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Canadian Journal of Bioethics
Revue canadienne de bioéthique
Prise de décision, répartition des ressources médicales et
personnes âgées en contexte de COVID-19 : une anthropologie
de et pour la bioéthique
Alizée Lajeunesse
Volume 5, numéro 4, 2022
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1094692ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1094692ar
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Éditeur(s)
Programmes de bioéthique, École de santé publique de l'Université de
Montréal
ISSN
2561-4665 (numérique)
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Citer cet article
Lajeunesse, A. (2022). Prise de décision, répartition des ressources médicales et
personnes âgées en contexte de COVID-19 : une anthropologie de et pour la
bioéthique. Canadian Journal of Bioethics / Revue canadienne de bioéthique, 5(4),
5–19. https://doi.org/10.7202/1094692ar
Résumé de l'article
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les pratiques décisionnelles liées
à la répartition des ressources médicales et au traitement des personnes âgées
nous renseignent sur les éthiques présentes en milieu de soin et au niveau
sociétal. La comparaison entre la prise de décision dans le contexte quotidien
et les particularités d’une éthique de pandémie met en lumière les tenants du
passage entre une éthique hors pandémie et une « pandéthique ». L’approche
éthique de santé publique, notamment utilitariste, a été mise de l’avant d’une
manière prépondérante dans les débats et dilemmes éthiques entourant
l’allocation des ressources et la priorisation. En soulevant les oppositions et
enjeux associés aux discours et aux choix du rationnement en fonction de l’âge
émerge la question du traitement des personnes âgées en contexte de
COVID-19, et de l’âgisme vécu dans ce contexte. En parallèle, les décisions et
choix éthiques difficiles s’entremêlent au duty to care du soignant, et par
conséquent à la possibilité de blessure morale. Un conflit émerge entre les
pratiques éthiques décisionnelles et les valeurs personnelles ou
professionnelles du soignant, alors que l’équilibre entre ses divers devoirs est
bouleversé. Des approches et éthiques alternatives sont ainsi mises de l’avant à
la lumière des situations vécues, notamment en contexte de soin de longue
durée. La thèse développée vise à soutenir la valeur ajoutée de l’anthropologie
aux processus décisionnels et son intégration plus formelle aux approches bien
connues en bioéthique. À partir du regard anthropologique, nous ouvrons en
conclusion sur des pistes de réflexion associées aux éthiques de la discussion,
de la vulnérabilité, féministes, ou encore du care comme d’autres manières
d’aborder la prise de décision en contexte de pandémie, à un moment où la
réflexion éthique et sociale s’impose comme capitale.
A Lajeunesse. Can J Bioeth / Rev Can Bioeth. 2022;5(4):5-19
2022 A Lajeunesse. Creative Commons Attribution 4.0 International License ISSN 2561-
4665
ARTICLE (ÉVALUÉ PAR LES PAIRS / PEER-REVIEWED)
Prise de décision, répartition des ressources médicales et
personnes âgées en contexte de COVID-19 : une anthropologie
de et pour la bioéthique
Alizée Lajeunessea
Résumé
Abstract
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les pratiques
décisionnelles liées à la répartition des ressources médicales et
au traitement des personnes âgées nous renseignent sur les
éthiques présentes en
milieu de soin et au niveau sociétal. La
comparaison entre la prise de décision dans le contexte
quotidien et les particularités d’
une éthique de pandémie met en
lumière les tenants du passage entre une éthique hors
pandémie et une « pandéthique ». L’appro
che éthique de santé
publique, notamment utilitariste, a été mise de l’avant d’
une
manière prépondérante dans les débats et dilemmes éthiques
entourant l’
allocation des ressources et la priorisation. En
soulevant les oppositions et enjeux associés aux discours et aux
choix du rationnement en fonction de l’
âge émerge la question
du traitement des personnes âgées en contexte de COVID-
19,
et de l’âgisme vécu dans ce contexte. En parallèle, les décisions
et choix éthiques difficiles s’entremêlent au duty to care
du
soignant, et par conséquent à la possibilité de blessure morale.
Un conflit émerge entre les pratiques éthiques décisionnelles et
les valeurs personnelles ou professionnelles du soignant, alors
que l’équilibre entre ses divers devoirs est bouleversé.
Des
approches et éthiques alternatives sont ainsi mises de l’
avant à
la lumière des situations vécues, notamment en contexte de
soin de longue durée. La thèse développée vise à soutenir la
valeur ajoutée de l’
anthropologie aux processus décisionnels et
son intégration plus formelle aux approches bien
connues en
bioéthique. À partir du regard anthropologique, nous ouvrons en
conclusion sur des pistes de réflexion associées aux éthiques
de la discussion, de la vulnérabilité, féministes, ou encore du
care comme d’autres manières d’aborder la prise de décision en
contexte de pandémie, à un moment où la réflexion éthique et
sociale s’impose comme capitale.
In the context of the COVID-19 pandemic, decision-making
practices related to the allocation of medical
resources and the
treatment of the elderly inform us about the ethics present in the
health care setting and at the societal level. The comparison
between decision-making in the daily context and the
particularity of a pandemic ethics highlights the transi
tion
between a non-pandemic ethics and a “pandethics”
. The public
health ethics approach, particularly utilitarian, has been brought
forward in a prominent way in the ethical debates and dilemmas
surrounding resource allocation and prioritization. By
raising the
oppositions and issues associated with age rationing discourses
and choices, the question of the treatment of the elderly in the
context of COVID-
19, and the ageism experienced in this
context, emerges. At the same time, difficult ethical decis
ions
and choices are intertwined with the caregiver’
s duty to care,
and therefore the possibility of moral injury. Conflict emerges
between ethical decision-making practices and the caregiver’
s
personal or professional values, as the balance between variou
s
duties is upset. Alternative approaches and ethics are thus put
forward in light of the situations experienced, particularly in the
context of long-term care. The thesis developed here
aims to
support the added value of anthropology to decision-
making
processes and its more formal integration into well-
known
approaches in bioethics. Using an anthropological
perspective,
I conclude by exploring avenues of reflection associated with the
ethics of discussion, vulnerability, feminism, or care as other
ways of approaching decision-
making in the context of a
pandemic, at a time when ethical and social reflection is
essential.
Mots-clés
Keywords
anthropologie de la bioéthique, COVID-19, prise de décision,
allocation des ressources médicales, priorisation, âge,
personnes âgées, blessure morale
anthropology of bioethics, COVID-19, decision making, medical
resource allocation, prioritization, age, elderly, moral injury
Affiliations
a Département d’anthropologie, Faculté des arts et sciences, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada
Correspondance / Correspondence: Alizée Lajeunesse, alizee.lajeunesse@umontreal.ca
INTRODUCTION
Au quotidien, les soignants sont confrontés à des enjeux et à des dilemmes éthiques face à la prise de décision. Le contexte
pandémique, pesant sur les systèmes de santé et leurs ressources, a grandement exacerbé ces dilemmes. Avec la COVID-
19 a émergé à l’horizon la perspective de devoir faire des choix critiques sur le plan éthique, avec de possibles lourdes
conséquences pour les patients. À l’international, les interrogations sur ces dilemmes décisionnels sans précédent ont été le
lieu d’intarissables débats sur les critères à utiliser pour prioriser les patients et répartir les ressources médicales. La présente
étude se penchera sur les tenants de ces débats, examinant les liens entre la prise de décision, la répartition des ressources
médicales et la situation des personnes âgées en contexte de COVID-19. Il s’agira, au final, de réfléchir aux implications de
la pandémie, notamment pour la vieillesse et les aînés au niveau sociétal, ainsi que de réfléchir aux questionnements éthiques
que la pandémie soulève face aux choix et décisions de soin. De ces derniers émergent les questions du traitement des
membres plus âgés de notre société, de l’âgisme vécu, ainsi que des blessures infligées, notamment en milieu de CHSLD.
Ainsi, comment les pratiques décisionnelles liées à la répartition des ressources et au traitement des personnes âgées nous
renseignent-elles sur les moralités et éthiques présentes, en milieu de soin et au niveau sociétal?
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Nous examinerons la manière par laquelle une approche éthique de santé publique, notamment utilitariste, a grandement été
mise de l’avant dans les débats éthiques sur l’allocation des ressources et la priorisation. En se basant sur cette approche, il
sera question d’observer les oppositions et risques soulevés par des auteurs ayant une autre perception des enjeux et des
pratiques éthiques en contexte de COVID-19. Nous aborderons ensuite les implications de ces approches de priorisation,
notamment la manière dont les personnes âgées sont abordées et traitées au travers d’elles, ainsi que les blessures morales
des soignants par rapport aux prises de décision difficiles. Cette réflexion nous mènera à construire une revue de certaines
approches et éthiques alternatives qui ont récemment été mises de l’avant comme d’autres manières d’aborder la prise de
décision en contexte de pandémie.
La nature actuelle du sujet a un impact sur la méthodologie possible dans le cadre de cette recherche documentaire et
conceptuelle. Dans les circonstances, pas ou très peu d’études anthropologiques, ethnographiques ou qualitatives ont pu à
ce jour être menées sur le long terme, afin d’approfondir le sujet. Celles-ci figurent donc très peu dans les sources utilisées.
Par contre, plusieurs enjeux et problèmes émergentes ont été rapportés et soulevés par des auteurs issus pour la plupart de
la pratique clinique ou de la bioéthique. Plusieurs écrits ont donc l’avantage de présenter la perspective même des soignants
de première ligne, ou des bioéthiciens parfois impliqués dans les comités d’éthique ou de préparation des protocoles et
directives. Des philosophes, mais aussi des chercheurs des sciences sociales, notamment spécialisés dans les études du
vieillissement, ont également publié des réflexions dont il sera ici question. La majorité des écrits qui seront visités sont ainsi
très récents (2020-2021), mais ils seront appuyés de textes d’anthropologues médicaux, dont les ethnographies menées avant
la crise portent sur des sujets connexes desquels il sera possible de tracer des parallèles avec la situation présente. En ce qui
a trait aux contextes géopolitiques, quelques sources locales, québécoises et canadiennes, mais aussi européennes feront
l’objet d’analyses. Or, la majorité des écrits sur lesquels ce texte s’appuiera ont été publiés par des auteurs provenant des
États-Unis, du Royaume-Uni et d’Australie, où un grand intérêt a été accordé à ces questions. Au fil du texte, la provenance
des écrits ne sera spécifiée que lorsque jugée nécessaire à la compréhension, par souci de non-encombrement. Par contre,
il convient de mentionner que l’approche grandement occidentale du matériel utilisé pourrait représenter une limite à cette
recherche documentaire, mais aussi un biais potentiellement universalisant. La singularité des contextes et perspectives fera
ainsi l’objet d’un rappel au fil du texte, afin de tenter d’équilibrer cette limite.
L’intention ici n’est pas de remettre en cause les critères médicaux d’admission utilisés au quotidien en soins intensifs, ni de
poser un jugement sur les approches éthiques ou de proposer la solution dite « adéquate ». L’objectif sera plutôt de faire un
premier état des lieux de la diversité des approches et conceptions éthiques mobilisées et mises en scène pour faire face à la
pandémie. Il sera question d’essayer de mieux saisir pourquoi elles s’opposent, mais aussi comment les relier et les comparer,
afin de mieux les interroger. En posant un regard anthropologique sur les enjeux éthiques en jeu, il sera possible de s’interroger
sur ce que ces derniers peuvent révéler au niveau médical, mais aussi culturel, ainsi que sur la manière dont ces approches
et perceptions peuvent commencer à nous informer sur notre société – commencer, car ce regard est situé dans une crise en
plein déroulement et nécessitera de prendre un recul plus éclairé dans le futur. Par contre, une première ébauche et tentative
d’observation anthropologique sur une part des éthiques de la pandémie se montre essentielle. Pensons notamment à l’apport
des travaux de Paul Farmer ou de Sharon Kaufman dans le domaine anthropo-médical. L’analyse de l’incorporation des
relations de pouvoir, des inégalités sociales, des violences structurelles, et des forces socio-politiques sous-jacentes à la santé
offre une compréhension accrue des expériences, croyances, valeurs et normes individuelles et sociétales (1-4).
L’anthropologie des cultures des mondes médicaux et éthiques, de leurs pratiques et des institutions de santé, entre dit et
non-dit, nous informe d’une manière tout aussi importante sur les tenants des choix cliniques et de la prise de décision en
santé (5-7). Ce regard nous permet de constater qu’il existe plusieurs manières de penser les éthiques au pluriel. Comme
rapportée par Marshall et Koenig (8), la définition du « bien » dans les soins de santé est nécessairement locale, plurielle, et
comprend des implications éthiques diverses : « les croyances et les valeurs sont culturellement construites, enracinées dans
des contextes spécifiques, notamment historiques. La signification morale de la maladie, de la santé et des systèmes de soins
étant socioculturellement déterminée, les pratiques bioéthiques (…) génèrent souvent des conflits fondamentaux » (8, p.36).
Dans les cas de conflits, alors, il devient extrêmement difficile de déterminer quelle éthique invoquer (8), d’où la pertinence de
s’y intéresser et de mettre à contribution le regard anthropologique. La visée de soutenir une intégration plus formelle de celle-
ci aux processus décisionnels en temps de crise, et aux approches connues en bioéthique, nous amène à étayer la pertinence
d’une anthropologie de et pour la bioéthique. Les connaissances anthropologiques et les techniques ethnographiques
imprégnant la bioéthique permettent de concilier son ancrage au sein des mondes moraux locaux et des dynamiques sociales
contextuelles desquelles émanent diverses conceptions du « bien », avec l’application de principes universels (8,9).
L’anthropologie peut contribuer à ce que ces derniers prennent en compte la complexité de l’expérience vécue et des dilemmes
de la réalité des pratiques de soin.
PRISE DE DÉCISION : CONTEXTE QUOTIDIEN DE « L’AVANT » PANDÉMIE
À la prise de décision en contexte pandémique sous-tend un processus décisionnel quotidien prépandémique. En temps
normal hors crise sanitaire, un triage a déjà lieu à la base des soins intensifs. Des décisions sont prises quant aux candidats
qui peuvent y être admis, dans le but de ne pas infliger de souffrance inutile au patient très fragilisé, présentant plusieurs
comorbidités et facteurs de risque à une intubation et assistance respiratoire prolongée. Les patients qui ne seraient
probablement pas en mesure d’endurer physiquement la brutalité des soins intensifs et d’y survivre font donc l’objet d’un triage
en temps normal. L’instigation, la continuation et l’arrêt du maintien en vie font partie des décisions que les médecins doivent
prendre, tout en naviguant les complexes dynamiques relationnelles patients-familles-soignants (10). Il est attendu que le
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clinicien respecte les souhaits et l’autonomie du patient et de sa famille, mais considère également les bénéfices envisagés
des traitements. Dans la relation thérapeutique de l’ère néo-libérale et post-paternaliste s’insère une éthique de l’autonomie
et de la prise de décision individuelle (7), tout de même marquée de pressions et exigences plurielles. Cette prise de décision
met en scène des acteurs aux normes, valeurs et perspectives multiples, sous-tendues par les rapports de pouvoir impliqués
dans la négociation (11). Au quotidien, des incertitudes morales et cliniques sous-tendent la prise de décision de prolonger la
vie ou d’envisager la mort dans le cas de maladies graves en milieu hospitalier (11). L’incertitude de l’interprétation s’entremêle
à celle du niveau de soin à choisir pour le patient, et ce, sur fond du débat de l’acharnement médical, des soins aigus et
agressifs dont la pertinence pour le patient est parfois contestée (12). Au cœur de ce débat, Callahan écrivait en 1987 que la
société et l’institution médicale américaines avaient perdu le sens de la durée de vie normale ou naturelle, et surtout
significative (13). Dans la lutte pour définir les pratiques responsables et éthiques se révèlent des tensions entre ce que
Kaufman qualifie de soins « héroïques » ou « humanistes », surtout dans le cas de patients très âgés et fragilisés en unité de
soins intensifs (5). L’ambivalence et l’ambiguïté sont chose commune, alors que la pratique du mourir s’embrouille et se
complexifie de plus en plus. L’unité des soins intensifs se présente comme un lieu où le « problème de la mort » – défiée,
repoussée – s’entremêle au dilemme de déterminer qui doit prendre ces décisions critiques de vie ou de mort (5). Les
impératifs technologique et interventionniste se transforment en un impératif moral, telle une preuve de la qualité du soin, ou
de l’amour donné au patient ou proche malade (6). L’intervention, pour un âge de plus en plus avancé, se routinise, le choix
s’amincit, mais le spectre des possibles s’élargit (6). Face à cette biomédicalisation du vieil âge, les attentes sociétales
grimpent et alimentent une nouvelle éthique de la normalité, de nouveaux standards de soin et de longévité, où dire « non »
devient quasiment impossible (6). En reconstruisant sans cesse ce que signifie la vieillesse « normale », notre compréhension
de celle-ci et de l’heure de la mort en serait transformée, tout comme les pratiques cliniques (7). D’un autre côté, si l’on
considère la vieillesse comme un construit socio-culturel (14) et non un fait naturel et biologique, peut-il réellement exister de
vieillesse normale, naturelle, fixe ou figée? L’adaptation des pratiques au contexte et aux nouvelles réalités sociales peut-elle
être considérée nécessaire? Ces différentes perspectives ont été documentées dans la pratique quotidienne, et bien que ce
débat constitue un sujet d’étude inépuisable en lui-même, il nous informe sur le contexte décisionnel sur lequel se fondent les
éthiques en temps de pandémie, notamment aux soins intensifs et pour les patients âgés.
PANDÉTHIQUES : PANDÉMIES ET ÉTHIQUES
La pandémie de COVID-19 s’est développée dans le contexte où la bioéthique est aujourd’hui considérée comme « la voix
morale de la biomédecine » pour la protection des droits des patients envers l’autorité médicale (8). Elle a donné lieu à la
branche de l’éthique de la santé publique, en réponse aux bouleversements sociaux induits par les épidémies de maladies
infectieuses à évolution rapide (15). Durant les dernières décennies, l’importance éthique des pandémies avait surtout été
abordée dans le cadre du VIH/SIDA, du SRAS, le l’influenza pandémique, de l’Ebola, et du bioterrorisme (15). En 2009,
Selgelid nous prévenait de la portée éthique importante des pandémies en termes de la menace à la sécurité qu’elles
représentent, sources de morbidité et de mortalité inégalées. Il nous mettait en garde du fait qu’historiquement, les pandémies
sont susceptibles d’instaurer la peur et la panique, ainsi que de mener à des prises de décisions, des mesures et politiques
émotionnelles, coercitives et parfois irrationnelles. De ce fait, pour Selgelid, les pandémies pourraient favoriser la
stigmatisation et la discrimination, et soulever des questions éthico-philosophiques et de justice particulièrement difficiles.
L’enjeu éthique reposerait alors sur l’équilibre des mesures de protection et de promotion de la santé publique, avec les droits
et libertés des individus (15). Par contre, comme le soulèvent Bustan et al. (16), l’éthique et la réalité divergent souvent dans
ce contexte où l’impératif premier devient celui de maintenir les personnes en vie. Dans ce contexte, non seulement les
dilemmes et conflits moraux concernent-ils des vies humaines, mais les décisions difficiles à prendre n’arrivent souvent pas à
résoudre l’enjeu d’une manière qui serait considérée « éthiquement acceptable » pour ces auteurs cliniciens, philosophes ou
éthiciens (16).
Certes, il convient de s’interroger si les délibérations et décisions prises en discussion avec les parties prenantes peuvent
permettre de se rapprocher d’un processus décisionnel assurant les valeurs fondamentales de bien et de bon (16). Mais
comme nous le verrons plus loin, il semble que la signification du caractère « moralement bon » d’une décision, ainsi que celle
des principes sur lesquelles elle se base soit particulièrement floue et revête différentes formes au travers de la pandémie.
Ainsi, aux yeux de Bustan et al. (16), les dilemmes éthiques clés en temps de pandémie et de COVID-19 concernent la
transformation ou la redéfinition de certains principes pris pour acquis, mais bouleversés par la pandémie, notamment la
responsabilité, l’équité, la dignité et l’hommage de la mort. Les auteurs soulèvent la potentielle transformation de la
responsabilité médicale au travers de la pandémie, mais aussi le risque d’atteinte aux droits et à la dignité des patients,
notamment au travers du conflit opposant l’intérêt public au droit (ou même devoir) d’honorer le patient mourant (16). À ces
questionnements épineux s’ajoute la manière de prendre des décisions équitables liées à la priorisation et au rationnement
de soins, dans un contexte où l’urgence mais aussi les inégalités sociales sont potentiellement exacerbées (16). À ce sujet,
Selgelid remettait déjà en question les possibles principes qui pourraient être utilisés, dans le cas d’une insuffisance de
ressources médicales, pour déterminer leur allocation et la priorisation des patients (15). C’est sur ces principes guidant la
prise de décision éthique que nous nous pencherons.
Le passage
Mais d’abord, comment expliquer le passage d’une éthique hors pandémie, à une éthique des pandémies que l’on pourrait
nommer, en s’inspirant de Selgelid (15), de « pandéthique »? La pandémie a entraîné une situation d’urgence en rapide
évolution où non seulement l’état du patient mais les savoirs médicaux peuvent changer rapidement et sont emplis
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d’incertitude (15,17). De nombreux états à travers le monde se sont retrouvés dans une situation où le nombre
d’hospitalisations et la demande pour les lits aux soins intensifs ont largement dépassé la capacité et les ressources médicales
disponibles (18). Certains états ont jusqu’ici plus ou moins maîtrisé la menace qui pesait sur eux, alors que nombre d’autres
ressentent encore aujourd’hui les répercussions de cette situation. Au Québec, en janvier 2022, alors que la mise en place du
quatrième palier de délestage basé sur le Plan de contingence provincial en centres hospitaliers permettait de reporter jusqu’à
80 % des chirurgies, rendez-vous et activités cliniques, le gouvernement envisageait de créer un niveau cinq de délestage,
vue la situation de crise causée par l’importante hausse des hospitalisations de patients atteints de la COVID-19 (19,20). Des
patients et professionnels de la santé se sont prononcés dans les médias, faisant état de l’inquiétude et de la détresse toujours
exacerbées par cette situation, près de deux ans après le début de la pandémie : ce sont des conséquences potentielles à
court, moyen et long terme qui sont envisagées sur l’accès aux soins de certains patients, leur état de santé et leur qualité de
vie, augmentant la dette santé populationnelle québécoise (21).
Dans plusieurs pays, des protocoles ont ainsi été envisagés ou mis en place, d’une manière plus ou moins systématique, pour
faire face aux prises de décisions extrêmement difficiles auxquelles les soignants allaient être confrontés. Les protocoles de
priorisation ont été perçus comme des moyens de guider les soignants par le biais d’une standardisation de la prise de décision
qui soit la plus objective possible (22). Ces directives auraient pour buts de diminuer la variabilité, ainsi que de prévenir
l’improvisation et les erreurs de jugement, afin de favoriser une allocation équitable des ressources basée sur des critères
spécifiques, mesurables et fondés (22,23). Or, même si la nécessité du triage est reconnue, les réponses, opinions et pratiques
diffèrent par rapport aux directives et protocoles à utiliser, et à la manière de les mettre en œuvre (24). Par contre, l’impératif
d’efficacité, comme nous le verrons, semble prendre une place centrale dans cette pandéthique en tant que justification
médico-centrée. Plus largement, il semble s’y joindre un autoritarisme de gestion de crise, propre à une logique de guerre
critiquée plus loin d’ailleurs par Branicki (18). Comme le soulignent Bustan et al. (16), il semble que les conditions socio-
sanitaires de pandémie aient précipité le délaissement d’une médecine personnalisée axée sur l’être humain malade, pour
revenir vers une médecine populationnelle orientée vers le collectif. Les protocoles de priorisation des soins intensifs auraient-
ils ainsi marqué le retour vers un paternalisme interindividuel et étatique social, politique et sanitaire) en santé publique qui
avait pourtant laissé place au développement de la prise de décision conjointe et partenariale, et de l’approche centrée sur le
patient? (25)
Orfali (24,26) a effectué une analyse comparative entre les réponses américaines et européennes aux protocoles de triage
durant la COVID-19, et notamment, entre les réponses française et italienne. Elle s’est notamment penchée sur les raisons
qui expliqueraient une si grande différence en termes de présence ou d’absence de débat public dans le passage entre
éthiques. Nous pouvons croire que les questions de triage révèlent jusqu’à un certain point les valeurs, normes morales et
idéaux préconisés par une société (24). Aux États-Unis, le passage d’une éthique « ordinaire » à « pandémique » aurait été
beaucoup moins naturel et socialement accepté. Restreindre ou refuser des soins durant une urgence de santé publique
semblait aller à l’encontre d’une culture médicale axée sur l’individualisme et l’autonomie du patient (26). En addition, un
système de santé non universel présentant d’importantes inégalités structurelles aurait alimenté les préoccupations envers
des protocoles qui pourraient exacerber la discrimination, sacrifier l’équité, ou encore être biaisés de jugements (26). La
question du triage et de la prise de décision y a donc été largement médiatisée, transparente et explicite : elle a davantage
été l’objet d’un débat ouvert, minutieux et multidisciplinaire, et a incité un engagement public (26). Des plans ont été préparés,
puis modifiés selon les préoccupations. Dans ce contexte, le passage éthique aurait été plus remarqué, et ainsi, peut-on croire,
potentiellement moins marqué.
Le modèle de la France et de l’Italie, quant à lui, se serait basé sur un plus grand paternalisme, mais aussi sur des systèmes
de santé à protection sociale universelle reposant sur l’idée d’un accès égal aux ressources de santé (24). D’une part, les
soignants seraient conçus comme les gardiens d’un tel système, les experts exclusifs sur lesquels devrait reposer la définition
de la moralité et de l’acceptabilité des critères de triage, suivis par les autorités (24). De cette conception aurait, entre autres,
découlé un grand manque de transparence, les directives de triage étant demeurées non publiques pour une longue période
dans plusieurs pays européens (26). D’autre part, la majorité des pays européens se seraient fondés sur la conception selon
laquelle une situation d’urgence et de pénurie dans un système de santé publique requière nécessairement de prendre des
décisions de rationnement et de refus des soins vitaux, dans le but de préserver les ressources publiques (26). Il y aurait ainsi
eu une absence générale de discussion et d’examen publics sur les enjeux éthiques soulevés par les protocoles de triage, et
sur les valeurs servant à guider l’allocation des ressources. Le contraste du passage éthique semble y avoir été plus prononcé,
mais le contexte a aussi possiblement influencé la légitimité qu’a pu avoir une telle éthique de la logique de crise. En France
(mais aussi en Espagne et au Royaume-Uni), le système universel et le paternalisme axé sur le savoir expert « objectif »
semblent avoir instigué, au commencement de la pandémie, une plus grande illusion de confiance de la part de la population.
Par contre, ce modèle a aussi mené à un manque d’information du public, puis à une méfiance et à une frustration générale
de sa part après coup (24). En Italie, des soignants qui ont publiquement évoqué les directives de triage variables, non
centralisées et s’écartant des principes déontologiques ont été poursuivis par leur hôpital (24). L’approche paternaliste aurait
dès lors été grandement rejetée par la société : « Les critères purement médicaux sont devenus moralement questionnables
et socialement inacceptables; une quête pour une éthique de santé plus publique a émergé » (24, p.678).
Ainsi, ce qui aurait permis à des pandéthiques de s’implanter d’une manière plus coercitive pourrait potentiellement découler
d’une combinaison des caractéristiques idéologiques et politiques du système de santé et de sa gouvernance, de la culture
médicale prédominante, et plus largement des caractéristiques socio-culturelles situées. Le rapport social à une structure de
soins axée en majeure partie sur le bien commun, et à une culture médicale non-marchande a pu influencer l’éthique
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socialement mobilisée. Bref, cette comparaison souligne l’importance du contexte dans lequel le passage a pu prendre place
d’une manière plus ou moins marquée par rapport aux éthiques hors pandémie.
DÉBATS ET DILEMMES ÉTHIQUES DE L’ALLOCATION DES RESSOURCES ET DE LA
PRIORISATION : LE RATIONNEMENT EN FONCTION DE L’ÂGE
Un grand nombre d’autorités et d’auteurs cliniciens ou éthiciens se sont exprimés sur la question de la priorisation pandémique,
dans le cas où le nombre de patients nécessitant une hospitalisation aux soins intensifs excéderait de manière extrême les
capacités du système de santé. Pour plusieurs d’entre eux, l’approche de triage nécessaire, évidente, ou même la seule
possible devait être une approche bioéthique, plus précisément une éthique de santé publique basée sur une logique
rationnelle et utilitariste (10,16,18). Avant de pouvoir jeter un regard sur les enjeux, conflits et implications sous-tendus par
ces approches, il est nécessaire de faire un état des lieux de ces dernières et des explications éthiques qui ont été mises de
l’avant pour les justifier.
Les objectifs de protocoles établis sur la base des approches pandéthiques utilitaires accordent au premier plan la priorité aux
personnes ayant les plus grandes chances de survie à une hospitalisation aux soins intensifs (22), ou encore le meilleur
avantage estimé du traitement (10). Cette rationalité coût-bénéfice inclut également l’objectif de sauver le plus de vies (ou
d’années de vie) possible, d’allouer les ressources en priorité à ceux qui ont une plus grande durée de vie restante (23), et de
maximiser les bénéfices communs pour le plus grand nombre (10,27). Le principe de maximiser le nombre d’années de vie
restantes permettrait en effet, pour un état, de réduire la charge de morbidité ou le fardeau de la maladie d’après le calcul de
DALYs (disability-adjusted life years). Selon cette méthode, les années de vies perdues au début de celle-ci auraient plus de
poids que les années perdues plus tard dans la vie (15). Ainsi, parmi de telles approches, le critère de l’âge est parfois
envisagé, parfois même explicitement nommé comme facteur permettant de guider la prise de décision du triage. En Italie,
l’un des premiers pays européens à avoir été frappé par le virus, les directives de priorisation indiquaient qu’« il pourrait être
nécessaire, ultimement de fixer un âge limite pour l’admission en soins intensifs » (24, p.677). Au plus fort de l’épidémie, les
patients de 65 ans et plus n’étaient souvent plus considérés pour l’accès à un respirateur, les décisions étant basées sur la
date de naissance du patient (26). Ce facteur temporel s’est imposé comme évident et facilement observable par rapport à
d’autres, dans le cas de décisions critiques et rapides (17). En France, lors du congrès Question(s) d’éthique 2020 – « La
justice entre générations », la pertinence du recours au critère de l’âge pour l’accès aux ressources de santé limitées a été
mise de l’avant, non seulement comme bon prédicteur de l’efficacité thérapeutique, mais également comme bon redistributeur
de longévité, permettant d’égaliser les durées de vie des individus (28). Dans la pratique, des mesures de triage informelles
et non publiques ont été appliquées dans le contexte pandémique français afin d’établir un seuil d’âge pour refuser l’accès
aux soins intensifs (et même parfois l’accès à l’hôpital) aux plus âgés dans les régions les plus touchées (24). Ces pratiques
ont notamment été appliquées pour les résidents d’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées
dépendantes) âgés de plus de 60 ans auprès desquels un système de pointage (L’AGGIR : Autonomie Gérontologique
Groupes Iso-Ressources) était utilisé en amont par le SAMU (Service d’Aide Médicale Urgente) afin de permettre ou refuser
le transfert, en se basant sur une évaluation de l’autonomie et de la dépendance du patient âgé. La pratique de ne pas
transférer en hôpital certains patients atteints de la COVID-19 pour des raisons liées à l’âge ou au handicap, ainsi que
l’absence de protocoles jugés clairs pour assurer l’égalité d’accès aux ressources de santé ont été critiquées et menées en
appel devant le Conseil d’État par plusieurs associations représentantes d’EHPAD et de personnes en situation de
handicap (24).
Au Québec, malgré la stipulation que l’âge ne peut être utilisé comme critère discriminatoire, le protocole en cas d’égalité
clinique se base en premier lieu sur le critère du cycle de vie, une règle de décision qui repose sur l’idée que chaque personne
devrait avoir la possibilité de vivre toutes les étapes de sa vie (22). Ce critère prioriserait ainsi, dans une situation donnée, les
patients présents qui se trouvent à un stade de vie relatif moins avancé, c’est-à-dire les plus jeunes, par rapport aux plus âgés.
Une telle règle de décision permettrait notamment d’éviter une situation du « premier arrivé, premier servi ». Dans un même
ordre d’idées, Haas et al. (10), médecins intensivistes néerlandais, se sont questionnés à savoir s’il faudrait refuser l’admission
aux soins intensifs pour les personnes âgées en temps de COVID-19. Selon eux, l’utilisation du critère de l’âge en situation
de capacité et de ressources limitées serait justifiée par l’argument éthique du « fair innings » qui s’appuie sur l’idée que tous
auraient droit à une durée de vie normale ou raisonnable (10,29). Les plus jeunes auraient donc davantage le droit d’être
priorisés dans la distribution de ressources vitales que les personnes plus âgées, sur la base que les premiers ont eu moins
d’opportunités d’expériences de vie et d’épanouissement que les aînés (29). Selon ce modèle, il s’agirait d’une question
d’égalité des chances, d’équité (10,22,29). Par contre, il convient de s’interroger sur la pertinence et la signification que revêt
le terme « normal », utilisé ici pour caractériser la durée de vie. Une telle normalité peut être considérée universelle ou relative,
fixe ou figée à travers le temps ou l’espace. Mais elle comporte aussi plusieurs facettes telle la qualité de cette durée de vie
normale ou raisonnable, ajoutant à l’ambiguïté de sa définition et de son applicabilité. De plus, cette égalité d’opportunités
d’expériences de vie et d’épanouissement peut-elle réellement être équitable si elle ne prend pas en compte l’impact des
inégalités incorporées et des déterminants sociaux de la santé sur le cycle de vie (30,31)? Le statut, les facteurs socio-
économiques, ethniques, éducationnels, ou familiaux, ont également des effets sur l’égalité des chances discutée, ainsi que
sur l’épanouissement, la santé, et les conditions de vie des individus jeunes ou moins jeunes. La solution jugée la plus
équitable pour et par le groupe dominant, selon ses normes, valeurs, objectifs et conceptions, peut être inéquitable pour les
groupes non dominants. Il convient de s’interroger si la poursuite du plus grand bénéfice commun dans un contexte de crise
sanitaire puisse donc inévitablement exacerber les inégalités, et, comme nous le verrons plus loin, accorder une valeur
différentielle aux individus selon leur utilité perçue, leur marginalisation sociale, et leur vulnérabilisation.
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D’une manière complémentaire, la pandémie met en lumière le dilemme de la distribution des ressources en santé, en lien
avec la gestion des coûts, mais aussi le vieillissement de la population. Ce débat date de bien avant la pandémie et a continué
d’être un sujet préoccupant face à la forte consommation des ressources médicales pendant la crise, et à la médiatisation de
la peur envers l’atteinte du point de rupture du système de santé (12). Dans les médias québécois, il a été question de
s’interroger s’il fallait encore tenter de traiter des patients de 80 ans et plus atteints de la COVID-19, si cela signifiait que le
traitement des plus jeunes en serait affecté (12). Des médecins ont demandé « s’il était opportun de déployer autant de
ressources hospitalières pour sauver des gens qui étaient susceptibles de mourir dans un avenir rapproché, COVID-19 ou
pas » (12). Or, il semble se présenter une différence éthique fondamentale entre l’argument de la normalisation du triage, déjà
effectué au quotidien selon les capacités physiques des patients leur permettant ou non de soutenir des soins intensifs ; et le
critère du cycle de vie, justifiant la discrimination non médicale de la personne selon son âge plus avancé. Ne pas prolonger
la vie pour éviter l’acharnement médical et des soins jugés non pertinents au bien-être de la personne très âgée et malade ne
s’appuie pas sur les mêmes principes et valeurs que la justification de ne pas prolonger la vie sur fond de répartition des
ressources médicales selon l’âge, et de droits différentiels au soin.
Nous pouvons tracer un parallèle entre cette perspective et l’approche basée sur les capacités décrite par la bioéthicienne
américaine Nancy Jecker (32), inspirée des travaux de Nussbaum. Jecker positionne cette approche comme une manière de
pallier le problème de l’allocation des ressources de santé entre les groupes d’âge, alors que le vieillissement de la population
poserait des enjeux éthiques (mais aussi économiques) à une juste distribution des soins entre les jeunes et les aînés. Jecker
s’appuie sur Callahan (33) pour soutenir qu’« une bonne société aurait l’obligation d’aider les plus jeunes à devenir vieux, et
non d’aider les plus vieux à vieillir indéfiniment » (33, p.12). La société aurait donc le devoir de maintenir les capacités
fondamentales des individus au seuil requis pour la dignité humaine. Dans ce cas, selon Jecker, il serait alors justifié de refuser
de prodiguer des soins prolongeant la vie à ceux qui ont atteint la durée de vie ou l’espérance de vie « normale »,
correspondant au seuil considéré suffisant pour la « capacité de la vie », et donc la dignité humaine. Cette idée de durée de
vie dite normale ou naturelle nous rappelle d’ailleurs l’idée de Callahan des années 1980 énoncée plus tôt, en lien avec la
perte du sens sociétal d’une durée de vie normale et significative (13). Capitaine et al. ont, par contre, soulevé un conflit quant
à la justification économique de cette approche : « une politique excluant les personnes âgées des soins de prolongation de
la vie n’aurait qu’un potentiel limité de réduction des coûts des soins de santé » (34, p.22). Mais qu’est-ce que cela semble
dire sur le traitement des personnes âgées ou plus vulnérables? Il convient de se questionner si une telle éthique avait le
potentiel non seulement d’attacher une valeur économique, mais aussi une temporalité à la dignité, accordant ainsi une valeur
différentielle aux vies et aux temps de la vie selon l’âge. Il semble dangereux d’insinuer qu’il n’y aurait plus de seuil de dignité
à assurer pour les patients de 80 ans et plus, résidant en CHSLD par exemple. Qui plus est, des justifications politico-
économiques de réduction des coûts peuvent-elles se cacher derrière les justifications médicales invoquées afin de ne pas
prodiguer de soins prolongeant la vie? Les questions du cycle de vie, de la futilité des traitements pour une personne en fin
de vie, du non-acharnement peuvent-elles être instrumentalisées à ces fins?
Dans ces contextes, d’autres voix se sont élevées pour montrer la discrimination et l’exclusion que de telles justifications
éthiques pourraient engendrer. Un des enjeux principaux du triage réside ainsi dans la discrimination sur la base de l’âge (16),
sous des formes, justifications, ou dénominations variées. La création de tels protocoles, mettant l’accent sur l’utilité et
l’efficacité, risquent d’aborder la prise de décision en temps de pandémie d’une manière extrêmement théorique, mécaniste,
et désengagée de la réalité singulière, du sens et de la valeur de la vie humaine (17). Qu’est-ce que l’acceptation de la
priorisation et du rationnement selon l’âge et selon les principes d’efficacité et de durée de vie raisonnable indique de nos
éthiques et moralités sociétales, en contexte de rareté? Sommes-nous en train de nous rapprocher, soignants et société,
d’une politique prônant un idéal collectif utilitariste plutôt que d’une éthique de la préservation de la vie et du bien-être de
l’individu sans discrimination? La pandémie semble justement avoir révélé que préservation de la vie et du bien-être ne
pouvaient être compatibles – mais est-ce réellement ce que nous désirons pour notre société? Indépendamment de la situation
de crise sanitaire, nous devons aujourd’hui faire face à l’augmentation des technologies, des procédures coûteuses pour
repousser la vie, mais aussi à l’augmentation de l’espérance de vie et de la population vieillissante. Serons-nous prêts à utiliser
ces raisonnements et éthiques pandémiques pour gérer les coûts de santé, pour répartir et rationner les soins hors pandémie?
L’approche utilitariste est souvent utilisée sur la base que la pandémie est une situation exceptionnelle, urgente. Or, pour les
bioéthiciens britanniques Parsons et Johal (27), si dans une telle situation la maximisation des biens pour le plus grand nombre
de personnes permet de justifier le fait de ne pas nécessairement prendre en compte le meilleur intérêt du patient individuel,
il peut risquer de dévaloriser la vie des patients, notamment ceux qui ne sont pas en mesure de prendre leurs propres décisions
de soin, et d’éroder leurs droits sur le long terme. Cet enjeu met en lumière la tension que pose l’équilibre entre
l’efficacité/l’équité, et les droits individuels au travers d’une éthique de pandémie.
Brabant, spécialiste en éthique et en droit de la santé, et Johnson, avocate, dénoncent d’ailleurs le risque que les critères de
protocoles de triage excluent les plus fragilisés, leur associent une valeur moindre, et exacerbent les préjugés sociaux et la
discrimination structurelle à leur égard (35). Elles soulèvent le paradoxe de ce que l’approche éthique dominante et choisie
par notre société révèle, vu la nature des soins intensifs en milieu hospitalier, où se sont concentrés les efforts pandémiques :
nous avons pris la décision, non pas d’accorder la priorité au plus malade, mais bien à celui en meilleure santé (35).
Selon les bioéthiciens australien et canadien Silva et Smith (36), il semble donc que la conception de l’impératif de sauver le
plus de vies possibles l’ait emporté en pandémie sur d’autres considérations éthiques comme les préoccupations de justice
sociale pour les plus marginalisés, vulnérabilisés, malades ou dans le besoin. Silva et Smith relèvent le risque de la
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surutilisation du principe d’utilité et de la maximisation des bénéfices des ressources, particulièrement pour ces groupes
d’individus et notamment pour les aînés. À l’opposé, le bioéthicien australien Kirchhoffer explique pourquoi, dans le contexte
de la COVID-19, refuser de donner un traitement souhaité par le patient et pouvant lui bénéficier serait « moralement
bien » (37). Il se base sur le principe selon lequel la justice peut, dans ce cas, prendre le dessus sur l’autonomie. Ainsi, selon
sa conception, dans un temps de rareté de ressources, il serait justifié de considérer que la dignité d’autres personnes
concrètes (non hypothétiques) prenne le dessus sur la dignité de l’individu. Le principe de justice pourrait donc être évoqué
pour justifier le rationnement, ce qui peut inclure de refuser ou de retirer un traitement potentiellement bénéfique à un patient,
pour le bien des autres (37). En comparant ces deux positions, il semble clair que le principe de justice même, et de ce qui
constitue une décision moralement « bonne » ne présentent pas la même signification au travers de la pandémie. Pour Brabant
et Johnson, la maximisation de l’utilisation des ressources dans la crise sanitaire représente non seulement un préjudice pour
les droits individuels et la justice à ce niveau, mais elle représente également un risque d’érosion des principes sur lesquels
repose notre culture médicale : « il s’agit ici d’un renversement majeur de l’approche universelle et égalitariste prévalant dans
notre système de santé (…). Le droit individuel de recevoir des soins médicalement requis s’amenuise au profit du “bien
commun” » (35).
Dans le cadre d’un modèle utilitariste, les ressources limitées vont d’abord aux patients dits efficaces. À l’instar de Bustan et
al. (16), cela signifie-t-il que le soin devrait seulement être donné à ceux qui ont une valeur instrumentale, à ceux dont la vie
est la plus « efficace », voire « utile » pour la société d’un point de vue strictement politico-économique? Brabant et Johnson
soulignent le paradoxe entre les mesures de confinement, orientées vers la protection des plus vulnérables, et les protocoles
conduisant à l’exclusion, en raison de cette même vulnérabilité, de ceux qui auraient moins de chance de se rétablir
rapidement (35). Par contre, nuançons que ces mesures de confinement ont également représenté une tentative d’éviter la
confrontation à une situation de triage où ces mêmes personnes risqueraient de ne pas être priorisées. Or, à ce sujet, il est
révélateur de se pencher sur la valeur différentielle associée aux différents types de vulnérabilité selon l’âge. Le protocole de
priorisation du gouvernement du Québec pour l’accès aux soins intensifs des adultes en contexte extrême de pandémie (22)
se base entre autres sur une attribution des ressources aux patients adultes présentant les meilleures chances de survie, les
meilleurs pronostics vitaux et paramètres cliniques : autrement dit, les patients les moins vulnérables. Le protocole spécifique
aux enfants, quant à lui, indique que puisque la population pédiatrique est l’une de nos populations les plus vulnérables, nous
avons la responsabilité morale et légale en tant que société de défendre leurs intérêts (38). Paradoxalement, le protocole
choisi afin de guider la prise de décision indique la nécessité de protéger et de prioriser une population pédiatrique
spécifiquement, car elle est vulnérable ; alors que le protocole général aux adultes ne prévoit pas protéger en priorité une
population gériatrique, parce qu’elle est aussi vulnérable. Ainsi, la vulnérabilité peut être mobilisée pour différents arguments,
mais les différents types de vulnérabilités ne revêtissent pas la même signification, la même valeur, et ne provoquent pas la
même protection selon le type de citoyen auquel il renvoie, et la valeur socioculturelle associée à son groupe.
L’utilisation du terme « vulnérabilité » mérite d’être précisée afin de limiter la reproduction d’une catégorisation essentialisante
et homogénéisante des personnes âgées, ou une association automatique de la vulnérabilité comme caractéristique inhérente
à la vieillesse. Ici, la vulnérabilité est traitée dans le contexte épidémiologique, physique et sanitaire de la COVID-19, et est
donc associée au potentiel plus élevé de développer des complications graves de la maladie chez les personnes plus âgées,
entre autres en CHSLD. Elle est également considérée dans le contexte organisationnel, structurel et politique des CHSLD,
notamment en termes d’accès aux soins ou d’isolement social pour leurs occupants. Finalement, la vulnérabilité est comprise
dans ses dimensions socio-culturelles potentiellement dévalorisantes, invisibilisantes, marginalisantes ou stigmatisantes
associées à l’âge, au regard, entre autres, des conditions de vie des individus et groupes sociaux. On parle donc d’un
processus de vulnérabilisation, de construction de formes de vulnérabilités au sein de notre société, d’où la pertinence de
l’exercice de « penser la vulnérabilité » (39-43). Dans ce contexte pandémique, la santé, l’autonomie, la dignité et l’intégrité
des personnes plus âgées ont alors le potentiel d’être menacées, notamment en milieu de CHSLD (44).
LA SITUATION DES PERSONNES ÂGÉES : ÂGISME ET COVID-19
Au travers de la pandémie, des discours, des choix, et de leurs conséquences émerge donc la question de la manière dont
les membres les plus âgés de notre société sont traités. Glaser et Strauss (45) relevaient déjà, dans les États-Unis des années
1960, que la perte sociale du patient mourant était grandement influencée par son âge, jauge de sa valeur et de sa contribution
sociale. L’âge est une caractéristique apparente qui avait tendance à affecter le niveau de soin reçu en retour, ainsi que les
discours et logiques utilisés pour justifier la mort du patient (45). La perte de patients âgés était alors considérée plus faible
que celle de jeunes patients, illustrant la valeur différentielle associée aux individus et à leur mort. Force est de constater qu’au
travers de la pandémie, nous sommes également amenés à nous questionner sur l’âgisme qui semble continuer, encore
aujourd’hui, d’être « un préjudice socialement acceptable, au point d’être meurtrier », dans les mots de Margaret Morganroth
Gullette, spécialiste américaine des études sur l’âge (46). Cet âgisme semble teinter la négligence profonde et durable de nos
autorités et institutions, mais également le désengagement de la société envers les aînés,que ce soit dans la prise de décision
des pouvoirs publics ou dans la manière de traiter et d’aborder l’atteinte des personnes âgées et de leurs milieux en soin de
longue durée (47,48). En effet, malgré la publication d’articles médiatiques sur la situation des personnes âgées, non
seulement la documentation et la médiatisation des morts n’ont-elles pas reçu le même traitement selon l’âge, mais la
pandémie, et son discours public inquiétant sur le vieillissement, a rendu flagrante et a propulsé au premier plan l’altérisation
des personnes âgées et des personnes les plus vulnérables de notre société (47). En regard à ces pratiques, il semble que
les aînés n’aient pu être considérés comme des membres à part entière de la société (46).
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Cet âgisme est également perceptible dans la voix rarement écoutée et considérée des personnes âgées dans la prise de
décision, ou encore dans l’attitude sociale nihiliste qui se traduit par la conception que leur mort serait de toute manière
imminente (49). Les personnes âgées atteintes de maladies chroniques ou de conditions de santé susceptibles d’augmenter
le risque de développer des complications graves à la suite d’une infection ont été, certes, les premières victimes de la COVID-
19 (49). Mais ces morts, dont 81 % ont eu lieu en soin de longue durée au Canada comparé à une moyenne de 38 % au sein
des pays de l’OCDE, étaient prématurées, non naturelles, et auraient en grande partie pu être prévenues (46). Au travers
d’elles, ce sont les façons de mourir qui sont fortement mises en cause : comment la mort s’est-elle déroulée, dans quelles
conditions, sur la base de quelles justifications, et en mobilisant quelles valeurs ou moralités? En établissement de soin de
longue durée, nombre de résidents ont été laissés à eux-mêmes, affamés, déshydratés, désorientés, avec une protection
d’incontinence souillée depuis des jours, et côtoyant à la fois des patients positifs et négatifs à la COVID-19 au sein des
mêmes espaces (49). Des personnes âgées sont décédées presque toujours seules, sans voir leur famille, sans médication,
souvent sans pouvoir obtenir de soins médicaux, ni de soins palliatifs et de confort (16,49). Le rapport du Protecteur du citoyen,
rendu public le 23 novembre 2021, a notamment permis d’émettre des constats et recommandations sur la gestion de la crise
due à la COVID-19 dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie (51). Ainsi, au même moment que temps et
énergie ont été investis dans l’établissement de protocoles de « médecine de guerre », que l’hôpital et le ministère de la Santé
se sont préparés à faire face à la pandémie, des personnes ont été laissées à mourir dans des conditions inhumaines, dans
des établissements non préparés, désorganisés et en pénurie de personnel. « Comment est-il possible qu’aujourd’hui, au
Canada, des patients soient traités de façon aussi inacceptable? Est-il concevable que des personnes âgées vulnérables,
souffrant parfois de démence ou de mobilité réduite, se trouvent ainsi livrées à elles-mêmes? », s’indigne Picard (49). Se
révèle en parallèle un autre type de prise de décision en situation de crise : en choisissant d’exclure et d’isoler les plus à risque
pour leur « sauver la vie, on a coupé le lien de vie », les privant d’une partie de leur identité, donnant un « coup mortel à [leur]
humanité » (52, p.145).
Une éthique de la santé publique n’aurait-elle pas, ainsi, échappé ces catégories de citoyens, mais plus encore, ne leur aurait-
elle pas manqué, par une insouciance collective que plusieurs traduisent en un échec éthique, voire même de
géronticide (46,52)? L’impact de la pandémie et des vulnérabilités systémiques semble avoir été sous-estimé en CHSLD,
reconnu pourtant comme maillon faible du système. Ces conditions structurelles en CHSLD et les défaillances du système de
la santé se sont développées à partir de décisions d’ordre politico-économiques, du bouleversement et des réformes de la
gouvernance, des coupes budgétaires, de la centralisation et de la privatisation croissance des services pour personnes âgées
en perte d’autonomie (52). Mais elles sont également révélatrices des valeurs sociales et culturelles, du consentement, ou
peut-être même de l’indifférence qui aurait permis à ces choix de s’enraciner au niveau sociétal. Pour Picard, un changement
d’ordre philosophique s’impose. Car si le rationnement semble être une approche habituellement culturellement acceptée pour
des sociétés basées sur la compétitivité et la méritocratie (16), les soins de longue durée et à domicile, eux, nécessitent de
se déplacer vers une approche fondée sur les droits des individus (53). Dans la pandémie, nombre de patients et de familles
n’ont pu obtenir leurs justes droits, notamment le droit d’honorer le patient mourant et sa mort, le droit à la dignité et le droit
de ne pas être abandonné au moment du décès (16). Qui plus est, Fraser et al. craignent que dans le contexte de la COVID-
19, l’âge soit de plus en plus confondu avec la fragilité et les comorbidités, risquant de devenir un facteur décisionnel dans la
priorisation des vies (47). En amenant à penser que la vie d’une personne âgée ait moins de valeur que celle d’une personne
plus jeune, et puisse être sacrifiée, cette conception aurait le potentiel d’affecter le système de santé sur le long terme (47).
La pandémie met en lumière la manière par laquelle les personnes âgées demeurent trop souvent invisibilisées, alors que des
décisions sont prises pour elles, en faisant fi de leur agentivité, de leurs perspectives et points de vue, et sans leur demander
ni écouter leur avis. Elle montre par ailleurs que la place de la délibération éthique semble intimement liée à la valorisation
socio-culturelle du sujet qui est jugé méritant ou non d’une réflexion éthique collective sur son sort, sur ses vies.
DÉCISIONS ET CHOIX ÉTHIQUES MORALEMENT DIFFICILES : DUTY TO CARE ET BLESSURE
MORALE DES SOIGNANTS
Ainsi pouvons-nous concevoir les blessures infligées aux personnes âgées dans le processus décisionnel de pandémie. D’une
manière additionnelle, les éthiques multiples et parfois conflictuelles présentent des implications importantes auprès des
soignants. Ces implications nous informent à leur tour sur les dilemmes incorporés dans la prise de décision, ainsi que sur la
manière dont la pandémie et ses choix éthiques difficiles s’entremêlent au duty to care (devoir de prendre soin) du soignant,
et par conséquent, à la possibilité de blessure morale professionnelle (occupational moral injury), aussi appelée préjudice
moral.
Pour Sheahan et Lamont (54), la pratique dite éthique en pandémie requerrait du soignant de comprendre et de trouver
l’équilibre entre trois niveaux de son devoir de prendre soin : le « duty of care » légal de donner un standard de soin raisonnable
prévenant les dommages dits raisonnablement prévisibles au patient ; le « duty to care » professionnel d’agir dans le meilleur
intérêt du patient (un concept complexe et parfois contesté) et ce, même lorsque le risque personnel et les pratiques
professionnelles sont transformés ; et finalement, le « duty to self » personnel, prenant en compte le soignant comme agent
moral individuel ayant des obligations et devoirs personnels et familiaux (54). Mais cette proposition de taxonomie cache un
processus complexe, singulier, en mouvance, qui n’est pas sans exercer une pression considérable sur les soignants, sur
lesquels reviendrait la responsabilité d’équilibrer éthiquement leurs devoirs en concordance avec les directives et protocoles
éthiques établis par les autorités et institutions. Dans le contexte de pandémie nait donc une incertitude par rapport à la
manière pour le soignant de positionner, d’adapter et de comprendre le concept de duty to care, au cœur de la pratique
clinique, de la compréhension de soi et de ses obligations (54). Alors que l’accent sur le patient individuel malade se déplace
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vers un accent sur l’efficacité collective d’urgence et le bien commun de santé publique, le soignant doit arriver à naviguer au
travers de la hiérarchisation de son duty to care, et du changement de sa propre perception de son devoir (54). Il doit également
naviguer au travers du bouleversement de l’équilibre habituel entre ses devoirs légaux, professionnels, mais aussi ses
obligations et responsabilités personnelles, dans une situation où il se met plus à risque.
Ces risques moraux, infectieux ou même mortels encourus par les soignants dans ce contexte posent le défi supplémentaire
de déterminer quelle est la limite du duty to care. Alors que certains soutiennent qu’un tel devoir représente un engagement
professionnel dit « illimité » (55) d’autres soulèvent les dangers d’une telle approche d’héroïsation des soignants. Bien que les
frontières concrètes du devoir soient en elles-mêmes logistiquement et philosophiquement difficiles à tracer, le fait de ne pas
reconnaître la limite personnelle du duty to care, et ce, même en situation de pandémie, mettrait l’accent principal sur l’idée
du sacrifice altruiste réalisé par le soignant, une conception exerçant sur eux une pression colossale (56). Cette conception
écarterait aussi les obligations et devoirs sociétaux nécessaires afin de fournir le soutien, les conditions et les ressources
nécessaires à l’exercice du soin et à la réalisation de ce devoir (56). Pour Selgelid (15), ce duty to treat en pandémie ne devrait
pas être absolu et devrait dépendre de l’efficacité de l’intervention ou du traitement. En contrepartie, une telle explication
basée sur la condition d’efficacité pourrait-elle se révéler problématique en milieu de CHSLD? Pourrait-elle être utilisée pour
justifier l’absence de traitement ou de care, sur la base que les résidents « allaient mourir de manière imminente, peu
importe »? Ainsi, choisir devient le premier devoir dans une situation où l’équité semble être difficile à appliquer, les valeurs
socialement acceptées semblent pouvoir être renversées, et une hiérarchie, ou du moins une tension, semble s’imposer entre
le duty to care et la logique d’efficacité d’une éthique de santé publique. Car, dans ce cas, la collectivité est conçue comme
primant sur les intérêts individuels du patient singulier (57,58), comme si, nous le rappellent paradoxalement Bustan et al., la
collectivité n’était pas en réalité constituée de ces mêmes individus (16).
Les diverses propositions et approches éthiques, directives et protocoles d’allocation de ressources et de prises de décision
semblent donc pouvoir induire un conflit potentiel au niveau du duty to care des soignants, duquel des blessures morales
professionnelles peuvent découler. Peu de recherches ont été conduites jusqu’à présent sur la blessure morale hors du champ
militaire, mais la COVID-19 a mis en lumière la pertinence du concept, spécifiquement pour les professionnels de la santé.
C’est surtout l’angle de la détresse morale qui, jusqu’ici, a fait l’objet d’un corpus important de recherche en soins infirmiers et
chez les soignants (59-62). Développé par l’éthicien américain Andrew Jameton dans les années 1980, puis repris par
l’infirmière clinicienne Judith M. Wilkinson, le concept de détresse morale renvoie aux effets psychologiques négatifs vécus
par le soignant lorsque des obstacles ou contraintes organisationnelles l’empêchent de poser ce qu’il considère comme la
bonne action ou de prendre la bonne décision morale dans une situation donnée (63-65). Si elle n’est pas surmontée, la
détresse peut causer des blessures morales durables, notamment lorsque le soignant est confronté à d’importants stresseurs
moraux ou évènements préjudiciables sur le plan moral (PMIE). En effet, l’incapacité à accomplir son duty to care, ainsi qu’à
prévenir la mort ou la souffrance par manque de ressources, additionnées des conflits moraux entre des valeurs tenues comme
sacrées, personnellement ou professionnellement, peut mener le soignant à ressentir des niveaux exceptionnels de culpabilité,
de honte, d’impuissance, de démoralisation ou d’incertitude après coup (62,66). Cette blessure morale peut survenir même si
le soignant comprend ce que la situation requière en contexte de ressources limitées, et même s’il respecte le protocole et les
directives désignés par les institutions. En effet, ses actions, son inaction et les actions des autres peuvent transgresser et
violer ses propres valeurs morales profondément ancrées, les normes éthiques médicales partagées (telles que de ne pas
causer de tort) ou encore les normes éthiques sociales face aux comportements qui sont attendus de lui-même ou des
autres (67). La collaboration habituelle avec les patients ou leur famille dans la prise de décision médicale présente également
d’énormes difficultés dans le contexte de la COVID-19. Plusieurs soignants en contexte américain, telle que Dre Krishna
Chokshi du Mt. Sinaï Hospital de New York, témoignent du lourd fardeau moral de devoir prendre des décisions difficiles et
rapides pour les autres, notamment pour des patients non représentés, marginalisés et dans l’incapacité d’exprimer leurs
souhaits : des moments d’incertitude clinique et morale qui, selon eux, leur laisseront des marques indélébiles (68). Sur le
long terme, ces blessures morales découlant de la confrontation à des décisions et pressions semblant impossibles à
surmonter, ainsi qu’à des évènements potentiellement préjudiciables sur le plan moral peuvent en effet laisser le soignant
avec des souffrances émotionnelles, sociales, psychologiques ou spirituelles, ainsi que des impacts comportementaux
durables (66,67). Ces évènements peuvent affecter les relations interpersonnelles du soignant, sa qualité de vie, ainsi que sa
santé mentale, notamment en augmentant le risque de stress post-traumatique et d’épuisement professionnel (62,67). Selon
certains, le système de santé pourrait être affecté par une potentielle transformation des intuitions morales quotidiennes des
soignants (67). Le soignant peut ainsi voir sa pratique, ses présupposés habituels et son identité ébranlés et remis en question
par les contradictions entre croyances personnelles, devoirs moraux, éthiques prescriptives, et réalités de la pandémie.
APPROCHES ET ÉTHIQUES ALTERNATIVES EN CONTEXTE PANDÉMIQUE ET AU-DELÀ
Face aux dilemmes et limites dont il a été question dans la gestion rationnelle de la crise sanitaire, des approches et éthiques
alternatives ont été proposées par différents auteurs. Elles font figure de manières distinctes de complémenter, critiquer ou
même repenser les éthiques médicales utilisées (mais aussi leurs présupposés et visées) à l’occasion de la pandémie, et à
l’avenir. Pour Marshall et Koenig (8), ces nouveaux paradigmes conceptuels ont l’avantage de privilégier l’importance des
relations sociales et du contexte afin de mieux saisir les dilemmes éthiques, et de réunir les approches anthropologiques et
bioéthiques dans l’analyse des situations complexes.
Dans un premier temps, Doucet écarte les modèles de santé publique principistes qui lui paraissent obsolètes à la lumière de
la pandémie, et surtout face à la réalité des soins de longue durée (52). Ces modèles s’appuient sur des principes
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fondamentaux développés par Childress et Beauchamp (69), devenus dominants en éthique médicale afin de guider l’action
et la prise de décision : le respect de l’autonomie de la personne, la bienfaisance, la non-malfaisance, et la justice (25,70,71).
Or, ces principes dits trop généraux ou universalistes ont été critiqués, notamment puisqu’ils auraient le potentiel de conduire
à une application mécaniste des règles éthiques qui en découlent (25,70,71). L’anthropologue Raymond Massé (71) a proposé
de bonifier ces principes de valeurs phares, dans le but d’en faire un cadre de référence adapté aux enjeux éthiques de santé
publique (25). Qui plus est, Massé s’appuie sur une conception habermassienne de l’éthique de la discussion pour nuancer
la validité morale de ces principes et valeurs phares, qui ne serait pas donnée, mais nécessiterait plutôt une construction dans
la praxis entre les acteurs concernés, dans un espace de discussion ouvert (71). Ainsi, Massé rappelle que « l’éthicien, pas
plus que les autres acteurs, n’a un accès privilégié au juste : seule la discussion peut fonder l’acceptabilité rationnelle des
normes éthiques » (71, p.32). Doucet fait suite à cette proposition discursive, en réfléchissant au modèle éthique à choisir face
au principisme ayant guidé les responsables en santé publique dans leurs décisions, et en réponse aux enjeux éthiques mis
en lumière par la pandémie en CHSLD. Un tel modèle devrait non seulement être orienté vers une reconnaissance de la
vulnérabilité de ces centres, mais aussi vers une réponse à celle-ci, fondamentale à l’accompagnement des personnes âgées
en perte d’autonomie (52). Doucet met donc de l’avant le modèle d’une éthique de la vulnérabilité, prônant l’engagement
collectif, ainsi qu’une augmentation du sens de responsabilité collective envers les personnes les plus vulnérables. Elle viserait
à apporter l’aide et la solidarité communautaire nécessaires à la création d’une réponse éthique plus adaptée à la réalité
actuelle des soins de longue durée. Celle-ci permettrait de pallier la réponse éthique mobilisée par les autorités et institutions
dans leurs décisions, qui n’aurait su satisfaire les exigences éthiques de la réponse à la vulnérabilité et du respect de la
dignité (52).
D’une manière concordante, dans le contexte australien, Branicki (18) s’accorde pour dire que la gestion sociétale de crise
est essentielle pour protéger la vie des personnes les plus vulnérables. Par contre, les décisions prises et leur approche
éthique décisionnelle exacerberaient trop souvent les marginalisations déjà en place, en plus d’en créer de nouvelles.
S’inspirant des travaux de Gilligan (72,73), Branicki s’appuie sur les éthiques du care féministes pour critiquer les techniques
dominantes de gouvernance sociétale de gestion de crise rationaliste et néolibérale. Celles-ci sont axées sur la norme de la
citoyenneté indépendante, ainsi que sur la notion d’individu libéral, écartant l’attention aux connexions interdépendantes et
aux relations humaines socialement et politiquement situées, des sites de care soutenant les vies (72,74-76). Une conception
féministe du care permettrait de mettre en lumière, et surtout de remettre en question, de tels présupposés normatifs et de
telles éthiques de gestion de crise. Ceux-ci sont caractérisés par une logique utilitaire, linéaire, ainsi qu’un langage masculin
et militariste privilégiant le quantifiable, par la mise en exergue de ressources et de résultats mesurables (18). Non seulement
de telles conceptions et techniques permettraient-elles de renforcer les hégémonies existantes, mais elles seraient également
sujettes à négliger de considérer les désavantages structurels préexistants (18). Branicki appelle donc à une mobilisation des
voix féministes du care afin de résister à ces logiques, et de faire la promotion d’une gestion de crise ou de pandémie qui
serait ainsi fondée centralement sur des préoccupations de soin, en liant crise, caring, relations sociales et responsabilité
sociale.
En référence aux travaux de Joan Tronto et de ses « moral boundaries », le care découlerait de l’interdépendance humaine
continuelle entre autonomie et vulnérabilité, et du fait que tous les êtres humains n’auraient pas la même capacité, à tout
moment, de prendre soin d’eux-mêmes (77). Les êtres humains se déplaceraient ainsi à travers quatre phases du care : se
soucier de (caring about), prendre soin de (taking care of), donner des soins (care-giving) et recevoir des soins (care-
receiving) (77). À partir de celles-ci, il est possible de concevoir une éthique du care composée d’attention, de responsabilité,
de compétence et de réactivité, ainsi que de donner aux activités du care la place centrale, indispensable et quotidienne
qu’elles requièrent au sein de la vie de chaque être humain. Plaider pour une valorisation et une reconnaissance du care
nécessite une réévaluation et une transformation de notre conception des frontières morales, ainsi qu’une considération du
care dans son contexte politique, non seulement comme attitude morale, mais comme idéal politique (77). En mettant l’accent
sur des dimensions interactionnelles et sociopolitiques du soin en contexte de COVID-19, les éthiques du care et féministes
soulèvent l’importance des questions de dignité, à travers l’engagement et la confiance impliqués dans le partenariat
thérapeutique et sociétal (8,16). Les relations sociales interdépendantes y occupent une place centrale en tant que sites de
soin entre soi et autrui, favorisant la reconnaissance et la réponse au besoin (18). Cette tendance vers l’idéal de ne laisser
personne de côté rejoint ainsi l’idée de Doucet.
La théorisation d’une telle alternative est non seulement intéressante en tant que critique et remise en question du modèle
dominant, mais elle nous éclaire également sur certains présupposés normatifs et éthiques sociétaux et systémiques. Par
contre, il est possible de se questionner sur ce en quoi consisterait exactement, dans la pratique et au quotidien, une éthique
féministe de gestion de crise pandémique fondée sur le care. Arriverait-elle à dépasser son carcan théorique pour plonger
dans son applicabilité concrète en contexte de pénurie, et de prise de décisions difficiles de vie ou de mort?
À ce sujet, l’approche de Saintôt (78) semble complémenter et clarifier la mise en pratique de la théorie de Branicki et de
Doucet. La pandémie et son discours politique du « prendre soin » marquerait l’occasion de ce qu’il qualifie d’un retour de
l’éthique du care. Une telle éthique permettrait à ses yeux d’inspirer un tournant politique du soin, qui, d’une manière pratique,
prendrait ses racines spécifiquement dans la manière d’accompagner la vieillesse et la vulnérabilité. Ce tournant politique de
l’éthique du care se mettrait en place par le biais d’une approche humaine, ancrée dans le relationnel et la dignité de la
personne, et ce, particulièrement au sein du CHSLD (ou en France, de l’EHPAD). À ce sujet, Saintôt explique : « [il s’agit de]
ne pas réduire la vie humaine à sa seule dimension physiologique, comme s’il fallait à toute force sauver biologiquement des
vies sans les sauver humainement, comme si la peur de la mort justifiait l’amputation de toutes les autres dimensions,
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notamment la dimension relationnelle » (78, p.12). Une prise de conscience politique de la place du soin permettrait de mettre
de l’avant le droit à la santé plus englobant que le droit à la vie, particulièrement la santé de tout l’humain, qui ne peut être
négligée par la santé de tous les humains (78). La pandémie marquerait ainsi la redécouverte d’une interdépendance sociétale
nécessitant l’attention à autrui, plutôt qu’une moralité fondée sur le raisonnement de principes abstraits, ou encore sur la dérive
marchande d’un modèle hôpital-entreprise (78). Une telle philosophie du soin pour et avec le patient serait orientée vers la
valorisation de ses singularités, vulnérabilités et subjectivités plurielles, par le fait de cultiver le fondement humain de la relation
de soin sur lequel baser l’efficacité médicale.
À l’image du tournant politique du soin représenté par Saintôt à l’occasion de la pandémie, la crise sanitaire pourrait-elle
instiguer un tournant depuis un modèle dominant fondé sur le « evidence-based », le quantifiable et l’efficacité, vers une
philosophie palliative fondée sur la vertu? Sheahan et Brennan (79) proposent une telle approche éthique à la pandémie,
basée sur l’application des principes des soins palliatifs. Les auteurs soulèvent le danger qu’une approche traditionnelle et
utilitariste de crise axée sur le nombre de vies ou d’années de vie sauvées devienne « le nouveau ou même le seul lieu de
valeur » (79, p.793), perdant de vue les personnes réelles et l’humanité du soin dans le contexte en rapide évolution de la
prestation de soins en pandémie. Sheahan et Brennan mobilisent ainsi une approche des soins palliatifs sur la base d’une
éthique de la vertu. L’éthique de la vertu est axée vers le caractère moral, les attributs et les motivations de la personne, et
non le caractère de l’action objective en elle-même ou de ses conséquences (79). Elle pèse l’importance de vertus directrices
fondamentales, telles la compassion, la solidarité et la dignité afin de répondre à la souffrance dans le contexte de la COVID-
19. Par le biais de cette éthique de la vertu palliative, il serait question de s’appuyer sur le principe palliatif du soin personnel,
afin de considérer, sur une base éthique solide, la valeur personnelle du soin, et la valeur singulière de chaque patient (et de
sa famille) jusqu’à la fin de sa vie (79). Pour les auteurs, particulièrement en temps de pandémie, il s’agit d’un idéal à ne pas
perdre de vue devant l’adversité. Face à la COVID-19, Sheahan et Brennan dénoncent également le nihilisme dans la
perception des autorités et institutions selon laquelle plus rien ne pourrait être offert à un patient dont l’état se détériore et qui
approche la fin de vie. En réponse, ils proposent de se fonder sur un deuxième principe fondamental de la philosophie des
soins palliatifs, le principe de non-abandon du patient. Celui-ci devrait guider la réponse éthique, et ce, peu importe la condition
du patient, et sans céder au nihilisme, c’est-à-dire sans le délaisser et agir comme si plus rien ne pouvait être fait pour lui (79).
Ce qui a possiblement été socialement occulté dans le passage à une pandéthique est le fait que l’absence de cure ne signifie
pas l’absence de care. Dans ce contexte, le passage à un impératif d’efficacité, ou à une logique de guerre, aurait pu
invisibiliser dans une certaine mesure l’impératif de la dignité.
En outre, de ces approches alternatives multiples semble ressortir l’importance de la responsabilité sociale impliquée dans
les prises de positions éthiques. Autrement dit, de ces éthiques « autres », voire marginales, se dégage l’idée d’une co-
responsabilité sociale particulièrement nécessaire en temps de crise dans le processus de priorisation, et dans l’engagement
à répondre à la vulnérabilité par le soin. Ainsi, plus qu’un choix d’éthiques purement médicales, ce serait un choix sociétal qui
serait d’abord en jeu : à l’instar de Bustan et al. (16), il convient de se demander si nous désirons survivre dans une société
de l’efficacité, ou bien du care. Mais plus encore, comment allons-nous choisir d’articuler et d’équilibrer ces deux conceptions
non mutuellement exclusives? Qui plus est, l’approche éthique des soins palliatifs de Sheahan et Brennan nous amène à nous
questionner sur ce que signifie prendre soin les uns des autres dans une pandémie, et comment ce soin peut s’exprimer à
l’approche de la mort et dans des situations critiques (79).
CONCLUSION
Par le biais de cette étude documentaire, nous avons commencé à construire une esquisse des modalités d’interventions, des
pratiques, de la répartition des ressources et du traitement des personnes âgées en soin de longue durée. Les éthiques
priorisées et les directives élaborées ont pu engendrer des dilemmes en ce qui a trait au duty to care des soignants, de par
leur renversement d’une approche individuelle vers une approche centrée sur le collectif. Les pratiques qui en découlent
peuvent se positionner à l’encontre des valeurs personnelles et professionnelles des soignants, et présenter le risque de
blessures morales. Par ailleurs, selon les approches et justifications éthiques employées dans les choix sociétaux qui
encadrent la prise de décision en temps de COVID-19, les personnes âgées sont confrontées au risque de leur dévalorisation.
L’éthique de santé publique semble ainsi s’être en partie fondée sur la négligence sociétale à leur endroit. Il convient de se
questionner sur la possibilité que cette négligence prenne racine dans la peur de la mort, de la « mort sociale » associée à la
dégénérescence physique et cognitive (80,81), de la perte de soi au travers de la dépendance et de l’institutionnalisation. Par
extension, notre rapport à la mort semble teinter notre rapport à la vieillesse et à ceux et celles qui incarnent cette phase de
la vie aux yeux de la société. Selon la gériatre Louise Aronson, la tendance à se dissocier de notre soi futur, par l’altérisation
ou le rejet des personnes âgées, serait un moyen de nous éloigner de « la diminution biologique et sociale de la
vieillesse » (46). Pour Paul Higgs, sociologue du vieillissement (46), la peur du vieillissement coïnciderait avec la fragilité, et
le changement d’agentivité associées aux personnes du quatrième âge, mais aussi à leur marginalisation et invisibilisation,
définies et, paradoxalement, craintes par la société.
D’une manière complémentaire, qu’est-ce que ces éthiques semblent révéler sur nous, sur notre société, ou encore sur notre
système de santé? Plus encore, que disent-elles du paradoxe du « problème » de la mort (5) dans la prise de décision? Avant
la pandémie, l’impératif technologique, curatif, et interventionniste dit « age-blind » était au cœur des discussions, des critiques
et des préoccupations des domaines médical et anthropologique. L’idée de faire toujours plus, de se rendre toujours plus loin
dans les traitements, et pour une durée toujours plus longue semblait dominer de nombreux débats, tout comme l’enjeu
connexe de la difficulté de l’arrêt des traitements. La dimension de l’hypervisibilité de l’âge est, d’une part, attribuable au fait
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que les personnes plus âgées, hébergées ou non, et atteintes de maladies chroniques ou de conditions de santé susceptibles
d’augmenter le risque de développer des complications graves à la suite d’une infection, étaient les premières victimes de la
COVID-19 (50). Par contre, en période pandémique, il semble que la posture aveugle face à l’âge du patient ait, d’autre part,
donné place à une hypervisibilité de l’âge dans certains rationnements de soins, certaines approches et conceptions axées
sur un impératif de l’efficacité. Parallèlement, en situation de crise, il semble qu’une éthique centrée sur le patient singulier et
son autonomie se soit souvent et rapidement transformée en une éthique basée sur le collectif et la restriction autoritaire des
droits individuels. Le « problème de la mort » s’est transformé en un « problème de l’âge », tout en conservant les mêmes
individus en son centre : les aînés. Ainsi, ces perceptions et moralités nous ont également permis, d’une manière sous-jacente,
de nous intéresser à ce qui découle des paroles et des actions. Nous avons tenté d’éclairer leur construction dans des
circonstances, par le biais de pratiques et au sein de contextes donnés leur ayant permis d’exister. Le regard anthropologique
en bioéthique participe à la remise en question de l’universalité du « bon » en montrant la pluralité des manières de
l’interpréter : ce sont plusieurs valeurs et manières d’être au monde (82) qui s’entrecroisent au travers des éthiques et des
pratiques.
En somme, à la lumière des réflexions présentées précédemment, l’analyse comparative d’Orfali (24,26) apparait
particulièrement porteuse en ce qui a trait à la logique que semble révéler le passage d’une éthique hors pandémie à une
« pandéthique ». La COVID-19 a rendu flagrante la manière par laquelle nous percevons notre système de santé, que nous
le construisons, mais aussi les valeurs et normes sur lesquelles il repose. Avec les principes idéologiques qui guident ce
système, et sa culture médicale plus largement, ces différentes dimensions informent en retour la manière par laquelle nous
répondons à la pandémie, pensons et construisons nos protocoles de triage et directives d’allocation des ressources, et
choisissons de les mettre en place. Non seulement aucune réglementation de triage n’a été jugée universelle au point d’être
adoptée à l’international, mais ce processus semble aussi diversifié et pluriel que le sont les différents systèmes de santé et
cultures médicales, les contextes institutionnels et sociaux les cadrant, ainsi que les différentes approches et résultats dont
témoignent les exemples européens et américains discutés.
Comme appuyé par Marshall et Koenig (8), l’anthropologie de la bioéthique a beaucoup à apporter à la conciliation des
conceptions morales médicales. En mettant davantage en perspective les conceptions éthiques strictement universelles ou
relativistes, le regard anthropologique invite à considérer l’importance de situer le cheminement vers un consensus moral dans
la réalité du contexte local et de ses dynamiques sociales et relationnelles. Il appelle à une compréhension plus holistique,
ainsi qu’à une analyse écologique de la complexité, de la diversité, des inégalités, ainsi que du sens des pratiques et des
facteurs sous-tendant les comportements (43). En augmentant notre compréhension de la manière dont les pratiques
médicales et sociales sont définies et interprétées, l’anthropologie de la bioéthique peut permettre de mieux rendre compte
de la position du « bien » dans les mondes moraux locaux, et des diverses variantes des morales locales (8,83). D’une autre
perspective, Appiah nous invite à réfléchir à la possibilité que l’accord sur les pratiques se fasse d’une manière indépendante
de l’accord sur les valeurs et justifications qui les sous-tendent (84). Plutôt que de rechercher un consensus final unissant les
raisons de nos actions, il invite à accepter le vivre-ensemble comme une avenue possible au sein de la rencontre de la
diversité. Or, il semble que dans la crise sanitaire, ce ne soit pas seulement les significations de valeurs communes qui
s’opposent : l’ambivalence s’est révélée face également aux conflits de valeurs et de justifications différentielles sous-jacentes
au « bien », ainsi qu’à sa mise en pratique. En effet, la reconnaissance commune de l’importance de « faire le bien », orienté
vers un même objectif, n’empêche pas l’enchevêtrement d’une pluralité de visions de ce « bien », et de manières de
l’approcher, de le justifier et de le réaliser.
La COVID-19 montre également que les tensions entre mondes moraux peuvent émaner d’actions et de pratiques qui, en
adéquation avec le modèle éthique dominant à première vue, peuvent s’opposer aux convictions morales individuelles. Dans
le cadre de recherches futures, il sera important de mettre la recherche ethnographique à contribution afin de mieux saisir
l’expérience morale vécue dans le contexte de la COVID-19, mais aussi la complexité des réalités et perspectives plurielles
dans lesquels s’ancrent les dilemmes éthiques et moraux. Les outils méthodologiques de l’anthropologie, et son cadre
analytique et réflectif en font un allié pour le champ des sciences de la santé et de la bioéthique. Tel que soutenu par
Massé (83), s’appuyant sur les travaux d’Hoffmaster (85) sur la contribution de l’ethnographie à la bioéthique : « la théorie
morale n’est possible que si elle est alimentée par la recherche empirique décrivant, en profondeur, le contexte quotidien des
prises de décision éthiques, l’intrication des valeurs dans le vécu quotidien des personnes prenant les décisions, ainsi que les
contraintes institutionnelles, culturelles ou politiques dans lesquelles s’opère le raisonnement moral » (83, p.35). Une
anthropologie de et pour la bioéthique encouragerait ainsi « la diffusion des alternatives à une pensée morale unique ou
dominante » (83, p.38).
Finalement, la pandémie a exacerbé les inégalités et mis en lumière des lacunes et situations tragiques dans sa gestion. À
travers cet évènement focalisant et ses échecs, il est possible de remettre en question les approches éthiques dominantes,
de reconsidérer les manières de penser et d’agir. Les approches éthiques alternatives proposées témoignent du fait que la
conversation peut s’orienter vers des reconsidérations éthiques du soin, des prises de décision et du traitement des personnes
marginalisées ou vulnérabilisées. Dans ce contexte, l’anthropologie doit participer à la discussion, ainsi qu’à la mise en lumière
des voix qui se retrouvent étouffées par le cadre politique: « [l’anthropologie permet] de faire contrepoids aux discours
politiques soumis aux pressions de l’économie, de l’analyse décisionnelle et des procédures légales, discours qui réduit au
silence la souffrance sociale » (8, p.50). De ce fait, elle permet d’interroger les savoirs et leur construction, ainsi que d’éclairer
des réalités altérisées ou invisiblisées, les situant dans la complexité de leur contexte spécifique, et les replaçant au sein des
discours moraux socio-culturellement construits et ancrés dans la matrice sociale plus large. Les approches et éthiques
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alternatives peuvent avoir une contribution essentielle aux questionnements collectifs et collaboratifs des fondements
éthiques, des normes sociales et comportements, jusqu’aux dispositifs institutionnels et organisationnels. Les tragédies de fin
de vie multipliées chez les personnes âgées et vulnérables en soin de longue durée pendant la pandémie et l’idée que la
société a failli au devoir de prendre soin laissent des blessures morales qui demanderont longtemps à être reconnues et
pansées par, entre autres, ces approches narratives fondamentales aux éthiques de la vulnérabilité, féministe et du care. Le
regard anthropologique peut certainement contribuer à cette quête.
Reçu/Received: 06/06/2021
Publié/Published: 9/12/2022
Remerciements
Acknowledgements
Je tiens à remercier Sylvie Fortin, professeure titulaire du
département d’
anthropologie et de la faculté de médecine de
l’
Université de Montréal, ainsi que Benjamin Mathiot, doctorant
en anthropologie à l’
Université de Montréal, pour leurs
commentaires constructifs dans l’
élaboration de cet article. Je
remercie éga
lement les évaluatrices de la revue, Jasmine
Foulem et Ana Marin, pour leur relecture et judicieux
commentaires m’ayant permis d’
améliorer le texte et
d’
approfondir les réflexions. Merci à Katherine Cook, professeur
adjointe au département d’anthropologie de l’
Université de
Montréal, pour son soutien et son ouverture. Finalement, pour
leur soutien financier lors de l’
élaboration de cet article, je tiens
à remercier l’Université de Montréal et le CRSH.
I would like to thank Sylvie Fortin, professor in the Department
of Anthropology and the Faculty of Medicine at the Université de
Montréal, and Benjamin Mathiot, doctoral student in
anthropology at the Université de Montréal, for their constructive
comments in the elaboration of this article. I would also like to
thank the reviewers of the journal, Jasmine Foulem and Ana
Marin, for their proofreading and judicious comments that
allowed me to improve the text and deepen the reflections.
Thanks to Katherine Cook, A
ssistant professor in the
Department of Anthropology at the Université de Montréal
, for
her support and openness. Finally, I would like to thank the
Université de Montréal and SSHRC for their financial support in
the preparation of this article.
Conflits d’intérêts
Conflicts of Interest
Aucun à déclarer
None to declare
Édition/Editors: Aliya Affdal
Les éditeurs suivent les recommandations et les procédures
décrites dans le
Code of Conduct and Best Practice Guidelines
for Journal Editors
de COPE. Plus précisément, ils travaillent
pour s’
assurer des plus hautes normes éthiques de la
publication, y compris l’
identification et la gestion des conflits
d’
intérêts (pour les éditeurs et pour les auteurs), la juste
évaluation des m
anuscrits et la publication de manuscrits qui
répondent aux normes d’excellence de la revue.
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s standards
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Évaluation/Peer-Review: Ana Marin & Jasmine Foulem
Les recommandations des évaluateurs externes sont prises en
considération de façon sérieuse par les éditeurs et les auteurs
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