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La vieille noblesse alsacienne, un Stiftsadel ?The old Alsatian aristocracy, a ‟Stiftsadel”? The symbolic role of relatives and their presence in noble and military bodies. 1650-1800Der alte elsässische Adel, ein Stiftsadel? Symbolische Ökonomie der Verwandtschaft und Verankerung in Adelskapiteln und Militärorden, 1650-1800: Économie symbolique de la parenté et ancrage dans les chapitres nobles et les ordres militaires, 1650-1800

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Abstract

Cet article propose de relire les évolutions socio-politiques de la noblesse alsacienne à la lumière de son lien étroit et renforcé aux chapitres nobles et aux ordres militaires au cours de la seconde modernité. Alors que l’intégration progressive de l’Alsace dans le royaume de France aurait dû favoriser un élargissement de ses horizons matrimoniaux, la vieille chevalerie alsacienne entame un processus de repli centré sur ces institutions qui offrent non seulement des avantages lucratifs, mais aussi la garantie d’une pureté de sang qui la distingue au sein de la noblesse française. Les procédures de probation nobiliaire à chaque agrégation génèrent des contraintes fortes qui obligent ces familles à pratiquer une discipline matrimoniale stricte lui permettant de se maintenir dans un cercle fortement endogamique. S’en trouvent favorisées une fermeture du groupe et des pratiques sociales singulières susceptibles de rapprocher la vieille noblesse alsacienne des noblesses chapitrales (Stiftsadel) d’Outre-Rhin.
Revue d’Alsace
148 | 2022
Varia
La vieille noblesse alsacienne, un Stiftsadel?
Économie symbolique de la parenté et ancrage dans les chapitres nobles
et les ordres militaires, 1650-1800
The old Alsatian aristocracy, a Stiftsadel”? The symbolic role of relatives and
their presence in noble and military bodies. 1650-1800
Der alte elsässische Adel, ein Stiftsadel? Symbolische Ökonomie der
Verwandtschaft und Verankerung in Adelskapiteln und Militärorden, 1650-1800
Éric Hassler
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/alsace/5472
ISSN : 2260-2941
Éditeur
Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace
Édition imprimée
Date de publication : 25 novembre 2022
Pagination : 89-125
ISSN : 0181-0448
Référence électronique
Éric Hassler, «La vieille noblesse alsacienne, un Stiftsadel?», Revue d’Alsace [En ligne], 148|2022, mis
en ligne le 01 décembre 2023, consulté le 24 mai 2024. URL: http://journals.openedition.org/alsace/
5472
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annexes importés) sont «Tous droits réservés», sauf mention contraire.
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La vieille noblesse alsacienne, un
Stisadel ?
Économie symbolique de la parenté
et ancrage dans les chapitres nobles
et les ordres militaires, 1650-1800
Éric Hassler
Louis XIV espérait-il faire de la noblesse d’Alsace une tête de pont
du royaume de France en Empire ? L’autoriser, par les lettres patentes
de 1681-1682, à maintenir ses alliances avec la noblesse germanique
permit à la vieille chevalerie alsacienne de continuer à faire carrière
dans l’Église d’Empire (Reichskirche 1) et dans la galaxie chapitrale noble
qui s’étendait aux marges du royaume de France, des Pays-Bas aux
confins de la monarchie autrichienne
2. C’était toutefois négliger un
écueil de taille : l’incompatibilité entre les critères de qualité nobiliaire
imposés à l’entrée dans les chapitres nobles et les ordres militaires qui
reposent sur une conception cognatique de la parenté, considérant
1. Sur la traduction de ce concept, voir la notice de Falk Breitschneider dans les Mots du
Saint-Empire : https://saintempire.hypotheses.org/publications/glossaire/reichskirche.
Pour une synthèse des enjeux territoriaux : Joachim Whalley, Germany and the Holy Roman
Empire, t. 2 : From the Peace of Westphalia to the Dissolution of the Reich, 1648-1806, Oxford,
University Press, 2012, p. 299-306.
2. Corinne Marchal, Un âge d’or des chapitres nobles de chanoinesses en Europe au XVIIIe siècle. Le
cas de la Franche-Comté, Turnhout, Brepols, 2021. Ces chapitres qui recrutent exclusivement
dans la noblesse se distinguent d’autres chapitres mixtes ou ouverts à la roture. Sur le cas
français, voir : Corinne Marchal, « Définir et inventorier les chapitres nobles de la France
du XVIIIe siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 99 (no 242), janvier-juin 2013,
p. 115-126.
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Revue d’Alsace — 2022
quartiers paternels et maternels
3, et d’autre part les moindres
exigences en la matière dans le royaume de France qui portent une
attention prépondérante aux agnats, tout du moins dans les processus
de probation mis en place par la monarchie 4. Si une certaine ouverture
matrimoniale, voire la mésalliance, sont permises dans le second cas,
elles contrarient théoriquement la capacité à s’agréger à tout chapitre
noble germanique (Stiftsfähigkeit) pour une durée égale au nombre de
générations dont il faut prouver la noblesse.
Dans une seconde modernité (1650-1800) marquée par un
basculement dans l’aire d’influence française qui aurait pu être synonyme
d’élargissement des horizons pour la vieille chevalerie alsacienne, se
marier outre-Vosges ou avec les familles de la robe colmarienne signifie
donc se fermer l’accès à ces institutions que l’on pourrait qualifier de
ségrégatives. Si cette position d’entre-deux ouvrait bien à la noblesse
alsacienne la perspective de carrières militaires ou d’une intégration
curiale et politique aussi bien dans le royaume de France que du côté
des principautés impériales, voire jusqu’à Vienne, le glissement de
la frontière sur le Rhin ne coïncide désormais plus avec cette fracture
profonde dans l’économie de la parenté nobiliaire européenne, projetant
les élites alsaciennes, comme celles d’autres régions frontières qui
souhaitaient maintenir leur attachement à la Germania sacra, dans un
espace d’incompatibilité matrimoniale. Ces horizons se trouvent de facto
limités dès-lors qu’il s’agit de se marier.
3. On renverra aux remarques stimulantes de Christophe Duhamelle sur le cas alsacien :
Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif. La noblesse d’Église rhénane, 17e et 18e siècle, Paris,
Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1998, p. 104-105. Sur la genèse
de cette conception parentélaire : Joseph Morsel, « La construction sociale des identités
dans l’aristocratie franconienne aux XIVe et XVe siècle », in Brigitte Miriam BeDos-rezak et
Dominique Iogna-Prat (dir.), L’individu au Moyen Âge, Individuation et individualisation avant
la modernité, Paris, Aubier, 2005, p. 79-99.
4. Pour une synthèse, voir : Élie haDDaD, « L’histoire de la noblesse. Quelques
perspectives récentes », in Nicolas le roux (dir.), Faire de l’histoire moderne, Paris,
Classique Garnier, 2020, p. 65-94. Cette conception agnatique rend techniquement
possible la mésalliance.
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La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Les historiens ont essentiellement justifié cet attrait pour les
institutions ségrégatives par les avantages matériels qu’elles procurent
5.
En fournissant des prébendes aux garçons comme aux filles, tout en leur
préservant dans une certaine mesure la capacité de retourner à l’état laïc, les
chapitres nobles offrent de réelles opportunités d’allégement de la charge
financière générée par des descendances prolifiques, mais aussi une solution
à l’émiettement de patrimoines mis à mal par les affres de la première
moitié du xVIIe siècle 6. Chapitres et ordres militaires procurent également
un statut social. Une carrière au sein de la Germania sacra n’est d’ailleurs pas
exclue, à l’image des Reinach, des Rinck de Baldenstein et des Montjoie qui
exercèrent un véritable monopole sur le trône épiscopal de Bâle de 1693
à 1775 7, et pouvait fournir de substantiels gains politiques et financiers dont
les bénéfices retombaient sur tout le lignage
8. Enfin, les chapitres de filles
constituent des antichambres éducatives au mariage, l’admission au chapitre
offrant la garantie d’une pureté nobiliaire, constitutive d’un beau parti,
surtout dans la perspective de la perpétuation de l’adhésion aux chapitres.
À ces avantages économiques et sociaux s’ajoute – et cela a été moins
perçu dans le cas alsacien –, une dimension symbolique forte. Émarger à ces
institutions grégatives confère aux heureux lignages qui avaient su passer sans
encombre les écueils de la probation nobiliaire, le prestige collectif de participer
5. Werner kunDert, « Reichskirche und Adel im Südwesten des Reiches », in Barock in
Baden-Württemberg. Vom Ende des Dreißigjährigen Krieges bis zur Französischen Revolution,
Karlsruhe, Badisches Landesmuseum, 1981, t. 2, p. 325-334. Sur le cas alsacien : Erich
Pelzer, Der elsässiche Adel im Spätfeudalismus, Tradition und Wandel einer regionalen Elit zwischen
dem Westfälischen Frieden und der Revolution (1648-1790), Munich, Oldenbourg, 1990,
p. 181-185 ; Marc glotz, « La noblesse alsacienne au xVIIIe siècle », in Claude Muller et
Élisabeth cleMentz (dir.), Autorité, Liberté, Contrainte en Alsace : Regards sur l’histoire d’Alsace
XIe-XXIe siècle, actes du colloque des 90 ans de l’Institut d’Histoire d’Alsace, Nancy, Éd.
Place Stanislas, 2010, p. 165-173.
6. C’est le cas des Reinach qui s’imposent en la matière une « discipline rigoureuse » : Marc
glotz, « La noblesse alsacienne… », art. cit., p. 169-170. Voir aussi : Erich Pelzer, Der
elsässiche Adel…, op. cit., p. 181-185.
7. Constat formulé par Marc glotz, « La noblesse alsacienne… », art. cit., p. 169. Voir
aussi Patrick Braun, Joseph Wilhelm Rinck von Baldenstein (1704-1762). Das Wirken eines basler
Fürstbischofs in der Zeit der Aufklärung, Fribourg/Suisse, Universitätsverlag, 1981.
8. Voir l’analyse qu’en propose Karl von Aretin dans : Karl von aretIn, Das Alte Reich
1648-1806, t. II : Kaisertradition und österreichische Grossmachtpolitik (1684-1745), Stuttgart,
Klett-Cotta, 1997, p. 384 : l’historien affirme que l’accession au trône épiscopal permet à
toute la famille d’arborer la couronne princière fermée sur leurs armes et non seulement
les couronnes baronniale à sept pointes ou comtale à neuf pointes.
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Revue d’Alsace — 2022
à une noblesse réputée sans tache 9, utile dans l’élaboration des alliances. Surtout,
cet examen exige une culture de la généalogie 10 rigoureuse et permanente qui
emprisonne le lignage dans un processus de reproduction sociale systématique
et inéluctable dès lors que la sortie du groupe chapitrable n’est pas envisageable.
De cette discipline matrimoniale qui s’érige en tradition11 découle la proposition
que ces institutions ségrégatives occupaient une place centrale et fondamentale
dans la structuration sociale et symbolique de ces lignages, surtout à un moment
de recomposition géopolitique de leur aire d’action.
Prise en étau entre la noblesse française et une noblesse germanique
pour laquelle elle constitue un parti économiquement peu attrayant, du
fait des conflits du xVIIe siècle, l’ancienne chevalerie alsacienne n’aurait-
elle pas considéré les institutions ségrégatives comme une échappatoire
en se muant en Stiftsadel, autrement dit en un groupe endogamique centré
sur ces institutions comme l’a montré Christophe Duhamelle dans le cas
des chapitres du Rhin moyen 12 ? Dans une configuration qui n’est pas sans
rappeler le cas de la Franche-Comté étudié par Corinne Marchal 13, cette
noblesse alsacienne semble toutefois formuler des réponses différentes
au défi de l’adaptation du modèle chapitral germanique aux pratiques
nobiliaires françaises. Les propositions qui suivent constituent une première
étape d’un projet de recherche plus large qui s’appuie notamment sur
la constitution d’une base de données (arche_familles_nobles) hébergée
par la plateforme Heurist
14 et alimentée principalement par les sources
généalogiques conservées dans les fonds familiaux des Archives d’Alsace
et publiées dans les armoriaux et travaux généalogiques.
9. Cette ambition est clairement énoncée par plusieurs lignages de la chevalerie rhénane
étudiés dans : Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif…, op. cit., p. 125s., et ressort, en ce qui
concerne les lignages alsaciens, des témoignages d’observateurs français : Ibid., p. 104-105.
10. Sur la distinction entre culture généalogique et culture de la généalogie, voir : Dorit raInes,
« Les généalogies vénitiennes (xVIIe-xVIIIe siècle). Instrument politique, outil juridique », in
Stéphane Jettot et Marie lezoWskI (dir.), L’entreprise généalogique : pratiques sociales et imaginaires
en Europe (XVe-XXe siècle) = The genealogical enterprise : social practices and collective imagination in
Europe (15th-20th century), Bruxelles, Peter Lang, 2016, p. 88-112, ici p. 92.
11. Eric hoBsBaWn et Terence ranger (dir.), L’invention de la Tradition, Paris, Éd. Amsterdam,
2004 (éd. angl. 1983), p. 20.
12. Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif…, op. cit. Plusieurs sources citées par l’auteur,
en particulier des correspondances, attestent de l’emploi assumé et verbalisé de cette
catégorie nobiliaire dès l’époque moderne, par ex. p. 126-127.
13. Corinne Marchal, Un âge d’or…, op. cit.
14. L’auteur tient à remercier chaleureusement Guillaume Porte, ingénieur d’études à
l’UR ARCHE, pour l’élaboration de la base de données et sa disponibilité.
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La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Nous tenterons dans un premier temps de circonscrire la croissance
de la présence des Alsaciens dans ces institutions de façon quantitative,
puis nous verrons en quoi cette présence croissante est la traduction
de fortes contraintes sociales, pour terminer sur le constat, face à cette
configuration d’étau qui paraît sans issue, la vieille chevalerie alsacienne
opère un recentrage sur ces institutions ségrégatives au cours du
xVIIIe siècle qui tend à en faire un Stiftsadel.
Les chapitres nobles et la monarchie française:
données quantitatives sur le recrutement
de la noblesse alsacienne
Un paysage chapitral contrasté
Le paysage chapitral germanique post-westphalien associe des
chapitres aux statuts juridiques variables et au recrutement plus ou
moins exclusif de noblesses aux rangs divers
15. Si l’on suit l’analyse
qu’en propose Sylvia Schraut, les chapitres du Rhin moyen seraient
plus enclins à se tourner vers la chevalerie d’Empire tandis que les
chapitres du sud-ouest tendraient à fonder leur recrutement dans
les cercles de familles de la noblesse médiate
16. Certaines familles se
démarquent toutefois par une forte implication dans les chapitres, ce
Stiftsadel qui préempte une part non négligeable des prébendes. Sur
les 4 100 chanoines qui se sont succédés entre 1650 et 1800 dans
15. Joachim Whaley, Germany and the Holy Roman Empire…, op. cit., p. 302 : quelques chapitres
bénéficient d’un statut immédiat d’Empire mais, pour la plupart, il s’agit d’institutions
médiates. Certains chapitres ont basculé dans la réforme au cours du xVIe siècle ou ont
opté pour des formes bi-confessionnelles.
16. Sylvia schraut, Das Haus Schönborn. Eine Familienbiographie katholischer Reichsadel, 1640-
1840, Paderborn, Ferdinand Schöningh, 2005, p. 28s. Cette typologie doit sans doute être
nuancée dans la mesure où bon nombre de lignages chapitrables pouvaient additionner des
statuts juridiques différents selon leurs possessions, en particulier par le jeu des statuts
immédiats incomplets. Sur la question du caractère perméable des structurations sociales
nobiliaires en Empire, voir : Christophe DuhaMelle, « Les noblesses du Saint-Empire
du milieu du xVIe au milieu du xVIIIe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine
(désormais RHMC), no 46/1, 1999, p. 146-170 ; Éric hassler, « Les Harrach face à la disgrâce.
Stratégies matrimoniales d’un lignage aristocratique autrichien à la fin du xVIIe siècle »,
RHMC, no 61/2, 2014, p. 176-201.
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Revue d’Alsace — 2022
les chapitres d’hommes, 1 % est occupé par les seuls Droste. Les
différentes branches des familles Dalberg, Eltz, Frankenstein, Freyberg,
Guttenberg, Hatzfeld, Kesselstatt, Leyen, Metternich, Nesselrode,
Sickingen, Stadion ou encore Ulm parviennent à agréger chacune plus
de vingt chanoines, étendant leur emprise au-delà du Rhin, dans les
chapitres belges ou surtout alsaciens 17.
Ces derniers s’inscrivent pour leur part en marge de ces grands
chapitres cathédraux germaniques. À l’ombre du grand chapitre de la
cathédrale de Strasbourg qui, comme son homologue colonais, ne recrute
que dans la haute aristocratie immédiate – les Fürstenberg, Hohenlohe,
Hohenzollern, Königsegg et autres Salm –, les chapitres abbatiaux de
Murbach et Lure (réunis depuis 1560 et transférés à Guebwiller en 1759),
d’Andlau, d’Ottmarsheim et de Masevaux présentent des statuts juridiques
différents : Murbach-Lure et Andlau sont réputés immédiats d’Empire, la
charge abbatiale étant assortie d’une couronne princière ; le troisième
dépend théoriquement, depuis sa fondation ottonienne, du Saint-Siège,
même si ce statut a pu lui être contesté, en particulier par le prince-
évêque de Bâle auquel l’abbaye est redevable fiscalement ; le dernier est
médiat 18. Soulignons également la prépondérance des chapitres féminins,
Murbach-Lure constituant une exception, qui oblige les lignages locaux
à chercher ailleurs des débouchés pour les garçons, dans les chapitres
limitrophes, tel Bâle ou les chapitres du sud-ouest du Saint-Empire, ou
les ordres militaires 19.
17. Comptages à partir de : Peter hersche, Die deutsche Domkapitel im 17. und 18. Jahrhundert,
Berne, 1984 et José DouxchaMPs, Chanoinesses et chanoines nobles dans les Pays-Bas et la
principauté de Liège, I : Liste des prébendières et prébendiers avec leurs quartiers de noblesse, 2e éd.,
Wépion-Namur, 1990.
18. Murbach n’a pas encore fait l’objet d’une étude de fond pour la période moderne ;
sur Ottmarsheim et Masevaux : Frédéric Jenny, « Les chapitres nobles féminins de Haute
Alsace de la Guerre de Trente ans à la Révolution française », mémoire de master, université
de Franche-Comté, 2019.
19. Les autres chapitres d’hommes ont connu des évolutions sociales qui condamnent leurs
portes aux familles de la chevalerie, soit par leur caractère plus sélectif dans le cas du grand
chapitre de la cathédrale de Strasbourg, soit par la trajectoire inverse, ainsi au chapitre de
Saint-Pierre-le-Jeune, auquel émargent toutefois épisodiquement des membres de bonnes
familles de la vieille noblesse.
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La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
La diversité des statuts des chapitres alsaciens n’a cependant pas
découragé la monarchie française de tenter d’imposer son autorité dans
les statuts, les élections des abbesses ou la collation des prébendes 20. Les
protocoles du grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg mettent en
lumière l’interventionnisme du pouvoir royal qui cherche à se constituer
une clientèle impériale en favorisant les nominations de certaines familles
princières allemandes qui lui seraient favorables
21. Cette politique se
heurte aux règlements. Murbach tente ainsi de tenir tête à Louis XV
lorsque le souverain réclame une ouverture des canonicats aux sujets
autres qu’alsaciens et comtois
22, jusqu’à ce que la sécularisation des
abbayes de Murbach et de Lure, en 1759, permette au souverain de
récupérer la collation d’une partie des prébendes
23. Loin d’être isolée,
cette mainmise du pouvoir politique sur les institutions chapitrales est
aussi bien observable dans les régions récemment annexées au royaume
de France, le Hainaut (avec les chapitres de Maubeuge et Denain
24) ou
la Franche-Comté 25 que, plus tardivement, dans les Pays-Bas autrichiens
lorsque l’impératrice-reine Marie-Thérèse ambitionne de réformer les
modalités d’accès aux chapitres de Mons, Nivelles, Moustier et Andenne 26
20. Sur le détail de la politique royale dans ces domaines, on renverra à : René Metz, La
monarchie française et la provision des bénéces ecclésiastiques en Alsace : de la paix de Westphalie à la
n de l’ancien régime (1648-1789), Strasbourg/Paris, F.-X. Leroux et Cie, 1947, p. 99-101
pour Murbach, p. 106-111 pour Masevaux et Ottmarsheim, p. 126-133 pour Andlau.
21. Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (désormais AVES), 117 Z
Fonds du grand chapitre de la cathédrale, protocole 57 (année 1730), fo 4v. : lettre du
cardinal de Rohan au chapitre datée du 5 octobre 1729 qui fait part de la satisfaction du
roi après l’élection du prince Constantin de Hesse-Rheinfels. La réponse négative aux
autres candidats déçus, expédiée à l’automne 1729, fait part de « raisons très fortes » qui
ont déterminé le vote (AVES, 117 Z 56 (année 1729), fo 74v). En revanche, le chapitre
demande au cardinal de Rohan lors du chapitre général du 29 mars 1727 de prier la reine
Marie Leszczynska, dont la position est fragilisée par l’animosité développée à son égard
par le Cardinal de Fleury, de ne plus intervenir dans les affaires chapitrales en sollicitant
des exemptions de résidence comme pour le comte de Hohenlohe (AVES, 117 Z 55, fo 37).
22. Archives d’Alsace, site de Colmar (désormais AA-C), 9 G Murbach, 11 (32).
23. René Metz, « La politique royale et la sécularisation des abbayes unies de Murbach et
de Lure (1759-1764) », Revue des Sciences religieuses, tome 20, fasc. 3-4, 1940, p. 271-289.
24. Jean heuclIn et Christophe leDuc (dir.), Chanoines et chanoinesses des anciens Pays-Bas.
Le chapitre de Maubeuge du IXe au XVIIIe siècle, Presses universitaires du Septentrion, 2019.
25. Corinne Marchal, Un âge d’or…, op. cit., p. 43-44.
26. Archives générales du Royaume (Bruxelles), Archives royales, Conseil Privé, 772A,
Règlement de l’impératrice-reine du 23 septembre 1769 sur les Preuves de liation & de noblesse
requises pour entrer aux chapitres nobles des Pays-Bas.
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Revue d’Alsace — 2022
afin de promouvoir une équivalence dans le recrutement des chapitres
de la monarchie autrichienne qui permette de faire sauter les verrous
matrimoniaux et favoriser la constitution d’une noblesse impériale.
Le principe de la probation par quartiers n’est toutefois que rarement
remis en cause en Alsace, pas plus que dans les chapitres de la Franche-
Comté voisine ou du Hainaut français, soumis aux mêmes pressions
27.
Une tentative de réforme du chapitre de Maubeuge à la veille de la
Révolution se solde encore par un échec 28. La volonté royale de produire
une noblesse tampon entre royaume de France et Empire susceptible de
servir de tête de pont française dans les états ecclésiastiques, après l’échec
de l’élaboration d’une noblesse alsacienne uniforme
29, se manifeste en
revanche à Ottmarsheim que Louis XIV dote de nouvelles possessions
afin d’augmenter le nombre de canonicats
30. De la même manière, le
souverain tente de limiter le recrutement des étrangers dans les chapitres
alsaciens afin de favoriser les régnicoles 31 et exige des lettres de naturalité
dont il a seul la maîtrise de la délivrance 32. Si les enjeux sont apparemment
forts dans le cas des chapitres du Hainaut où près des deux tiers des
chanoinesses étaient étrangères, provenant de la noblesse des Pays-Bas
espagnols puis autrichiens, avec du reste des mesures de réciprocité pour
les chapitres habsbourgeois
33, les effets sur le recrutement paraissent
moins nets dans le cas alsacien.
Il importe donc de mesurer la place qu’occupent les vieilles
familles alsaciennes dans ces institutions ségrégatives et la réalité de
cette fréquentation de façon quantitative en adoptant à la fois le prisme
27. Corinne Marchal, Un âge d’or…, op. cit., p. 43-44 : certains chapitres cèdent toutefois
à l’autorité royale en passant à la probation graduelle par ligne.
28. Christine Mazella-lerIche, « Le chapitre noble de Maubeuge à l’heure de son apogée
(XVIIe-XVIIIe siècle) », in Jean heuclIn et Christophe leDuc (dir.), Chanoines…, op. cit.,
p. 193.
29. Georges lIVet, L’Intendance d’Alsace sous Louis XIV (1648-1715), Paris, Les Belles Lettres,
1956, p. 308.
30. AA-C, 11 G Ottmarsheim 1 A4 1 Charte de janvier 1687 qui attribue au chapitre les
villages de Bourgneuf et Saint-Louis. En 1704, le chapitre reçoit également les dîmes de la
forêt de la Harth.
31. René Metz, La monarchie française…, op. cit., p. 239 sqq.
32.Ibid., p. 275.
33. Christine Mazella-lerIche, « Le chapitre noble de Maubeuge… », art. cit., p. 193.
97
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
des institutions et celui des familles. En filigrane, se pose également la
question de l’efficacité de la politique menée par la monarchie dans le
recrutement des chapitres.
Données quantitatives sur la présence alsacienne
dans les chapitres nobles
Loin de n’être peuplés que par une noblesse locale, les chapitres
nobles alsaciens attirent des élites variées. On se concentrera ici sur les
chapitres qui agrègent exclusivement une noblesse chevaleresque dont
participe l’essentiel des familles de la vieille noblesse ancrée dans la
plaine alsacienne 34. Sur la quarantaine de lignages qui ont pu émarger au
chapitre d’Andlau, la moitié figure dans les tables de la noblesse de Haute
ou de la Basse-Alsace avant leur agrégation au chapitre
35. Les autres
proviennent essentiellement des cercles de chevalerie d’Empire voisins,
ainsi les Baaden, Beroldingen, Blarer de Wartensee, Dalberg, Hornstein,
Kageneck ou encore Ligers
36, parfois de plus loin comme les Thurn et
Valsassina qui y font entrer une fille en 1764 37. Nous ne disposons pas en
revanche de listes exhaustives pour les chapitres de Murbach, Masevaux
et Ottmarsheim, mais les restitutions permises par la base de données
34. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (désormais BNUS), Ms 1227 État
de la répartition de la noblesse de Haute-Alsace (1742) ; Ms 1228 Familles du corps de la
noblesse de Basse-Alsace (1716) ; Ms 1229 (agrège plusieurs listes de la noblesse de Basse-
Alsace entre 1558 et 1718) ; Liste des familles du Directoire de la noblesse de Basse-Alsace
à la date de 1680, Strasbourg, 25 novembre 1773.
35. Nouvelles œuvres inédites de Grandidier, t. IV : Alsatia sacra ou Statistique ecclésiastique et
religieuse de l’Alsace avant la Révolution, Colmar Hüffel, 1899, p. 133-137, liste lacunaire à
compléter par : Archives d’Alsace, site de Strasbourg (désormais AA-S), 39 J Fonds Andlau,
1 MI 85 : Der Verzeichnis und Wappenbuch aller der Fürstlichen Freyweltlichen Reichstift Andlau
Frauen Abbatissin und Canonissin so von der Fundation bis dat zu denselben regiert und sich benden
allhero zusammen betragen in Anno 1695 undt continuiert. Les familles sont : Andlau, Berckheim,
Eptingen, Ferrette, Flachslanden, Kempff d’Angreth, Landsperg, Montjoie, Mullenheim,
Ostein, Rathsamhausen, Reich de Reichenstein, Reinach, Schauenbourg, Schoenau, Truchsess
Rheinfelden, Waldner, Wangen, Wessenberg, Zorn de Bulach, zu Rhein.
36. On renverra à la liste publiée en annexe dans : William D. goDsey Jr., Nobles and
Nation in Central Europe. Free Imperial Knights in the Age of Revolution, 1750-1850, Cambridge,
University Press, 2004.
37. René Metz, La monarchie française…, op. cit., p. 130 : le cas de l’élection de la comtesse
Loewenstein à l’abbatiat d’Andlau, après octroi de lettres de naturalité par Louis XIV,
montre du reste l’intérêt de la monarchie pour l’intégration d’étrangers clients du roi
de France.
98
Revue d’Alsace — 2022
laissent apparaitre un recrutement assez similaire, malgré quelques
inflexions liées aux situations spécifiques de ces deux institutions : la
fusion de Murbach avec Lure favorise une plus grande perméabilité de la
frontière méridionale, perméabilité réciproque puisque certains chapitres
comtois et bernois comptent dans leurs rangs des fils de familles d’Alsace
méridionale, notamment des Reinach ; les deux autres institutions
régulières paraissent a priori attirer une moindre proportion de noblesses
non allogènes 38.
On observe une prééminence forte de certains lignages alsaciens,
essentiellement un cercle étroit de familles, à savoir les Andlau, Ferrette,
Flachslanden, Montjoie, Rathsamhausen, Reich de Reichenstein, Reinach,
Rinck de Baldenstein et zu Rhein qui investissent largement les chapitres
alsaciens comme limitrophes, tels Remiremont, Épinal, Baumes-les-
Messieurs ou Moutier-Grandval, mais émargent également aux chapitres
cathédraux de Wurtzbourg, Augsbourg, Constance, Eichstätt ou, dans
une moindre mesure, aux chapitres de Westphalie
39. Les Andlau et les
Reinach fournissent ainsi chacun 10 % des effectifs du chapitre d’Andlau
– proportions globalement stables tout au long de la période 1650-1800 –
les Reich de Reichenstein 7 %, les Ferrette, Flachslanden, Schoenau et
Rathsamhausen autour de 5 % chacun. En y adjoignant les zu Rhein, ce
cercle de huit familles – les Rinck en sont absents – produit à lui seul plus
de la moitié des chanoinesses d’Andlau.
38. Masevaux est fréquenté par les Andlau, Blarer de Wartensee, Ferrette, Flachslanden,
Hagenbach, Reich de Reichenstein, Reinach, Rinck de Baldenstein, Zorn de Bulach, zu
Rhein (AA-C, 10 G 2/10 protocoles du chapitre et sources généalogiques) ; Ottmarsheim
par les Andlau, Reich de Reichenstein et Reinach (sources généalogiques).
39. Tous les chiffres concernant les chapitres germaniques d’hommes sont tirés des
tables publiées dans : Peter hersche, Die deutsche Domkapitel…, op. cit. : Andlau :
14 chanoines (Wurtzbourg 1779 ; Bâle 1703, 1711, 1729, 1741, 1760, 1783, 1788,
1792 ; Eichstätt 1745, 1783 ; Worms 1793 ; Mayence 1605, Constance 1790) ;
Ferrette : 5 chanoines (Wurtzbourg 1629, 1764 ; Bâle 1683, 1698 ; Eichstätt 1682) ;
Flachslanden : 3 chanoines (Bâle 1645 1660, 1687) ; Montjoie : 9 chanoines (Salzbourg
1614 ; Bâle 1719, 1741, 1744, 1755 ; Augsburg 1614, 1667 ; Wurtzbourg 1801) ; Reich
v Reichenstein : 6 chanoines (Constance 1720 ; Bâle 1653, 1690, 1705, 1729, 1751) ;
Reinach : 19 chanoines (Bâle 1622, 1640, 1676, 1691, 1695, 1703, 1724, 1728 ;
Constance 1772 ; Wurtzbourg 1677, 1682, 1718, 1768, 1762, 1797 ; Bamberg 1643,
1757 ; Eichstätt 1709, 1736) ; Rinck de Baldenstein : 8 chanoines (Bâle 1631, 1640,
1655, 1734, 1738, 1751, 1768, 1789) ; zu Rhein : 6 chanoines (Worms 1714, 1723,
1766 ; Bâle 1660 ; Spire 1795 ; Wurtzbourg 1757).
99
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Ils sont entourés d’un second cercle de familles. D’abord quelques
lignages alsaciens qui ne parviennent pas à s’imposer à Andlau dans les
mêmes proportions ou à se maintenir sur la durée, comme les Landsperg
(1498, 1501, 1619), Rathsamhausen (1701, 1770 et ?), Wangen (1667,
1701, 1732) ou Zorn (1503 et 1513). D’autres lignages, plus fortement
présents, sont issus de contrées voisines et émargent déjà dans plusieurs
chapitres germaniques. Leur ancrage alsacien résulte à la fois de
l’acquisition de terres, d’alliances nouées avec les familles alsaciennes qui
leur ont permis d’incorporer leur capital parentélaire et de leur faciliter
l’entrée des chapitres locaux. C’est le cas des Blarer de Wartensee, qui
procurent autant de chanoinesses à Andlau que les Flachslanden ou les
Ferrette, et qu’on retrouve également aux chapitres de Bâle, Constance,
Ratisbonne ou Worms, ou des Wessenberg qui donnent 5 chanoines à
Bâle, Worms ou Augsbourg, ou encore des Beroldingen (12 chanoines à
Trèves, Constance, Spire, Hildesheim et Ratisbonne) qui en procurent 5
à Andlau. Quelques grandes familles chapitrales transrhénanes viennent
ponctuellement prendre possession d’un canonicat à Andlau, ainsi les
Dalberg en 1672, dont la présence, loin d’être incongrue, se comprend
lorsqu’on observe l’horizon généalogique des chanoinesses. Nous y
reviendrons.
Si les lignages alsaciens semblent bien se maintenir dans les chapitres
locaux, ils renforcent parallèlement leur présence dans les chapitres
voisins. Le chapitre lorrain des Dames de Remiremont, qui se dit le plus
sélectif des chapitres d’outre-Vosges parce qu’il regroupe « ce qu’il y a de
plus pur dans la noblesse 40 », offre un débouché de plus en plus recherché
par les lignages alsaciens : très peu présents aux xVIe et xVIIe siècle
(respectivement 4 et 2 % des effectifs canoniaux), ils deviennent
prépondérants au xVIIIe siècle 41, bravant les restrictions imposées par les
ducs de Lorraine dans le recrutement des chanoinesses étrangères. Les
Reinach, Montjoie, zu Rhein et, dans une moindre mesure, les Andlau et
40. Cité dans Françoise BoquIllon, Les Chanoinesses de Remiremont (1566-1790). Contribution
à l’histoire de la noblesse dans l’Église, Remiremont, Société d’Histoire Locale de Remiremont
et de sa Région, 2000, p. 39. On renverra aussi à Felix de salles, Chapitres nobles de Lorraine.
Annales, preuves de noblesse, documents, portraits, sceaux et blasons, Vienne/Paris, Gerold/
Lechevalier, 1888.
41. Ibid., p. 142-158 : 17 Montjoie, 12 Reinach, 4 zu Rhein, 2 Andlau et une fille Reich von
Reichenstein. Une autre famille alsacienne, les Wangen, est largement présente, obtenant
9 canonicats.
100
Revue d’Alsace — 2022
Reich de Reichenstein représentent désormais 28 % des effectifs, devant
les lignages lorrains qui frôlaient pourtant les 40 % des effectifs totaux
aux deux siècles précédents 42. Un mouvement similaire est observable au
sein du chapitre de Bâle avec les Andlau, Reinach et Rinck de Baldenstein
(8 chanoines), Reich de Reichenstein (5) et dans une moindre mesure
les Flachslanden (3), Ferrette et zu Rhein (1), qui représentent 42 % des
effectifs canoniaux bâlois entre 1640 et 1700, atteignent 53 % dans le
demi-siècle suivant, avant de connaître un tassement à 45 % après 1750 43.
De façon plus anecdotique, quelques familles parviennent également à
s’agréger aux chapitres des Pays-Bas, ainsi les Reich de Reichenstein à
Munsterbilsen en 1711 ou les Wangen de Gerolseck à Nivelles en 1744 44.
Le cas des ordres militaires
Même s’ils ne représentent qu’une part restreinte de l’engagement
des familles alsaciennes dans les institutions ségrégatives, les ordres de
chevalerie militaires procurent également des positions convoitées.
L’ordre teutonique, bien implanté dans la plaine alsacienne, a su
conserver une partie de ses positions malgré les difficultés générées par
le passage de la province au royaume de France
45. Si les places offertes,
de l’ordre d’une centaine par génération, sont peu nombreuses du fait de
la décrue démographique de l’ordre
46, elles demeurent attractives. Les
42. Ibid., p. 160.
43. Comptages à partir de Catherine Bosshart-Pfluger, Des basler Domkapitel von seiner
Übersidling nach Arlesheim bis zur Säkularisation (1687-1803), Bâle, Kommissionsverlag
Friedrich Reinhardt, 1983, Tabelle 1 : Liste der Domherren im Domkapitel Basel,
p. 328-331. Les familles alsaciennes retenues sont au nombre de 18, dont se détachent sept
familles particulièrement présentes : Andlau, Ferrette, Montjoie, Reich de Reichenstein,
Reinach, Rinck de Baldenstein, Rogenbach.
44. José DouxchaMPs, Chanoinesses et chanoines nobles… op. cit.
45. Uwe zIegler, Kreuz und Schwert. Die Geschichte des Deutschen Ordens, Vienne, Böhlau, 2003,
p. 200 ; Danielle BuschInger et Mathieu olIVIer, Les chevaliers teutoniques, Paris, Ellipses,
2007, p. 348s. Après avoir été confisquées, les commanderies alsaciennes sont restituées
à l’ordre tout en passant sous autorité du roi. En 1697, l’ordre teutonique est placé sur le
même pied que l’ordre de Malte, ce qui aplanit quelque peu les relations difficiles entre
l’ordre et la couronne.
46. Helmut hartMann, « Hochmeister, Deutschmeister, Landkomtur, Komtur, Hauskomtur,
Ritter, Priester – Ämter und Lebensweise der Deutschordenangehörigen (bis etwa 1809) »,
in Hermann BroMMer (dir.), Der deutsche Orden und die Ballei Elsass-Burgund. Die Freiburger
Vorträge zur 800-Jahr-Feier des Deutschen Ordens, Baden, Concordia, 1996 p. 73-96, ici p. 81.
101
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
commanderies constituent de véritables seigneuries qui font l’objet de
campagnes de reconstruction dans la seconde moitié du xVIIIe siècle. En
témoigne encore aujourd’hui la commanderie de Rixheim
47. Plusieurs
familles envoient ainsi des fils à l’ordre, les Reinach 9, les Truchsess de
Rheinfelden 4, les Andlau 3 comme les Reich de Reichenstein, les Roll
de Bernau et les Schoenau, les zu Rhein 2 comme les Ferrette, Montjoie,
Kempff d’Angreth, Reischach, Reuttner de Weyl, Schauenburg et Rinck
de Baldenstein ; les Ramstein, Truchsess de Rheinfelden, Lutzelburg,
Wangen, Wurmser de Vendenheim, Roggenbach, Waldner de Freundstein
et Bock de Blaesheim au moins 1 chacune 48.
Des carrières semblent s’y offrir aux Alsaciens : les Reinach Jean
François et François Ignace sont ainsi successivement commandeurs
du bailliage d’Alsace-Bourgogne à Althausen entre 1718 et 1735, date
à laquelle la relève est prise par le comte Philippe Antoine Joseph de
Montjoie qui reste en charge jusqu’en 1757 ; le baron Béat Conrad
Philippe Reuttner de Weyl, dont la famille émarge au Directoire de
Basse-Alsace, occupe la même place entre 1774 et 1803
49. Moins bien
implanté, l’ordre de Malte accueille dans la langue allemande 4 chevaliers
Reinach, et 4 autres Andlau, zu Rhein, Rinck de Baldenstein et Reich
de Reichenstein, tous au xVIIIe siècle. L’ordre de Malte constituait
ainsi un horizon supplémentaire pour des familles alsaciennes en quête
de débouchés dans les institutions ségrégatives auxquelles leur qualité
nobiliaire lui permettait de prétendre.
Se dessine en somme une géographie chapitrale complexe qui met
en lumière des polarités différentes dans la mesure où ce ne sont pas
toujours les mêmes cercles familiaux qui émargent aux mêmes institutions
sur la durée. Ces cercles ne s’entrecroisent pas moins du fait d’une
matrice matrimoniale qui allie prioritairement un nombre restreint de
47. Hans Martin guBler, Johann Caspar Bagnato 1696-1757 und das Bauwesen des Deutschen
Ordens in der Ballei Elsass-Burgund im 18. Jahrhundert. Ein Barockarchitekt im Spannungsfeld von
Auftraggeber, Bauorganisation und künstlerischem Anspruch, Sigmaringen, Thorbecke, 1985,
p. 336-337.
48. Données tirées de Leopold neDoPIl, Deutsche Adelsproben aus dem Deutschen Ordens-
Central-Archive, Vienne, Braumüller, 1868.
49. Walter Bener, « Althausen – Sitz des Landkomturs und Hauptor t der Deutschordensballei
Elsass-Burgund. Ausgewählte Kapitel aus der Geschichte einer Deutschordens-
Kommende », in Hermann BroMMer (dir.), Der deutsche Orden…, op. cit., p. 223-244.
102
Revue d’Alsace — 2022
lignages dont les parentèles permettent l’agrégation ponctuelle dans l’un
ou l’autre chapitre, nous y reviendrons. Dans tous les cas cependant, cette
agrégation repose sur un critère fondamental, la probation nobiliaire.
Entrer et se maintenir dans les institutions
ségrégatives: des fortes contraintes sociales
qui structurent la noblesse
Entre les xVIIe et xVIIIe siècle, la nécessité de prouver la pureté de
son ascendance pour espérer intégrer un chapitre ou un des deux ordres
militaires est devenue une telle obsession pour la noblesse germanique
– et partant alsacienne – que la question des quartiers de noblesse
devient un topos de la littérature satyrique, de La Bruyère à Voltaire,
mais aussi un sujet des plus sérieux qui sécrète tout une littérature
théorique 50 qui tourne dans l’Empire autour de la question fondamentale
de la Stiftsfähigkeit, des critères qui la rendent possible et des moyens
de la prouver
51. En maintenant, voire renforçant leur présence dans les
institutions ségrégatives, la vieille noblesse alsacienne acceptait donc des
règles strictes qui garantissent une pureté nobiliaire distinctive au sein
d’une noblesse du royaume de France au sang jugé corrompu par les
mésalliances.
50. L’exposé des différentes modalités de probation de la qualité nobiliaire dans les ordres
militaires par le père Menestrier est de ce point de vue particulièrement éclairant : François
MenestrIer, De la chevalerie ancienne et moderne, avec la manière d’en faire les Preuves, pour tous
les Ordres de Chevalerie, Paris, de la Caille, 1683. Voir aussi Benoît de fauconPret, Les preuves
de noblesse au XVIIIe siècle, La réaction aristocratique. Avec un recueil de tous les ordres, honneurs,
fonctions, écoles, chapitres, réservés à la noblesse, Paris, Patrice du Puy éd., 2e éd., 2012, p. 27.
51. Felix Henricus hIlDeBranD, De Probatione per stemmata genealogica, sive Vom Beweiss durch
Stamm-Bäume und Geschlechts-Register, Altorf, 1719 ; Damian Hartard hattsteIn, Die Hoheit
des Teutschen Reichs-Adels wodurch derselbe zu Chur- und Fürstlichen Dignitäten erhoben wird, das ist:
vollständige Probe der Ahnen unverfälschter adliger Familien, ohne welche keiner auff Ertz-, Dhomb-
hoher Orden- und Ritter-Stiffter gelangen kan oder angenommen wird, Fulda, 1729 ; Johann Georg
estor, Practische Anleitung zur Anenprobe so bein den Teutschen erz- und hochstiften, ritterorden und
ganerbschaften gewönlich, Marburg, Müller, 1750 ; Johann Octavian salVer, Proben des hohen
Teutschen Reichs-Adels oder Sammlungen alter Denkmäler, Grabsteinen, Wappen, Zim und Urschriften
u: d: nach ihrem wahren Urbilde aufgenommen, unter offener Treüe bewähret und durch Anenbäume
auch sonstige Nachrichten erkläret und erlaüteret, Wur tzbourg, Verlag des Authors, 1775.
103
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Maintenir la pureté du lignage: une discipline matrimoniale
Alors que la noblesse alsacienne est confrontée depuis une
cinquantaine d’années à la réalité nobiliaire française, les observateurs
français continuent à souligner le caractère exemplaire de sa « pureté », à
l’image de ce Mémoire sur la province d’Alsace, rédigé en 1702 52 :
La Noblesse d’Alsace est non seulement illustre par son ancienneté et par sa pureté,
exempte des mésalliances, mais elle a l’avantage de prouver cette ancienneté et
cette pureté avec une certitude et une facilité particulière pour l’Allemagne, il
est aisé d’expliquer d’ou elle tire cet avantage, c’est par l’entrée dans plusieurs
chapitres de chanoines et de chanoinesses abbayes d’hommes et filles ou l’on est
admis qu’en faisant des preuves de noblesse plus ou moins ettendües suivant les
statuts de chaque maison. Il ne se passe pas cinquante ans sans que l’un de chaque
famille ne soit recue dans les uns ou les autres de ces chapitres ou abbayes, à chaque
réception l’on dresse des procès verbaux exacts de la représentation des titres
dont on garde dans les archives des copies en forme jointe aux minutes des procès
verbaux. Ils rapellent ordinairement ceux qui ont esté précédemment faits lors de
la réception de chaque chanoine chanoinesse, religieux ou religieuse de la mesme
famille, ainsy en retrogradant de reception en reception l’on remonte aux temps les
plus reculez avec des pièces constantes et certaines de chaque quartier de noblesse
et communément un simple gentilhomme en un moins de temps fera plus aisément
une production de quatre ou cinq cents années en Alsace qu’un gentilhomme d’une
autre province du royaume ne la feroit de cent cinquante ans.
Ce long passage témoigne de l’adhésion des lignages alsaciens aux
théories développées dans l’espace germanique autour du principe d’une
« noblesse de naissance et de sang purs » (rein Bluts- und Geburtsadel 53) et
dont la multiplication des traités portant sur les preuves de noblesse est
largement symptomatique. Le discours théorique sur la pureté du sang
s’est élaboré à partir de la conjugaison de plusieurs critères probatoires qui
agissent conjointement pour établir un régime de la preuve. En substance,
la participation à la noblesse impériale regroupe trois conditions, la
naissance, la vertu et le service du prince. Le service civil ou militaire par
lequel le noble fait la démonstration de ses vertus n’est toutefois que la
confirmation d’une noblesse fondamentalement acquise par la naissance
(Geburtsadel).
52. Médiathèque André Malraux (Strasbourg), Fonds patrimoniaux, Ms 934 : Anonyme,
Mémoire sur la province d’Alsace, dressé par Mr., Année 1702, fo 19.
53. Johann Octavian salVer, Proben des hohen Teutschen Reichs Adels…, op. cit., p. 46.
104
Revue d’Alsace — 2022
Par un jeu d’échelle, la qualité intrinsèque de l’individu s’inscrit
dans la réputation plus longue du lignage. Alors que l’individu ne doit
prouver la qualité de son ascendance que sur la durée examinée par
l’institution, le lignage entretient, par la narration de son propre récit et
la quête d’origines illustres attachées à son nom 54, une réputation sur le
temps long de son histoire, qui éclaire les opérations de quête des origines
et de mise en liste des familles, par exemple par le biais de nobiliaires 55,
toujours à l’œuvre au xVIIIe siècle, malgré la professionnalisation des
sciences de la généalogie. Si les noblesses de Haute et de Basse-Alsace
asseyent leurs revendications politiques et sociales sur une histoire
recomposée 56, le lien étroit et durable tissé par certains lignages avec
les institutions ségrégatives constitue un autre chapitre d’une histoire
collective et mutualisée par une même appartenance.
La pureté de la noblesse s’élabore alors non seulement de façon
absolue par la qualité arithmétique des quartiers, mais aussi de façon
relative par la reconnaissance mutuelle des lignages qui constituent le
réseau matrimonial acceptable. Au rang s’additionne l’antécédence dans
l’institution qui renforce le processus de fermeture des institutions aux
autres lignages qui prétendraient y être agrégés. La pureté de la noblesse
dépend alors moins de sa qualité intrinsèque que de l’appartenance
préalable aux institutions qui la garantissent, comme c’est le cas à
Remiremont, qui prend théoriquement en compte l’appartenance aux
chapitres allemands 57. Se pose la question des limites de l’acceptable et des
contours de la « race ». Le chapitre général de l’ordre teutonique, réuni
à Marienthal du 28 septembre au 10 octobre 1764, doit ainsi déterminer
54. On renverra notamment à : Christiane klaPIsch-zuBer, La maison et le nom. Stratégies
et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences
sociales, 1990.
55. On citera par exemple le projet de nobiliaire d’Alsace : BNUS Ms 3654 : KegelIn,
Mémoires pour servir à un nobiliaire d’Alsace, 1790.
56. On renverra simplement aux discours élaborés pour justifier l’utilité sociale de la
noblesse au lendemain de l’abolition des privilèges dans : Mémoire pour la noblesse immédiate
de la Basse Alsace, Strasbourg, Lorenz & Schouler, Imprs du Directoire de la Noblesse, 1789.
57. Bibliothèque municipale de Nancy (désormais BMN), Ms 108 (44), Recüeille des arbres
des lignes des Dames Abbesses Doyennes et Chanoinesses de l’Insigne Eglise St Pierre de Remiremont,
avec le Blason de leurs armes : « Si une ou plusieurs de ces huit lignes etoient reçuës dans
un des six hauts collèges d’Allemagne, sçavoir Mayence, Cologne, Trêves, Wirsbourg,
Salsbourg et Exstet, le seul certificat en bonne forme d’un de ces collèges suffiroit pour en
faire la preuve ».
105
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
les contours du « sang allemand » nécessaire pour intégrer l’ordre.
Il est finalement décidé que demeurent inclus dans cette définition les
candidats en provenance de toutes les parties de l’Empire, tel qu’il était
délimité sous Charles Quint
58. C’est justement en mettant en avant la
nécessité de la naturalité germanique que le chapitre d’Andlau refuse les
candidatures françaises, au motif de la nécessité de maîtriser l’allemand
pour communiquer avec les « domestiques, censiers, journaliers de la
province qui ne parlent pas d’autre langue
59 », argument partiellement
fallacieux puisque le chapitre de Masevaux doit en 1759 basculer la
langue de rédaction des protocoles de l’allemand au français « pour
favoriser à Mme l’abbesse [Françoise Xavière de Ferrette, une Alsacienne]
l’intelligence des affaires 60 ».
La pureté de la noblesse s’inscrit également dans une tension entre
rétrospectif et prospectif
61 : rétrospectif par la nécessité de pouvoir
soumettre des arbres généalogiques étayés des preuves exigées lors
des candidatures aux chapitres et aux ordres teutonique et de Malte ;
prospectif dans la mesure où chaque projet d’alliance matrimoniale
nécessite d’être sévèrement pensé pour éviter une mésalliance dont le
résultat immédiat serait de condamner toute espérance d’agrégation
pour la descendance du couple sur autant de générations que les
preuves sont exigées, soit en moyenne sur une durée de deux siècles. Ce
processus enferme donc l’individu comme le lignage dans des contraintes
matrimoniales telles que l’endogamie
62 est érigée en norme sociale qui
annihile toute capacité d’ouverture et retire à la vieille noblesse alsacienne
une partie des leviers d’intégration au royaume de France. Si des carrières
militaires sont envisageables, les mariages sont, eux, interdits pour qui
veut préserver la capacité d’entrer dans ces institutions. De ce fait, peu
58. Félix de salles, Annales de l’Ordre teutonique ou de Sainte-Marie-de-Jérusalem depuis son
origine jusqu’à nos jours et du service de santé volontaire avec les listes ofcielles des chevaliers et des
afdés, Paris, Société générale de librairie catholique et Vienne, Braumüller, 1887, p. 363.
59. AA-S, H 2303, Mémoire à l’intendant, 1738, fo3.
60. AA-C, 10 G 2 10, protocoles, fo 497.
61. Jan assMann, La mémoire culturelle. Écriture, souvenir et imaginaire politique dans les civilisations
antiques, Paris, Aubier, 2010 (éd. angl. 2002), p. 64.
62. Le degré de radicalité de cette endogamie (Ebenbürtigkeit) donne lieu à de nombreuses
discussions juridiques en Empire : Karl Ottmar von aretIn, Heiliges römisches Reich,
1775-1806. Reichsverfassung und Staatssouveränität, Wiesbaden, Franz Steiner, 1967, t. I,
p. 77. Voir par ex. : Johann Octavian salVer, Proben des hohen Teutschen Reichs-Adels…, op. cit.,
p. 39-40.
106
Revue d’Alsace — 2022
de lignages tentent l’aventure. Les Reinach parviennent à jouer sur la
diversité de leurs implantations lignagères pour ouvrir leur branche
méridionale de Grandvelle-Foussemagne à une noblesse non germanique,
tout en conservant une tradition chapitrale. Seuls les Andlau-Petit-Landau
parviennent réellement à faire souche à Versailles : Antoine d’Andlau-
Petit-Landau, après avoir épousé en premières noces une cousine éloignée,
s’allie en secondes noces avec Marie Anne de Klinglin, la sœur aînée du
Prêteur royal, ouvrant le lignage à la Robe. Les enfants issus du second
lit se marient désormais en France : François Antoine (1703-1786) avec
Marie Françoise de Mauguet de Mézières, Marie Anne avec le comte
Philippe Ignace du Dressier et l’héritier, François Éléonor (1710-1763),
avec Marie Henriette de Polastron, sous-gouvernante des Enfants de
France, qui lui ouvre les portes de la cour. Suivent le collier de l’ordre
de Saint-Louis (1743), une carrière militaire – il est lieutenant général
en 1748 – et des titres de comte d’Andlau et de marquis de Verderonne,
malgré la disgrâce de Mme de Polastron 63.
Pour les autres, la carrière curiale se borne à obtenir les Honneurs de
la cour : outre les Andlau, les Flachslanden, les Luzelbourg, les Oberkirch,
les Waldner de Freundstein et les Wurmser figurent parmi les familles
de la noblesse provinciale présentées à la cour. Rompus à l’exercice,
ces lignages avaient sans doute connu de moindres difficultés à prouver
une ancienneté antérieure à 1400 requise par le règlement de 1759
64.
L’horizon habsbourgeois n’est cependant pas totalement occulté, comme
en atteste la fréquentation certes marginale des dames alsaciennes au très
sélectif ordre de la Croix étoilée, qui fédère des dames de haute noblesse
des différentes couronnes de la monarchie autrichienne
65. Les chapitres
et les ordres militaires demeurent malgré tout l’horizon principal de
ces familles pour lesquelles la probation nobiliaire devient un exercice
fréquent.
63. Hubert d’anDlau-hoMBourg, Le livre d’histoire d’une famille d’Alsace, Colmar, Alsatia,
1976, t. II, ch. 2 et 3.
64. Archives nationales (site de Paris), M. 608 et O1 829. Voir aussi : François Bluche, Les
honneurs de la cour, Paris, Montpensier, 1957.
65. L’Ordre des dames de la Croix de l’étoile, établi par Sa Majesté l’impératrice Éléonore douairière
de Ferdinand III, Vienne, Jean Thomas Trattner, 1761. Cettes publication mentionne : Marie
Anna de Kageneck, née Andlau (entrée en 1735), Marie Sophie Ramschwag, née Reinach
(entrée en 1734). N’apparaissant pas dans ce répertoire : Marie Anne Reic h de Reichenstein,
née Hohenrechberg (entrée en 1746, source : Wienerisches Diarium, 7 mai 1746).
107
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
«Éprouver la noblesse des ancêtres est la plus solide preuve de
noblesse 66»
Cette probation s’effectue par l’examen de plusieurs documents
qui constituent le dossier de candidature du chanoine. Alors que chaque
chapitre demeure théoriquement maître de son mode de recrutement
selon ses statuts, les procédures se standardisent. Les chapitres alsaciens
ne sont pas en reste et, dans la seconde moitié du xVIIIe siècle, le maintien
des preuves est encore justifié par un adossement des statuts à ceux de
Murbach et des chapitres allemands. On voit poindre également une
attention portée à l’équivalence dans la qualité de noblesse exigée des
candidates qui favorise des parentés étroites tissées entre les chanoinesses 67
En découlent une véritable literacy de la preuve
68, mais aussi une
concentration progressive d’une part importante des canonicats dans les
mains d’un nombre restreint de familles. Pour preuve, un dossier-type est
détaillé dans le traité d’Estor (1750). Certains chapitres fournissent même
des modèles de formulaires 69. À mesure que les savoirs généalogiques se
précisent, le régime de probation exigé par les institutions ségrégatives
s’inscrit en tension entre corporatisme nobiliaire et approche scientifique
des sources servant à la constitution des dossiers généalogiques
70. La
bonne naissance tend à s’appuyer sur des éléments plus rationalisés.
Sans surprise, la généalogie constitue l’épine dorsale du dossier,
à commencer par l’arbre généalogique. Son contenu, en particulier le
nombre de quartiers requis, est imposé par les règlements des institutions,
66. Johann Octavian salVer, Proben des hohen Teutschen Reichs Adels…, op. cit., p. 46.
67. AA-C, 10 G 1, Extrait de l’acte de fondation d’une demoiselle pensionnaire au
monastère de la Visitation de Nancy, fo 1v : la fondatrice, la comtesse de Rottembourg, exige
que toute candidate soit « d’extraction à pouvoir être recue dans l’un des trois chapitres de
la province d’Alsace, à savoir de Masmünster, d’Andlau et d’Ottmarsheim ».
68. Pour un bilan sur la notion de literacy : Béatrice fraenkel, « Littératie », Langage et
société, 2021, Hors-Série 1, p. 221-224.
69. AA-C, 108 J fonds Reinach 95, 11-16. Formulaires-types pour la présentation à un
canonicat à Wurtzbourg, s. d.
70. Elizabeth harDIng, « Negociating Genealogy in Eighteenth-Century Germany.
Academic Claims and the Limits of Proving Nobility in Johann Georg Estor’s Practische
Anleitung zur ANENPROBE (1750) », in Jost eIckMeyer, Markus frIeDrIch et Volker
Bauer (dir.), Genealogical Knowledge in the Making. Tools, Practices, and Evidence in Early Modern
Europe, Berlin/Boston, De Gruyter/Oldenbourg, « Cultures and Practices of Knowledge
in History/Wissenkulturen und ihre Praktiken, 1 », 2019, p. 127-144, p. 134s.
108
Revue d’Alsace — 2022
à l’image du chapitre équestre de Murbach dont les lettres patentes,
obtenues du roi de France en 1765 au moment de la sécularisation de
l’abbaye, stipulent que le candidat « fera constater qu’il a fait tant par
les titres, que par témoins la preuve de sa noblesse de nom et d’armes
paternelle et maternelle de quatre générations de chaque côté en
comprenant les trisayeux et trisayeules nobles et non annoblies 71 ». Quant
à la forme, elle fait également l’objet d’une normalisation stricte, qui
dépend du bon-vouloir de l’institution jusqu’à ce que s’imposent des
formes homogénéisées. Le Wappenbuch d’Andlau permet ainsi de suivre
les errements des exigences chapitrales, passant de quatre à huit puis
seize et même trente-deux quartiers
72, au gré des statuts du chapitre,
mais sans doute aussi de la concurrence entre les familles qui entendent
surpasser les exigences requises. Apparaissent également au cours
des années 1700 la précision des prénoms des ascendants, auparavant
uniquement désignés par leur patronyme. Le chapitre adopte finalement,
à partir des années 1710, le modèle d’arbre qui correspond aux schémas-
types désormais répandus dans les institutions ségrégatives germaniques.
J. G. Estor en publie un modèle adaptable 73 : le candidat constitue le tronc
de l’arbre dont l’arborescence se densifie à mesure que l’on remonte dans
le temps ; pour chaque aïeul est précisé son nom et son titre dans un
cartouche, surmonté des armes.
Parce qu’ils matérialisent l’essence même de la noblesse du
candidat, ces documents font l’objet d’un soin particulier. Parchemins
de prix de dimensions parfois extravagantes, armoiries savamment
réalisées et richement ornées, surmontées des heaumes de tournois qui
participent de l’illustration nobiliaire, dans un décor végétalisé, évocation
des ruines fondatrices du lignage, contribuent à en faire des pièces
d’apparat qui participent à la fois du patrimoine du lignage comme de
71. AA-S, 39 J Fonds Andlau, 87 Règlement des preuves de noblesse a faire pour l’entrée dans les
chapitres de Murbach et de Lure.
72. AA-S, 39 J 1 MI 85 : autour de 1700, les seize quartiers de la quatrième génération
sont surmontés par seize autres quartiers uniquement maternels à la cinquième génération,
portant virtuellement le nombre total de quartiers à trente-deux, les quartiers masculins
ne figurant pas pour des raisons de place.
73. Johann Georg estor, Practische Anleitung zur Anenprobe…, op. cit., p. 9s.
109
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
l’institution récipiendaire. Cette dernière les archive et peut les compiler
dans des armoriaux
74, tandis que les dames de Remiremont conservent
précieusement leur arbre dans un étui en cuir ouvragé 75.
Le reste du dossier contient ce qui étaye la véracité du document
principal 76 : des preuves de filiation, en particulier une copie de l’acte de
baptême ; des preuves de noblesse complémentaires, telle une attestation
par des témoins certifiant la noblesse du candidat ou l’appartenance
de parents à un chapitre, la preuve de la participation d’ancêtres à un
tournoi, ou encore la mention de monuments, en particulier funéraires,
qui comportent fréquemment les quartiers de noblesse des défunts
et peuvent attester de leur qualité
77. Et « chacune des preuves doit se
faire […] en originaux ou copies düement collationées et légalisées
dans touttes les formes et de façon qu’aucun de ces titres ne paraisse
aucunement suspect, les chapitres étant en droit de les renvoyer et d’en
exiger l’original
78 ». Ces documents sont alors analysés par des experts
mandatés par le chapitre.
J. G. Estor met en garde devant les nombreux écueils qui ponctuent
le parcours du candidat : des doutes sur la validité des preuves ou de
la réputation du lignage, un nom jugé inconnu s’avérant rédhibitoire.
Les impétrants craignent surtout les erreurs susceptibles de discréditer
le candidat, et par extension le lignage. Dans une lettre rédigée le
6 juin 1714, le baron Jean-Baptiste de Reinach-Hirtzbach (1669-1734),
déjà chanoine à Bâle, tance l’un de ses frères quant à l’arbre généalogique
fautif que ce dernier a fait réaliser dans le but d’être agrégé au chapitre de
74. La Bibliothèque du Grand Séminaire (Strasbourg) conserve celui du grand chapitre
de la cathédrale, les Archives d’Alsace à Strasbourg un microfilm de celui du chapitre
d’Andlau, et à Colmar celui de Murbach, malheureusement disparu des fonds. On en
trouve également un dans les archives du chapitre de Bâle à Porrentruy.
75. Françoise BoquIllon, Les Chanoinesses…, op. cit., p. 125.
76. Johann Georg estor, Practische Anleitung zur Anenprobe…, op. cit., p. 14s.
77. AA-S, 39 J 737 ; AA-C, 108 J 115 : Joseph François Hesso de Reinach, 1-4 : documents
concernant sa candidature au chapitre de Constance.
78. BMN, Ms 108 (48) Recüeille des arbres des Dames abbesses […] de Remiremont.
110
Revue d’Alsace — 2022
Wurtzbourg 79. Il y pointe « plusieurs fauttes essentielle qui pouvez faire
perdre du temps à l’égard de l’attestation de la noblesse » : plusieurs noms
d’ancêtres ont été mal orthographiés, pire encore deux arrière-grands-
mères ont été inversées par le « secrétaire » qui a réalisé le document sur
un modèle qui semble avoir été dressé par l’aîné, à partir d’un recueil
généalogique ou d’un armorial (Wappenbuch). Lorsqu’elles ne pouvaient
recourir à des généalogistes patentés, les familles produisaient donc
elles-mêmes les documents, en s’appuyant sur des sources familiales ou
imprimées. Les Reinach espéraient-ils que l’appartenance au chapitre de
Bâle suffirait à garantir la noblesse pour celui de Wurtzbourg qui réclame
manifestement au candidat de nouvelles preuves en bonne et due forme,
afin de réaffirmer le caractère hautement sélectif de l’institution ? Une
famille plus puissante aurait peut-être bénéficié d’un autre régime. En
tout état de cause, et comme cela est visible ailleurs, le processus de
probation – cette literacy de la preuve – habite littéralement la famille qui
entend appartenir au Stiftsadel, comme un élément central des stratégies
développées collectivement et un enjeu crucial que reflète le soin extrême
apporté à cette réévaluation perpétuelle de la pureté nobiliaire, malgré
les preuves faites à maintes reprises.
L’exclusivisme pratiqué par les institutions façonne les contours
d’une caste relativement fermée, aux contours théoriques incertains
et relatifs, mais dont la vertu première est davantage d’exclure et de
maintenir que d’intégrer. Ces institutions nobiliaires qui confèrent
aux filles une garantie lors de l’élaboration des mariages du fait de la
certification de leur qualité lors de leur agrégation – et de la réputation
qui en a été faite par leur titre de chanoinesse –, constituent la clef de cette
fermeture matrimoniale institutionnalisée. Elles sont ainsi devenues les
outils de la conservation et de la perpétuation, voire de la détermination
des pratiques sociales par leurs exigences, et sont donc les garantes de la
qualité biologique de la noblesse chapitrable.
79. AA-C, 108 J 95 : Jean-Baptiste évêque d’Abdera, 8. lettre du 6 juin 1714 à son frère.
Pourtant, la fratrie est déjà aguerrie puisqu’outre Johann Baptist, elle compte déjà un
prince-évêque de Bâle, Johann Conrad, auparavant chanoine, un chevalier teutonique,
Hartmann Franz, et surtout un chanoine à Wurtzbourg depuis 1696, Hans Diebold, dont
Johann Baptist reprendra le canonicat lors de sa résignation en 1718. Il est possible que la
lettre s’adresse à l’un des trois.
111
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Ces contraintes extrêmement fortes, contrepartie nécessaire
d’une illustration singulière au sein du royaume de France, semblent
progressivement être incorporées tant à l’échelle individuelle du candidat,
que collectivement par les familles, et tendent à agir profondément sur
les pratiques culturelles et sociales des lignages alsaciens.
Le prix de la réputation: une noblesse d’entre-deux
prise en étau au cours du XVIIIesiècle
La nécessité de l’ancienne noblesse alsacienne de s’intégrer dans un
cercle social étroit s’inscrit dans un contexte plus global de contraction
démographique forte de la chevalerie d’Empire
80, mais aussi de
renforcement de la mainmise de la chevalerie impériale sur les chapitres
à l’échelle de la Germania sacra. Par le potentiel politique et symbolique
qu’ils offrent, qu’il s’agisse du prestige social procuré par la probation
nobiliaire ou du rôle politique joué par les chanoines dans la cogérance des
principautés ecclésiastiques comme dans le choix des princes évêques, les
chapitres constituent un outil d’affirmation politique face aux puissances
moyennes de l’Empire qui cherchent à s’étendre par médiatisation des
territoires d’Empire 81. Quant aux ordres militaires, même s’ils ont perdu
l’essentiel de leur raison d’être au xVIIIe siècle, notamment avec la fin
des guerres austro-turques, ils sont suffisamment enkystés dans l’espace
germanique pour les teutoniques et, de façon plus transnationale, intég
pour Malte, pour conserver un certain poids à l’échelle du Saint-Empire,
et de ses relations extérieures 82. Il s’agit alors pour ces lignages de s’arc-
bouter sur ces vecteurs de distinction sociale au sein d’élites nobiliaires
françaises avec lesquelles elle se sent étrangère.
80. Hans BolDt, Deutsche Verfassungsgeschichte, t. 1 : Von den Anfängen bis zum Ende des älteren
deutschen Reiches, Munich, dtv, 1806, p. 289 : l’Empire ne compterait plus que 350 familles
appartenant à la chevalerie immédiate au début du xIxe siècle.
81. Karl Ottmar von aretIn, Heiliges römisches Reich, 1776-1806. Reichsverfassung und
Staatssouveränität, Wiesbaden, Franz Steiner, 1967, I, p. 77s., p. 83-84.
82. Danielle BuschInger et Mathieu olIVIer, Les chevaliers teutoniques…, op. cit., p. 348s. :
le maintien de commanderies en Alsace rattachées à l’autorité hiérarchique du Meistertum
de l’ordre teutonique tout en étant soumises à la souveraineté française les inscrit dans
une configuration juridique singulière qui pose des problèmes épisodiques au cours du
xVIIIe siècle. Cette configuration permet toutefois aux chevaliers teutoniques de jouir d’un
prestige certain.
112
Revue d’Alsace — 2022
L’échec d’une politique française d’entre-deux nobiliaire
et le renforcement de l’appartenance canoniale
de la chevalerie alsacienne
La législation mise en œuvre par Louis XIV, une fois la province
totalement annexée, ne fait effectivement que conserver la structure
en l’état et favoriser l’isolement des lignages alsaciens. L’agrégation aux
chapitres et aux ordres militaires, cultivée depuis le Moyen Âge, leur est
toujours permise par le roi, par les lettres patentes de 1681 et 1682
83.
Ces dernières, en sanctionnant l’inclusion de la noblesse immédiate de
Basse-Alsace dans la noblesse du Royaume, élaborent un statut singulier
qui confirme les droits et privilèges afférents à son ancien statut de vassal
immédiat de l’Empereur, tant qu’ils ne rentrent pas en contradiction avec
le plein exercice de la souveraineté royale. La nouvelle législation n’en
contraint pas moins la noblesse à se placer sous la « protection » du Roi, sans
pour autant que ne soient totalement rompus les anciens liens avec l’Empire.
De fait est conservée la possibilité pour la noblesse d’Alsace de maintenir
une présence féodale sur la rive droite du Rhin, d’entretenir des relations
étroites avec la noblesse germanique et de continuer à être agrégée aux
chapitres d’Empire, ce qui nécessite des aménagements juridiques. Un arrêt
du Conseil souverain d’Alsace, en date du 28 septembre 1737 (et confirmé
en septembre 1742), décide ainsi que le droit d’aubaine ne frapperait pas les
fiefs possédés en Alsace par les seigneurs allemands, afin de maintenir une
réciprocité entre les noblesses rhénanes à même de perpétuer les alliances
matrimoniales et la reconnaissance de la noblesse alsacienne de l’autre côté
du Rhin 84. De la même façon, les lignages alsaciens font perdurer l’absence
83. Lettres patentes du roi portant conrmation des droits et privilèges du corps de la Noblesse
immédiate de la Basse-Alsace, du mois de Mai 1779, Strasbourg, Lorenz & Schouler, 1779,
art. XXXVIII : « Les gentilshommes pourront, comme par le passé, se faire reçevoir &
entrer dans les Hauts-Chapitres d’Allemagne, en vertu des présentes, & sans qu’Ils ayent
besoin d’en obtenir & d’en représenter une permission de Nous ».
84. Arrêts notables, III, p. 79 : « c’étaient les alliances réciproques des nobles d’Alsace avec
ceux de l’Empire qui donnaient droit à la noblesse alsacienne à l’entrée dans tous les chapitres
d’Allemagne. […] Telles sont les sources qui portent dans les familles nobles d’Alsace
l’abondance et la richesse, lesquelles tariraient bientôt si on exerçait, en Empire, le droit
d’aubaine sur les Alsaciens, ou si on excluait, en Alsace, les nobles de l’Empire. Le dommage
que ressentirait la noblesse de l’observation du contraire se rend palpable par cette seule
réflexion que la province d’Alsace, eu égard à son peu d’étendue, a l’avantage d’avoir fourni,
jusqu’à présent, six fois plus de sujets qui ont rempli les places des chapitres d’Allemagne,
qu’aucune autre province de l’Empire, quelque étendue qu’elle puisse avoir ».
113
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
de reconnaissance du droit d’aînesse afin de maintenir la capacité de l’aîné
à briguer les canonicats vacants, pour des raisons à la fois opportunistes et
symboliques sur lesquelles nous reviendrons 85.
Le maintien des liens avec les chapitres et les familles allemandes
fonctionne de pair. En revanche, la chevalerie est cantonnée dans son rang.
Malgré l’argumentaire que cette dernière adresse au pouvoir royal au
début des années 1700 86, le grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg
demeure la chasse gardée des princes et comtes d’Empire, mais aussi,
par la modification de ses statuts imposée par le roi, des grandes familles
françaises qui peuvent désormais prétendre y être agrégées
87. Cette
politique complète l’ambition affichée de faire retrouver au prince
évêque de Strasbourg sa voix virile à la diète perpétuelle de Ratisbonne 88
et peut expliquer la nécessité de conserver bon gré mal gré le système de
probation par quartiers, dont l’abandon signait l’incapacité des Alsaciens
à intégrer les chapitres d’Outre-Rhin
89. Dans les deux cas cependant,
les efforts du roi se soldent par un échec sur le long terme. L’horizon
matrimonial germanique des familles alsaciennes s’avère décevant, se
cantonnant essentiellement aux familles des régions limitrophes avec
lesquelles elles ont noué des alliances récurrentes, telles les Hornstein,
Knebel, Mönch de Neuenstein, Sickingen, Stadion, Truchsess Wohlhausen
ou Ulm. La prépondérance des Montjoie et surtout des Rinck de
Baldenstein dans le chapitre et l’épiscopat de Bâle n’est guère significatif,
85. Jules krug-Basse, L’Alsace avant 1789 ou État de ses institutions provinciales et locales, de
son régime ecclésiastique, féodal et économique, de ses mœurs et de ses coutumes sous l’ancienne
administration française, Paris/Colmar, Sandoz et Fischbacher/Barth, 1876, p. 272s.
86. Bibliothèque municipale de Colmar, fonds Chauffour, Ms 15, canonicats de l’Église
cathédrale de Strasbourg, s. d., fo 316v.
87. Outre la littérature classique sur cette institution, on renverra sur la question spécifique
des ajustements opérés par Louis XIV à : Leonhard horoWskI, « Diese grosse Regelhaftigkeit
muss Ihnen frem erscheinen. Versailles, Straßburg und die Kollision der Adelspoben »,
in Elizabeth harDIng et Michael hecht (dir.), Die Ahnenprobe in der Vormoderne. Selektion-
Initation-Repräsentation, Münster, Rhema, 2011, p. 351-385.
88. Louis châtellIer, « Frontière politique et frontière religieuse. L’exemple du diocèse de
Strasbourg (1648-1790) », in Religion et piété en Alsace et Lorraine (XVIIe-XVIIIe siècles), Annales
de l’Est, 6e série, 53e année, numéro spécial (2003), p. 107-117.
89. Corinne Marchal, Un âge d’or…, op. cit., p. 45 : dans le cas comtois, la modération
du pouvoir monarchique en la matière proviendrait de la nécessité de fidéliser des élites
nobiliaires très investies dans le service militaire, mais aussi parce que ces institutions
n’étaient pas de nature à stimuler l’intérêt des élites nobiliaires du reste du royaume.
114
Revue d’Alsace — 2022
ce dernier n’occupant qu’une place géopolitique très marginale depuis
son exil à Porrentruy, celle des mêmes Montjoie et des Reinach sur les
commanderies de l’ordre teutonique ne semble pas avoir eu davantage de
bénéfice pour la France. En revanche, les chanoines alsaciens échouent à
obtenir des fonctions notables dans les chapitres d’Allemagne du sud-ouest
dans lesquels ils se font coopter, ni même une influence suffisamment forte.
On peut alors lire l’attribution des honneurs de la cour et l’élévation des
familles chevaleresques au titre de baron par l’ordonnance de Compiègne
d’août 1773
90 comme des tentatives de conserver ces familles dans la
sphère d’influence française.
En revanche, la politique interventionniste menée par la monarchie
a pour résultat de conforter la position de la chevalerie alsacienne dans
les chapitres locaux dans lesquelles elle se considère prépondérante.
En témoignent aussi bien la forte réticence des chanoinesses d’Andlau
face à l’interventionnisme royal dans l’élection des abbesses
91, que les
récriminations de la noblesse de Haute-Alsace face à la sécularisation de
Murbach et en particulier la vacance de prébendes destinées à soutenir
l’effort financier de construction du quartier canonial à Guebwiller
92.
Cumulée à une nette tendance à la fermeture matrimoniale, certes
par manque de débouchés, mais aussi en raison de la nécessité de se
maintenir collectivement dans des cercles de lignages qui assurent la
pérennité de l’accession aux institutions ségrégatives, cette politique tend
paradoxalement à isoler la noblesse alsacienne.
Un splendide isolement de la noblesse alsacienne ?
La concentration dans les chapitres s’opère simultanément avec
une concentration matrimoniale qui multiplie les alliances à l’intérieur
du petit cercle des familles chapitrables alsaciennes. Même s’il faut bien
90. Ordonnance du 6 août 1773 : « […] notre intention est, qu’à l’égard de la qualification
dont il s’agit, les choses restent dans l’état où elles étaient en 1680, et que les familles
d’anciennes noblesse de notre province d’Alsace qui jouissaient à cette époque des titres de
Herr et de Freyherr ou de Baron, continuent de prendre la qualification de Baron en tous
actes tant judiciaires qu’extrajudiciaires sans être tenus de la justifier par des diplômes ou
lettres patentes de concessions spéciales ».
91. René Metz, La monarchie française…, op. cit., p. 130.
92. Philippe légIn, « Un mémoire du directoire de la Noblesse de Haute-Alsace contre le
chapitre équestre de Murbach (vers 1774) », Archives de l’Église d’Alsace, 1983, p. 354.
115
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
se garder d’ériger d’emblée la récurrence des alliances en stratégies
matrimoniales systématisées
93, force est de constater la récurrence
forte des alliances nouées entre ces lignages. Les Andlau, Reinach,
Reich de Reichenstein et zu Rhein tendent ainsi à croiser les alliances
selon des géométries qui demeurent toutefois variables en raison d’un
fort différentiel démographique et de l’habitude prise de privilégier
l’agrégation aux institutions ségrégatives à la multiplication des alliances
matrimoniales. Il faut également tenir compte des alliances inter-branches
qui permettent de solidifier les maisons et dont la récurrence permet
de confirmer la forte solidarité intra-familiale
94 : les Andlau, Montjoie,
Reich de Reichenstein, Reinach et zu Rhein sont alliés au moins une fois
au cours des xVIe-xVIIIe siècle ; les Reinach et les Andlau, à la capacité
démographique supérieure, et très liés par 10 alliances échelonnées
dans le temps, servent de colonne vertébrale au groupe. Ces quatre
familles ne pratiquent pas pour autant d’exclusivisme forcené puisqu’ils
adjoignent un second cercle de familles qui émargent dans les chapitres
alsaciens ou voisins fréquentés par les Flachslanden, Rinck de Baldenstein,
Schauenbourg, Schönau, Wangen, Blarer de Wartensee, Eptingen ou
Truchsess de Rheinfelden.
Les entreprises de collection des preuves de noblesse menées par
certaines institutions sont justement révélatrices de la constitution de
ces cercles familiaux, à l’image de l’armorial du chapitre d’Andlau dans
lequel se succèdent les chanoinesses issues de ces familles, et dont les
arbres généalogiques scrupuleusement collationnés mettent en lumière
la récurrence des alliances, un horizon parentélaire mutualisé et disent la
volonté de constituer une véritable mémoire généalogique commune
95.
Ces collections de cas individuels produisent un régime dialectique de la
preuve, la pureté collective du Stiftsadel se pensant d’abord par la probation
de la qualité individuelle, garantie par l’appartenance aux chapitres.
93. Pierre BourDIeu, « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction »,
Annales ESC no 27, 4-5, 1972, p. 1005-1006.
94. 8 pour les Andlau, 12 pour les Reinach, 6 pour les Montjoie. L’échelle du lignage est
donc une échelle d’analyse pertinente dans la mesure où la forte solidar ité du lignage permet
d’envisager des stratégies familiales communes et non seulement pensées à l’échelle de la
branche. Ce constat ne retire pas à l’échelle de la branche sa validité. De fait, aux stratégies
communes se combinent des stratégies propres à chaque branche, dans l’orientation des
alliances ou des tropismes dans l’agrégation privilégiée à certaines institutions ségrégatives.
95. AA-S, 39 J 1MI 85.
116
Revue d’Alsace — 2022
C’est bien l’ambition de Nicolas Marquis, sacristain de Remiremont,
lorsqu’il entreprend la collection systématique des « arbres de lignes des
Dames Abbesses Doyennes et Chanoinesses de l’Eglise Saint Pierre » en
juillet 1746 96 :
Il seroit à souhaiter que l’on eut toujours été exacte à les conserver et qu’à limitation
de plusieurs Nobles et Anciens Collèges, on eut chargé quelqu’un spécialement
de ce soin ; puisque ces arbres de lignes assemblés en forme de chartulaire
contriendroient l’histoire généalogique des maisons illustres qui ont composées le
chapitre.
Chaque notice propose une lecture par quartiers paternels, puis
maternels, des huit trisaïeux aux parents. On retrouve la même ambition
dans l’ouvrage de Damian Hartard qui, sous le titre de Supériorité de la
noblesse du Saint-Empire, produit en réalité une collection alphabétique
d’arbres généalogiques de nobles allemands reçus dans les chapitres
97.
Le terme « Hoheit » renvoie aussi à la souveraineté, l’enjeu ici étant de
démontrer que la pureté de sang nobiliaire légitime le statut immédiat
de la noblesse impériale qui la place au-dessus des autres noblesses
européennes. Quant à l’ouvrage de Salver, pompeusement titré Preuves de
la haute noblesse de l’Empire germanique, il s’avère en réalité être un recueil
des preuves de noblesse utiles au chapitre cathédral de Wurtzbourg,
comme si ce dernier constituait un outil de probation de l’ensemble de la
noblesse impériale, à laquelle appartiennent de fait les Andlau, Ferrette,
Montjoie, Reinach ou zu Rhein qui émargent au chapitre 98.
Parallèlement, la procédure d’archivage systématique des preuves
de noblesse confère aux institutions ségrégatives une mission de
conservatoire de la qualité nobiliaire – qui tend du reste à se substituer
aux missions initiales de ces institutions – que les lignages sollicitent
pour obtenir des copies d’originaux ou des attestations sur la base
des archives conservées. Les archives centrales de l’ordre teutonique
pullulent ainsi de demandes émanant certes d’individus qui cherchent à
récupérer des pièces (certificats de baptême, de mariage, testaments ou
arbres généalogiques) pour constituer des dossiers de candidatures, mais
aussi de groupes de familles qui cherchent collectivement à démontrer
96. BMN, Ms 108 (48).
97. Damian Hartard hattsteIn, Die Hoheit des Teutschen Reichs-Adels…, op. cit.
98. Johann Octavian salVer, Proben des hohen Teutschen Reichs Adels…, op. cit.
117
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
leur appartenance à la chevalerie
99. Ces pièces n’émanent du reste pas
nécessairement de l’institution productrice, mais résultent bien souvent
d’opérations de collations réalisées grâce à la multiplication des cercles
auxquels on émarge.
Les recueils ne compilent pas seulement une série d’individus.
Ils sont aussi une manifestation patente des liens de parentés plus ou
moins étroits qui les unissent. Compulser les armoriaux permet de
mesurer visuellement la récurrence héraldique des familles à l’intérieur
des arbres comme d’un arbre à l’autre : des familles se distinguent par
leur forte itération dans l’ascendance des chanoinesses ; des séquences
généalogiques de quatre, voire huit quartiers, se répètent de façon quasi
identiques, mettant en lumière un cousinage qui n’est pas toujours
perceptible de prime abord par les seuls degrés les plus récents, mais qui
apparait flagrant dans les troisième et quatrième degrés. La collection
des arbres étaye donc cette mémoire généalogique par une accessibilité
rendue immédiate de la lointaine ascendance et rend tangible le
substrat généalogique commun à une bonne part des chanoines et
chanoinesses qui dessine alors les contours d’une endogamie forte,
du reste revendiquée lors des recrutements
100. Si l’on considère 685
sur les 704 quartiers 101 des 44 chanoinesses agrégées à Andlau à partir
de 1716, au moment où la présentation des arbres généalogiques
compilés dans l’armorial se stabilise, jusqu’à la Révolution, 129 familles
apparaissent dans l’ascendances des chanoinesses issues de 25 familles.
Alors que 101 familles ne fournissent qu’entre 1 et 10 quartiers en
tout, 4 familles fournissent à elles seules près de 30 % des quartiers des
99. Leopold neDoPIl, Deutsche Adelsproben…, op. cit., par ex. : 82. attestation de
Ritterbürtigkeit et armoiries du chapitre de Worms pour les familles Andlau, Ostein,
Schauenbourg et Truchsess de Wohlhausen, datée du 20 septembre 1756 ; 84. attestation
de la chevalerie du Brisgau pour les familles Andlau, Truchsess de Rheinfelden, Schoenau
et Holzapfel de Herxheim, datée du 14 septembre 1758 ; 595. attestation du chapitre
de Bâle pour les Blarer de Wartensee, Reich de Reichenstein, Holzapfel de Herxheim,
Roggenbach, zu Rhein, Nagel von der alten Schönenstein, Reinach, Roll, Schoenau, Munch
de Rosenberg, Stadion et Ferrette, datée du 11 avril 1758.
100. AA-C, 10 G 1. Sollicitation de dispense à l’évêque de Bâle pour les demoiselles de
Beroldingen et de Ferrette, 1755 : les chanoinesses argumentent en mettant en avant non
seulement les vertus des deux aspirantes, mais aussi le fait que « ces deux demoiselles [qui]
comptent parmy leurs parents plusieurs Dames du chapitre ».
101. AA-S, 39 J 1 MI 85 : 19 quartiers n’ont pu être identifiés du fait de la mauvaise
reproduction de l’armorial.
118
Revue d’Alsace — 2022
chanoinesses : les Reinach (84 quartiers), Andlau (41), zu Rhein (37) et
Reich de Reichenstein (30). Si les Reinach sont surreprésentés parmi
les 44 chanoinesses (7), les Andlau ne procurent qu’une chanoinesse sur
la période, les Reich de Reichenstein 4 et les zu Rhein 2. En élargissant
la focale, on voit apparaitre dans cette ascendance commune d’autres
lignages qui produisent un nombre important de quartiers comme
les Eptingen (25 quartiers, 1 chanoinesse), les Ferrette (24 quartiers,
3 chanoinesses), les Schönau et les Truchsess de Rheinfelden
(18 quartiers, 3 chanoinesses), mais aussi des familles qui ne sont pas
présentes dans les effectifs canoniaux comme les Rogenbach (19),
Schauenbourg (18), Mönck de Neuenburg et Truchsess de Wohlhausen
(15) ou encore les Sickingen (14) et les Kageneck (13) qui dessinent
un cercle étroit de familles de la chevalerie sise sur les deux rives du
Rhin et alliées de longue date. Enfin la présence de familles du Stiftsadel
rhénan comme les Dalberg (6 quartiers), les Eltz (3) ou les Stadion
(8) mettent en lumière le substrat parentélaire commun à la « galaxie »
chapitrale qui permet à des lignages géographiquement éloignés comme
les frioulans Thurn Valsassina de faire également leur entrée à Andlau,
mais aussi à Masevaux qui accueille même une Stadion 102. Du reste, le
recrutement des trois chapitres alsaciens de dames s’effectue dans un
cercle parentélaire commun, voire même au sein d’une même fratrie 103.
Nous retrouvons donc à Andlau une bonne part du noyau de
familles du Stiftsadel (28 % des quartiers) – les Flachslanden, Montjoie
et Rinck de Baldenstein étant quelque peu sous représentés (13 quartiers
seulement à eux trois) –, comme de leur nébuleuse matrimoniale
identifiée précédemment, qui représente près de 50 % des quartiers
pour une dizaine de familles seulement. Cet entre-soi permet ainsi de
maintenir une ascendance collective qui assure la pérennité de l’entrée
dans des chapitres qui sont partiellement maîtrisés par ces lignages ou par
leurs proches parents. Marc Glotz a bien mis en lumière la subtilité des
réseaux canoniaux qui agissent en sous-main des mariages que les Reinach
102. AA-C, 10 G 2/10, fo 8, fo 532.
103. À titre d’exemple, deux des sœurs de la dernière abbesse de Masevaux, Xavière de
Ferrette, sont chanoinesses à Andlau et Ottmarsheim.
119
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
contractent avec leurs proches alliés pour faire perdurer un système qui
leur garantit les maigres « dividendes du monopole » (C. Duhamelle 104)
apportés par des prébendes quasi « patrimonialisées 105 ».
Ce constat a également pu être observé à l’échelle du chapitre de
Bâle. L’étude fine des parentèles à travers la prosopographie des chanoines
bâlois fait apparaître la systématisation du cousinage pour un nombre
croissant d’entre eux et le rôle moteur des puissants du chapitre, qui
confirme l’intérêt d’y faire carrière pour atteindre autant que possible les
plus hautes marches du trône épiscopale, si ce n’est le trône lui-même 106.
Parvenir jusqu’à ce dernier s’avère toutefois extrêmement lucratif pour
les familles. C’est le cas des Rinck de Baldenstein qui bénéficient de
l’élection de Jacob Christoph Blarer von Wartensee en 1575 pour intégrer
le cercle des familles « bâloises
107 » : ils donneront à Bâle trois princes-
évêques dont Wilhelm qui prend la succession de son oncle dès 1608,
huit chanoines sur quatre générations 108, mais aussi des officiers curiaux,
en particulier celle de grand maître de la cour du prince évêque. Cette
pratique appuyée du népotisme permet d’identifier fortement la famille
au chapitre de Bâle et de renforcer son illustration, lui ouvrant les portes
d’autres institutions ségrégatives : un chevalier teutonique, un chevalier de
Malte, deux chanoines d’Eichstätt, dont un exerça également la fonction
de coadjuteur, sept nonnes, prieures ou abbesses, un abbé de Saint-Gall
et un autre de Murbach. En somme, sur 29 individus répartis sur cinq
générations, six filles et treize garçons furent intégrés dans des institutions
104. Marc glotz, Antoine de Reinach Hirztbach (1741-1815), de l’Ancien Régime à l’ordre nouveau,
Altkirch, Société d’histoire du Sundgau, 2000, ch. II. On renverra également à l’analyse que W.
Godsey fait des mécanismes d’intégration de la chevalerie immédiate d’Empire dans le Stiftsadel
à partir du cas des Coudenhove : William D. goDsey Jr., Nobles and Nation…, op. cit., p. 190-197.
105. Voir les réflexions de C. Duhamelle dans : Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif…,
op. cit., p. 82.
106. Catherine Vosshart-Pfluger, Das basler Domkapitel…, op. cit., p. 171-325.
107. Patrick Braun, Joseph Wilhelm Rinck von Baldenstein…, op. cit., p. 26.
108. Peter herrsche, Die Domkapitel…, op. cit. : 1589, 1640, 1655, 1732, 1740, 1751,
1768, 1789. La génération des enfants nés vers 1670-1680 s’est réduite à un garçon et une
fille, empêchant les vocations canoniales, ce qui n’empêcha pas les Rinck de Baldenstein
d’être présents au chapitre par l’exercice de la charge de grand maître de la cour (Joseph
Wilhelm, 1672-1752) et par la présence de nombreux cousins.
120
Revue d’Alsace — 2022
ségrégatives, trois garçons enfin exercèrent des charges curiales au sein
de la principauté épiscopale. Cette analyse peut être étendue aux autres
lignages, mais aussi au cas des ordres militaires 109.
Et ce n’est pas un hasard si le chapitre de Masevaux mandate
un chanoine de Bâle et un chevalier teutonique, issus de deux familles
éminentes, Andlau et Rinck de Baldenstein, pour étudier les preuves de deux
aspirantes, les baronnes Thurn et Tschudi, en 1759
110. Conservatoires de la
pureté nobiliaire, ces institutions ségrégatives sont ainsi étroitement liées par
une garantie collective du groupe qui opère une généralisation de pratiques
révélatrices d’une articulation profonde et systémique entre les lignages et
les institutions et dessine les contours d’un véritable écosystème chapitral.
Une anthropologie du Stisadel alsacien:
les stigmates de la chapitrabilité
Les lignages qui apparaissent les plus investis dans les institutions
ségrégatives, et donc les plus soumis aux contraintes d’une économie
chapitrale de la parenté, présentent indubitablement des marques
spécifiques au regard d’autres noblesses, ce qu’a pu souligner
C. Duhamelle dans le cas du Stiftsadel rhénan 111. Des pratiques singulières
mais récurrentes qui imprègnent profondément et durablement le lignage
à tel point qu’on peut se poser la question d’une anthropologie spécifique
de la chapitrabilité.
Il s’agit tout d’abord de l’économie de l’agrégation. Le choix de
diriger prioritairement les aînés vers les carrières canoniales est d’autant
moins anodin que la fréquence de cette pratique ne peut simplement relever
d’un opportunisme qui consisterait à occuper la place. Il s’agit semble-t-il
d’une inflexion au regard des pratiques observées par Georges Bischoff
jusqu’au xVIe siècle encore, alors même que l’Église constitue déjà un
débouché important pour nos familles
112. Le choix de l’aîné, auquel on
réserve en théorie la mission de perpétuer le lignage – même si le droit
de succession qui continue à s’appliquer ici reste le droit germanique qui
109. Marc glotz, Antoine de Reinach… op. cit., p. 48s.
110. AA-C, 10 G 2 10, fo 531.
111. Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif…, op. cit., en particulier ch. X.
112. Georges BIschoff, Noblesse, pouvoirs et société. Les Pays antérieurs de l’Autriche (milieu
XIVe siècle - milieu XVIe siècle), thèse de doctorat d’État, université de Strasbourg, 1997, t. II,
p. 423-430.
121
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
procède en théorie par partage entre tous les héritiers, plutôt que par
droit d’aînesse – s’avère hautement symbolique. Davantage peut-être
que la perpétuation du lignage, ce qui compte est la perpétuation de la
présence dans l’institution chapitrale qui habite littéralement le lignage
et lui confère son prestige par la réitération d’une agrégation qui prouve
la pureté nobiliaire et l’appartenance perpétuée à un cercle de familles
chapitrables qui procèdent par reconnaissance mutuelle.
La multiplication des agrégations aux chapitres, abbayes et, dans une
moindre mesure, dans les ordres chevaleresques, peut, elle, certes être
lue comme une manière d’alléger la masse des héritiers, tout en conférant
à ceux qui sortent un revenu à la hauteur de leur rang. La proportion
exceptionnelle de 60 à 90 % d’enfants placés dans ces institutions ne
cesse toutefois d’interpeler à un moment où progressent les moyens de
limitation des naissances. À l’image d’autres groupes nobiliaires cultivant
un certain exclusivisme matrimonial et adossés à des institutions qui
contribuent fortement à l’élaboration d’une identité propre, ces familles
alsaciennes maintiennent une forte fécondité dans la seconde moitié du
xVIIIe siècle, surprenante au regard des constatations de Michel Nassiet
sur le malthusianisme forcené développé par la noblesse française qui mène
à des étiages démographiques autour d’un à deux enfants atteignant l’âge
adulte par couple 113. Conserver des descendances nombreuses constituait
un moyen d’affirmer l’appartenance à ces institutions d’autant plus que la
proportion des membres du lignage qui intègrent ces institutions devient
au fil des générations de plus en plus significatif. Si l’on considère les six
générations s’étalant du milieu du xVIIe à la fin du xVIIIe siècle, 35 %
des membres de la famille Andlau émargent à au moins une institution
ségrégative, 38 % des Reich von Reichenstein, 44 % des Reinach, 53 %
des Montjoie et 58 % des zu Rhein
114. Restreindre l’étude aux trois
dernières générations avant 1800 fait apparaître un renforcement de
113. Michel nassIet, « Les effectifs de la noblesse en France sous l’Ancien Régime », in
Jaroslaw DuManoWskI et Michel fIgeac (dir.), Noblesse française et noblesse polonaise. Mémoire,
identité, culture, XVIe-XXe siècles, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006,
p. 19-45, en particulier p. 36-37.
114. Comptages à partir de Detlev schWennIcke, Europäische Stammtafeln. Stammtafeln zur
Geschichte der europäischen Staaten, Neue Folge, t. XI : Familien von Mittel- und Oberrhein und aus
Burgund, Marburg, Stargardt, 1986, taf. 89-101 (Andlau), taf. 104-118 (Reinach), taf. 149-
152 (Froberg-Montjoie) ; Françoise BoquIllon, Les chanoinesses…, op. cit., p. 200 (zu Rhein)
et Michel aDaM-rey, Histoire d’une famille de la Regio Basiliensis, Les Reich de Reichenstein, t. II,
Publication du Cercle d’histoire de Hégenheim, 2019, tables généalogiques.
122
Revue d’Alsace — 2022
la présence dans ces institutions : 40 % des Andlau, 50 % des Reich de
Reichenstein, 53 % des Reinach, 60 % des Montjoie et 79 % des zu Rhein.
Ces proportions, tout comme le niveau de fécondité de ces familles se
situe dans une fourchette très haute au regard des chiffres constatés par
C. Duhamelle pour la chevalerie rhénane 115. De fortes disparités peuvent
toutefois apparaître entre les différentes branches des familles. Les Andlau-
Birseck ou Andlau-Andlau placent la moitié de leurs membres dans les
chapitres, les Andlau-Hombourg légèrement moins, mais pratiquent
davantage le cumul des canonicats, tandis que les deux branches tournées
vers Versailles et Vienne délaissent les chapitres au profit des cours.
Cette concentration sur les institutions ségrégatives a comme
conséquence un très net rétrécissement du champ matrimonial au profit
d’un cercle restreint de familles chapitrables, renforçant à la fois l’entre-
soi et la nécessaire solidarité de groupe. Le jeu des agrégations massives,
des carrières au sein de l’institution et les pratiques de prédation
des prébendes par cumul des canonicats, mais aussi la possibilité de
renonciation constituent une mécanique bien huilée qui permet de
soutenir le poids des descendances nombreuses et, tout en mettant en
lumière, une certaine dextérité de la part de ces familles qui semblent
avoir totalement incorporé la dimension chapitrale dans leurs pratiques
sociales.
À l’image de la noblesse d’Empire, la noblesse alsacienne a opté
pour des pratiques socio-culturelles conditionnant fortement l’économie
de la parenté : le maintien d’une pureté nobiliaire garantie par des
institutions dont les règles d’agrégation, hautement sélectives, obligent
à une autodiscipline matrimoniale à l’échelle de l’individu, du lignage
comme du groupe aristocratique fédéré par l’appartenance commune à
ces institutions. En ce sens, ce cercle de familles de la vieille chevalerie
alsacienne tend à se muer en Stiftsadel et à approfondir son intégration à la
galaxie chapitrale par deux leviers intrinsèquement liés : la multiplication
et la diversification géographique des canonicats et les liens parentélaires
renforcés avec une chevalerie immédiate régionale, comme le lui
permettent les lettres patentes de 1681-1682, mais aussi plus éloignée,
celle des grandes familles des chapitres rhénans.
115. Christophe DuhaMelle, L’héritage collectif…, op. cit., p. 232-236.
123
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Les choix de cette partie de la noblesse alsacienne la projettent
donc dans un environnement social qui lui offre les moyens d’une
distinction fondée sur la pureté nobiliaire, qui perpétue les vieux discours
de la noblesse germanique, et que l’on peut lire soit comme un moyen
d’ascension sociale, soit comme une échappatoire face au changement
de configuration géopolitique. Cette stratégie est toutefois lourde de
conséquence et se fait au prix d’un isolement croissant. Plutôt qu’un
moyen d’ouverture, l’entre-deux est ici synonyme d’enfermement.
Cette parenté « fétichisée
116 » l’isole dans des pratiques matrimoniales
stérilisantes qui la maintiennent dans la fiction d’une éminence sociale
héritée des temps passés, comme en témoigne encore l’argumentaire
développé en 1773, lorsqu’il s’agit de revendiquer le titre de baron
au roi de France en équivalence de dignités impériales, en justifiant
leur prétention non par l’obtention d’un quelconque diplôme, mais
par l’acquisition de l’illustration nobiliaire par la seule filiation, sans
« dégénération ». L’argumentaire reprend ici très nettement les attendus
des dossiers de candidature aux chapitres
117. En août 1789, le même
argumentaire sera repris, à l’adresse de « l’assemblée nationale » (entre
guillemets) pour démontrer la nécessité de maintenir à l’antique noblesse
d’Alsace ses privilèges 118. D’une certaine manière, la noblesse alsacienne
n’avait alors plus les moyens de sa politique parentélaire qui, plutôt que
de la rendre plus vigoureuse, l’avait irrémédiablement affaiblie.
116. Pierre Bonte, Enric Porqueres I gené et Jérôme WIlgaux (dir.), L’argument de la
liation. Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes, Paris, Éditions de la Maison
des Sciences de l’Homme, 2011, p. 28.
117. BNUS, M 21618, Mémoire pour prouver que la Maison de Landsperg a droit de continuer
à prendre le titre de Baron, Colmar, Decker, 1773 ; Bibliothèque nationale de France,
4oF.3.35989, Mémoire pour prouver que la famille de Waldner a droit de prendre le titre de Baron,
Colmar, Decker, 1773.
118. Mémoire pour la noblesse immédiate…, op. cit.
124
Revue d’Alsace — 2022
Résumé
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
Économie symbolique de la parenté et ancrage dans les chapitres
nobles et les ordres militaires, 1650-1800
Cet article propose de relire les évolutions socio-politiques de la
noblesse alsacienne à la lumière de son lien étroit et renforcé aux chapitres
nobles et aux ordres militaires au cours de la seconde modernité. Alors
que l’intégration progressive de l’Alsace dans le royaume de France
aurait dû favoriser un élargissement de ses horizons matrimoniaux, la
vieille chevalerie alsacienne entame un processus de repli centré sur ces
institutions qui offrent non seulement des avantages lucratifs, mais aussi
la garantie d’une pureté de sang qui la distingue au sein de la noblesse
française. Les procédures de probation nobiliaire à chaque agrégation
génèrent des contraintes fortes qui obligent ces familles à pratiquer une
discipline matrimoniale stricte lui permettant de se maintenir dans un
cercle fortement endogamique. S’en trouvent favorisées une fermeture
du groupe et des pratiques sociales singulières susceptibles de rapprocher
la vieille noblesse alsacienne des noblesses chapitrales (Stiftsadel) d’Outre-
Rhin.
Zusammenfassung
Der alte elsässische Adel, ein Stisadel?
Symbolische Ökonomie der Verwandtscha und Verankerung
in Adelskapiteln und Militärorden, 1650-1800
Dieser Artikel schlägt vor, die sozio-politischen Entwicklungen des
elsässischen Adels im Lichte seiner engen und verstärkten Verbindung mit
den Adelskapiteln und den Militärorden während der zweiten Moderne,
zu betrachten. Während die schrittweise Eingliederung des Elsass in das
französische Königreich eine Erweiterung seiner ehelichen Horizonte
hätte begünstigen sollen, beginnt die alte elsässische Ritterlichkeit
einen Rückzugsprozess, der sich auf jene Institutionen konzentriert,
die nicht nur lukrative Vorteile bieten, sondern auch die Reinheit des
Blutes garantieren, die sie innerhalb des französischen Adels auszeichnet.
Die Verfahren der adligen Bewährung bei jeder Aggregation erzeugen
125
La vieille noblesse alsacienne, un Stisadel ?
starke Zwänge, die diese Familien nötigen, eine strenge Ehedisziplin zu
praktizieren, die es ihnen ermöglicht, sich in einem stark endogenen Kreis
zu halten. Dies begünstigt eine Abschottung der Gruppe und besondere
soziale Praktiken, die geeignet sind, den alten elsässischen Adel mit dem
rechtsrheinischen Stiftsadel zu vergleichen.
Summary
The old Alsatian aristocracy, a ‟Stisadel”?
The symbolic role of relatives and their presence in noble and
military bodies. 1650-1800
This contribution aims at reinterpreting the socio-political evolution
of the Alsatian nobility in the light of its definitely close relationship
with the noble and military bodies in the second phase of modernity.
While the gradual integration of Alsace into the French kingdom should
logically have encouraged wider marriage perspectives, the venerable
Alsatian aristocracy remained staunchly self-centered, which, not only
provided financial incomes, but also guaranteed that “racial purity” would
differentiate them from their French counterparts. The systematic search,
generation after generation, for proofs of nobility, whenever a marriage
was planned among noble families, entailed a very strict endogamous
marriage discipline. As a consequence, the rather exclusive social attitudes
of the venerable Alsatian aristocracy would make them feel closer to the
German aristocratic institutions (Stiftsadel).
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Extrait de l'acte de fondation d'une demoiselle pensionnaire au monastère de la Visitation de Nancy, f o 1v : la fondatrice, la comtesse de Rottembourg, exige que toute candidate soit « d'extraction à pouvoir être recue dans l'un des trois chapitres de la province d'Alsace, à savoir de Masmünster
  • Aa-C
AA-C, 10 G 1, Extrait de l'acte de fondation d'une demoiselle pensionnaire au monastère de la Visitation de Nancy, f o 1v : la fondatrice, la comtesse de Rottembourg, exige que toute candidate soit « d'extraction à pouvoir être recue dans l'un des trois chapitres de la province d'Alsace, à savoir de Masmünster, d'Andlau et d'Ottmarsheim ».
Formulaires-types pour la présentation à un canonicat à Wurtzbourg, s. d
  • Aa-C
AA-C, 108 J fonds Reinach 95, 11-16. Formulaires-types pour la présentation à un canonicat à Wurtzbourg, s. d.
Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme
  • Pierre Bonte
Pierre Bonte, Enric Porqueres I gené et Jérôme WIlgaux (dir.), L'argument de la filiation. Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2011, p. 28.
Mémoire pour prouver que la Maison de Landsperg a droit de continuer à prendre le titre de Baron
  • Bnus
BNUS, M 21618, Mémoire pour prouver que la Maison de Landsperg a droit de continuer à prendre le titre de Baron, Colmar, Decker, 1773 ; Bibliothèque nationale de France,