Cette thèse a pour objectif de comprendre les raisons du mal-être des salariés à la Cité des sciences et de l’industrie. Pour cela, deux approches originales sont proposées. Tout d’abord, l’histoire de l’organisation est considérée comme un élément-clef de la compréhension du phénomène. Elle permet notamment l’analyse approfondie du projet d’établissement, de ses évolutions, de ses incohérences, et leurs impacts sur les salariés. Nous analysons également la construction des grandes règles collectives ainsi que le modèle de gestion de la main d’œuvre. Nous montrons que le projet avance moins par vision stratégique que par effet d’opportunités et de réseaux. La gestion des équipes repose donc essentiellement sur les ressources individuelles, qui s’abîment au fur et à mesure des expériences vécues. En outre, c’est à partir de l’analyse des conflits interpersonnels et de leur émergence que nous avons réussi à démontrer qu’ils ne relèvent pas d’individus anomiques mais plutôt de la fuite des responsabilités des acteurs des espaces de régulation. Le phénomène de division des tâches et du champ des responsabilités favorise l’émergence de sujets tabous et de dysfonctionnements dans le temps long.L’enquête a été conduite entre 2012 et 2014, à partir d’une évaluation des risques psychosociaux. Des entretiens individuels et en groupe avec les directeurs et délégués, des représentants syndicaux, les professionnels des équipes en charge de la santé et de la sécurité au travail, ainsi que plusieurs salariés ont été menés. Un questionnaire en ligne a été passé à l’ensemble des équipes. Des documents de travail contemporains ainsi que des archives métiers et des présidences depuis 1979 ont également été traités.Cette thèse explore l’hypothèse selon laquelle l’organisation est une ressource dans la gestion des situations de travail, via des règles (les accords collectifs, les classifications, un système hiérarchique) et des acteurs (management, RH, collectif, IRP). Si le travailleur ne parvient pas à mobiliser les ressources organisationnelles, ou ne parvient pas à les rendre effectives pour la résolution d’un problème, il fait appel à ses ressources propres. Références et appuis mobilisables au quotidien, ces ressources impactent le regard et l’action d’un individu de façon objective et subjective. Lorsque les individus ont épuisé les ressources individuelles et organisationnelles dont ils disposent pour gérer la situation de travail, plusieurs effets sont observés. Le bien-être se dégrade lorsque la situation de travail n’évolue pas ou lorsque les ressources mobilisées s’avèrent inutiles à plusieurs reprises. Le processus de reconnaissance est alors rompu. L’entrée en conflit des acteurs peut s’avérer être une solution à condition que ce conflit soit mené avec des objectifs atteignables. Le cas échéant, les ressources mobilisées perdent en valeur. Les individus sont stigmatisés et se considèrent comme étant en échec. Le problème est jugé difficilement soluble et les acteurs de la régulation tendent à fuir sa prise en charge. C’est alors que les interactions professionnelles risquent de glisser d’une relation sociale encadrée par le support organisationnel, à des échanges uniquement régi par le rapport de force. Cela se traduit par le fait que les travailleurs font appel à des catégorisations qu’ils ont incorporées, fondées sur le sexe, la classe et la race ; au détriment de la prise en compte de leurs compétences professionnelles. Cette perte de visibilité de la compétence professionnelle est une source profonde de rupture, puisque celle-ci nécessite une révélation au long court pour être reconnues et partagées dans une organisation. Le conflit interpersonnel survient à ce moment. À ce niveau de mal-être social, la santé des individus est fortement dégradée.