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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
l'expérience de construction d'un État en Europe orientale aux XXe et XXIe siècles (Traduit par Éric Aunoble)
CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
Mikhaïl MINAKOV
Senior Fellow
Webpage
The Wilson Center: Institut Kennan (USA)
Éric AUNOBLE
Chargé de cours
Université de Genève
eric.aunoble@unige.ch
Résumé
Avec l’aimable autorisation de la revue, nous présentons ci-après la traduction légèrement abrégée d'un article de Mikhaïl
Minakov paru dans Neprikosnovennyj Zapas en mars 2020 (
n° 129, pp. 161–179
).
Il nous semble important de faire connaître ce texte au lectorat francophone dans le contexte de l’invasion russe déclenchée
le 24 février 2022. À l'époque, la défaite rapide de l’armée ukrainienne et l’effondrement de l’État ukrainien paraissaient
l’hypothèse la plus probable non seulement pour le Kremlin, mais aussi pour de nombreux commentateurs. Pour expliquer
l’étonnante résistance de l’Ukraine face à l’agression, on a souligné le rôle de la mobilisation civique, dans la lignée des
recherches sociologiques menées depuis 2014 sur les « volontaires » du Maïdan puis dans la guerre qui s’en est suivie dans
le Donbass.
L’article de Mikhaïl Minakov s’intéresse quant à lui à l’État lui-même et prend plus de recul en envisageant un siècle
d’histoire et pas seulement les huit dernières années. Il montre ainsi la continuité paradoxale dans la construction d’un
système politique solide en Ukraine.
Mots-clés : Ukraine, État, construction étatique, histoire
Abstract
With the kind permission of the Journal, we present below a slightly abbreviated translation of Mikhail Minokov's article
that appeared in Neprikosnovennyi Zapas in March 2020 (
n°129, pp. 161–179
).
It seems important to us to make this text known to the French-speaking readership in the context of the Russian invasion
that started on 24 February 2022. At the time, the rapid collapse of the Ukrainian army and of the Ukrainian state seemed
the most likely hypothesis not only for the Kremlin but also for many commentators. To explain Ukraine’s surprising
resistance to aggression, the role of civic mobilisation was emphasised, in line with sociological research conducted since
2014 on the “volunteers” in Maidan and in the Donbass.
Mikhail Minakov’s article, on the other hand, focuses on the state itself and takes a step back by considering a century of
history rather than the last eight years alone. It shows the paradoxical continuity in the construction of a solid political
system in Ukraine.
Keywords: Ukraine, State, State-building, History
Un siècle de système politique ukrainien: l’expérience de construction
d’un État en Europe orientale aux XXe et XXIe siècles
(Traduit du russe par Éric Aunoble)
Copyright: © Mikhail Min akov 2022. Published by the Cevipol of the Université libre de Bruxelles and the Global Studies Institute of the University of Geneva. This is an
open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License, which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium,
provided the original author and source are credited.
Doi: 10.5077/journals/connexe.2022.e1029
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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
l'expérience de construction d'un État en Europe orientale aux XXe et XXIe siècles (Traduit par Éric Aunoble)
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Introduction
L’émergence de l’État est l’un des phénomènes les plus intéressants dans l’histoire de
l’humanité. Et si la naissance des États les plus anciens se cache dans un passé immémorial,
elle a d’emblée fait l’objet de la réflexion des philosophes. Aristote définit la politique comme
une « communauté constituée en vue d’un certain bien » (Aristote 1989, 21). La construction
d’une communauté suppose que des gens se reconnaissent entre eux comme légitimes pour
délibérer et définir le bien commun (Minakov 2018b, 44). Ceux dont la définition l’emporte
exercent un contrôle sur les centres de pouvoir et déterminent la vie de la population sous
leur contrôle. Par conséquent, la domination institutionnelle et l’hégémonie discursive vont
de pair
1
. Ces échanges, cette communication politique se déroulent selon des règles (un cadre
institutionnel) et dans le cadre d’organisations stables (les institutions) chargées de l’exécution,
de la révision et de la mise à jour du cadre institutionnel (North, Wallis and Weingast 2009,
150 ; Beck 2001, 166). On observe toutefois la coexistence de règles formelles, inscrites dans
les lois, et de règles informelles, mises en place de manière opaque et sans sanction officielle
(Helmke and Levitsky 2004, 725 ; Hale 2014, 213 sv.). En tout cas, les institutions, combinées
de façon stable dans un cadre institutionnel, forment le système politique.
L’État moderne se distingue par le monopole de l’usage de la violence (interne et externe),
la mise à disposition de services publics, et pour les financer, l’extraction des ressources
nécessaires à son fonctionnement (Tilly 1992, 12 ; Ghani and Lockhart 2008, 3). Le cadre
institutionnel formel et les institutions chargées de leur exécution sont avant tout axés sur
l’exécution de ces fonctions. Le cadre institutionnel informel peut alors soit renforcer l’État et
garantir sa pérennité, soit saper son autorité et miner le monopole du gouvernement, ouvrant
la voie à un large éventail de blocages du système politique, allant de la corruption jusqu’à
l’effondrement d’un État failli (Helmke and Levitsky 2004, 727 sv.).
L’État ukrainien est un bon exemple des multiples défis rencontrés par les États nationaux,
apparus tardivement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La mise
en place d’un cadre institutionnel et d’institutions procède d’une communauté politique qui
vient de s’affirmer. Subissant une forte pression extérieure, le système politique est aussi mis
en tension par la concomitance des procédures formelles et informelles. L’histoire du système
politique ukrainien met aussi en lumière les origines modernes des États d’Europe orientale,
en dehors des représentations ethno-étatiques. L’objet de cet article est de couvrir ce siècle
d’histoire, des tentatives de fonder un système politique en 1917–1919, aux développements
soviétiques puis postsoviétiques.
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1. La Première république (1917–1923) : naissance du système politique
ukrainien
Au début de 1917, l’État impérial russe avait épuisé son potentiel politique. La corruption
et l’inefficacité du système, la guerre mondiale, l’épuisement des ressources humaines et
économiques, le grand nombre d’hommes sous les armes et la faiblesse de leur encadrement,
le renforcement des organisations politiques antisystème : tous ces facteurs avaient conduit à
la banqueroute totale de l’État impérial (Зубов и др. 2016, 476 sv. ; Baron and Gatrell 2003,
53 sv.). Après le renversement du tsar, une multitude de « gouvernements » et de « projets
du gouvernement » alternatifs sont apparus, revendiquant un contrôle sur l’ensemble de
l’Empire ou sur une partie de son territoire et de sa population. À ce moment-là, l’imagination
politique créatrice et la stratégie de construction étatique des révolutionnaires et des différents
autres groupes politiques a suivi deux modèles :
Le premier modèle est lié aux événements de la révolution de Février. En février–mars 1917,
grâce à un coup d’État
*
dans la capitale de l’Empire et à l’abdication du monarque, la Russie a
commencé à se constituer en république
**
. La construction d’un nouvel État est généralement
associée à la faillite complète de l’État prédécesseur et à la nécessité d’une restructuration
rapide du système politique. Dans cette phase de naissance d’une république, les élites russes
ont tenté de répondre aux problèmes de la guerre et au défi lancé par les mouvements socialistes
et les mouvements de libération nationale, tout en garantissant l’unité politique et territoriale
de l’ancien Empire. Les élites de Petrograd ont ainsi essayé de créer une république fondée sur
une Assemblée constituante. Cette république devait incarner un centre de pouvoir unique,
tout en reconnaissant les autonomies nationales des périphéries. Ce faisant, le Gouvernement
provisoire était pris en étau entre les dangers du moment et les activités de différentes forces
politiques. En fin de compte, les bolcheviks ont miné le projet de la République russe « une et
indivisible » avec la révolution d’Octobre 1917, tandis que les nationalistes ont, au contraire,
suivi le modèle républicain « de Février » dans leurs projets nationaux.
Par conséquent, la révolution de Février a conduit à la création en 1917–1922 d’une série
d’États stables : les républiques nationales de Finlande, d’Estonie, de Lettonie, de Lituanie
et de Pologne. Le même modèle national-républicain a été défendu par certains groupes
d’hommes politiques, d’intellectuels et de militaires en Ukraine, en Moldavie, au Caucase et en
Asie centrale. Toutefois, ces projets ont sombré face à l’État créé par la révolution d’Octobre.
Le deuxième modèle d’État – le modèle d’Octobre, ou modèle soviétique – a été rendu possible
par l’action des radicaux de gauche, à savoir, les bolcheviks et les Socialistes-Révolutionnaires
(S-R) de gauche qui ont pris le pouvoir à Petrograd en octobre 1917. Après leur échec aux
élections de l’Assemblée Constituante, tenues le 12 novembre 1917, les bolcheviks ont mis
* « Perevorot » : changement brutal de pouvoir. En russe, le terme peut aussi bien décrire les manifestations et
soulèvements spontanés de Février 1917 que l’insurrection bolchevique d’Octobre (NdT).
** Bien que la Russie ait été officiellement déclarée République le 1e septembre 1917, elle fonctionnait comme une
république depuis mars 1917 (NdT).
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un terme au « modèle de Février ». Les bolcheviks n’avaient en effet obtenu que 24
%
des
voix (ou 180 mandats de 767), alors que les Socialistes-Révolutionnaires (SR, de droite) en
avaient reçu plus de 40
%
(Протасов 1997, 117). Les bolcheviks ont donc dissous l’Assemblée
Constituante le 6 janvier 1918, mettant ainsi fin au modèle de Février de construction étatique
en Russie, au profit d’un État socialiste des ouvriers et des paysans. En plus du mode de
gestion socialiste de l’économie nationale, les bolcheviks ont proposé un modèle mixte de
« république soviétique », qui devait agir dans l’intérêt de la classe ouvrière tout en tenant
compte des particularités nationales (Martin 2001, 33 sv.). Ainsi, sous l’influence de ce modèle,
les Républiques socialistes soviétiques de Biélorussie et d’Ukraine ont vu le jour.
En 1917–1923, les territoires qui forment l’Ukraine d’aujourd’hui ont connu ce que l’on
peut appeler la « Première république »
2
. C’est durant cette période que la population de cette
région et une partie des élites se sont approprié l’idée qu’une grande partie de l’ancien Empire,
au sud-ouest, c’était l’Ukraine, c’est-à-dire une communauté distincte ayant le droit à son
propre gouvernement. L’imagination politique des acteurs de l’époque en Ukraine a intégré
l’idée que les communautés à majorité ukrainienne pouvaient prétendre à la souveraineté
(Szporluk 1997, 87). En conséquence, l’aire d’effectivité des « universals », les décrets de
la Rada Centrale de Kiev et de la République populaire d’Ukraine (UNR) furent des jalons
importants de la formation de ce projet politique
3
.
Cependant, l’UNR n’était qu’un des nombreux projets politiques qui existaient à l’époque
sur le territoire de l’Ukraine. Sur ces terres, plusieurs projets politiques se sont affrontés :
républicain et monarchiste ukrainiens, impérial (républicain ou monarchiste), socialiste,
anarchiste, sans compter les projets de différents seigneurs de la guerre, les atamans.
Et pourtant, l’UNR, incarnant le projet national-républicain, a été le projet le plus significatif
de cette période. À Kiev, du 6 au 8 avril 1917, sur la vague d’un enthousiasme républicain
soulevé par la révolution de Février, un congrès national ukrainien avait élu la Rada centrale
comme organe représentatif des organisations politiques et de la société civile. Ainsi, aux côtés
des partis caucasiens, finlandais et polonais, le groupe des nationaux-démocrates ukrainiens
avait acquis une certaine légitimité politique dans la lutte pour l’autonomie nationale au sein
de la République russe (Солдатенко 1999, 145). Dans le même temps, on trouvait au sein de
la Rada centrale aussi bien des partis luttant pour la construction du socialisme ukrainien que
d’autres privilégiant l’indépendance nationale ukrainienne.
En 1917, les dirigeants politiques de la Rada ont lutté pour que sa légitimité soit reconnue
par le Gouvernement provisoire. Pour ce faire, la Rada a mené un travail dans les populations
rurales, parmi les soldats
4
et dans les communautés ethniques qui vivaient dans les provinces
ukrainiennes. La Rada a également créé une sorte de pouvoir exécutif – le Secrétariat Général.
Le 8 novembre, au lendemain de leur insurrection victorieuse à Petrograd, les bolcheviks
ont tenté de prendre le pouvoir à Kiev. Grâce aux troupes fidèles au Gouvernement provisoire,
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la Rada centrale a réussi à empêcher cette tentative. Poussant son avantage politique et
militaire, la Rada a publié son 3e Universal qui proclamait l’UNR, autonome au sein de la
République russe. En outre, le 12 novembre 1917, la Rada a organisé les élections de l’Assemblée
constituante. Dans les provinces ukrainiennes, plus de 70
%
des votes ont été en faveur aux
S-R ukrainiens (Протасов 1997, 223–234).
Face à la Rada centrale apparaissaient de nouveaux groupes prétendant au pouvoir. Le
22 décembre, des troupes subordonnées au Conseil des commissaires du peuple de Petrograd
prennent le contrôle militaire de Kharkiv. Le 25 décembre, les membres des organisations
ukrainiennes du Parti bolchevique et des socialistes-révolutionnaires tiennent le Premier
congrès des soviets d’Ukraine. Ce congrès fonde l’histoire de la République soviétique
d’Ukraine. Et dès le 30 décembre 1917, un gouvernement de l’Ukraine soviétique (le Comité
Exécutif Central), dirigé par Juhim Medvedev, a été créé. En mars 1918, la République socialiste
soviétique d’Ukraine est proclamée.
En même temps que le projet « d’Octobre », celui « de Février » continuait à se
développer : fin 1917 et début 1918, le nombre de soldats et d’intellectuels qui soutenaient
l’idée de l’indépendance de l’Ukraine augmentait. Le 22 janvier 1918, la Rada centrale publie
le Quatrième Universal, proclamant l’indépendance nationale et déclarant la guerre au
gouvernement bolchevique (Солдатенко 1999, 29 ; Velychenko 2011, 11–12). Le 9 février
1918 à Brest-Litovsk, l’indépendance et les frontières de l’UNR (telles que définies par le 3e
Universal) sont reconnues par les puissances centrales (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire
ottoman et Bulgarie). Cette reconnaissance politique est accompagnée de la mise en place
d’un véritable protectorat de l’Allemagne sur l’UNR : les troupes allemandes entrent sur le
territoire de l’Ukraine.
À l’hiver 1918, l’élan républicain constructif cède le pas à la logique des opérations militaires
sur l’ensemble du territoire de l’ancien Empire. À partir de ce moment, la construction de
l’État a plus à voir avec la guerre qu’avec des considérations civiles, politiques et juridiques.
La violence militaire s’est substituée à la légitimité politique
5
.
Néanmoins, les tentatives de fondation de différentes entités étatiques sur les terres
de l’Ukraine continuent pendant la guerre. Ainsi est né le projet politique monarchique de
« l’Hetmanat » de Pavlo Skoropadsky. Dans Kiev occupé par les troupes allemandes, le 29
avril 1918, le congrès des paysans d’Ukraine vote la défiance envers la Rada centrale et remet
le pouvoir à l’ « hetman » Skoropadsky. Dans la nuit du 30 avril, les troupes de la Rada sont
désarmées. Le projet de Skoropadsky porte le nom officiel d’ « État ukrainien » [Ukraïins’ka
Deržava] et dure un peu plus longtemps que l’occupation allemande en Ukraine, c’est à dire
jusqu’au 12 décembre 1918 (Lieb 2012, 640).
Après cela, l’UNR réussit à se reconstituer sous un nouveau nom de gouvernement – le
Directoire –, grâce au soutien de groupes militaires. Pour le renforcement de leur légitimité
politique et la mobilisation de la population pour les soutenir, les dirigeants de l’UNR tentent
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de s’appuyer sur un Congrès des travailleurs d’Ukraine. Cependant, jusqu’en novembre 1920,
ce projet de construction étatique est essentiellement associé à des opérations militaires
de l’UNR, de la république de Pologne, et de leurs adversaires – le mouvement blanc, les
bolcheviks, les anarchistes et les États de l’Entente. Dans cette même période, le territoire
revendiqué par l’Ukraine grandit – le Directoire étendant temporairement son pouvoir jusqu’à
la Crimée et à l’Ukraine occidentale.
En mars 1921, l’UNR cesse d’exister comme projet politique significatif. Cependant, le
traité de paix de Riga du 18 mars 1921 fait passer la frontière entre la Pologne et l’URSS
sur le fleuve Zbroutch, ne garantissant donc à l’Ukraine qu’une partie des terres auxquelles
prétendait l’UNR. Au même moment, les bolcheviks mettaient fin au projet impérial de
l’Armée blanche des Volontaires dans le centre et le sud-est de l’Ukraine et au mouvement
anarchiste de Nestor Makhno (Nahaylo 1990 ; Velychenko 2011).
Enfin, sous la Première république, on trouve aussi de petites formations étatiques, des
« principautés rurales ». Les projets politiques des atamans surgissent à la suite de la prise
de petits territoires organisée par des groupes militaires dirigés par des chefs autoproclamés
ou élus. On voit aussi de petites communautés se constituer en « républiques », tentant de se
défendre par les armes contre différentes armées et bandes sévissant en Ukraine pendant la
Guerre civile. Parmi des centaines d’exemples, la plus durable fut la république de Holodnyj
Jar (1919–1922), bien que ni elle, ni d’autres semblables n’aient jamais proclamé formellement
leur indépendance (Вовк 2016).
Par conséquent, la situation révolutionnaire de la « Première république » s’est conclue
par la victoire du modèle bolchevique de construction étatique sur la plus grande partie de
l’Ukraine actuelle. À ce moment-là, plusieurs régions du territoire de l’Ukraine actuelle ont été
incluses dans la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), de la République
de Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie et de la Roumanie.Les conséquences de la
construction étatique lors de la Première république furent les suivantes :
• L’apparition des premières institutions de l’État, y compris un pouvoir exécutif et un pouvoir
législatif. Lors de la conduite des guerres, la représentativité de ces institutions est restée
problématique : les dirigeants de l’UNR comprenaient leur manque de légitimité et y suppléaient
par différents types de conférences représentatives et de congrès, en se faisant reconnaître par
d’autres États, et en tentant de renforcer les organes d’État formels grâce au soutien de structures
informelles (unités militaires, organisation de classes et de groupes ethniques).
• Le précédent de l’indépendance nationale qui a été reconnu par plusieurs autres États. Soulignons
que l’indépendance a été reconnue par des États qui ont cessé d’exister approximativement dans
les mêmes années (les Empires allemand, austro-hongrois et ottoman). Le soutien de la société
locale à cette souveraineté a été si fort que les bolcheviks ont été contraints de reconnaître à la
République socialiste soviétique (RSS) d’Ukraine le statut d’entité étatique séparée, co-fondatrice
de l’Union soviétique.
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• La représentation que les Ukrainiens ont du territoire ukrainien et d’un peuple ukrainien
capable de constituer un État. En 1923, la souveraineté de l’Ukraine sur les « terres ukrainiennes »
était désormais un acquis pour les élites politiques et la population de l’Ukraine mais aussi pour
une partie des pays voisins. Néanmoins, la délimitation de ces « terres ukrainiennes » était
encore floue, et incluant ou non le Donbass, le Kouban, la Galicie orientale et la Transcarpathi
suivant les points de vue.
Par conséquent, pendant la Première république on trouve un cadre institutionnel et des
institutions qui forment la base du système politique ukrainien. Comme ces différents éléments
et les liens les structurant avaient été définis partiellement par des moyens politiques et de
droit public, mais aussi par la guerre, ils avaient besoin d’être réagencés. Il fallait du temps
et une période de paix pour que le système politique naisse et que ses parties constitutives
s’institutionnalisent. En raison de cela, l’assemblage final du système politique ukrainien s’est
produit dans le cadre de l’URSS, c’est-à-dire au temps de la Deuxième république.
2. L’Ukraine soviétique, ou la Deuxième république (1919/1921–1991)
Le « modèle d’Octobre » a gagné sur le territoire de l’Ukraine du fait de la puissance de
l’Armée rouge. La victoire du projet soviétique est aussi partiellement liée à la demande
populaire d’un pouvoir politique stable capable de mettre fin aux violences de guerre et de
conduire à une paix que la majorité considérerait comme juste. En effet, après sept ans de
guerre dont quatre ans d’anarchie, la population ukrainienne qui avait survécu avait besoin
d’un ordre politique capable d’exercer les fonctions clés (Markevich and Harrison 2011, 700
sv. ; Main 1994, 807). Et les promesses bolcheviques de donner la terre et l’autogestion dans
les usines et les villages suscitaient apparemment l’espoir que le monde serait plus juste.
D’ailleurs, le projet soviétique de construction de l’État en Ukraine a été mis en œuvre
comme faisant partie d’un projet global beaucoup plus important : d’abord celui de « la
révolution mondiale du prolétariat », puis celui de « l’édification du socialisme dans un seul
pays ». Cela a déterminé la totalité des caractéristiques de l’étatisme socialiste. En théorie,
l’État contrôlait la grande industrie, (puis même la moyenne et la petite) et dirigeait les
échanges économiques dans l’intérêt de la classe ouvrière, mais il reliait aussi la classe et la
nation en une communauté politique (Martin 2001 ; Himka 2006). En fait, l’État soviétique
construit en vue d’un contrôle total de l’économie et de la concurrence politique était fondé
sur le monopole idéologique du marxisme soviétique et sur l’inclusion formelle des groupes
nationaux dans la gestion politique et administrative (Armstrong 1992, 121 ; Martin 2001, 12
sv.).
Le système politique de la RSS d’Ukraine s’est constitué dans l’unité et la confrontation de
deux hiérarchies de pouvoir. D’une part, dans les années 1919–1929, un système d’institutions
soviétiques a été mis en place ; d’autre part, on instaurait le contrôle du Parti sur ces organes
étatiques, à la fonction essentiellement formelle. Officiellement, l’autorité publique suprême
de la RSS d’Ukraine était le Congrès ukrainien des soviets (conseils) des députés d’ouvriers, de
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paysans et de soldats. Selon la Constitution de 1919, le congrès se réunissait une fois par an, puis
une fois tous les deux ans selon la Constitution de 1929. Au début, le congrès pouvait modifier
et approuver la Constitution, déclarer la guerre et conclure la paix, modifier les frontières,
contrôler l’armée et les conseils locaux. Toutefois, après la création de l’Union soviétique en
1922, le Congrès des soviets ukrainiens s’est vu priver des prérogatives de politique étrangère
et de commandement militaire. Il s’est en revanche vu octroyer le droit de rester ou non au
sein de l’Union. Avant la création de la Verhovna Rada
***
de la RSS d’Ukraine en 1937 (d’après
la troisième Constitution de la RSS d’Ukraine), il y eut 14 de ces congrès des soviets lors
desquels ont été approuvées les trois constitutions et qui ont permis de corriger le modèle de
souveraineté (autonomie au sein de la RSFSR en 1917, État soviétique indépendant en 1918,
république membre de l’Union à partir de décembre 1922). Le rôle du congrès a nettement
diminué à la fin des années 1920, comme avait diminué le besoin qu’avait le système politique
de rituels de légitimation du pouvoir alors que le contrôle du Parti sur la prise de décision
s’était renforcé.
Entre les congrès des soviets, l’autorité suprême de la RSS d’Ukraine était détenue par
le comité exécutif central pan-ukrainien (VUCIK – CECU). Le CECU était un organe à la fois
législatif, réglementaire, exécutif et de contrôle. Les fonctions exécutives du CECU étaient
déléguées au Conseil des commissaires du peuple de la RSS d’Ukraine. En 1938, le CECU est
devenu la Verhovna Rada de l’Ukraine, et le conseil des commissaires du peuple est devenu
le Conseil des ministres en 1946 (Виноградская и Рогожин 1974 ; Шаповал 1989 ; Ивкин
1999).
À l’exception des organismes républicains, il y avait des conseils (soviets) à l’échelle
des districts et des circonscriptions qui les englobaient, puis (après un redécoupage
administratif) à l’échelle des districts et des régions. Les conseils locaux avaient leurs propres
comités exécutifs, élus par des congrès locaux. Pendant la Guerre civile de 1917–1923, les
organes soviétiques cédaient le pas à l’Armée rouge et à la Tchéka, et se retrouvaient en
concurrence avec l’influence du Parti. Cependant, au début des années 1920, le POSDR(b)/
PCUS(b)
****
travailla à affaiblir le rôle politique de l’Armée, des services de renseignement
et des organes des soviets. Comme dans toutes les autres républiques soviétiques au même
moment, l’appareil du Parti en Ukraine prit le contrôle de tous les centres de pouvoir à tous
les niveaux, de la base au sommet des républiques nationales et de toute l’union.
En décembre 1917, le POSDR(b) a tenu un congrès régional à Kiev, à partir duquel a été
fondée l’organisation ukrainienne du parti bolchevique. Après le congrès de Taganrog en avril
1918, elle a pris le nom de Parti communiste (bolchevique) d’Ukraine (PC(b)U). En juillet
1918, le PC(b)U a été intégré au sein du POSDR(b), tout en restant une branche régionale
distincte dans le parti. Dans les années 1920, les autres organisations communistes sur le
*** Littéralement « conseil [soviet] suprême » (NdT).
**** POSDR(b) : Parti ouvrier social-démocrate de Russie (bolchevique) devenu PC de Russie (bolchevique) en 1918
puis Parti communiste de l’Union soviétique (bolchevique), PCUS(b), en 1934 (NdT).
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territoire ukrainien se sont fondues dans le PC(b)U, ce parti exerçant finalement le monopole
du contrôle des institutions civiles et militaires soviétiques (Шаповал 1989, 29 sv.).
Avant la guerre, la hiérarchie du parti était organisée pour accomplir les tâches totalitaires
du système stalinien. À ce moment, le PCU était dirigé par un Premier secrétaire
*****
, tel que
les éminents communistes-révolutionnaires Viatcheslav Molotov, Emmanuel Kviring, Lazare
Kaganovitch, Stanislav Kossior et Nikita Khrouchtchev. Les premiers secrétaires changeaient
souvent et faisaient carrière grâce à des allers-retours entre la capitale ukrainienne (Kharkiv
de 1919 à 1934 puis Kiev) et Moscou. En outre, les premiers secrétaires du parti étaient souvent
présidents du conseil des commissaires du peuple de la RSS d’Ukraine. Cette rotation des
cadres a permis à Staline de mettre en œuvre son mode de gouvernance et ne permettait pas
à la Nomenklatura naissante de prendre racine dans telle ou telle république/région ou dans
l’un ou l’autre des centres de pouvoir.
Pendant cette période, le système politique ukrainien s’était affermi au sein de ce
système dual parti-soviets et avait prouvé son efficacité dans le cadre de l’industrialisation,
de la collectivisation, de l’organisation du contrôle de la population et de l’information
lors du Holodomor, de la lutte contre « l’opposition » et les « ennemis du peuple », et de
l’annexion des territoires d’Ukraine occidentale en 1939. Chacune de ces campagnes avait été
potentiellement risquée pour l’ordre politique de la RSS d’Ukraine ; cependant les organismes
de base du Parti et de l’État soviétique, et les services de renseignement (Tchéka, GPU, NKVD)
avaient chaque fois été capables d’exécuter les tâches qui leur étaient assignées par le Parti
(Nahaylo 1990 ; Yekelchyk 2004 ; Kuromiya 2007 ; Werth 2008).
L’interdiction des débats idéologiques au sein du PCUS(b)/PCU fut un élément important
tant de la création que de la consolidation du système politique soviétique ukrainien. En prenant
le contrôle du Parti, Staline a réussi à empêcher le regroupement de cadres sur des bases
idéologiques entre 1921 et 1933 (Pipes 1995, 14), et a réduit le rôle politique non seulement des
congrès des soviets, mais aussi des congrès du Parti, en transférant officiellement l’autorité
au comité central (des partis des républiques et de l’Union). En fait c’était le politburo du
PCUS(b) qui prenait les décisions (Pipes 1995, 15–16). Le PCUS(b)
******
, était à la fois une
organisation pléthorique
*******
et un vivier de cadres ambitieux. Il était donc impossible
d’éviter complètement la formation de coteries. Comme les fractions idéologiques avaient été
interdites, des clans se sont constitués au niveau régional dès les années 1930 (Minakov 2018b,
126). Ce mode de structuration archaïque ne menaçait pas « la ligne générale du parti » et
favorisait les valeurs de fidélité individuelle dans un régime de plus en plus personnalisé.
***** POSDR(b) : Parti ouvrier social-démocrate de Russie (bolchevique) devenu PC de Russie (bolchevique) en 1918
puis Parti communiste de l’Union soviétique (bolchevique), PCUS(b), en 1934 (NdT).
****** Un secrétaire général de 1925 à 1934 (NdT).
******* 3,8 millions de membres en 1940 (NdT).
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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
l'expérience de construction d'un État en Europe orientale aux XXe et XXIe siècles (Traduit par Éric Aunoble)
CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
Au début de l’année 1941, le système politique de la RSS d’Ukraine dans son ensemble
s’était organisé et stabilisé. Les organes du parti ukrainien contrôlaient tous les centres de
pouvoir à tous les niveaux. Le PCU lui-même était sous le contrôle du PCUS, c’est-à-dire en
fait sous le contrôle de Staline. Les territoires de Pologne et de Roumanie annexés dans les
années 1939–1940
6
furent incorporés dans la RSS d’Ukraine (Szporluk 2001).
La Seconde Guerre mondiale a représenté un choc énorme pour le système politique. Les
groupes de nationalistes ukrainiens, alliés de l’Allemagne nazie en guerre contre l’URSS, ont
tenté de profiter de l’occupation de l’Ukraine pour créer un nouvel État ukrainien, mais ce
projet n’a pas été soutenu par les autorités allemandes (Rossoliński-Liebe 2011). À son retour
en Ukraine, le système politique stalinien a rapidement repris le contrôle des territoires
occupés en bénéficiant du soutien de la population dans la lutte contre les collaborateurs
(Yekelchyk 2014). En 1953, moins de dix ans après, la résistance nationaliste ukrainienne était
entièrement écrasée (Penter 2011, 347).
Mais la Deuxième république avait été rétablie dans un pays bouleversé. À cause de
la guerre, l’Ukraine était devenue une terre de désolation et de dévastation : 5,5 millions
d’Ukrainiens avaient été tués, près de 4 millions avaient été évacués dans d’autres
républiques de l’URSS, et 2,2 millions de jeunes avaient été déportés en Allemagne comme
travailleurs forcés. 714 villes et plus de 27 000 villages avaient été détruits, de même que
16 000 entreprises, plus de 800 mines et près de 30 000 kolkhozes et sovkhozes. Il fallait
reconstruire les routes, les ponts et les centrales électriques (Magocsi 2010, 684–685).
L’Ukraine avait besoin d’énormes ressources humaines et financières pour la reconstruction.
De nouveaux cadres dirigeants, recrutés dans d’autres républiques soviétiques,
ont reçu encore plus de pouvoir que les élites d’avant-guerre (Filtzer 2002, 28 sv.).
Cette augmentation de leur pouvoir a renforcé la concurrence entre les différents
groupes de l’élite dirigeante de l’Ukraine d’après-guerre, surtout après la déstalinisation,
lorsque le contrôle de Moscou sur les élites régionales a diminué. Cette concurrence a conduit
à l’émergence de clans régionaux informels, réunissant des cadres du Parti, de l’État et de
l’économie. Les clans les plus puissants étaient ceux de Kharkiv, Dnipropetrovsk [Dnipro] et
du Donbass, régions qui brassaient le plus de ressources. Cette concurrence a joué un rôle
important dans le développement de l’Ukraine dans les années 1960–1980 (Minakov 2018b,
129 sv.).
Ces clans se formaient dans les grands centres régionaux d’Ukraine, et leur pouvoir
s’étendait sur les régions voisines. Ainsi, les « Kharkiviens » contrôlaient les régions de
Poltava, Sumy, et Tchernihiv, « ceux de Dnipropetrovsk » les régions de Kherson, Tcherkassy
et Kirovohrad [Kropyvnytskyï], et « ceux du Donbass » les régions de Louhansk et Zaporijjia
(pour cette dernière, en concurrence d’ailleurs avec « ceux de Dnipropetrovsk »). Le clan de
Dnipropetrovsk a même pu participer aux luttes de factions au sein du pouvoir central grâce
à la réussite de Leonid Brejnev, qui est devenu secrétaire général du PCUS en 1964 (Minakov
2019, 225 sv.).
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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
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CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
Cette concurrence a conduit à une répartition du pouvoir non entre les branches
institutionnelles mais entre les hommes liges des différents groupes de la Nomenklatura.
Depuis la fin des années 1950, ces équilibres se lisaient dans les nominations du Premier
secrétaire du PCU et du président du Conseil des ministres de l’Ukraine. Si un Kharkivien
devenait Premier secrétaire, le poste de président du conseil des ministres revenait à
quelqu’un issu des clans de Dnipropetrovsk ou de Donetsk. Les clans régionaux instillaient
leurs pratiques informelles fondées sur la collégialité au sein des institutions formelles
7
. Ainsi,
le long règne de Volodymyr Ščerbyc’kyj (Premier secrétaire du PCU de 1972 à 1989) n’a pas
été celui d’un pouvoir absolu car il était équilibré par l’influence des représentants du clan
de Donetsk. Pendant la perestroïka, les Kharkiviens ont largement investi les structures du
Comité central du PCU.
Ainsi, le système politique de la Deuxième république est né et s’est stabilisé à l’intersection
des institutions et organisations formelles et informelles qui assuraient l’efficacité de la gestion
mais la limitaient aussi. La hiérarchie entre les organes soviétiques de pouvoir était l’aspect
formel de cette contradiction systémique. Le contrôle du PCUS/PCU sur les organes de l’État
soviétique avait un caractère mixte : d’une part, le « rôle dirigeant » du Parti communiste était
officiellement inscrit dans les Constitutions de la RSS d’Ukraine et de l’URSS et, d’autre part, le
monopole du pouvoir était largement entre les mains du Parti et non des organes du pouvoir
d’État. Par conséquent, on avait un système politique où les relations juridiques et les relations
de pouvoir ne correspondaient qu’en partie. Enfin, le rôle croissant des clans régionaux de la
RSS d’Ukraine faisait que la contradiction formel/informel n’était pas seulement un mode de
fonctionnement, mais aussi un élément important de sa culture politique. Elle s’exprimait par
les rituels de participation des citoyens aux « élections »
********
ou aux réunions de cellule du
Parti, qui démontraient la loyauté du citoyen (Zaslavsky and Brym 1978, 367 ; Kotkin 2010,
10 sv.).
Ce système politique créait en particulier beaucoup d’obstacles à la communication
politique, tant dans le cadre de la RSS d’Ukraine que dans celui de toute l’Union soviétique.
Pendant la période d’ukrainisation bolchevique (1923–1931), le débat public était encore
possible. En revanche, la période stalinienne (1932–1953) a vu l’élimination de toute une
génération d’intellectuels capables de délibérer sur le bien commun. Seule la libéralisation
de la deuxième moitié des années 1980
8
a ouvert la possibilité de reconfigurer les systèmes
politiques des républiques soviétiques. En Ukraine, la quintessence d’une telle communication
s’est exprimée dans le débat sur le nouveau traité de l’Union et sur la question de la souveraineté
en 1990–1991 (Касьянов 2008, 11). Et c’est à ce moment que de nouveaux projets politiques
sont rendus possibles, telle l’union renouvelée (soutenue en mars 1991 par plus de 70
%
de la population ukrainienne au référendum sur le maintien de l’URSS) ou la souveraineté
******** En URSS, les élections se tenaient de manière régulière et très formelle (avec notamment des campagnes
contre l’abstention). Elles n’avaient néanmoins guère d’enjeu car il n’y avait qu’un candidat par poste à pourvoir
et ce dernier devait avoir une carte du PCUS ou du moins bénéficier de son parrainage (NdT).
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CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
nationale (appuyée cette fois par plus de 90
%
des électeurs ukrainiens au référendum sur
l’indépendance en décembre 1991). Le potentiel social d’implication civique dans le processus
politique a détruit le système au niveau de l’Union mais a offert une chance de créer l’Ukraine
comme État souverain.
À la fin des années 1980, le système politique de la RSS d’Ukraine et de l’URSS s’essouflait
et ne pouvait perdurer. La libéralisation du mode de gouvernement avait engendré de forts
mouvements centrifuges en Russie comme dans les républiques, et même dans les territoires
nationaux autonomes (Walker 2003, 3, 211). Le président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, et
la plupart des dirigeants des républiques ont tenté d’établir un nouveau traité de l’Union qui
conviendrait autant aux partisans d’une plus grande autonomie qu’à ceux qui souhaitaient
conserver l’Union soviétique telle qu’elle était. Après l’échec de la tentative de putsch du Comité
d’État pour l’état d’urgence (GKČP) en août 1991, l’élaboration du nouveau traité d’union a
été tué dans l’oeuf. La RSFS de Russie, la RSS d’Ukraine et d’autres républiques ont proclamé
leur indépendance à la fin août et en septembre 1991. En décembre 1991, l’Union soviétique
a été dissoute (par l’accord de Belovej et le traité d’Alma-Ata). L’Ukraine est devenue un
État indépendant et souverain, conformément à la décision de la Verkhovna Rada de la RSS
d’Ukraine du 24 août 1991, entérinée par référendum le 1e décembre 1991 et reconnue par des
traités internationaux.
3. L’ère de la souveraineté : « La Troisième république » d’Ukraine (1991)
Le 24 août 1991, la Verhovna Rada de la RSS d’Ukraine a adopté la déclaration d’indépendance
de l’Ukraine. La victoire d’Eltsine, le président de la RSFS de Russie, sur les putschistes qui
luttaient pour le monopole du pouvoir du centre sur toute l’Union, a affaibli définitivement le
gouvernement central et le président Gorbatchev. Cela a permis aux « national-communistes »
ukrainiens (majorité dirigeante, critique à l’égard des « libéraux » de Boris Eltsine) et aux
« national-démocrates » (minorité influente, revendiquant l’indépendance nationale) de
parvenir à un consensus sur la proclamation de l’indépendance. L’ancien chef de file des
communistes, Leonid Kravtchouk, a dirigé cette convergence qui a permis une transition en
douceur du mode d’administration soviétique au mode postsoviétique (Касьянов 2008, 22).
Dès septembre 1991, les autorités ukrainiennes ont lancé une politique de dé-soviétisation
et de dé-communisation. En trois mois, au moment du référendum sur l’indépendance, le PCU
avait été dissous, la structure républicaine du KGB avait été abolie, et une partie importante
des troupes du ministère de l’Intérieur et des unités militaires stationnées sur le territoire de
l’Ukraine étaient passées sous le commandement de Kiev (Plokhy 2015, 701.).
Mais en 1991–1992, le défi que rencontraient les élites ukrainiennes était beaucoup
plus ardu que d’assurer leur pouvoir. La privatisation du patrimoine industriel soviétique
et les caractéristiques du capitalisme postsoviétique ont creusé le gouffre entre une
couche privilégiée bénéficiant de rentes, et le reste de la population, appauvrie par la crise
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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
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CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
économique (1991–1996) (Aslund 2013, 17). Outre le contrôle de l’économie, ces « rentiers »
avaient étendu leur pouvoir à l’État et aux organisations criminelles, en formant des clans
et des réseaux clientélistes (Hale 2014 ; Minakov 2019). Des regroupements informels – qui
perdurent jusqu’à ce jour – se sont formés autour de patrons-oligarques, et réunissent une
clientèle d’obligés, politiciens, bureaucrates, parlementaires, juges, procureurs, acteurs
locaux, banquiers, industriels, criminels, entrepreneurs, médias, partis politiques, fondations
caritatives, think-tanks, ONG. Ces clans ont formé une sorte de « pyramide du pouvoir ». Et
si en Russie et en Biélorussie une seule verticale du pouvoir s’est imposée, celle d’un pouvoir
personnel, en Ukraine on assiste depuis plus de trente ans à la coopération conflictuelle de
plusieurs « pyramides » (Hale 2014, 72).
Le système politique de l’Ukraine s’est transformé en suivant cette voie politique et juridique
spécifique. D’une part, l’Ukraine est l’un des États postsoviétiques les plus libres (hors UE),
avec une « façade » démocratique développée de structures présidentielles, législatives et
judiciaires, et même avec une bonne part d’auto-administration. Les institutions ukrainiennes
de la présidence, du parlement et de la justice ont prouvé leur solidité face aux profondes
crises politiques et militaires de 2004 et 2014. D’autre part, des structures informelles arrivent
périodiquement à concurrencer ou même dépasser l’influence des institutions légales. Cette
dualité entre une « façade démocratique » et une « république des clans » (ou « État de
l’ombre ») est caractéristique du système politique moderne de l’Ukraine.
À l’encontre de ce que voudraient les chefs de clans, les élections jouent un rôle important
dans le système politique ukrainien : elles ne sont pas un simple rituel. Bien que les principaux
partis soient généralement intégrés aux structures claniques, ils sont obligés de participer
aux élections pour avoir des élus à la Verhovna Rada et dans les conseils locaux. Or les
résultats des élections sont peu prévisibles (Lankina and Libman 2019). Entre décembre 1991
et septembre 2019, les élections en Ukraine ont abouti à six changements de président (dont
deux fois au prix d’une crise politique) et à neuf législatures de la Verhovna Rada. D’ailleurs,
le code électoral n’est pas stabilisé, et la législation électorale subit de fréquentes révisions
à l’instigation des élites qui cherchent, au moins partiellement, à réduire l’imprévisibilité
électorale.
Par ailleurs, les élections n’ont pas encore aboli le dualisme systémique lié à l’héritage
structurel et social de la période soviétique. Structurellement, le dualisme postsoviétique
(qui voit les relations informelles prédominer sur les institutions publiques formelles) est le
reflet du rapport qu’entretenaient les fonctionnaires soviétiques avec l’appareil du Parti de
la RSS d’Ukraine/de l’URSS. La coexistence de deux ensembles de règles (démocratiques et
claniques) est rendue « naturelle » pour les élites et les citoyens par l’existence d’institutions
informelles, lesquelles prennent d’ailleurs le dessus dans les moments de crise (Fisun 2012,
88–89).
- 182 -
Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
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Sur le plan social, les clans postsoviétiques se sont formés dans le cadre des groupes
régionaux de la Nomenklatura. Les clans les plus puissants, qui ont déterminé le développement
de l’Ukraine dans les années 1991–2019, sont apparus à Dnipropetrovsk et Donetsk. Après la
« révolution orange » (2004–2005) et l’« Euromaïdan » (2013–2014), d’autres clans liés à
des groupes oligarchiques postsoviétiques ont aussi joué un rôle significatif, tels ceux des
régions de Tchernihiv, Vinnytsia, Kharkiv et Tchernivtsy (Minakov 2016 ; Minakov 2018a).
La Troisième république a vu l’émergence d’un centre de pouvoir hybride spécifique :
l’administration présidentielle qui assure la communication entre les institutions formelles et
les associations informelles. Poursuivant la logique institutionnelle de l’ancien Comité central
du PCU/PCUS, l’administration présidentielle assure – dans les conditions de l’Ukraine
indépendante et de l’économie de marché – la prise des décisions qu’accompliront les pouvoirs
exécutif, judiciaire et législatif, ainsi que les groupes oligarchiques.
Bien qu’il rappelle l’époque soviétique, le système politique de l’Ukraine indépendante
suit une dynamique différente. L’équilibre des pouvoirs en Ukraine soviétique assurait la
gouvernabilité de la république, son développement socioéconomique et sa subordination
au centre. La dynamique postsoviétique du système politique s’exprime sous la forme de
cycles révolutionnaires (Minakov 2018b, 105 sv.) ou ré-évolutifs (Ермолаев 2020). La
concurrence des clans pour le contrôle des institutions politiques et économiques, ainsi que
les tentatives des clans présidentiels d’instaurer une verticale du pouvoir ont conduit deux
fois à des changements de régime hors du cadre prévu par la Constitution. Cette évolution
de la Troisième république, selon une série de cycles, ne se terminera peut-être pas avec
l’« Euromaïdan ». Selon la Banque mondiale, la part des entreprises privées détenues par des
politiciens et des fonctionnaires a encore augmenté après l’« Euromaïdan » : en 2016, leur
poids total dans l’économie ukrainienne a atteint 28
%
(Kahkonen 2018).
Le système politique de la Troisième république s’est développé dans le cadre de l’opposition
entre les formes parlementaire et présidentielle de régime (Minakov and Mylovanov 2016).
La lutte des présidents de Kravtchouk (1991–1994) et Koutchma (1994–2005) contre
le parlement a conduit à l’instauration d’un régime mixte présidentiel-parlementaire,
inscrit dans la Constitution de 1996. Cette lutte a repris dans les conditions de la première
révolution, « orange », et a abouti au renforcement du parlement et du gouvernement face
à l’affaiblissement du pouvoir du président. Puis, en 2010, le président Ianoukovitch (2010–
2014) a réussi à obtenir de la Cour constitutionnelle une décision, rétablissant le régime mixte
présidentiel-parlementaire.
Les relations du président et du parlement ont été révisées après l’« Euromaïdan ».
L’une des premières décisions de la Rada, après la fuite du président Ianoukovitch en février
2014, établissait un régime parlementaire-présidentiel. Cependant, ce modèle a été modifié
en septembre 2019 quand la majorité pro-présidentielle à la Verkhovna Rada a adopté des
amendements à la Constitution de l’Ukraine (ВРУ 2019a), réduisant l’immunité des députés
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et affaiblissant la Loi sur l’impeachment (ВРУ 2019b), ce qui établit de fait une immunité
présidentielle. Cette ligne de tension dans le système politique est l’otage de la conjoncture
politique : elle est source de risques pour la stabilité politique après chaque cycle électoral.
Le système politique ukrainien reste très dynamique en raison de ses nombreuses
contradictions internes. Cette dynamique n’est pas propice à la construction et au
développement durable d’une démocratie consolidée, c’est vrai, mais elle fait obstacle à
l’instauration de régimes autoritaires.
Notes
1 En fait, elle coïncide avec la compréhension du « pouvoir politique » chez Michel Foucault (2013), ainsi que le
« pouvoir » de Nicolas Luhmann (2018) et Jürgen Habermas (Habermas and McCarthy 1977, 3–24).
2 Ce titre est tout à fait conventionnel. Il est utilisé à la fois dans l’historiographie scientifique et populaire. Dans le
sens étroit, il fait référence à la « première » UNR ; cependant, les différents spécialistes parlent des Troisième
ou Quatrième universal (Лисяк-Рудницький 1994 ; УІНП 2017 ; Ложкин и Федорін 2016). D’autres, comme par
exemple, Bondarenko, appellent « Première république » uniquement l’UNR d’avant le coup d’État de l’hetman
Skoropadsky, et la Seconde république est associée à d’autres projets, comme le Directoire de l’UNR (Бондаренко
2019). De même, le terme de « Deuxième république » est-il souvent utilisé pour l’Ukraine indépendante, et non
pour la RSS d’Ukraine. Les historiens nationalistes considèrent la RSS d’Ukraine comme « antinationale ». Pour
moi, la numérotation des républiques ne s’embarrasse pas de ces détails et prend l’édification de l’État sur le
territoire de l’Ukraine, selon les systèmes politiques expérimentés.
3 Cela est particulièrement visible lorsque l’on compare les territoires sous l’influence de la Rada centrale au
moment des Deuxième et Troisième universals. Le deuxième universal de la Rada s’appliquait à Kiev, Poltava,
Kamianets-Podilskyï, en Volynie et dans la province de Tchernihiv. Le troisième touchait aussi Ekaterinoslav
[Dnipro], Kharkiv, Kherson et la Crimée.
4 Car les fronts de la Première Guerre mondiale passaient par une partie des terres ukrainiennes, favorisant
l’implication des militaires dans la politique ukrainienne et leur donnant un réel poids politique.
5 Notons que les dirigeants politiques et politico-militaires se préoccupent du soutien que trouve leur « projet ».
En témoignent par exemple les rapports des services de renseignement de l’UNR, de l’Hetmanat et du Directoire
(Кавунник 2018, 16–189). Une victoire militaire ne suffit pas à assurer la stabilité du pouvoir.
6 Ces terres ont été annexées par l’URSS suite à la signature du pacte Molotov–Ribbentrop, en août 1939.
7 Le principe de la direction collégiale était une façon de surmonter le « culte de la personnalité » (Brown 1980,
140 ; Voronkov and Wielgohs 2004, 101).
8 À Moscou, la perestroïka et la libéralisation commencent dès 1986, mais dans le reste de l’URSS, la liberté et les
débats publics doivent attendre 1989, en particulier en lien avec les premières élections libres dans le Soviet
suprême de l’URSS (Минаков 2020, 117).
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Mikhaïl MINAKOV — Un siècle de système politique ukrainien:
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CONNEXE 8 | 2022 CHAMP LIBRE / OPEN FORA
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