH) extrait des deux outils précédents (AFC et AQD).
D’une part la non-actionnabilité de ce que pourraient être des moyens externes. D’autre part
l’importance d’un effort concentré au sein de la chaîne de décision : éthique et attention des
décideurs, l’attention située plus que la structure de l’attention, la métacognition plus que les
routines cognitives. Seul cet effort permet l’identification des variables environnementales
significatives. La conséquence de cette solitude de l’organisation est sa vulnérabilité à la
corruption d’origine interne. L’étude ne fait pas apparaître d’autre solution que l’éthique
individuelle pour lutter contre les mauvaises pommes.
306
307
Conclusion
L’objet de cette thèse était d’identifier les outils d’anticipation et de prévention de la corruption
accessibles par une entreprise. Un premier article limité au développement d’une entreprise
européenne dans les deux environnements corruptifs particuliers que sont l’Inde et la Chine
(Labic & Memheld, 2019) avait permis d’identifier les facteurs influençant la relation de
l’organisation à ce type d’environnement. Ce résultat s’appuyait sur l’expérience personnelle
des auteurs et l’analyse de la littérature consacrée à deux pays. Ce sont des laboratoires d’étude
de la corruption où le travail de recherche est facilité par à une corruption systémique et
systématique ainsi que par les travaux de nombreux chercheurs.
Retour sur la démarche
La suite que constitue cette thèse a consisté à étendre les recherches en cherchant à s’affranchir
des particularismes de l’Inde et de la Chine. Pour une organisation naïve qui entre en contact
avec un environnement nouveau, quels modèles de la corruption peut-elle rencontrer ? Que
peut-elle faire pour se prémunir de la corruption qu’elle soit initiée par l’environnement ou en
interne ?
Deux difficultés sont apparues. La littérature sur la corruption reprenait la décomposition des
grandes disciplines académiques, leurs différences et leurs proximités. Chacune avait
développé un langage propre. Leurs concepts se recouvraient mais portaient des dénominations
spécifiques à chaque discipline. Toutefois la philosophie morale, partagée par la sociologie et
les sciences économiques, traite de la corruption depuis ses origines. Elle rassemble depuis
deux mille cinq cents ans des penseurs classés comme philosophes, théologiens ou médecins,
plus tard comme économistes, mais qui tous ont traité de la corruption.
La deuxième difficulté était une différence de vision entre, d’une part, les personnes confrontées
à la corruption et, d’autre part, certaines publications. Que signifiaient ces différences de
vision ? Que signifiaient-elles en termes de lutte anticorruption ? Cette deuxième difficulté
alertait aussi sur la subjectivité de l’auteur.
Le choix a été de débuter par deux études séparées.
308
Une étude élargie de la littérature en ne se limitant pas à l’état de la connaissance mais en
reprenant le corpus de la philosophie morale et en faisant appel à deux écoles de pensée
économique : la théorie de la contingence (TC) pour sa modélisation de l’environnement de
l’organisation et la théorie de l’attention (TA) pour sa modélisation des processus internes de
prise de décision.
Puis une étude qualitative par interviews auprès de décisionnels d’organisation confrontés à la
décision d’accepter la corruption ou de la refuser. Le travail de sélection de ces personnes a
demandé plusieurs étapes de vérification pour s’assurer de la réalité de leur pouvoir de décision
ainsi que d’un niveau d’expertise suffisant pour ne pas obtenir une accumulation d’anecdotes
mais des conceptualisations même partielles des mécanismes.
Étant donné la difficulté d’interroger des personnes sur des comportements délictueux auxquels
ils auraient éventuellement cédé, le risque de l’étude qualitative était par une approche
uniquement constructiviste d’obtenir un paradigme faussé.
Le panel interrogé a alors été élargi à deux groupes non décisionnels mais également experts de
la corruption : (1) des analystes : magistrats, avocats et universitaires qui traitent de cas de
corruption après qu’ils sont survenus, (2) des conseils qui interviennent auprès d’organisations
exposées pour mettre en place des plans de réduction du risque corruptif. En étendant le panel,
était-il possible d’observer des différences et que signifiaient-elles ? L’analyse des données a
suivi un processus en trois étapes et trois niveaux d’analyse du discours.
Une première analyse automatisée utilisant la méthode Alceste de Max Reinert et le logiciel
Iramuteq a permis d’observer les champs sémantiques utilisés par les trois groupes
d’interviews, leurs superpositions et leurs écarts.
Une seconde analyse par codage manuel avec l’aide du logiciel Nvivo a permis d’extraire les
concepts utilisés par les interviewés. Quels éléments de la littérature académique
apparaissaient ? Dans le cas particulier de la corruption, quels rapprochements étaient faits entre
ces différentes expertises de la corruption et les approches philosophiques, sociologiques ou
économiques de la revue de littérature ?
A partir des modélisations proposées par les interviewés, après les avoir évaluées entre elles et
comparées à la littérature, le résultat intermédiaire a été une conceptualisation partielle de ce
qu’une lutte efficace contre la corruption pouvait être. La troisième étape composée des deux
outils d’analyse des hypothèses concurrentes (ACH) et des Linchpins développés
respectivement par Richard Heuer (2005) et Douglas MacEachin (1994), a extrait le sous-
ensemble des solutions actionnables par une organisation, l’objet principal de cette thèse.
309
Pour comprendre les résultats repris plus bas, il faut revenir à l’articulation entre les trois corpus
interrogés : la philosophie morale, la théorie de l’attention (TA) et la théorie de la contingence
(TC) en tant qu’ensembles se superposant partiellement.
La philosophie morale est accessible par trois sources écrites : les sources occidentales,
chinoises et indiennes. L’objectif a été de vérifier s’il existe une éthique universelle
anticorruption. Quatre étapes principales de l’histoire de la pensée ont été identifiées.
(1) Confucius et Aristote au VIe siècle avant J.C définissent la corruption à la fois comme une
dégradation de la cité et une éthique individuelle acquise par l’éducation (et non innée).
(2) La casuistique en Occident du XIIIe au XVe siècle avec Thomas d’Aquin, précédée
d’Augustin d’Hippone (IVe siècle – le « Je » et la responsabilité individuelle), puis d’Averroès
et d’Abélard (XIIe siècle – commentaires d’Aristote et apparition de la scolastique). Les
solutions éthiques sont complexes et uniques. Elles peuvent avoir simultanément des
conséquences positives et négatives.
(3) La double analyse par Adam Smith au XVIIIe siècle de l’économie comme philosophie
morale puis comme philosophie naturelle, avec comme résultat l’impossibilité de décrire
l’économie uniquement comme une philosophie naturelle.
(4) Le développement de l’éthique des affaires au XIXe siècle, prise de conscience ou
redécouverte de la responsabilité de l’homme dans son utilisation responsable et partagée des
biens terrestres.
Au fil des siècles, d’autres modèles qui détournent l’éthique à fins d’égoïsme, de légitimation
du pouvoir ou par excès de simplification voient le jour. Les trois sources font apparaître des
doctrines amorales qui réfutent l’éthique. Ces oppositions sont importantes car elles interrogent
les relations entre actions, conséquence et finalités. L’exemple le plus récurrent est celui d’une
éthique réduite à une règle écrite. On la trouve dans le légisme chinois (IV-IIe siècles av. J.C.),
le droit positif, la déontologie stricte de l’impératif kantien, le panjurisme. Ces dérives
simplificatrices permettent d’observer que le retour à une éthique commune et complexe est
constant. Le confucianisme l’a emporté sur le légisme, le droit flexible de Jean Carbonnier
domine dans la pratique des lois qui ne peuvent rattraper un retard éthique permanent.
Il y a bien éthique universelle anticorruption. Elle se caractérise par la complexité de solutions
souvent limitées à une situation donnée. Bien qu’elle soit universelle, elle est acquise par
l’éducation. Elle s’exerce sous la condition unique que l’individu soit libre de sa décision. Ce
qui entraine sa responsabilité individuelle. En d’autres termes, l’intersection « Non-E » renvoie
310
un ensemble vide. Les interviews ont révélé cette universalité de l’éthique anti-corruption.
Toutes font référence à cette morale commune, y compris celles qui la considèrent comme un
but non atteignable.
Le deuxième corpus s’est attaché à l’environnement de l’organisation en faisant appel à la
théorie de la contingence (TC). Cette théorie est critiquée en raison de la difficulté à modéliser
un très grand nombre de variables. Il lui est également reproché d’entrainer une soumission de
l’organisation à son environnement.
La réduction du modèle à l’étude de la corruption ne permet pas de progresser. La littérature
montre que le nombre de variables est encore trop important. Cette difficulté est renforcée par
la nature dissimulée de la corruption : une mesure directe est impossible à tel point que les
variables de mesures indirectes que sont les mesures de perception de la corruption ou les
indices de gouvernance ne peuvent pas être corrélées avec la réalité de la corruption.
Toutefois de cette faiblesse de la TC nait son intérêt pour l’étude de la corruption. Si l’objet
d’un modèle économique peut être d’établir des prédictions, dans le cas de la corruption, la TC
permet de faire la distinction entre :
- Une corruption comme un risque. Les mécanismes de la corruption sont stables et
prévisibles. Peu de variables interviennent. Un calcul de sévérité (coût unitaire du pot-de-
vin x probabilité d’occurrence) est possible. Une relation de causalité entre le paiement du
pot-de-vin au corrompu et une décision favorable au corrupteur peut être établie. Ce sont
notamment les pays les plus fortement corrompus et les mieux organisés. C’est le cas
exemplaire de la Chine et, dans une moindre mesure, des kleptocraties comme le Cambodge
ou le Rwanda.
- Une corruption contingente. L’environnement est complexe, de nombreuses variables
environnementales interviennent. La situation la plus relevée lors des interviews est
l’incertitude de la décision : le paiement d’un premier pot-de-vin crée des appétits : retard,
multiplications des intermédiaires, etc. Une relation de causalité entre paiement et décision
ne peut être établie. Le calcul de sévérité n’a plus de sens sauf à considérer le pire des
scénarios. La littérature montre que cette contingence (aussi appelée critère d’arbitraire) est
un facteur multiplicateur tel qu’il ne permet plus la graduation du risque. C’est le cas des
États les plus instables ou les moins organisés.
Une confusion peut être faite entre les mesures de la gouvernance (notamment les variables
suivies par la Banque mondiale et d’autres institutions) et le critère d’arbitraire. Plusieurs
311
auteurs notamment le projet Anticorrp de 2012 à 2017 établissent que, pour les démocraties
européennes, la complexité croissante des textes anticorruption a un effet contraire.
Étrangement les études de cas et d’économétrie font peu appel à la TC. Mais si elles s’attachent
à des sujets étroits (un marché, une entreprise particulière, etc.) et ne font pas appel aux indices
de perception de la corruption alors elles peuvent faire apparaitre ce critère d’arbitraire. Il prend
forme d’un multiplicateur du coût de la transaction ou celle d’une augmentation de l’incertitude
du calcul coût-bénéfice.
Un autre apport de ce deuxième corpus est de considérer la corruption comme une institution
informelle. Un ensemble cohérent qui interagit avec les autres institutions formelles et
informelles. Elle se greffe sur des institutions informelles comme le Guanxi en Chine, les castes
en Inde, les réseaux d’anciens élèves ou des anciennes républiques socialistes. Cette
conceptualisation apparait dans les interviews en tant que biotope criminel, instrumentalisation
du droit ou comme un désengagement moral. L’ensemble est considéré par une partie des
interviewés comme une culture de la corruption sans que cela ne fasse consensus. Mais, tant du
point de vue de la littérature que de celui des personnes interrogées, l’intersection « Non-TC »
est vide : étudier la corruption impose de considérer l’environnement.
Certaines des personnes interviewées sont parvenues empiriquement à la même modélisation.
Ayant perçu que le nœud du problème est le lien de causalité paiement-décision, ils ont
développé une expertise de la chaîne de décision corruptive pour réduire le critère d’arbitraire :
identifier le couple corrompu-corrupteur ainsi que les conditions de la transaction (nature et
moyen de la transaction) qui permettront une décision efficace.
La TC ne soumet l’organisation à son environnement que si ses décideurs ne comprennent pas
la dynamique de leur environnement, plus simplement « Qui peut quoi ? ». L’absence de
réponse impose de se soumettre ou de fuir. C’est ce que proposent certaines institutions
françaises et européennes qui conseillent les entreprises. C’est aussi la conclusion de certains
articles qui restent bloquées par une corruption contingente, instable, imprévisible aux effets
incalculables : n’ayant pu résoudre ou simplifier la matrice de la TC, ils ne peuvent conclure.
Une partie de la solution se trouve dans le modèle de la théorie de l’attention (TA). La
conclusion de ce troisième corpus est que pour la corruption il s’agit plutôt d’une théorie du
déficit de l’attention. Une vision en creux qui permet d’identifier les faiblesses de la chaîne de
décision.
312
Le « Qui peut quoi ? » est la résultante du modèle de la TC face à un environnement corruptif.
Le « Que suis-je autorisé à penser ? » (voir p. 151) est son expression dans le modèle de la TA :
un déficit de la structure de l’attention.
En dehors de la question de la corruption, beaucoup d’auteurs ne conservent que les parts
structurelles de la TC et de la TA (théorie structurelle de la contingence et structure de
l’attention). En conséquence les adaptations se sont limitées à l’organisation hiérarchique et
aux processus internes.
Il s’agit d’un appauvrissement de ces deux théories. Il a comme effet de favoriser les routines
cognitives. L’organisation devient plus performante pour ce qui est au cœur de sa chaîne de
valeur. Mais elle perd ses capacités métacognitives : le traitement de l’inattendu, des signaux
faibles et du contingent. Cet affaiblissement augmente d’autant la corruptibilité interne. Une
corruption d’origine externe sera plus facilement internalisée si elle est en adéquation avec les
objectifs principaux de l’organisation car sa structure et ses processus seront trop routinisés. Un
corrompu ou un corrupteur interne saura contourner ces processus aveugles à l’action d’un
individu déterminé.
Les études de cas d’organisations corrompues, mais répondant à l’ensemble du formalisme
organisationnel et procédural, démontrent l’absence d’efficacité des adaptations structurelles.
Cela concerne en particulier les chaînes des décisions, l’audit interne et externe, l’ensemble du
formalisme autour de la compliance et des règles de bonne gouvernance. Ils ne permettent pas
d’anticiper ou de prévenir ni la corruption, ni les autres formes d’atteinte à la probité, ni plus
largement les atteintes à l’éthique
237
.
Pourtant les auteurs de la TA, plus largement l’école de Carnegie et les sociologues de la prise
de décision ne se sont pas limités à l’attention structurelle. Le premier principe de la TA est
celui de la concentration de l’attention. Il s’attache aux capacités cognitives et métacognitives
des décideurs. Le second principe, est celui de l’attention située : la capacité cognitive et
métacognitive de la chaîne de décision. Pour le traiter le choix a été d’ajouter à la TA certains
concepts de la sociologie de la prise de décision :
237
Les structures organisationnelles et procédurales sont efficaces pour la détection a posteriori des atteintes à la
probité et à l’éthique.
313
(1) La métaphore des pommes et des tonneaux : sont-ce des individus qui corrompent
l’organisation ou l’organisation qui corrompt ces membres ? Doit-on parler d’organisation
corrompue ou d’organisation d’individus corrompus ?
(2) La triade sombre (TS) : les profils narcissistes, machiavéliens et du psychopathe
d’entreprise : des individus qui poursuivent des objectifs personnels et présentent une capacité
supérieure de détourner l’organisation à leur profit.
(3) La pensée de groupe : la soumission volontaire à un groupe qui neutralise la réflexion
individuelle et propose une alternative auto justificatrice à l’éthique individuelle.
Ces concepts sont tous soutenus par des études de cas et un corpus plus riche que celui de la
TA. Ils permettent de comprendre la dynamique de la corruption interne (apparition et
diffusion). En reprenant la modélisation de la TA, ils permettent de trier les déficits de
l’attention
Ainsi la saturation cognitive n’apparait ni dans les interviews ni dans l’approche sociologique.
Dans les interviews, elle est peut-être dissimulée par l’accusation d’incompétence. Ce sont les
anecdotes sur les organisations expertes de leurs produits et qui ne parviennent pas à s’adapter
à un nouvel environnement.
Moins centrée sur les individus et l’interpersonnel, l’apport de la TA est de permettre une
explication par processus. Deux d’entre eux dominent :
(1) La peur associée à l’interdit de traiter certaines informations. Ce processus est prédominant
dans l’attention située mais il vient de l’importance donnée aux structures. Un service, non
reconnu comme qualifié en matière de corruption, ne doit pas (attention située) ou n’a pas le
droit (attention structurelle) de traiter ce sujet.
(2) Le renvoi de la corruption au domaine juridique ou à un service compliance. L’effet
Dunning-Kruger est sous-tendu, sans doute en raison du sentiment par les juristes de
l’organisation que, puisqu’il existe une qualification juridique de la corruption, celle-ci ne se
définie qu’ainsi. Au niveau de l’organisation, l’effet Dunning-Kruger est renforcé par
l’ignorance du caractère ontologiquement philosophique et économique de la corruption ; la
négligence de sa caractéristique transactionnelle.
Ironiquement, le renforcement des actions anticorruption que sont en France la loi Sapin 2, la
création de l’Agence française anticorruption (AFA), ou la peur de poursuite pas les autorités
judiciaires états-uniennes sous le Foreign Corruption Practice Act (FCPA), provoque, comme
l’ont confirmé plusieurs interviews, la mise en place de mesures de protection contre des
poursuites potentielles et non de prévention de la corruption.
314
La corruption est réduite à un problème juridique, à la charge unique du service spécialisé. Les
conséquences sont d’une part l’évacuation de ce qui est considéré comme un problème
périphérique, loin de la chaîne de valeur et de la chaîne de prise de décision principale de
l’organisation, d’autre part la non-considération du problème par les personnes les plus
exposées (achats, ventes, gestion des projets et des investissements, directions générales et
exécutives). La vulnérabilité est accrue si une personne de ses services choisie d’être corrompue
ou de corrompre.
Résultats
L’étude successive des trois sources écrites pourra donner l’impression d’une part trop
importante de la littérature académique. Elle est à l’image du dynamisme des disciplines qui
étudient la corruption (philosophie, sociologie et sciences économiques et de gestion).
Elle correspond aussi aux données récoltées dans l’étude qualitative. Il n’y a pas d’unité
conceptuelle entre les interviewés. Ils font appel aux trois disciplines selon leurs sensibilités. Il
a été nécessaire de les juxtaposer, de retrouver leurs proximités par l’histoire de la pensée, puis
par la succession de trois outils d’analyse d’extraire les actions actionnables par une
organisation.
Les deux caractéristiques les plus présentes dans les résultats sont la solitude de l’organisation
exposée à un environnement corruptif et sa vulnérabilité à une corruption d’origine interne.
Ainsi les capacités à ne pas être isolée et à construire une immunité interne sont déterminantes
pour l’organisation. La métaphore peut-être filée. Il en est de la lutte contre la solitude comme
du système immunitaire. Les pseudo-médecines sont omniprésentes et vivent de la difficulté de
prouver un non-effet, non statistiquement analysable, par une organisation seule.
Les résultats de cette thèse sont à l’opposé. Ils partagent le principe d’une analyse préalable
d’un environnement toujours considéré comme corruptif. Par la connaissance, l’organisation se
lie à son environnement avant toute exposition.
Le réflexe premier est de tenter de mesurer la corruption. L’état de la connaissance ne le permet
pas. Les différentes approches par les indicateurs de gouvernance, les mesures de performance
des entreprise ou les sondages de perception ne sont pas corrélés. Les études de cas permettent
une compréhension ponctuelle sans qu’il soit possible de généraliser. Seuls les États
315
systémiquement et systématiquement corrompus permettent une analyse simple : pour une
entreprise nouvelle, le risque est tel que la décision de s’y développer ne laisse pas de doute sur
les conditions.
La mesure de la corruption a peu d’importance dès l’instant où l’organisation sait traiter une
corruption présente par principe dans son environnement. Ses interfaces seront d’autant plus
efficaces pour prévenir et anticiper qu’elle aura compris qu’il s’agit d’un biotope criminel
complexe, non limité à la corruption. C’est le modèle de la TC retrouvé dans l’étude qualitative.
Toutes les personnes interviewées replacent la corruption dans un contexte (us et coutumes,
organisation du pouvoir, etc.) qui impose des réponses différentes. Ce contexte n’est pas neutre,
a minima il permet la corruption. Le plus souvent les interviewés identifient d’autres formes de
criminalité associées à la corruption. Ce sont l’abus de pouvoir, l’abus de bien social, les trafics.
Les analystes (G1) font une référence plus que les autres au blanchiment comme un délit
collatéral nécessaire.
Pour que la lutte anticorruption soit efficace elle doit être anticipée par la chaîne décisionnelle
principale – celle de la chaîne de valeur. Ce sont le directeur général, les directeurs exécutifs,
les fonctions achats, ventes, management des projets et des investissements puis, par
importance diminuante, les directeurs opérationnels. Ponctuellement cela concerne aussi la
fonction ressources humaines (par exemple lors des recrutements) ou la fonction juridique (lors
de fusion-acquisition, d’opération immobilière, etc.).
L’étude qualitative et la littérature montrent que la limitation de la TC et de la TA à leurs parties
structurelles (théorie structurelle de la contingence et structure de l’attention) ne peut être
efficace : il n’y a pas d’action actionnable et efficace au niveau des organigrammes et des
processus. Il en est de même pour les lois, règlements et les formations, ou de la délégation de
l’anticorruption à un service dédié (services compliance, juridiques ou équivalents). Cette
approche structurelle donne une illusion d’efficacité d’une organisation qui respecte toutes les
normes. Les études de cas et les interviews ont confirmé que non seulement cela était sans effet
mais qu’en ostracisant, loin de la chaîne de valeur, le questionnement sur la corruption, se
créaient des routines et des biais cognitifs (questionnements interdits, effet Dunning-Kruger)
augmentant encore la vulnérabilité.
316
Il serait tout aussi faux de dire que « la corruption est l’affaire de tous ». Ce n’est pas le cas. En
reprenant le modèle de la TA et le schéma du moteur éthique, pour que la corruption puisse être
anticipée et prévenue, il faut que les personnes en charge de la collecte des informations aient
acquis par éducation une éthique individuelle, qu’ils soient libres – en particulier qu’ils ne
soient pas soumis à une pensée de groupe – et qu’ils soient en capacité d’échanger avec des
décideurs pratiquant les mêmes vertus.
Il est trop tard et véritablement hors sujet de penser qu’une formation pour des personnes ayant
atteint un niveau de responsabilité tel qu’elles jouent un rôle dans la chaîne de décision, puisse
avoir un effet anticorruption. L’étude qualitative ainsi que les études de cas montrent que
corrompus et corrupteurs savent ce qu’est l’éthique anticorruption. Leur choix de s’en
affranchir est délibéré. Il en est de même des personnes qui ont refusé la corruption. Leur choix
est la conséquence d’une éthique anticorruption acquise par éducation : ils refusent par principe,
parce que cela ne se fait pas.
De façon moins tranchée, la question du calcul coût/bénéfice de la corruption interroge cet autre
élément de la structure de l’organisation. Tout indique que pour une part significative des
organisations il est profitable de corrompre (rareté et faiblesse des sanctions, coût supportable
des pots-de vin)
238
. La condition est que l’environnement corruptif soit suffisamment stable
pour qu’une relation de causalité entre « paiement d’un pot-de-vin » et « décision en faveur de
l’organisation » existe. En conséquence, à pot-de-vin égal, les kleptocraties organisées sont plus
profitables que les États désorganisés.
En termes d’action actionnable, tout indique que le seul mécanisme efficace, mais rare, soit
celui d’une corruption si couteuse que les entreprises fuient vers des marchés moins
corrompus
239
. Cette fuite vient en réaction après exposition. Aucune interview n’a mentionné
le cas d’une organisation qui aurait renoncé avant exposition.
238
Pour le corrompu la corruption est, par définition, économiquement rentable. Bien qu’il s’enrichisse
personnellement en trahissant sa fonction, le risque d’être sanctionné est, dans le cas général, quasi inexistant.
L’étude empirique et la littérature indiquent que l’impunité des corrompus s’observe dans tous les pays.
239
Le seul cas documenté est celui de la Chine où la crise économique depuis 2008 semble avoir augmenté la
pression de la corruption sur les organisations chinoises dont certaines chercheraient à se développer dans d’autres
pays pour rétablir leurs marges.
317
La liberté de questionner l’inhabituel ou à l’opposé une attention dédiée à la corruption sont les
seules alternatives efficaces. La seconde, l’attention à la corruption, est supérieure car elle est
une routine. Par opposition à la première qui utilise les mécanismes métacognitifs individuels
et situés, plus aptes à la détection de l’inattendu mais moins efficace.
Pour cette raison l’obligation d’une cartographie du risque corruptif pour les entreprises
françaises imposée par la loi Sapin 2 de 2016 pourrait permettre un progrès. Pour l’organisation
il s’agit de créer des routines cognitives d’analyse des risques, ici la corruption. Elle intervient
selon les trois principes de l’attention. Les deux premiers sont les plus importants :
- La concentration de l’attention : les décideurs sont attentifs à une exposition potentielle. Ils
intègrent la corruption dans leur stratégie (description de l’environnement, risque interne
dont le recrutement, etc.).
- L’attention située : la chaîne de décision depuis ses interfaces externes, fait sienne le
questionnement sur la corruption. Elle cultive son intérêt pour le sujet. Au bout de la chaîne
de décision les décideurs communiquent leur engagement en encourageant la collecte, la
diffusion et la valorisation de l’information « corruption ».
Ces deux principes expriment l’éthique de la chaîne de décision – somme des éthiques
individuelles. La première des vertus, celle du courage civique, qui fait qu’une organisation est
capable de refuser la corruption alors qu’elle est dans le cas général, et comme développé plus
haut, profitable et peu risquée.
Avec l’environnement corruptif, le second ensemble de résultats part du constat que l’éthique
individuelle est une condition nécessaire à l’anticorruption. L’éthique domine les interviews :
« responsabilité de celui qui entreprend, y compris dans un environnement corruptif », « seule
la vertu des politiques et des agents de l’État permet de lutter ».
L’organisation n’est pas maître de son environnement, mais elle choisit ses collaborateurs. La
description des profils de la triade sombre (TS) est aussi celle d’erreurs de recrutement.
Comment l’organisation a-t-elle laissé entrer de tels loups (narcissiques, machiavéliens et
psychopathes) dans la bergerie ? La littérature montre que leurs capacités de dissimulation
dépassent celles de détection lors des recrutements. Un indice, confirmé dans les études de cas,
non limité à la TS, est la concomitance des atteintes à l’éthique. Les mêmes personnes qui
abusent, harcèlent, à tout le moins créent une ambiance de travail destructrice, sont susceptibles
de s’affranchir de toute forme d’éthique. L’exemple du psychopathe d’entreprise est le plus
simple à analyser en conservant à l’esprit que, s’il va finir par causer l’échec de l’organisation,
il aura produit au début tous les indices du succès. L’observation des comportements internes
318
fait partie de l’attention située. Elle est plus difficile à développer car éloignée de la chaîne de
valeur. L’organisation est donc plus vulnérable à la corruption d’origine interne.
L’éthique est sans alternative. La première décision de la commission des sanctions de l’Agence
française anticorruption (AFA) en est un exemple.
Dans une entreprise, une cartographie des risques a été établie à la suite d’un contrôle de l’AFA.
Lors d’un second contrôle, celle-ci constate que seul le formalisme a été respecté
240
. Mais
l’AFA ne sera pas suivie par la commission de sanction, la loi ne précisant pas – comment le
pourrait-elle ? – que l’esprit de la loi doit être vraiment approprié.
Dans cet exemple, l’incompétence de l’organisation est cognitive et métacognitive. Elle ne sait
pas intégrer le risque corruptif. Mais une autre perspective doit être considérée : cette entreprise
a démontré sa capacité d’adaptation au risque qu’elle a classé comme le plus sévère et le plus
immédiat : les griefs de l’AFA. L’expertise juridique de l’organisation a fonctionné.
Il aurait été souhaitable que cette entreprise développe une expertise anticorruption interne. Elle
n’aurait pu le faire que si son moteur éthique lui avait permis un autre classement des risques.
A sa décharge, rien n’incite à la pratique des vertus, en particulier par la position dominante
d’un panjurisme dogmatique qui professe une esthétique du droit indemne de morale (voir p.
50). Cette dérive qui est au cœur de l’œuvre de Jean Carbonnier, se retrouve dans l’étude
qualitative par l’absence de recours juridique pour une organisation exposée à une corruption
externe, ou souffrant d’une distorsion de concurrence du fait de la corruption d’une partie
adverse. Ironiquement, sa maitrise du droit ne peut que la protéger de la loi pas de la corruption.
Dans l’état actuel de la connaissance en matière de corruption, la plupart des organisations n’ont
pas les capacités internes pour développer une éthique anticorruption. Une pensée de groupe
240
La première décision de la commission de sanction de l’AFA liste les griefs fait à l’entreprise S « [citant
l’AFA] ‘les illustrations retenues sont génériques et sans lien avec les risques spécifiques que seule une
cartographie réalisée selon une méthodologie pertinente aurait permis de révéler’ […] En effet si S semble avoir
développé postérieurement au contrôle, une procédure d’évaluation de tous les tiers, les éléments transmis
indiquent que le déploiement de celle-ci n’est pas encore effectif en septembre 2018 » (Agence française
anticorruption, 2019).
319
qui bloque les éthiques individuelles est signalée dans plus des deux tiers des interviews
241
.
Pour progresser, les organisations sont conduites à intégrer des compétences externes. Ce qui
touche trois fonctions de la chaîne de valeur
242
:
- les achats (par extension les ressources humaines) et l’éventualité qu’un acheteur de
l’organisation soit corrompu,
- les ventes : l’éventualité d’un client corrompu et de vendeurs complice.
- tout autre tiers, dont les intermédiaires, qui peuvent être corrompus, corrupteurs ou les deux.
Il faut alors intégrer des personnels ayant une double compétence corruption-chaîne de valeur
en espérant, par une pratique acquise préalablement, qu’ils ne seront pas repris par la pensée de
groupe. Ce dernier résultat apparait dans plusieurs des interviews. Une expérience
préalablement acquise permet de comprendre l’environnement sans exposer à un
environnement nouveau.
Mise en perspective
La décision, pour l’étude qualitative, de sélectionner des personnes combinant expertise de la
corruption et expertise du décisionnel des organisations crée un biais de sélection. Elle peut lui
être reprochée de favoriser des solutions correspondant au profil des interviewés. Cette
sélection est assumée. Elle est la conséquence de la vision entreprise
243
de cette thèse.
Ce choix a permis un tri des variables de l’environnement, comme pour la question non résolue
de la mesure de la corruption. Pour une organisation, sa capacité à anticiper et à prévenir est
plus importante que de connaitre les données macroéconomiques de la corruption.
241
Quelques interviews indiquent que seules les organisations qui ont connu un cas de corruption interne et
traumatisant (par exemple la condamnation d’une personnalité reconnue) développent leur expertise. Pour les
autres, y compris celles qui ont été condamnées, le cas général est que rien ne change. La faiblesse des sanctions
joue probablement un rôle. Mais le nombre significatif de récidives, y compris après un changement de direction
générale et exécutive, indiquerait la permanence d’une culture organisationnelle corrompue.
242
Ce n’est pas le cas de toutes les atteintes à l’éthique. Les atteintes non-économiques, comme le harcèlement,
peuvent ne pas être liées à la chaîne de décision.
243
En notant que les personnes interrogées travaillent pour différents types d’organisations (entreprises privées et
publique, agences de l’État, institutions supranationales, associations).
320
Il en est de même de la question de l’initiateur qui se transforme en corruption d’origine interne
ou externe. Sachant que l’environnement est toujours corrompu, et qu’une corruption, externe
à l’origine, devient interne si l’organisation cède.
Il en est enfin de la profitabilité de la corruption. Une organisation, sauf cas exceptionnel, ne
peut baser sa position éthique sur l’a priori d’une absence de profitabilité. D’une part tout
indique que la corruption est généralement profitable. D’autre part l’absence de poursuite, les
peines négociées et la protection des corrompus sont anticipées par les organisations. La raison
– autre vertu – des autorités judiciaires leur fera choisir un moindre mal pour qu’une
condamnation de l’organisation n’ait pas de conséquence plus grave pour les autres les parties
prenantes : employés, actionnaires, clients, fournisseurs, etc. Les organisations délèguent la
gestion de ce risque en dehors de leur cœur de décision. Une accusation ou une enquête pour
corruption sera traitée comme un aléa exceptionnel à faible impact
244
.
La question se pose alors de l’intérêt pour une organisation de lutter contre la corruption. La
réponse est morale – comme l’économie est née de la philosophie morale : la compréhension
par une organisation qu’elle fait partie de la cité ; que le gage d’une activité libre et vertueuse
est la liberté et la vertu de chacun des éléments qui la constitue. Un environnement vertueux est
une condition de l’activité économique. L’opposé est la corruption.
Cela est difficilement discernable par une organisation isolée. Mendelski (2016) attribue au
renforcement de la cohésion nationale la baisse de la corruption
245
dans les républiques baltes.
Ce sentiment est renforcé par la désignation d’un ennemi commun, l’ancien occupant russe
encore présent dans ses trois pays par de fortes minorités. Selon Mendelski, l’effet induit est
une prise de conscience de la responsabilité de chacun, citoyens et organisations. La montée du
courage civique face à l’adversité. Une solution, sans doute non généralisable, en dehors du
champ d’étude de cette thèse.
244
Un risque réputationnel peut se greffer sur des accusations de corruption. Ce risque peut être très supérieur. Il
ne peut toutefois être corrélé au risque corruptif. La motivation des accusateurs doit être considérée en raison de
la multiplication des fausses accusations. Rien n’indique qu’un renforcement du risque corruptif par le risque
réputationnel crée un effet préventif.
245
Dans ce cas particulier, Mendelski apporte la démonstration que la baisse de la corruption est si forte que les
indicateurs macroéconomiques permettent une mesure.
321
Limites de cette thèse
Comment traiter de la corruption en ne considérant que l’organisation et ses équipes ?
Mendelski propose ici un modèle efficace mais extérieur à l’organisation. La tentation
d’expliquer la corruption dans son ensemble nait de notre besoin de créer des paradigmes qui
complètent ce que nous ne pouvons percevoir, permettent une explication puis une prise de
décision. Ainsi il a été nécessaire de considérer l’ensemble des processus corruptifs avant de ne
conserver que ce qui correspondait à la question de recherche. Un champ trop large, ce qui
serait une « panacée anticorruption » est chimérique. Mais quelques regrets ne doivent pas être
écartés.
Les efforts anticorruption des démocraties, de leurs élus, des institutions nationales et
internationales correspondent à l’attente des populations. Cette thèse a écarté les solutions
législatives ou règlementaires car elles ne sont pas actionnables par une organisation. Mais la
littérature et les interviews les avaient déjà éliminées par leur manque d’efficacité. En Europe
cette conclusion du projet Anticorrp est difficile à accepter. La dénonciation aux États-Unis
d’une corruption encouragée par un effet pervers – mais sans doute éthiquement responsable –
de la loi est une nouvelle illustration de la complexité des solutions éthiques. Que cela soit
connu depuis Thomas d’Aquin ou Machiavel, ne change rien à l’insatisfaction qui en résulte. Il
semble qu’il ne faille pas, sur le critère seul d’une absence actuelle d’efficacité, éliminer cet
axe de recherche. Ce serait désespérer de la capacité des démocraties à résoudre ce problème.
De quels outils, hors la loi, disposons-nous ?
Le deuxième regret est la faiblesse de l’éducation – au sens de l’apprentissage des vertus – tel
que décrit il y a deux mille cinq cents ans par Confucius et Aristote. Il existe des situations où
la meilleure solution éthique est de corrompre. Mais le cas général est celui du décideur qui,
par intérêt personnel ou parce qu’il cède à la pensée de groupe, choisit la corruption. Les travaux
de Linda Treviño sur les relations entre pommes et tonneaux et ceux sur un moindre courage
civique préexistant chez les étudiants qui choisissent les filières de management et gestion,
questionnent.
Il n’est pas du ressort d’une organisation d’éduquer ses collaborateurs ; elle intervient trop tard.
Comment alors détecter ces profils avant leur recrutement, en pensant en particulier à ses
environnements systémiquement et systématiquement corrompus ? Comment dans les
322
kleptocraties recruter des personnels de direction alors que leur progression professionnelle
implique leur participation à la corruption ?
Plusieurs interviews, notamment au Japon et en Corée du Sud montrent que le développement
d’une filiale chinoise, sur ce critère de recrutement, est impossible. La situation est tout aussi
critique dans les anciennes républiques socialistes où de nombreux interlocuteurs du B2G sont
efficaces du fait leur appartenance aux réseaux d’avant la chute du mur de Berlin.
Le troisième point n’est pas un regret mais une remarque quant à la nécessité de l’intervention
des États. Plus l’environnement est contingent, plus la corruption ressemble à une guerre de
course. Des lignes de défense, même massives, sont couteuses et inefficaces. Le parallèle avec
la cyber stratégie – autre guerre de course – impose une stratégie de milieu où la masse de
l’adversaire (la prévalence de la corruption) est moins importante que sa capacité à frapper
ponctuellement et profondément. Les organisations sont aussi démunies en matière cyber qu’en
ce qui concerne la corruption. Les guerres de course corruption et cyber voient une
sanctuarisation du terrain de certains adversaires. La protection des corrompus et des cyber-
flibustiers
246
dans de nombreux pays n’est pas autre chose. Sans sous-estimer leur
responsabilité, seules les organisations des pays démocratiques sont soumises à des obligations
anticorruption. Elles sont seules poursuivies. Les guerres de course sont des guerres de
coercition. Rien ne peut remplacer l’intervention de l’État contre ces pays de flibuste (Memheld
& Labic, 2021). Prévenir et anticiper la corruption en passe aussi par là.
Perspectives et approfondissements
A la complexité de la corruption correspond la question de l’économie de moyen. L’intelligence
économique nous apprend qu’il faut limiter l’analyse au minimum d’information nécessaire à
la prise de décision. Elle permet de développer des routines cognitives pertinentes, de maintenir
la veille sur ce qui est contingent. Pendant la rédaction de cette thèse, deux projets de recherche
séparés ont permis d’identifier de nouvelles données. En collaboration avec d’autres
246
Tant en matière de corruption que de cybercriminalité, la protection par ces États – qui ne sont pas tous les plus
corrompus - varie entre le laisser-faire et une protection assumée assimilable à une lettre de marque. La prise de
conscience en matière cyber s’est faite suite aux attaques, notamment de hackers russes, dès les années 1900. Pour
la corruption, la protection que certains État offrent aux corrompus et à leurs intermédiaires (réseaux de
blanchiment) n’est pas de l’indifférence ou de l’incompétence. La corruption est aussi un outil de souveraineté.
323
laboratoires, une exploration des dossiers de condamnation pour corruption en Europe et aux
États-Unis est prévue. L’interview de certaines des personnes écartées, car trop impliquées, est
envisagé. Ces deux sources peuvent-elles permettre d’anticiper des schémas corruptifs :
construction du langage, concepts utilisés ? L’objectif est d’affiner la carte heuristique, les
Linchpins et les hypothèses concurrentielles grâce à une nouvelle itération.
Un troisième ensemble de données, celui des appels d’offre émis par les États de l’UE, est en
phase d’évaluation. Peut-on identifier des biais rédactionnels favorisant un des concurrents ?
La méthodologie sera conservée : analyse factorielle des correspondances (AFC), analyse
qualitative des données (AQD) et base conceptuelle (condensée dans la carte heuristique de la
troisième partie). L’objectif est d’identifier d’autres Linchpins et d’autres hypothèses
concurrentielles pour gagner en efficacité dans la collecte et le traitement de l’information.
Les outils de l’analyse qualitative des données ne sont pas l’apanage de la recherche
académique. Lors de cette thèse, des contacts avec des entreprises, qui proposent à leurs clients
des outils proches, ont permis de mesurer leur efficacité dans de nombreux domaines. Mais
elles sont quasi-absentes dans l’analyse de la partie hostile de l’environnement. On les retrouve
en marketing, en analyse de la concurrence, dans les prédictions de l’environnement des
marchés (cours des matières premières, etc.).
Pourtant d’autres organisations y font appel aux fins de lutte antiterroriste, lors d’enquêtes
criminelles et plus largement pour le renseignement intérieur et extérieur. Il ne s’agit pas que
de collecte et de traitement de l’information. Mais remis dans la perspective d’une organisation
et de sa chaîne de valeur, ces outils permettent d’identifier les approches les plus pertinentes et
d’anticiper les évolutions à venir.
L’axe créativité, science et innovation du Bureau d’économie théorique et appliqué (BETA-
SCI) qui m’a accueilli pendant cette thèse explore les processus de l’innovation.
Le 24 février 2022 le monde a changé. Pour certains la corruption n’est qu’une question de
criminalité en col blanc, où des voyous, individus corrompus, agissent dans leur seul intérêt. La
guerre d’agression contre l’Ukraine, est une nouvelle preuve que la corruption peut, comme le
pratique la Russie, être un outil de souveraineté. Le témoignage de 2019 Marie Yovanovitch
(voir p. 123) précède l’attaque de 2022.
324
Il n’est pas possible – il ne l’a jamais été – de considérer l’entreprise comme un objet flottant
dans un environnement plus ou moins favorable. Cela s’est concrétisé ces dernières années avec
les difficultés pour certaines entreprises à prendre en compte la responsabilité sociale de
l’entreprise ou le réchauffement climatique.
L’entreprise appartient à un environnement géostratégique. Les innovations technologiques,
pendant les deux guerres mondiales, tendent à en masquer d’autres. Les avancées réalisées
grâce à Herbert Simon en théorie des organisations influencent encore le management des
entreprises. Il défend sa thèse en 1946. Ses analyses du rôle de l’autorité ou des mécanismes de
prise de décision s’appuient sur les évolutions de l’armée des États-Unis pendant la deuxième
guerre mondiale (Simon, 1947).
Le monde d’après le 24 février 2022 est celui d’une nouvelle adaptation à une menace ancienne,
mais devenue pressante, contre nos démocraties. Leur défense passe la capacité des entreprises
à savoir s’adapter. Les changements seront nombreux : stratégie de développement, citoyenneté
de l’entreprise et courage civique, redécouverte de ce qu’est une économie de guerre.
Une entreprise innovante devra savoir considérer
les menaces comme sources d’innovation.
325
Bibliographie
Acciarini, C., Brunetta, F., & Boccardelli, P. (2020). Cognitive biases and decision-making
strategies in times of change: a systematic literature review. Management Decision, 59(3),
638–652. https://doi.org/10.1108/MD-07-2019-1006
Acharya, A., Roemer, J. E., & Somanathan, R. (2015). Caste, corruption and political
competition in India. Research in Economics, 69(3), 336–352.
https://doi.org/10.1016/j.rie.2015.02.001
Ado, I. (2022). L’entrepreneuriat dans les pays en développement: de l’entrepreneuriat
informel au processus de formalisation des entreprises informelles au Niger - thèse de
doctorat. Université de Clermont Auvergne.
Agator, M. (2021). État de l’art, la corruption vue par les sciences humaines et sociales. Paris:
Mission de recherche Droit et Justice, Agence française anticorruption.
Agence française anticorruption. (2019). Commission de sanction - Décision n°19-01. Paris.
Agence française anticorruption. (2020). Rapport annuel d’activité 2020. Paris.
Agence française anticorruption. (2021). Rapport d’activité 2021. Paris.
Agence française anticorruption. (2022). Tableau des infractions constituant les atteintes à la
probité. Paris.
Agence Française Anticorruption. (2021). Les vérifications anticorruption dans le cadre des
fusions-acquisitions, guide pratique 2021. Paris.
Alarcón, E. (2006). Thomas-Lexicon (Fundation Tomàs de Aquino, Ed.).
Alfani, G. (2021). Economic inequality in preindustrial times: Europe and beyond. Journal of
Economic Literature, 59(1), 3–44. https://doi.org/10.1257/JEL.20191449
Allen, R. C. (2019). Class structure and inequality during the industrial revolution: lessons from
England’s social tables, 1688–1867. Economic History Review, 72(1), 88–125.
https://doi.org/10.1111/EHR.12661
Alonso, M., Palma, N., & Simon-Yarza, B. (2022). The value of political connections: Evidence
from China’s anti-corruption campaign. Journal of Institutional Economics, 2021(558).
https://doi.org/10.1017/S1744137422000017
Anand, V., Ashforth, B. E., & Joshi, M. (2005). Business as usual: The acceptance and
perpetuation of corruption in organizations. Academy of Management Perspectives, 19(4),
9–23. https://doi.org/10.5465/ame.2005.19417904
326
André Perez, Y. (2008). La pratique de la recherche-intervention dans les organisations : retour
sur les modes de production des connaissances gestionnaires à partir du terrain.
Humanisme et Entreprise, 3, 101–113. https://doi.org/10.3917/hume.288.0101
Andrésy, A., & Yakoubovitch, I. (2014). Le président chinois Xi Jinping : un « prince rouge »
au pouvoir. Monde Chinois, 38–39(2), 6. https://doi.org/10.3917/mochi.038.0006
Anscombe, G. E. M. (1958). Modern moral philospohy. Philosophy, 33(124), 1–16.
Ansoff, I. (1975). Managing strategic surprise by response to weak signals. California
Management Review, 18(2), 21–33. https://doi.org/10.2307/41164635
Anticorrp. (2017). Anticorruption policies revisited. Retrieved December 6, 2022, from
https://anticorrp.eu
Apaza, C. R. (2009). Measuring Governance and Corruption through theWorldwide
Governance Indicators: Critiques, Responses, and Ongoing Scholarly Discussion.
Political Science and Politics, 42(1), 139–143.
https://doi.org/doi:10.1017/S1049096509090106
Aristote. (1966). De la génération et de la corruption (C. Muller, Trans.). Paris: Les Belles
Lettres.
Aristote. (2014). Éthique à Nicomaque (J. Tricot, Trans.). Les Echos du Maquis.
Ashforth, B. E., & Anand, V. (2003). The normalization of corruption in organizations.
Research in Organizational Behavior, 25, 1–52. https://doi.org/10.1016/S0191-
3085(03)25001-2
Ashforth, B. E., Gioia, D. A., Robinson, S. L., & Treviño, L. K. (2008). Re-viewing
organizational corruption. Academy of Management Review, 33(3), 670–684.
Aspen Institute. (2008). Where will they lead - MBA student attitudes about business & society.
New York: Aspen Institute Business and Society Program.
Assemblée Nationale. Loi Sapin 2 n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence,
à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. , (2016).
Assemblée Nationale. Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des
lanceurs d’alerte. , (2022).
Aucouturier, V. (2016). Anscombe, le savoir pratique ethique. Klesis, (35), 1–11.
Augustin d’Hippone. (401AD). Les Confessions (M. Moreau, Trans.). Le Bouveret, Suisse:
Abbaye Saint Benoît de Port-Valais.
Augustin d’Hippone. (426AD). La cité de Dieu (E.-E. Saisset, Trans.). Le Bouveret, Suisse:
Abbaye Saint Benoît de Port-Valais.
Auzet, J.-F., & Mortier, S. (2019). La chaîne de valeur des PME/PMI, cible des atteintes à la
327
sécurité économique. Revue de La Gendarmerie Nationale 1er Trimestre 2019, 81–87.
Avenier, M.-J. (2011). Les paradigmes épistémologiques constructivistes : post-modernisme ou
pragmatisme ? Management & Avenir, n° 43(3), 372–391.
https://doi.org/10.3917/mav.043.0372
Avenier, M.-J. (2017). Transformer son expérience en science avec conscience : la rigueur
scientifique dans différents cadres épistémologiques. In Business Science Institute. Le
projet de thèse de DBA (pp. 29–67). https://doi.org/10.3917/ems.beaul.2017.01.0029
Babiak, P., Neumann, C. S., & Hare, R. D. (2010). Corporate psychopathy: Talking the walk.
Behavioral Sciences & the Law, 28(2), 174–193. https://doi.org/10.1002/BSL.925
Bailly, A. (2021). Bailly dictionnaire Grec Francais. Retrieved from https://bailly.app/
Balducci, M. (2009). L’influence de administrative behavior de H. Simon sur l’étude des
organisations et sur la théorie du public choice. Revue Francaise d’Administration
Publique, 131(3), 541–554. https://doi.org/10.3917/rfap.131.0541
Bandura, A. (2002). Selective moral disengagement in the exercise of moral agency. Journal
of Moral Education, 31(2), 101–119. https://doi.org/10.1080/0305724022014322
Banerjee, A. V., & Pande, R. (2007). Parochial politics: Ethnic preferences and politician
corruption. SSRN Electronic Journal, (RWP07-031), 49.
https://doi.org/10.2139/ssrn.976548
Banque mondiale. (2022a). Données de la Banque mondiale. Retrieved August 16, 2022, from
https://donnees.banquemondiale.org/
Banque mondiale. (2022b). Worldwide Governance Indicators.
Banque mondiale, & Banque européenne pour la reconstruction et le développement. (2017).
Enterprise Survey Indicator description. Retrieved from
https://www.enterprisesurveys.org
Barabel, M. (2017). Henry Mintzberg, Les configurations organisationnelles. In Les Grands
Auteurs en Management (pp. 129–150). EMS Editions.
Bassiry, G. R., & Jones, M. (1993). Adam Smith and the ethics of contemporary capitalism.
Journal of Business Ethics, 12(8), 621–627. https://doi.org/10.1007/BF01845899
Basu, Karna, Basu, K., & Cordella, T. (2016). Asymmetric punishment as an instrument of
corruption control. Journal of Public Economic Theory, 18(6), 831–856.
https://doi.org/10.1111/jpet.12212
Basu, Kaushik. (2011). Why, for a certain class of bribes, the act of giving a bribe should be
considered legal. In Policy-Making for Indian Planning. Retrieved from
http://www.kaushikbasu.org/Act_Giving_Bribe_Legal.pdf
328
Bauhr, M. (2017). Anticorrp final report. Union européenne.
Bazela, M. (2013). The Relevance of Thomas Aquinas’ Moral Philosophy for Business
Management. Ethics EJournal, 6(106), 13. https://doi.org/10.2139/SSRN.2276509
BBC News. (2020, February 11). Coronavirus disease named Covid-19 - BBC News. Retrieved
from https://www.bbc.com/news/world-asia-china-51466362
Béja, J. (1995). Naissance d’un national-confucianisme ? Perspectives Chinoises, 30, 6–11.
https://doi.org/10.3406/perch.1995.1899
Belhoste, N. (2017, November 17). Lutter contre la corruption grâce à la société civile :
apprendre du cas indien. The Conversation, p. 5.
Benedictow, O. J. (2005). The black death: The greatest catastrophe ever. History Today, 55(3),
17. Retrieved from https://www.historytoday.com/archive/black-death-greatest-
catastrophe-ever
Benner, E. (2014). Machiavelli’s ironies: The language of praise and blame in the Prince. Social
Research, 81(1), 61–84. https://doi.org/10.1353/SOR.2014.0008
Bensimon, F., & Colantonio, L. (2014). La grande famine en Irlande. Presse Universitaire de
France.
Bentham, J. (1780). An introduction to the principles of morals and legislation. Retrieved from
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k93974k.texteImage#
Bentham, J. (1816). Chrestomathia - being a collection of papers explanatory of the design of
institution. London.
Berger, R., & Herstein, R. (2014). The evolution of business ethics in India. International
Journal of Social Economics, 41(11), 1073–1086. https://doi.org/10.1108/IJSE-05-2013-
0129
Bertossa, B., Liberati, E. B., Colombo, G., Dejemeppe, B., Real, B. G., Villarejo, C. J., &
Ruymbeke, R. Van. (1996, October 1). L’appel de Genève. p. 1.
Besson, B., Deschamps, C., Hasina, A., Benoit, A., Catherine, B., Marion, B., … Lauriane, V.
(2010). Le livre blanc - Méthodes d’analyse appliquées à l’intelligence économique.
Poitier: Institut de communication de l’Université de Poitiers.
Beyler, N. (2021, June 18). Ebrahim Raïssi, un juge sanguinaire en route vers la présidence.
Les Echos, p. 2.
Bhargava, R. (2012). How has secularism fared in India? In Politique et religions en Asie du
Sud : Le sécularisme dans tous ses états ? (pp. 47–67).
https://doi.org/10.4000/books.editionsehess.22271
Boccon-Gibod, T. (2020). De la corruption des régimes à la confusion des intérêts : pour une
329
histoire politique de la corruption. Revue Francaise d’Administration Publique, 175(3),
615–627. https://doi.org/10.3917/rfap.175.0615
Boddy, C. R. (2005). The implications of corporate psychopaths for business and society: An
initial examination and a call to arms. Australasian Journal of Business and Behavioural
Sciences, 1(2), 30–40.
Boddy, C. R. (2006). The dark side of management decisions: organisational psychopaths.
Management Decision, 44(10), 1461–1475. https://doi.org/10.1108/MBE-09-2016-0047
Boddy, C. R. (2010). Corporate Psychopaths and organizational type. Journal of Public Affairs,
10(4), 300–312. https://doi.org/10.1002/pa.365
Boddy, C. R. (2011). Corporate Psychopaths, Bullying and Unfair Supervision in the
Workplace. Journal of Business Ethics, 100(3), 367–379. https://doi.org/10.1007/s10551-
010-0689-5
Boddy, C. R. (2017). Psychopathic Leadership A Case Study of a Corporate Psychopath CEO.
Journal of Business Ethics, 145(1), 141–156. https://doi.org/10.1007/s10551-015-2908-6
Boddy, C. R., Ladyshewsky, R., & Galvin, P. (2010). Leaders without ethics in global business:
corporate psychopaths. Journal of Public Affairs, 10(3), 121–138.
https://doi.org/10.1002/pa.352
Boddy, C. R., Sheehy, B., & Murphy, B. (2022). Business without conscience. In J. Marques
(Ed.), Business with a conscience, a research companion.
https://doi.org/10.4324/9781003139461-5
Bollaert, H. (2010). Beyond the dark side of executive psychology: Current research and new
directions. European Management Journal, 28(5), 362–376.
https://doi.org/10.1016/j.emj.2010.01.001
Bolt, J., & Zanden, J. L. van. (2020). Maddison project database, Maddison style estimates of
the evolution of the world economy. A new 2020 update. Retrieved December 14, 2021,
from https://www.rug.nl/ggdc/historicaldevelopment/maddison/releases/maddison-
project-database-2020
Bougon, F. (2017). Dans la tête de Xi Jinping. Actes Sud / Solin.
Bourdillon, Y. (2022, August 3). Iran : un an après son élection, le bilan accablant du président
Raïssi. Les Echos, p. 2.
Boursier, M.-E., & Feugère, W. (2021). Code de la compliance, annoté et commenté. Dalloz.
Boyd, J. R. (1976). Destruction and creation. U.S. Army Command and General Staff College.
Boyd, J. R. (1995). The Essence of Winning and Losing. Retrieved October 5, 2021, from 28
juin 1995 website: https://danford.net/boyd/
330
Boyer, J.-D. (2009). Adam Smith Problem ou problème des sciences sociales ? Détour par
l’anthropologie d’Adam Smith. Revue Française de Socio-Économie, 3(1), 37–53.
https://doi.org/10.3917/rfse.003.0037
Boyer, V., & Clot-goudard, R. (2021). Elizabeth Anscombe, philosophe radicale. La Vie Des
Idées, (février), 1–15. Retrieved from https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03150774
Bra - Swedish National Council for Crime Prevention. (2013). Reported corruption in Sweden
- struture, risk faktors and countermeasures.
Bra - Swedish National Council for Crime Prevention. (2021). Swedish crime survey 2021.
Brass, D. J., Butterfield, K. D., & Skaggs, B. C. (1998). Relationships and unethical behavior:
A social network perspective. The Academy of Management Review, 23(1), 14–31.
Brenet, J.-B. (2015). Averroès l’inquiétant. Les Belles Lettres.
Brenet, J.-B. (2019). Averroès, par Jean-Baptiste Brenet ; conférence Cordoba. Retrieved
December 7, 2022, from https://www.youtube.com/watch?v=iOijAOfUnVU
Brielmaier, C., & Friesl, M. (2022). The attention-based view : Review and conceptual
extension towards situated attention. International Journal of Management Reviews, Avant
publ(Juillet 2022), 1–31. https://doi.org/10.1111/ijmr.12306
Brown, A. D. (1997). Narcissism, Identity, and Legitimacy. The Academy of Management
Review, 22(3), 643–686. https://doi.org/10.2307/259409
Brown, M. E., Treviño, L. K., & Harrison, D. A. (2005). Ethical leadership: A social learning
perspective for construct development and testing. Organizational Behavior and Human
Decision Processes, 97(2), 117–134. https://doi.org/10.1016/j.obhdp.2005.03.002
Bulinge, F., & Moinet, N. (2013). L’intelligence économique : un concept, quatre courants.
Sécurité et Stratégie, 12(1), 56–64. https://doi.org/10.3917/sestr.012.0056
Bullough, O. (2018). The dark side of globalization. Journal of Democracy, 29(1), 25–38.
https://doi.org/10.1353/jod.2018.0002
Bundeskriminalamt. (2021). Korruption Bundeslagebild 2020. Retrieved from
https://www.bka.de
Bundeskriminalamt. (2022). Bundeslagebilder Korruption 2022. Retrieved from
https://www.bka.de
Bundestag. Gesetz zur Bekampfung der Korruption BGBl. I, S. 2038, Teil 1, Nr. 58. , (1997).
Burrell, G., & Morgan, G. (2017). Sociological paradigms and organisational analysis:
Elements of the sociology of corporate life. Burlington: Ashgate.
Butterlin, I. (2009). Les questions casuistiques de la Doctrine de la Vertu : la rationalité
kantienne à l’épreuve. In La Casuistique Classique. Genèse, formes, devenir (pp. 135–
331
146). Retrieved from https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-00633319
Capasso, S., Goel, R. K., & Saunoris, J. W. (2019). Is it the gums, teeth or the bite?
Effectiveness of dimensions of enforcement in curbing corruption. Economics of
Governance, 20(4), 329–369. https://doi.org/10.1007/s10101-019-00228-0
Caponecchia, C., Sun, A. Y. Z., & Wyatt, A. (2012). “Psychopaths” at work? Implications of
Lay Persons’ use of labels and behavioural criteria for psychopathy. Journal of Business
Ethics, 107(4), 399–408. https://doi.org/10.1007/s10551-011-1049-9
Carbonnier, J. (1976). Flexible Droit - Pour une sociologie du droit sans rigueur (10ème édit).
Paris: Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence.
Carbonnier, J. (1996). Droit et passion du droit sous la Vème République. Paris: Flammarion.
Champeyrache, C. (2019). La face cachée de l’économie - Néolibéralisme et criminalités.
https://doi.org/10.3917/puf.champ.2019.01
Charron, N. (2014). Do corruption measures have a perception problem? Assessing the
relationship between experiences and perceptions of corruption among citizens and
experts. European Political Science Review, 8(1), 147–171.
https://doi.org/10.1017/S1755773914000447
Chen, N., & Zhong, Z. Z. (2020). The economic impact of China ’ s anti-corruption campaign.
https://doi.org/10.2139/ssrn.2996009
Chen, S., Qiao, X., & Zhu, Z. (2021). Chasing or cheating? Theory and evidence on China’s
GDP manipulation. Journal of Economic Behavior and Organization, 189, 657–671.
https://doi.org/10.1016/j.jebo.2021.07.010
Chen, T., & Kung, J. K.-S. (2019). Busting the “princelings”: The Campaign against corruption
in China’s primary and land market. The Quarterly Journal of Economics, 134(1), 185–
226. https://doi.org/10.1093/qje/qjy027.Advance
Chen, X.-P., & Chen, C. C. (2004). On the Intricacies of the Chinese. Asia Pacific Journal of
Management, 21, 305–324.
Cheng, A. (1997). Histoire de la pensée chinoise. Paris: Editions du Seuil.
Cheng, A. (2020). La prétention chinoise à l’universalité. Esprit, (janvier février 2020).
Retrieved from https://esprit.presse.fr/article/anne-cheng/la-pretention-chinoise-a-l-
universalite-42507
Cheng, A. (2022). Chaire d’Histoire Intellectuelle de la Chine - Collège de France. Retrieved
March 22, 2022, from https://www.college-de-france.fr/site/anne-cheng/
Cheung, Y.-L., Rau, P. R., & Stouraitis, A. (2021). What determines the return to bribery?
Evidence from corruption cases worldwide. Management Science, 67(10), 6235–6265.
332
Retrieved from https://ssrn.com/abstract=3636647
Christensen, L. J., Mackey, A., & Whetten, D. (2014). Taking responsibility for corporate social
responsibility: The role of leaders in creating, implementing, sustaining, or avoiding
socially responsible firm behaviors. Academy of Management Perspectives, 28(2), 164–
178. https://doi.org/10.5465/amp.2012.0047
Code Civil. Chap. IV, art. 177 à 183, De la corruption des fonctionnaires publics. , (1810).
Code Pénal. 2ème partie , sec. 5, art. 9, Crimes des fonctionnaires publics dans l’exercice des
pouvoirs qui leur sont confiés. , (1791).
Cohendet, P., Mehouachi, C., & Simon, L. (2014). Connaissance et innovation. In Encyclopédie
de la stratégie (pp. 121–133).
Colnet, A. de. (2021). Compétition mondiale et intelligence économique: Grille d’analyse des
risques.
Commission européenne. (2022). L’opinion publique dans l’Union européenne, hiver 2021-
2022.
Confucius. (2022). Les Analectes - entretiens de Confucius (S. Couvreur, Trans.). Retrieved
from https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Entretiens_de_Confucius
Conseil de l’Europe. (2017). Recommandation CM/Rec(2014)7. Retrieved from
https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectID=09000016805c5ead
Constitution des Etats-Unis. Art. 1, Sec. 9, adoptée par la convention le 17 septembre 1787. ,
(1787).
Cordis, A. S., & Milyo, J. (2013). Do State Campaign Finance Reforms Reduce Public
Corruption? (No. Working Papers 1301). Retrieved from
https://economics.missouri.edu/working-papers/2013/wp1301_milyo.pdf
Cosans, C. E., & Reina, C. S. (2018). The Leadership Ethics of Machiavelli’s Prince. Business
Ethics Quarterly, 28(3), 275–300. https://doi.org/10.1017/BEQ.2017.13
Courtois, S., & al. (1997). Le livre noir du communisme - Crimes, terreur, répression. Robert
Laffont.
Coussi, O., & Moinet, N. (2019). Extension du domaine de la prédation. Revue Française de
Gestion, 8(285), 211–227. https://doi.org/10.3166/rfg.2019.00406
Covello, V. T., & Mumpower, J. (1985). Risk Analysis and Risk Management: An Historical
Perspective. Risk Analysis, 5(2), 103–120. https://doi.org/10.1111/J.1539-
6924.1985.TB00159.X
Cyert, R. M., & March, J. G. (1963). A behavioral theory of the firm (Cambridge Massachusetts,
Ed.). Blackwell Publisher.
333
Dal Bo, E., Dal Bo, P., & Tella, R. Di. (2006). “Plata o Plomo?”: Bribe and Punishment in a
Theory of Political Influence. American Political Science Review, 100(1), 41–53.
David-Barrett, E., Yakis-Douglas, B., Moss-Cowan, A., & Nguyen, Y. (2017). A bitter pill?
Institutional corruption and the challenge of antibribery compliance in the pharmaceutical
sector. Journal of Management Inquiry, 1(11), 22.
https://doi.org/10.1177/1056492617696885
de Blic, D., & Lemieux, C. (2005). Le scandale comme épreuve. In Politix (Vol. 71).
https://doi.org/10.3917/pox.071.0009
De Klerk, J. J. (2017). “The devil made me do it!” An inquiry into the unconscious “devils
within” of rationalized corruption. Journal of Management Inquiry, 26(3), 16.
https://doi.org/10.1177/1056492617692101
de Libera, A. (2001). Psychologie et éthique. In Que sais-je ? La Philosophie Médiévale (pp.
98–124). Retrieved from https://www.cairn.info/la-philosophie-medievale--
9782130515807-p-98.htm
DeBlasi, A. (2015). Selling Confucius: The Negotiated Return of Tradition in Post-Socialist
China. In Albany (Ed.), The Sage Returns: Confucian Revival in Contemporary China.
(pp. 67–92). State University of New York.
Dehaene, S. (2012). Le cerveau statisticien : la révolution Bayésienne en sciences cognitives.
Chaire de Psychologie Cognitive Expérimentale. Retrieved from https://www.college-de-
france.fr/site/stanislas-dehaene/course-2011-2012.htm
Dhami, M. K., Belton, I. K., & Mandel, D. R. (2019). The “analysis of competing hypotheses”
in intelligence analysis. Applied Cognitive Psychology, 33(6), 1080–1090.
https://doi.org/10.1002/acp.3550
Diamond, J. (2005). Guns, Germs and Steel – The Fates of Human Societies. W. W. Norton &
Company.
Dickens, C. (1854). Hard times: for these times. Bradbury & Evans.
Doh, J. P., Rodriguez, P., Uhlenbruck, K., Collins, J., & Eden, L. (2003). Coping with
corruption in foreign markets. Academy of Management Executive, 17(3), 114–127.
Donaldson, L. (2008). The Conflict Between Contingency and Institutional Theories of
Organizational Design. In Designing organizations - 21st century approaches (pp. 3–20).
Springer Science+Business.
Dougherty, C. (2007, February 15). Germany battling rising tide of corporate corruption. New
York Times, p. 3.
Dreher, A., & Gassebner, M. (2013). Greasing the wheels? The impact of regulations and
334
corruption on firm entry. Public Choice, 155, 413–432. https://doi.org/10.1007/s11127-
011-9871-2
Dreher, A., Kotsogiannis, C., & McCorriston, S. (2007). Corruption around the world: Evidence
from a structural model. Journal of Comparative Economics, 35(3), 443–466.
https://doi.org/10.1016/j.jce.2007.07.001
Duchon, D., & Drake, B. (2009). Organizational narcissism and virtuous behavior. Journal of
Business Ethics, 85(3), 301–308. https://doi.org/10.1007/s10551-008-9771-7
Duco, M. (2022). Digeste. Retrieved May 31, 2022, from Encyclopædia Universalis website:
https://www.universalis.fr/encyclopedie/digeste/
Dumont, L. (1981). La genèse chrétienne de l’individualisme moderne. Le Débat, 8(15), 124–
146. https://doi.org/10.3917/deba.015.0124
Dunning, D. (2011). The dunning-kruger effect. On being ignorant of one’s own ignorance.
Advances in Experimental Social Psychology, 44, 247–296. https://doi.org/10.1016/B978-
0-12-385522-0.00005-6
Dwivedi, D., & Mohan, S. (2020). Ce que l’hindouisme recouvre (B. Todaro & A. Delrez,
Trans.). Esprit, June(6), 123–133. https://doi.org/10.3917/espri.2006.0123
Easterby-Smith, M., Thorpe, R., & Jackson, P. R. (2015). Management and business research
(E). Londres: SAGE Publications, Inc.
Edwards, G., Hawkins, B., & Schedlitzki, D. (2019). Bringing the ugly back: A dialogic
exploration of ethics in leadership through an ethno-narrative re-reading of the Enron case.
Human Relations, 72(4), 733–754. https://doi.org/10.1177/0018726718773859
Eslin, J.-C. (2002). Saint Augustin, l’homme occidental. In Saint Augustin.
https://doi.org/10.3917/MICHA.ESLIN.2002.01
Fazekas, M., & Cingolani, L. (2016). Breaking the cycle? How (not) to use political finance
regulations to counter public procurement corruption. https://doi.org/DOI:
10.13140/RG.2.1.1420.2486
Fei, X. (1992). From the Soil: The Foundations of Chinese Society (G. G. Hamilton & W.
Zheng, Trans.). Berkeley: University of California Press.
Fernandez-Duque, D., Baird, J. A., & Posner, M. I. (2000). Executive Attention and
Metacognitive Regulation. Consciousness and Cognition, 9(2), 288–307.
https://doi.org/10.1006/ccog.2000.0447
Ferry, M. (2019, August). En inde, des attaques contre les minorités au nom de la vache sacrée.
Observatoire International Du Religieux, p. 6.
Fleischacker, S. (2004). On Adam Smith’s Wealth of nations : a philosophical companion.
335
Princeton University Press.
Frank, B., & Schulze, G. G. (2000). Does economics make citizens corrupt? Journal of
Economic Behavior and Organization. https://doi.org/10.1016/s0167-2681(00)00111-6
Furnham, A., Richards, S. C., & Paulhus, D. L. (2013). The Dark Triad of Personality: A
10Year Review. Social and Personality Psychology Compass, 7(3), 199–216.
https://doi.org/10.1111/spc3.12018
Gaffiot, F. (1934). Dictionnaire Gaffiot Latin-Français. Retrieved from
https://www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php
Gandillac, M. de, & Quillet, J. (2022). Guillaume d’Ockham. In Encyclopædia Universalis.
Garcia-Bernardo, J., Fichtner, J., Takes, F. W., & Heemskerk, E. M. (2017a). Uncovering
offshore financial centers: Conduits and sinks in the global corporate ownership network.
Scientific Reports, 7(1), 1–10. https://doi.org/10.1038/s41598-017-06322-9
Garcia-Bernardo, J., Fichtner, J., Takes, F. W., & Heemskerk, E. M. (2017b, November 7).
These five countries are conduits for the world ’ s biggest tax havens. The Conversation,
p. 4.
Gauvin, R., & Olivier, M. (2021). Rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi
n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la
corruption et à la modernisation de la vie économique, dite ’ loi Sapin 2 ’. Paris:
Assemblée Nationale.
Gavard-Perret, M. L., Gotteland, D., Haon, C., & Jolibert, A. (2012). Méthodologie de la
recherche en sciences de gestion Réussir son mémoire ou sa thèse. In Pearson France.
Gavetti, G., Greve, H. R., Levinthal, D. A., & Ocasio, W. (2012). The Behavioral theory of the
Firm: Assessment and Prospects. Academy of Management Annals, 6(1), 1–40.
https://doi.org/10.5465/19416520.2012.656841
Gavetti, G., Levinthal, D., & Ocasio, W. (2007). Neo-Carnegie: The Carnegie School’s past,
present, and reconstructing for the future. Organization Science, 18(3), 523–536.
https://doi.org/10.1287/orsc.1070.0277
Gayraud, J.-F. (2012, June 19). Intervention de Jean-François Gayraud. Commission Spéciale
Du Parlement Européen Sur « la Criminalité Organisée, La Corruption et Le Blanchiment
de Capitaux », pp. 1–6.
GCB - Transparency International. (2020). Global corruption barometer 10th edition Asia 2020.
In Global Corruption Barometer.
GCB - Transparency International. (2021a). Questionnaire Pacifique.
GCB - Transparency International. (2021b). Questionnaire Union européenne. Retrieved from
336
https://www.transparency.org/en/gcb/eu/european-union-2021/press-and-downloads
GCB - Transparency International. (2022). Global Corruption Barometer (GCB). Retrieved
March 29, 2022, from https://www.transparency.org/en/gcb
Gentillet, I. (1576). Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un
royaume ou autre principauté ... contre Nicolas Machiavel,... Retrieved from
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6434705q
Gifford, J., Green, M., Barends, E., Janssen, B., Capezio, A., & Ngo, N. P. (2019). Rotten
apples, bad barrels and sticky situations: an evidence review of unethical workplace
behaviour. In Research Report. London: Chartered Institute of Personnel and
Development.
Gilson, E. (1919). Le Thomisme - introduction au système de Saint Thomas D’Aquin. Paris:
Vrin.
Gioia, D. A. (2002). Business education’s role in the crisis of corporate confidence. Academy
of Management Executive, 16(3), 142–144. https://doi.org/10.5465/AME.2002.8540396
Glasersfeld, E. von. (2001). The radical constructivist view of science. Foundations of Science,
6, 31–43.
Global anticorruption summit. (2022, April 8). Loi Sapin 2, avec Charles Duchaine, Vincent
Filhol, Philippe Coen. Retrieved December 7, 2022, from Global anticorruption summit
website: https://www.youtube.com/watch?v=CrzihG2xpUg&t=12s
Global Compliance News. (2023). Global overview of anti-corruption laws. Retrieved July 26,
2023, from https://globalcompliancenews.com/anti-corruption/anti-corruption-laws-
around-the-world/
Global Risk Profile. (2019). Global Risk Profile - Risk Indexes,. Retrieved April 22, 2020, from
https://risk-indexes.com
Global Risk Profile. (2022). Indices de risques. Retrieved November 10, 2020, from https://risk-
indexes.com/?lang=fr
Gonin, M. (2014). Adam Smith’s Contribution to Business Ethics, Then and Now. Journal of
Business Ethics, 129(1), 221–236. https://doi.org/10.1007/S10551-014-2153-4
Gonin, M., Palazzo, G., & Hoffrage, U. (2012). Neither bad apple nor bad barrel: How the
societal context impacts unethical behavior in organizations. Business Ethics, 21(1), 31–
46. https://doi.org/10.1111/J.1467-8608.2011.01643.X
Graham, B., & Stroup, C. (2016). Does anti-bribery enforcement deter foreign investment?
Applied Economics Letters, 23(1), 63–67.
https://doi.org/10.1080/13504851.2015.1049333
337
Guasti, P., & Dobovsek, B. (2011). Informal Institutions and EU Accession : Corruption and
Clientelism in Central and Eastern Europe 12. ECPR General Conference in Reykjavik,
(August), 1–22. Reykjavik.
Guba, E. G., & Lincoln, Y. S. (1989). Fourth generation evaluation (SAGE Publications, Ed.).
Londres: SAGE Publications, Inc.
Gude, H., Hawranek, D., Traufetter, G., & Wüst, C. (2015, November 6). The German
government’s role in the VW scandal. Spiegel International, p. 14.
Guillermard, V. (2020, February 5). Corruption : les leçons de l’affaire Airbus. Le Figaro, p. 3.
Gulzar, S., Rueda, M. R., & Ruiz, N. A. (2021). Do Campaign Contribution Limits Curb the
Influence of Money in Politics? American Journal of Political Science, (Février), 1–15.
https://doi.org/10.1111/ajps.12596
Haas, M. R., Criscuolo, P., & George, G. (2015). Which problems to solve? Online knowledge
sharing and attention allocation in organizations. Academy of Management Journal, 58(3),
680–711. https://doi.org/10.5465/amj.2013.0263
Hanley, R. P. (2009). Adam Smith and the character of virtue. Cambridge University Press.
Hannan, M. T., & Freeman, J. (1977). The Population Ecology of Organizations. American
Journal of Sociology, 82(5), 929–964.
Harrison, A., Summers, J., & Mennecke, B. (2018). The effects of the dark triad on unethical
behavior. Journal of Business Ethics, 153(1), 53–77. https://doi.org/10.1007/s10551-016-
3368-3
Harvard law review. (2003). The good, the bad and their corporate codes of ethics: Enron,
Sarbanes-Oxley, and the problems with legislating good behavior. Harvard Law Review,
116(7), 2123–2141.
Heaton, D., Carlisle, T., & Brown, I. (2003). A human resource development program to foster
individual moral development in indian corporations: Aligning corporate governance with
natural law. In John B. Kidd & F.-J. Richter (Eds.), Corruption and Governance in Asia.
(pp. 198–209). https://doi.org/10.1057/9780230503540_11
Heilmann, S. (2008). Die Volksrepublik China als lernendes autoritäres System. China
Analysis, 63(Juli 2008), 8. Retrieved from http://www.chinapolitik.de/files/no_63.pdf
Heilmann, S. (2013). Chinas fragiles Zentralnervensystem : Die KP als Organismus neuen
Typs. China Analysis, 101(Jan-Feb 2013), 117–123.
Heilmann, S., & Perry, E. J. (2011). Embracing uncertainty : Guerrilla policy style and adaptive
governance in China. In Mao’s Invisible Hand (Sebastian, pp. 1–29).
Heilmann, S., & Stepan, M. (2016). China’s core executive - Leadership styles, structures and
338
processes under Xi Jinping. In Merics Papers on China.
Herrmann-Pillath, C. (2016). Fei Xiaotong’s comparative theory of Chinese culture: Its
relevance for contemporary cross-disciplinary research on Chinese “Collectivism.”
Copenhagen Journal of Asian Studies, 34(1), 25–57.
https://doi.org/10.22439/cjas.v34i1.5187
Hess, D., & Dunfee, T. W. (2000). Fighting Corruption: A Principled Approach: The C
Principles (Combating Corruption). Cornell International Law Journal, 33(3), 594–626.
Heuer, R. J. (1999). Psychology of intelligence analysis (Central Intelligence Agency, Ed.).
Center for the study of intelligence.
Heuer, R. J. (2005). How does analysis of competing hypotheses ( ACH ) improve intelligence
analysis ? October, 1–11.
Hill, L. (2006). Adam Smith and the theme of corruption. Review of Politics, 68(4), 636–662.
https://doi.org/10.1017/S0034670506000210
Ho, C., & Redfern, K. A. (2010). Consideration of the role of Guanxi in the ethical judgments
of Chinese managers. Journal of Business Ethics, 96(2), 207–221.
https://doi.org/10.1007/s10551-010-0459-4
Holz, C. A. (2014). The quality of China’s GDP statistics. China Economic Review, 30(June
2012), 309–338. https://doi.org/10.1016/j.chieco.2014.06.009
Hosseini, S. H. (2003). Internationalisation du droit pénal en Iran : le cas de la corruption.
Archives de Politique Criminelle, n° 25(1), 213–236.
https://doi.org/10.3917/apc.025.0213
Hulpke, J. F. (2017). If all else fails, a corporate death penalty? Journal of Management Inquiry,
26(4), 433–439. https://doi.org/10.1177/1056492617706545
Hwang, D. B., Golemon, P. L., Chen, Y., Wang, T. S., & Hung, W. S. (2009). Guanxi and
business ethics in confucian society today: An empirical case study in Taiwan. Journal of
Business Ethics, 89(2), 235–250. https://doi.org/10.1007/s10551-008-9996-5
Iorio, R., & Segnana, M. L. (2022). Is paying bribes worthwhile? Corruption and innovation in
middle-income countries. Eurasian Business Review, 30. https://doi.org/10.1007/s40821-
022-00205-4
Jäckle, S., & Bauschke, R. (2009). Lässt sich Reformfähigkeit messen? Eine kritische
Würdigung der Sustainable Governance Indicators. Zeitschrift Für Politikwissenschaft,
19(3), 359–386. https://doi.org/10.5771/1430-6387-2009-3-359
Jacobs, J. B. (1982). The concept of “Guanxi” and local politics in a rural chinese cultural
setting. In Social interaction in Chinese society (pp. 209–236). New York: Praeger.
339
Jaffrelot, C. (2018a). Le capitalisme de connivence en Inde sous Narendra Modi. Les Etudes
Du CERI, 237(septembre 2018), 47.
Jaffrelot, C. (2018b). Narendra Modi ou la variante hindou du national-populisme. Outre-Terre,
54–55(1), 42–48. https://doi.org/10.3917/oute2.054.0042
Jaffrelot, C. (2018c, August 12). Hindu Rashtra, de facto it is at once a society, civilisation,
nation - and state.
Janis, I. L. (1972). Victims of groupthink: A psychological study of foreign-policy decisions and
fiascoes. Boston: Houghton Mifflin.
Janis, I. L. (1973). Groupthink and group dynamics: A social psychological analysis of
defective policy decisions. Policy Studies Journal, 2(1), 19–25.
https://doi.org/10.1111/j.1541-0072.1973.tb00117.x
Japon - code civil. Loi 45 Japon 1907. , (1907).
Jayal, N. G., & Lama-Rewal, S. T. (2014). Le mouvement contre la corruption. Un printemps
de la société civile indienne ? Mouvements, 77(1), 89.
https://doi.org/10.3917/mouv.077.0089
Jevons, W. S. (1865). The Coal Question, Londres, Macmillan and Co., 1865. Londres:
Macmillan & Co.
Jones, D. N., & Hare, R. D. (2016). The Mismeasure of Psychopathy: A Commentary on
Boddy’s PM-MRV. Journal of Business Ethics, 138(3), 579–588.
https://doi.org/10.1007/s10551-015-2584-6
Joseph, J., & Ocasio, W. (2012). Architecture, attention, and adaptation in the multibusiness
firm: General electric from 1951 to 2001. Strategic Management Journal, 33(6), 633–660.
https://doi.org/10.1002/smj.1971
Kato, A., & Sato, T. (2014). Greasing the wheels ? The effect of corruption in regulated
manufacturing sectors of India (No. DP2014-07).
https://doi.org/10.1080/02255189.2015.1026312
Kaufmann, D., Kraay, A., & Mastruzzi, M. (2010). The worldwide governance indicators:
Methodology and analytical issues. In Policy Research Working Paper (No. 5430).
https://doi.org/10.1017/S1876404511200046
Kaufmann, N. (1899). La finalité dans l’ordre moral. Étude sur la téléologie dans l’éthique et
la politique d’Aristote et de saint Thomas d’Aquin. Revue Philosophique de Louvain,
6(23), 280–299. https://doi.org/10.3406/PHLOU.1899.1664
Kennedy, G. (2011). Adam smith and the role of the metaphor of an invisible hand. Economic
Affairs, 31(1), 53–57. https://doi.org/10.1111/J.1468-0270.2010.02048.X
340
Kish-Gephart, J. J., Detert, J. R., Treviño, L. K., & Edmondson, A. C. (2009). Silenced by fear:
The nature, sources, and consequences of fear at work. Research in Organizational
Behavior, 29, 163–193. https://doi.org/10.1016/J.RIOB.2009.07.002
Kish-Gephart, J. J., Harrison, D. A., & Treviño, L. K. (2010). Bad apples, bad cases, and bad
barrels: Meta-analytic evidence about sources of unethical decisions at work. Journal of
Applied Psychology, 95(1), 39–46. https://doi.org/10.1037/a0017103
Kline, S. J., & Rosenberg, N. (1986). An Overview on Innovation. In The Positive Sum Strategy
(pp. 275–306). Washington DC Etats-Unis: National Academy Press.
Koch-Weser, I. N. (2013). The reliability of China’s economic data: An analysis of national
output. In US-China Economic and Security Review Commission Staff Research Project.
Koch, R. (2005). The foreign corrupt practices act : It’s time to cut back the grease and add
some guidance. Boston College International and Comparative Law Review, 28(2), 379–
403.
Koehn, D., Kaufmann, D., Kraay, A., Mastruzzi, M., & Louis, G. (2013). East meets west:
Toward a universal ethic of virtue for global business. Journal of Business Ethics, 116,
703–715. https://doi.org/10.1007/s10551-013-1816-x
Kulik, B. W., O’Fallon, M. J., & Salimath, M. S. (2008). Do competitive environments lead to
the rise and spread of unethical behavior? Parallels from Enron. Journal of Business
Ethics, 83(4), 703–723. https://doi.org/10.1007/s10551-007-9659-y
L214. (2022). Site web de L214. Retrieved from https://www.l214.com
Labic, P. (2021). Anticiper la corruption. Les entreprises face aux environnements corruptifs -
trois études de cas. Sécurité Globale, 3(27), 33–46.
https://doi.org/https://doi.org/10.3917/secug.213.0033
Labic, P., & Memheld, P. (2019). Permettre le développement de l’entreprise dans un
environnement corruptif : les cas de la Chine et de l’Inde. Annales Des Mines - Gérer et
Comprendre, 135(Mars 2019), 13–27. https://doi.org/10.3917/geco1.135.0013
Lambsdorff, J. G. (2004). Background Paper to the 2002 Corruption Perceptions Index.
Retrieved from http://www.icgg.org/downloads/FD_CPI_2004.pdf
Laméris, M. D., Méon, P.-G., & van Prooijen, A. M. (2022). What have we done?! The impact
of economics on the beliefs and values of business students. In Journal of Business
Economics. https://doi.org/10.1007/s11573-022-01114-8
Lamptey, E. K., & Singh, R. P. (2018). Fraud risk management over financial reporting: A
contingency theory perspective. Journal of Leadership, Accountability and Ethics, 15(4),
66–75. https://doi.org/10.33423/jlae.v15i4.171
341
Larochelle, G. (2013). Le Québec sous l’emprise de la corruption. Cités, 53(1), 159–164.
https://doi.org/10.3917/cite.053.0159
Larousse. (2022). Larousse dictionnaire de Français. Retrieved from
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-monolingue
Lawrence, P. R., & Lorsch, J. W. (1967a). Differentiation and Integration in Complex
Organizations. Administrative Science Quarterly, 12(1). https://doi.org/10.2307/2391211
Lawrence, P. R., & Lorsch, J. W. (1967b). Managing Differentiation and Integration.
Organization and Environment, pp. 185–245.
Lebraty, J.-F., Lobre-Lebraty, K., & Trébucq, S. (2018). Logiciels et analyse de données
qualitatives. In Les méthodes de recherche du DBA (pp. 283–305).
https://doi.org/10.3917/ems.cheva.2018.01.0283
Lehne, J., Shapiro, J. N., Eynde, O. Vanden, Jonathan Lehne, Shapiro, J. N., & Eynde, O.
Vanden. (2018). Building connections: Political corruption and road construction in India.
Journal of Development Economics, 131(March 2018), 62–78. Retrieved from
https://doi.org/10.1016/j.jdeveco.2017.10.009
Lehner, P. E., Adelman, L., Cheikes, B. A., & Brown, M. J. (2008). Confirmation bias in
complex analyses. IEEE Transactions on Systems, Man, and Cybernetics Part A:Systems
and Humans, 38(3), 584–592. https://doi.org/10.1109/TSMCA.2008.918634
Lelièvre, M. (1868). John Wesley sa vie et son oeuvre. Paris: Librairie Evangélique.
León, L. A. D. de, & Ochoa, J. A. (2014). Analyzing organized crime from a business
perspective : the case of mexican meth mafia. International Journal of Asian Social
Science, 4(9), 977–990.
Leon XIII. (1891). Rerum novarum. Retrieved from https://www.vatican.va/content/leo-
xiii/fr/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum.html
Leplâtre, S. (2022, March 8). Un homme d’affaires chinois raconte l’art de corrompre au pays
des « princes rouges ». Le Monde, pp. 8–10.
Lesné, F. (2017). Measuring corruption in business surveys : current practice and perspectives.
Université Clermont Auvergne.
Lew, R. (1987). Rubel et la question de l’éthique chez Marx. L’Homme et La Société, 84(2),
55–69. https://doi.org/10.3406/HOMSO.1987.3258
Lindblom, C. E. (1959). The science of “muddling through.” Public Administration Review,
19(2), 79–88.
Littré, É. (2018). Le Littré Dictionnaire de la langue française (XMLittré v2). Retrieved from
https://www.littre.org/
342
Liu, P. (2012). Analyse réseaux dans une perspective interculturelle : le Guanxi en Chine
(Université de Toulon). Retrieved from https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01249382
Longenecker, J. G., & Pringle, C. D. (1978). The illusion of contingency theory as a general
theory. Academy of Management Review, 3(3), 679–683.
https://doi.org/10.5465/amr.1978.4305970
Lorsch, J. W. (2013). Contingency theory of leadership. In E. H. Kessler (Ed.), Encyclopedia
of Management Theory (pp. 144–148). SAGE Publications, Inc.
Louis, G. (2007). De l’opacité à la transparence: Les limites de l’indice de perceptions de la
corruption de transparency international. Deviance et Societe, 31(1), 41–64.
https://doi.org/10.3917/ds.311.0041
Lund, D. S., & Sarin, N. (2021). Corporate crime and punishment: an empirical study. Texas
Law Review, 100(2), 285–352.
Luo, Y. (1997). Guanxi: Principles, philosophies, and implications. Human Systems
Management, 16(1), 43–51. https://doi.org/10.3233/hsm-1997-16106
Luthans, F., & Stewart, T. I. (1977). A general contingency theory of management. Academy
of Management Review, 2(2), 181–195. https://doi.org/10.5465/AMR.1977.4409038
Luthans, F., & Stewart, T. I. (1978). The reality or illusion of a general contingency theory of
management: A response to the Longenecker and Pringle critique. Academy of
Management Review, 3(3), 683–687. https://doi.org/10.5465/amr.1978.4306049
Luther, M. (1517). Dispute sur la puissance des indulgences. Retrieved December 13, 2021,
from https://fr.wikipedia.org/wiki/95_thèses
MacEachin, D. J. (1994). The tradecraft of analysis - Challenge and change in CIA’s
directorate of intelligence.
Machiavel, N. (1962). Les discours sur la première décade de Tite-Live. In J.-V. Périès (Trans.),
Le Prince et autres textes (p. 237). Retrieved from
http://classiques.uqac.ca/classiques/machiavel_nicolas/le_prince/le_prince.html
Magan, R. (2021, November 23). 1845-1854 La grande famine en Irlande. Retrieved December
7, 2022, from https://www.youtube.com/watch?v=Xgt-3fUh7TQ
Maillard, J. De. (2005, December 15). L’économie trafiquante, paradigme de la mondialisation.
Politique Revue Belge d’analyse et de Débat, p. 6.
Maillard, J. De. (2021, June 26). Vingt-cinq ans après l’appel de Genève, bilan contrasté,
menace avérée. Colloque 25 Ans Après l’appel de Genève, p. 7.
Maillard, J. De, & Grézaud, P.-X. (1998). Un monde sans loi. Paris: Stock.
Maison blanche. (2021, December 6). Fact sheet: U.S. strategy on countering corruption.
343
Communiqué de Presse, p. 4.
March, J. G., & Simon, H. A. (1958). Organizations. New York: John Wiley, & Sons.
Marquette, H. (2012). “Finding god” or “moral disengagement” in the fight against corruption
in developing countries? evidence from India and Nigeria. Public Administration and
Development, 32(1), 16. https://doi.org/10.1002/pad.1605
Martínez, L. R. (2022). How Much Should We Trust the Dictator’s GDP Growth Estimates?
Journal of Political Economy, 130(10), 2731–2769. https://doi.org/10.1086/720458
Martre, H. (1994). Intelligence économique et stratégie des entreprises.
https://doi.org/10.3917/i2d.172.0028
Mathis, C.-F. (2021). La Civilisation du charbon - En Angleterre, du règne de Victoria à la
Seconde Guerre mondiale. Paris: Vendémiaire.
McHoskey, J. W., Worzel, W., & Szyarto, C. (1998). Machiavellianism and Psychopathy.
Journal of Personality and Social Psychology, 74(1), 192–210.
https://doi.org/10.1037/0022-3514.74.1.192
Mealiea, L. W., & Lee, D. (1979). An Alternative To Macro-Micro Contingency Theories: An
Integrative Model. Academy of Management Review, 4(3), 333–345.
https://doi.org/10.5465/amr.1979.4289089
Médard, J. F. (2006). Les paradoxes de la corruption institutionnalisée. Revue Internationale
de Politique Comparee, 13(4), 697–710. https://doi.org/10.3917/ripc.134.0697
Meillassoux, C. (2022). Potlatch. In Encyclopædia Universalis. Retrieved from
https://www.universalis.fr/encyclopedie/potlatch/
Memheld, P. (2016, December 8). Loi Sapin 2 : impacts organisationnels et informationnels
des dispositifs anticorruption. The Conversation, p. 5.
Memheld, P., & Labic, P. (2021, November 10). Lutte contre la corruption : l ’ implication des
États est impérative - à chacun son rôle. Cercle K2, 4. Retrieved from https://cercle-
k2.fr/etudes/lutte-contre-la-corruption-l-implication-des-etats-est-imperative-a-chacun-
son-role
Mendelski, M. (2016). The EU’s rule of law promotion in post-Soviet Europe: what explains
the divergence between Baltic States and EaP countries? Eastern Journal of European
Studies, 7(2), 111–144.
Menès-Redorat, V. (2012). Faire la guerre pour faire la paix ? La guerre juste au bas Moyen
Âge. Actes Des Congrès Nationaux Des Sociétés Historiques et Scientifiques, 136(3), 119–
129. Persée - Portail des revues scientifiques en SHS.
Ménissier, T. (2007). La corruption, un concept philosophique et politique chez les Anciens et
344
les Modernes. Anabases, (6), 11–16. https://doi.org/10.4000/ANABASES.3284
Ménissier, T. (2018). Philosophie de la corruption. Paris: Hermann Editeurs.
Méon, P.-G., & Sekkat, K. (2005). Does corruption grease or sand the wheels of growth? Public
Choice, Vol. 122, pp. 69–97. https://doi.org/10.1007/s11127-005-3988-0
Méon, P.-G., & Weill, L. (2010). Is corruption an efficient grease? World Development, 38(3),
244–259. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2009.06.004
Milanovic, B. (2013). The inequality possibility frontier: Extensions and new applications (No.
6449). World Bank - Development Research Group - Poverty and Inequality Team.
Milanovic, B., Lindert, P. H., & Williamson, J. G. (2007). Measuring ancient inequality (No.
13550).
Millar, C. C. J. M., & Köppl, P. (2014). Perspectives, practices and prospects of public affairs
in Central and Eastern Europe: A lobbying future anchored in an institutional context.
Journal of Public Affairs, 14(1), 4–17. https://doi.org/10.1002/pa.1500
Miller, D. (1990). The icarus paradox: How exceptional companies bring about their own
downfall. New York: HarperCollins.
Miller, D., Droge, C., & Toulouse, J.-M. (1988). Strategic process and content as mediators
between organizational context and structure. Academy of Management Journal, 31(3),
544–569. https://doi.org/10.2307/256459
Miller, G. A. (1956). The magical number seven, plus or minus two: some limits on our capacity
for processing information. Psychological Review, 63(2), 81–97.
https://doi.org/10.1037/h0043158
Ministère de la Justice. (2020). Convention judiciaire d’intérêt public Airbus SE. Retrieved
from https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/files/files/20200129 CJIP
AIRBUS signée.pdf
Mintzberg, H. (1979). The structuring of organizations : a synthesis of the research. Pearson.
Mintzberg, H. (1987). Crafting strategy. Harvard Business Review., 65(4), 66–75.
Mintzberg, H., Ahlstrand, B., & Lampel, J. (1998). Strategy safari: a guided tour through the
wilds of strategic management. New York: THE FREE PRESS.
Mohammad-Arif, A., & Naudet, J. (2020). La démocratie indienne à l’épreuve du nationalisme
hindou. Homme (France), (236), 205–224. https://doi.org/10.4000/lhomme.38338
Montesquieu. (1748). De l’esprit des lois (Gallimard; J.-M. Tremblay, Ed.). Université du
Québec à Chicoutimi.
Morrison, A. S., Kirshner, J., & Molho, A. (1985). Epidemics in Renaissance Florence.
American Journal of Public Health, 75(5), 528–535.
345
https://doi.org/10.2105/AJPH.75.5.528
Motte, M. (2018). La mesure de la force, traité de stratégie de l’Ecole de guerre. Paris: Editions
Tallandier.
Mueller, P. D. (2021). Adam Smith on moral judgment: Why people tend to make better
judgments within liberal institutions. Journal of Economic Behavior & Organization, 184,
813–825. https://doi.org/10.1016/J.JEBO.2020.08.038
Mungiu-Pippidi, A. (2013). The Good, the Bad and the Ugly: Controlling Corruption in the
European Union. Berlin.
Mungiu-Pippidi, A. (2019). Government favouritism in Europe, the anticorruption report
volume 3 (Vol. 3). Leverkusen: Barbara Budrich Publisher.
Mungiu-Pippidi, A., & Dadašov, R. (2017). When do anticorruption laws matter? The evidence
on public integrity enabling contexts. Crime, Law and Social Change, 68, 387–402.
https://doi.org/10.1007/s10611-017-9693-3
Near, J. P., & Miceli, M. P. (1996). Whistle-Blowing : Myth and Reality. Journal of
Management, 22(3), 507–526. https://doi.org/10.1177/014920639602200306
New, B., Pallier, C., Ferrand, L., & Matos, R. (2001). Une base de données lexicales du français
contemporain sur internet. L’Année Psychologique, 101(3), 447–462.
https://doi.org/10.3406/PSY.2001.1341
Nielsen, R. P. (2003). Corruption networks and implications for ethical corruption reform.
Journal of Business Ethics, 42(2), 125–149. https://doi.org/10.1023/A:1021969204875
Nieuwenboer, N. A. Den, & Kaptein, M. (2008). Spiraling down into corruption: A dynamic
analysis of the social identity processes that cause corruption in organizations to grow.
Journal of Business Ethics, 83(2), 133–146. https://doi.org/10.1007/s10551-007-9617-8
Nieuwenboer, N. A. Den, Kish-Gephart, J. J., Treviño, L. K., Peng, A. C., & Reychav, I. (2022).
The Dark Side of Status at Work: Perceived Status Importance, Envy, and Interpersonal
Deviance. Business Ethics Quarterly, 1–35. https://doi.org/10.1017/beq.2022.2
Noonan, J. T. (1982). Agency, Bribery and Redemption in Thomas Aquinas. Recherches de
Théologie Ancienne et Médiévale, 49, 159–173. Retrieved from
http://www.jstor.org/stable/26188650
O’Boyle, E. H., Forsyth, D. R., Banks, G. C., & McDaniel, M. A. (2012). A meta-analysis of
the Dark Triad and work behavior: A social exchange perspective. Journal of Applied
Psychology, 97(3), 557–579. https://doi.org/10.1037/a0025679
O’Boyle, E. H., Forsyth, D. R., & O’Boyle, A. S. (2011). Bad Apples and Bad Barrels: An
Examination of Group- and Organizational-Level Effects in the Study of
346
Counterproductive Work Behavior. Group & Organization Management, 36(1), 39–69.
https://doi.org/10.1177/1059601110390998
Ocasio, W. (1997). Towards an attention-based view of the firm. Strategic Management
Journal, 18(Summer Special Issue), 187–206.
Ocasio, W. (2011). Attention to attention. Organization Science, 22(5), 1286–1296.
Ocasio, W., Yakis-douglas, B., Boynton, D., Laamanen, T., Rerup, C., Vaara, E., &
Whittington, R. (2022). It ’ s a Different World : A Dialog on the Attention-Based View
in a Post-Chandlerian World. Journal of Management Inquiry, 1–13.
https://doi.org/10.1177/10564926221103484
OCDE. (2008). Corruption : Glossaire des normes pénales internationales. Paris: Editions
OCDE.
OCDE. (2009). Le manuel de sensibilisation au blanchiment de capitaux à l’intention des
vérificateurs fiscaux. Paris: Editions OCDE.
OCDE. (2014). Rapport de l’OCDE sur la corruption transnationale, une analyse de
l’infraction de corruption d’agents publics étrangers. Paris: Editions OCDE.
OCDE. (2016). Committing to effective whistleblower protection. Paris: Editions OCDE.
Olney, W. W. (2016). Impact of corruption on firm-level export decisions. Economic Inquiry,
54(2), 1105–1127. https://doi.org/10.1111/ecin.12257
ONU. (2018). Global Cost of Corruption at Least 5 Per Cent of World Gross Domestic Product,
Secretary-General Tells Security Council, Citing World Economic Forum Data | UN
Press. Retrieved from https://press.un.org/en/2018/sc13493.doc.htm
Parlement européen, & Conseil de l’Europe. Directive (UE) 2019/1937 du parlement européen
et du conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des
violations du droit de l’Union. , (2019).
Paulhus, D. L., & Williams, K. M. (2002). The Dark Triad of personality: Narcissism,
Machiavellianism, and psychopathy. Journal of Research in Personality, 36(6), 556–563.
https://doi.org/10.1016/S0092-6566(02)00505-6
Pedroletti, B. (2019, August 2). Xi sur la route sinueuse qui mène au sommet. Le Monde, p. 7.
Peng, M. W., Sun, S. L., Pinkham, B., & Chen, H. (2009). The institution-based view as a third
leg for a strategy tripod. Academy of Management Perspectives, 23(3), 63–81.
https://doi.org/10.5465/AMP.2009.43479264
Pénin, J. (2016). Joseph Aloïs Schumpeter. In Les Grands Auteurs en Management de
l’innovation et de la créativité (pp. 15–36). Edition EMS.
Perlman, R. L., & Sykes, A. O. (2017). The political economy of the Foreign Corrupt Practices
347
Act: An exploratory analysis. Journal of Legal Analysis, 9(2), 154–154.
https://doi.org/10.1093/jla/lay001
Perrow, C. (1970). Organizational analysis: a sociological view. Brooks/Cole Publishing
company.
Perrow, C. (1973). Short and Glorious History of Organizational Theory. Organizational
Dynamics, 2(1), 2–15.
Phillipson, N. T. (2010). Adam Smith: An enlightened life. Yale University Press.
Pierucci, F. (2020). Le piège américain : l’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation
économique raconte. Paris: J’ai lu.
Pinto, J., Leana, C. R., & Pil, F. K. (2008). Corrupt organizations or organizations of corrupt
individuals? two types of organization-level corruption. Academy of Management Review,
33(3), 685–709. https://doi.org/10.5465/AMR.2008.32465726
Pleijt, A. de, & Zanden, J. L. van. (2020). A Tale of Two Transitions: The European Growth
Experience, 1270-1900 (No. 14). Utrecht.
Pleșcău, I. A. (2019). The Economy of Florence during the Medici Government. “Ovidius”
University Annals, XIX(1), 276–279.
Pons, A. (2004). « Verum factum » et sagesse poétique chez Vico. In Vocabulaire européen des
philosophies. Paris: Seuil.
Pooley, C. R. (2022, March 1). Londongrad will stand so long as enforcement stays weak.
Pouilloux, J.-Y. (2022). Innocent Gentillet. In Encyclopædia Universalis (p. 1). Retrieved from
https://www.universalis.fr/encyclopedie/innocent-gentillet/
Prabhu, S. (2018, March 15). New law clears political parties that illegally took foreign funds.
NDTV, p. 2.
Qi, G., Zou, H., Xie, X., Meng, X., Fan, T., & Cao, Y. (2020). Obedience or escape: Examining
the contingency influences of corruption on firm exports. Journal of Business Research,
106, 261–272. https://doi.org/10.1016/j.jbusres.2018.09.004
Qian, H. (2004, March 31). Chine Pékin et ses princes rouges. Courrier International, p. 9.
Racine, J. L. (2020). Inde: Le nationalisme hindou au pouvoir. Politique Etrangere, 2020(1),
105–120. https://doi.org/10.3917/pe.201.0105
Ratinaud, P. (2009). IRAMUTEQ : Interface de R pour les Analyses Multidimensionnelles de
TExtes et de Questionnaires. Retrieved September 20, 2022, from
http://www.iramuteq.org/
Ratinaud, P., & Déjean, S. (2009). IRaMuTeQ : implémentation de la méthode Alceste
d’analyse de texte dans un logiciel libre. Modélisation Appliquée Aux Sciences Humaines
348
et Sociales MASHS, 8–9.
Raven, B. H. (1998). Groupthink, bay of pigs, and watergate reconsidered. Organizational
Behavior and Human Decision Processes. https://doi.org/10.1006/obhd.1998.2766
Reeves, S. R., Alcala, R. P., & Gregory, E. (2018). Fake news! China is a rule-of-law nation
and respects international law. Harvard International Review, 39(4), 42–46.
Refoulé, F., & Casalis, G. (2010). Traduction Œcuménique de la Bible (TOB). Editions du Cerf.
Reich, R. (2013). JP Morgan Chase, the Foreign Corrupt Practice Act, and the Corruption of
America. Retrieved July 23, 2020, from Robertreich.org website:
https://robertreich.org/post/69412254741
Reilly, P. R. (2015). Justice deferred is justice denied: we must end our failed experiment in
deferring corporate criminal prosecutions. Brigham Young University Law Review,
2015(2), 307–358. https://doi.org/10.3868/s050-004-015-0003-8
Reinert, M. (1983). Une méthode de classification descendante hiérarchique : application à
l’analyse lexicale par contexte. Les Cahiers de l’Analyse Des Données, 8(2), 187–198.
Reinert, M. (2008). Mondes lexicaux stabilisés et analyse statistique de discours. JADT 2008 :
9es Journées Internationales d’Analyse Statistique Des Données Textuelles, 981–993.
Rerup, C. (2009). Attentional triangulation: Learning from unexpected rare crises.
Organization Science, 20(5), 876–893. https://doi.org/10.1287/orsc.1090.0467
Reuters. (2020, June 23). Des cadres d’Alstom et Siemens arrêtés en Italie pour soupçons de
corruption. Reuters.
Ricœur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Edition du Seuil.
Robespierre, M. de. (1794). Œuvres complètes (M. Bouloiseau & A. Soboul, Eds.). Paris:
Presse Universitaire de France.
Rodriguez, P., Uhlenbruck, K., & Eden, L. (2005). Government corruption and the entry
strategies of multinationals. Academy of Management Review, 30(2), 383–396.
https://doi.org/10.5465/AMR.2005.16387894
Roland, G. (2018). The evolution of post-communist systems. Economics of Transition, 26(4),
589–614. https://doi.org/10.1111/ecot.12164
Rothschild, J., & Miethe, T. D. (1999). Whistle-Blower Disclosures and Management
Retaliation. Work and Occupations, 26(1), 107–128.
https://doi.org/10.1177/0730888499026001006
Roy, N., & Garon, R. (2013). Étude comparative des logiciels d’aide à l’analyse de données
qualitatives. Recherches Qualitatives, 32(1), 154–180. https://doi.org/10.7202/1084616ar
Royaume-Uni. (2022a). Financial sanctions Belarus. Retrieved May 31, 2022, from
349
https://www.gov.uk/government/publications/financial-sanctions-belarus
Royaume-Uni. (2022b). Financial sanctions Russia. Retrieved May 31, 2022, from
https://www.gov.uk/government/collections/financial-sanctions-regime-specific-
consolidated-lists-and-releases
Sayles L. (1976). Matrix management: The structure with a Future. Organizational Dynamics,
5(2), 2–17. https://doi.org/10.1016/0090-2616(76)90051-6
Sberna, S., & Vannucci, A. (2015). The criminal organisation of political corruption in Europe.
In Government favouritism in Europe, the anticorruption report volume 3 (pp. 105–126).
Leverkusen: Barbara Budrich Publisher.
Schehr, S. (2008). L’alerte comme forme de déviance: Les lanceurs d’alerte entre dénonciation
et trahison. Deviance et Societe, 32(2), 149–162. https://doi.org/10.3917/ds.322.0149
Scheid, J. (2016). Rites, ritualisme et pratiques religieuses (suite). Retrieved from
https://www.college-de-france.fr/site/john-scheid/course-2016-01-21-14h00.htm
Scheuer, J. (2011). L’éthique dans l’univers indien et hindou, pistes d’exploration et amorces
de réflexion. Revue d’éthique et de Théologie Morale, 263(1), 63.
https://doi.org/10.3917/retm.263.0063
Scheuer, J. (2017). Monothéisme et violence au regard de l’hindouisme et du bouddhisme.
Communio, N° 251-252(3), 91–100. https://doi.org/10.3917/commun.251.0091
Schumpeter, J. A. (1999). Théorie de l’évolution économique - Recherches sur le profit, le
crédit, l’intérêt et le cycle de la conjoncture (J.-J. Anstett, Trans.). Dalloz.
Schwartz, M. A. (2017). From the Ordinary to Corruption in Higher Education. Journal of
Management Inquiry, 26(3), 270–279. https://doi.org/10.1177/1056492616674828
Seipel, I. (1907). Die wirtschaftsethischen Lehren der Kirchenväter (Verlag von Mayer & Co.,
Ed.). Retrieved from
https://archive.org/details/diewirtschaftse00seipgoog/page/n325/mode/2up
Sen, A. (2011). Uses and abuses of Adam Smith. History of Political Economy, 43(2), 257–
274. https://doi.org/10.1215/00182702-1257388
Sfez, G. (1999). Machiavel, la politique du moindre mal. In Machiavel, la politique du moindre
mal. https://doi.org/10.3917/PUF.SFEZ.1999.01
Shaw, B. (1988). Foreign Corrupt Practices Act: A legal and moral analysis. Journal of Business
Ethics, 7(10), 789–795. https://doi.org/10.1007/BF00411027
Sheehy, B., Boddy, C. R., & Murphy, B. (2021). Corporate law and corporate psychopaths.
Psychiatry, Psychology and Law, 28(4), 479–507.
https://doi.org/10.1080/13218719.2020.1795000
350
Shenkar, O., & Ellis, S. (2021). The rise and fall of structural contingency theory: A theory’s
“autopsy.” https://doi.org/10.1111/joms.12772
Shleifer, A., & Vishny, R. W. (1993). Corruption. The Quarterly Journal of Economics, 108(3),
599–617.
Shum, D. (2022). La roulette chinoise, Argent, pouvoir, corruption et vengeance dans la Chine
d’aujourd’hui (Olivier Salvatori, Trans.). Paris: Saint-Simon.
Simon, H. A. (1947). Administrative behavior - a study of decision-making processes in
administrative organizations. New York: Free Press.
Sims, R. R., & Brinkmann, J. (2003). Enron ethics (or: Culture matters more than codes).
Journal of Business Ethics, 45(3), 243–256.
Smith, A. (1784). An inquiry into the nature of the wealth of nations (3rd ed.; Sálvio Marcelo
Soares (2007), Ed.). Lausanne: Metalibri.
Smith, A. (1790). The theory of moral sentiments (6th ed.; Sálvio Marcelo Soares (2006), Ed.).
Lausanne: Metalibri.
Smith, A. (1896). Lectures on Justice, police, revenue and arms (1762-1763) (1st ed.; E.
Cannan, Ed.). Oxford: Clarendon Press.
Solas, J. (2016). The banality of bad leadership and followership. Society and Business Review,
11(1), 12–23. https://doi.org/10.1108/sbr-09-2015-0049
Solas, J. (2019). Conscientious objections to corporate wrongdoing. Business and Society
Review, 124(1), 43–62. https://doi.org/10.1111/basr.12162
Sommerlad, T. (1903). Das wirtschaftsprogramm der kirche des mittelalters. Retrieved from
https://archive.org/details/daswirtschaftsp00sommgoog
Song, G. (2022). Trade liberalization and firms’ corruption engagement: Theory and evidence
from China trade (No. 22–05). Boulder: University of Colorado Boulder, department of
economics.
Speier, C., Valacich, J. S., & Vessey, I. (1999). The influence of task interruption on individual
decision making: An information overload perspective. Decision Sciences, 30(2), 337–
360.
Spicer, A., & Alvesson, M. (2016). The stupidity paradox : The power and pitfalls of functional
stupidity at work. Londres: Profile Books.
Stanford Law School. (2014). United States of America v. Alstom S.A. Retrieved March 27,
2020, from http://fcpa.stanford.edu/enforcement-action.html?id=546
Stanford Law School, & Sullivan & Cromwell LLP. (2022). Foreign corrupt pratices act
Clearinghouse - Statisitics & analytics. Retrieved June 2, 2022, from
351
https://fcpa.stanford.edu/statistics-analytics.html
Stein, M., & Pinto, J. (2011). The dark side of groups: A “gang at work” in Enron. Group &
Organization Management, 36(6), 692–721. https://doi.org/10.1177/1059601111423533
Stirner, M. (1845). Der Einzige und sein Eigenthum (Verlag von Otto Wigand, Ed.). Retrieved
from http://www.deutschestextarchiv.de/book/show/stirner_einzige_1845
Stock, R. M., Six, B., & Zacharias, N. A. (2013). Linking multiple layers of innovation-oriented
corporate culture, product program innovativeness, and business performance: A
contingency approach. Journal of the Academy of Marketing Science, 41(3), 283–299.
https://doi.org/10.1007/s11747-012-0306-5
Sukhtankar, S., & Vaishnav, M. (2015). Corruption in India: Bridging research evidence and
policy options. India Policy Forum, 11(2014/15), 193–276. Retrieved from
https://carnegieendowment.org/2015/09/01/corruption-in-india-bridging-research-
evidence-and-policy-options-pub-61186
Tacite. (110AD). Les Annales (Tacitus Publius Cornelius) (J.-L. Burnouf, Trans.). Retrieved
March 2, 2022, from https://fr.wikisource.org/wiki/Annales_(Tacite)
Thines, G., & Lempereur, A. (1975). Dictionnaire général des sciences humaines. Editions
Universitaires.
Thomas, C. (2019, May). En inde, les chrétiens sous les foudres des nationalistes hindous.
Retrieved March 28, 2022, from Observatoire International du Religieux website:
https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/en-inde-les-chretiens-sous-les-foudres-des-
nationalistes-hindous
Thomas, C. (2020). L’hégémonie hindouiste. Études, (10), 7–18.
https://doi.org/10.3917/etu.4275.0007
Thomas d’Aquin. (1984). Somme Théologique (A.-M. Roguet, Trans.). Retrieved from
http://docteurangelique.free.fr/saint_thomas_d_aquin/oeuvres_completes.html
Thompson, K. A. (2013). Does anti-corruption legislation work? World Customs Journal, 7(2),
39–62.
Thonnard, F.-J. (1970). La notion de liberté en philosophie augustinienne. Revue d’Etudes
Augustinienne et Patristique, 16(3–4), 243–270. https://doi.org/10.1484/J.REA.5.104194
Tirole, J. (2019). Assumptions in Economics. Society for Progress 2019 Conference, 13.
Tocqueville, A. de. (1848). De la démocratie en Amérique (12th ed.). Retrieved from
https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_démocratie_en_Amérique/Édition_1848
Transparency International. (2022a). Corruption perception index. Retrieved August 8, 2022,
from https://www.transparency.org/
352
Transparency International. (2022b). Russia - Transparency.org. Retrieved August 16, 2022,
from https://www.transparency.org/en/countries/russia
Treisman, D. (2007). What have we learned about the causes of corruption from ten years of
cross-national empirical research? Annual Review of Political Science, 10(1), 211–244.
https://doi.org/10.1146/annurev.polisci.10.081205.095418
Treviño, L. K. (1986). Ethical Decision Making in Organizations: A Person-Situation
Interactionist Model. The Academy of Management Review, 11(3), 601–617.
Treviño, L. K. (2010). Ethical Program or Ethical Culture? Retrieved October 15, 2017, from
Institute for Corporate Ethics website:
https://www.youtube.com/watch?v=MGi1HDGhGM8
Treviño, L. K., & Brown, M. E. (2004). Managing to be ethical: Debunking five business ethics
myths. Academy of Management Executive, 18(2), 69–81.
https://doi.org/10.5465/AME.2004.13837400
Treviño, L. K., & Youngblood, S. A. (1990). Bad apples in bad barrels: A causal analysis of
ethical decision-making behavior. Journal of Applied Psychology, 75(4), 378–385.
https://doi.org/10.1037/0021-9010.75.4.378
Uhlenbruck, K., Rodriguez, P., Doh, J., & Eden, L. (2006). The impact of corruption on entry
strategy: Evidence from telecommunication projects in emerging economies.
Organization Science, 17(3), 402–414. https://doi.org/10.1287/ORSC.1060.0186
Umphress, E. E., & Bingham, J. B. (2011a). When employees do bad things for good reasons:
Examining unethical pro-organizational behaviors. Organization Science, 22(3), 621–640.
https://doi.org/10.1287/orsc.1100.0559
Umphress, E. E., & Bingham, J. B. (2011b). When Employees Do Bad Things for Good
Reasons: Examining Unethical Pro-Organizational Behaviors. Organization Science,
22(3), 621–640. https://doi.org/10.1287/orsc.1100.0559
US department of justice. (2019). Former Senior Alstom Executive Convicted at Trial of
Violating the Foreign Corrupt Practices Act , Money Laundering and Conspiracy.
Retrieved November 15, 2019, from United States, Departement of Justice website:
https://www.justice.gov/opa/pr/former-senior-alstom-executive-convicted-trial-violating-
foreign-corrupt-practices-act-money
US department of justice. (2020). Airbus agrees to pay over $3.9 billion in global penalties to
resolve foreign bribery and ITAR case Airbus. Retrieved from
https://www.justice.gov/opa/pr/airbus-agrees-pay-over-39-billion-global-penalties-
resolve-foreign-bribery-and-itar-case
353
Vadeby, A. (2018). Speed and crash risk. In International Transport Forum. Paris: Editions
OCDE.
Vaidya, R. (2019). Corruption, Re-corruption and What Transpires in Between: The Case of a
Government Officer in India. Journal of Business Ethics, 156(3), 605–620.
https://doi.org/10.1007/s10551-017-3612-5
Valtorta, M., Huhns, M., Dang, J., Goradia, H., & Huang, J. (2020). Extending Heuer’s analysis
of competing hypotheses method to support complex decision analysis. Springer Tracts in
Advanced Robotics, pp. 23–42. https://doi.org/10.1007/978-3-030-31852-9_2
Van der Hallen, T. (2007). Corruption et régénération du politique chez Robespierre.
Http://Journals.Openedition.Org/Anabases, (6), 67–82.
https://doi.org/10.4000/ANABASES.3448
Velasquez, M., & Brady, N. F. (1997). Natural Law and Business Ethics. Business Ethics
Quarterly, 7(2), 83–107. https://doi.org/10.2307/3857300
Verschoor, C. C. (2002, December). It isn’t enough to just have a code of ethics. Strategic
Finance, 84(6), 22–24.
Véry, P., & Monnet, B. (2008). Quand les organisations rencontrent le crime organisé. Revue
Française de Gestion, 183(3), 179–200. https://doi.org/10.3166/RFG.183
Vico, G. (1894). Oeuvres choisies de Vico. In J. Michelet (Trans.), Giambattista Vico.
https://doi.org/10.7591/9780801458354
Vircoulon, T. (2022, January 30). Repenser l’aide aux États faillis. The Conversation, p. 5.
Vitkine, B. (2019, August 3). Nouvelles « purges » politiques dans les hautes sphères de la
Russie. Le Monde, p. 2.
Vuori, T. O., & Huy, Q. N. (2016). Distributed attention and shared emotions in the innovation
process: How Nokia lost the smartphone battle. Administrative Science Quarterly, 61(1),
9–51. https://doi.org/10.1177/0001839215606951
Vuori, T. O., & Huy, Q. N. (2022). Regulating top managers’ emotions during strategy making:
Nokia’s socially distributed approach enabling radical change from mobile phones to
networks in 2007–2013. Academy of Management Journal, 65(1), 331–361.
https://doi.org/10.5465/amj.2019.0865
Ward, T. (2022, May 26). Military history is repeating for Russia under Putin’s regime of
thieves. The Conversation, p. 5.
Weber, M. (1904). Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus. Tübingen: J.C.B
Mohr.
Weber, M. (1905). L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Paris: Plon, J.-M. Tremblay
354
(2002).
Weber, M. (1919). Le savant et le politique (Union Générale d’Éditions & J.-M. Tremblay
(2018), Eds.; J. Freund, Trans.). https://doi.org/10.1522/cla.wem.sav
Weber, M. (1922). Wirtschaft und Gesellschaft, Kap. III Die Typen der Herrschaft. In
Grundrisses der Sozialökonomik (p. 833). Tübingen: J.C.B Mohr (Paul Siebeck).
Wei, S. (1997). Why is corruption so much more taxing than tax? Arbitrariness kills. In NBER
Working Paper (No. 6255). https://doi.org/10.3386/w6255
Weick, K. E., & Sutcliffe, K. . M. (2007). Managing the unexpected : Resilient performance in
an age of uncertainty. Jossey-Bass.
Weismann, M. F., Buscaglia, C. A., & Peterson, J. (2014). The foreign corrupt practices act:
Why it fails to deter bribery as a global market entry strategy. Journal of Business Ethics,
123(4), 591–619. https://doi.org/10.1007/s10551-013-2012-8
Werhane, P. H. (2000). Business ethics and the origins of contemporary capitalism: Economics
and ethics in the work of Adam Smith and Herbert Spencer. Journal of Business Ethics,
24(3), 185–198. https://doi.org/10.1023/A:1005937623890
Werth, N. (2019). URSS : les mécanismes de la corruption. In Tempus. Le cimetière de
l’espérance (pp. 437–453). Paris: Perrin.
Westerfield, H. B. (1997). Inside ivory bunkers: CIA analysts resist managers’ “pandering” ‐
part II. International Journal of Intelligence and CounterIntelligence, 10(1), 19–54.
https://doi.org/10.1080/08850609708435332
White, M. (2019). What I’ve learned about white-collar crime. Harvard Business Review, (July-
August 2019), 58–59.
William, C. C., & Kedir, A. M. (2016). The impacts of corruption on firm performance: some
lessons from 40 African countries. Journal of Developmental Entrepreneurship, 21(2), 1–
18.
Williams, P., Ashill, N., & Naumann, E. (2017). Toward a contingency theory of CRM
adoption. Journal of Strategic Marketing, 25(5–6), 454–474.
https://doi.org/10.1080/0965254X.2016.1149211
Wilson, J. Q. (1989). Adam Smith on business ethics. California Management Review, 32(1),
59–72. https://doi.org/10.2307/41166734
Windolf, P. (2004). Corruption, fraud, and corporate governance: A report on Enron. In
Corporate Governance and Firm Organization (Vol. 2002, pp. 159–190). Oxford
University Press.
Woller, G. M. (1996). Business ethics society and Adam Smith: Some observations on the
355
liberal business ethos. The Journal of Socio-Economics, 25(3), 311–332.
https://doi.org/10.1016/S1053-5357(96)90008-6
Wood, A. W. (2015). L’immoralisme de Marx (J. Hoarau, Trans.). Cahiers Philosophiques,
140(1), 82–100. https://doi.org/10.3917/CAPH.140.0082
Xi, J. (2017). Rapport de Xi Jinping au 19e Congrès national du PCC. Retrieved from
http://french.xinhuanet.com/chine/2017-11/03/c_136726219.htm
Yates, S. Q. (2015). Yates Memorandum. In United States Departement of Justice. Retrieved
from https://www.justice.gov/archives/dag/file/769036/download
Yovanovitch, M. L. . (2019). Opening statement of Marie L . Yovanovitch to the house of
representatives permanent select committee on intelligence , committee on foreign affairs
, and committee on oversight and reform, 11 octobre 2019. Retrieved from
https://judiciary.house.gov/UploadedFiles/2019-11-15_Statement_of_Yovanovitch.pdf
Yuen, S. (2014). Disciplining the Party, Xi Jinping’s anti-corruption campaign and its limits.
China Perspectives, 2014(3), 41–47. https://doi.org/10.4000/chinaperspectives.6542
Zagaïnova, A. (2008). Les défis de la corruption dans les pays en transition. NAQD, 25(1), 11–
39. https://doi.org/10.3917/naqd.025.0011
Zajec, O. (2018a). L’évolution de la stratégie classique. In La mesure de la force (pp. 231–256).
Paris: Editions Tallandier.
Zajec, O. (2018b). Principes de la stratégie, principes de la guerre. In La mesure de la force (pp.
121–146). Editions Tallandier.
Zeume, S. (2017). Bribes and firm value. The Review of Financial Studies, 30(5), 1457–1489.
https://doi.org/10.1093/rfs/hhwl08
Zhu, B., & Shi, W. (2019). Greasing the wheels of commerce? Corruption and foreign
investment. Journal of Politics, 81(4), 1311–1327. https://doi.org/10.1086/704326
Zhu, X. (2010). La controverse chinoise à propos des « valeurs universelles » : une remise en
cause de la politique de réformes et d’ouverture ? (A. Dea & P. Charon, Trans.).
Chroniques de La Gouvernance 2009-2010, 25–32.
356
Annexes
357
Annexe 1 - Présentation de l’étude aux interviewés
Document envoyé avec la demande d’interview (versions en français et en anglais)
1/2 1er novembre 2020
Anticipation et prévention de la corruption
Étude qualitative par interview
Notice de présentation à l’attention des interviewés
Paul Labic, p.labic@unistra.fr
Laboratoire BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée), Université de Strasbourg,
Université de Lorraine, AgroParisTech, CNRS, INRAE
I Cadre de l’étude :
Étude réalisée dans le cadre de la thèse :
Les outils d’analyse, d’anticipation et de prévention de la corruption pour les
entreprises. Comment protéger l’entreprise et ses équipes tout en lui permettant
de réaliser ses objectifs ? Quelles sont les pratiques observées ? Quelles bonnes
pratiques recommander ?
Codirection de thèse :
- Monsieur Thierry Burger-Helmchen
- Monsieur André Schmitt
Si les résultats de cette étude le permettent, une publication séparée est envisagée.
II Objectifs :
L’objectif est de recenser les outils et les solutions d’anticipation et de prévention de la
corruption. Quelles approches ont été tentée ? Quelles en ont été les résultats ? Qu’auriez-
vous fait différemment ?...
- Objectif principal : recensement des outils et des solutions de prévention de la corruption
et retours d’expérience.
- Recensement de cas de corruption, en particulier ceux traités au sein des entreprises
(n’ayant pas fait l’objet de communication en dehors de l’entreprise).
- Recenser et confronter les différentes opinions des personnes interviewées.
- Dégager des tendances :
o Part des comportements individuels ou de l’environnement de l’entreprise…
o Profils type de corrompus, corrupteurs, intermédiaires, anti-corruption…
o Secteurs d’activité, origines culturelles ou géographiques…
o …
III Méthode d’interview
- Les interviewés sont informés par avance du cadre de l’étude, des objectifs et des
méthodes d’exploitations des données.
- Les interviews sont anonymes et confidentielles : Il ne sera procédé à aucun
enregistrement, aucune information personnelle ou permettant d’identifier les entreprises
ne sera communiqué.
- Entretiens semi-directif : Le récit personnel sera favorisé. L’interviewer fera évoluer la
discussion afin d’explorer l’ensemble de l’environnement de l’interviewé.
358
2/2 1er novembre 2020
- Il n’y a pas de limite de temps. Une durée d’une heure semble convenir (après interviews
tests).
- Après l’interview un questionnaire qualité (LimeSurvey) permettra à l’interviewé d’évaluer
la qualité du processus : satisfaction, conditions de l’interview, corrections, propos
complémentaires, droit de suppression des données.
IV Qualités des personnes interviewées, nombre et répartition
L’objectif est de conduire entre 50 et 100 interviews afin d’être aussi exhaustif que possible.
Le panel de départ (au 1er septembre 2020) est constitué de 53 personnes, réparties sur 4
continents. Les premières interviews permettront d’identifier d’autres personnes.
3 groupes d’interviewés ont été définis :
- 1er groupe : universitaires, magistrats, administrations publiques anti-corruption.
- 2èm e groupe : opérationnels terrain (personnes exposées à la corruption : Achats, Ventes,
Chef de projet, Directions…). Ce groupe se décompose en deux :
o Interviews « verticales » : au sein d’un groupe international, opérationnels terrains au
long de la chaine hiérarchique. Niveaux C à C-41
o Interviews « horizontales » : opérationnels terrain Niveaux C à C-2 employés dans au
moins 50 entreprises différentes.
- 3èm e groupe : experts compliance ou anti-corruption internes ou externes aux entreprises
V Exploitation des résultats :
Les interviews seront codées en fonction :
- Des secteurs d’activité, formation, position, âge, genre, origine géographique…
- Classement des contenus en facteurs internes, externes, personnel, de groupe…
- Croissement des données et extraction des éléments les plus fréquents.
Deux méthodes d’exploitation des résultats seront alors appliquées :
- Méthodes inductives et déductives : confrontation des résultats avec le corpus universitaire
existant, dont ACH et Linchpin (jeux hypothèses/preuves).
- Analyses statistiques, méthode de classification de Max Reinert. Logiciel Iramuteq
(d’autres logiciels dont Nvivo sont en cours d’évaluation)
VI Bibliographie indicative, exemple d’une étude comparable
Jávor, I., & Jancsics, D. (2016). The Role of Power in Organizational Corruption: An Empirical
Study. Administration & Society, 48(5), 527‑558. https://doi.org/10.1177/0095399713514845
1 Niveau C : directeur généraux et PDG « chief executive ». C-x : niveau hiérarchiques inférieurs.
359
Annexe 2 - Trame d’entretien
Document non communiqué à l’interviewé. Checklist utilisée pendant l’entretien pour s’assurer
que l’ensemble de la carte heuristique est couverte.
360
Annexe 3 - Tableau des interviews réalisées
N°Code Groupe Niveau Chercheur H/F
Expérience
terrain
Zone
géographique
d'expertise
Expertise
par
continent
Pays de résidence Rendez-vous Modalité
1 XQT G2 C-1 H Oui Corée du Sud Asie Corée du sud 5 novembre 2020 Vis io conf.
2 OXZ G 2 C-1 H Oui Japon Asi e Japon 6 novembre 2020 V isio conf.
3 TSX G2 C-1 H Oui G lobale A sie Hongrie 29 janvier 2021 Visio conf.
4 OPQ G2 C H Oui Gl obale G lobale Allema gne 12 novembre 2020 Visi o conf.
5 MYU G2 C-1 H Oui Inde As ie All emagne 5 novembre 2020 Visio conf.
6 PZS G2 C-1 H Oui G lobale Globale Al lemagne 26 novembre 2020 Visio conf.
7 F SD G2 C H Oui Globale Gl obale France 18 f évrier 2021 Vi sio conf.
8 Y LO G 3 C H Oui Globale G lobale France 25 novembre 2020 Visio conf.
9 Z RK G2 C-2 H Oui Allemag ne Europe Allemagne 27 novembre 2020 Vi sio conf.
10 ZBR G 2 C H Oui Globale Globale États-Unis 15 décembre 2020 Vis io conf.
11 OMK G2 C-2 H Oui Globale Globale États -Unis 24 novembre 2020 Visio conf.
12 SCX G2 C H Oui Globale Globale États-Unis 11 février 2021 Visio conf.
13 B MN G1 Autre X H Non G lobale Globale France 8 février 2021 Téléphone
14 SFW G3 C X H O ui Globale Globale France 21 septembre 2020 F ace à face
15 JYV G 1 Autre X F Oui Gl obale G lobale France 24 septembre 2020 Fa ce à face
16 PEN G2 C-1 H Oui Inde Gl obale France 28 octobre 2020 Face à f ace
17 CSH G1 Autre H Oui G lobale Globale France 27 octobre 2020 Face à fa ce
18 YEL G 1 Autre X F Non Afrique Af rique France 15 octobre 2020 Face à f ace
19 G YW G1 Autre X H Non Af rique Afrique France 7 janvier 2021 Visio conf.
20 OLJ G 3 C X H Oui Canada G lobale Canada 20 ja nvier 2021 Visio conf.
21 NMY G2 C-2 F Oui Afrique Afrique Allemagne 10 novembre 2020 Téléphone
22 B VB G 1 Autre X H Oui Globale G lobale Suiss e 17 décembre 2020 V isio conf.
23 UOI G 2 C H Oui Afrique Afrique Allemagne 3 novembre 2020 Visio conf.
24 MEJ G2 C F Oui Afghanis tan Asie Allemagne 5 novembre 2020 Téléphone
25 CEE G2 C-1 F Oui Globale Gl obale Chili 25 novembre 2020 Visio conf.
26 WZ N G3 C X H Oui Japan Asi e Japon 3 mars 2021 Visi o conf.
27 FTC G2 C X H Oui Ouganda Af rique Ouganda 2 décembre 2200 Visio conf.
28 ZUL G3 C F Oui Globale Gl obale France 16 décembre 2020 Visi o conf.
29 B OC G2 C H Oui Globale G lobale France 29 octobre 2020 F ace à face
30 GDL G1 Autre X H Non Gl obale G lobale France 22 f évrier 2021 F ace à face
31 WFA G1 Autre X H Non Af rique Af rique France 2 novembre 2020 Visi o conf.
32 VJP G 1 Autre X F Oui Globale G lobale France 27 octobre 2020 Face à f ace
33 B GY G 1 Autre H Non Globale Globale F rance 30 octobre 2020 Téléphone
34 SYA G2 C H Oui Chine As ie France 28 octobre 2020 F ace à face
35 TCE G2 C H Oui Sénégal-Guinée Afrique Sénégal 9 novembre 2020 Téléphone
36 QWE G2 C H Oui Afrique Afrique Côte d'Ivoire 17 novembre 2020 Téléphone
37 MQD G2 C-1 H Oui Afrique Afrique B urkina-Fa so 27 f évrier 2021 Vi sio conf.
38 BRX G 3 C-1 H Oui Globale G lobale Royaume-Uni 18 février 2021 Téléphone
39 R WA G2 C H Oui India As ie All emagne 3 décembre 2020 Vi sio conf.
40 FVY G2 C H Oui Tchéquie Europe Tchéquie 8 décembre 2020 Visio conf.
41 B HQ G 2 C-1 H Oui Europe Europe France 28 décembre 2020 Face à f ace
42 OIR G2 C-1 H Oui Globale G lobale Allem agne 10 décembre 2020 V isio conf.
43 BEN G2 C-1 H Oui Indonésie Asie Indonésie 20 janvier 2020 V isio conf.
44 XYH G2 C-1 F Oui France Europe France 12 février 2021 Face à f ace
45 CTW G1 Autre H Oui Luxembourg Europe Luxembourg 26 janvier 2021 Visio conf.
46 ERE G1 Autre X H Non Belgique Globale Belgique 11 février 2021 Vis io conf.
47 WPF G 2 C-2 H Oui France Europe France 3 mars 2021 Face à face
48 INX G2 C H Oui Asi e Asie Vietnam 27 février 2021 Visi o conf.
49 SVI G1 Autre X H Non Gl obale G lobale France 24 février 2021 Téléphone
50 G YD G1 Autre X H Non Globale Globale France 23 f évrier 2021 F ace à face
51 DMF G1 Autre F O ui Europe Europe France 4 ma rs 2021 V isio conf.
52 HCJ G2 C-1 H Oui Afrique Afrique Burkina-F aso 10 mars 2021 Téléphone
Interview
Classification
Identification
361
Annexe 4 – Efficacité des prises de contact
Les interviews ont été réalisées entre le 21 septembre 2020 et le 3 mars 2021.
Effectif de départ (personnes identifiées, correspondant aux critères, et susceptibles d’accepter)
53
Effectif à la fin (personnes identifiées, correspondant aux critères, et susceptibles d’accepter).
Qu’elles aient été contactées ou pas.
104
Personnes contactées
90
Refus
4
Personnes qui ont estimé ne pas être qualifiées pour répondre
5
Faux bonds (accord écrit puis impossibilité de fixer un rendez-vous)
6
Éliminés (profils à problème)
8
Demandes sans réponse
15
Interviews réalisées
52
Une dizaine d’intermédiaires sont intervenus dans l’identification et l’évaluation préalable des
interviewés. Ils ont aussi facilité la prise de contact. Leur aide a été essentielle, plusieurs ont
insisté pour rester anonyme. Pour éviter tout recoupement, le choix a été de ne pas conserver
les origines des contacts même anonymisés.
Au total 172 contacts par écrit ont été nécessaires. Ils se répartissent en 81 contacts par écrit
pour les 52 interviews réalisées et à 91 contacts par écrit pour les 38 autres personnes contactées
mais non interviewées (refus, faux bonds, non qualifiés, sans réponse. Le nombre de relance a
varié en fonction de l’expertise espérée.
L’effort le plus important a été la relance des « faux bonds » qui après m’avoir donné un accord
écrit n’ont pas permis qu’un rendez-vous puisse avoir lieu (28 contacts par écrit pour 6
personnes).
8 personnes, à l’origine identifiées comme ayant une expérience probable de la corruption ont
été éliminées après une vérification plus approfondie. Il s’agit exclusivement de personnes du
groupe 2 (décideurs) trop compromises dans des faits de corruption pour que soit espérée une
collecte d’informations crédibles. La décision d’éliminer ces profils mériterait d’être
reconsidérée. Elle a été prise alors que le nombre de personnes « interviewables » croissait et
que la saturation sémantique s’approchait.
362
Annexe 5 – Contrôle qualité après interview
L’objet de ce questionnaire Lime Survey en ligne (versions en français et en anglais) était de
vérifier que les interviews s’étaient déroulées dans de bonnes conditions : qualité de la liaison
technique, l’interviewé s’est-il senti écouté, etc. En raison de la nature des informations
collectées il s’agissait aussi de rappeler aux personnes interrogées qu’elles pouvaient obtenir
une suppression totale des données.
39 personnes sur 52 personnes interrogées ont répondu. Il n’a eu aucune demande de
suppression des données.
Qualité des interviews
363
Ensemble des commentaires (non triés - 14 sur 39 réponses au questionnaire)
1. « L'interviewer est là pour recueillir l'opinion de l'interviewé, pas donner la sienne au
risque de sembler l'imposer et ce quel que soit la qualité de ses arguments / analyses. »
2. « Entretien très bien préparé et structuré. »
3. « J'ai eu le plaisir d'échanger avec un interlocuteur connaissant parfaitement son sujet
et avec qui j'ai pu engager un débat riche de perspectives. »
4. « Bonne présentation et excellent interview bien préparé. »
5. « A l'origine je ne pensais pas pouvoir répondre aux questions posées, mais finalement
j'avais pas mal de choses à présenter sur un terrain peu connu par P. Labic. »
6. « Bien que je ne sois pas un spécialiste de la corruption, j'espère pouvoir apporter ma
contribution dans une certaine mesure grâce aux connaissances que j'ai accumulées
pendant plus de 35 ans en Afrique, en Asie et en Amérique latine. » (traduit de l’anglais).
7. « Merci, c'était une très bonne interview ! » (traduit de l’anglais).
8. « Les échanges étaient bien menés par le chercheur. L'envoi préalable des questions
permettrait de répondre avec préparation de façon encore plus détaillée, mais peut-être
au détriment de la spontanéité. C'était très bien. »
9. « C'était un environnement très confortable et sécurisé, merci, et je vous souhaite
beaucoup de succès avec cette étude ! » (traduit de l’anglais).
10. « Échange très instructif et enrichissant »
11. « Très bien. Rien à dire à part du positif. »
12. « Sujet passionnant et excellents échanges. Rien à redire ! »
13. « L'entretien s'est fait de façon très professionnelle, respectueuse et efficace. Le
doctorant était à l’écoute, il dirigeait l’entrevue de main de maître et il avait une
excellente connaissance de son sujet ce qui a eu pour effet d’élever le débat. »
14. « Vivement l'aboutissement d'une telle étude et sa publication ; elle servira à renforcer
la lutte contre la pauvreté. »
364
Conditions matérielles
365
Questionnaire qualité post interview
Conditions de l'interview, confidentialité des informations
Anticipation et prévention de la corruption – retours d’expérience
Paul Labic
Bureau d'économie théorique et appliquée (BETA) - UMR 7522
Université de Strasbourg, Université de Lorraine, AgroParisTech, CNRS, INRA, BETA
École doctorale Augustin Cournot - ED 221
Je vous remercie pour le temps que vous m'avez consacré. L'objet de ce questionnaire est de m'assurer que notre ren contre s'est déroulée dans des conditions satisfaisantes tant matérielles qu'en termes de confidentialité et de liberté
d'expression. Vos retours et commentaires sont les bienvenus.
Il y a 6 questions dans ce questionnaire.
A/ Confirmation de l'interview et de la confidentialité des informations
1 [A3]Avez-vous été interviewé dans le cadre de l'étude qualitative "Recensement des outils et des solutions d’anticipation et de
prévention de la corruption" ? *
Veuillez sélectionner une seule des propositions suivantes :
Oui
Non
2 [A4]
Procédure de suppression partielle ou totale des informations communiquées
Tout participant à l'étude peut demander que tout ou partie des informations communiquées soient supprimées.
Aucune des informations supprimées ne sera alors conservée ni ne sera intégrée sous quelque forme que ce soit dans l'étude. Il ne
sera conservé aucune copie sur quelque support ou sous quelque forme que ce soit.
Pour demander la suppression d'information, envoyez un email à : p.labic@unistra.fr. Les informations seront supprimées sous
48h. Un email de confirmation vous sera envoyé.
Acceptez-vous cette procédure ?
*
Veuillez sélectionner une seule des propositions suivantes :
Oui
Non
B/ Conditions matérielles de l'interview
3 [B1]Conditions matérielles de l'interview
Veuillez sélectionner une réponse ci-dessous
Veuillez sélectionner une seule des propositions suivantes :
Rencontre face à face
Video conférence (liaisons vidéo et audio)
Téléphone ou équivalent (liaison audio seule)
4 [B2]Les conditions matérielles de l'interview étaient-elles satisfaisantes ?
Choisissez la réponse appropriée pour chaque élément :
Pas applicable
Très mauvaise -
01234Excellente - 5
Confort, environnement, niveau de bruit...
Qualité de la liaison video (si applicable)
Qualité de la liaison audio (si applicable)
C/ Evaluation qualitative de l'interview
5 [C1]Evaluation de l'interview
Choisissez la réponse appropriée pour chaque élément :
Pas satisfait - 0 1 2 3 4 Très satisfait - 5
Evaluation générale de l'entretien
La durée de l'entretien était-elle appropriée ?
La présentation de l'étude et des objectifs était-elle
appropriée ?
Votre interlocuteur était-il à l'écoute ?
Avez-vous pu vous exprimer comme vous le
souhaitiez ?
6 [C2]Retours, commentaires, améliorations...
Veuillez écrire votre réponse ici :
Je vous remercie pour vos réponses. Si vous souhaitez commenter de façon plus étendue notre rencontre ou tout élément en lien avec mon travail de recherche, n'hésitez pas à me contacter par email : p.labic@unistra.fr.
13.04.2021 – 10:12
Envoyer votre questionnaire.
Merci d’avoir complété ce questionnaire.
366
Annexe 6 – Tableau des concepts cités 20 fois ou plus (AQD codages agrégés)
Groupes
**
Codes
* Les codages sont agrégés selon la hiérarchie de la carte heuristique
** Groupes : éthique universelle anticorruption (E), réglementaire et juridique (R&J), théorie de l’attention
(TA), théorie de la contingence (TC), autre (Autre)
Codages
agrégés
*
Codages
par code
Textes
encodés
Texte
agrégés
(max 51)
TA
Pommes et tonneaux
470
0
0
48
TC
Adaptabilité de l'organisation
418
3
3
48
TA
Pommes et tonneaux\Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'
199
78
33
46
E
Éthique des vertus
183
0
0
38
TC
Adaptabilité de l'organisation\Complexité et diversité
180
15
10
39
R&J
Droits
156
24
19
33
TA
Pommes et tonneaux\Mauvaises circonstances et dilemmes éthiques 'Bad cases'
145
120
39
42
TA
Pommes et tonneaux\Individus corrompus 'Bad apples'
126
78
36
41
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle
119
4
4
32
TC
Adaptabilité de l'organisation\Complexité et diversité\Biotope criminel
105
105
36
36
Autre
Us et coutumes
101
12
11
39
TC
Adaptabilité de l'organisation\La corruption comme une institution informelle (hostile à l'organisation)
100
45
28
36
TC
Adaptabilité de l'organisation\Enjeux et ressources
88
9
7
33
TA
Pommes et tonneaux\Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'\Prévention et sortie de la corruption
85
0
0
40
TA
Principe 3, distribution structurelle de l'attention
78
2
2
33
R&J
Droits\Lois anticorruption
77
6
5
26
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle\Partage d'un pouvoir commun
59
14
10
26
367
Groupes
**
Codes
* Les codages sont agrégés selon la hiérarchie de la carte heuristique
** Groupes : éthique universelle anticorruption (E), réglementaire et juridique (R&J), théorie de l’attention
(TA), théorie de la contingence (TC), autre (Autre)
Codages
agrégés
*
Codages
par code
Textes
encodés
Texte
agrégés
(max 51)
Autre
Us et coutumes\Culture de la corruption
58
48
31
36
R&J
Recommandations et directives (EU, OCDE, etc.)
55
3
3
23
TC
Adaptabilité de l'organisation\Enjeux et ressources\Soumission ou instrumentalisation de l'organisation par
des tiers
49
21
13
23
E
Éthique et téléologie
48
0
0
19
TC
Adaptabilité de l'organisation\La corruption comme une institution informelle (hostile à l'organisation) \
États corrompus et kleptocraties
47
47
21
21
TA
Principe 2, l'attention située
47
2
1
24
TA
Principe 1, concentration de l'attention
47
0
0
19
TA
Pommes et tonneaux\Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'\Prévention et sortie de la
corruption\Choc et exposition publique, prise de conscience
46
46
21
21
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle\Responsabilité individuelle
46
18
15
22
TA
Pommes et tonneaux\Individus corrompus 'Bad apples', pensée de groupe
44
44
26
26
TA
Principe 3, distribution structurelle de l'attention\Peur de déplaire et de la confrontation
43
15
9
24
R&J
Recommandations et directives (EU, OCDE, etc.) \ Efforts concertés, normalisation, actions et évaluations
communes
41
41
21
21
TA
Principe 2, l'attention située\Métacognition
40
5
4
23
E
Éthique des vertus\Dégradation de la cité
39
39
20
20
TA
Pommes et tonneaux\Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'\Prévention et sortie de la
corruption\Jeunesse, éducation (dont évolution positive des étudiants en MBA)
39
39
31
31
R&J
Droits\Flexible droit
38
21
14
20
368
Groupes
**
Codes
* Les codages sont agrégés selon la hiérarchie de la carte heuristique
** Groupes : éthique universelle anticorruption (E), réglementaire et juridique (R&J), théorie de l’attention
(TA), théorie de la contingence (TC), autre (Autre)
Codages
agrégés
*
Codages
par code
Textes
encodés
Texte
agrégés
(max 51)
TA
Pommes et tonneaux\Organisation d'individus corrompus 'Bad barrels'\Pensée de groupe et neutralisation
36
25
14
18
TC
Adaptabilité de l'organisation\Stabilité
34
0
0
19
TA
Principe 3, distribution structurelle de l'attention\Métacognition de groupe
33
15
13
21
TA
Principe 2, l'attention située\Métacognition\La corruption problème trop complexe
32
5
5
20
R&J
Droits\Lois anticorruption\Effet dissuasif (et récidive)
31
31
17
17
TC
Adaptabilité de l'organisation\Stabilité\De la transaction
31
0
0
19
Autre
Us et coutumes\Particularismes culturels
27
27
17
17
TA
Principe 1, concentration de l'attention\Capacité de traiter ce qui n'est pas chiffré ou ne représente pas une
menace immédiate
25
2
2
14
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle\Responsabilité individuelle\Responsabilité de celui qui entreprend,
y compris dans un environnement corrompu.
24
24
18
18
TA
Principe 1, concentration de l'attention\Capacité de traiter ce qui n'est pas chiffré ou ne représente pas une
menace immédiate\Attentivité à la corruption
23
23
13
13
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle\Partage d'un pouvoir commun\Seule la vertu des politiques permet
de lutter contre la corruption.
22
22
16
16
R&J
Droits\Lois anticorruption\Effet préventif
22
22
14
14
E
Éthique des vertus\Éthique individuelle\Partage d'un pouvoir commun\Courage civique, première des
vertus
20
20
16
16
TA
Principe 1, concentration de l'attention\Métacognition
20
20
14
14
TA
Principe 3, distribution structurelle de l'attention\Peur de déplaire et de la confrontation\Sous-estimation de
la menace
20
20
15
15
Paul LABIC
ANTICIPATION ET PREVENTION DE LA CORRUPTION :
ENTRE PHILOSOPHIE MORALE ET MODELES ECONOMIQUES
Résumé
La corruption est un sujet toujours plus prégnant. Les lois et règlementations se multiplient, comme les scandales,
sans indication d’amélioration. Comment, pour une entreprise européenne, mettre en place des solutions
d’anticipation et de prévention ? La philosophie morale place au centre la responsabilité de l’homme envers la
cité et ses limites : sa corruption. La schématisation du moteur éthique et son croisement avec les modèles des
théories de l’attention (TA) et de la contingence (TC) permettent le rapprochement entre plusieurs ensembles
conceptuels. La comparaison entre ces paradigmes, et une étude qualitative conduite dans 19 pays et 4 continents
auprès de décisionnels d’entreprise ayant une expérience pratique de la corruption, mènent à une validation
constructiviste partielle. La succession de trois outils - analyse factorielle des correspondances, analyse
qualitative et analyse des hypothèses concurrentes - permet d’extraire des actions empiriquement efficaces. Elles
font appel à deux des principes de la TA : attention située et concentration de l’attention. La condition nécessaire
est que le socle éthique soit mobilisable. Ce socle est indépendant des contextes culturels, sociologiques ou
doctrinaux. Il permet la valorisation interne des informations sur la corruption et la recherche d’une solution
éthique nécessairement complexe.
Mots clefs : corruption, entreprise, organisation, théorie de l’attention, théorie de la contingence, philosophie
morale, éthique, intelligence économique, analyse factorielle des correspondances, analyse des hypothèses
concurrentes
Abstract
Corruption is an ever more prevalent issue. Laws and regulations are multiplying, as are scandals, with no
indication of any improvement. How can a European company implement anticipation and prevention solutions?
Moral philosophy places man's responsibility towards the city and its limitations at the center: its corruption. The
schematization of the ethical engine and its intersection with the models of the theories of attention (TA) and
contingency (TC), allow the reconciliation of several conceptual sets. The comparison between these paradigms,
and a qualitative study conducted in 19 countries and 4 continents amongst corporate decision-makers with
firsthand experience in corruption, lead to a partial constructivist validation. The succession of three tools -
factorial correspondence analysis, qualitative analysis and competing hypotheses analysis - allows for the
extraction of empirically effective actions. They call upon two of the principles of the TA: situated attention and
focus of attention. The necessary condition is that the ethical foundation can be mobilized. This foundation is
independent of cultural, sociological, or doctrinal contexts. It allows for the internal valuation of information
about corruption and the search for a necessarily complex ethical solution.
Key words: corruption, enterprise, organization, attention theory, contingency theory, moral philosophy, ethics,
correspondence analysis, analysis of competing hypotheses