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ARTICLE
Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
(Amphibia : Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône | doi : 10.48716/bullshf.182-1
Bull. Soc. Herp. Fr. (2023) 182 | 1-11
Distribution des grenouilles vertes du système perezi-gra
et des autres espèces du genre Pelophylax (Amphibia :
Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest
du Rhône
Distribution of the water frogs of the perezi-gra system and other species
of Pelophylax (Amphibia: Ranidae) in their French Mediterranean range west
of the Rhône river
Jérémie DEMAY(1), François CIAVATTI(1,2,3), Angelica CUEVAS(1,2,4), Paul DONIOL-VALCROZE(1,2),
Aimeric EBLE(1,2,5), Elise LEBLANC(1,2,6), Yoann MANSIER(1,2,7), Ivain MARTINOSSI-ALLIBERT(1,2,8),
Jean NICOLAS(9), Adrien PINEAU(1,2,10), Blaise RAYMOND(1,2), Philippe GENIEZ(11,12),
Thomas GENDRE(1), Mathieu BOSSAERT(1), Pierre-André CROCHET(2,13)
(1)
Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie, Bâtiment le Thèbes, 26 allée de Mycènes, 34000 Montpellier,
jeremie.demay@cenlr.org, mathieu.bossaert@cenlr.org
(2)
CEFE, CNRS, Univ Montpellier, EPHE, IRD, Montpellier, France
(3)
adresse actuelle : 1 rue Victor Mollard, 38500 Voiron, France
(4)
adresse actuelle : Centre for Ecological and Evolutionary Synthesis, Department of Biosciences, University of Oslo,
PO Box 1066, Blindern, 0316 Oslo, Norway
(5)
adresse actuelle : 15 rue de Barr, 67201 Eckbolsheim, France
(6)
adresse actuelle : 80 impasse Jasset 34070 Montpellier, France
(7)
adresse actuelle : 130 rue Claude Percier, 34080 Montpellier, France
(8)
adresse actuelle : Department of Biology, Norwegian University of Science and Technology, NO 7491 Trondheim, Norway
(9)
7 rue du Labro, 34260 Camplong, France
(10)
adresse actuelle : 1 rue Elisée Reclus, 49100 Angers, France.
(11)
CEFE, Univ Montpellier, CNRS, EPHE-Université PSL, IRD, Biogéographie et Ecologie des Vertébrés, Montpellier, France
(12)
Email : philippe.geniez@cefe.cnrs.fr
(13)
Email : pierre-andre.crochet@cefe.cnrs.fr
Résumé – Nous présentons ici l’ensemble des connaissances disponibles sur la distribution des grenouilles
vertes (genre Pelophylax) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône (départements des
Pyrénées-Orientales, de l’Aude, de l’Hérault, du Gard). Pour le système perezi-gra (PG), nous donnons aussi
les informations disponibles pour le département de l’Ardèche an de fournir une synthèse exhaustive
sur la distribution de ce système entre le euve Rhône et l’ex-région Midi-Pyrénées. Nous n’avons retenu
que des données basées sur la génétique ou la bioacoustique qui sont les seules techniques permettant
actuellement une séparation able des Grenouilles rieuses et des grenouilles du système PG. Le système
PG représente la quasi-totalité des populations de grenouilles vertes entre le euve Hérault, la frontière
espagnole, la haute vallée de l’Aude à l’ouest des Corbières et le versant méditerranéen de la montagne
Noire (Minervois), où la Grenouille rieuse n’est présente que de manière localisée. A l’opposé, à partir de la
vallée de l’Hérault en allant vers l’est, la Grenouille rieuse domine et le système PG persiste uniquement dans
les marais littoraux ou dans quelques isolats en garrigue dont certains ont disparu durant la période d’étude
(depuis 1996). Nous discutons brièvement les implications de ces résultats pour la conservation du système
PG.
Mots-clés : conservation, distribution, écologie, invasion biologique, compétition, amphibiens.
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ARTICLE
Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
(Amphibia : Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône | doi : 10.48716/bullshf.182-1
Bull. Soc. Herp. Fr. (2023) 182 | 1-11
INTRODUCTION
Le genre Pelophylax est aujourd’hui représenté en
France métropolitaine par cinq espèces natives
(Miaud & Muratet 2018), dont trois espèces à
reproduction sexuée biparentale classique, la
Grenouille de Lessona Pelophylax lessonae
(Camerano, 1882), la Grenouille de Pérez P. perezi
(Seoane, 1885) et la Grenouille rieuse P. ridibundus
(Pallas, 1771), et deux taxons d'origine hybride : la
Grenouille verte P. kl. esculentus (Linnaeus, 1758) et
la Grenouille de Graf P. kl. grafi (Crochet, Dubois,
Ohler & Tunner, 1995). En outre, un sixième taxon
exogène, une espèce originaire d’Afrique du Nord,
la Grenouille saharienne Pelophylax saharicus
(Boulenger, 1913), a été récemment découverte dans
la région marseillaise où elle a établi des populations
localement abondantes (Doniol-Valcroze et al. 2021).
Parmi les trois espèces parentales natives, seules
deux sont indigènes dans l’aire méditerranéenne
française, la Grenouille rieuse étant considérée
comme introduite sur la majeure partie du territoire
métropolitain sauf le bassin du Rhin (Dubois
1983, 1985, 2002). Cette espèce a vu son aire de
distribution européenne s’élargir vers l’ouest tout
au long du 20
ème
siècle à la suite d’importations
massives d’individus depuis l’Europe centrale et
le Moyen-Orient (Ljubisavljelic et al. 2003, Pagano
et al. 2003, Neveu 2004, Holsbeek et al. 2008)
pour la consommation des cuisses de grenouilles,
l’utilisation dans les universités comme matériel
de dissection et la vente aux particuliers pour le
peuplement de pièces d’eau (Dubois 1983, 1985,
2002). Nous incluons ici sous le nom Grenouille
rieuse l’ensemble des lignées évolutives du
complexe P. ridibundus même s’il est probable que
plusieurs espèces soient en fait incluses dans ce
groupe au Moyen-Orient (voir Speybroeck et al.
2010, 2020 pour une discussion de ces questions).
La Grenouille rieuse est impliquée dans la formation
de deux taxons d’origine hybride, P. kl. esculentus et P.
kl. grafi, qui sont des hybrides fixés appelés kleptons
(Dubois & Günther 1982), et qui se maintiennent
dans les populations de l’espèce hôte (P. lessonae
ou P. perezi) grâce à un mécanisme singulier de
reproduction appelé hybridogenèse (Schultz 1969).
Mise en évidence dans le genre Pelophylax dans
la seconde moitié du 20ème siècle (Berger 1973,
Tunner 1979, Uzzell et al. 1980), l’hybridogenèse
est un mécanisme de reproduction hémiclonale,
où seul le matériel génétique d’une des deux
espèces parentes (le plus souvent P. ridibundus)
est transmis à la descendance de manière clonale.
Les croisements qui produisent les individus
esculentus ou grafi impliquent une des espèces
parentes qui joue le rôle d’hôte (respectivement
lessonae ou perezi), et des individus esculentus ou
grafi qui transmettent le génome ridibundus sans
recombinaison donc sans mélange avec le génome
de l’autre espèce parente, suite à la destruction
du génome de l’espèce hôte dans la lignée des
cellules germinales. Dans le cas le plus fréquent,
les descendants du croisement entre le klepton et
l’espèce hôte ont un jeu de chromosomes de l’espèce
hôte et un jeu de chromosome de P. ridibundus, ils
présentent bien une morphologie d’hybride du
point de vue phénotypique, mais ils ne transmettent
que les gènes de la Grenouille rieuse dans leurs
gamètes. Dans le cas des Pelophylax de la péninsule
Ibérique et du sud de la France, le klepton qui
parasite l’espèce native P. perezi est P. kl. grafi (Graf
et al. 1977, Crochet et al. 1995). On parle du système
PG (pour perezi-grafi) pour les populations dans
lesquelles la Grenouille de Graf et la Grenouille de
Pérez coexistent. De la même manière, on parle de
système LE pour l’autre système hybridogénétique
Summary – We present here the most up to date information on the distribution of green frogs (genus
Pelophylax) in their French Mediterranean range west of the Rhône river (departments of Pyrénées-
Orientales, Aude, Hérault, Gard). For the perezi-gra (PG) system, we also report the record known for
the department of Ardèche in order to provide an exhaustive synthesis on the distribution of this system
between the Rhône river and the former Midi-Pyrénées region. We have only retained records based
on genetic or bioacoustics data, which are currently the only techniques allowing a reliable distinction
between the Marsh Frog Pelophylax ridibundus and the PG system. The PG system represents almost all
green frog populations between the Hérault River, the Spanish border, the upper Aude valley west of the
Corbières and the Mediterranean side of the Montagne Noire (Minervois), where the Marsh Frog is very
scarce. In contrast, from the Hérault valley eastward, the Marsh Frog is almost ubiquitous and the PG
system persists only in coastal marshes or in a few isolates in Mediterranean garrigue landscape, some of
which have disappeared during the study period (since 1996). We briey discuss the implications of these
results for the conservation of the PG system.
Key-words: conservation, geographic distribution, ecology, biological invasion, competition, amphibians.
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Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
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impliquant P. lessonae et P. kl. esculentus.
Il est important de noter que, bien que le système
PG résulte du « parasitisme » de P. perezi par
des génomes de Grenouille rieuse pour leur
transmission à la génération suivante, la Grenouille
rieuse est en général absente de ce système (Arano
& Llorente 1995, Hotz et al. 1995). En eet, les
génomes de Grenouille rieuse qui sont présents
dans le système PG sont transmis de manière
clonale et on suppose qu’ils accumulent en
conséquence de nombreuses mutations délétères,
comme ceci est bien démontré pour les génomes de
Grenouille rieuse présents chez esculentus (Muller
1964, Berger 1967, 1973, mais voir par ex. Guex et al.
2002 pour des exceptions). Les croisements entre
Grenouilles de Graf produisent donc en général
des embryons qui ont deux jeux de chromosomes
de Grenouille rieuse mais dont les génomes
sont trop abimés pour produire des individus
fertiles (même s’il existe des exceptions, comme
le montrent les résultats génétiques de Schmeller
2004 et Schmeller et al. 2005). Le système PG est
donc composé essentiellement de P. perezi (dont les
individus portent deux jeux de chromosomes perezi
et transmettent le génome perezi) et de P. kl. grafi
(dont les individus portent des chromosomes perezi
et des chromosomes ridibundus et transmettent le
génome ridibundus), mais les individus ridibundus
(deux jeux de chromosomes ridibundus) y sont
naturellement très rares. Bien sûr, cette situation
naturelle est actuellement perturbée par l’arrivée
de la Grenouille rieuse dans l’aire de distribution du
système PG et on trouve maintenant dans la nature
des populations qui peuvent contenir en proportions
variables P. perezi, P. kl. grafi et P. ridibundus.
C’est (entre autres) la dégénérescence du génome
ridibundus présent dans le système PG qui nous
indique que les accouplements interspécifiques qui
sont à l’origine des kleptons sont anciens ; sinon
les génomes de Grenouille rieuse n’auraient pas
eu le temps d’accumuler des mutations. On pense
que les croisements Grenouille rieuse Grenouille
de Lessona à l’origine du système LE (lessonae –
esculentus) ont eu lieu dans la zone de sympatrie
naturelle entre ces deux espèces en Europe centrale.
Quant aux croisements anciens qui sont à l’origine
du klepton P. kl. grafi et du système PG, ils s’agit
plus probablement de croisements P. kl. esculentus x
P. perezi, qui présentent une zone de sympatrie dans
l’ouest de la France (Pagano et al. 2001a, Daf et al.
2006), que de croisements P. ridibundus x P. perezi
car ces deux espèces ne présentent pas de zone de
sympatrie naturelle connue (Dufresnes & Mazepa
2020). Dans la mesure où P. kl. esculentus transmet
en général le génome ridibundus, des éventuels
croisements esculentus x perezi donneraient en
eet des Grenouilles de Graf (pour une revue plus
complète de l’origine et du fonctionnement des
diérents systèmes impliquant de l’hybridogenèse
dans le genre Pelophylax en Europe, voir Dufresnes
et Mazepa 2020).
Bien que les grandes lignes de la présence
des diérents taxons de Pelophylax en France
soient maintenant publiées (voir ci-dessous), les
limites précises de leur distribution, ainsi que la
composition des peuplements à l’intérieur de ces
limites, demeurent encore très imparfaitement
connues. Ceci est particulièrement vrai pour le
système PG et la Grenouille rieuse ; en eet, la
proximité morphologique de ces trois taxons
rend la détermination sur le terrain extrêmement
problématique. Si la description de la Grenouille de
Graf proposait des critères morphométriques pour
les distinguer (Crochet et al. 1995), cette méthode
sophistiquée s’avère complexe à mettre en œuvre
sur le terrain et des recouvrements inter-taxons
ainsi qu’une grande variabilité géographique
ont depuis remis en question la possibilité de
déterminer ces trois taxons sur la base de critères
morphométriques (Pagano & Joly 1999, données
personnelles non publiées).
Un certain nombre de travaux antérieurs ont déjà
examiné la distribution des diérentes espèces de
Pelophylax en France et dans les départements de
l’ex-région Languedoc-Roussillon (ex-LR). Avant
notre étude, les espèces du système PG étaient
ainsi réputées présentes dans l’ensemble des
départements de l’ex-LR à l’exception de la Lozère.
Au sein de cette aire de distribution, la Grenouille
rieuse n’était connue jusque dans les années
2000, avec identification taxonomique par des
méthodes génétiques, que de quelques localités
du pourtour des lagunes littorales est-héraultaises,
ainsi qu’autour de Montpellier et de Saint-Mathieu-
de-Tréviers (Pagano et al. 2001b, Schmeller et al.
2007). L’Atlas régional des Amphibiens et Reptiles
du Languedoc-Roussillon (Geniez & Cheylan 2012)
mentionne une répartition plus importante de la
Grenouille rieuse, présente selon ces auteurs sur
presque tous les versants méridionaux du sud
du Massif central et, plus bas dans le domaine
méditerranéen, sur l’ensemble du cours de l’Orb,
de la basse vallée de l’Hérault, des garrigues est-
héraultaises, dans le Gardon, dans les garrigues
de Méjannes-le-Clap, ainsi que sur les abords
des lagunes de l’est-Hérault et du Gard. Notons
toutefois que l’Atlas présente quelques données
identifiées par des méthodes génétiques basées
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sur les allozymes mais surtout des données issues
d’observation ou d’écoute du chant sans analyse
acoustique, en partie par des naturalistes sans
compétence particulière sur les grenouilles vertes.
Un certain nombre de ces données ne peuvent donc
pas être attribuées à la Grenouille rieuse de manière
certaine et pourraient concerner au contraire des
grenouilles du système PG. Dans le but de mieux
connaître le statut des diérents taxons en zone
méditerranéenne française, le CEN Occitanie
et le CEFE-CNRS ont mené plusieurs projets en
collaboration afin de mettre au point des méthodes
d’identification génétiques et acoustiques des
diérents taxons. Le CEFE a tout d’abord mis au
point une méthode génétique basée sur l’ADN
(et donc plus facile à mettre en œuvre que les
allozymes) qui permet de séparer la Grenouille
rieuse, la Grenouille de Pérez et la Grenouille de
Graf en utilisant des gènes nucléaires (Cuevas et
al. 2022). En utilisant des individus enregistrés
puis identifiés génétiquement selon la méthode de
Cuevas et al. (2022), le CEFE a produit une méthode
bioacoustique basée sur l’analyse d’oscillogrammes
d’enregistrement de mâles chanteurs qui permet de
distinguer la Grenouille rieuse des deux taxons du
système PG (Ciavatti & Crochet 2012).
Sur la base de ces éléments, nous proposons ici un
état des lieux de la connaissance sur la distribution
du système PG dans son aire méditerranéenne
française à l’ouest du fleuve Rhône. Les
départements concernés sont les Pyrénées-
Orientales, l’Aude, l’Hérault, le Gard et l’Ardèche.
Notons que le système PG n’est pas connu de la
Lozère et que nous proposons donc une synthèse
complète de la distribution connue des Grenouilles
de Pérez et de Graf dans leur aire française à l’ouest
du Rhône et à l’est du bassin versant de la Garonne.
Nous faisons aussi le point sur la distribution
connue de la Grenouille rieuse sur cette même aire
d’étude. Puisque P. perezi et P. kl. grafi sont toujours
présentes ensemble en France (voir plus haut)
nous ne proposons pas de distribution séparée
pour les grenouilles de Pérez et de Graf. Enfin,
nous discutons brièvement la situation du système
lessonae-esculentus, dont la présence dans l’aire
d’étude a été signalée dans la littérature sur la base
d’informations erronées.
MÉTHODES
I Aire d’étude et acquisition des données
La région d’étude considérée ici est l’aire
méditerranéenne française à l’ouest du delta du
Rhône, c’est-à-dire les départements littoraux
de l’ex-région Languedoc-Roussillon (Pyrénées-
Orientales, Aude, Hérault, Gard) ainsi que
l’extrême sud du département de l’Ardèche. Les
données considérées couvrent la période 1996-
2020. Ces données ont été rassemblées à partir
de plusieurs études menées par des organismes
de recherche, des gestionnaires d’espaces naturels
ou encore des bénévoles notamment à travers
le programme participatif « Allo Grenouilles »
ou directement en envoyant enregistrements ou
frottis buccaux. L’ensemble des enregistrements
et prélèvements de tissu ont été envoyés au CEFE-
CNRS de Montpellier pour analyse. Cet article se
base uniquement sur des données validées par des
analyses génétiques ou acoustiques, qui constituent
les seules méthodes réellement fiables à l’heure
actuelle, selon les méthodes décrites ci-après. Les
résultats présentés intègrent également les données
issues de la littérature pour lesquelles les espèces
ont été identifiées par des méthodes génétiques.
Parmi elles, trois données sont antérieures à notre
période d’étude et datent de 1976 (n=2) et 1991 (n=1).
L’ensemble des données brutes ainsi que la liste des
contributeurs est disponible en annexe 1.
II Identication des taxons
II A Analyses génétiques
Plusieurs sources ont été utilisées pour les
prélèvements d’ADN. Une petite partie des
échantillons est issue de prélèvements de muscle
sur des spécimens entiers conservés en éthanol
dans la collection BEV (Biogéographie et Ecologie
des Vertébrés, CEFE, EPHE et CNRS, Montpellier,
France) ou prélevés dans la cadre d’autres études.
L’essentiel des échantillons est cependant constitué
par des prélèvements in situ sur les individus
vivants par frottis des muqueuses buccales ou
(rarement et pour les prélèvements les moins
récents) par amputation d’une phalange terminale
de l’orteil postérieur le plus interne, suivis du relâché
des individus capturés sur leur site de capture
immédiatement après manipulation. Les frottis
ont été le plus souvent réalisés à l’aide de coton-
tige du commerce, parfois à l’aide d’écouvillons
dédiés au prélèvement biologique, et stockés dans
un tube étanche de 2 ml rempli d’éthanol à 96° ou,
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rarement, à sec en enveloppe papier, ce mode de
stockage donnant de moins bons résultats. Chaque
prélèvement porte un identifiant unique et est le
plus souvent associé à une série de photos. Tous les
échantillons ont été catalogués et stockés dans la
collection de tissus BEV.
La méthode d’identification génétique (Cuevas
et al. 2022) ne sera pas détaillée ici. Son principe
repose sur l’amplification par PCR de deux locus
nucléaires et digestion des produits d’amplification
par des enzymes de restriction qui ciblent des sites
portant des mutations diagnostiques des diérentes
espèces. L’identité des échantillons est révélée
par migration des produits de digestion sur gel
d’agarose et lecture du nombre de bandes d’ADN.
Pour qu’une identification soit validée, il faut que
les deux marqueurs nucléaires produisent la même
identification, afin de limiter les risques d’erreurs.
II B Analyses acoustiques
La méthode d’identification acoustique a été mise
au point au CEFE lors du stage de François Ciavatti ;
des individus chanteurs ont été enregistrés puis
capturés pour être identifiés par génétique. Les
enregistrements de terrain attribués au genre
Pelophylax et centralisés au CEFE de Montpellier
sont analysés sur sonogramme à l’aide du logiciel
Audacity. Un protocole d’analyse décompose le
chant en phrases, notes, groupes d'oscillations
et oscillations. Le signal subit au préalable un
traitement de filtration du bruit lorsque nécessaire.
Le protocole, les variables et critères retenus pour
discriminer la Grenouille rieuse des grenouilles P-G
ont été décrits par Ciavatti et Crochet (2012), sur la
base d’individus enregistrés et par ailleurs identifiés
à l’espèce par analyses génétiques.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
I Distribution actuelle des taxons
Le jeu de données rassemble 439 données réparties
sur 333 localités distinctes (Fig. 1), dont 237 ont
été validées par analyse génétique et 202 par
Figure 1 – Carte de distribution actualisée des grenouilles du système P-G et de la Grenouille rieuse dans l’aire d’étude. La coloration du
fond de carte indique l’altitude (comme indiqué sur la légende de la carte).
Figure 1 – Updated distribution of water frogs of the PG system and of the Marsh Frog in the study area. Background coloration indicates
elevation (as explained in the map legend).
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analyse bio-acoustique. Les données concernent
des observations datées entre 1976 et 2021, dont
91% sont postérieures à 2009. La distribution des
données toutes espèces confondues montre un
biais d’échantillonnage géographique avec une
forte pression d’observation dans la moitié est de
l’Hérault, une pression légèrement plus disparate
dans le Gard et un net déficit en observations de
l’ouest de l’Hérault jusqu’aux Pyrénées. Ce biais
s’explique notamment par le nombre important de
naturalistes actifs dans la région de Montpellier
lié à la concentration d’organismes de recherches,
universités et associations naturalistes autour de
l’ex-capitale de région et par l’existence de plusieurs
projets de prospection dédiés aux Pelophylax et
dont les zones d’études étaient l’est de l’Hérault et
l’ouest du Gard.
Deux grands ensembles se démarquent au sein de
l’aire d’étude :
(i) Un premier ensemble correspond à une présence
continue du système P-G dans la partie sud-ouest
de l’aire d’étude qui semble, à quelques exceptions
près, exempt de Grenouille rieuse. Il s’étend sur
l’ensemble du littoral et des plaines arrière-littorales
depuis la frontière espagnole jusqu’à la basse vallée
de l’Hérault et les pourtours de l’étang de Thau. Il
semble inclure le massif des Corbières, l’ensemble
de la basse vallée de l’Aude et le flanc sud de
la Montagne Noire. Cette zone de présence du
système PG en (quasi) absence de Grenouille rieuse
semble s’étendre à l’est jusqu’au bassin du Salagou
et aux contreforts sud-ouest du Larzac (commune
de Le Bosc). Cette zone est bordée par des secteurs
largement occupés par la Grenouille rieuse : dans
la vallée de l’Aude, on retrouve la Grenouille rieuse
dès la rivière Orbieu à Ferrals-les-Corbières et
le fleuve Aude sur la commune de Trèbes (plus à
l’ouest dans ce département la Grenouille rieuse est
largement représentée et le système PG absent) ; au
nord, le système PG trouve sa limite sur la bordure
sud du Causse du Larzac, où une zone de contact
avec la Grenouille rieuse (y compris la sous-espèce
P. r. kurtmuelleri) est avérée (Dufresne et al. 2017), et
en Montagne Noire où la Grenouille rieuse atteint le
secteur de Bédarieux (localement syntopique avec
le système PG) ; à l’est, ce secteur de présence quasi-
Figure 2 – Carte de distribution actualisée des grenouilles du système P-G et de la Grenouille rieuse dans le sud du Gard et l’est de l’Hérault.
Voir la Figure 1 pour la légende.
Figure 2 – Updated distribution of water frogs of the PG system and of the Marsh Frog in southern Gard and eastern Hérault. See Figure 1
for legend.
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exclusive du système PG est limité par la moyenne
vallée de l’Hérault (du secteur de Paulhan vers
l’amont) et par le Montpelliérain et les garrigues
d’Aumelas, où la Grenouille rieuse est omniprésente.
Seuls quelques points indiquent la présence de la
Grenouille rieuse dans cette distribution continue
du système PG. Tout d’abord, en contexte de plaine
dans les Pyrénées-Orientales à Rivesaltes et à Pia,
un ensemble de populations en basse vallée de
l’Agly et certains de ses auents attestent d’une
installation réelle de l’espèce, qui pourrait être issue
d’une introduction directement dans la plaine du
Roussillon car ces populations semblent totalement
isolées des autres noyaux de population de l’espèce
(on peut noter la proximité de ces populations
avec le centre hospitalier de Perpignan). Toujours
dans les Pyrénées-Orientales, un individu a été
génétiquement identifié dans un point d’eau des
Albères (commune de Maureillas-Las-Illas). Il s’agit
du seul individu échantillonné dans ce site où aucun
enregistrement n’a été eectué : nous ne savons donc
pas s’il s’agit d’une population de Grenouille rieuse
ou d’un individu néoformé issu d’un croisement
Grenouille de Graf x Grenouille de Graf.
(ii) Dans la moitié est de la zone d’étude, on observe
une situation diérente, avec une large domination
de la Grenouille rieuse en termes d’espace occupé.
Dans cet ensemble, les espèces du système PG
sont cantonnées à la bande littorale et au pourtour
des lagunes de l’Hérault et du Gard d’une part, et
à quelques secteurs de garrigues à l’intérieur des
terres d’autre part. Sur le littoral, l’ensemble des
milieux de marais de la plaine littorale du Gard et de
l’est de l’Hérault semblent largement occupés par
les espèces du système PG, souvent cependant en
syntopie avec la Grenouille rieuse ; cette dernière
devient d’ailleurs la seule espèce dans les plaines
agricoles de l’intérieur de ces départements, en lien
avec les populations de P. ridibundus des plaines
littorales. Dans l’arrière-pays à l’est du fleuve
Hérault, il existe une zone de présence continue
du système PG en l'absence de Grenouille rieuse
dans la plaine de Londres et celle de Pompignan,
deux plaines intérieures au contexte pédologique
et climatiques comparables, constituées d’alluvions
marneuses et bordées de plateaux calcaires.
Pour la plaine de Pompignan, des investigations
complémentaires devront être réalisées puisque
seuls quelques contacts de PG ont pu être validés
à ce jour. Plus au nord, la présence du système PG
en mare temporaire sur plateau calcaire, aux abords
de Saint-Hippolyte-du-Fort, constitue une donnée
inédite de cette étude. Les autres données de PG
de l’intérieur des terres à l’est du fleuve Hérault
concernent la plaine et les garrigues de la commune
de La Boissière (Hérault), mais se rapportent à des
observations datant des années 1990 et 2000 où
les PG n’ont pas été retrouvées depuis malgré des
recherches ciblées et où on ne trouve maintenant
que des Grenouilles rieuses. Mentionnons enfin le
secteur de Lussan et de Goudargues (Gard), où la
Grenouille de Graf a été mise en évidence pour la
première fois par électrophorèse des protéines (Graf
et al. 1977) et où se situe sa localité type (Crochet et
al. 1995). Le système PG n’y a pas été noté depuis les
années 1970 mais à notre connaissance il n’y a pas
eu de prospections ciblées.
Pour le contexte littoral comme pour l’arrière-pays,
il semble que les secteurs abritant des populations
de PG soient relativement vierges de Grenouilles
rieuses, mais que cette dernière se retrouve
toujours en bordure des populations de PG. Cette
distribution en mosaïque, en opposition à un
modèle clinal, des populations de Grenouilles du
système PG, est en accord avec les conclusions de
Pagano et al. (2001a) pour des investigations sur les
Pelophylax à l’échelle du territoire national. Pour le
littoral, il semble que la nature de l’habitat soit en
cause, dans la mesure où les milieux aquatiques peu
profonds, fortement végétalisés et légèrement salés
semblent défavorables à la présence de la rieuse
(Cuevas 2013).
Enfin, dans le sud de l’Ardèche sur la commune
de Banne, un seul individu du système PG a été
enregistré en 2013 au milieu d’un grand nombre
de Grenouilles rieuses dans le bois des Bartres.
L’enregistrement présente toutes les caractéristiques
du système PG (et plus particulièrement de la
Grenouille de Graf) et l’identification semble
incontestable. Aucun autre individu n’a été contacté
depuis malgré quelques recherches ciblées mais le
système PG reste à rechercher dans ce secteur mais
aussi entre le sud de l’Ardèche et le nord du Gard
où se situe la localité type de la Grenouille de Graf.
II Données précédemment publiées
concernant le système LE
dans l’aire d’étude
Deux sources bibliographiques mentionnent des
individus du système LE dans la zone d’étude
retenue ici. Pagano et al. (2001a) cartographient
deux populations de Pelophylax kl. esculentus
dans l’Aude (localités 40 et 41 sur leur figure 1 et
dans leur Tableau 1). Cependant, les lieux-dits
mentionnés pour ces localités (« Marcays » et
« Les Peyrets ») sont introuvables dans l’Aude, et les
coordonnées fournies dans l’article correspondent
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ARTICLE
Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
(Amphibia : Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône | doi : 10.48716/bullshf.182-1
Bull. Soc. Herp. Fr. (2023) 182 | 1-11
à la région d’Arzens où la présence du système LE
serait biogéographiquement dicile à expliquer.
L’un de nous (PAC) a longtemps tenté en vain
d’obtenir des informations plus précises sur
l’origine de ces échantillons. Nous considérons que
ces deux localités ont été localisées dans l’Aude par
erreur et nous ne retenons donc pas ces données.
Par ailleurs, Daf et al. (2006) rapportent l’existence
de deux individus de P. lessonae de deux localités
en Camargue, données issues de la thèse de Dirk
Schmeller (1999, qui rapporte en outre un spécimen
de P. kl. esculentus des mêmes localités). Ces
individus ont été collectés le long des routes au
sud du Sambuc (Schmeller 1999, D. Schmeller com.
pers.). Leur identification, basée sur les allozymes,
semble fiable mais la présence naturelle d’individus
isolés du système LE en Camargue, jamais notée
avant ou après malgré des échantillonnages
importants, est hautement improbable alors
que les populations naturelles les plus proches
sont à plus de 100 km dans le Massif central. Si
on admet que l’identification et l’origine de ces
spécimens sont correctes, le plus probable est une
introduction humaine. A l’époque, la pisciculture du
Sambuc, quelques kilomètres au nord, était encore
active et des poissons vivants étaient transportés
régulièrement entre la Camargue et d’autres régions
françaises de pisciculture telles que les Dombes
et le Forez où le système LE est bien implanté, y
compris dans les étangs utilisés pour la pisciculture
(obs. pers.). Les piscicultures de Camargue sont
considérées comme responsables de l’introduction
en Camargue de plusieurs espèces de poissons
d’eau douce (Rosecchi et al. 1997) et l’hypothèse d’un
transport accidentel depuis le centre de la France
nous semble donc la plus probable pour expliquer
la présence de rares individus du système LE en
Camargue dans les années 1990. Il n’y a aucune
indication que ces individus aient donné naissance
à des populations implantées et nous n’avons donc
pas retenu ces données dans la distribution du genre
Pelophylax dans l’ex-Languedoc-Roussillon. Nous
considérons donc que le système LE est absent de
notre zone d’étude.
III Evolution des connaissances et
modications temporelles de la
distribution
La présence de la Grenouille rieuse dans l’aire
d’étude n’a été mise en évidence que relativement
récemment. Jusque dans les années 1980, il était
classiquement admis que les Grenouilles de Pérez et
de Graf (non encore décrite à l’époque mais mise en
évidence dès 1977, Graf et al. 1977) étaient les seules
grenouilles vertes à petit tubercule métatarsien et
sacs vocaux sombres (c’est-à-dire ni Pelophylax
lessonae ni P. kl. esculentus) dans le sud de la France ;
la Grenouille rieuse n’étaient alors pas supposée
habiter le sud de la France (Geniez et Cheylan 1987,
Neveu 1989). Lorsque l’un de nous (PAC) a rejoint la
région de Montpellier en 1991, toutes les grenouilles
vertes du secteur étaient encore réputées être des
Grenouilles de Pérez ou de Graf à l’exception de
quelques très gros individus trouvés hors contexte
méditerranéen et attribués à P. ridibundus sur la
base de ces seuls critères (P. Geniez obs. pers.). Il
faudra attendre les travaux génétiques d’Alain
Pagano (Pagano et al. 2001a, b), qui incluaient des
grenouilles récoltées en Occitanie en 1996 et 1997
par PAC et Alain Pagano, pour réaliser que l’essentiel
des grenouilles vertes de la région de Montpellier,
de Toulouse ou du Tarn, et que les naturalistes
identifiaient à l’époque comme Grenouille de Pérez,
étaient en fait des Grenouilles rieuses !
Dans le même temps, l’examen de spécimens
de la collection du Muséum National d’Histoire
Naturelle identifiés par la génétique a permis de
trouver quelques critères morphologiques pour
tenter de séparer les Grenouilles rieuse, de Graf
et de Pérez (Crochet et al. 1995). Ces résultats ont
incité quelques-uns d’entre nous (PAC et P. Geniez
notamment) à tenter de distinguer ces diérents
taxons sur le terrain et ont attiré notre attention sur
les variations de chants des diérentes populations
de Pelophylax du Languedoc, notées dès 1992 par
P. Geniez mais que nous avions négligé jusque-
là. Ainsi, à partir de la fin des années 1990, nous
(PAC et P. Geniez) étions déjà capables d’assigner
à la Grenouille rieuse ou au système PG l’essentiel
des populations rencontrées sur le terrain avec
une marge d’erreur faible (comme l’ont confirmé
la génétique et l’acoustique). Le corolaire est
cependant que nous n’avons aucune information
sur la distribution des diérents taxons avant les
échantillonnages réalisés au milieu des années
1990.
Il nous est dès lors impossible de discuter les
changements de distribution des diérentes
espèces induits par l’arrivée de la Grenouille
rieuse dans la région. Ce que nous savons, c’est
que la Grenouille rieuse a colonisé les rivières des
piémonts des Cévennes, qui étaient auparavant
considérées comme dépourvues de grenouilles
vertes, au cours des années 1970 (1974 près de
Ganges, 1976 au Vigan, Geniez & Crochet 2012). On
peut donc probablement dater aux années 1970 le
début de son expansion dans la région. Il semble
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ARTICLE
Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
(Amphibia : Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône | doi : 10.48716/bullshf.182-1
Bull. Soc. Herp. Fr. (2023) 182 | 1-11
certain que l’arrivée de la Grenouille rieuse dans
l’aire d’étude a conduit à une forte réduction de la
distribution des grenouilles autochtones du système
PG, puisqu’entre le fleuve Hérault et le fleuve Rhône
la distribution du système PG apparait comme
morcelée, avec de larges pans de territoires a priori
favorables au système PG (toute la plaine littorale
au moins et les collines entre le noyau des garrigues
et le littoral) entièrement occupés par la Grenouille
rieuse. On peut donc supposer, même si c’est pour
le moment impossible à prouver, que la Grenouille
rieuse a évincé le système PG d’une large partie de
sa distribution historique lorsqu’elle a colonisé la
région. Notons par ailleurs que la progression de
la Grenouille rieuse dans l’aire d’étude se poursuit :
elle a colonisé le plateau d’Aumelas (34) à partir de
2002 (P.-A. Crochet obs. pers.) et elle continue son
expansion sur le Larzac (Dufresnes et al. 2017).
Les seuls secteurs où nous avons noté un
remplacement du système PG par la Grenouille
rieuse sont les environs d’Argelliers et la Boissière
(département de l’Hérault), où deux populations
de Grenouille de Graf présentes dans les années
1990 ont été depuis remplacées par des Grenouilles
rieuses (mare 500 m après Argelliers direction La
Boissière d’une part, mare de la Grande Taillade,
200 m au SO du Mas Neuf d’autre part, cf annexe 1) ;
même si nous ne disposons pas de données
acoustiques ou génétiques pour confirmer la
présence actuelle de la rieuse, tous les chants
entendus récemment y sont des chants de
Grenouille rieuse. Partout ailleurs, les secteurs que
nous connaissons depuis les années 1990 n’ont pas
changé en termes de composition du peuplement,
même si la Grenouille rieuse semble devenir
plus abondante (sans pour autant supplanter le
système PG) dans les marais du nord de l’étang de
l’Or (Hérault). Un des enjeux pour l’avenir nous
semble de mettre en place un suivi temporel de
la distribution et de l’abondance relative du la
Grenouille rieuse et du système PG dans l’aire
d’étude.
IV Enjeux de conservation
L’absence de modification forte des distributions des
diérents taxons depuis les années 1990 suggère
que la situation est globalement stabilisée et que
le système PG persiste dans des secteurs où la
Grenouille rieuse ne parvient pas à s’implanter. Bien
qu’elles utilisent des niches écologiques proches,
une ségrégation écologique partielle a été mise en
évidence entre les grenouilles du système PG et la
Grenouille rieuse. Les grenouilles du système PG
se retrouvent ainsi plus spécifiquement dans des
pièces d’eau temporaires et/ou saumâtres qui sont
en revanche évitées par la Grenouille rieuse (Leblanc
2013). Cette capacité à utiliser des milieux plus
contraints est une source de résilience du système
PG à l’invasion par la Grenouille rieuse. Toutefois,
les enjeux actuels de l’aménagement du territoire
et certains modes de gestion des espaces naturels
peuvent constituer une menace pour ces refuges,
facilitant les colonisations de la Grenouille rieuse
sur des territoires jusqu’ici occupés exclusivement
par le système PG. Ainsi, de nombreuses données
de Grenouille rieuse sont apparues récemment
dans notre jeu de données sur des secteurs où
l’espèce était précédemment supposée absente
(Vallée de l’Agly, partie amont de la basse vallée de
l’Hérault, pourtour des lagunes Héraultaises, marais
de Scamandre dans le département du Gard). Dans
certains cas, il semble que la Grenouille rieuse ait
complètement supplanté les espèces du système
PG (Argelliers et La Boissière dans l’Hérault). Sur
le littoral, l’artificialisation du trait de côte engendre
un drainage des eaux temporaires et favorise
la création de plans d’eau douce permanents,
orant plus de latitude à la Grenouille rieuse pour
s’implanter durablement. Dans les garrigues de
l’arrière-pays, la création de retenues collinaires, de
plans d’eaux permanentes de traitement des eaux,
ou encore les pratiques cynégétiques de remise en
eau systématique de mares temporaires en période
estivale, favorisent probablement l’implantation
durable de la Grenouille rieuse sur ces territoires.
V Perspectives d’investigations futures
Dans une perspective de suivi de la colonisation
de la Grenouille rieuse, l’analyse à fine échelle
géographique de l’évolution de sa distribution sur
les diérentes zones de contact avec le système PG
serait particulièrement pertinente, à savoir : la bande
littorale, les zones de l’arrière-pays actuellement
vierges de Grenouille rieuse, les secteurs du Gard où
les espèces du système PG étaient historiquement
présentes (notamment la localité-type de P. grafi),
l’ensemble de la basse vallée de l’Aude et la plaine du
Roussillon. La station de Grenouille rieuse dans les
Albères, un individu unique dans un secteur quasi
exclusivement occupé par des individus attribués
au système PG, serait également à revisiter.
Des lacunes subsistent dans notre connaissance
de la répartition des grenouilles du système
PG sur notre zone d’étude, et des investigations
complémentaires seraient à mener pour y pallier.
Dans le nord du Gard, les grenouilles du système PG
sont mentionnées dans l’atlas de Geniez et Cheylan
(2012) en dehors de la localité type de la Grenouille
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Demay J. et al 2023 | Distribution des grenouilles vertes du système perezi-grafi et des autres espèces du genre Pelophylax
(Amphibia : Ranidae) dans leur aire méditerranéenne française à l’ouest du Rhône | doi : 10.48716/bullshf.182-1
Bull. Soc. Herp. Fr. (2023) 182 | 1-11
de Graf (Graf et al. 1977) mais non confirmées par
des données génétiques ou acoustiques. Les mares
temporaires de garrigues autour de la donnée
inédite de Saint-Hippolyte-du-Fort sont également
largement sous-prospectées pour les Pelophylax
et la situation des espèces du système PG est à
préciser dans ce secteur.
Le statut de la Grenouille rieuse pourrait lui aussi
faire l’objet d’une actualisation dans l’ensemble des
plaines audoises et du Roussillon. Sur ce territoire,
les données acoustiques et/ou génétiques sur le
système PG restent parcellaires et des compléments
d’informations seraient nécessaires pour aner
notre connaissance des sites occupés.
L’actualisation de la connaissance à partir de
données validées par des méthodes génétiques et/
ou acoustiques constitue une base remarquable à la
connaissance de la ségrégation biogéographique
et écologique entre des espèces à fort enjeux de
conservation (Grenouilles du système PG), et une
espèce présumée introduite à caractère invasif
(la Grenouille rieuse). La production de telles
données, que ce soit à travers le développement
de programmes de science participative ou de
programmes de recherche et de conservation sur
les amphibiens et leurs habitats, constitue donc un
préalable indispensable à la prise en compte de ces
enjeux de conservation.
Remerciements - Soixante et un observateurs, dont les noms
gurent dans l’annexe 1, ont contribué à la collecte des données
rassemblées dans cet article ; nous les remercions chaleureusement
pour leur participation indispensable à ce travail de synthèse. Les
auteurs remercient le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement
Supérieur (programme REPERE) ainsi que la société Oc’Via, nanceurs
d’une partie des études ayant contribuées à la collecte des données
compilées.
Protection des espèces - Pour une grande partie des échantillons
utilisés, les auteurs ont bénécié de plusieurs dérogations pour la
capture des trois espèces visées par cette étude, conformément
à l’Arrêté du 19 février 2007 xant les conditions de demande et
d’instruction des dérogations dénies au 4° de l’article L.411-2 du
code de l’environnement portant sur les espèces de faune et de ore
sauvages protégées.
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Date de soumission : lundi 8 août 2022
Date d'acceptation : vendredi 25 novembre 2022
Date de publication : vendredi 10 mars 2023