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Quelles expériences intimes et pratiques effectives de la course à pied quantifiée ? Étude des usages « ordinaires » des montres connectées chez des coureurs et coureuses amateur.es à partir d’une auto-explicitation en temps réel

Authors:

Abstract

Abstract: This article focuses on the lived experience and the actual practices of self-quantified running, provided by wearable digital devices that measure its performance and their biological correlates. Sixteen regular runners, with a high-level of education and who have been self-measuring for many years have been studied. According to a phenomenological approach based on a methodological device combining real-time self-explanations (n=32) and semi-directive interviews (n=16), our objective is to document, among those who persist in self-measurement, the “daily” uses of the connected tools as well as the “ordinary” modes of interaction that they institute towards them. We identify three types of expert uses incorporated in order to quantify themselves while continuing to take pleasure: temporal differentiation and alternation; adjustment of the goals; contextualization of the data. Depending on their degree of cognitive and explicit elaboration, these uses are more “tactical” or deliberate “strategies”, forged by runners who have learned to interact with the connected watch to the point where it degrades no longer the quality of their body experiences.
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Loisir et Société / Society and Leisure
ISSN: (Print) (Online) Journal homepage: https://www.tandfonline.com/loi/rles20
Quelles expériences intimes et pratiques
effectives de la course à pied quantifiée? Étude
des usages « ordinaires » des montres connectées
chez des coureurs et coureuses amateur.es à
partir d’une auto-explicitation en temps réel
Matthieu Quidu & Brice Favier-Ambrosini
To cite this article: Matthieu Quidu & Brice Favier-Ambrosini (2022): Quelles expériences intimes
et pratiques effectives de la course à pied quantifiée? Étude des usages « ordinaires » des montres
connectées chez des coureurs et coureuses amateur.es à partir d’une auto-explicitation en temps
réel, Loisir et Société / Society and Leisure, DOI: 10.1080/07053436.2022.2140978
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Published online: 06 Dec 2022.
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Quelles expériences intimes et pratiques effectives de la course à pied
quantifiée? Étude des usages « ordinaires » des montres connectées
chez des coureurs et coureuses amateur.es à partir d’une auto-
explicitation en temps réel
Matthieu Quidu
a
and Brice Favier-Ambrosini
b
a
Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le Sport, Université Lyon 1, Villeurbanne,
France;
b
Département des sciences de l’éducation – Éducation Physique et à la Santé, Université
du Québec à Chicoutimi, Québec, Québec, Canada
Cet article s’intéresse à l’expérience vécue de la course à pied autoquantifiée digita-
lement. Ont été étudiés 16 pratiquants réguliers, fortement diplômés et s’automesu-
rant de longue date, et ce, au moyen d’une approche phénoménologique croisant des
auto-explicitations en temps réel et des entretiens semi-directifs. L’objectif consistait
à documenter, chez ceux qui persistent dans le self-tracking, les modes « ordinaires »
d’interaction avec les outils connectés. Sont identifiés trois types d’usages experts
incorporés permettant de se mettre en chiffres tout en continuant à prendre du plaisir :
la différenciation et l’alternance temporelles ; l’ajustement in situ des objectifs ; la
contextualisation des données. Suivant leur degré d’élaboration cognitive, ces utili-
sations relèvent davantage de « tactiques spontanées » ou de « stratégies délibérées » ;
elles ont, dans tous les cas, été forgées par des coureurs ayant appris (à interagir avec)
leur montre au point que celle-ci ne dégrade plus la qualité de leurs expériences
sportives.
Mots clés: course à pied; autoquantification; montre connectée; phénoménologie;
expérience sportive
This article focuses on the lived experience and the actual practices of self-quantified
running provided by wearable digital devices that measure performance and their
biological correlates. Sixteen regular runners, with a high level of education and who
have been self-measuring for many years, were studied. Using a phenomenological
approach combining real-time self-explanations (n = 32) and semi-directive inter-
views (n = 16), the authors’ objective is to document, among those who continue with
self-measurement, the “daily” uses of the connected tools as well as the “ordinary”
modes of interaction that are established. The authors identify three types of expert
uses incorporated which allow the runners to quantify themselves while continuing to
have fun: temporal differentiation and alternation; adjustment of the goals; and
contextualization of the data. Depending on their degree of cognitive and explicit
elaboration, these uses are more like “daily tactics” or “deliberate strategies”
Corresponding author: Matthieu Quidu matthieu.quidu@univ-lyon1.fr Laboratoire sur les Vulné-
rabilités et l’Innovation dans le Sport, Université Lyon 1, (L-ViS, EA 7428, Université Lyon 1),
Villeurbanne, France
Rattachement institutionnel de l’étude : Laboratoire sur les Vulnérabilités et l’Innovation dans le
Sport (L-ViS, EA 7428, Université Lyon 1).
Loisir et Société / Society and Leisure, 2022
Vol. 00, No. 00, 1–44, https://doi.org/10.1080/07053436.2022.2140978
© 2022 Université du Québec à Trois-Rivières
developed by runners who have learned to interact with their connected devices to the
point where they no longer affect the quality of their sporting experiences.
Keywords : running; self-quantification; connected watches; phenomenology; sport
experience
1. Introduction
1.1. Autoquantification en course à pied et qualité de l’expérience vécue
Le recours à la quantification dans le domaine sportif en général – et de la course à pied
en particulier n’a, en lui-même, rien d’un phénomène inédit (Delalandre, 2009). Cette
pratique, renouvelée par l’émergence du data tracking (Dalgalarrondo, 2018), était
toutefois originellement réservée aux sportifs
1
de haut niveau et prise en charge par
l’entraîneur afin d’objectiver les progrès de son athlète et de réguler son programme de
préparation. Bien différentes sont les pratiques contemporaines d’autoquantification de la
course à pied que nous étudions ici, puisqu’elles concernent des coureurs amateurs,
n’évoluant plus exclusivement dans le cercle restreint de l’élite compétitive. Ceux-ci
décident d’utiliser de façon plus ou moins rigoureuse, systématique et durable des
dispositifs numériques portatifs (montres ou bracelets connectés, applications mobiles
équipées d’un système de géolocalisation) en vue de mesurer leurs propres performances
(distance, vitesse au kilomètre, temps de passage) ainsi que leurs corrélats biologiques
(dont la fréquence cardiaque). Il s’agit de bien saisir la différence de nature qui sépare,
dans l’univers sportif, ces deux genres de pratiques quantificatrices, et ce, bien qu’elles
travaillent globalement sur les mêmes types de paramètres (Pharabod et al., 2013). La
banalisation de cette utilisation, autogérée et à usage privé, du self-tracking
2
a été rendue
possible par la conjonction de la miniaturisation des appareils de collecte, de leur
digitalisation et de la diminution de leur coût d’acquisition. S’en est suivie, à partir de
2010, une croissance économique fulgurante du marché, sous l’impulsion des leaders
mondiaux qu’ont été les bracelets Fitbit, les montres Apple Watch ou les applications
comme Runkeeper (Rail, 2016).
Lupton (2020) constate toutefois, depuis peu, un net ralentissement du marché qui
pourrait être la conséquence d’un taux particulièrement élevé d’abandon des outils, le
plus souvent après une période restreinte d’utilisation. Ainsi, selon Clawson et al. (2015),
un tiers des consommateurs américains ayant possédé un dispositif portatif a cessé de
l’utiliser dans les six mois consécutifs à son acquisition; par ailleurs, la moitié de ces
détenteurs ne l’utilise plus du tout. De multiples travaux psychologiques et sociologiques
ont tenté d’investiguer les processus menant à l’abandon des pratiques d’autoquantifica-
tion, notamment dans le cadre des activités sportives. Mentionnons à cet égard la
synthèse de Quidu (2020) pour qui ces désengagements massifs pourraient correspondre
à la réponse ultime de pratiquants confrontés à une dégradation substantielle de la qualité
de leur expérience sportive sous l’effet d’un usage dysfonctionnel de l’autoquantifica-
tion. Plus précisément, Quidu formalise deux mécanismes centraux par lesquels celle-ci
pourrait altérer profondément le vécu dans l’activité et la possibilité d’y vivre des
relations « résonantes
3
». L’automesure pourrait tout d’abord inhiber la possibilité de
résonance, car, en référence à Etkin (2016), elle catalyserait une transformation délétère
de la dynamique motivationnelle des pratiquants par un recentrage prioritaire sur leur
productivité, qui tendrait à les éloigner d’un plaisir et d’une motivation intrinsèques
4
à
2 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
l’activité (Attig et Franke, 2018; Granjon et al., 2011) tout en générant de l’anxiété et de
la culpabilité (Togstad et Alsos, 2018). En effet, chez les sportifs dont le sentiment de
compétence est faible, les chiffres sont perçus davantage comme une « menace » pour
l’estime personnelle que comme un « défi » stimulant (Cury, 2004). Le dispositif
numérique pourrait ensuite constituer une source récurrente de distractions attentionnel-
les (Till, 2019), à l’origine d’une surcharge cognitive (Norman, 2013), empêchant
l’acteur d’être pleinement immergé dans l’ici-et-maintenant de son expérience (Kristen-
sen et Ruckenstein, 2018; Verchère, 2016).
Il nous semble toutefois impératif de nuancer le « champ de pertinence » (Lahire,
1998) d’un tel scénario explicatif : en effet, tous les coureurs à pied ayant commencé à
s’autoquantifier n’ont pas abandonné cette pratique, y compris à l’issue de la phase
initiale de « séduction et d’enthousiasme pour la nouveauté » estimée à trois mois (Shin
et al., 2018). Or, si l’on considère que le plaisir et la motivation intrinsèques constituent
les principaux prédicteurs de la persistance dans une activité (Deci & Ryan, 2000; Perrin,
1993),
5
alors force est de reconnaître que certains sportifs amateurs continuent à vivre
des expériences hédoniques voire à éprouver des relations résonantes dans le cadre de
leur activité de course à pied quantifiée. S’étant principalement focalisés sur les condi-
tions d’entrée dans l’autoquantification (Maltseva & Lutz, 2017; Pfeiffer et al., 2016), les
travaux interrogeant les processus sous-tendant un engagement durable dans le self-
tracking s’avèrent finalement assez rares. Dans une perspective psychologique et expé-
rimentale, Etkin (2016) démontre qu’un sentiment de compétence élevé, un haut niveau
initial de motivation intrinsèque pour l’activité ou encore la fixation de buts précis
constituent des facteurs protecteurs contre le risque de détérioration de la qualité de
l’expérience sportive sous l’effet de l’automesure. Dans le cadre d’une « ethnographie
sensorielle », Pink et al. (2017) ou encore Lupton et al. (2018) montrent pour leur part
comment, chez des cyclistes réguliers, la persévérance dans le self-tracking tient à
l’incorporation de micro-routines quotidiennes ouvertes aux improvisations et aux adap-
tations, permettant de renforcer le sentiment d’accomplissement. Mentionnons enfin
l’étude sociologique de Pharabod (2019) qui souligne que les utilisateurs réguliers de
podomètres connectés sont parvenus à construire un regard « bienveillant » sur eux-
mêmes, notamment en ajustant leurs objectifs aux contraintes des situations vécues et en
relativisant l’influence potentiellement anxiogène d’une norme fixe et extrinsèque
faire ses 10 000 pas »).
Dans le prolongement de ces études et complémentairement à la riche littérature sur
l’abandon du self-tracking, la présente contribution, s’inscrivant dans le cadre d’une
posture compréhensive qui sera détaillée ci-après, s’intéresse à des pratiquants réguliers,
assidus et de longue date de la course à pied digitalement quantifiée. Notre objectif
consiste à documenter, chez ceux qui persistent dans l’automesure, les expériences
intimement vécues, les pratiques effectives, les usages « quotidiens » des outils connectés
ainsi que les modes « ordinaires » d’interaction qu’ils instaurent à leur égard. Comme
l’indiquent Lupton et al. (2018, p. 660), « nous soutenons qu’il est essentiel de se
concentrer sur les pratiques ordinaires pour comprendre comment les pratiques numéri-
ques d’autodiagnostic et les traces numériques qu’elles génèrent sont devenues routiniè-
res et considérées comme allant de soi dans la vie quotidienne ».
6
Notre posture se
rapproche ainsi de l’attention accordée par Dalgalarrondo et Fournier (2019, p. 642), au
« quotidien » afin
[d’]observer comment les individus s’approprient les promesses mélioratives, adoptent ou
rejettent les injonctions morales du marché de la performance, de la santé et du bien-être
Loisir et Société / Society and Leisure 3
[. . .]. C’est aussi dans ce régime de l’ordinaire et du quotidien que se forgent, dans l’intimité
de l’expérience et de la découverte de nouvelles potentialités, des usages alternatifs, des
détournements, des décalages aussi discrets qu’instructifs.
C’est en effet à la mise en lumière de ces « usages alternatifs » et de ces « détournements »
que nous consacrons cette étude, attentive tout à la fois aux pratiques effectives de
l’autoquantification et à l’intimité des expériences qui y sont vécues. Plus précisément,
nous émettrons l’hypothèse que, si les sujets étudiés persistent dans la course à pied et son
autoquantification, c’est qu’ils continuent à y vivre des expériences de qualité, aussi bien
d’un point de vue affectif que sensoriel, et ce, grâce à l’incorporation d’usages adaptés et
non nuisibles, pour eux, de la montre connectée. Ceux-ci témoignent de l’atteinte d’une
certaine forme de « maîtrise de soi » ou « sagesse pratique » (Lefebvre et Tordesillas,
2009). Notre ambition résidera dans la formalisation de la diversité de ces
« techniques de soi », au sens foucaldien de « bricolage entre des normes et des possibles,
des injonctions et des préférences » (Dalgalarrondo et Fournier, 2019, p. 642). Suivant leur
degré d’élaboration consciente, celles-ci prendront davantage la forme de « tactiques
7
» ou
de stratégies.
8
Combinées, elles permettent de compenser la dégradation potentielle de la
qualité du vécu sportif « aliénation » chez Rosa (2018) sous l’influence de l’auto-
quantification. Cette attention portée aux « compromis et résistances à la quête de
l’optimalité », aux « tentatives d’optimalités décalées, dérivées et personnalisées » (Dal-
galarrondo et Fournier, 2019, p. 642) nous place finalement dans la lignée de l’étude
d’Esmonde (2019, p. 12) qui s’intéresse aux manières dont « les self-trackers, tout à la fois,
négocient avec, s’accommodent et résistent à ces pratiques d’autosurveillance ».
Pour ce faire, nous mettons en œuvre une approche sociologique compréhensive
d’inspiration phénoménologique, c’est-à-dire soucieuse de se placer au plus près des
pratiques effectives et ordinaires de l’autoquantification, mais aussi des expériences
intimes qui y sont vécues. L’influence de la phénoménologie (en l’occurrence husser-
lienne) sur les sciences sociales s’est originellement traduite dans le programme ethno-
méthodologique conceptualisé par Schütz (Depraz, 1993). Plus récemment, c’est la
phénoménologie de la « chair » et donc du « corps vécu » de Merleau-Ponty qui
a été convoquée afin de structurer une sociologie dite « charnelle » (Wacquant, 2015). À
ce titre, Crossley (1995, p. 43) considère qu’il est insuffisant de se focaliser sur « ce qui
est fait au corps » et que la tâche d’une sociologie charnelle est de documenter « le rôle
actif du corps dans la vie sociale », c’est-à-dire « ce que le corps fait ». Le corps est ainsi
tout à la fois considéré comme « construit » et « constructeur », « objet agi » et « sujet
agissant ». Crossley se montre particulièrement vigilant quant au risque d’occultation des
influences et déterminations sociales pesant sur l’expérience vécue.
En adoptant cette posture considérant l’agent social comme un être fondamentale-
ment « incarné », vivant des expériences « signifiantes » au sein d’un « monde propre »
qui n’est toutefois pas exempt d’une préstructuration socialement constituée, nous
espérons contribuer à la riche littérature relative aux expériences vécues de la course à
pied, que cela soit dans le contexte du trail (Plard, 2019; Rochat, 2017; Rochedy, 2015),
des courses sur route (Le Blanc, 2012; Samson et al., 2017) ou des compétitions de
demi-fond (Berteloot et al., 2010). Ces diverses études ne se sont toutefois pas attachées
à décrire la singularité éventuelle des vécus éprouvés dans le cadre spécifique de
l’autoquantification. Le choix de la course à pied se justifie, selon nous, par l’ampleur
de sa diffusion et son rapport « organique » à la quantification. Sloterdijk (2011)
considère d’ailleurs l’athlète comme « l’incarnation contemporaine la plus aboutie et la
plus accessible de la quête de dépassement de soi par optimisation rationnelle », la course
4 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
à pied apparaissant comme illustrative d’un « retour puissant de la pratique de l’ascé-
tisme dans nos sociétés sécularisées » (Dalgalarrondo et Fournier, 2019, p. 644).
1.2. Les pratiques de l’autoquantification chez des coureurs fortement diplômés
Le corpus de coureurs à pied que nous avons constitué se compose de pratiquants
occupant des postes dits « à responsabilités » (cadre supérieur, professeur agrégé,
enseignant-chercheur, ingénieur), possédant un niveau de diplôme équivalent ou supéri-
eur à bac +5 et ayant souvent suivi une Classe Préparatoire aux Grandes Écoles (CPGE)
avant d’en intégrer une. De tels critères d’inclusion correspondent à la volonté de
produire une première monographie sociologique et catégorielle sur les pratiques effec-
tives d’autoquantification chez des coureurs à pied; celle-ci en appelle de nombreuses
autres, en vue d’une confrontation ultérieure systématique, en diversifiant des variables
comme l’âge, le sexe, le niveau de diplôme, le type de profession ou encore le degré
d’expertise dans la course à pied.
Pourquoi avoir ici privilégié une entrée par ce double critère d’une profession à
responsabilité et d’un haut niveau de diplôme? En premier lieu, de nombreux travaux
(Dagiral, 2019; Dagiral et al., 2019; Togstad et Alsos, 2018) attestent d’une surrepré-
sentation des catégories sociales favorisées parmi les utilisateurs de dispositifs d’auto-
quantification. Outre les facilités financières d’acquisition de ces technologies, il semble
exister une puissante connexion axiologique entre, d’une part, la finalité d’optimisation
sous-tendant l’autoquantification et, d’autre part, les « grandeurs » valorisées au sein
d’une économie néolibérale et plus précisément de la cité par « projet » (Boltanski et
Chiapello, 1999). La convergence s’opèrerait autour des valeurs de responsabilité, de
performance, de perfectibilité ou encore de dépassement (Dagiral, 2019).
9
Ces quêtes de perfectionnement apparaissent souvent marquées par l’ascétisme
(Kristensen et Ruckenstein, 2018), qui constitue, selon nous, le deuxième trait d’union
entre l’automesure et les sujets ayant suivi des formations d’excellence. Darmon (2010)
détaille, à cet égard, comment le cursus en CPGE concourt à la stabilisation de dis-
positions à l’autocontrôle, susceptibles d’être mobilisées, enrichies ou modulées dans la
pratique régulière de la course à pied quantifiée.
Le cursus en CPGE participe également d’une socialisation temporelle spécifique
10
(Darmon, 2013) au cours de laquelle les élèves apprennent à « faire du temps la mesure
de toutes choses ». Il s’agit notamment d’acquérir, dans et par l’urgence, un « usage
intensif et planificateur du temps ». Parce qu’elle rend visibles les temps de passage ainsi
que les allures, l’autoquantification semble prolonger, en le matérialisant, ce rapport
systématique, objectivé et efficient au temps acquis en CPGE.
Enfin, la capacité acquise à faire face à la rareté des ressources temporelles a pu être
réinvestie dans les diverses professions à responsabilité exercées par les sujets de notre
échantillon, exigeant tout à la fois une organisation autonome de l’emploi du temps et
une gestion de la famine temporelle chronique. « Courir après le temps » devient un
mode d’être par défaut. Nous souscrivons ici à la thèse de Darmon et al. (2019) suivant
laquelle le mouvement général d’« accélération des rythmes de vie » (Rosa, 2013)
pourrait affecter de manière exacerbée certaines professions particulièrement chronopha-
ges, dont celles pratiquées par les sujets de notre échantillon.
Au final, notre objectif consiste, à partir d’une approche compréhensive de l’auto-
quantification, à en repérer des usages ordinaires bienveillants, non nuisibles, ni alié-
nants. Ceux-ci ont été construits, dans le cadre de leur activité régulière de course à pied,
Loisir et Société / Society and Leisure 5
par des individus fortement diplômés qui ont été socialisés, durant leur formation
familiale puis universitaire, à la gestion rationnelle, ascétique et intensive du temps;
ceux-ci connaissent également, dans l’exercice quotidien de leur profession, une exi-
gence forte de rentabilité en même temps que de gestion d’une pénurie chronique de
temps. Comment cela se traduit-il dans les relations tissées vis-à-vis de leur montre
connectée durant leurs pratiques de loisir?
Il s’agira donc, tout à la fois, de documenter l’expérience telle qu’elle est intimement
vécue par des agents singuliers et de déceler, au sein de l’espace des positions sociales, la
spécificité des influences socialisatrices (et des dispositions qu’elles ont contribué à
forger) qui la préstructurent et la rendent possible. Ce faisant, nous proposons, à la
suite de Beauchez (2016, p. 108), de féconder le regard phénoménologique et l’analyse
dispositionnelle :
on peut faire une ethnographie des classes sociales, du genre, de la race et de toutes les
grandes catégories de la sociologie [en] montrant comment elles sont vécues concrètement
dans les épreuves du quotidien. Geertz dit justement que les ethnographes « ôtent leurs
majuscules » aux grands concepts des sciences sociales, qu’ils ramènent à l’expérience et à
la quotidienneté du monde.
2. Méthodologie
2.1. Dispositifs d’étude
Conformément à l’ambition phénoménologique, nous avons conçu un dispositif compo-
site susceptible de se situer au plus près des pratiques et des expériences vécues durant
l’activité quantifiée; l’enjeu était de nous placer au cœur même de la course, dans le
temps de son déploiement, sans en briser le flux ni la dynamique. Pour ce faire, chaque
sujet, équipé d’un dispositif vocal d’enregistrement (relié au téléphone portable),
a effectué deux sorties dans des conditions habituelles (mêmes lieux, horaires, allures,
durées) respectivement « avec versus sans leur dispositif d’automesure ».
11
Pour la très
grande majorité des sujets, la réalisation d’une session de course dépourvue de tout outil
numérique de quantification est apparue comme inédite et perturbante. La disparition de
la montre volontairement créée par le dispositif d’étude nous a semblé utile en vue de
révéler, en creux, par le contraste et la défamiliarisation, certaines de ses fonctions
devenues invisibles, automatiques et infra-conscientes du fait de l’incorporation et de
l’habituation.
12
Par ailleurs, la consigne explicite
13
donnée aux sujets au moment de réaliser les
deux sessions d’auto-explicitation avait pour but de leur suggérer diverses catégories
globales de l’expérience (« pensées, intentions, attentions, émotions, sensations »), sans
pour autant induire de contenus spécifiques (« pas de bonne ni de mauvaise réponse »,
« décrire sans juger ni expliquer »). Notre dispositif se rapproche de la méthode du
« Think Aloud »
14
(TA ou « penser à voix haute ») tout en s’en différenciant : en
effet, là dans le TA les enquêtés sont incités à verbaliser leurs seules réflexions,
nous avons cherché à approcher la multidimensionnalité, la complexité voire le
caractère holistique de l’expérience (Barberousse, 1999; Barbier et Durand, 2003)
irréductible à la seule dimension cognitive.
D’autre part, la demande de verbalisation des unités de signification « en temps réel »,
c’est-à-dire au moment même où celles-ci émergeaient,
15
avait pour objectif de documenter,
sans le rompre, le cours d’expérience des coureurs ainsi que le flux continu de leur
conscience (James, 1890). C’est dans le but de l’impacter le moins possible que nous
6 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
avons préféré l’auto-explicitation en temps réel à la méthode du running interview
(Esmonde, 2019) où le chercheur, courant à côté du sujet, risque de perturber la dynamique
de son expérience, de par sa présence, ses questionnements et ses interruptions.
Nous avons également décidé de ne pas recourir, dans le cadre précis de cette étude, à
des questionnements rétrospectifs, du type « entretien d’explicitation » (Vermersch,
2012) ou d’« auto-confrontation » (Theureau, 2015), lesquels ont été mis en œuvre de
façon heuristique, dans le cadre de l’étude des pratiques concrètes d’autoquantification,
par Pink et al. (2017). Au-delà des biais potentiels de remémoration et des ajouts
éventuels de significations qu’elle pourrait receler (Samson et al., 2017), nous n’avons
pas opté pour cette stratégie méthodologique, car la dynamique de l’activité y est
reconstruite après-coup tandis que nous souhaitions la saisir en temps réel, au vol, sur
le vif, dans le mouvement même de son émergence durant la session de course. En outre,
le risque inhérent à la reconstruction a posteriori est de ne retenir du flux de l’expérience
que des événements jugés particulièrement saillants (que cela soit du point de vue du
chercheur et/ou de l’acteur), en excluant peut-être des épisodes considérés comme
mineurs, anecdotiques ou insignifiants; or, notre approche visait à réhabiliter à égale
importance chaque unité de signification sans présupposer de leur intérêt différentiel.
C’est dans ce sens qu’il a été demandé aux sujets de verbaliser toutes leurs pensées,
sensations, émotions ou intentions sans juger a priori de leur valeur, sans censure ni
hiérarchisation.
Une dernière question se pose nécessairement : les coureurs ont-ils été sincères au
moment de verbaliser leurs expériences de course? À l’instar de Vermersch (2012) qui
considère la « position de parole incarnée » comme l’un des critères de validité
intrinsèque de l’entretien d’explicitation, nous suggérons que l’absence d’autocensure
dans les propos des sujets peut constituer un indicateur fiable de recevabilité des
matériaux empiriques. Celle-ci a été très régulièrement constatée dans le cadre des auto-
explicitations, les sujets partageant par exemple fréquemment leurs envies liées aux
besoins naturels (uriner,
16
vomir, cracher, éructer, se moucher), ce qui tendrait à attester
leur absence de gêne au moment de décrire leurs ressentis intimes. Par ailleurs, certains
coureurs n’ont pas hésité à faire part de leurs états d’âme, parfois sombres, en lien avec
des peines amoureuses,
17
des doutes professionnels ou des désirs de changements de vie.
L’atteinte d’une telle connivence a été rendue possible par la préexistence de relations de
confiance entre les enquêtés et les enquêteurs, impliqués dans des rapports amicaux ou
professionnels.
Au-delà de cet indicateur de validité interne inhérent à la méthode par auto-
explicitation, nous avons veillé à instaurer une validation externe via la triangulation
avec un second outil de recueil (Wimsatt, 1981). En effet, en plus des deux auto-
explicitations réalisées respectivement avec et sans outil numérique, chaque sujet nous
a accordé un entretien semi-directif
18
d’une durée moyenne de 90 minutes, organisé
autour des thèmes présentés en Annexe A. Il est ainsi devenu possible, pour chacun des
sujets enquêtés, de confronter, à partir de données hétérogènes, leurs modes préférentiels
d’utilisation des dispositifs d’autoquantification, leurs expériences positives et négatives
de course ou encore leurs motivations à l’activité.
2.2. Composition de l’échantillon
Seize sujets ont participé à notre étude et ont donc chacun réalisé deux auto-
explicitations (n = 32), dans des sessions équivalentes de course (d’une durée de 30 à
Loisir et Société / Society and Leisure 7
75 minutes) ainsi qu’un entretien semi-directif (n = 16). Les enquêtés ont été sollicités
par voie électronique par les deux coauteurs dont ils appartenaient aux réseaux
d’interconnaissances
19
(amis, collègues, voisins). L’existence d’une relation préalable
entre enquêteurs et enquêtés a été jugée primordiale dans le cadre du présent protocole
empirique nécessitant de partager son expérience vécue (avec tout ce qu’elle comporte
d’intime en termes de sensations, d’émotions et de réflexions), avec un minimum
d’autocensure et un maximum de sincérité. Les deux critères principaux ayant déterminé
l’inclusion dans l’échantillon étaient, d’une part, l’expérience d’une pratique régulière de
la course à pied et de l’automesure numérique, au moins depuis un an; d’autre part, la
possession d’un diplôme universitaire de niveau bac +5 ou bac +8 (souvent associée à un
cursus antérieur en CPGE). Sur la base de ces critères explicites,
20
nous avons veillé à
atteindre, non pas une hypothétique représentativité de l’extrême variété des coureurs,
mais plutôt une « diversification satisfaisante » autour de plusieurs variables jugées
stratégiques en fonction de notre projet d’analyse (Blanchet et Gotman, 2006), parmi
lesquelles : l’âge
21
(de 24 à 60 ans), la profession (directeur commercial, responsable
marketing, formateur, etc.), le sexe
22
(quatre femmes, douze hommes), le passé sportif
(du compétiteur en club depuis l’enfance au coureur à pied ayant débuté sur le tard), le
niveau de performance (de l’athlète de très bon niveau effectuant un footing à 4 mn/km
au pratiquant de niveau plus modeste évoluant autour de 8 mn/km) ou encore le rapport à
la quantification (plus ou moins intense, élaboré, systématique et réflexif). L’Annexe B
récapitule la répartition des 16 enquêtés sur ces différentes variables.
2.3. Modalités d’analyse du corpus
L’enjeu consistait en premier lieu à formaliser la variété des « techniques de soi » – qu’il
s’agisse de « tactiques du quotidien » ou de « stratégies » délibérées déployées, en
situation de course, par les différents sujets à l’égard de leur outil d’autoquantification. Il
s’agissait également de documenter la diversité des expériences vécues associées, que
celles-ci soient positives, agréables, épanouissantes ou inconfortables et pénibles.
Pour ce faire, nous avons articulé deux modalités complémentaires d’analyse de
contenus (Blanchet et Gotman, 2006) : la première a consisté en une « analyse théma-
tique verticale » où il s’est agi, pour chaque sujet, de reconstruire la trame singulière de
son engagement dans la course à pied (types de pratique, finalités et mobiles) et de son
rapport à la quantification en les rapprochant de son type de formation, de sa profession
et de son expérience sportive. Suivant la seconde modalité, l’« analyse thématique
horizontale », les spécificités des différents sujets ont été confrontées sur chaque
analyseur afin de révéler leurs convergences et/ou divergences, notamment du point de
vue des modes de recueil et d’interprétation de leurs données chiffrées.
Cette double stratégie d’analyse a permis de repérer, chez des pratiquants assidus de
course à pied quantifiée, trois métatechniques expertes d’utilisation des dispositifs
d’autoquantification leur permettant de se mesurer sans dégrader la qualité de leur
expérience sportive, ce qui relève d’une forme de « sagesse pratique ».
3. Résultats
Nous présentons successivement ces trois métacatégories d’usages non nuisibles des
outils d’autoquantification que sont la « différenciation et l’alternance temporelles des
modalités d’utilisation du dispositif »; l’« ajustement in situ des objectifs de course »; la
8 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
« contextualisation des données et des (contre-)performances objectivées ». Ces
différentes métatechniques expertes peuvent tout à fait cohabiter, se succéder et/ou se
combiner chez un même sujet, mais les contraintes de présentation nous obligent à les
détailler successivement.
3.1. La logique de la différenciation et de l’alternance temporelles
Tout d’abord, les pratiquants différencient – et alternent – les usages de leur dispositif
dans le temps et ce principalement à trois échelles distinctes : à l’échelle de leur vie
sportive envisagée dans sa globalité; à l’échelle d’un programme d’entraînement
composé d’une diversité de types de séances; à l’échelle d’une session isolée de
course.
3.1.1. Différencier ses usages du dispositif d’automesure à l’échelle de sa vie sportive
À l’échelle de leur vie sportive prise dans leur totalité, plusieurs coureurs indiquent en
premier lieu jouer sur l’alternance entre des phases plus ou moins intenses et systéma-
tiques d’utilisation (et de non-utilisation) de l’outil connecté. À cet égard, en-dehors de
périodes circonscrites de préparation ciblée en vue d’un objectif spécifique, certains
adoptent un usage plutôt limité, distancié et modéré de leur dispositif, à l’instar de
Manuella (ESD) :
la première fois où j’ai dû préparer une course de 10 km, je m’en suis servi en la regardant
tout le temps, puisqu’au final je m’étais calée de devoir faire le kilomètre en 4ʹ30”. Donc là,
c’était tout le temps, j’avais les yeux dessus pour voir si je montais, si je descendais [. . .].
Mais, le reste du temps, je n’enregistre rien. C’est pas du tout la même chose. D’habitude, je
vais courir plus pour le plaisir et faire un temps agréable. Quand j’ai la montre, c’est plus
pour la perf.
D’autre part, certains coureurs ont appris à moduler et pondérer leurs rapports à l’auto-
quantification en fonction des périodes de leur vie. Par exemple, Roméo (ESD), qui
préparait, au moment de l’entretien, l’agrégation externe de philosophie, explique :
dans cette année particulière, ma pratique sportive a pour but de me changer les idées, une
manière aussi de limiter les dégâts quant à la diminution de ma condition physique, à la
différence des autres années j’essaie d’améliorer mes performances [. . .]. Je n’ai pas
déclenché mon application d’automesure de l’année, sauf pour le protocole. Je ne l’utilise
pas, car je suis dans une finalité d’entretien, de détente, ça me permet d’aller courir avec
zéro pression, sans aucune exigence particulière. Quand j’ai la montre, forcément, en fin de
séance, je vais sortir vidé, car j’ai envie de faire le meilleur résultat possible. En période
d’agrégation, je me suis rendu compte qu’il n’était pas forcément stratégique de l’utiliser,
car je pouvais être fatigué l’après-midi, car la montre me pousse à aller au bout.
En outre, plusieurs sujets ont progressivement fait le choix de délaisser certains dis-
positifs d’autoquantification, les jugeant responsables d’une dégradation de la qualité de
vie; ils ont dès lors décidé de réserver la logique de l’automesure à certaines activités
bien circonscrites, dont la course à pied. Le témoignage de Christian (ESD) concernant
son abandon de la quantification du sommeil est particulièrement révélateur de cette
stratégie de sélection des outils sur la base de leurs conséquences expérientielles diffé-
rentielles :
Loisir et Société / Society and Leisure 9
quand les applications de sommeil sont sorties, j’ai commencé à en utiliser une, et j’ai trouvé
que ça me mettait une pression, j’ai vite arrêté [. . .]. En cas de mauvaise évaluation, je me
préparais psychologiquement à avoir une journée pourrie, alors qu’elle aurait pu être tout à
fait normale, donc j’ai vite arrêté cette appli, ça me faisait flipper pour la journée, j’ai dit
stop, ça ne sert à rien.
De son côté, Mathieu a décidé d’abandonner certaines fonctionnalités du dispositif
d’automesure de la course à pied parce qu’il les estimait inutiles ou nuisibles à son
expérience; ce faisant, par tâtonnement et essais-erreurs, il en vient à ne conserver que
celles jugées enrichissantes et instructives (Favier-Ambrosini et al., 2021) :
un temps, j’ai essayé d’utiliser sur ma montre une fonction recording mais qui, pour le coup,
me demandait trop de concentration. Tu pouvais enregistrer tes temps de passage, je me
disais que ça me ferait gagner du temps, surtout si je pars sur du long, car ce serait plus dur
de mémoriser tous les segments. Mais en fait je ne suis pas arrivé à avoir le niveau
d’archivage et de mise en mémoire pour l’utiliser. (Mathieu, ESD)
En lui demandant « trop de concentration », cette fonctionnalité semble avoir entrainé chez
Mathieu une situation de « double-tâche » (Norman, 2013) lui imposant d’analyser sa
progression tout en continuant de courir. Constatant progressivement que cette surcharge
attentionnelle concourrait à dégrader la qualité de son vécu, il a fini par l’abandonner afin de
retrouver une expérience féconde. Esmonde (2019) met en évidence une stratégie homolo-
gue de résistance à la datafication sur son corpus de coureuses régulières; celles-ci se fixent
individuellement une quantité maximale de données qu’elles sont prêtes à recueillir sur leur
course et leur condition physique sans saturer leurs ressources attentionnelles. Un tel rapport
critique et sélectif à l’égard du marché prolifique des outils de self-tracking peut être
considéré comme révélateur d’une « maîtrise de soi » (Lefebvre et Tordesillas, 2009)
permettant au sujet de préserver une qualité de vie menacée.
Finalement, sont compartimentées différentes périodes d’utilisation des dispositifs de
quantification au cours de l’existence des personnes, permettant de maintenir durable-
ment un bien-être sportif. Dans les cas de Roméo, Christian et Mathieu, l’utilisation
différenciée de l’automesure revêt la forme d’une authentique « stratégie », délibérée,
explicite et revendiquée. Pareil usage des outils d’autoquantification rejoint les constats
de Pink et al. (2017) sur des cyclistes amateurs s’automesurant régulièrement : leur
engagement dans l’autoquantification, bien que perdurant dans le temps, est contingent et
se modifie en fonction des périodes de vie.
3.1.2. Différencier ses usages du dispositif à l’échelle synchronique d’un cycle
d’entraînement
Sur le plan synchronique cette fois (c’est-à-dire au sein d’une tranche donnée de leur vie
sportive), là encore, les pratiquants de course quantifiée différencient – et alternent – les
usages de leur dispositif, tout d’abord en fonction du type d’activités réalisées. Si certains
d’entre eux quantifient de très nombreuses pratiques, qu’elles soient sportives ou pro-
fessionnelles, à l’instar de Jean-Luc ou Niels,
23
d’autres, en revanche, ne se mesurent
qu’en course à pied. Il en va ainsi d’Olivia (ESD) :
en natation, je ne me quantifie pas du tout, je n’ai pas le même rapport qu’avec la course où
j’ai l’esprit de compétition, je ne suis pas aussi douée dans les deux. En natation, ça ne m’a
jamais traversé l’esprit de prendre une montre.
10 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
En outre, toujours d’un point de vue synchronique, mais désormais au sein même de
l’activité de course et d’un programme donné d’entraînement, des objectifs de séance
peuvent être différenciés et respectivement associés à des utilisations distinctes des
dispositifs d’autoquantification. Ainsi, chez plusieurs coureurs, les séances de récupéra-
tion, longues et à allure modérée, sont associées à un usage distancié de l’outil numé-
rique; à l’inverse, des sessions plus sollicitantes énergétiquement semblent plus propices
à son utilisation intensive. Une telle stratégie de différenciation apparaît très élaborée
chez Jérémy (ESD) :
dans les footings de récupération, je mets la montre, je ne la regarde pas; le seul moment
je la regarde, c’est pour savoir si je dois rentrer en fonction de mes contraintes horaires, je
cours suivant mes sensations. Dans les footings que je veux plus rapides, aux allures
marathons ou semi, je regarde la montre de temps en temps pour voir s’il n’y a pas
décroissance de l’allure et s’il y a bien adéquation entre mes sensations et la vitesse
qu’indique la montre, toutes les 5 à 10 minutes pour confirmer, pas plus, car c’est un
seuil et ce sont des variations plutôt faibles et rattrapables. Sur mes séances en fractionné, je
regarde ma vitesse à chaque fin d’intervalle. Enfin, dans les séances avec mes amis, on se
cale avant sur la séance qu’on veut faire, puis on ne regarde plus la montre, on n’écoute plus
que ses bips et on essaie de se stimuler.
Pour d’autres coureurs, ce sont certaines séances dédiées spécifiquement à un travail
technique qui s’avèrent plus favorables à une relativisation du poids de l’autoquantifica-
tion tandis que des sorties consacrées à un entrainement physiologique ciblé s’inscrivent
dans une mise en chiffres plus prononcée. C’est donc en fonction de l’objectif de séance
que, là encore, l’utilisation de l’autoquantification se trouve différenciée :
c’est un parcours que je fais très souvent, que je connais très bien, je le fais une fois sur
quatre sans montre, juste à la sensation, du travail technique comme aujourd’hui pour la
coordination de course. (Mathieu, AES)
Dans ces différentes configurations, limiter le poids qu’occasionnerait un enregistrement
trop systématique de chacune de ses sorties semble intégré par les coureurs comme un
usage protecteur de la qualité de leur expérience sportive.
3.1.3. Différencier ses usages du dispositif à l’échelle d’une session isolée de course
Les coureurs amateurs étudiés ont développé un dernier usage temporellement diffé-
rencié de l’automesure, en circonscrivant la consultation de leur dispositif à des
moments très précis de leur activité, au sein d’une sortie donnée de course. À ce
niveau, une grande diversité des pratiques est à l’œuvre, traduisant des
utilisations singularisées et forgées sur la base d’une expérience personnelle savam-
ment réfléchie. Niels (ESD) privilégie une utilisation de sa montre connectée durant sa
course et non après :
après la course ou la sortie, je ne suis pas très rigoureux. Parfois, je mets une semaine avant
de les mettre sur Strava,
24
seulement quand je recharge ma montre [. . .]. En fait, je m’en
fiche un peu une fois que c’est fait.
Toujours dans le temps même de la course, Mathieu (ESD) a quant à lui établi des
moments de consultation extrêmement ciblés, prévus et peu nombreux :
Loisir et Société / Society and Leisure 11
je cours sur quatre à six circuits que je fais souvent. J’ai pas mal de repères dessus,
notamment sur mes temps ainsi que mes vitesses ascensionnelles. Je ne regarde la montre
qu’à certains moments, par exemple à tel virage avec telle vue, je prends l’info et je régule.
Ce sont des repères précis.
D’autres coureurs, comme Jérémy (ESD), font, à l’inverse, preuve d’une analyse plus
approfondie de leurs données à l’issue des séances :
les fonctions de la montre connectée, je les exploite surtout à la fin de la séance, voir à
combien j’étais sur quel intervalle, éventuellement la fréquence cardiaque, j’en étais au
début, après. Surtout quand j’ai fait des grosses séances et que je me suis senti particuliè-
rement bien, je prends la peine de regarder.
3.2. Ajustement in situ des objectifs de course
Les coureurs réguliers semblent vivre une expérience non aliénée de l’automesure grâce
à l’intériorisation d’une deuxième métatechnique de soi consistant à faire preuve, dans
l’usage de l’outil, d’un travail d’adaptation voire d’« ajustement » dans le temps même
de l’activité. Pour Winance (2001, p. 89), ce dernier concept renvoie au
processus à travers lequel les acteurs [. . .] tentent de rejouer les liens qui unissent la
singularité et son dispositif. Ils testent l’une après l’autre les différentes attaches entre la
singularité et son dispositif pour définir lesquelles sont devenues rigides et lesquelles sont
souples et transformables.
Au fur et à mesure de leur utilisation, les coureurs ont ajusté et se sont ajustés à leur
dispositif au point que celui-ci participe de l’enrichissement de leur expérience sportive,
et ce, suivant différentes modalités correspondant à autant de « ruses du quotidien » (De
Certeau, 1990).
3.2.1. S’ajuster en abandonnant et/ou en transformant son objectif initial
Première manifestation de cet espace de créativité et de liberté que constituent ces
microajustements tactiques dans le rapport au dispositif de self-tracking, les coureurs
interrogés expliquent ne pas hésiter à abandonner ou à déplacer leurs objectifs quantifiés
originels dès lors que leur ressenti lié à l’état de forme du moment n’est pas jugé optimal
ni compatible. En se basant sur leurs « savoir-faire auto-perceptifs » (Paintendre et al.,
2019), ils parviennent à se détacher de leur planification chiffrée vis-à-vis de laquelle ils
ont développé un rapport ouvert et flexible plutôt qu’impératif et prescriptif, ce qu’il-
lustre Olivia (AEM) :
5ʹ08” au km, parfois j’arrive à être en 4ʹ50”, mais, là, aujourd’hui les sensations n’y sont pas
donc on reste comme ça, je ne suis pas trop en forme aujourd’hui, mais bon, ce n’est pas
grave.
Ce rapport souple au plan et à la quantification se retrouve également chez Jean-Luc
(ESD) :
je suis sensible à l’expérience et ne me laisse pas prendre par une sorte de surdétermination
du chrono. Si, un jour, je ne suis pas en forme et je ne tiens pas l’objectif que je m’étais
donné, je suis capable de lâcher et de vivre l’instant présent, de me réguler.
12 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
L’instauration d’une telle flexibilité vis-à-vis des objectifs numériques révèle la cons-
truction d’une indulgence situationnelle voire d’une « bienveillance envers soi-même »
(Terraz et Denimal, 2018). La flexibilité des objectifs transparaît également chez les
utilisateurs réguliers de podomètres digitaux (Pharabod, 2019), capables de réviser leurs
objectifs en fonction des contingences de leur existence, acceptant par exemple de
grandes différences d’un jour à l’autre, ce qui concourt à renforcer leur estime person-
nelle. C’est parce que les sujets s’autorisent ce type de « relâchement temporaire »,
s’accordent le droit de ne pas se mesurer et revendiquent in fine le statut d’« humains
faillibles » plutôt que de « machines parfaites » que l’automesure n’est plus perçue
comme anxiogène ni oppressante (Esmonde, 2019).
3.2.2. S’ajuster en laissant émerger son objectif de travail
Une deuxième tactique mise en place par quelques coureurs expérimentés consiste à
laisser émerger la thématique de travail en cours de séance, de façon contextualisée,
plutôt que de la fixer a priori. Ici, l’entraînement se fonde sur le primat des perceptions
sensorielles, le dispositif numérique agissant en appui, comme une ressource secondaire
mise au service des sensations qui adviennent :
ma séance se fait entre 13h et 14h30 au moment de la sieste de ma fille. Au moment du
repas, j’identifie dans quel état d’esprit je suis : faire une sortie longue, bouger pour bouger?
Est-ce intéressant au regard de ma condition physique d’aller sur des séances plus intenses?
Ensuite, durant les 10 premières minutes de ma course, j’affine les thématiques de travail en
fonction de mes sensations. Si je me rends compte que les conditions météo ne sont pas
bonnes, trop de vent par exemple, que ça n’a pas trop de sens de faire de l’intensité, je vais
jouer sur cette thématique du vent. (Mathieu, ESD)
Mathieu semble ici se rendre disponible à l’instant présent par un travail d’écoute, voire
d’« enquête » (Sève, 2014), sur soi et sur l’environnement. Selon Gaillard (2010), cette
sensibilité au degré d’adaptation de son corps à la tâche, compte tenu de ses compétences
du moment, garantit le « respect de son intégrité ». Un tel usage de l’automesure rejoint
la stratégie consistant à « privilégier les sensations plutôt que les données » (Esmonde,
2019) et permettant de prévenir l’instauration de toute dépendance destructrice vis-à-vis
des données chiffrées.
Si Mathieu fait émerger sa thématique de travail, Nicolas (AEM) construit quant à lui
son objectif d’allure en cours de séance (la montre jouant ici une fonction de stimula-
tion), une nouvelle fois au travers d’une écoute fine de son corps comme de son milieu :
on est tombé en dessous de 9.8 km/h, j’aimerais bien finir la sortie au-dessus de 10 km/h,
mais il y a encore une montée bien grasse et je suis sur un faux plat montant. Ça commence
à repartir, à aller un peu mieux, j’ai moins mal au dos, je suis presque à 10 km/h.
Il convient toutefois de reconnaître que cet usage de l’autoquantification par ajustement
sensoriel n’est pas partagé par tous les coureurs, à l’image de Niels (ESD) qui n’accorde
qu’une confiance et un intérêt limités en ses perceptions :
ce n’est pas important pour moi les cotes d’effort ; je m’en tiens aux distances et vitesses
imposées. Lors d’un entrainement censé être cote 6/10, j’ai fini en vomissant, c’est ridicule,
mais je n’arrive pas à me réguler. [. . .] Parfois, notre entraîneur essaie de nous faire courir
Loisir et Société / Society and Leisure 13
sans regarder la montre, pour qu’on imprime le rythme. Mais je suis l’une des personnes les
plus mauvaises pour évaluer ma vitesse sans la montre.
Niels ne déploie donc pas cette tactique sensoriellement fondée d’ajustement de l’outil,
ce qui ne l’empêche pas pour autant de vivre des expériences épanouissantes de course à
pied quantifiée, et ce, grâce à l’intériorisation d’autres techniques d’utilisation. Ainsi, il
n’apparaît pas indispensable de toutes les maîtriser pour éviter de subir le dispositif
d’autoquantification.
3.3. Contextualisation des données et des (contre-)performances objectivées
La dernière métatechnique de préservation de la qualité de son expérience quantifiée
consiste en l’instauration d’une démarche réflexive, mais aussi narrative, de contextua-
lisation de ses (contre-)performances objectivées par le dispositif numérique.
3.3.1. Expliquer et comprendre
Tout d’abord, les pratiquants étudiés semblent être parvenus, au fil de leur pratique, à
développer une capacité d’« attributions causales fonctionnelles ». Dit autrement, ils sont
en mesure d’expliquer leurs résultats chiffrés d’une manière qui ne nuise ni à leur estime
personnelle ni à leur volonté de persévérer dans l’activité (Weiner, 1985). Loin de
conduire à la résignation, les explications avancées en cas de contre-performances visent
la compréhension en vue d’une meilleure performance ultérieure, comme l’illustre
Carole (AEM) :
on arrive au bout de la rue et je vais vérifier sur ma montre; normalement, en été, j’ai cette
petite excitation de voir si j’ai fait un nouveau record au 5 km. Là je sais qu’il y a la neige
donc je cours un peu moins vite. Ok, mais j’ai quand même un petit espoir, mais là c’est
mort, j’ai vraiment pris mon temps parce que je parlais. C’était quand même cool.
La démarche compréhensive semble partagée par Nicolas, comme en attestent les deux
extraits suivants :
c’est cool, je pense que je suis sur du 11 km/h, c’est relativement plat, je n’ai pas très bien
dormi avec les nuits agitées de la petite, je suis satisfait, je piocherai peut-être plus
tard. (AES)
la sortie est terminée, avec un peu plus de 9 km/h de moyenne, je voulais basculer au-
dessus des 10, mais c’était très gras; sans cette difficulté, je n’aurais pas été contraint de
marcher sur certaines portions. (AEM)
Elle peut être mise en œuvre à l’issue de la course ou en amont de celle-ci, à l’instar de
Jérémy (AES) :
aujourd’hui, j’ai mal aux jambes donc ça ne va pas être le feu, je vais essayer de bien courir
quand même. Je cours avec des sensations de lourdeur, mais avec une nécessité de sortir
[. . .]. J’y vais petit à petit, car, entre les deux séances de ce week-end, les courbatures, le
gros repas, on a beaucoup mangé et peu dormi, je me sens lourd aujourd’hui, j’ai mal aux
jambes, c’est dur de m’y remettre.
14 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
Dans ce genre de situations où il ressent très précocement des sensations de fatigue tout
en étant en mesure d’en identifier la source, Jérémy (ESD) s’épargne une analyse
minutieuse a posteriori, jugée inutile, car redondante, de ses données numériques :
quand je ne suis pas en forme, avec des courbatures, sans avoir mangé ou pas motivé, quand
je sais que je vais être à la rue et que j’en connais la cause, je n’ai pas besoin d’aller fouiller
en profondeur les données.
3.3.2. Mise à distance critique du dispositif
Certains coureurs ont développé cette capacité à contextualiser leurs performances en
construisant un regard critique vis-à-vis de la fiabilité (et de la faillibilité) de leurs
dispositifs d’autoquantification. Celui-ci peut s’avérer protecteur de leur niveau de
compétence perçue en cas de résultats jugés défavorables. Cette mise à distance des
données, couplée à la modulation du crédit épistémique qui leur est accordé, sont rendues
possibles par l’instauration d’une confrontation entre, d’une part, les données numériques
émanant de l’outil et, d’autre part, leurs propres ressentis expérientiels, comme l’illustre
Nicolas (ESD) :
je sais maintenant que, parfois, il ne faut pas trop faire confiance à la montre connectée,
c’est une forme de maturité par rapport à la pratique. J’essaie de moins la regarder, de lui
accorder moins d’importance, je sais qu’elle peut m’induire en erreur.
Cédric (AEM) exprime une méfiance analogue lorsque les données chiffrées obtenues
contredisent ses attentes comme ses ressentis au cours d’une accélération de 500 mètres :
1ʹ43”, mouais. Bon, parfois, c’est peut-être un peu facile, mais quand c’est si loin de ce que
je pensais, j’ai tendance à incriminer la technologie et à dire que, en vrai, ça m’étonnerait
[. . .]. Parce qu’au lycée je faisais 1ʹ23”, trois fois, et je ne pense pas être en plus mauvaise
forme. J’avais l’habitude de faire les mesures avec le GPS de mon portable et, récemment, je
me suis rendu compte qu’il faisait n’importe quoi.
Cédric construit ici une « mise en récit de la mise en variable de soi » (Desrosières, 2008)
structurée par une distance critique à l’égard de dispositifs jugés fallacieux. Celle-ci,
susceptible de fonctionner dans les deux sens (en cas de performances sur-
25
ou sous-
évaluées), est, dans tous les cas, rendue possible par une confrontation heuristique avec
ses propres ressentis (Favier-Ambrosini et Quidu, 2020). Cette possibilité de confronta-
tion critique est fortement dépendante du degré d’expertise sensorielle construite par les
coureurs, lequel est apparu comme très hétérogène dans notre échantillon, délimitant des
rapports contrastés à la montre. Certains, à l’instar de Jean-Luc (ESD) qui est capable de
prédire à la seconde près la durée de son parcours dans la condition AES, voient dans le
dispositif une source de « confirmation » de leurs sensations; ils le consultent d’ailleurs
toujours dans un second temps, après les avoir conscientisées :
la montre a une fonction de vérification et d’indicateur, mais c’est plutôt de la confirmation,
j’en suis arrivé à un point où, au niveau cardiaque, à 5 battements près, je sais où j’en suis.
D’autres coureurs, peut-être moins confiants dans la finesse et l’acuité de leurs
« compétences perceptives » (Paintendre et al., 2019) préfèrent, à l’inverse, consulter
en premier leur montre connectée qui remplit dès lors davantage une fonction
Loisir et Société / Society and Leisure 15
d’« information »; ici, la régulation de leur pratique se réalise prioritairement via des
rétroactions extrinsèques :
j’ai consulté ma montre une première fois, pour constater que je ne cours pas vite.
(Jean, AEM)
3.3.3. La « note au-dessus de la moyenne »
Enfin, plusieurs athlètes ont développé un usage du dispositif d’autoquantification
consistant à accorder une importance différentielle aux données qu’il génère, suivant
que celles-ci se voient attribuer une valeur négative ou positive. Plus précisément, les
retours affectivement bénéfiques seront retenus quand ceux potentiellement déstabilisants
seront ignorés et neutralisés. L’adoption d’une telle asymétrie protectrice dans l’exploita-
tion et l’importance attribuées aux chiffres, qui participe également à la bienveillance
envers soi-même, est illustrée par Roméo (ESD) :
quand j’ai battu un record, je garde des bénéfices psychologiques sur la journée, de la
satisfaction. Ça contribue à faire de ma journée une bonne journée. Si je ne le bats pas, ça ne
me dérange pas tant que ça, car ce n’est pas ma finalité ultime, la compétition, je l’accepte
en me disant que ce n’est pas la bonne journée. Je porte plus d’intérêt au monde, à la météo.
D’autres coureurs préfèrent, de leur côté, interpréter de façon positive des données et des
sensations que certains jugeraient plus négativement :
26
je regarde un peu plus ma montre quand c’est les deux ou trois derniers kilomètres d’un
semi-marathon, quand je trouve ça long, que j’ai froid. La montre, ça me rebooste : « allez
j’ai déjà fait tout ça, il reste que 3 kilomètres » [. . .]. S’il n’y a que 100 mètres en plus, je me
dis c’est déjà 100 mètres en moins faire. Je vois toujours le verre à moitié plein, je suis
positif et ça a un effet positif de la regarder à la fin. (Niels, ESD)
L’« optimisme » dont fait ici preuve Niels dans l’interprétation de ses données chiffrées –
en n’en retenant que l’aspect positif et dynamisant constitue une tactique protectrice
contre l’effet potentiellement démobilisant de l’automesure. Peterson et al. (1995) ont
démontré, à cet égard, qu’un « style explicatif optimiste » s’accompagnait d’une plus
grande persévérance dans l’activité physique ainsi que d’une capacité accrue de rési-
lience en cas d’échec.
En définitive, les coureurs auprès desquels nous avons enquêté ont développé
plusieurs des usages ci-avant exposés de leur dispositif d’autoquantification et les ont
inclus dans leurs routines usuelles (Pink et al., 2017). Ces modalités d’interaction
peuvent être qualifiées d’« expertes » dans la mesure elles parviennent à garantir
une expérience sportive de qualité, c’est-à-dire non aliénée. Au fil de leur parcours de
plus ou moins longue date, ils ont ainsi appris à se servir de l’outil, à en différencier
temporellement les utilisations, à ajuster et réviser leurs objectifs, mais aussi à contex-
tualiser l’interprétation des données fournies.
4. Discussion
À l’aune des résultats présentés, deux points méritent d’être débattus : il s’agira tout
d’abord d’apprécier l’influence de la formation suivie et de la profession exercée sur les
usages singuliers des dispositifs d’autoquantification; ensuite, la formalisation des
16 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
stratégies expertes et non nuisibles d’utilisation nous incite à discuter le lien entre
automesure, risque d’aliénation et possibilité de résonance.
4.1. Le poids de la formation suivie et de la profession exercée
La spécificité des formations reçues (niveau bac +5 au minimum) et des professions
exercées (cadres à responsabilité) est apparue à l’origine de trois tendances significatives
quant à l’utilisation de la montre connectée.
4.1.1. « Rentrer à l’heure »
À un premier niveau, la totalité des sujets a évoqué une impression chronique de « courir
après le temps » (Rosa, 2013). Il est probable que beaucoup d’entre eux aient pu forger,
durant leur cursus en CPGE, des dispositions temporelles ascétiques les incitant à
« faire du temps la mesure de toutes choses » (Darmon, 2013), le plus souvent dans le
prolongement d’une socialisation primaire ayant permis l’intériorisation d’un rapport
planificateur au temps (Henri-Panabière et al., 2019). À cet égard, la plupart des enquêtés
ont indiqué avoir choisi la course pour sa « flexibilité et son côté pratique »,
27
à l’instar
de Mathieu (ESD) :
je suis aujourd’hui un sportif-papa qui essaie de trouver des heures pour avoir une pratique
et des expériences plus conséquentes [. . .]. La course à pied m’est apparue comme une
pratique « orientée efficacité », une paire de baskets, un short, partir en ayant rapidement
accès à la nature.
Jugée particulièrement rentable d’un point de vue temporel, la course ne parvient
toutefois pas à faire taire complètement l’impératif de respecter certaines contraintes
horaires. Cette nécessité de gérer un emploi du temps serré transparaît nettement dans les
auto-explicitations et influence le type d’interactions construites avec la montre connec-
tée, qui remplit ici sa fonction originelle : donner l’heure. Il convient d’être certain de
« rentrer à temps ». Cette contrainte incite par exemple Paula (ESD) à évoluer de façon
récurrente sur le même parcours :
j’adore pourtant découvrir de nouveaux chemins, sans savoir où je vais, mais je suis moins
certaine de rentrer à temps. Même si je m’octroie cette parenthèse déconnectée de mon
temps quotidien, j’ai quand même derrière la petite pression de rentrer à temps; quand je fais
le même parcours, je sais quand je vais rentrer.
De son côté, Jérémy (AES) craint tellement de dépasser ses contraintes horaires qu’il ne
sort jamais courir sans montre :
si je pars dans la forêt sans montre, j’ai peur qu’en m’évadant, mes vagabondages
spirituels m’amènent tellement à me déconnecter de mes préoccupations horaires, de rater
mes obligations.
De telles contraintes horaires sont susceptibles de ternir la dynamique émotionnelle de
l’expérience :
c’est un moment agréable, car je suis dehors, je prends l’air, il fait beau, même si c’est
nuancé parce que je sais que j’ai des contraintes temporelles assez fortes; je contrôle pour
Loisir et Société / Society and Leisure 17
gérer le retour à la maison; je ne suis pas totalement libéré comme si je savais que ma
femme aujourd’hui pouvait récupérer les enfants. (Jérémy, AEM)
Cette préoccupation devient notamment récurrente dans la seconde partie de sa course :
je préfère régler ma montre pour ne voir que le chrono, pour ne pas être préoccupé par
l’horaire, mais il va arriver un moment où je vais devoir passer en mode horaire, car trois
minutes de retard ça peut être fatal avec ma fille de 3 ans, papa va arriver à l’heure, donc je
vais faire en sorte de gérer à l’heure plus qu’au chronomètre
4.1.2. Un besoin impératif de « déconnexion »
La conséquence de cette sensation chronique de famine temporelle, doublement causée
par la surcharge de travail et la nécessité de la concilier avec une vie de famille,
débouche sur le besoin récurrent, éprouvé par la totalité des sujets de l’échantillon, de
« déconnecter », de « rompre avec le quotidien », de « s’échapper », grâce à la course à
pied. Moyennant l’intériorisation des « techniques de soi » expertes ci-avant repérées, le
fait de courir avec la montre n’apparaît pas, du point de vue des coureurs, comme une
entrave à cette possibilité d’évasion, principalement parce que la portée de son influence
a été globalement minorée ou, tout du moins, soigneusement circonscrite et que son
pouvoir de nuisance a été neutralisé. La course à pied quantifiée devient ainsi une
« oasis de décélération » (Rochedy, 2015), et ce, en dépit de son caractère paradoxale-
ment chronophage. Si cette quête de déconnexion est unanimement partagée par les 16
sujets, elle s’avère particulièrement prégnante chez Paula (AEM) :
ça me fait du bien de courir, j’ai l’impression de me déconnecter du boulot, de mon bureau,
d’arracher un peu de temps, de faire un pied de nez à toutes mes obligations quotidiennes,
qui me prennent un peu le chou, j’ai parfois l’impression de ne plus avoir de vie, quand je
cours je me retrouve, ça fait tellement de bien.
Durant ces moments d’évasion, Paula (ESD) consulte moins fréquemment sa montre :
je sais que, quand je vais regarder ma montre, je vais être plus sur les heures et les minutes
qui vont suivre, tandis que quand je regarde moins ma montre, je suis plus sur les sensations,
je prends plus de plaisir, je pense au bien-être, je me dis que je n’ai plus mal à la hanche. Un
plus grand relâchement donc quand je regarde moins la montre, le temps passe plus vite, je
regarde tous les gens que je croise, les maisons, je me fais des films et je me rends compte
que le temps passe plus vite, que les sensations sont meilleures, une sorte de sentiment de
bonheur que le temps ne soit pas long et pesant.
Le besoin de coupure peut parfois s’avérer générateur de culpabilité, à l’instar de Jean-
Luc (AES) :
c’est ma bulle d’oxygène, prendre l’air par rapport au boulot. Je ne suis pas au travail, il est
17h, c’est bizarre, j’irai tout à l’heure, petit scrupule.
Mais cette culpabilité paraît rapidement contrebalancée par la conviction que la paren-
thèse de course peut permettre de décupler sa productivité professionnelle :
je cours pour m’échapper, prendre l’air, me retrouver dans une forme de fluidité, de bien-
être. Parfois, je suis encore sur les idées du travail, je les embarque ailleurs, et j’ai plein de
18 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
nouvelles idées. Quand je passais ma thèse, je courrais et j’avais douze idées qu’il fallait
absolument que je note pour progresser, comme une oxygénation des cellules. (Jean-Luc,
ESD)
Force est de souligner le caractère ambivalent de ce rapport à la productivité (Dagiral,
2019), qui transparaît dans le mode d’interaction pluridimensionnel à la montre, combi-
nant intérêt et détachement : en effet, la course permet de suspendre l’impératif de
rentabilité en même temps que de l’alimenter, mais par un pas de côté.
4.1.3. Une continuité axiologique formation-profession-loisir
Si l’impératif de déconnexion amène parfois les acteurs et actrices à suspendre certaines
dispositions au dépassement et à la productivité acquises durant leur prime socialisation
familiale et leur formation universitaire puis valorisées professionnellement, celles-ci ne
cessent pour autant pas d’être structurantes dans leur pratique de la course quantifiée.
Ainsi de profondes convergences axiologiques ont été repérées entre l’investissement
dans leur activité de loisir et les grandeurs caractéristiques de la « cité par projet », ce qui
se traduit par des modes singuliers de rapport à l’outil connecté. Par exemple, Roméo
(ESD), s’il a momentanément suspendu au cours de son année déjà suffisamment
éprouvante de préparation à l’agrégation, sa quête de performance, compte bien
reprendre dès l’année prochaine sa « montée en puissance » :
la montre m’incite à me dépasser, plutôt sur le paradigme du jeu et du dépassement ludique
que de l’obligation; j’essaie de me défier comme si je jouais contre moi-même, afin de battre
mon record.
Il en va de même chez Paula (ESD) lorsqu’elle bascule en « mode préparation de raids » :
la montre m’aide à dépasser mes limites, en termes d’allure et de durée de course. Je
regardais la montre toutes les 30 secondes pour être sûre d’avoir la même allure; sur
1h20, ça fait beaucoup de fois, mais ça ne me dérangeait pas. Ne pas descendre sous un
seuil.
Dans une optique d’auto-optimisation, nombreux sont les sujets à mettre en avant cette
fonction de challenge matérialisée par la montre, à l’instar de Manuella (AEM) :
je trouvais quand même plus détente de courir sans montre. Bonne sensation à la fin avec la
montre. Je vois complètement que ça m’oblige à gratter alors que, pourtant, je pars avec
le même objectif que sans la montre, mais le fait d’avoir ce retour, ça me fait accélérer.
Ce rapport affirmé vis-à-vis de la compétition contre soi-même et/ou les autres présente
un empan variable suivant les sujets. Chez certains, comme Olivia, il s’exprime exclu-
sivement en course à pied alors que d’autres sujets témoignent d’un rapport beaucoup
plus transversal à la performance, qui se traduit par une quantification systématique de la
plupart de leurs activités sportives ou professionnelles. Il en va ainsi chez Jean-Luc
(ESD) qui suggère un lien dispositionnel entre d’une part « son rapport à la compète » et
d’autre part « son enfance sportive couplée à une formation universitaire en Sciences du
sport (STAPS) » :
Loisir et Société / Society and Leisure 19
je regarde mes publications comme mes temps de passage. Une exigence commune dans le
dépassement de soi, une forme d’éthique de vie; ce côté « duelliste, podium et compète »
des STAPSIENS, je l’ai toujours gardé.
Jean-Luc perçoit, en effet, une profonde continuité éthique entre ses excellents résultats
sportifs et son activité professionnelle d’enseignant-chercheur :
sur les publications, le caractère STAPS, relever des défis, c’est une forme de quantification.
Dans le métier d’universitaire, on passe notre temps à être évalués, même à 60 ans.
J’intériorise des règles d’évaluation qui sont celles de l’universitaire dans la société.
Il en va de même chez Niels (ESD), également Professeur d’université :
je suis quelqu’un qui fonctionne à la performance, au dépassement; j’aime courir avec des
objectifs [. . .]. J’ai toujours détesté perdre, je suis très compétiteur. Je me force à 100 % lors
des courses, même si c’est pour finir 13
e
au lieu de 14
e
, on s’en fiche complètement, mais
pour moi c’est super important, donc je vais vraiment m’entraîner. Je possède un rapport
transversal à la quantification, dans toutes mes activités sportives, mais aussi dans mes
activités de recherche; j’aime les chiffres; même si en sciences sociales, on s’en fout, je vais
quand même regarder l’Impact Factor des revues et le nombre d’articles publiés dans
l’année.
Dans le cadre de ses investissements sportifs, l’automesure permet finalement à Niels
(ESD) d’attester de la « productivité » de son année :
je partage sur Strava ce qui m’intéresse, c’est-à-dire le nombre total de kilomètres : cette
année, j’ai fait 5 000 km de vélo, 2 500 km de course, j’étais actif 340 jours dans l’année,
j’ai fait quatre semi-marathons, cinq 10 km, cinq 5 km et un marathon. Je suis plus dans le
quantitatif, je suis fier de ce niveau d’activité. Je me mesure, car ça me rassure fondamen-
talement de me dire que je ne fais pas ça pour rien, parce que j’ai l’impression que si je
courais sans montre, ce serait un peu pour rien, car ce ne serait pas répertorié, c’est une
preuve tangible de ce que je fais quelque chose.
Au final, chez des pratiquants ayant très vraisemblablement intériorisé des dispositions
temporelles ascétiques, orientées par les valeurs de perfectionnement et d’autocontrôle,
l’expérience de la course à pied quantifiée exprime simultanément la nécessité de vivre
avec la pénurie temporelle, le besoin impérieux de se déconnecter momentanément de la
surcharge de travail, mais aussi le désir de mettre en pratique les idéaux méritocratiques
de dépassement et de responsabilité, par ailleurs valorisés dans leur univers profession-
nel. Dans chacune de ces configurations, la montre connectée est assignée à des fonctions
spécifiques : tantôt garante du respect de l’emploi du temps serré, elle se trouve
relativement minorée lorsqu’est temporairement suspendue l’injonction au dépassement
avant de redevenir une stimulation à la performance dans une perspective de dépasse-
ment et de perfectibilité.
4.2. L’autoquantification de la course à pied comme entrave à la possibilité de
résonance?
Quidu (2020) soutient la thèse suivant laquelle la mise en chiffres de soi pourrait
constituer une entrave puissante à la possibilité de vivre des expériences sportives
résonantes. Suivant le raisonnement de Rosa, plusieurs propriétés de l’autoquantification
20 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
apparaissent a priori inhibitrices de la capacité à vivre des expériences résonantes : ainsi,
à un premier niveau, « on ne peut, en même temps, être en résonance et espérer être –
encore ou déjà – autre part; le fait de regarder l’heure signale toujours une interruption de
l’expérience résonante » (Rosa, 2018, emplacement 13.005). Se couper du présent, que
cela se fasse par une remémoration du passé ou une projection anticipée dans le futur,
condamnerait de facto à une relation aliénée, antinomique de la résonance qui se
caractériserait, à l’opposé, par une « abolition de la distinction temporelle entre le
passé et le futur dans la conscience intense d’un présent résonant ». Il en irait
de même d’une sensation de famine temporelle couplée à la quête systématique d’accé-
lération. Enfin, pour l’auteur, l’intention de compétition empêcherait également la
résonance.
À la lumière de nos résultats empiriques, il paraît heuristique de nuancer de telles
affirmations. Rappelons ici que les coureurs étudiés se quantifient de longue date, de
façon assidue et autodéterminée. La persistance d’une telle pratique procède, selon nous,
d’une motivation intrinsèque à l’activité et de la capacité à y vivre régulièrement des
expériences de résonance et ce, y compris dans des configurations que Rosa tend à
associer à des sources d’aliénation. Ainsi les athlètes alternent-ils de façon fréquente
entre des focalisations sur le présent, des remémorations de souvenirs et des projections
vers le futur. Ces diverses temporalités ne doivent toutefois pas être lues de façon
cloisonnée en ce que, dans l’expérience vécue par les coureurs, elles semblent davantage
enchevêtrées : ainsi, tout en demeurant immergés dans le présent de leur activité, ils
peuvent s’ancrer sur cette immédiateté pour réévoquer des expériences passées (plus ou
moins agréables) ou s’évader vers un futur plus ou moins imaginaire, sans que la relation
de résonance et l’immersion dans le présent ne soient nécessairement rompues.
D’autre part, les coureurs animés par des préoccupations de dépassement et de
performance n’enregistrent pas automatiquement une dégradation de la qualité de leur
expérience vécue, même lorsqu’émergent des ressentis inconfortables, compensés par
une sensation de fierté
28
d’avoir été productifs. Enfin, des fréquences parfois très élevées
de consultation du dispositif d’enregistrement ne signifient pas ipso facto une rupture
d’immersion dans la situation dans la mesure où l’usage de la montre, devenu automatisé
et donc économe en ressources attentionnelles, est par exemple spécialement ajusté à
l’objectif spécifique de séance.
Au final, à la lumière de nos matériaux empiriques, il nous semble quelque peu
précipité d’assimiler, de façon globale, toute pratique de la course à pied quantifiée à une
impossibilité irréductible de vivre des relations résonantes. Un axe d’affinement par
rapport aux thèses de Rosa nous semble pouvoir ici être envisagé : ce n’est pas en soi
l’activité pratiquée ni le dispositif d’automesure qui constituent en eux-mêmes des
facilitateurs ou des entraves à la possibilité de résonance, essentialisation parfois repé-
rable chez les continuateurs de Rosa (Plard, 2019). Au même titre que la course en
montagne ne doit pas être intrinsèquement considérée comme propice à la résonance, le
self-tracking ne peut être, en lui-même, vu comme une source inéluctable d’aliénation.
Ce faisant, il convient de s’intéresser aux modes singuliers d’engagement dans la
pratique, aux usages effectifs du dispositif numérique, aux techniques, tactiques et
stratégies incorporées pouvant s’avérer plus ou moins nuisibles à l’acteur depuis son
propre cadre de référence. Sur cette base, certaines formes d’interaction avec l’outil,
construites au fil de l’expérience par le sportif, peuvent attester d’un degré particulière-
ment élaboré d’expertise dans la connaissance de soi et prévenir le risque d’altération de
la qualité de l’expérience. Il en va de même pour l’anticipation du futur qui ne constitue
Loisir et Société / Society and Leisure 21
pas sui generis une source mécanique d’aliénation; c’est bien la façon de se tourner vers
le futur, en conservant éventuellement un ancrage sur le présent, qui déterminera la
qualité de l’expérience résultante. En définitive, il nous semble indispensable d’affiner
empiriquement – en prêtant attention à l’expérience telle qu’elle est effectivement vécue
par l’acteur – les critères susceptibles de favoriser ou, au contraire, d’empêcher l’émer-
gence d’expériences de résonance.
5. Conclusion
Notre contribution avait pour point de départ une série de travaux soulignant le risque de
dégradation de l’expérience sportive sous l’effet de l’adjonction d’un dispositif d’auto-
quantification. Cette altération de la qualité des vécus pourrait être à l’origine des taux
particulièrement élevés d’abandons précoces du self-tracking après la période de séduc-
tion de la nouveauté évaluée à trois mois. Nous nous sommes, à l’inverse, intéressés à
des pratiquants de course à pied quantifiée, assidus et de longue date en émettant
l’hypothèse que leur persévérance dans l’automesure et dans la course était sous-
tendue par le maintien d’une expérience sportive de qualité, d’un plaisir à courir et à
se mesurer, d’une motivation intrinsèque et autodéterminée voire de relations de réso-
nance. À partir d’un dispositif méthodologique croisant des auto-explicitations en temps
réel et des entretiens semi-directifs, nous avons mis en évidence trois types d’usages
experts et non nuisibles, incorporés par ces coureurs chevronnés pour se quantifier tout
en continuant à prendre du plaisir : tout d’abord, la différenciation temporelle qui
consiste à alterner des (non-)usages variés (en termes d’intensité et de systématicité)
de la montre suivant les objectifs de séance ou les périodes de sa vie; ensuite, l’ajuste-
ment in situ qui suppose de construire un rapport souple, flexible et autorégulé vis-à-vis
de ses objectifs numériques; enfin, la contextualisation permettant de donner du sens aux
mesures en les confrontant à l’expertise sensorielle acquise tout en relativisant le pouvoir
de nuisance des contre-performances. Suivant leur degré d’élaboration cognitive et
explicite, ces utilisations maîtrisées et bienveillantes, qui constituent des authentiques
techniques de préservation de soi, relèvent davantage de tactiques du quotidien ou de
stratégies délibérées. Dans tous les cas, elles ont été forgées par des coureurs ayant appris
à interagir avec la montre au point que celle-ci ne dégrade plus la qualité de leurs
ressentis. En ce sens, ces athlètes amateurs semblent être devenus experts dans la
maîtrise d’eux-mêmes. La construction de cette sagesse pratique passe notamment par
le développement d’une compétence plus ou moins consciente et délibérée à
« se détacher » (Goulet et Vinck, 2012; Hallé et al., 2014), que cela soit du dispositif
dans son ensemble, des objectifs qu’il incarne ou des données qu’il génère. Dit autre-
ment, les sujets ont appris à se déprendre de son omniprésence en même temps que de la
force et de la portée de son influence : les données qu’il génère peuvent ainsi être
contextualisées et relativisées (voire mises en doute) en même temps que ses objectifs
peuvent être révisés et que l’outil peut être relégué en arrière-plan de ses préoccupations.
La position sociale des enquêtés n’est peut-être pas tout à fait anodine dans l’incor-
poration d’une telle mise à distance critique et réflexive : en effet, ceux-ci faisant d’une
certaine manière déjà partie du « clan des vainqueurs de la compétition sociale »
(Rosa, 2013) en attestent leurs réussites économiques et professionnelles –, ils ont
(et/ou estiment avoir) peut-être moins à prouver que d’autres individus, objectivement
plus dominés et/ou subjectivement en quête de valorisation et de reconnaissance, davan-
tage prêts à s’autoréifier pour y parvenir
29
et donc moins enclins à se montrer auto-
22 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
indulgents. La disposition à la bienveillance envers soi-même pourrait ainsi s’avérer
conditionnée socialement. Cette hypothèse demeure bien sûr à éprouver empiriquement
et sera vraisemblablement amenée à être précisée, Darmon (2010) ayant par exemple
souligné que les patientes anorexiques, déjà le plus souvent en situation de grande
réussite scolaire, se montraient extrêmement exigeantes envers elles-mêmes dans de
nombreux autres domaines de leur vie, notamment corporelle, où s’expriment également
leurs dispositions ascétiques. Dans le cadre de la présente étude, nous avons insisté sur le
rapport transversal voire systématisé à l’autoquantification (et à la quête corrélative
d’excellence) instauré par certains sujets comme Jean-Luc ou Niels, tous deux Profes-
seurs d’université. Rosa (2018) ne soutenait-il pas, à ce titre, que le sujet de la modernité
tardive est contraint à une « réinvention permanente de soi » et à « une flexibilisation de
sa propre position au monde »?
30
Dit autrement, « les efforts du jour ne sont pas la
promesse d’un soulagement à venir, mais une difficulté de plus, une aggravation sup-
plémentaire du problème » (Rosa, 2018, emplacement 12.768).
Afin de documenter la dynamique de cette construction de bienveillance et/ou
d’exigence de compétitivité envers soi-même, il nous semblerait particulièrement per-
tinent de suivre de façon très fine la « carrière » (Darmon, 2008) de coureurs à pied dans
le self-tracking depuis la première rencontre avec leur montre connectée (et les expé-
riences potentiellement inconfortables et déstabilisatrices associées) jusqu’au développe-
ment de compétences spécifiques, aussi bien affectives, perceptives que techniques. Pour
ce faire, nous pourrions opter pour une étude longitudinale ou, à l’inverse, rétrospective
en recourant par exemple à l’objet théorique du « cours de vie relatif à une pratique »
(Hauw et Le Meur, 2013). Ce travail, qui viserait à apprécier la dynamique d’apprentis-
sage voire d’appropriation de la montre, pourrait s’inscrire dans le prolongement de la
synthèse de Dagiral et al. (2019) relative à l’usage de l’autoquantification aux divers âges
de la vie, mais aussi de l’enquête de Pharabod (2019) sur les utilisateurs de podomètres
connectés, l’auteure identifiant des « temps forts dans la construction d’un regard réflexif
sur sa marche quotidienne ».
Notes
1. Et sportives. Afin de ne pas alourdir le texte, la féminisation des noms communs ne sera pas
ici utilisée.
2. Nous utiliserons de façon équivalente, indifférenciée et interchangeable les expressions
« self-tracking », « mise en chiffres de soi » (Pharabod et al., 2013), « automesure » ou «
auto-quantification ».
3. Rosa (2018) définit la résonance comme une qualité transversale de la relation – à soi, à son
corps ou à son environnement triplement caractérisée par : un état d’ouverture et de
disponibilité à l’imprévisible; une présence et une immersion pleines dans la situation; une
acceptation d’une forme de vulnérabilité permettant de se laisser affecter et transformer au
contact du monde. Antinomique d’une relation muette, silencieuse et indifférente, caracté-
ristique de l’aliénation, la résonance correspondrait in fine à l’émergence d’une vibration
sensible entre soi et le monde.
4. Dans le domaine de la psychologie sociocognitive en général et de la théorie de l’autodé-
termination en particulier (Deci et Ryan, 2000; Sarrazin et Trouilloud, 2006), la « motivation
intrinsèque » renvoie à une action entreprise pour sa propre fin, que cela soit en lien avec le
plaisir qu’elle procure, le désir d’y progresser ou la perception d’une cohérence profonde
avec ses valeurs personnelles. Par opposition, une motivation sera dite « extrinsèque » si le
déclenchement d’une action est conditionné par une contrainte exogène (obligation maté-
rielle, récompense financière) ou l’intériorisation d’une pression externe (sentiment de
culpabilité).
Loisir et Société / Society and Leisure 23
5. Les travaux en psychologie sociocognitive (pour une synthèse, voir Sarrazin et al., 2006) ont
démontré, de façon robuste, que les formes les plus autodéterminées de motivation (en lien
avec une motivation intrinsèque) étaient associées à une persistance élevée dans l’activité
alors que les formes les plus extrinsèques de motivation généraient des abandons précoces. Il
ne s’agit pas ici de minorer l’influence potentielle d’autres types de motivations (comme le
souci hygiénique ou le devoir de santé), mais de considérer que celles-ci interviennent
davantage dans l’entrée en activité que dans la persévérance dans la pratique.
6. Les citations issues de publications anglophones ont été traduites par nos soins.
7. Au sens de De Certeau (1990), c’est-à-dire des manières dont les individus « braconnent »
l’ordre social et culturel par l’intermédiaire de « ruses », formes de microrésistances
quotidiennes attestant d’une « liberté buissonnière des pratiques ».
8. « Selon De Certeau (1990), les tactiques sont plus implicites, relèvent d’un allant de soi et
attestent d’une capacité de réactivité, quand les stratégies sont plus explicites et revendiquées,
érigées en ligne de conduite » (Dalgalarrondo et Fournier, 2019, p. 643).
9. Pour Pharabod et al. (2013, p. 118), « la quantification de soi est une parfaite illustration des
formes (technicisées) de l’individualisme contemporain, la généralisation de la norme
d’autonomie s’accompagne de l’injonction à formuler un projet entrepreneurial de soi. Ce
n’est plus l’ancien, mais le ‘nouvel’ esprit du capitalisme qui s’exerce, celui l’individu
doit se contraindre tout seul, pour devenir un individu-projet, gestionnaire et responsable de
soi ».
10. Laquelle s’ancre bien souvent sur une prime socialisation familiale, typique des classes
moyennes et supérieures, ayant contribué à l’intériorisation d’un rapport au temps rationali-
sant et planificateur (Henri-Panabière et al., 2019).
11. Dans la suite du texte, les matériaux extraits des auto-explicitations avec montre seront notés
« AEM » (pour Auto-Explicitation avec Montre), tandis que ceux sans montre seront indiqués
« AES » (pour Auto-Explicitation Sans montre).
12. Homewood et al. (2020) ont par exemple utilisé cette stratégie méthodologique “by removal”
(« par suppression ») dans leur étude phénoménologique des expériences corporelles vécues
par des femmes autoquantifiant leurs cycles menstruels.
13. « Nous vous demandons, tout en continuant à courir, de décrire, durant l’intégralité de votre
session de pratique, ce que vous ressentez, à l’oral et en temps réel, c’est-à-dire au
moment même cela apparaît puis disparaît. Plus précisément, tentez de décrire vos
intentions (vos buts, vos préoccupations), vos sources d’attention, vos sensations (qu’elles
soient agréables ou non), vos émotions (positives ou négatives) ainsi que vos diverses
pensées. Décrivez vos impressions et vos ressentis simplement, sans jugements ni explica-
tions, en les accueillant et en les verbalisant tels qu’ils apparaîtront. Vous n’êtes bien sûr pas
obligé.es de parler en permanence, mais n’hésitez pas à prendre la parole dès que quelque
chose de significatif vous apparaît. Il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse; juste décrire ce que
vous ressentez ».
14. Voir Samson et al. (2017) pour une illustration en course à pied; ou Whitehead et al. (2019)
durant une épreuve cycliste.
15. Dans notre dispositif, les coureurs ne prenaient la parole que lorsqu’émergeait un événement
de conscience significatif de leur propre point de vue. En cela, il s’oppose aux consignes
fournies dans les protocoles TA les sujets sont contraints à verbaliser leurs pensées en
continu, sans interruption.
16. « Là, c’est la petite pause qui s’impose. Il faut que j’achète du jus de cranberry, pour les petits
soucis d’infection urinaire qui trainent encore, ce n’est pas bon de se rapprocher des quarante
ans, des douleurs partout » (Vladimir, AEM).
17. Par exemple, Romain (AES) : « je viens de voir un magasin de tatouages et ça me fait
penser à une de mes ex qui se tatouait. Sans filtre, je dis les choses comme ça me vient et du
coup je constate que c’est une période je suis obnubilé, obsédé par les questions
sentimentales ».
18. Les données issues des Entretiens Semi-Directifs seront indiquées ESD.
19. Les réseaux d’interconnaissance des auteurs du présent texte – tous deux agrégés, docteurs,
enseignants-chercheurs et anciens élèves de l’École normale supérieure – n’échappent pas à
la loi de l’« homophilie » présidant à la constitution des amitiés des membres des catégories
fortement diplômées, notamment des professeurs (Godechot, 1996).
24 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
20. Comme le soulignent Dagiral et al. (2019), dans de nombreuses études consacrées aux
pratiquants de self-tracking, les auteurs admettent que leurs sujets sont issus des classes
moyennes et supérieures, mais sans faire de cette appartenance catégorielle un objet spéci-
fique de problématisation.
21. Dans la présente étude, l’âge a été considéré comme une variable pertinente à diversifier sans
pour autant constituer l’entrée première de l’investigation, à la différence de la contribution
de Dagiral et al. (2019, p. 134) pour qui “the goals of self-quantification evolve according to
the individual’s age and stage in the life cycle.”
22. Par exemple, Esmonde (2019) s’intéresse spécifiquement aux « technologies de la féminité »
incorporées par des coureuses à pied quantifiées, les femmes étant d’ailleurs surreprésentées
parmi les adeptes de self-tracking.
23. Voir le point 4.1.3.
24. Strava est un site internet (couplé à une application mobile) utilisé pour enregistrer et
partager ses données d’activités sportives collectées via GPS, mais aussi pour comparer ses
propres performances avec celles des pairs sur les mêmes « segments »; il est principalement
utilisé pour le cyclisme et la course à pied.
25. « J’ai l’impression d’avoir ralenti, bizarre la montre m’indique presque 12 km/h, alors qu’aux
sensations je suis moins à l’aise que tout à l’heure, les jambes lourdes » (Nicolas, AEM).
26. Rochat (2017) a souligné l’impact « démoralisant », chez certains coureurs de montagne,
d’une consultation trop fréquente de leur dispositif d’automesure dans des phases de course
particulièrement difficiles subjectivement.
27. Quidu (2017) identifie quatre formes d’activités sportives fournissant des réponses adaptées
au contexte d’accélération des rythmes de vie et de pénurie temporelle chronique : les
disciplines hybrides MMA, CrossFit; les oasis de décélération yoga, pilates, trail
(Rochedy, 2015); les sports brefs et intenses High Intensity Interval Training, RPM; et,
donc, les pratiques flexibles sans contraintes horaires exogènes.
28. Selon Snyders (1986), la « joie » ou « satisfaction » caractérise la fierté d’avoir accompli une
tâche ambitieuse; elle intervient de façon différée, à la différence du plaisir hédonique qui
s’inscrit à court terme.
29. À cet égard, Granjon (2011) montre comment certains utilisateurs de sites de réseaux sociaux
en quête de reconnaissance sont prêts à s’y autoréifier (par exemple par un ultra-conformisme
et une restriction volontaire de la complexité de leur personnalité) jusqu’à fragiliser leur
construction identitaire en se privant de possibilités multiples d’autoréalisation.
30. « La position que nous occupons vis-à-vis du monde et dans le monde dépend à chaque
instant de la performance que nous accomplissons » (emplacement 12.967).
Déclaration
Aucun conflit d’intérêts potentiel n’a été rapporté par les auteurs.
Disclosure statement
No potential conflict of interest was reported by the author(s).
ORCID
Matthieu Quidu http://orcid.org/0000-0002-1195-2299
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28 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
Annexe A
Guide pour les entretiens semi-directifs
(1) Fiche socio-professionnelle et expériences sportives.
-âge et situation familiale, profession, études.
-expériences et carrières sportives antérieures à la course à pied.
-expérience et carrière dans la course à pied; modalités de pratique de la course à pied (loisir,
compétitive; autogérée, en club; environnement de pratique; fréquence et durée des entraînements);
motivations associées à la pratique de la course à pied.
(2) La carrière dans l’autoquantification.
-paramètres quantifiés dans la course à pied et dispositif numérique utilisé.
-objectifs liés à cette autoquantification (s’améliorer? mieux se connaître?).
-organisation de l’autoquantification (fréquence d’enregistrement des courses, moments de
consultation à l’intérieur d’une course).
-effets suscités par l’autoquantification durant la course.
-exploitation et analyse des données après la course.
-modalités de partage éventuel de ces données.
-connaissances apportées par l’autoquantification.
-articulation entre vos sensations et les données quantitatives issues de l’automesure.
-quantifiez-vous d’autres aspects de votre vie (hors-course à pied)? (Nombre de pas, sommeil,
poids, calories).
(3) Retour sur le dispositif méthodologique d’auto-explicitation.
-le dispositif a-t-il été perturbant? Si oui, à quels niveaux? Quelles difficultés générées?
-le dispositif vous a-t-il apporté personnellement?
-a-t-il été difficile de s’approprier le dispositif? Avez-vous perçu une amélioration en termes
d’appropriation entre les deux sessions?
-entre les deux sessions enregistrées, avez-vous ressenti des différences du point de vue de
votre expérience vécue?
(4) Questions conclusives.
-pourquoi courrez-vous?
-que ressentez-vous quand vous courrez?
-pourquoi vous mesurez-vous?
Loisir et Société / Society and Leisure 29
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Christian 38 ans,
marié, 3
enfants.
Directeur
commercial
d’une entreprise
de
e-recrutement.
DUT
informatique.
École de
commerce.
Sport à l’école jusqu’à 18 ans.
Pas de sport de 18 à 36 ans.
Reprise il y a deux ans par
badminton et course à pied.
Depuis un an, un footing de
10 km par semaine et un
entraînement en club
d’athlétisme avec son fils
(fractionné). Court en parc
urbain.
Utilisation de la fonction
« santé » du téléphone.
Consultation de la distance
parcourue et de la durée de
course seulement à l’issue
de la sortie.
Olivia 35 ans,
mariée, 2
enfants.
Professeur des
écoles.
License et Master
d’histoire.
Admise au
concours du
CRPE.
Sportive depuis la préparation
au CRPE (il y a 13 ans).
Pilates, aqua-bike, natation,
fitness, cours collectifs en
salle privée.
Participation à des 10 km
(jusqu’à 10 par an) et semi-
marathons.
Entraînement en club pendant
7 ans (3 entraînements par
semaine) avec intention de
reprendre (après une pause
pour grossesse).
Aujourd’hui, 2 footings par
semaine entre 45 et 75 mn.
Sur plat, en environnement
semi-urbain.
Ne court jamais sans sa
montre, utilisée pour
s’assurer de la régularité de
l’allure.
Prise en compte de la
distance, du temps et de la
vitesse au km.
(Continued)
Annexe B. Tableau récapitulatif de la composition de l’échantillon.
30 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Jérémy 40 ans,
marié, 2
enfants.
Formateur,
professeur
agrégé d’EPS
en INSPE.
Master STAPS.
Thèse de doctorat
en Sciences de
l’éducation.
Football en club jusqu’à 18
ans (en parallèle, pratique
du VTT et de la course à
pied).
Au début des études
universitaires, natation et
course à pied, laquelle
devient son activité
principale.
Fréquence de 5–6
entraînements par semaine.
Très haut niveau de pratique.
Participation à des courses
sur route allant du 10 km
au marathon ainsi qu’à des
épreuves en montagne
jusqu’à 30 km. Environ 15
courses par an.
5–6 années de pratique en
club et dans des teams.
S’entraîne désormais seul
et court une à deux fois par
semaine avec des amis.
A couru pendant près de 20
ans avec une montre
classique.
Utilisation de la montre
connectée depuis deux ans,
à chaque sortie.
Non prise en compte de la
fréquence cardiaque.
Usage différencié de la
montre suivant le type de
sorties.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 31
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Jean-Luc 60 ans, en
couple, 3
enfants.
Professeur
d’Université en
Sciences de
l’éducation.
Master et thèse de
doctorat en
STAPS.
Titulaire du
CAPEPS et de
l’agrégation
externe d’EPS.
Durant l’enfance : athlétisme,
voile, spéléologie, VTT en
compétition.
À l’âge adulte, pratique à bon
niveau du rugby, vélo de
route, ski de fond en
compétition pendant 10 ans
(bon niveau régional, entre
500 et 1 000 km par an).
N’a pas connu 3 jours
consécutifs sans sport
depuis 30 ans, sans aucune
blessure.
Est devenue son activité
principale depuis 10 ans,
essentiellement pour son
côté fonctionnel et flexible
par rapport aux contraintes
d’emploi du temps.
Parcours 2 000 km par an;
50 km par semaine (4 à 5
sorties hebdomadaires).
10 courses par an (avec des
podiums très réguliers).
Une préférence pour le trail
qui rappelle le ski de fond.
Pratique en club d’athlétisme.
Une centration sur le volume
d’entraînement, que cela
soit en course à pied, ski de
fond, cyclisme, et ce,
depuis 30 ans.
Ne cours jamais sans sa
montre.
Quantifie distance, durée,
vitesse au km, dénivelé,
fréquence cardiaque.
(Continued)
32 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Mathieu 31 ans,
marié, 2
enfants.
Professeur agrégé
d’EPS dans le
supérieur.
Master 2
recherche
STAPS.
Ancien élève
d’une ENS.
Admis à
l’agrégation
externe d’EPS.
Jusqu’au lycée : VTT, course
d’orientation, spéléologie,
escalade, ski de randonnée,
kayak.
Durant les études
universitaires :
spécialisation en escalade.
Depuis la fin des études :
course en montagne et
VTT.
Course en montagne depuis
l’enfance, intensifiée
depuis 2 ans avec la
paternité.
Entraînement en autonomie.
Objectif de parcourir des
marathons en montagne.
Pas de participation à des
courses.
Tient un fichier Excel
synthétisant ses sorties,
durée, distance, dénivelé,
ressentis.
Cours 8 fois sur 10 avec sa
montre connectée.
Utilise la distance, la durée,
le dénivelé.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 33
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Niels 45 ans, en
couple.
Professeur
d’université en
travail social.
Doctorat en
sociologie.
Maîtrise et DESS
en santé
publique.
De 7 à 15 ans : BMX au
niveau international
(blessures).
De 15 à 20 ans : basket à bon
niveau (blessures).
De 20 à 30 ans : peu de sport.
Depuis 30 ans, cyclisme en
été, quelques duathlons et
triathlons ainsi que course
à pied, son activité
principale.
Depuis 15 ans, course à pied
intensive :
-pendant 5 ans, seul.
-depuis 10 ans, avec des
amis.
-depuis deux ans, en club.
60 à 80 km par semaine, 5
séances par semaine.
Spécialiste du semi-marathon
(7 à 8 courses par an).
A couru 6 marathons.
Également des courses de 5
et 10 km.
Projet de faire tous les
marathons majeurs.
Suit strictement les plans
d’entraînement de son
entraîneur et les allures
fixées.
Court avec la montre
connectée à chaque sortie.
Prend en compte la distance,
la durée et l’allure
kilométrique.
Cumul des distances
parcourues à l’année, aussi
bien en course à pied qu’en
cyclisme et randonnée.
(Continued)
34 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Nicolas 33 ans,
pacsé, 1
enfant.
Formateur en
INSPE,
Professeur
agrégé d’EPS.
Master STAPS,
agrégation
externe d’EPS.
Doctorat en
Anthropologie
en cours.
Jusqu’à 18 ans : football en
club à bon niveau régional.
Pendant les études : course à
pied (10 km, marathon).
À partir de 25 ans : futsal,
golf, padel, squash, ski,
surf.
Découvre l’ultra-trail à 25 ans
(80 km pour la première
course).
Depuis, se fixe chaque année
des objectifs plus élevés en
termes de distance et de
dénivelé (jusqu’à 149 km,
11 000 m de dénivelé +).
Objectif de l’UTMB et de la
diagonale des fous.
Attiré par le côté aventure.
3 entraînements par semaine
(40 km).
Cumule ses distances par
semaine et sur l’année.
Très attentif au dénivelé
parcouru.
Ne prend pas en compte sa
fréquence cardiaque.
Ne cours jamais sans sa
montre.
Quantifie également son
activité en golf, padel,
cyclisme, VTT, ski de
randonnée.
Gère ses courses grâce aux
allures fournies par la
montre.
Consulte davantage sa
montre sur des terrains
inconnus.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 35
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Roméo 24 ans,
célibataire.
Étudiant en fin de
cursus ENS
(élève-
fonctionnaire
stagiaire).
Titulaire d’un
master
recherche en
philosophie.
Agrégatif en
philosophie.
Depuis l’âge de 6 ans :
pratiques sportives en club
et en compétition (handball
surtout et cross-country à
l’adolescence).
En parallèle, pratique
autonome de la
musculation et de la course
à pied.
La course comme
accompagnement du
handball et outil de travail
foncier.
Ne participe pas à des
courses.
1 à 3 sorties par semaine
(avec du travail fractionné).
Utilise l’application de son
smartphone (durée et
distance), consultée
seulement en fin
d’entraînement.
Moindre utilisation durant
l’année de préparation au
concours.
(Continued)
36 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Paula 30 ans,
mariée, 2
enfants.
Professeure
agrégée d’EPS
dans le
supérieur.
License STAPS.
Ancienne élève
d’une ENS.
Agrégation
externe d’EPS.
Master recherche
à l’EHESS.
De 4 à 24 ans : gymnastique
artistique en compétition (3
entraînements
hebdomadaires). Arrêt
après grossesses.
En parallèle de la
gymnastique, activités
variées par bloc de deux
ans (planche à voile,
natation, athlétisme, danse
africaine, kayak).
Seconde spécialisation en
escalade durant ses études
STAPS.
Participation à des raids
multiactivités.
Cours depuis très longtemps
en parallèle de la
gymnastique.
Depuis ses grossesses, cours
au service de l’entretien et
pour préparer des raids.
Utilise sa montre connectée à
chaque sortie, pour la durée
et la distance
essentiellement.
Contrôle son allure
kilométrique pour rester
régulière.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 37
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Manuella 32 ans,
pacsée.
Professeure
agrégée d’EPS
dans le
secondaire.
License STAPS.
Ancienne élève
d’une ENS.
Agrégation
externe d’EPS.
Master recherche
en Science de
l’éducation.
Depuis l’âge de 8ans jusqu’au
lycée : judo (2
entrainements
hebdomadaires).
À l’université : activités
variées et polyvalentes :
cyclisme, escalade, volley-
ball, raids multiactivités.
Badminton en club pour se
spécialiser dans le cadre de
l’agrégation d’EPS.
Depuis l’âge de 25 ans :
football gaélique, vélo pour
se déplacer
quotidiennement.
Cours depuis l’adolescence
(collège et lycée) lors des
cross UNSS avec
entrainement préparatoire
intensif.
Depuis la fin de ses études,
court dans le but de garder
une activité physique
hebdomadaire lorsque les
autres activités sportives ne
peuvent avoir lieu.
Entrainement plus intensif en
course pour se préparer à
des raids et des challenges
collectifs en équipe
pendant le confinement.
Court avec sa montre
connectée uniquement dans
les phases de préparation à
des raids ou des challenges
collectifs. Dans ce cadre,
regarde sa montre très
régulièrement pour réguler
son allure au kilomètre
programmée à l’avance.
Partage de ses données
(trajet, temps, vitesse au
kilomètre) pour les
challenges collectifs, à
l’issue de la course.
Cours sans dispositif
d’autoquantification le
reste du temps.
(Continued)
38 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Carole 28 ans,
célibataire.
Agente de
communication
dans un
organisme de
danse
contemporaine.
License de lettres.
License et Master
en science de
l’information et
de la
communication.
Conservatoire en
Arts
dramatiques.
Équitation entre 7 et 10 ans.
De 9 à 15 ans : Athlétisme en
club (fond et demi-fond).
Course à pied comme activité
physique principale depuis
l’âge de 15 ans.
Depuis 2 ans, inscrite dans un
club multisports
principalement axé sur la
course.
Cours depuis l’âge de 9 ans.
Depuis l’âge de 15 ans, cours
en autonomie 3 fois par
semaine.
Participe à des courses de
différents formats (10 km,
semi-marathon et
marathon).
Court avec une montre
connectée à chaque sortie.
Consulte essentiellement la
distance, la vitesse
moyenne et la VO2 max
après la sortie afin de
réguler la charge
d’entrainement sur la
semaine. Ne regarde pas
pendant la course sauf en
période spécifique
d’entrainement pour une
course.
Enregistre ses données pour
avoir une trace de son
activité et se sentir
progresser.
Quantifie d’autres domaines
de sa vie (lecture, cours de
chant et de piano).
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 39
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Jean 44 ans,
célibataire.
Directeur
marketing dans
une entreprise
privée.
École d’ingénieur
et Master en
marketing dans
une École de
commerce.
Escrime, tennis, handball et
badminton pendant
l’enfance.
Tennis une ou deux fois par
semaine entre 25 et 40 ans.
Course à pied et
renforcement musculaire
avec un entraineur
personnel depuis l’âge de
40 ans.
Entre 41 et 44 ans, pratique
du squash.
Course à pied depuis l’âge de
40 ans avec un entraineur
personnel, 3 fois par
semaine.
Participe à des courses sur
des formats longs avec un
ami.
Utilise sa montre connectée
pour chaque session de
course. Enregistre toutes
ses sessions sur son
application.
Consulte sa vitesse
instantanée et son nombre
de kilomètres tout au long
de sa course.
Consulte sa vitesse moyenne
sur chaque kilomètre après
la course.
Regarde le récapitulatif sur
son application du nombre
de kilomètres par mois
ainsi que de la distance
moyenne par sortie.
(Continued)
40 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Cédric 25 ans,
pacsé.
Étudiant en 3
e
année de thèse
en physique.
Master recherche
en Physique.
Élève d’une ENS.
Ancien élève
d’une CPGE.
De 8 à 18 ans : tennis de table
en club.
Depuis l’âge de 20 ans,
pratique du handball
universitaire.
Court régulièrement depuis
l’âge de 15 ans et
intensément depuis l’âge
de 22 ans en se fixant des
objectifs de course et des
plans d’entrainement, 3 à 4
fois par semaine.
Participe à des courses
(10 km, 1 marathon, trail
entre 20 et 45 km).
Utilise une application de
quantification sur son
téléphone ainsi qu’une
monte connectée pour
respecter un plan
d’entrainement.
Regarde la vitesse
instantanée de sa montre
pour réguler son allure par
rapport à un objectif de
temps et sa distance totale.
Enregistre chacune de ses
séances via le GPS de son
téléphone pour analyser a
postériori ses données.
Se compare à lui-même sur
certains segments
quantifiés après la séance.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 41
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Paul 25 ans, en
couple.
Étudiant en 3
e
année
de médecine.
Master recherche
en Biologie.
Ancien élève
d’une ENS et
d’un CPGE.
De 6 ans à 11 ans : hockey
sur roller en club.
De 11 ans à 15 ans : Tennis
en club et football en loisir.
Course à pied à partir de 18
ans.
À partir de 19 ans, handball à
l’université et ski en loisir.
À partir de 23 ans :
musculation.
Cours depuis l’âge de 18 ans,
2 fois par semaine en
s’inscrivant à des courses
sur une distance de 10 km
et différents trails.
Pratique de loisir et avec
l’association sportive de
l’université.
Plusieurs arrêts et reprises au
fil des ans.
Utilise une application de
course GPS (Strava) pour
chaque session de course
depuis l’âge de 20 ans.
Écoute le feedback audio de
l’application indiquant la
vitesse au kilomètre et le
nombre de kilomètres
effectués.
Ne regarde pas le téléphone
et se contente du feedback
audio de l’application.
Regarde la vitesse par
kilomètre après la course
ainsi que ses performances
sur certains segments de
course.
Partage ses données avec des
amis via l’application.
(Continued)
42 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Romain 26 ans,
célibataire.
Étudiant en 4
e
année de
doctorat en
sociologie.
Master recherche
en sociologie.
3 ans de CPGE en
lettres et
sciences
sociales.
Basket et football en famille
durant l’enfance.
Handball en club depuis l’âge
de 13 ans jusqu’à 18 ans.
Section handball au lycée.
Course à pied depuis le
collège.
Entre 21 ans et 24 ans,
plusieurs activités
physiques à l’association
sportive de l’ENS :
handball, badminton,
musculation, randonnée.
Entre 22 ans et 26 ans,
essentiellement de la
course à pied.
Course à pied depuis le
collège.
Pratique plus intensive depuis
l’âge de 22 ans en essayant
de faire beaucoup de
dénivelés.
Parcours classique par séance
de 8 km et 300 m de
dénivelé, 3 à 4 fois par
semaine.
Ne participe pas à des
courses.
Utilise une application GPS
de course.
Enregistre chaque séance.
Regarde principalement
l’application après la
course pour voir le nombre
de kilomètres et le dénivelé
positif.
Ne regarde pas l’application
pendant la course.
(Continued)
Loisir et Société / Society and Leisure 43
(Continued).
Prénom
(modifié)
Âge et
situation
familiale Profession Formation Expérience sportive Expérience en course à pied Rapport à l’autoquantification
Vladimir 37 ans,
marié, 1
enfant.
Professeur agrégé
d’EPS dans le
supérieur.
License STAPS.
Élève d’une ENS.
Agrégation
externe d’EPS.
Master recherche
en Sciences de
l’éducation.
De 7 ans à 22 ans : Basket
pendant 15 ans en club.
À partir de 22 ans, course en
montagne avec des
participations régulières à
des courses sur des formats
longs.
Ultimate frisbee, escalade,
ski de fond et plongée de
manière complémentaire.
Natation et renforcement
musculaire depuis l’âge de
22 ans pour prévenir les
blessures.
Court régulièrement depuis
l’âge de 22 ans.
A eu une pratique intensive
de la course en montagne
entre 22 ans et 32 ans en
participants à de
nombreuses courses
prestigieuses.
Court dans une logique de
loisir avec une course
officielle par an depuis
l’âge de 32 ans et dans une
logique professionnelle
(reconnaissance de
parcours pour ses
étudiants).
Utilisation de sa montre
pendant ses courses pour
les fonctions baromètres
et altimètres. Calcule sa
vitesse ascensionnelle via
le dénivelé.
Utilise des GPS pour
connaître son parcours.
Utilise une application GPS
pour voir les segments et
les traces de ses amis et
anciens étudiants pour un
aspect convivial.
Utilisation non intensive des
GPS dans sa pratique
quotidienne.
44 M. Quidu and B. Favier-Ambrosini
... In particular, the use of digital devices (GPS watches, sports apps, heart rate monitors, etc.) raises the question of the effects on athletes' experiences and, in particular, their relationship with their body (Verchère, 2016). Runners who consistently use selftracking develop adapted habits, known as "expert metatechniques", which guarantee the quality of their sporting experiences (Quidu & Favier-Ambrosini, 2022). Learning this "practical wisdom" could be linked to a social position that enables critical and reflexive distancing from the data produced by digital devices (ibid.), ...
... This population includes a high proportion of managers (53% compared with 9% for the French population) and graduates with 5 or more years of higher education (51% compared with 10%) and people with a significantly higher median annual income than the French population (€28,421 compared with €22,200) (Gruas, 2021). This social recruitment suggests financial accessibility to measurement tools as well as a willingness to develop self-preservation techniques, enabling them to persist in selftracking without altering their sporting experiences (Quidu & Favier-Ambrosini, 2022). We therefore consider that these tracks are not produced by a specific fringe of trail runners and that they do not correspond to individual experiences; any type of trail runner can record any type of run. ...
... Most occupied positions of responsibility (senior level management, professors, business owners) and held post-secondary education diplomas. This data aligns with results found in previous sport studies (Togstad & Alsos, 2018;Dagiral, 2019;Quidu & Favier-Ambrosini, 2022) which have identified a positive correlation between self-quantification in running (which, according to Motyl [2020], has highly addictive potential) and the upper middle class. Income** Less than C$100,000 8 50% More than C$100,000 8 50% * One respondent chose not to share information on education level. ...
... En effet, en s'intéressant à l'expérience des bénéficiaires d'un programme sport-santé à destination de personnes souffrant d'obésité, Sandrine Knobe documente l'expérience intime du corps vécu des personnes tout en ne perdant pas de vue les enjeux sociologiques. Ainsi, à l'instar des travaux d'Allen-Collinson (Allen-Collinson, 2023 ; Allen-Collinson, Jackman, 2022) par exemple, une approche sociologique compréhensive d'inspiration phénoménologique (Quidu, Favier-Ambrosini, 2022) proche du courant socio-phénoménologique (Allen-Collinson, 2009) nous sem-blerait pertinente à développer dans le champ de l'analyse des politiques publiques du corps sain. Cette orientation, qui travaille à prendre au sérieux les dimensions perceptives, sensorielles et émotionnelles de l'activité (Barbier, Durand, 2003) nécessite des méthodologies encore en développement en sociologie et qui mériteraient, sans doute, d'être approfondies. ...
Article
Full-text available
Le texte propose tout d’abord de revenir sur les axes de réflexion transversaux aux différents articles composant ce numéro thématique de la revue Émulations et qui nous semblent soulever des enjeux importants concernant la sociologie des politiques publiques du corps sain. Sont ainsi abordées les questions de la multiplication voir de l’éparpillement des politiques publiques en matière de santé ; des modèles normatifs qui sont au cœur de ces politiques ainsi que les éventuelles résistances à ceux-ci ; des rapports de domination qui se jouent dans les processus d’impositions/résistances aux normes de santé. D’autre part nous nous proposons d’esquisser des pistes de recherche futures qui pourraient être fécondes quant à la thématique traitée dans ce dossier, et qui s’appuient sur les propositions des chercheurs.ses du présent numéro. Enfin, nous émettons quelques réflexions épistémologiques qui nous semblent recouvrir des enjeux forts concernant l’étude des politiques publiques du corps sain.
... Most occupied positions of responsibility (senior level management, professors, business owners) and held post-secondary education diplomas. This data aligns with results found in previous sport studies (Togstad & Alsos, 2018;Dagiral, 2019;Quidu & Favier-Ambrosini, 2022) which have identified a positive correlation between self-quantification in running (which, according to Motyl [2020], has highly addictive potential) and the upper middle class. Income** Less than C$100,000 8 50% More than C$100,000 8 50% * One respondent chose not to share information on education level. ...
Article
Full-text available
While exercise addiction is not officially recognized as a mental health classification in psychiatric nosography, this behavioral addiction has been increasingly studied and debated in scientific literature since the late 1970s. In an effort to deepen sociological understandings of this phenomenon, the present paper aims to expand the scientific discussion beyond normative and pathologizing debates by focusing on the personal trajectories of 17 self-designated “exercise addicts”. Data were collected using a mobile interviewing method, an immersive and participative mode of inquiry recognized for its ability to capture various intimate dimensions of lived experience. Strauss’ concept of “trajectory” was utilized to examine the temporal structure of the process which progressively led participants to experience and recognize themselves as “exercise addicts”. This approach was complemented by Lahire’s sociology of dispositions to describe the types of sport socialization experienced by participants and the contexts which enabled the expression of these socially forged dispositions. Analysis led to the identification of four distinct trajectories that outline the temporal structure of the social process involved in becoming an “exercise addict”. These inductively constructed trajectories are described in relation to three main variables: 1) the primary socialization relative to sport behavior and ranging from low to strong); 2) the nature of secondary sport socialization and the influence of current social networks and 3) the temporal pattern involved in “exercise addicts’” trajectories (continuous, progressive, or non-linear). Two elements are centralized in the discussion. First, the over-representation of self-identified “exercise addicts” associated with a privileged socio-economic class and second, the potential “protective” role of belonging to a community of practice of other “intense” exercisers.
Article
Exercise addiction has sparked a growing interest in the scientific and clinical literature, yet this behavioral addiction has mainly been investigated quantitatively, from a positivistic perspective. This article explores the subjective and embodied dimensions of exercise addiction, broadening current conceptions of this emerging, still unofficial mental health category. Building on carnal sociology, and through a thematic analysis of mobile interviews conducted with 17 self-proclaimed “exercise addicts” from Canada, this article examines the interrelations between the embodiment of exercise addiction and the normative social elements at stake in the shaping of the category, providing insights on how exercise is experienced as an addiction. Results show that most participants describe this addiction as “soft” and “positive”, highlighting the virtues of exercising. However, their bodily accounts also reveal a suffering body, bringing forth the vices related to excessive exercising. Participants also put in relation the quantifiable and the sensible body, revealing the porous boundaries of this construct: exercise addiction can sometimes be regulatory in certain contexts and counternormative in others. Thus, it appears that “exercise addicts” enact various contemporary normative requirements, which vary from asceticism and body-ideals but also to the phenomenon of social and temporal acceleration. We argue that exercise addiction questions how certain behaviors, deemed potentially problematic, illustrate the tensions and complex articulations between embodying and resisting social normativity.
Article
Full-text available
Les champs des loisirs sportifs ainsi que de l’EPS connaissent actuellement un engouement important autour du développement des pratiques d’auto-quantification (ou self-tracking) qui consistent à mesurer, en temps réel, l’évolution de ses propres performances et de ses variables biologiques (p. ex : fréquence cardiaque) ou mécaniques (p. ex : vitesse instantanée) au moyen d’un dispositif numérique portatif (p. ex : fitbit, charge, vivofit, garmin). Ces dispositifs permettent d’avoir accès à des données chiffrées, pouvant être objectivées par un système technologique. Si plusieurs propositions pédagogiques insistent sur les potentialités éducatives de ces outils d’auto-quantification, d’autres révèlent que, suite à une phase initiale d’engouement, certains élèves tendent à s’en désengager et à les abandonner car ils dégraderaient leurs expériences corporelles et émotionnelles pendant l’activité phsyique (Quidu, 2019). Pour autant, toute pratique d’auto-quantification n’est pas forcément néfaste. Elle n’est pas émancipatrice ou aliénante en soi, mais ne le devient que dans le contexte d’une utilisation spécifique. L’enjeu pour l’enseignant est donc d’accompagner les élèves dans la découverte et l’apprentissage de ces usages bénéfiques, pour eux-mêmes.
Article
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Rather than critically examining the uses of self-trackers—digital personal quantification tools—within the “quantified self” movement that emerged in California, this article studies their coherence as an extension of ordinary self-care techniques. It analyzes concrete practices of personal quantification in relation to stages in the life cycle by combining a questionnaire survey (n=1,829) with a large qualitative survey (n=105). The questionnaire survey reflects the significant place occupied by figures in self-care. It analyzes the practices of respondents, 28% to 43% of whom (depending on their age group) engage in digital self-tracking practices, and 14% to 27% of whom own a connected measuring device. The qualitative part of the study examines the intertwining issues at the heart of these practices and shows that, despite the diversity of individual contexts, the goals of self-quantification evolve according to the individual’s age and stage in the life cycle. While regulating an unstable lifestyle through self-measurement is a widespread objective among younger people, the need to rationalize professional, domestic, and personal lives often becomes central in the uses of quantification following the birth of children. After the age of fifty, it gives way to a concern with preventing threats related to aging.
Article
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La pratique du self-tracking, qui consiste à quantifier l’évolution en temps réel de ses performances et de ses variables biologiques au moyen d’un dispositif numérique portatif, tend de plus en plus à se généraliser chez les sportifs amateurs. Toutefois, un taux extrêmement élevé d’abandon a pu être constaté, après des périodes souvent très courtes d’auto-quantification. Nous tentons de proposer un scénario à même de rendre compte de telles interruptions, précoces et massives, en soutenant qu’elles interviennent, chez les pratiquants, comme une solution, témoignant d’une certaine « maîtrise de soi », leur permettant de préserver – voire de restaurer – la qualité de leur expérience vécue, laquelle avait été préalablement altérée et dégradée par l’auto-observation systématique. En effet, celle-ci est apparue comme susceptible de modifier la dynamique motivationnelle des acteurs (en les incitant à se détourner des motifs intrinsèques à la pratique sportive elle-même) ; de produire des conflits de buts générateurs d’un sentiment anxiogène d’urgence temporelle ; mais aussi de perturber l’équilibre attentionnel durant l’activité physique. The practice of self-tracking, which consists in quantifying the real time evolution of its performances and its biological variables, by using a wearable and digital device, is increasingly becoming widespread among amateur sportsmen. However, an extremely large rate of abandonment was highlighted, after, often, very short periods of self-quantification. We try to formalize a scenario to account for such early interruptions by arguing that they occur, as a solution for the sportsmen demonstrating some “self-control”, allowing them to preserve – and restore – the quality of their lived experience, which had previously been altered and degraded by a systematic self-observation. Indeed, it appeared to be likely to convert the motivational dynamics of the actors (by encouraging them to turn away from the intrinsic motives of the sport practice itself); to produce stressful goals conflicts that generate a feeling of temporal scarcity; but also to disrupt the attentional balance during physical activity.
Article
Cet article élabore l’ontologie et la méthodologie sociales de la sociologie charnelle comme mode distinctif d’investigation déjouant la posture spectatrice pour saisir l’action-en-trainde-se-faire, dans le sillage des débats suscités par mon enquête par apprentissage sur la boxe comme art du corps plébéien. Je critique d’abord les notions (dualiste) d’agent, (externaliste) de structure et (mentaliste) de connaissance qui régentent les sciences sociales contemporaines et j’ébauche une conception alternative de l’animal social considéré non pas comme un simple manipulateur de symboles mais comme une créature de chair et de sang sensible, souffrante, sachant-faire, sédimentée et située. Je mets en exergue la primauté du savoir pratique incorporé qui survient des trames d’action dans lesquelles il est continuellement imbriqué, et j’examine quelles sont les modalités d’enquête aptes à déployer et à tirer profit de cette conception incarnée de l’agent. Je soutiens que l’ ethnographie énactive , variante du travail de terrain par immersion fondée sur l’« effectuation du phénomène », ouvre une voie féconde pour saisir les schèmes cognitifs, conatifs et cathectiques (habitus) qui génèrent les conduites et sous-tendent le cosmos considéré. Mais il faut de l’audace et de la ténacité sociales pour tirer parti de la « participation observante » et atteindre la compétence sociale (par opposition à la saturation empirique). Je reviens en conclusion sur le dialogue de Bourdieu avec Pascal afin de soupeser les difficultés et de souligner l’urgence de saisir l’« esprit de finesse » qui anime toute compétence mais qui disparaît des comptesrendus de la science sociale normale.
Chapter
Practitioners and scholars explore ethical, social, and conceptual issues arising in relation to such devices as fitness monitors, neural implants, and a toe-controlled computer mouse. Body-centered computing now goes beyond the “wearable” to encompass implants, bionic technology, and ingestible sensors—technologies that point to hybrid bodies and blurred boundaries between human, computer, and artificial intelligence platforms. Such technologies promise to reconfigure the relationship between bodies and their environment, enabling new kinds of physiological interfacing, embodiment, and productivity. Using the term embodied computing to describe these devices, this book offers essays by practitioners and scholars from a variety of disciplines that explore the accompanying ethical, social, and conceptual issues. The contributors examine technologies that range from fitness monitors to neural implants to a toe-controlled mouse. They discuss topics that include the policy implications of ingestibles; the invasive potential of body area networks, which transmit data from bodily devices to the internet; cyborg experiments, linking a human brain directly to a computer; the evolution of the ankle monitor and other intrusive electronic monitoring devices; fashiontech, which offers users an aura of “cool” in exchange for their data; and the “final frontier” of technosupremacism: technologies that seek to read our minds. Taken together, the essays show the importance of considering embodied technologies in their social and political contexts rather than in isolated subjectivity or in purely quantitative terms. Contributors Roba Abbas, Andrew Iliadis, Gary Genosko, Suneel Jethani, Deborah Lupton, Katina Michael, M. G. Michael, Marcel O'Gorman, Maggie Orth, Isabel Pedersen, Christine Perakslis, Kevin Warwick, Elizabeth Wissinger
Article
Perfectionism through numbers? How self-tracking technologies fit in individuals’ optimization projects This paper analyses the contemporary uses of digital self-tracking technologies when employed to optimize people’s lives. Based on qualitative research of Quantified Self practices by some twenty American and French executives, it focuses on the place of numbers and measurement of activities within their self-optimization projects. It shows that this work of self-improvement, which is aimed at articulating objectives and general values, makes the perfectionism-through-quantification process especially delicate and even exhausting. It also shows how these practices, which sit at the interface between professional, family, and personal life, highlight the escalation in self-care and self-control in the hygiene, health and “well-being” practices of managers.