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Thèse
Présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en
Sciences des Techniques et des Activités Physiques et Sportives
74ème section CNU
Soutenue publiquement par
Thibaut Derigny
Le 5 décembre 2022
Percevoir et saisir
des opportunités d’activité physique
lors des transitions de vie : une question de résilience
Devant un jury composé de :
Aïna Chalabaev, Professeure des Universités, Université Grenoble Alpes, laboratoire SENS Présidente
Julien Bois, Professeur des Universités, Université de Pau et des Pays de l’Adour, laboratoire MEPS Rapporteur
Anne Vuillemin, Professeure des Universités, Université Côte d’Azur Nice, laboratoire LAMHESS Rapportrice
Georges Baquet, Maître de Conférences HDR, Université de Lille, laboratoire URePSSS Examinateur
Yvonne Delevoye-Turrell, Professeure des Universités, Université de Lille, laboratoire SCALab CNRS Examinatrice
Carole Sève, Professeure des Universités, Inspectrice Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche Examinatrice
Christophe Schnitzler, Maître de Conférences, Université de Strasbourg, laboratoire E3S Co-encadrant
François Potdevin, Professeur des Universités, Université de Lille, laboratoire URePSSS Directeur
“The greatest glory in living Lies not in never falling, but in rising every time we fall”
Nelson Mandela, 2004
3
Remerciements
Ce manuscrit interroge le concept de résilience à l’activité physique à travers deux périodes de transition
de vie : celles vers le confinement et vers l’âge adulte. Ce travail m’a accompagné lors de ces deux transitions,
pouvant faire transparaitre, inconsciemment et par moment, une sensibilité personnelle. Les réflexions
conceptuelles, l’analyse des résultats et l’écriture du manuscrit ont été suscités par les nombreux lieux visités, les
riches rencontres, les anecdotes et les expériences partagés. Ce cheminement scientifique et personnel s’est
rarement déroulé en solitaire. Cette thèse a été une belle aventure. Merci.
Mes premières pensées vont à …
Christophe et François, nos Pères Castors, sans qui ce travail n’aurait jamais pu avoir lieu. Merci
Christophe pour ton suivi depuis le mémoire de master en 2016. Merci François pour ta confiance dès la
construction du projet en 2019. Vos regards pragmatiques et vos rigueurs scientifiques m’ont toujours permis de
recentrer la réflexion et de rester focus vers l’objectif. Merci pour votre patience, vos disponibilités à toute heure,
nos conversations passionnées et vos amitiés ;
Georges Baquet et Yvonne Delevoye-Turell, pour avoir accepté de faire partie de mon comité de suivi
de thèse où vos critiques bienveillantes ont été précieuses. Julien Bois et Anne Vuillemin pour votre travail de
rapporteur qui ont permis d’améliorer ce manuscrit. Aïna Chalabaev et Carole Sève pour l’évaluation rigoureuse
de ce travail ;
Joseph et Léa, l’équipe des Castors Juniors. Toutes ces heures vécues ensemble et ces moments partagés,
entre rires, doutes et certitudes, projets nouveaux et annexes, folies et raisons.
Puis mes remerciements s’orientent vers …
Clément Lléna, Isabelle Joing, Alessandro Porrovecchio et Olivier Vors, pour vos éclairages
scientifiques et partages d’expériences. Certains moments lors des congrès resteront secrets ;
Les membres du Conseil d’Administration de l’ARIS qui m’ont accueilli depuis février 2020. Merci pour
vos nombreuses réflexions conceptuelles ;
Teun Remmers, Dave Van Kann et Alexandre Mouton pour vos aides dans la méthodologie et
l’analyse des données ainsi que dans le prêt des accéléromètres ;
Olivier Galy, Pierre-Yves Leroux et l’ensemble de l’équipe du LIRE ainsi que les enseignants d’EPS
de Nouvelle-Calédonie qui m’ont chaleureusement accueilli sur leur territoire pour initier des études
comparatives. De beaux souvenirs ;
L’équipe EPS du collège René Descartes, qui a partagé mon quotidien tout au long de ce travail ;
Tous les étudiants de master 2, enseignants d’EPS et participants qui ont contribué de près ou de loin
aux études de ce travail de thèse.
Enfin, comment ne pas oublier …
Mes parents, frères et grands-parents qui m’ont soutenu dès l’engagement dans ce travail doctoral puis
tout au long du parcours ;
Hannah, qui a permis de préserver l’équilibre que nous avons construit. Merci d’avoir tenu bon, d’avoir
toujours su être à l’écoute, de m’avoir soutenu et encouragé à tout instant.
4
Propos liminaire
Est-ce que débuter un travail doctoral pourrait correspondre à une course à pied ? Parsemé d’épreuves à
surmonter, de rencontres aux détours d’un ravitaillement, vers des manques de lucidité et des seconds souffles, de
nombreux parallèles m’ont semblé exister. Du marathon de Nice-Cannes (2017), à celui de Paris (2018 et 2021)
et de la Rochelle (2021) avec des blessures, reprises, performances et contre-performances, mes séances de running
ont toujours été des opportunités de faire un bilan de l’avancée de la thèse. Étrangement, les émotions perçues
dans le processus de recherche sont transparues lors des runs. La figure 1 représente une tentative de course à la
thèse aux émotions communes, avec des rencontres et riches discussions, bien souvent éphémères.
Figure 1. Course à la thèse : trajectoire doctorale vécue sous la forme d’un marathon
5
Table des matières
REMERCIEMENTS .............................................................................................................................................. 3
PROPOS LIMINAIRE ........................................................................................................................................... 4
TABLE DES MATIERES ...................................................................................................................................... 5
TABLE DES FIGURES ......................................................................................................................................... 9
TABLE DU TABLEAU ........................................................................................................................................ 10
LISTE DES ACRONYMES ................................................................................................................................. 11
INTRODUCTION GENERALE ......................................................................................................................... 13
PROPOS INTRODUCTIFS ................................................................................................................................. 13
PROGRAMME DE RECHERCHE ....................................................................................................................... 14
PARTIE 1. ÉTAT DE L’ART ............................................................................................................................. 15
CHAPITRE 1. L’ACTIVITE PHYSIQUE, BOUGER POUR SA SANTE DANS UN CONTEXTE SPECIFIQUE ................. 17
1. Relation entre AP et santé chez les adolescents ................................................................... 17
2. Recommandations pour adopter un mode de vie physiquement actif, sain et durable ......... 18
3. Évolution épistémologique ................................................................................................... 19
CHAPITRE 2. LES DETERMINANTS D’UN STYLE DE VIE ACTIF : LE MODELE BIOECOLOGIQUE ....................... 20
1. Genèse du paradigme écologique ......................................................................................... 20
2. Urie Bronfenbrenner et la théorie bioécologique du PPCT .................................................. 21
3. Confusions et nécessités des études scientifiques qui s’ancrent dans le PPCT .................... 24
4. Adaptation du modèle bioécologique à l’engagement dans l’AP ......................................... 25
CHAPITRE 3. LES OPPORTUNITES D’ACTIVITE PHYSIQUE : UN REGARD TEMPOREL ....................................... 28
1. Le temps, les temps, les temporalités sociales ...................................................................... 28
2. Activité physique, temps chronologiques et temps opportuns ............................................. 29
3. La perception du temps par les adolescents .......................................................................... 30
CHAPITRE 4. LES COMPORTEMENTS D’ACTIVITE PHYSIQUE LORS DES TRANSITIONS DE VIE ........................ 31
6
1. Les temps de vie jalonnés par des seuils .............................................................................. 31
2. L’activité physique et les transitions de vie : des processus non-linéaires ........................... 33
CHAPITRE 5. COMPRENDRE LES TRAJECTOIRES D’ACTIVITE PHYSIQUE LORS D’UNE TRANSITION DE VIE :
L’APPORT DE LA RESILIENCE ........................................................................................................................ 34
1. Genèse et définition .............................................................................................................. 34
2. Un comportement adaptatif et interactif ............................................................................... 35
3. De la résilience réactive à proactive ..................................................................................... 36
4. Évaluer pour mieux construire la résilience ......................................................................... 37
5. La résilience à l’activité physique ........................................................................................ 38
PARTIE 2. OBJECTIFS DE RECHERCHE ..................................................................................................... 39
PARTIE 3. METHODOLOGIE .......................................................................................................................... 40
CHAPITRE 6. LES METHODES MIXTES DE RECHERCHE .................................................................................. 42
CHAPITRE 7. MESURER L’ACTIVITE PHYSIQUE ............................................................................................. 44
1. Les mesures subjectives ........................................................................................................ 44
2. Les mesures objectives ......................................................................................................... 45
CHAPITRE 8. MESURER LES OPPORTUNITES D’ACTIVITE PHYSIQUE .............................................................. 47
1. Associer une activité physique à une activité sociale (Kairos) ............................................ 47
2. Limites méthodologiques des études sur la relation individu-environnement ..................... 47
CHAPITRE 9. RENDRE COMPTE DES EXPERIENCES VECUES DU POINT DE VUE DE L’ACTEUR ......................... 49
1. Le Programme de Recherche du Cours d’Action ................................................................. 49
2. Les entretiens d’auto-confrontation ...................................................................................... 49
CHAPITRE 10. PROTOCOLES DE RECHERCHE ................................................................................................ 51
1. Premier projet : la résilience lors de la transition vers le confinement ................................. 51
2. Deuxième projet : la résilience lors de la transition vers l’âge adulte .................................. 52
3. Analyses des données ........................................................................................................... 53
4. Gestion des données, aspects règlementaires, éthiques et fiabilité ....................................... 54
7
PARTIE 4. RESULTATS .................................................................................................................................... 55
CHAPITRE 11. DES OPPORTUNITES SAISIES EN FONCTION DES TYPOLOGIES D’ADOLESCENTS ...................... 56
CHAPITRE 12. DES OPPORTUNITES SAISIES SELON LES INTERACTIONS AVEC L’ENVIRONNEMENT LORS D’UNE
PERIODE EXCEPTIONNELLE ........................................................................................................................... 68
1. Exploration of socioecological variables to protect against physical activity drop out during
lockdown .......................................................................................................................................... 68
2. Resilience of adolescents in physical activity during the covid-19 pandemic: a preliminary
case study in France ......................................................................................................................... 76
3. “I had the feeling that the teacher was here”: adapting educational approaches to physical
activity during lockdowns ................................................................................................................ 88
CHAPITRE 13. DES OPPORTUNITES PERÇUES ET SAISIES QUI EVOLUENT LORS DE LA TRANSITION VERS L’AGE
ADULTE ...................................................................................................................................................... 103
PARTIE 5. DISCUSSION GENERALE .......................................................................................................... 116
CHAPITRE 14. SYNTHESE DES ETUDES MENEES .......................................................................................... 118
1. Premier projet : la résilience lors de la transition vers le confinement ............................... 118
2. Deuxième projet : la résilience lors de la transition vers l’âge adulte ................................ 119
CHAPITRE 15. PEUT-ON PARLER DE RESILIENCE A L’ACTIVITE PHYSIQUE ? ............................................... 120
1. Tentative de définition ........................................................................................................ 120
2. Vers un devenir résilient ..................................................................................................... 120
3. Essai épistémologique sur la résilience à l’AP ................................................................... 122
4. Forces et limites conceptuelles ........................................................................................... 122
CHAPITRE 16. UNE DISTRIBUTION NON-LINEAIRE DE L’ACTIVITE PHYSIQUE LORS DES TRANSITIONS DE VIE
................................................................................................................................................................... 124
1. Des temps et espaces propices aux comportements résilients à l’activité physique .......... 124
2. Éduquer « au temps » et « aux temps » pour favoriser la résilience à l’activité physique . 125
3. Limites méthodologiques et conceptuelles ......................................................................... 127
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 128
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 129
VALORISATIONS DES TRAVAUX DE THESE .......................................................................................... 155
8
ANNEXES ............................................................................................................................................................... I
COMITE D’ETHIQUE ET DE RECHERCHE ........................................................................................................... I
PROTECTION DES DONNEES ............................................................................................................................ V
PRESENTATION AUX PROVISEURS & AUX ENSEIGNANTS ............................................................................... VI
PRESENTATION AUX PARTICIPANTS ............................................................................................................. VII
CONSENTEMENT DE PARTICIPATION ET AUTORISATION PARENTALE .......................................................... VIII
POLITIQUE DE PROTECTION DES DONNEES ..................................................................................................... IX
SCHEMA DU QUESTIONNAIRE DE RECONSTRUCTION DES TEMPS SOCIAUX ...................................................... X
EXEMPLE DE RETOUR AUX PARTICIPANTS ..................................................................................................... XI
9
Table des figures
Figure 1. Course à la thèse : trajectoire doctorale vécue sous la forme d’un marathon .................................... 4
Figure 2. Graphiques de similitudes avec les relations entre les cooccurrences des mots présents dans la partie
État de l’art .......................................................................................................................................................... 16
Figure 3. Rapport entre les Mets et la sédentarité, l’IP et l’AP, (Gibbs et al., 2015) ...................................... 18
Figure 4. Profils liés à l’activité physique et la sédentarité (Observatoire Nationale de l’Activité Physique et
de la Sédentarité, 2022) .......................................................................................................................................... 19
Figure 5. Modélisation de l’engagement dans l’AP selon le cadre bioécologique (McLeroy et al., 1988) .... 26
Figure 6. Modélisation des corrélats du développement de l’AP chez un individu (Bauman et al., 2012) .... 26
Figure 7. Le cycle de vie des sciences sociales dans les sociétés occidentales (Dubreuil, 2020) ................... 32
Figure 8. Différents critères de transition vers l’âge adulte (Dubreuil, 2020) ................................................ 32
Figure 9. Définitions de la résilience en fonction des disciplines scientifiques (Lhomme et al., 2010) ......... 34
Figure 10. Processus interactif et adaptatif de la résilience (Gunderson & Holling, 2002) .............................. 36
Figure 11. Graphiques de similitudes avec les relations entre les cooccurrences des mots présents dans la partie
Méthodologie .......................................................................................................................................................... 41
Figure 12. Processus de réalisation du projet sur la transition vers un mode de vie confiné ............................ 52
Figure 13. Processus de réalisation du projet sur la transition vers l’âge adulte ............................................... 53
Figure 14. Graphiques de similitudes avec les relations entre les cooccurrences des mots présents dans la partie
Discussion ........................................................................................................................................................ 117
Figure 15. Recommandations mondiales concernant les stratégies pour les leçons d’EPS visant à promouvoir
des modes de vie actifs chez les enfants et les adolescents d'âge scolaire (Bandeira et al., 2022). ...................... 126
Note
1
1
Les figures de la partie 4 sur les résultats, écrit sous forme d’articles scientifiques, ne figurent pas dans cette liste.
10
Table du tableau
Tableau 1. Exemple de questions posées pour la reconstruction des signes hexadiques ciblées ........... 50
Note
2
2
Les tableaux de la partie 4 sur les résultats, écrit sous forme d’articles scientifiques, ne figurent pas dans cette liste.
11
Liste des acronymes
ACP : Analyse en Composante Principale
ANOVA : Analyse de variance (Analysis Of Variance)
AP : Activité Physique
BAC : Baccalauréat
CPM : Count Par Minute
EAC : Entretien d’Auto-Confrontation
EPS : Éducation Physique et Sportive
FAMD : Analyse Factorielle de Données Mixtes (Factorial Analysis Mixte Data)
IP : Inactivité Physique
IPAQ : International Physical Activity Questionnaire
LPA : Activité Physique Légère (Low Physical Activité)
MET : Metabolic Equivalent task
MVPA : Activité Physique Modérée et Vigoureuse (Moderate and Vigorous Physical Activity)
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PPCT : Processus – Personne – Contexte – Temps
T1 : Temps 1
T2 : Temps 2
VPA : Activité Physique Vigoureuse (Vigorous Physical Activity)
Note
3
3
Les acronymes de la partie 4 sur les résultats, écrit sous forme d’articles scientifiques, ne figurent pas dans cette liste.
12
13
Introduction
Introduction générale
« Aucune société ne peut se maintenir longtemps si ses membres n'ont pas appris les sensibilités, les motivations et les compétences
nécessaires pour aider et prendre soin d'autres êtres humains »
Urie Bronfenbrenner, 2005, p.14
Propos introductifs
Depuis le début du XXIème siècle, l’inactivité physique (IP) augmente à l’échelle mondiale (Guthold et
al., 2020) et conduit à un accroissement des maladies non transmissibles, causant près de 7% des décès dans le
monde (Organisation Mondiale de la Santé, OMS, 2018). Quatrième cause de mortalité (GBD, 2015), le manque
d’activité physique (AP) est considéré comme une « pandémie » et une « épidémie » mondiale (Kohl et al., 2012
; OMS, 2022). En parallèle, de nombreuses études scientifiques mettent en avant l’importance d’adopter un mode
de vie physiquement actif pour protéger et améliorer l’état de santé des populations (Ekelund et al., 2019; Janssen
& LeBlanc, 2010; Warburton & Bredin, 2017). Ces recherches amènent les politiques publiques à construire des
environnements propices à l’AP (pistes cyclables, infrastructures sportives, villes actives) afin d’inciter les
populations à s’y engager (Deguilhem & Juanico, 2016; Stratégie Nationale Sport Santé 2019-2024; Plan vélo et
mobilité active 2022-2027). Cependant cette volonté présente deux principaux écueils : d’une part, les
aménagements ne sont pas homogènes entre les territoires, et d’autre part, les effets ne sont pas immédiats au
regard du décalage entre leurs mises en place et les actions concrètes des citoyens. En effet, le niveau mondial d’IP
n’évolue pas depuis 2003 et continue même de progresser dans les pays à produit intérieur brut élevé, rendant de
moins en moins probable l’atteinte des objectifs de réduction de 15% de l’IP en 2025, voire 2030 (Dong et al.,
2020; Guthold et al., 2020).
Traditionnellement, la recherche sur l’AP s’appuie sur la définition de Caspersen (1985) qui la considère
comme « tout mouvement produit par les muscles squelettiques dont le résultat nécessite une dépense
énergétique ». Cette vision d’un corps mécanique n’envisage qu’en filagramme l’aspect dynamique, relationnel,
culturel et physiologique qui sous-tend le niveau d’AP. Récemment, Piggin (2020) a proposé une conceptualisation
plus riche de l’AP, comprise comme des « personnes qui bougent, agissent et performent, avec leur espaces et
contextes culturels spécifiques, influencées uniquement par leurs propres intérêts, émotions, idées, instructions et
relations ». Ainsi, des facteurs individuels sont perçus comme des barrières à l’engagement dans l’AP, comme le
manque de temps qui est l’un des plus couramment reconnus (Duffey et al., 2021). Plus largement, des facteurs
développementaux et environnementaux impactent l’AP des jeunes tout au long de la vie, notamment lors des
périodes de transition qui bouleversent les modes de vie et de facto la pratique d’AP (Gropper et al., 2020). Corder
et al. (2019) ou Varma et al. (2017) ont montré que la période de transition de l’adolescence vers l’âge adulte est
charnière dans l’adoption d’un mode de vie physiquement actif. López-Valenciano et al. (2021) ont montré que
l’entrée en confinement contre la covid-19 a fortement impacté l’AP des jeunes. Dans la perspective de lier ces
facteurs développementaux, environnementaux et individuels, le cadre théorique bioécologique (Bronfenbrenner,
1979 ; Bronfenbrenner et Morris, 2005), adapté à l’AP (Bauman et al., 2012), propose d’expliquer les
comportements humains à travers différents systèmes interconnectés, intitulés micro-, méso-, macro- et chrono-
systèmes. Mesurer l’interaction de ces systèmes permet de mieux comprendre l’effet de ces périodes de transition
afin de repenser les stratégies d’éducation à une AP saine, régulière et durable.
À l’international, la préoccupation des gouvernements envers ces problématiques est grandissante.
L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO, 2015) évoque la nécessité
d’une « éducation de qualité » pour que chaque individu soit équipé des ressources nécessaires à l’adoption d’un
mode de vie physiquement actif. Les transitions de vie sont particulièrement intéressantes à étudier, car le
bouleversement qu’elles provoquent, la plupart du temps, ont un impact négatif sur le niveau d’AP (Gropper et al.,
2020), amenant à envisager l’étude de l’évolution du niveau d’AP du point de vue de la résilience. Cette notion
14
Introduction
prend de plus en plus d’ampleur dans la compréhension des processus adaptatifs permettant aux individus de réagir
avec adversité aux bouleversements vécus, incluant les transitions de vie, afin d’éviter de subir une perte d’AP
(Masten, 2014). La résilience est reconnue comme un objectif d’éducation essentiel en étant inscrit dans les
objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies (objectif 1 « pas de pauvreté », sous-
objectif 5 « construire la résilience »). Si d’une part, les politiques publiques semblent convaincues par l’étude de
la résilience, et d’autre part, par la nécessité de pratiquer une AP saine et régulière, aucune étude scientifique ou
empirique n’étudie la résilience à l’AP.
Programme de recherche
Cette thèse s’organise en cinq parties. Premièrement, une revue de littérature présente le concept d’AP,
le modèle bioécologique, les opportunités, les transitions de vie et la résilience. La deuxième partie présente les
outils de mesure, le protocole suivi pour chaque étude et les méthodes d’analyses. Les trois chapitres suivants se
focalisent chacun sur une étape des résultats avec les publications scientifiques qui y sont associées : (i)
l’identification de l’organisation temporelle en termes d’AP des lycéens à bac-1 en fonction de leur profil initial
d’AP (article 1), (ii) l’impact du changement exceptionnel vers un mode de vie confiné avec des déterminants
(article 2), des profils bioécologiques d’adolescents plus ou moins résilients (article 3) et l’impact du suivi
pédagogique à distance proposé par les enseignants d’EPS (article 4) et (iii) les durées et intensités d’AP lors du
passage à l’âge adulte symbolisé par l’évolution du statut social à bac+1 (article 5). Une discussion générale des
résultats obtenus au travers les différentes études conclut le manuscrit.
15
Littérature
PARTIE 1. État de l’art
« Les vérités scientifiques ne sont que des erreurs en sursis »
Karl Popper, 1934
L’objectif de cette première partie est de présenter un état de l’art sur les cinq principales notions qui
structurent ce travail de recherche. Le premier chapitre se centre sur l’AP en tant qu’interaction entre une quantité
et une intensité d’énergie dépensée pour le mouvement tout en cherchant à dépasser la vision strictement
physiologique. Il s’agit de l’envisager comme un processus complexe, dynamique et évolutif entre l’individu et
son environnement. Le deuxième chapitre expose le cadre théorique bioécologique de Bronfenbrenner (1979 ;
2005) qui est retenu comme modèle théorique explicatif de l’engagement et du désengagement dans l’AP. Le
troisième chapitre développe la notion d’opportunité pour laquelle la perception du temps opportun (Kairos)
dépasse celle du temps chronologique (Chronos). Cette nouvelle vision temporelle offre des perspectives vis-à-vis
des stratégies d’intervention. Le chapitre quatre questionne les transitions de vie entendues comme des périodes
critiques dans l’évolution de l’AP. Enfin, le dernier chapitre explore le concept de résilience à l’AP pour interpréter
les comportements adaptatifs face à l’adversité des transitions de vie. Ses caractéristiques de stabilités,
d’augmentations ou de diminutions sont précisées. La résilience proactive est explorée dans le domaine de
l’éducation.
16
Littérature
Figure 2. Graphiques de similitudes avec les relations entre les cooccurrences des mots présents dans la
partie État de l’art
La figure 2 présente une analyse de similitudes avec les occurrences et les cooccurrences sur les relations
entre le corpus de texte de la partie État de l’art. L'indice de regroupement est la cooccurrence des termes. La taille
de la police dépend de l’occurrence (fréquence) du terme. Cette figure fait émerger le contenu du texte et montre
que les concepts de d’AP, de temps et d’individu sont au centre des relations. Le comportement résilient émerge
de l’individu, qui est lui-même en relation avec l’environnement. Les temps sociaux, au sens du Kairos, modère
la relation entre l’AP et l’individu. La légende montre l’effectif pour chaque terme du graphique. La figure a été
réalisée sous Iramuteq, nécessitant le package « iGraph de R », avec la méthode de l’algorithme de Fruchterman-
Reingold (1991). Une lemmatisation a été effectuée pour à la fois homogénéiser le corpus de texte et enlever les
mots non porteurs de sens. Seules les effectifs supérieures à 30 ont été gardées pour plus de lisibilité dans la
représentation. Plus le mot est présent dans le texte, plus sa taille est grande.
Légende
AP
145
Temps
113
Résilience
74
Bronfenbrenner
73
Individu
72
Vie
71
Processus
54
Transition
52
Environnement
50
Développement
50
Social
48
Modèle
46
Âge
38
Comportement
35
Opportunité
34
Système
33
Activité
33
Relation
30
Contexte
30
Écologique
30
17
Littérature
Chapitre 1. L’activité physique, bouger pour sa santé dans un
contexte spécifique
Le manque d’AP est reconnu par l’OMS (2022) comme le quatrième facteur de risque de mortalité au
sein des maladies non-transmissibles à l’échelle mondiale (7% des décès mondiaux, 10% des décès européens,
Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentation, environnement, travail, 2016), après l’hypertension (13%), le
tabagisme (9 %) et un taux élevé de glucose dans le sang (6%). Ces chiffres apparaissent d’autant plus alarmants
dès lors qu’ils sont mis en perspectives avec la sédentarité des adultes européens (34%, Hallal et al., 2012) et les
taux d’IP recensés (71%, OMS, 2018). Plus particulièrement, avec 86% des garçons et 94% des filles en IP à
l’adolescence, la France fait partie des pays les moins bien classés en 2012 (Kalman et al., 2015). Selon Dong et
al. (Dong et al., 2020), l’absence d’évolution des politiques d’éducation et de promotion de l’AP amène à des
prédictions pessimistes sur l’augmentation du niveau d’IP d’ici 2030. Celles-ci confirment la tendance soulignée
par Kemper et al. (1999) selon laquelle un adolescent perd 30% d’AP entre 13 et 27 ans, quel que soit le sexe.
L’objet de ce premier chapitre est de présenter le concept d’AP au regard des enjeux de santé individuelle et
collective. Les préconisations de l’OMS sont mises en perspectives avec les différentes conceptions de l’AP,
passant d’une centration physiologique à une approche écologique. Comprendre cette bascule épistémologique
semble être un prérequis pour comprendre le phénomène d’engagement dans un mode de vie physiquement actif.
1. Relation entre AP et santé chez les adolescents
Depuis une vingtaine d’années, la littérature scientifique est foisonnante sur la relation entre l’AP et la
santé et ne cesse de souligner l’importance d’adopter un mode de vie physiquement actif, pierre angulaire d’un
état de santé équilibré (Cummins & Macintyre, 2006; Ekelund et al., 2016; Giles-Corti & Donovan, 2002; Rezende
et al., 2014; Warburton & Bredin, 2017). L’OMS (2010) définit la santé comme « un état complet de bien-être
physique, mental et social et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Les états
de santé physique (obésité, capacités cardiorespiratoires, une meilleure endurance musculaire et une plus grande
force), mentaux (réduction des symptômes d’anxiété et de dépression) ou sociaux (confiance en soi, ouverture aux
autres) peuvent être améliorés de façon significative par la pratique régulière d’une AP (S. Biddle & Mutrie, 2007;
Boreham & McKay, 2011; Oja et al., 2015; Samitz et al., 2011; Strong et al., 2005). Wen et al. (2011) ont estimé
à trois ans le gain en espérance de vie pour une pratique régulière de 15 minutes par jour. Plus que des effets
positifs sur la santé individuelle, l’engagement durable dans une vie physique revêt également un enjeu
économique. La perte de productivité annuelle due à la mortalité prématurée attribuable au comportement
sédentaire coute 507 millions d’euros en France (Noël Racine et al., 2022) et le coût total et mondial de la
sédentarité a été estimé à 53.8 milliards d’euros (Ding et al., 2016).
Cette relation entre AP et santé revêt un enjeu majeur chez les adolescents, pour qui le niveau d’AP
conditionne celui à l’âge adulte (Telama et al., 2005; Varma et al., 2017), alors que celui-ci a tendance à diminuer
avec l’âge (Kemper et al., 1999; Telama et al., 2014; Verdot et al., 2022). Verdot et al. (2022) ont mis en avant
que le nombre de garçons et de filles suffisamment actifs passe respectivement de 70% et 55% entre 6 et 10 ans à
40% et 16% entre 15 à 17 ans. Dans un souci d’améliorer l’accès à la pratique d’une AP pour toutes et tous, des
recommandations sont émises par des instances et des experts internationaux pour conseiller les nations (Bull et
al., 2010; Daugbjerg et al., 2009; Foster et al., 2018; Noël Racine et al., 2020; OMS, 2004, 2016, 2018; Pate et al.,
1995). En France, des campagnes politiques, publicitaires et éducatives tentent de promouvoir la santé en incitant
aux comportements sains, aux déplacements actifs, aux minutes d’AP par jour et aux 10.000 pas quotidiens
(Baromètre attitude prévention, 2016). Ces recommandations sont reprises par les politiques européennes en
soutenant la nécessité de promouvoir la santé par l’AP de manière transversale et à destination des enfants et des
jeunes, dont 81% n’atteignent pas les niveaux d’AP recommandés par l’OMS (Guthold et al., 2020; Van Breda et
al., 2018). Ces constats invitent les États membres de l’Union Européenne à continuer « d’échanger de bonnes
pratiques et de coopérer dans le cadre d’initiatives pertinentes » et à « améliorer le suivi et la surveillance de l’AP
» en favorisant « le développement des indicateurs, des méthodes de collecte de données, de la diffusion de bonnes
pratiques et d’outils de renforcement des capacités, ainsi que de l’élaboration de politiques » (European
18
Littérature
Commission, 2019). Cependant, malgré les politiques éducatives mises en œuvre, le taux d’individus en IP n’a pas
diminué depuis 2003 (Guthold et al., 2020).
2. Recommandations pour adopter un mode de vie physiquement actif, sain et durable
Une quantité minimale d’AP pour les enfants et les adolescents est définie par le seuil de 60 minutes d’AP
modérée à vigoureuse (MVPA) par jour, réparties sur des périodes d’au moins 10 minutes consécutives (OMS,
2022). Les intensités modérées et vigoureuses (MPA et VPA) sont reconnues comme ayant les effets les plus
bénéfiques sur la santé en amenant à une diminution significative de la mortalité (Ekelund et al., 2019; R. Sallis et
al., 2021). Ces normes s’appuient sur la définition de l’AP proposée par Caspersen (1985), couramment employée
en santé publique : « tout mouvement corporel induit par les muscles squelettiques responsables d’une
augmentation de la dépense énergétique ». Cette définition est axée sur la dimension physiologique de la dépense
énergétique, dont deux unités sont principalement utilisées pour la mesurer. D’une part, le Metabolic Equivalent
of Task (Met) consiste à déterminer la DE d’un individu en fonction de l’AP concernée, du temps consacré, de
l’âge et du sexe. La valeur du Met représente le rapport entre la dépense énergétique de l’activité entreprise et celle
du métabolisme au repos (dont la valeur est égale à 1 Met, consommant 3.5 mL.kg.min-1 d’oxygène, Haute Autorité
de Santé, 2022). Plusieurs études ont permis d’établir des compendiums afin d’estimer la dépense énergétique,
exprimée en Met pour une unité de temps (minutes par semaine ou heures par semaine) en fonction des activités
pratiquées et des caractéristiques du pratiquant (Ainsworth et al., 2000, 2011; Butte et al., 2018; Ridley et al.,
2008; Shephard, 2012), déterminant par exemple que 3 Met correspond à une activité dont la dépense énergétique
est proche de la marche (Butte et al., 2017). D’autre part, la méthode des cutpoints (Evenson et al., 2008; Freedson
et al., 1998) estime la dépense énergétique en fonction des accélérations d’un individu dans les trois plans de
l’espace. Celle-ci est exprimée en Counts par Minute (CPM). La figure 3 représente le spectre des mouvements
humains en fonction des intensités d’AP exprimées en Mets.
Figure 3. Rapport entre les Mets et la sédentarité, l’IP et l’AP, (Gibbs et al., 2015)
Grace à ces méthodes de quantification, quatre seuils d’intensité sont définis : (i) les comportements
sédentaires correspondant à une dépense énergétique inférieure à 1.5 Mets ou inférieure à 100 CPM, (ii) l’AP
légère (LPA) avec une AP inférieure à 3 Mets ou comprise entre 100 et 2296 CPM, (iii) l’AP modérée (MPA)
comprise entre 3 à 6 Mets ou s’étendant de 2296 à 4012 CPM et (iv) l’AP intense (VPA) qui est supérieure à 6
Mets et 4012 CPM ((Evenson et al., 2008; Freedson et al., 1998; Gibbs et al., 2015). La dépense énergétique peut
être convertie en intensités selon des seuils (exprimés en Mets ou en CPM) qui permettent de qualifier un
individuant selon l’atteinte ou non des recommandations internationales. Ainsi, l’AP, l’IP et les comportements
sédentaires se distinguent. Si être actif est assimilé à l’atteinte des recommandations de l’OMS et être inactif à ne
pas les atteindre, les comportements sédentaires font référence à tout comportement en situation de repos total,
mais lors du temps d’éveil (Tremblay et al., 2017). Chevance et al. (2016) et Saunders et al. (2014) ont proposé
des profils d’individus croisant ces trois concepts (figure 4) : (i) les « actifs non sédentaires » qui suivent les
19
Littérature
recommandations de l’OMS en termes d’AP sans être en situation de sédentarité à d’autres moments de la journée,
(ii) les « actifs sédentaires » qui atteignent les recommandations de l’OMS en termes d’AP mais qui accumulent
trop de temps sédentaire au long de la journée, (iii), les « inactifs sédentaires » qui ne suivent pas les
recommandations de l’OMS et accumulent trop de temps sédentaire et enfin (iv) les « inactifs non sédentaires »
qui les recommandations de l’OMS en termes d’AP mais accumulent peu de temps sédentaire (Chevance et al.,
2016 ; Saunders et al., 2014). Ainsi, l’AP et l’IP peuvent être étudiées séparément mais évoluent en étroite relation
avec les comportements sédentaires.
Figure 4. Profils liés à l’activité physique et la sédentarité (Observatoire Nationale de l’Activité Physique
et de la Sédentarité, 2022)
3. Évolution épistémologique
L’atteinte des recommandations de l’OMS dans la vie physique d’un individu relève d’un processus
complexe (Hammond & Bateman, 2009). Dans une revue systématique, Martins et al. (2021) ont identifié un
ensemble de barrières et leviers à l’engagement dans un mode de vie physiquement actif, démontrant que des
variables individuelles, interpersonnelles, environnementales et socio-culturelles ont un impact sur l’engagement
et le désengagement dans l’AP. En France, le cumul des contraintes professionnelles, scolaires et familiales
(Croutte et al., 2019), est associé au manque de temps qui représente la principale barrière à l’AP (Duffey et al.,
2021). Il existe également des disparités socio-culturelles dans la mesure où l’IP est davantage associée à des
catégories socioprofessionnelles défavorisées ou éloignées de la culture occidentale (Borraccino et al., 2009).
Dès 2010, l’OMS a tenté de reconnaitre ces complexités en dépassant la dimension physiologique de l’AP
avec une nouvelle définition : « l’AP désigne tous les mouvements que l’on effectue notamment dans le cadre des
loisirs, sur le lieu de travail ou pour se déplacer d’un endroit à l’autre » (OMS, 2010). Cependant, bien que l’AP
soit dissociée en différentes activités sociales, certaines variables ne sont pas prises en compte et il faut attendre
2020 pour qu’une bascule épistémologique s’opère : l’AP implique des « personnes qui bougent, agissent et
performent, avec leur espaces et contextes culturels spécifiques, influencées uniquement par leurs propres intérêts,
émotions, idées, instructions et relations» (Piggin, 2020). Cette définition s’appuie sur les paradigmes écologiques
qui sont de plus en plus empruntés dans la littérature scientifiques ces dernières années (Hynynen et al., 2016). Il
a récemment été démontré que les cadres écologiques ont aidé à guider des initiatives environnementales et
politiques afin d’augmenter le nombre d’opportunités d’AP et ainsi amplifier sa promotion envers les jeunes
(Martins et al., 2021).
Synthèse : Pratiquer une AP régulière est un moyen efficace pour préserver un bon niveau de santé. Pour qu’un adolescent soit considéré
comme physiquement actif, un engagement de 60 minutes de MVPA par jour est nécessaire. Les modèles théoriques valorisent la dimension
physiologique de l’AP en centrant sa définition et ses mesures sur la dépense énergétique. L’évolution épistémologique proposée par Piggin
(2020), qui envisage l’AP comme une activité sociale, culturelle, spatialisée et émotionnelle ouvre de nouvelles pistes pour mieux comprendre
et mieux intervenir dans le domaine de la promotion de l’AP et la lutte contre l’IP et les comportements sédentaires.
20
Littérature
Chapitre 2. Les déterminants d’un style de vie actif : le modèle
bioécologique
Depuis les années 1980, l’approche bioécologique s’est progressivement imposée comme un paradigme
dominant en sciences de la santé et de l’AP. Son approche est largement mobilisée dans la mise en place d’actions
de promotion de santé publiques (Richard et al., 2011). Le modèle bioécologique postule que le développement
des individus est influencé par différents déterminants qui interagissent les uns avec les autres, et évoluant avec le
temps (McLeroy et al., 2003). Il dépasse les modèles psychosociaux qui analysent le développement humain selon
des variables psychologiques ou sociologiques sans questionner les systèmes qui relient ces déterminants. Il se
différencie aussi des modèles biomédicaux qui isolent des variables dans un but de guérison rapide et qui
n’envisagent pas une réponse ancrée dans un système complexe avec une finalité préventive (Sallis et al., 2008).
Généralement appelé modèle « socio-écologique », les études épistémologiques privilégient la terminologie
« bioécologique » (Araujo & Davids, 2009; Tudge et al., 2009). Ce chapitre est consacré à la présentation du
modèle bioécologique de Bronfenbrenner (1979, 1995, 2005) adapté à l’AP (Bauman et al., 2012). Il explicite la
genèse et le fonctionnement du modèle, puis son adaptation à l’AP. Il décrit, d’une part, les principaux résultats
des études qui ont porté sur la promotion de l’AP selon le modèle bioécologique, et d’autre part, ses principales
limites.
1. Genèse du paradigme écologique
Étymologiquement, l'écologie trouve ses racines dans la complémentarité du grec oikos et logos,
signifiant respectivement maison-environnement et connaissance. Roger Barker (1903-1991), Egon Brunswik
(1903-1956), James Gibson (1904-1979) et Urie Bronfenbrenner (1917-2005) sont, entre autres, identifiés comme
les mentors des principales écoles de pensée en psychologie écologique (Heft, 2001). Barker (1979) a examiné les
contextes comportementaux extra-individuels en se concentrant spécifiquement sur les attributs
environnementaux, considérant qu’ils sont construits et agissent pour promouvoir ou limiter certains
comportements (Kaminski, 2009). Brunswik (1966), à travers le fonctionnalisme probabiliste. Il a soulevé la
question de « l'ontologie de la probabilité » dans le comportement humain (Hammond & Bateman, 2009). Gibson
(1979) a formalisé la façon dont la perception d’un individu est couplée à son environnement à travers le concept
d’affordance. Ce dernier sous-tend que les opportunités d’actions sont fournies par de multiples sources
d’informations provenant d’indices environnementaux plus ou moins pertinents (Fajen et al., 2009).
Bronfenbrenner (1979) s’est intéressé au niveau le plus large de la pensée écologique avec des idées relatives aux
relations entre les déterminants individuels, interpersonnels et les contextes aux macro-influences, fournissant un
modèle complet aux multiples niveaux de facteurs qui influencent les choix comportementaux (Krebs, 2009).
Les inspirations de ces quatre précurseurs du paradigme écologique (Bronfenbrenner, 1979; Barker, 1979
; Brunswik, 1966, 1955 ; Gibson & Crooks, 1938) ont émergé sous l’impulsion du philosophe Kurt Lewin (Araujo
& Davids, 2009; Hammond & Bateman, 2009; Heft, 2001; Vicente, 2003). Si Lewin a influencé les premières
hypothèses de Bronfenbrenner, mais aussi dans une autre mesure celles de Barker, Brunswik et Gibson, il n'y a
pas eu de point de départ appelé « psychologie écologique » ni de noyau commun entre ces auteurs (Araujo &
Davids, 2009). La théorie de Lewin est considérée comme un point d’ancrage, mais les quatre positions sont
différentes de sa pensée originale. Kurt Lewin (1936) a proposé une équation pour modéliser le comportement
humain comme une fonction conjointe de la personne et de l’environnement, (B) = f (PE), où le comportement (B)
est le résultat (f) de l'interaction entre la personne (P) et l'environnement (E). Cette équation a été modifiée par
Bronfenbrenner (1983) en D = f (PE), faisant évoluer le comportement (B) en développement (D). Toutefois,
comme le développement inclut la notion de processus temporel, Bronfenbrenner a intégré un facteur temps : Dt
= f (t-p) (PE) (t-p), où t représente la période temporelle durant laquelle le résultat du développement (D) s’observe
et (t-p) représente la période au cours de laquelle les systèmes reliant l’individu et l'environnement interagissent.
Écrire à deux reprises (t-p) dans l’équation signifie, d’une part, que le processus de développement évolue dans le
temps et, d’autre part, que ces systèmes peuvent évoluer. Finalement, Bronfenbrenner (2005) défend l’idée selon
21
Littérature
laquelle : « la distinction clé réside dans le fait que le développement implique un paramètre qui n'est pas présent
dans l'équation originale de Lewin, la dimension du temps » (Bronfenbrenner, 2005, p.108).
Ces quatre théoriciens (Barker, Brunswik, Gibson et Bronfenbrenner) ne se sont pas influencés les uns
les autres. Bronfenbrenner a, pour sa part, explicitement discuté le concept d'écologie de Brunswik en se centrant
sur la dimension politique et sociétale relative au développement des jeunes (Hammond, 1998; Krebs, 2009).
Bronfenbrenner s'est aussi appuyé sur le cadre de Barker en insistant sur la sensibilité des individus aux conditions
qui ont leur origine en dehors des limites des cadres comportementaux, ayant eux-mêmes été des phénomènes
socioculturels (Heft, 2001). Ainsi, Bronfenbrenner a apporté une contribution significative aux relations entre
l’individu et l’environnement par la défense d’une vision systémique, limitant le risque de valoriser un versant
plutôt qu’un autre (Araujo & Davids, 2009).
Trois principales divergences séparent ces mentors du paradigme écologique. Premièrement, Gibson,
Brunswik et Bronfenbrenner ont fait de l’ancrage théorique une priorité scientifique, alors que Barker a été, au
départ, athéorique. Deuxièmement sur le plan terminologique, Brunswik et Gibson ont développé l'expression de
« psychologie écologique » pour identifier leur approche, alors que Barker s’est orienté vers des « sciences
écocomportementales » et que Bronfenbrenner a défini son approche comme un modèle « bioécologique » (Araujo
& Davids, 2009). Enfin, ils se différencient sur le processus de perception et de saisie des opportunités
comportementales : Bronfenbrenner, Brunswiks et Barker se sont appuyés sur des approches systémiques et
multifactorielles, alors que Gibson s’est davantage orienté vers une relation directe avec des principes dynamiques
en modélisant le concept d’affordance (Kugler et al., 1980; Barab et al., 1999; Turvey & Shaw, 1995; Warren,
2006).
Des similitudes dans les idées fondamentales du processus d’interaction individu-environnement sont
aussi identifiées entre les quatre courants écologiques. Premièrement, les écoles Barkerienne, Brunswikienne,
Gibsonienne et Bronfenbrennerienne de la psychologie écologique ont en commun de se concentrer sur les
interactions réciproques de l'individu avec l'environnement en rejetant, à des degrés divers, l'approche
traditionnelle prédominante de la psychologie cognitive. Secondement, les relations espace-temps, dont les
trajectoires sont évolutives et sont formulées par des équations non linéaires, permettent de mieux comprendre le
processus de développement du système comportemental : émergence, persistance et changement (Haken, 1996 ;
Kelso, 1995; Beek, Peper & Stegeman, 1995). Ainsi, le paradigme écologique postule l’existence d’un processus
non-linéaire dans le développement des systèmes comportementaux (Turvey & Shaw, 1995). Une préconisation
essentielle est de relever ce défi, en étudiant le comportement en plusieurs tranches de temps, relatives aux
opportunités temporelles, retranscrites sous forme d’équations mathématiques, afin de mieux comprendre le
processus de perception et de prise de décision (Vicente, 2006).
Les influences des écoles de la psychologie écologique de Barker, Brunswick, Gibson et Bronfenbrenner
n’ont pas les mêmes impacts dans l’analyse des comportements d’AP (Araújo & Davids, 2009). Initialement,
l’influence majoritaire est celle des Gibsoniens pour lequels le concept d’affordance est largement exploité (Lee
et al, 1982, Salomon et al, 1984; Abernethy 1993; Oudejans et al, 1997, 2000). La théorie bioécologique de
Bronfenbrenner a émergé plus tardivement et a vu son influence grandir grâce à une focalisation plus importante
sur les variables politiques, sociétales et culturelles. Son modèle permet d’être force de propositions dans les
décisions politiques sur l’éducation et l’aménagement territoriale à des fins de santé (Bauman et al., 2012; Hynynen
et al., 2016; J. F. Sallis et al., 2008). Finalement, le point central de la psychologie écologique réside dans la mesure
descriptive de l'environnement dans lequel évolue l’individu, et qui oriente la façon dont ce dernier acquiert des
connaissances et en saisit les opportunités d’AP (Araújo & Davids, 2009). Des phases de description et de
compréhension environnementales sont alors un prérequis aux propositions d’intervention.
2. Urie Bronfenbrenner et la théorie bioécologique du PPCT
Le modèle bioécologique de Urie Bronfenbrenner est un système théorique évolutif permettant d'analyser
le rôle de l'environnement dans le développement humain tout au long de la vie (Bronfenbrenner, 2005).
22
Littérature
Bronfenbrenner a développé son modèle au gré de ses voyages entre l’Union Soviétique, la Chine et les États-Unis
des années 1950-1960 (Härkönen, 2007).
« Si, en Union soviétique, on est allé trop loin dans la régimentation de l'enfant et du collectif d'enfants qui l'entoure en leur imposant le
système normatif de la société adulte dans un souci d'uniformité, alors, d'un autre côté, aux États-Unis, on a atteint un cul-de-sac en donnant
aux enfants des libertés trop étendues et en n'utilisant pas du tout l'influence positive du collectif d'enfants dans le développement du sens de
la responsabilité sociale. Aux États-Unis, nous avons besoin, au contraire, d'une participation plus active des parents et des autres adultes à
la vie familiale, communautaire et sociale » Bronfenbrenner, 1974, p. 147
La théorie de Bronfenbrenner (1979) est une théorie psychologique du développement humain qui se
focalise sur la croissance d’une personne, afin d’en faire un acteur pleinement intégré de la société. La spécificité
du modèle réside dans son interdisciplinarité et sa focalisation intégrative sur les jeunes, ainsi que dans son intérêt
explicite pour les applications au niveau politiques et aux programmes visant à améliorer le développement des
jeunes et des familles (Bronfenbrenner et Morris, 2006).
« L'écologie du développement humain est l'étude scientifique de l'accommodation progressive et mutuelle, tout au long de la vie, entre un
être humain actif en pleine croissance et les propriétés changeantes des milieux immédiats dans lesquels vit la personne en développement,
car ce processus est affecté par les relations entre ces milieux, et par le contexte plus large dans lequel les milieux sont intégrés »
Bronfenbrenner, 2005, p. 107
En 2005, Bronfenbrenner a révisé son modèle original de 1979, afin d’en « modifier les sens de gravité »
(Bronfenbrenner & Morris, 1998, p. 993) et tendre vers une structure plus complexe et dynamique. Son premier
modèle, initié avec la publication de « Ecology of Human Development » (1979), a été centré sur le rôle
prépondérant de l'environnement dans le développement humain. Les critiques de Thomas (1992), qui ont dénoncé
l’élaboration de la théorie bioécologique comme une séquence d’étape qui n’est pas intervenu en étroite relation
mais plutôt sous la forme de « navette » (p. 15), c’est-à-dire d’aller-retour avec des modifications régulières, ont
amené Bronfenbrenner a mené une analyse rétrospective de sa propre modélisation. Il a proposé une évolution de
son modèle en 1995 pour rééquilibrer le poids des systèmes avec plus d’importance accordée aux variables
individuelles. En complétant sa définition de l'écologie du développement humain, Bronfenbrenner a commenté
le déséquilibre entre le nombre d'études axées sur les propriétés environnementales et celles axées sur les propriétés
de la personne :
« Depuis la publication de Ecology of Human Development, je me suis livré à une opération de contrebande. Dans une série d'articles écrits
ostensiblement à d'autres fins, j'ai poursuivi un programme caché : celui de réévaluer, réviser, étendre, ainsi que regretter et même renoncer
à certaines des conceptions exposées dans ma monographie de 1979. […] Pourtant, un examen de l'ensemble désormais substantiel de
recherches menées dans une perspective écologique au cours de la dernière décennie révèle un déséquilibre frappant. […] Les études
existantes sur l'écologie du développement humain ont apporté plus de connaissances sur la nature des environnements importants pour le
développement, proches et lointains, que sur les caractéristiques des individus en développement, hier et aujourd'hui » Bronfenbrenner,
2005, p. 106-107
Le modèle bioécologique de Bronfenbrenner a évolué de 1979 à 2005, mais n’a, jusqu’alors, pas été
modélisé et synthétisé sous la forme d’un schéma. Dans sa forme mature, Bronfenbrenner a déterminé quatre
composants de son modèle : les processus proximaux (P), les caractéristiques biopsychologiques d'une
personne en développement (P), les paramètres du contexte écologique (C) et la dimension du temps (T), qui ont
entretenu des relations interactives (Bronfenbrenner & Morris, 2006). Son modèle a représenté une avancée notoire
puisque, jusqu’aux années 2000, la plupart des études se sont appuyées sur des modèles analytiques dans lesquels
une variable dépendante est isolée (par exemple, la motivation, l'anxiété, voir les études de Seifriz et al., 1992 ;
Kavussanu & Roberts, 1996; Vlachopoulos & Biddle, 1996; Papaioannou, 1998; Dunn, 2000). Ainsi, il a nommé
sa théorie bioécologique PPCT : processus-personne-contexte-temps. L’une des hypothèses centrales du modèle
est que, tout au long de la vie :
« le développement humain s'effectue par des processus d'interaction réciproque de plus en plus complexes entre un organisme humain
biopsychologique actif et évolutif et les personnes, objets et symboles de son environnement externe immédiat » Bronfenbrenner & Morris,
2006, p. 797
23
Littérature
2.1. Processus proximaux
Parmi les quatre composantes du PPCT, les processus proximaux sont considérés au cœur du modèle. Ils
sont à la fois dépendants des caractéristiques individuelles de l’individu en développement, du contexte
environnemental et de la temporalité passée, présente et future (Bronfenbrenner & Morris,1998, p. 995). Le
processus proximal a pour effet de réduire ou d'amortir les différences environnementales dans les résultats du
développement :
« Ce concept englobe des formes particulières d'interaction entre l'organisme et l'environnement, appelées processus proximaux, qui opèrent
dans le temps et sont considérés comme les principaux mécanismes du développement humain. Cependant, le pouvoir de ces processus
d'influencer le développement est présumé […] en fonction des caractéristiques de la personne en développement, des contextes
environnementaux immédiats et plus éloignés, et des périodes au cours desquelles les processus proximaux se déroulent » Bronfenbrenner &
Morris, 2006, p. 795
C’est en 1995 que Bronfenbrenner évoque la notion de processus proximal pour la première fois
(Bronfenbrenner, 1995). Celle-ci fait suite à l’étude menée par Drillien (1964, in Bronfenbrenner, 1995) visant à
évaluer les facteurs affectant le développement des enfants de faible poids à la naissance par rapport à ceux de
poids normal. Selon lui, inclure les processus proximaux dans la conception de la recherche est indispensable, au
risque de « perdre beaucoup d'informations sur l’effet final des caractéristiques de la personne et de
l’environnement » (Bronfenbrenner, 1995, p. 626). Ces processus sont définis à travers cinq caractéristiques
(Bronfenbrenner & Morris, 2006) : (i) pour que le développement puisse avoir lieu, l’individu doit s'engager dans
une activité, (ii) pour être efficace, l'activité doit avoir lieu de manière régulière et sur des périodes de temps
prolongées, (iii) pour se développer, les activités doivent avoir lieu suffisamment longtemps et devenir de plus en
plus complexes, (iv) les processus proximaux sont initiés à la fois par un individu et par l'environnement et (v) les
processus proximaux sont impliqué des interactions interpersonnelles, et des interactions avec des objets et des
symboles. Ainsi, la nature des processus proximaux varie selon des aspects spatiaux, temporels et contextuels
(Bronfenbrenner, 1995, 2005; Bronfenbrenner & Morris, 1998).
2.2. Caractéristiques biopsychologiques de la personne
Le PPCT s’est aussi centré sur le rôle prépondérant des caractéristiques biopsychologiques de l’individu
dans son développement. Bronfenbrenner (1995) identifie trois types d’attributs individuels qui composent les
caractéristiques biopsychologiques : les attributs perturbateurs, générateurs et de demandes. Les attributs
perturbateurs et générateurs représentent des forces opposées (positives et négatives) provoquant une zone de
tension dans les sentiments et les émotions de l’individu (Araujo & Davids, 2009). Les demandes évaluent le
potentiel d’une personne à se faire accepter ou rejeter dans un environnement social immédiat. La différenciation
de ces trois types d’attributs conduit à une combinaison de modèles infinis, permettant de différencier les personnes
en développement et pouvant expliquer les différences d’un individu au sein d'un groupe. Araujo & Davids (2009)
ont illustré cette combinaison à travers la forte probabilité d’un athlète à réussir s’il est disposé de ressources et
d'exigences positives, qu’il a planifié sa carrière dans une dimension macro-temporelle et qu’il est entouré de
micro-, méso-, exo- et macrosystèmes positifs. Ces trois attributs sont en interaction constante avec la dimension
temporelle (chronosystème).
2.3. Contexte écologique
En 1979, Bronfenbrenner conceptualise l'environnement en termes de systèmes imbriqués. Cette structure
d'environnements écologiques se compose de quatre systèmes en relation constante : (i) le microsystème, dans
lequel les individus s’engagent facilement dans une interaction en face à face, (ii) le mésosystème, composé des
interrelations entre deux ou plusieurs environnements dans lesquels la personne en développement participe
activement, (iii) l'exosystème, qui se réfère à un ou plusieurs environnements qui n’impliquent pas la personne en
développement en tant que participant actif et (iv) le macrosystème, qui englobe les trois autres niveaux. Cette
modélisation modifie les préoccupations relatives aux environnements en considérant qu’ils ne se distinguent pas
par des variables linéaires, mais sous la forme de systèmes subjectivement perçus :
24
Littérature
« Les caractéristiques scientifiquement pertinentes d'un environnement pour le développement humain ne comprennent pas seulement ses
propriétés objectives, mais aussi la manière dont ces propriétés sont subjectivement vécues par la personne qui vit dans cet environnement »
Bronfenbrenner et Morris, 2006, p.796
Le microsystème représente le niveau le plus interne du modèle bioécologique. Il est composé de trois
éléments : les activités (molaires ou moléculaires), les relations interpersonnelles (système à deux personnes ou
plus) et les rôles (intégration des activités et des relations sous la forme d’attentes sociétales, culturellement
influencées). Les activités molaires et moléculaires sont respectivement reliées aux activités perçues comme ayant
un sens et une persistance, et n’ayant ni sens ni persistance dans l’engagement du sujet. Cependant, si ces deux
types d’activités jouent un rôle important dans le modèle de 1979, ils sont plus implicites au sein du PPCT (Tudge
et al., 2009). Le rôle a, quant à lui, la spécificité d’agir tel un élément du microsystème, mais en ayant « ses racines
dans le macrosystème d’ordre supérieur et dans l’idéologie et les structures institutionnelles qui lui sont
associées » (Bronfenbrenner, 1979, p. 86). Le passage d’un microsystème à un autre amène à la création d’un
mésosystème qui se définit comme les relations existantes entre deux ou plusieurs microsystèmes et supposant que
le principe triadique du microsystème (activités, relations interpersonnelles, rôles) s’applique aux relations entre
les deux systèmes, telles des « interconnexions sociales » (Bronfenbrenner, 1979, p. 6). L'exosystème est associé
aux processus qui se déroulent entre des environnements qui influencent indirectement l’individu. Le
macrosystème est le contexte socioculturel le plus large au sein duquel interagit le sujet, « faisant référence aux
systèmes de croyances, aux options de parcours de vie et aux modèles d'échanges sociaux qui sont intégrés dans
chacun de ces systèmes » (Bronfenbrenner, 2005, p.150).
2.4. Temps
« Ce n'est que récemment que la recherche sur le développement a commencé à accorder une attention systématique à la question du temps
et de la synchronisation en relation avec les caractéristiques de l'environnement, par opposition aux caractéristiques de la personne. Les
principales avancées à cet égard ont été réalisées par des sociologues travaillant dans la perspective du parcours de vie » Bronfenbrenner,
1995, p. 641
Le temps est le dernier facteur inclus dans le modèle bioécologique PPCT. Absent dans le modèle initial
de 1979, Bronfenbrenner le conceptualise au travers du chronosystème (Bronfenbrenner & Crouter, 1983),
structuré en micro-temps, méso-temps et macro-temps (renommés micro-chronologie, méso-chronologie et
macro-chronologie, Bronfenbrenner & Morris, 2006). Le micro-temps fait référence à la continuité et discontinuité
des épisodes du processus proximaux (par exemple, une journée). Le méso-temps représente la périodicité de ces
épisodes (par exemple, trois semaines répétant une succession de micro-temps) et le macro-temps représente
l'évolution des attentes et des événements au cours d'une période plus large (un trimestre ou une année). En 1995,
Bronfenbrenner a abordé explicitement la dimension temporelle à travers deux principes : la période historique
et les opportunités temporelles. D’une part, le développement d’un individu est façonné par les conditions et les
événements qui se sont produits au cours de la période historique dans laquelle la personne vit (Bronfenbrenner,
1995) et, d’autre part, la dimension temporelle du modèle bioécologique est également comprise comme un
processus non-linéaire :
« Un facteur majeur influençant le cours et le résultat du développement humain est le moment des transitions biologiques et sociales par
rapport à l'âge, au rôle, aux attentes et aux opportunités définis culturellement tout au long du parcours de vie » Bronfenbrenner, 1995, p.
641
3. Confusions et nécessités des études scientifiques qui s’ancrent dans le PPCT
Deux principales confusions sont observées dans les études scientifiques qui affirment s’ancrer dans le
modèle bioécologique de Bronfenbrenner (Tudge et al., 2009). La première limite est la non-prise en compte de
l’interaction des éléments du PPCT. Cette incohérence conceptuelle se produit lorsque des études utilisent la
modélisation de 1979. Tudge et al. (2009) ont examiné 25 études publiées entre 2001 et 2008, ancrées
théoriquement dans le modèle de Bronfenbrenner. Ils ont mis en avant que toutes (n=21), à l’exception de quatre,
se sont appuyées sur des versions dépassées de la théorie, et ont entraîné une confusion conceptuelle et une
vérification inadéquate de la théorie. La seconde confusion réside dans l’exploitation de la variable temps : si la
dimension chronologique qui est présente depuis la modélisation de 1979 est souvent reprise dans les études
25
Littérature
(Tudge et al., 2009), la signification qui accordée par Bronfenbrenner au temps opportun est insuffisamment
utilisée (Copetti & Krebs, 1997; Fiorese-Vieira et al., 1998; Fiorese-Vieira 1999; Vieira, 1999).
Tudge et al. (2009) ont émis l’hypothèse que ces erreurs conceptuelles, tant des auteurs que des
évaluateurs, proviennent d’une méconnaissance de l’évolution du modèle bioécologique. Si le livre initial de
Bronfenbrenner (1979) est largement répandu, certains articles sur l’évolution conceptuelle du modèle sont moins
diffusés (Tudge et al., 2009). La théorie de Bronfenbrenner est difficile à mobiliser de manière fidèle dans les
programmes de recherche du fait de l’absence de guide méthodologique pour l'application de sa théorie.
Cependant, Bronfenbrenner n'a jamais laissé entendre que chaque aspect de son modèle devait être inclus dans une
étude. Selon lui, une étude impliquant le modèle PPCT doit prioritairement se focaliser sur les processus
proximaux, en montrant comment ils sont influencés à la fois par les caractéristiques de l'individu et le contexte
(environnement culturel, social et temporel) dans lequel ils se produisent (Bronfenbrenner & Morris, 2006).
Pour comprendre comment les caractéristiques d’un individu influencent les processus proximaux,
l'exigence méthodologique minimale est d'évaluer la façon dont une caractéristique de la demande (e.g. âge,
apparence, sexe) modifie les activités et les interactions. Une conception plus riche permet de mieux examiner la
façon dont les caractéristiques des ressources d’un participant influencent la façon dont il agit et interagit. Le
contexte influençant les processus proximaux, l'exigence minimale est d'évaluer l'influence différentielle de deux
microsystèmes (e.g. la maison et l'école) ou de deux macrosystèmes (e.g. des familles de catégorie
socioprofessionnelles différentes ou des jeunes de différents groupes culturels) sur les activités et les interactions.
Concernant le temps, l'étude doit être longitudinale pour évaluer l'influence des processus proximaux sur le
développement et doit prendre en compte le temps historique vécu par les participants. Une autre possibilité est
d'évaluer le moment des transitions biologiques et sociales d’un individu, en relation avec les attentes
culturellement définies et les opportunités qui se présentent tout au long de la vie.
Selon Bronfenbrenner, deux objectifs sont à considérer comme essentiels pour comprendre et appliquer
la théorie bioécologique à la recherche (Kempf, 2009) : (i) concevoir de nouvelles hypothèses alternatives et des
recherches correspondantes qui, non seulement remettent en question les résultats existants, mais ont également
une chance de produire de nouveaux résultats de recherche plus différenciés, plus précis et reproductibles, et donc
des connaissances scientifiques plus valides, et (ii) fournir des bases scientifiques pour la conception de politiques
et de programmes sociaux efficaces qui contrecarrent les nouvelles influences perturbatrices du développement.
Finalement, Bronfenbrenner considère :
« Le paradoxe ultime est que plus l'étude est « scientifique », moins nous avons de chances de découvrir quels êtres humains sont concernés
par ces résultats. La raison de ce paradoxe est que la science psychologique a pris la physique comme modèle, et que la physique cherche à
découvrir des principes universels : ceux qui s'appliquent à tous les phénomènes physiques dans le temps et l'espace. Mais les êtres humains,
comme toutes les créatures vivantes, présentent des caractéristiques biopsychologiques très variables et, par conséquent, sont sensibles de
manière différente aux conditions et aux forces extérieures auxquelles ils sont exposés au cours de leur vie » Bronfenbrenner, 1995, p. 632
4. Adaptation du modèle bioécologique à l’engagement dans l’AP
L’approche écologique est considérée comme la plus holistique dans l’analyse des comportements d’AP
en englobant les facteurs allant de l’individu à l’environnement dans une dynamique temporelle. De nombreuses
modélisations adaptées à l’AP sont proposées (Bauman et al., 2012; Booth et al., 2001; McLeroy et al., 2003;
Parker et al., 2019; Partelow et al., 2019; Sallis et al., 2006; Sallis et al., 2008; Spence et al., 2003). McLeroy et
al. (1998) sont les pionniers dans le domaine de la santé (figure 5) tandis que la modélisation de Bauman et al.
(2012), issue d’une large revue de littérature, est la plus couramment utilisée dans les études scientifiques actuelles
sur la compréhension de l’engagement dans l’AP (figure 6). Cette dernière postule que la compréhension des
comportements d’AP est dépendante de cinq corrélats qui interagissent entre eux tout au long de la vie :
individuels, interpersonnels, environnementaux, régionaux-nationaux et globaux. Les études ont été nombreuses
à démontrer qu’il y a beaucoup à gagner à développer puis appliquer des approches écologiques pour promouvoir
des comportements liés à l’AP. Pourtant, depuis 2003, les campagnes de promotion de l’AP n’ont pas eu les effets
attendus sur les enfants et les adolescents (Guthold et al., 2020), pouvant s’expliquer par ce non-appui sur les
paradigmes écologiques (Hynynen et al., 2016).
26
Littérature
!
Figure 5. Modélisation de l’engagement dans l’AP selon le cadre bioécologique (McLeroy et al., 1988)
Figure 6. Modélisation des corrélats du développement de l’AP chez un individu (Bauman et al., 2012)
De nombreuses études s’intéressent à l’impact des différents facteurs, démontrant des différences sur le
plan individuel (les facteurs psychosociaux ont eu un effet plus important que les facteurs génétiques, Amireault
et al., 2013), interpersonnel (le soutien social encourage la pratique d’une AP bien que le capital social agisse avec
un effet modérateur, Biddle et al., 2011), environnemental (l’environnement social favorise l’AP par la sécurité,
la visibilité et l’offre de pratiques, l’environnement construit favorise l’AP par l’accès à des parcs et autres espaces
verts incitant aux mobilités actives et récréatives et l’environnement naturel favorise l’AP par la situation
géographique, la météo, et l’esthétique, Limstrand, 2008), régional-national (les populations ont été plus actives
dans les région du nord de l’Europe avec des politiques d’aménagements urbains plus importantes, De Nazelle et
al., 2011; Ferrari et al., 2020; Gelius et al., 2020), idéologique (les populations sont plus actives dans les pays aux
cultures capitalistes, où la culture des modes de transport actif – vélo– est fortement ancrée, Pucher & Buehler,
2008; Werneck et al., 2019) et temporel (l’AP diminue avec l’âge, Kemper et al., 1999; Telama et al., 2014; Varma
et al., 2017). Plusieurs revues de littérature permettent de synthétiser les principaux résultats qui sont obtenus quant
aux associations mises en évidences depuis les années 1970 entre l’AP et les facteurs environnementaux et
individuels (Craggs et al., 2011; Davison & Lawson, 2006; Ding et al., 2011; Ferreira et al., 2007; Limstrand,
2008; Martins et al., 2021; J. F. Sallis et al., 2000). Toutefois, ces revues ont démontré que peu d’études
s’intéressent à l’interaction des corrélats de l’engagement dans l’AP et que celles qui s’intéressent à l’interaction
des cinq dimensions, tout en incluant un suivi longitudinal, sont rares.
Public policy
Community
Institutional
Interpersonal
Intrapersonal
27
Littérature
D’autres études ont renforcé la dimension interactive et holistique du modèle de Bronfenbrenner adapté
à l’AP. Plusieurs résultats ont mis en évidence que la construction d’un environnement favorable à l’AP n’est
opportun que s’il est perçu comme tel par les individus ; et nécessite une action éducative pour le devenir (Arango
et al., 2013; Bamana et al., 2008; Gustat et al., 2019; Hoehner et al., 2005; Sharman et al., 2020). Les approches
systémiques sont plutôt récentes dans la promotion de l’AP (Bellew et al., 2020; Cavill et al., 2020; Nau et al.,
2019; Rutter et al., 2017, 2020) et se basent sur les approches bioécologiques en combinant des stratégies centrées
sur des facteurs individuels, interpersonnels, environnementaux, politiques et culturels (Cavill et al., 2020; Golden
& Earp, 2012; Rutter et al., 2020; J. F. Sallis et al., 2008). Ces approches ont mis en avant la nécessité de
contextualiser les liens dynamiques entre les différents acteurs sociaux, éducatifs, politiques et environnementaux,
formant un écosystème complexe favorable aux opportunités d’AP. Elles ne relèvent pas d’une somme d’actions
isolées issues des différents systèmes, mais d’une proposition globale, systémique et holistique intégrant les
interactions entre les acteurs qui sont impliqués et les cinq corrélats qui fonctionnent. La mise en œuvre de ce type
d’approche nécessite de créer un leadership afin de combiner les partenariats à tous les niveaux pour parvenir à
une réponse coordonnée à l’échelle du système (Bellew et al., 2020; Nau et al., 2019; Rutter et al., 2017). De
premières propositions sont en cours d’élaboration, à l’instar du modèle québécois qui défend la nécessité
d’accompagner et de soutenir la mise en œuvre de certaines interventions liées à un mode de vie actif à l’école
(action en partenariat avec d’autres intervenants (Bezeau et al., 2020; Dessureault et al., 2021).
Synthèse : L’engagement dans l’AP a pu être analysé à travers le modèle bioécologique PPCT de Bronfenbrenner (2005), postulant que le
couplage individu-environnement est dépendant de l’interaction de cinq systèmes interconnectés et évolutifs dans le temps. Adapté à l’AP par
Bauman et al. (2012), ces cinq déterminants ont été d’ordres individuels, interpersonnels, environnementaux, régionaux/nationaux et globaux.
Promouvoir l’AP pour un engagement sain, régulier et durable nécessite, dans ce paradigme, de combiner et de coordonner des stratégies
prenant en compte ces cinq facteurs. Agir sur l’environnement sans concevoir des stratégies éducatives n’a pas permis d’amener à un
changement durable de comportement. Les études compréhensives sur l’AP selon le cadre PPCT nécessitent (i) de mesurer les relations
réciproques entre l’individu et son contexte d’action, (ii) d’être longitudinale, (iii) de ne négliger ni les périodes de transitions, (iv) ni les
attentes culturelles et les (v) opportunités environnementales.
28
Littérature
Chapitre 3. Les opportunités d’activité physique : un regard
temporel
Les opportunités sont définies comme des perceptions temporelles personnelles mises en lien avec des
environnements naturels et bâtis (Kelso et al., 2021; Tcymbal et al., 2020; Waters et al., 2009), dans le sens où
chaque individu interagit différemment avec les affordances qui l’entourent. Plus que des relations individuelles,
ces opportunités sont inscrites dans des contextes particuliers relatifs au modèle bioécologique (Bronfenbrenner,
2005). L’objectif de ce troisième chapitre est d’apporter un éclairage sur la relation entre l’AP et le temps, en
démontrant la possibilité d’aller plus loin que la littérature actuelle dès lors que le temps représente une opportunité
à percevoir, saisir, voire provoquer. Adopter ce point de vue permet d’apporter un regard nouveau sur la
distribution de l’AP en ouvrant des pistes de réflexions sur l’éducation à l’AP en fonction des caractéristiques
individuelles, environnementales et socio-culturelles. Premièrement, un discours épistémologique tente de
dépasser le temps singulier pour introduire les temps pluriels (Chronos vs Kairos) et les activités sociales qui s’y
sont référées (temporalités sociales). Deuxièmement, un état de l’art de la relation discute la relation entre l’AP et
les temps chronologiques et opportuns. Enfin, la perception du temps du point de vue des adolescents en tant que
barrières et leviers à l’engagement dans l’AP est évoquée, afin d’identifier les aspects encore inexplorés et
potentiellement efficaces dans l’éducation et la promotion d’une AP saine, régulière et durable.
1. Le temps, les temps, les temporalités sociales
La notion de temps est polysémique. Avant de constituer une durée de mesure, elle a été considérée
comme une expérience subjective et un objet de réflexion (Mercure, 2000). L'expérience humaine du temps se
présente à la fois comme un temps vécu individuellement et comme un temps culturellement ancré avec des rites
et des croyances (Mercure, 2000). Dans la société postmoderne actuelle, notamment occidentale, le temps
s’accélère (Rosa, 2014) et interroge sur les possibilités d’une perception ralentie pour être mieux investi. Cette
bascule nécessite de comprendre le temps autrement, rejoignant les travaux d’Élias (1997) qui distinguait le temps
mécanique et chronologique (Chronos) du temps social et opportun (Kairos). Le temps chronologique fait
référence aux mouvements naturels répétés régulièrement et uniformément (e.g. mouvement de la terre autour du
soleil), alors que le temps opportun fait référence aux significations que l’Homme y accorde dans le but d’une
organisation sociale (e.g. découpage en 24h d’un mouvement complet de la terre autour du soleil). Adapté au
monde entrepreneurial, le temps est pensé différemment selon que l’individu soit rémunéré à la tâche ou à la
présence, impactant les modes de pensée dans l’organisation quotidienne de chacun (Thompson, 2004). Lallement
(2017) a évoqué la différenciation Chronos vs Kairos sous la forme de « figures du temps » où il est possible de
distinguer plusieurs temporalités hétérogènes qui sont à la fois des « points de vue sur le temps » et des « formes
de manifestation de la diachronie » (Lallement, 2017). Ces points de vue hétérogènes s’organisent en catégories
communes, agencées différemment en fonction des caractéristiques individuelles, environnementales et des
représentations idéologiques et culturelles. Ainsi, il n’existe pas une perception unique du temps, mais des temps,
au sens d’une perception individuelle reliant les expériences passées, présentes et à venir, impactant l’insaisissable
présent (Dubar, 2004). Ces expériences temporelles correspondent aux affordances environnementales, c’est-à-
dire à l’ensemble des possibilités d’actions et d’interactions offertes par l’environnement et perçues par un individu
(Davids et al., 2016). Toutefois, adopter le point de vue du temps opportun amène à accepter un processus de
double responsabilité. D’une part, l’environnement doit être en mesure de proposer des opportunités variées et,
d’autre part, l’individu doit être éduqué à percevoir, saisir, voire provoquer ces opportunités (Araújo & Davids,
2009).
Étymologiquement, le Kairos a pris racine dans le grec ancien et a été dérivé en « ochaison » (ancien
français) puis « occasion ». Le Kairos est un « moment favorable qui tombe dans la continuité du temps » (Cosnard,
2005) et qui s’accorde au temps au sens d’une opportunité (Elias, 1997). Ce regard permet d’obtenir un séquençage
social d’une journée type, qui amène à envisager les temps sociaux comme des successions d’opportunités
environnementales qui se réfèrent davantage à une catégorie dynamique qu’à un horaire linéaire. Le Kaïros permet
d’obtenir une dimension qualitative et pragmatique du temps, telle la réalisation d’une action au meilleur moment.
29
Littérature
En d’autres termes, le passage d’un temps quantitatif à une temporalité qualitative permet de distinguer différents
temps d’AP (Élias, 1997). Ces ancrages théoriques amènent à mieux comprendre les processus d’identification et
de saisie des opportunités de pratiques au sein d’une relation temporelle étroite. Ces expériences temporelles plus
ou moins favorables à l’AP sont en lien avec un ressenti, une représentation à la fois socio-spatiale (environnement
physique perçu comme adapté), organisationnelle (environnement institutionnel propice) et relationnelle
(interactions sociales encourageantes).
« Si l'occasion a été saisie, si ce moment opportun a été choisi parmi d'autres, c'est que, consciemment ou non, des différenciations, un tri et
des priorités ont été effectués. Un enchevêtrement de plusieurs temps est d'emblée admis avec cette dimension, car c'est à partir de cet
éventail ou de cette concurrence entre les différents moments qu'un choix doit être fait. C'est ainsi que se construit le présent ; la situation
évolue car l'événement se produit ou l'action s'effectue dans le cadre de cette multiplicité » Bessin, 1998
2. Activité physique, temps chronologiques et temps opportuns
Selon Calleman (2010), le Chronos correspond au temps qui est mesurable, quantitatif et linéaire, pensé
en termes d’horaires et d’âges, mesuré à l'aide d'instruments d'objectivation comme le calendrier, l’horloge, le
planning ou l'agenda. D’après ce point de vue chronologique, Telford et al. (2013) ont démontré que certains jours
de la semaine sont plus propices que d’autres pour atteindre les recommandations de l’OMS en termes d’AP : les
pourcentages d’engagement des filles et des garçons sont respectivement de 15% et 29% les lundis, 21% et 39%
les vendredis et 16% et 10% les dimanches. Dans le même sens, Remmers et al. (2019) ont analysé les heures
critiques d’engagement dans l’AP, démontrant que les 30 minutes avant l’école et les 2 heures qui suivent la fin
de l’école sont déterminantes pour l’atteinte des recommandations d’AP. Brazendale et al. (2021) ont démontré
l’importance de structurer une journée et d’avoir des horaires fixes pour s’engager avec plus d’assiduité dans l’AP.
Les jours de semaine séquencés par les horaires scolaires sont plus favorables que les jours de weekend où les
enfants et adolescents ont plus de libertés (Brazendale et al., 2021; Brooke et al., 2014; Burchartz et al., 2022;
Chandler et al., 2019; Weaver et al., 2021).
Cosnard (2005) propose que si le Chronos équivaut au temps « pensé, mesuré, prévu », le Kairos n’est
pas un temps qui le remplace mais qui le complète, faisant référence aux activités sociales qui s’agrègent tout au
long de la journée. Calleman (2010) définit le Kairos comme un temps incommensurable, sphérique, holistique et
unique, en un mot qualitatif et avec l’intensité, pour critère principal. Peu d’études scientifiques ont analysé la
distribution de l’AP selon le temps opportun. L’étude de Klinker et al. (2014) a été la première à définir les temps
opportuns à l’AP, démontrant que 90% de l’AP des adolescents se situent dans sept catégories : l’école, les repos,
les soins personnels, les tâches ménagères, le transport et les loisirs. De Baere et al. (2015) ont rejoint cette
approche en croisant le temps du Chronos avec celui du Kairos. En envisageant cinq temps relatifs au matin (6h00-
9h00), à l’école (9h00-15h00), au début de soirée (15h00-18h00), au soir tardif (18h00-21h00) et à la nuit (21h00-
6h00), ils ont confirmé les temps sociaux identifiés dans l’étude de Klinker et al. (2014) et ont mis en évidence
des opportunités préférentielles en fonction des catégories chronologiques (e.g. l’AP se situe essentiellement dans
les modes de transports actifs le matin avant l’école). D’autres études ont rejoint ces séquençages d’occasions,
comme les études de Remmers (Remmers et al., 2020), tandis que d’autres ont croisé le temps et l’espace pour
identifier les moments et les lieux préférentiels dans la pratique d’une AP (Chaix et al., 2019; Fairclough et al.,
2012; Karusisi et al., 2013; Stappers et al., 2022). Les transports ont été identifiés comme des opportunités à
développer chez les enfants (11-12 ans), mais ils sont encore insuffisamment développés (Aubert et al., 2018;
Ikeda et al., 2019). Concernant les autres temporalités sociales, Garcia et al. (2018) ont montré que les temps d’AP
au sein des loisirs nécessitent des aménagements urbains qui sont en cours de développement. Ainsi, porter un
intérêt sur le temps Kaïros permet de mettre en évidence l’influence de la volonté, consciente ou inconsciente,
d’un individu à se donner du temps pour l’AP. Adopter ce regard du temps opportun nécessite de prendre en
compte le cadre bioécologique (Bronfenbrenner, 2005), considérant les opportunités telles des affordances à saisir
pour s’engager dans l’AP (Davids et al., 2016).
Percevoir l’AP et l’IP en fonction des régimes de temporalités propres à chaque individu confirme la
nécessité de dépasser les approches épistémologiques centrées sur une vision biomédicale. L’AP peut être ainsi
reliée aux opportunités de pratiques situées au sein d’un environnement social et culturel donné, et en même temps,
30
Littérature
être perçue par un individu en fonction de son éducation et de ses expériences passées (Ladwig et al., 2018). Il ne
s’agit pas seulement d’identifier les moments propices, les durées de pratique ou les cycles d’activités, mais de les
relier aux conditions socio-temporelles qui leur ont donné sens. Autrement dit, comprendre la distribution de l’AP
nécessite d’effectuer un « travail de particularisation du temps » (Grossin, 1996), clef de voûte d’une science du
temps en constitution, dans laquelle chaque acteur est animé d’une « équation temporelle personnelle » (Grossin,
1996).
« La réalité des temps vécus, c'est-à-dire la multiplicité des conduites temporelles et des représentations du temps, liées à la diversité des
situations sociales et des modes d'activités dans le temps » Mercure, 2000
3. La perception du temps par les adolescents
L’accélération du temps et des changements sociaux de nos modes de vie amènent à un « rétrécissement
du présent » (Rosa, 2014) qui semble masquer les opportunités d’AP mises à disposition par les politiques
publiques, orientant les perceptions vers d’autres préoccupations qui favorisent l’IP. Si le temps peut représenter
une succession d’opportunités d’AP, il peut être aussi un frein à son engagement. En effet, la revue systématique
de Duffey et al. (2021) a permis d’expliquer la faible persistance des adolescentes dans l’AP par un « manque de
temps » déclaré. Dans le contexte francophone, Embersin et al. (2007) ont identifié ce même frein temporel, peu
importe le sexe. Une étude conjointe entre le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions
de vie (CREDOC) et l’Union nationale des Centres sportifs de Plein-Air (UCPA, 2021) a démontré que le manque
de temps est évoqué par 45% des adolescents comme le principal motif de désengagement dans l’AP.
Des stratégies d’augmentation du temps pour promouvoir l’AP sont préconisées (Grao-Cruces et al.,
2019, 2020; Kelso et al., 2021; Lonsdale et al., 2013), dans lesquelles le temps construit est mis en perspective
avec le temps perçu. L’engagement dans l’AP est compris au sein d’un processus temporel où l’aménagement
territorial n’est pertinent qu’à la condition d’être accompagné d’une éducation à percevoir et investir les
opportunités. Démêler les temps opportuns à l'AP est nécessaire pour adapter les stratégies d’éducation et de
promotion à l'AP. La façon dont un individu utilise son temps peut grandement affecter sa santé et une éducation
au temps peut permettre d’aider à l’atteinte des recommandations d’AP. Cette question du temps associée à l'AP
est d’ores-et-déjà encadrée par (i) le concept de perspective temporelle (Davids et al., 2016) qui représente l'attitude
personnelle envers les temps passés, présents et futurs et (ii) le concept d'élasticité du temps (Olds et al., 2012) qui
permet de comprendre les variations du rapport temps/intensité au sein d’une activité affectée par d’autres.
Cependant, comprendre les patterns temporels d’AP relève d’un processus complexe car ils évoluent en fonction
des étapes de la vie et des significations accordées aux différentes transitions vécues (Allender et al., 2008; Gropper
et al., 2020).
Synthèse : Les études sur la relation entre le temps et l’AP sont essentiellement chronologiques et ne permettent pas d’identifier des patterns
temporels en tant qu’opportunités d’AP. Dépasser la chronologie pour adopter un regard opportun, propre à chacun et organisé sous la forme
de temporalités sociales, participe à la compréhension du processus d’identification puis de saisie, voire de provocation, des temps d’AP,
amenant à la modélisation d’une équation temporelle personnelle. Paradoxalement, le désengagement dans l’AP est souvent expliqué par un
manque de temps, un faible soutien familial et un environnement insuffisamment construit. Les études relatives aux opportunités d’AP dans
l’environnement ne semblent pas suffisantes et des questions restent ouvertes quant à un nécessaire accompagnement éducatif qui prend en
compte l’individu et son contexte.
31
Littérature
Chapitre 4. Les comportements d’activité physique lors des
transitions de vie
Les transitions de vie représentent des périodes critiques dans l’évolution de la vie physique des individus.
Elles marquent le passage d’un âge de la vie à un autre. Plusieurs études se sont intéressées à l’influence de ces
transitions sur l’engagement dans l’AP, démontrant une fluctuation positive ou négative (Gropper et al., 2020).
Les transitions sont de différentes natures et correspondent à des changements liés à l’éducation, au statut, à
l’emploi, à la santé, aux relations à autrui, à la famille ou encore à la résidence. L’objectif de ce quatrième chapitre
est de faire une synthèse de la littérature sur les transitions de vie et leur impact sur l’AP. Il s’agit de montrer que
les temps de la vie sont jalonnés par des seuils subjectifs et évolutifs, puis de mener un état de l’art sur l’impact
des transitions de vie sur l’AP et sur les déterminants protecteurs et inhibiteurs.
1. Les temps de vie jalonnés par des seuils
Le cycle de la vie (figure 7) est séquencé en trois âges (enfance, adulte et vieillesse), mais aussi en
subdivisions plus fines (enfance, adolescence, jeunesse, adulte, vieillissement et grande vieillesse) où des
transitions marquent le passage d’un cycle à un autre (figure 8). Selon Gaullier (1998), cette représentation du
déroulement de la vie est régie par deux principes : la ternarité des âges et la linéarité des existences. La ternarité
des âges présuppose que l’âge adulte est considéré comme la séquence centrale du cycle de la vie et s’assimile à
une activité sociale et professionnelle. La linéarité des existences propose d’inscrire le déroulement de la vie dans
une continuité stable et continue. Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, les recherches ont successivement
mis en lumière deux mutations dans le cycle des trois âges de la vie, en lien avec des changements démographiques
et politiques. D’une part, l’allongement de certains âges, en lien notamment avec l’augmentation de l’espérance
de vie, et d’autre part, l’apparition de nouveaux âges avec de nouvelles responsabilités et possibilités (comme le
droit de vote passant de 21 ans à 18 ans en 1974) ont amené à « de nouvelles temporalités à part entière des
existences » (Van de Velde, 2015, p. 14), bouleversant les transitions de vie traditionnelle. Ces évolutions sont à
la fois la résultante d’expériences individuelles vécues et d’orientation des politiques publiques (Cavalli, 2007;
Jeté et al., 2011). Ces nouveaux âges se concentrent essentiellement sur la période de la fin de l’adolescence et se
fondent sur la pluralisation des itinéraires individuels. L’allongement des périodes et les difficultés pour identifier
des périodes de transitions communes amènent à de nouveaux qualificatifs tels que ceux de « post-adolescence »
(Béjin, 1983), « d’interminable adolescence » (Le Bras, 1983), « d’adulescence » (Anatrella, 1988, 2003), de «
jeune adulte » (Galland, 1990) ou encore « d’adultes émergeants » (Arnett, 2000).
« La succession des âges repose sur l’hypothèse que tous les individus traversent, au cours de leur existence, un ordre prédéfini d’étapes,
qu’elles soient familiales, professionnelles ou sociales » Van de Velde, 2015, p. 10
En rupture, le concept de transition de vie fait référence au « franchissement de plusieurs seuils et tend à
désigner un intervalle de durée entre deux âges » (Van de Velde, 2015, p. 12). Ces seuils s’intercalent entre les
différents âges du cycle de vie et marquent le passage d’un cycle à un autre, amenant à une fluctuation dynamique
et non linéaire dans les passages successifs des âges (Van de Velde, 2015). Différents types de seuils ont été
identifiés : le changement d’âge, le développement biologique, ou l’évolution d’un statut. Plus particulièrement
pour la transition de vie de l’adolescence vers l’âge adulte, cinq seuils s’agrègent : la sortie du système scolaire,
l’entrée dans le marché du travail, le départ du foyer parental, le mariage et la naissance du premier enfant (figure
8). L’entrée dans le monde universitaire ou professionnel est le premier seuil symbolisant la transition du cycle de
l’âge de l’enfance à celui de l’âge adulte. Or, les approches reposant exclusivement sur ces seuils communs ne
portent pas d’attention aux expériences vécues par chaque individu en fonction de leurs caractéristiques
bioécologique (Bronfenbrenner, 2005). Les périodes de transitions vécues ont des significations différentes, allant
jusqu’à penser à des hiérarchies différentes dans l’importance accordée à ces transitions, en fonction de
l’interaction des ressources individuelles, interpersonnelles, environnementales et culturelles. Des réflexions
s’ouvrent sur les transitions entre les cycles car ils n’apparaissent pas aussi marqués et communs qu’auparavant.
Les itinéraires sont variés, complexes, flexibles et individuels.
32
Littérature
« La géométrie de la vie humaine est trop imparfaite et trop complexe, trop déformée par le rire du temps et les subtilités déstabilisantes du
destin pour incorporer la ligne droite dans son système de lois » Conroy, 1995
Les seuils qui marquent les transitions de vie entre les âges sont complexes. Pour la transition de vie de
l’adolescence à l’âge adulte, les cinq seuils identifiés (sortie du système scolaire, entrée dans le marché du travail,
départ du foyer parental, mariage et naissance du premier enfant) évoluent selon les expériences individuelles
vécues. Aujourd’hui, l’ordre de passage des seuils n’est plus forcément respecté puisque les adolescents deviennent
adultes selon un critère mais pas un autre. La transition vers l’âge adulte implique une ou plusieurs réversibilités
comme l’abandon puis la reprise d’une étape (e.g. les études). Tous les seuils ne se franchissent pas nécessairement
puisqu’ils évoluent avec les normes socio-culturelles (e.g. le mariage). Ces mutations amènent à des possibilités
d’étapes intermédiaires qui se multiplient et qui rendent plus complexes les études scientifiques sur les périodes
de transition. Certaines recherches se détachent des âges et des seuils pour envisager la transition vers l’âge adulte
comme « un processus biographique et social à travers lequel les jeunes « construisent » leurs itinéraires
formatifs, professionnels et d’émancipation familiale et développent différentes trajectoires d’acquisition d’une
position sociale » (Bidart, 2006, p. 125). Ce caractère mouvant et pluriel des itinéraires rend la caractérisation et
la délimitation de la jeunesse floues et difficiles (Cicchelli, 2001 ; Gauthier, 2000 ; Longo, 2016 ; Mauger, 1995).
L’âge chronologique, reflet du temps linéaire, cache des effets mêlés (contexte, vieillissement biologique et
corporel, étapes de vie), qui amène les travaux scientifiques à privilégier des modes d’entrées selon les
changements de statut social, perçus comme des seuils non-linéaires impactant les réorganisations des modes de
vie.
Afin d’étudier les « cheminements non linéaires, ponctués d’étapes, de virages, et de transitions
signifiantes pour l’individu » (Van de Velde, 2015, p. 18), la notion de transition est explorée dans de nombreux
champs scientifiques. Une transition fait référence à une période de changement qui (i) correspond au changement
d’une situation, d’une période, d’un statut ou d’un rôle, (ii) amène à un nouveau statut ou situation sociale (Levy
et al., 2005) et (iii) est plus ou moins délimitée dans le temps. Autrement dit, « les transitions sont des moments
au sein d’une trajectoire particulière caractérisés par des changements accélérés » (Levy et al., 2005, p.15). La
durée des transitions varie et est imposée par des contraintes environnementales, sociales ou culturelles (Elder et
al., 2003). Par exemple, la transition d’un mode de vie normal à confiné lors de la crise de la covid-19 (courte et
imposée) s’oppose à la transition de l’adolescence vers l’âge adulte (longue et choisie consciemment ou non).
Figure 7. Le cycle de vie des sciences sociales dans les sociétés occidentales (Dubreuil, 2020)
Figure 8. Différents critères de transition vers l’âge adulte (Dubreuil, 2020)
33
Littérature
2. L’activité physique et les transitions de vie : des processus non-linéaires
Plusieurs études ont identifié des transitions de vie comme des périodes de rupture avec l’engagement
dans l’AP (Allender et al., 2008; Gropper et al., 2020). Particulièrement pour la transition brutale de l’entrée en
confinement (López-Valenciano et al., 2021), ou pour la transition progressive vers l’âge adulte (Aira et al., 2021;
Coleman et al., 2008; Corder et al., 2019; Hayes et al., 2019; Kwan et al., 2012; Poriau & Delens, 2017; Varma et
al., 2017), l’AP a significativement décliné. Concernant la transition vers l’âge adulte, Aira et al. (2021) ont
identifié que seuls 8% des adolescents ont eu une augmentation significative de leur AP, confirmant les études de
Chong et al. (2022) pour laquelle le temps passé en comportement sédentaire a augmenté, alors que ceux en LPA
et MVPA ont diminué. D’une part, l’entrée dans l’âge adulte, symbolisée par la fin de la scolarité obligatoire,
amène à l’arrêt des enseignements obligatoires de l’Éducation Physique et Sportive (EPS), et d’autre part, les
événements imprévus aggravent la tendance de diminution. Par exemple, l’entrée en confinement empêche
l’enseignement de l’EPS en face-à-face, alors qu’il s’agit d’un temps d’AP essentiel pour de nombreux adolescents
(Croutte et al., 2019; Varea & González-Calvo, 2021)). Surmonter ces transitions nécessite de mieux comprendre
les leviers et freins à la persistance en l’AP.
Étudier ces moments tels des recompositions des modes de vie permet d’aborder les facteurs qui pèsent sur l’AP.
Les principaux résultats ont démontré des processus non-linéaires où l’AP a évolué de manière complexe, en étant
impactée par de multiples facteurs à différents niveaux (Kwon et al., 2015; Pate et al., 2019; Remmers et al., 2020).
De nombreuses études s’intéressent aux impacts des périodes de transition sur l’AP, mais rares sont celles qui
portent sur la transition lycée-université et qui, plus encore, adoptent un regard compréhensif (Corder et al., 2019).
Ces études mettent souvent un focus sur les déterminants individuels tels que l’IMC ou le genre (Rovio et al.,
2018; Tammelin et al., 2004; Young et al., 2018). Rares sont celles qui s’intéressent aux trajectoires de vie lors
d’une transition. Elles mettent en avant qu’il existe des publics variés où tous les adolescents ne réagissent pas de
la même manière en termes d’AP (Aira et al., 2021; Hayes et al., 2019; Lounassalo et al., 2019; Pate et al., 2019).
La plupart de ces études s’appuient soit (i) sur des données collectées subjectivement, soit (ii) sur des suivis non-
longitudinaux en adoptant des regards linéaires sur l’AP qui ne dissocient pas des temps opportuns à l’AP (Corder
et al., 2019). Ces auteurs ont préconisé d’effectuer des suivis longitudinaux selon des données objectives d’AP
collectées par accélérométrie afin d’étudier de manière plus approfondie les relations entre les changements d’AP
et les transitions sociales contemporaines, permettant d’explorer plus finement les modèles de persistance en l’AP.
Ladwig et al. (2018) ont mis en avant l’importance du vécu expérientiel et des souvenirs passés lors des séances
d’éducation à l’AP, notamment l’enseignement de l’EPS, pour persister à s’engager dans l’AP à la suite d’une
phase de transition.
Synthèse : La vie d’un individu est jalonnée de cycles dont les transitions sont vécues comme des phases de rupture d’AP. Elles correspondent
à des périodes de changement plus ou moins délimitées où le statut social évolue et amène à une réorganisation des modes de vie et donc de
l’AP. Si l’âge chronologique est par nature linéaire, les transitions de vie sont subjectives et sont dépendante des représentations de chaque
individu sur les évènements de la vie. Les travaux scientifiques encouragent à privilégier des modes d’entrés selon les changements de statut
social, perçus comme des seuils non-linéaires impactant la réorganisation des modes de vie. La plupart des études sont descriptives et peu
cherchent à identifier les déterminants protecteurs et inhibiteurs de la persistance dans l’AP.
34
Littérature
Chapitre 5. Comprendre les trajectoires d’activité physique lors
d’une transition de vie : l’apport de la résilience
La résilience se définit comme « les qualités personnelles qui permettent de s'épanouir face à l'adversité »
(Connor & Davidson, 2003, p.76). Au cours de la vie, la confrontation à un événement potentiellement stressant
ou traumatisant peut avoir des impacts sur les comportements d’un individu, ses ressources physiques, cognitives,
sociales ou émotionnelles (Kessler et al., 1995). L’analyse des traumatismes réside dans l’interaction des
caractéristiques bioécologiques des individus, allant des composantes psychologiques à socio-culturelles et
environnementales (Mancini & Bonanno, 2009). Dans de nombreux cas, les individus sont résilients et ne
développent que peu ou pas de symptômes (Bonanno et al., 2007; Makwana, 2022), mais le cas de l’AP n’a pas
encore été exploré. Ce chapitre est construit en cinq sous-parties consacrées (i) aux origines de la recherche sur la
résilience, (ii) aux évolutions épistémologiques, (iii) au débat politico-culturel entre la résilience réactive et
proactive, (iv) aux outils de mesures permettant d’évaluer le degré de résilience d’un individu et (v) aux premiers
travaux sur la résilience à l’AP.
1. Genèse et définition
Employée pour la première fois au milieu du XVIIe siècle, l’étymologie du mot « résilience » provient
du latin « resilire » qui signifie « rebondir » (Soanes et al., 2009). Faisant aujourd’hui référence à un trait de
caractère humain, la résilience a d’abord été utilisée pour décrire la propriété du bois (McAlsan, 2010). Au cours
des quarante dernières années, le terme a évolué pour s’adapter à de nombreuses disciplines, allant de « la science
des matériaux, à l'écologie, et aux études environnementales, pour devenir un concept utilisé librement et avec
enthousiasme par les décideurs, les praticiens et les universitaires » (Mc Alsan, 2010, p.1). Utilisé dans le cadre
de la sécurité des organisations et des territoires, dans la quantification de la capacité d'un matériau à résister à un
choc, en écologie pour décrire la dynamique non linéaire d'écosystèmes adaptatifs complexes (Holling, 1973,
1986; Hassler & Kohler, 2014; Quenault, 2013a, 2013b), la résilience est un concept interdisciplinaire en
développement continu, dont l’interprétation sous-jacente de rebond est commune à toutes les disciplines (Zolli &
Healy, 2012). La figure 9 présente les principales disciplines qui s’en sont emparées (Lhomme et al., 2010).
Figure 9. Définitions de la résilience en fonction des disciplines scientifiques (Lhomme et al., 2010)
La définition de la résilience la plus couramment employée est celle de Masten (2014), évoquant un
processus par lequel un système dynamique s’adapte avec succès aux perturbations qui menacent sa fonction, sa
viabilité ou son développement (Masten, 2014). La plupart des travaux sur la résilience s’accordent sur une
exposition à une adversité (Fredrickson et al., 2003; S. Luthar & Cicchetti, 2000; Richardson, 2002; Van Breda et
al., 2018) et nécessitant des adaptations physiques, mentales, sociales ou émotionnelles (Bhatia, 2015 ; Biesalski
& Black, 2016 ; Ruel & Alderman, 2013). Ainsi, la résilience n’implique pas tant une invulnérabilité au stress,
mais plutôt une capacité à se remettre d'événements négatifs (Garmezy, 1991b), tel un « développement normal
dans des conditions difficiles » (Fonagy et al., 1994, p.233).
35
Littérature
Les premières réflexions sur la résilience adaptée au comportement humain débutent en 1955 avec les
travaux de Werner sur les enfants ayant vécu dans des environnements traumatisants (Werner, 1993; Werner &
Smith, 1992). Élargie aux enfants porteurs de troubles psychiatriques (Masten & O’connor, 1989; Werner & Smith,
1992; Wilson, 1985), la résilience apparait en France sous l’impulsion de Boris Cyrulnik qui étudie les
comportements adaptatifs des enfants victimes de situations extrêmes (Cyrulnik, 1999; Cyrulnik, 2002), puis sur
les personnes âgées isolées (Cyrulnik, 2014, 2020). Cyrulnik se réfère à la dimension biologique et psychologique
de l’individu, en omettant les adaptions socio-culturelles et environnementales, bien qu’il soit aujourd’hui admis
qu’il existe un degré d’interaction entre l’individu et le contexte ayant provoqué la crise initiale (Duval & Cyrulnik,
2006; Michallet, 2010). Les premiers travaux sur la résilience se concentrent sur les caractéristiques individuelles,
puis s’élargissent aux impacts environnementaux et socio-culturels (Anaut, 2015; Buchheit et al., 2016; Charney,
2004; Quenault, 2013a; Terrisse et al., 2007). Malgré un manque de consensus sur les caractéristiques de la
résilience, la revue de littérature de Métais et al. (2022) a identifié trois caractéristiques communes aux ancrages
psychologiques et bioécologiques de la résilience : (i) les antécédents, (ii) les mécanismes et (iii) les conséquences.
Les principales tentatives de conceptualisation s’articulent autour de ces trois caractéristiques au sein d’une
séquence verticale où, soit un antécédent en influence un autre, soit un antécédant influence un mécanisme
conduisant à des conséquences (Métais et al., 2022).
2. Un comportement adaptatif et interactif
Comprendre l’évolution d’un système résilient nécessite de comprendre son processus d’adaptation à la
suite d’un bouleversement vécu. Une revue de littérature a mis en évidence la cohabitation de deux définitions :
« l'adaptation et le retour à des niveaux de santé antérieurs » et « l'épanouissement et le dépassement de
l'adversité vers des niveaux de santé accrus » (Métais et al., 2022). Autrement dit, la résilience est considérée
comme un comportement adaptatif, influencé par des expériences vécues réussies ou non, et partagé entre un retour
à l’homéostasie et une opportunité de croissance durable (Aburn et al., 2016; Galatzer-Levy et al., 2018; Woods,
2015). D’une part, Connor et Davidson (2003) ont postulé que la résilience est une capacité de retour à un statut
bio-psycho-spirituel d’homéostasie, c’est-à-dire la capacité de maintenir un état d’équilibre en évacuant les états
de stress internes et externes. En ce sens, la résilience est attribuée aux personnes qui, face à une adversité, sont
capables de s'adapter et de rétablir l'équilibre dans leur vie pour éviter les effets potentiellement délétères du stress
(Beardslee, 1989; Bebbington et al., 1984; Byrne et al., 1986; O’Connell & Mayo, 1988; Rutter, 1985). D’autre
part, les stratégies fondées sur l’adaptation au risque (en France on parlera d’amélioration de la résilience) ont pour
objectif d’atténuer les impacts néfastes liés à une perturbation et tirer parti des opportunités qui résultent du
changement. L’individu investit le traumatisme comme une croissance, afin d’augmenter sa capacité de résilience
à des traumatismes futurs, tout en modifiant ses patterns pour devenir davantage efficient (Aburn et al., 2016;
Galatzer-Levy et al., 2018). Ainsi, la résilience renvoie à des responsabilités individuelles (choix libres) ou
collectives (choix imposés). Certaines expériences de vie amènent momentanément une rupture de l’équilibre, tel
un point de départ d’un nouveau développement de capacité par un processus de réintégration des perturbations
vécues. Quatre profils de résilience s’observent : (i) ceux qui saisissent le choc comme une opportunité de croître,
(ii) ceux qui tendent vers un retour au niveau de l’homéostasie initiale, (iii) ceux qui ont un retour homéostasique
légèrement plus faible que le niveau initial et (iv) ceux où un dysfonctionnement des états internes et externes
amène à un échec des stratégies adaptatives et à des comportements néfastes (Connor & Davidson, 2003).
Toutefois, l’impact des expériences de vie traumatisante et des transitions n’influencent pas de la même manière
chaque individu en fonction de la signification accordée à l’événement (Cyrulnik, 1998, 1999).
Selon Gunderson et Holling (2002), la plupart des systèmes qui s’adaptent aux perturbations sont passés
par quatre phases (cycle adaptatif). Le principe du cycle adaptatif est le suivant : la résilience décroît pour mieux
augmenter (Walker et al., 2004). Les phases de croissance (r) puis de conservation (K), sont marquées par une
évolution lente et facilement prédictive. Elles sont suivies d’une phase chaotique de changement brutal (Ω), qui
conduit à une phase de réorganisation lente ou rapide en fonction des innovations au sein du système (α). La
vulnérabilité du système décroit quand il passe de l’état (r) à l’état (K), mais il augmente lors du passage de la
phase (Ω) à la phase (α). La figure 10 schématise le processus adaptatif de la résilience (Gunderson & Holling,
2002). Ce cycle adaptatif est interactif avec les sous-systèmes (niveau inférieur) et l’environnement (niveau
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Littérature
supérieur) au comportement résilient. Le degré de résilience est dépendant des couplages d’échelles spatiales et
des rythmes temporels où de multiples connections entre les diverses phases de plusieurs niveaux peuvent
potentiellement intervenir (Quenault, 2013a). Si l’évolution du système découle du comportement des éléments
qui le compose, son évolution a une action rétroactive et directrice sur ses divers éléments. Finalement, la résilience
systémique présente quatre caractères : (i) elle possède un nombre maximum de perturbations qu’un système peut
subir sans changer d’état, (ii) elle est directement proportionnelle à l’auto-organisation du système (les systèmes
autoorganisés sont plus résilients que ceux dont l’organisation est hiérarchique), (iii) elle est dépendante de la
capacité d’un système à s’adapter et (iv) elle intègre et nie l’opposition entre la nature et le social (Quenault,
2013a).
Figure 10. Processus interactif et adaptatif de la résilience (Gunderson & Holling, 2002)
Considérer la résilience comme un processus complexe et systémique nécessite de tenir compte de
l'interaction entre une série de processus à risques qui agissent pour intensifier la réaction d'un individu à l'adversité
et des facteurs de protection qui impactent la réaction positive d'un individu à l'adversité, dont l’intensité varie en
fonction des expériences passées (Rutter, 1985, 1987, 1999). Rutter (1985) a défini un facteur de protection comme
« une influence qui modifie, renforce ou altère la réponse d'une personne à un danger environnemental qui la
prédispose à un résultat inapproprié » (Rutter, 1985, p. 600). Adaptés aux adolescents, quatre principaux facteurs
favorisent la résilience : (i) les individus, (ii) les familles, (iii) les environnements et (iv) les sociétés et systèmes
éducatifs (Bonanno et al., 2007; Cowen, 1991; Cowen & Work, 1988; Garmezy, 1991a, 1991b; Haase, 2004;
Werner, 1995). Il existe une relation entre le nombre de facteurs de risques dans l'environnement et le nombre de
problèmes psychosociaux à l'âge de 15-16 ans (Fergusson & Lynskey, 1998) mettant en avant une corrélation
positive entre la résilience et des indicateurs de santé mentale (Davydov et al., 2010). Des recherches montrent le
lien entre les individus faisant preuve de résilience et une meilleure qualité de vie dans divers contextes (Brickell
et al., 2020; Cal et al., 2015; Kirchberger et al., 2020; Lawford & Eiser, 2001). Toutefois, peu d’études s’intéressent
à l’interaction des déterminants individuels et environnementaux sur le degré de résilience d’un individu.
3. De la résilience réactive à proactive
Le regard porté sur la résilience dans la plupart des études scientifiques internationales est d’ordre
compréhensif et responsabilisant pour l’individu. Quénault (2013a, 2013b) propose une bascule de paradigme,
allant d’une résilience réactive vers une résilience proactive, impliquant une rupture dans la perception des
problèmes et des solutions : la résilience permet d’opérer un décentrement du regard porté sur la catastrophe et la
sécurité (univers des problèmes, résilience réactive) vers la gestion (univers des solutions, résilience proactive).
La perspective émergente de la résilience proactive s’inscrit dans une révolution scientifique des Sciences
Humaines et Sociales où les paradigmes ne se succèdent pas, mais coexistent en se nourrissent les uns des autres
pour se recouper partiellement (Kuhn, 1962). Autrement dit, ils ne se remplacent pas, mais se complètent. En
France, le paradigme dominant du positivisme où le changement de vie représente initialement une rupture de la
normalité, tend à évoluer vers celui de la systémique où la rupture devient une nécessaire normalité (Quenault,
2013a, 2013b, 2020). Envisager la résilience comme réactive nécessite d’adopter une vision pro-libérale positive
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Littérature
où la responsabilité se porte sur l’individu, alors qu’à l’inverse, percevoir la résilience comme proactive, amène à
promouvoir des comportements d’anticipation où l’adaptation individuelle est encouragée par un environnement
systémique, construit et facilitateur (Quenault, 2013a, 2013b, 2020). En France, le primat de la résilience réactive
de court terme domine et le rapprochement avec la résilience proactive tarde à s’opérer car les deux conceptions
relèvent de dispositions législatives différentes et de compétences dévolues à différents acteurs (Quenault, 2013a,
2013b, 2020).
Certains individus s’épanouissent face à l'adversité (Masten, 2001) lorsque d'autres sont stressés face aux
changements de vie (Green & Humphrey, 2012). Si la théorie de l'attachement est essentielle au développement
de la résilience d’un point de vue purement psychologique (Machin, 2009), Walsh (1996) s’est attaché à démontrer
l’état d’éducation nécessaire à un individu pour qu’il devienne résilient, dépassant le fatalisme inhérent aux
conceptions sociopolitiques des théories de l’attachement. L'attachement est décrit comme un processus par lequel
« les nourrissons et les jeunes enfants développent une confiance profonde dans la protection de