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Les transformations socio-économiques dans le Sous
Mohamed OUBENAL
L’objectif de ce chapitre est d’étudier les transformations socio-
économiques dans le Sous sur le temps long. Il s’agit de décrire la
manière avec laquelle les principaux changements structurels affectent
l’économie de cette région. L’établissement des empires almoravide et
almohade constitue un moment clé dans la centralité des territoires et des
tribus du Sud. Le Sous s’est, par la suite, affirmé par le développement
d’une industrie sucrière au temps des Saâdiens. Or, l’absence d’une
appropriation locale, la dépendance à l’égard des marchés extérieurs et
les longues luttes de succession après la mort d’Al Mansour ont
complètement détruit ce secteur. C’est l’émirat marchand d’Iligh, dans le
Tazerwalt, qui prend le relai en établissant sa souveraineté dans le Sud.
Boudmiâ parvient à transformer le capital symbolique de la zawiyt
n’Tzerwalt en pouvoir politique et économique. Il pose ainsi les bases
d’un émirat marchand basé sur le contrôle du commerce caravanier plutôt
qu’un empire fondé sur la taxation foncière des territoires.
Après la chute de l’émirat d’Iligh, le Sous connaît plusieurs soulèvements
et des tentatives d’autonomisation grâce aux côtes du Sud. Le Makhzen
tente alors de contrôler la région en construisant la ville portuaire de
Tassourt (Essaouira/Mogador). Plus tard, le XIXème siècle connaît à la
fois l’augmentation des échanges économiques avec l’Europe et la
tentative du pouvoir central de les contrôler. L’afflux de produits comme
le coton, le thé et le sucre dans les marchés du Sous transforme les habits
et l’alimentation de la population. Les maisons commerciales d’Iligh et
de Bairouk vont profiter de cet essor commercial mais le pouvoir central,
en jouant sur leurs conflits et en effectuant des expéditions militaires, va
les empêcher d’établir des échanges commerciaux directs avec les
Européens sur les côtes du Sud.
Suite au traité d’Algésiras, des sociétés commerciales européennes seront
mobilisées par leurs gouvernements respectifs pour accélérer la
décomposition des structures institutionnelles traditionnelles et les mettre
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sous la dépendance des intérêts étrangers. Lorsque les Français
s’installent progressivement dans le Sous, après la signature du traité du
protectorat, ils veillent à dessaisir les assemblées de tribus et les caïds des
ressources importantes que sont la taxation des Nzala en construisant des
routes sécurisées. Lorsque le port de Casablanca devient facilement
accessible, les marchandises délaissent Tassourt pour la nouvelle capitale
économique. Cette dépendance à l’égard du Nord n’est pas seulement le
fruit des échanges économiques, elle est aussi provoquée par la ponction
fiscale et l’allocation budgétaire. La réorganisation du système fiscal par
une administration plus rationnelle permet de ponctionner plus
efficacement les tribus. Les ressources collectées ne restant plus au
niveau local, lorsque le Makhzen est affaibli, mais remontent désormais
systématiquement au niveau central. Enfin, l’un des aspects les plus
importants de la dépendance du Sous est l’intensive introduction de
cultures qui ne répondent pas aux besoins locaux tels que le tabac pour
répondre aux besoins des grands centres urbains et la production de
l’huile de ricin pour aider l’armée française durant la seconde guerre
mondiale.
Le Sous et l’économie des empires amazighes du Sud
L’apparition de l’empire almoravide en 1040 a constitué un événement
décisif dans le développement du chemin caravanier transsaharien
occidental d’Afrique du Nord. Jusque-là, ce sont surtout les Amazighes
ibadites qui ont favorisé le développement du chemin caravanier oriental
reliant le Bilad Soudan aux ports méditerranéens comme celui de Tripoli
via les oasis de Ghadames ou de Ouerghla (Botte, 2011). Plusieurs
facteurs vont conduire à la prospérité économique de l’empire almoravide
(Devisse, 1972). La sécurisation des routes suite à l’unification d’un
vaste territoire qui s’étend de la péninsule ibérique jusqu’au sud du
Sahara ; le contrôle des salines qui leur permet d’échanger le sel contre
de l’or et des esclaves venant du Sud ; leur doctrine religieuse malékite
les amène à annuler certaines taxes jugées contraire à l’islam, ce qui attire
les marchands ; l’unification monétaire favorise les échanges de biens
complémentaires sur un territoire à cheval entre l’Afrique et l’Europe.
L’installation à Aghmat puis la construction de Marrakech qui devient la
capitale de l’empire conduit les Almoravides à la « mise en valeur
systématique du Sûs » (Devisse, 1972 : 62). Cette région est proche de
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leur capitale et comprend des villes comme Tamdoult1 que traversent les
caravanes en route vers le Sud et surtout Taroudant qui permet le contrôle
administratif des territoires alentours. La ville de Nul2 qui se trouve sur
l’Oued Noun prospère, quant à elle, surtout vers la fin du règne
almoravide, ce qui préfigure déjà l’émergence des Almohades (Ibid. : 67)
qui vont, entre autres, s’appuyer sur plusieurs tribus du Sous. L’empire
almohade (règne 1147-1269) qui s’étend plutôt vers l’est de l’Afrique du
Nord permet aux deux axes orientaux et occidentaux des échanges
caravaniers de se développer. Mais la stratégie commerciale des
Almohades se distingue par une ouverture sur les commerçants chrétiens
pour étendre leurs échanges méditéranéens au-delà de ceux qu’ils ont
déjà avec l’Andalousie. Des traités de paix sont alors signés avec les
Pisans et les Génois. Ces derniers vont d’ailleurs jouer un rôle
économique dans les échanges commerciaux des Empires occidentaux
d’Afrique du Nord avec le reste de la méditerranée (Valerian, 2004)3.
L’ordre politico-économique initié par les Almoravides et mis en place
par les Almohades a consisté en la consolidation de places fortes pour
contrôler les tribus qui circulent entre la plaine, la montagne et le désert
(Ghouirgate, 2014). Pour la région du Sous, la ville de Taroudant était
dotée d’une milice étrangère, turque ou chrétienne, qui avait
principalement pour mission de récolter les impôts et de réprimer les
révoltes sans dépendre des rapports de forces locaux au sein des tribus du
Sous4 (Ibid. : 306). Cette répression signifie souvent la mise à mort des
leaders de la fronde mais aussi la quête d’une rapide conciliation pour
une reprise du commerce caravanier en conviant les dignitaires à la
capitale pour le repas collectif asmas avec le calife (Ibid. : 278-279).
Dans le cadre de la mise en place d’un système économique efficace, les
1 Cette ville complètement détruite fut prospère d’après les écrits de plusieurs
historiens. Ses ruines se situent non loin de la ville actuelle d’Aqqa dans la province
de Tata.
2 Les ruines de la ville de Nul également appelée Nul-Lamta se situent vers les oasis
d’Asrir et de Tighmert dans la province de Guelmim. Lorsqu’elle fut détruite, la
ville de Tagaoust, dont les ruines se situent à Laqsabi dans la même province, prend
le relais comme étape principale dans le commerce caravanier.
3 Les relations avec les marchands chrétiens existent déjà à la fin du règne des
Almoravides mais l’ouverture commerciale des Almohades est d’une tout autre
ampleur (Valerian, 2019 : 148).
4 Il est intéressant de noter que les Almohades ont nommé un gouverneur pour le
Sous dont la mère était originaire de la forte tribu des Lamta. L’objectif probable
étant de consolider son implantation chez certaines fractions qui sont longtemps
restées fidèles aux Almoravides.
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Almohades réalisent également un arpentage des terres d’Afrique du
Nord qui se trouvent sous leur domination. Cela leur permet de collecter
l’impôt foncier qui est, plus que les ressources provenant des échanges
commerciaux, la principale ressource financière de l’empire (Kadiri
Boutchich, 2006 ; Asgane, 2010).
Les sources historiques nous informent que la région du Sous a été,
depuis au moins le règne des Almoravides, une zone de production de
sucre (Ouerfelli, 2008). Il s’agit, le plus probablement, d’un bien
prestigieux qui était principalement consommée par les élites, comme le
souligne Ghouirgate (2014 : 153-154), pour le cas de la dynastie
almohade. Les plantations de canne à sucre se seraient d’abord
développées dans la région de Taroudant pour fournir les cours
impériales de Marrakech. Le sucre du Sous est également exporté pour
approvisionner les élites d’Andalousie et celles d’Ifriqya lorsque les
Almohades étendent l’Empire vers l’est (Valerian, 2019 : 155). Le
déplacement de la capitale à Fès, au temps des Mérinides, marque le
début d’une hibernation de la production sucrière du Sous. Les habitudes
alimentaires de la cour se modifient. Le sucre devient rare dans les plats
des élites Mérinides et il est remplacé par un mélange de miel et d’huile
(Ghouirgate, 2014 : 145). La production du sucre dans le Sous ne prend
une dimension importante qu’avec l’ascension des Saâdiens au début du
XVIème siècle.
L’industrie sucrière d’exportation au temps des Saâdiens
Il faudrait tout d’abord situer l’émergence du mouvement saâdien dans le
contexte de la reconquête par les royaumes chrétiens de la péninsule
ibérique et de leur implantation sur les côtes d’Afrique du Nord. Dans le
cas de la région du Sous, les Portugais prennent le contrôle des tribus de
Masst5 et établissent une forteresse au Cap Ghir6 après une concurrence
intense avec les castillans, qui a marqué la fin du XVème siècle
(Rosenberger, 2020). La stratégie des Portugais leur permet surtout
d’accéder au commerce caravanier saharien qui passe par le Sous et le
Draa tout en effectuant des brigandages sur la côte pour ramener des
esclaves (Rosenberger, 1971 : 202-203). Ils vont aussi renforcer leur
5 En 1497, des notables des Aït Masst (Ahl Massa) signent un accord avec les
Portugais pour se mettre sous leur protection et leur verser un tribut. En contrepartie,
ils bénéficieront de la possibilité de commercer avec le Portugal et de s’y rendre
sous pavillon portugais.
6 Elle est plus précisément appelée en portugais Santa Cruz do Cabo de Gué et se
situe à l’emplacement de l’actuelle ville d’Agadir.
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commerce maritime en se procurant au Maroc des biens comme les
chevaux et les étoffes henbel qu’ils vont échanger, dans leurs comptoirs
guinéens, contre de l’or et des esclaves (Al Mansouri, 2001 : 252). Le
jazoulisme amène un appel au jihad qui galvanise les chefs et les
membres des zawaya du Sud, qui sont scandalisés par la perte des
territoires musulmans. Les notables des tribus du Sous et les religieux
souhaitent également remédier aux intrusions des Portugais et leurs
pillages qui désorganisent le commerce caravanier irriguant d’habitude
leurs inmouggarn (foires) et leurs souks (Cornell, 1990 : 397-398). Ce
danger extérieur les pousse à laisser de côté leurs luttes intestines et à
s’unifier. Ils proclament, à la zawiya de Tidsi dans le Sous, le chérif
Zaydani de la zawiyt de Tagmadart venu de la région du Draa comme
prince du jihad (Rosenberger, 1971 : 207-208). Le mouvement saâdien
s’installe progressivement lorsque ses chefs choisissent comme capitale
Taroudant pour organiser administrativement le Sous et s’engager dans la
conquête des territoires voisins (Masst en 1516, Draa en 1517 et
Marrakech en 1525).
La contrainte du pouvoir des Wattassides qui persiste dans le Nord
jusqu’à la moitié du 16ème siècle oblige les Saâdiens à renforcer leur
administration du Sous en y maîtrisant la collecte des impôts et en
améliorant son industrie sucrière qui leur permet d’acheter l’armement
nécessaire. Ils auraient ainsi pris conscience, dès le début de leur
mouvement, de l’importance d’une ouverture maritime atlantique pour
exporter des marchandises qui proviennent à la fois du renforcement de
l’industrie locale du sucre, de la production minière du Sous et du
développement de leur activité commerciale transsaharienne7. Pour
conquérir la forteresse du Cap Ghir qui s’effectue finalement en 1541, ils
l’isolent de son arrière pays et ouvrent des petits ports aux larges des
territoires d’Ihahan et de Masst où ils entrent en contact avec des
commerçants génois et castillans (Al Mansouri, 2001 : 193-195). Ces
derniers leur fournissent des armes à feu nécessaires à leurs projets de
conquête en échange des produits du Sous comme le sucre. Pour occuper
des postes avantageux au sein du nouveau mouvement, certains chrétiens
n’hésitent pas à se convertir à l’islam et deviennent des âluj (renégats)
7 Bien avant la conquête du Soudan par Al Mansour, lancée en 1590, les premiers
chérifs saâdiens tentent d’occuper des salines dans le Sahara ou de négocier, avec les
souverains de Gao et les chefs de tribus qui dominent le Sahara, la répartition des
taxes sur les principaux produits échangés tels que les esclaves ou l’or (Mougin,
1975).
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qui apportent leur savoir-faire miliaire et technique aux chérifs saâdiens
(Cornell, 1990 : 399-400).
Le quadrillage administratif du Sous permet à cette région de demeurer le
pourvoyeur principal des ressources fiscales de l’empire même à son
apogée au temps d’Al Mansour Addahbi. Si l’on se fie aux estimations
produites par Jorge de Henin, un espion espagnol à la cour des Saâdiens
(cité par Mouline, 2013 : 281), les provinces du Sud apportent au trésor
5.600.000 once d’or environ, ce qui représente presque le double des
recettes des provinces du Nord (3.000.000 once d’or). On dispose d’une
indication sur les dispositifs de contrôle qui permettent de ponctionner les
tribus les plus reculées du territoire du Sous. Le Kennach (registre), qui
relate Lherkt ou l’expédition du sultan Al Mansour dans le Sous, souligne
l’importance de soumettre au paiement de l’impôt même les iboudrarn
qui habitent des montagnes difficiles d’accès de Lkest (Justinard, 1933).
L’auteur8 du Kennach détaille à la fois les chemins empruntés par
l’expédition et surtout le fractionnement des tribus pour approvisionner
l’armée en Lmouna et collecter les impôts. On peut également y observer
l’exonération dont bénéficient les zawaya qui sont fidèles aux chérifs
saâdiens. Ces centres politico-religieux permettent au sultan de contrôler
ce pays montagneux en arbitrant les conflits et en forgeant des alliances
sans avoir à intervenir directement. La zawiyt rivale de Sidi Hmad ou
Moussa n’Tzerwalt n’est, quant à elle, pas exonérée d’impôts. L’un des
fils du fondateur de cette confrérie sera d’ailleurs puni pour avoir critiqué
les exactions d’Al Mansour. Il est incarcéré dans la prison de Taroudant
où il meurt vers 15979 (Soussi, 2005 : 27-28).
En plus des recettes d’impôts, le pouvoir saâdien va s’appuyer sur la
production et l’exportation du sucre pour développer ses ressources. A
partir des premières décennies du mouvement, le gouverneur du Sous
Mohammed Cheikh, qui va réunifier par la suite sous son autorité toutes
les provinces de l’empire, développe les anciennes plantations de canne à
8 L’auteur est originaire de la tribu des Ida ou Gnidif, partie intégrante de l’Adrar
n’Lkest regroupant nombre de tribus qui refusent de verser l’impôt au sultan. Ce
personnage accompagne Lherkt et fournit des informations au Sultan pour avancer
dans son expédition.
9 Il est intéressant de relater ici le récit que fait Lmokhtar Soussi (2005 : 22-23) des
relations entre le Cheikh Sidi Hmad ou Moussa et le pouvoir saâdien. Il raconte que
le sultan Abdellah al-Ghaleb s’est déplacé avec son armée à Tazeroualt pour
consulter ce Cheikh qu’il considère comme le plus grand de son royaume. Le cheikh
qui se rendra plus tard à Marrakech a, pour sa part, eu des mots critiques à l’égard
du comportement de certains gouverneurs saâdiens.
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sucre à Tidsi et à Tiout. Il cherche surtout à les moderniser en recrutant
des marchands andalous qui ont fui la Reconquista ou des renégats qui se
mettent à son service (Cornell, 1990 : 403 ; Al Mansouri, 2001 : 20).
Lorsqu’il était présent auprès des Saâdiens aux alentours de 1513, Leon
l’Africain (1896-1898 : 171) observe un sucre noir et de mauvaise
qualité, or les nouvelles techniques apportées améliorent sensiblement la
qualité de ce produit quelques décennies plus tard comme en témoigne
l’ancien captif espagnol Luis del Marmol Caravajal (1667 : 30-31) : « le
sucre est fort fin, depuis qu’un Juif [Gazi Muça] qui s’était fait Maure
dressa les moulins avec l’aide des captifs que le chérif fit au Cap
d’Aguer ». Ce témoignage montre aussi l’importance de la prise de la
forteresse qui permet de mobiliser des Portugais détenteurs d’un savoir-
faire dans le raffinage du sucre qui proviendrait probablement de leur
expertise acquise dans les plantations de l’île de Madère.
Si des allochtones apportent une amélioration dans les techniques de
raffinage, ce sont surtout des Amazighs des tribus de la région qui
représentent la principale force de travail10 dans l’industrie du sucre
(Marmol, 1667 : 29). L’abondance de la main d’œuvre provient de
l’importance de la population du Sous qui n’a pas subi les ravages de la
famine comme l’ont été d’autres régions. L’action de Mohammed Cheikh
et des zawaya qui lui sont alliées dans le cadre du mouvement saâdien a
été déterminante pour organiser l’approvisionnement des populations et
éviter les ravages d’un énième épisode de famine (Rosenberger et Triki,
1973 : 126-127). Cela a permis de renforcer la légitimité du pouvoir et
d’obtenir un excédent de bras qu’il sera possible de mobiliser à la fois
dans les plantations de canne à sucre et dans les batailles de conquête des
territoires du Nord.
L’industrie du sucre a été, pour le pouvoir saâdien, un élément central
dans ses ressources financières. Les chiffres avancés par le captif Antonio
de Saldanha (cité par Mouline, 2013 : 282) nous permettent d’estimer à
1/5 du budget les rentrées provenant de l’activité sucrière11. Cette
10 Il faudrait ainsi réfuter l’hypothèse que les travailleurs des sucreries seraient des
esclaves noirs ramenés du Soudan. Cette hypothèse fut proposée par Paul Berthier
(1966) et réfutée, entre autres, par Dzubinski (1986 : 15) : les toponymes relatifs aux
Qsour Lâbid ou Rawdat Lâbid, retrouvés par Berthier à côté des anciennes sucreries,
correspondraient à des constructions ultérieures réalisées durant la dynastie alaouite
qui n’auraient rien à voir avec les plantations de sucre saâdiennes.
11Saldanha estime les ressources annuelles du budget saâdien aux alentours de
4.789.090 ducats alors que les recettes provenant des plantations sucrières sont
estimés à 1.000.000 ducats.
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richesse ne provient pas de l’écoulement du sucre sur le marché local car
il ne fait pas partie des habitudes de consommation des habitants qui
optent principalement pour le miel. La réussite de l’entreprise sucrière
dépend de l’accès aux marchés extérieurs. L’évacuation des Portugais
apparaissait donc pour les chérifs saâdiens comme un objectif
économique. Tout de suite après la récupération d’Agadir (Cap Ghir), en
1541, plusieurs navires français et espagnols y accostent pour échanger
des tissus contre du sucre et d’autres biens (Dzubinski, 1986 : 19-20). Les
perturbations que connaissent les producteurs internationaux de sucre,
notamment dans les colonies portugaises et espagnoles à partir de la
moitié du XVIème siècle favorisent la production chérifienne qui attire des
marchands anglais, français, hollandais et toscans (Ibid. : 21-23). La
région du Sous concentre la plupart des fabriques de sucre, probablement
une dizaine si on prend en compte les fouilles réalisées par Paul Berthier
(1966), mais quatre autres sont établies dans la région de Haha et de
Chichaoua (voir figure ci-après). En comparant les plantations saâdiennes
avec celles du Brésil, Dzubinski (1986 : 10) souligne qu’elles font partie
des plus importantes structures industrielles de production de sucre de
l’époque. Elles sont détenues par le sultan qui les donne en concession à
des marchands juifs locaux ou à des chrétiens anglais et français
notamment, pour qu’ils soient écoulés sur les marchés européens (Ibid. :
11-12).
Emplacement des plantations de canne à sucre à l’époque des Saâdiens
(Source : Dzubinski, 1986 : 7)
Si la production sucrière a permis de mettre en place une industrie qui a
renforcé le pouvoir saâdien en lui garantissant des ressources autres que
la ponction fiscale, il faudrait en signaler les limites qui ont accéléré sa
disparition. La création d’une industrie dépendante uniquement des
125
marchés externes ne lui permet pas de résister à la concurrence d’autres
producteurs en s’appuyant sur la demande locale. Les plantations de
canne à sucre se sont développées sur les meilleures terres, empêchaient
le pastoralisme et avaient besoin du bois provenant de l’arganeraie
(Rosenberger, 2017 : 146-147) dont les produits sont utiles à la
population. Elles s’accaparaient aussi l’eau, ce qui posait probablement
des soucis pour l’irrigation de l’orge et des cultures maraîchères. Il se
peut également que la construction des aqueducs et des bassins de
rétention d’eau ait été rendue possible par des corvées infligées à la
population locale (Dzubinski, 1986 : 12). Il ne s’agissait donc pas des
réseaux d’irrigations initiées par les institutions locales pour répondre aux
besoins des habitants pouvant perdurer au-delà des périodes de tensions.
Les plantations de sucre des Saâdiens avaient même besoin de garnisons
militaires (Berthier, 1966) pour se protéger contre les différentes révoltes
des tribus brûlant les moulins de sucre qui symbolisent la présence du
pouvoir.
L’arrivée de grandes quantités du sucre brésilien sur le marché
international à des prix compétitifs accélère la banqueroute, en 1589, des
marchands juifs qui avaient les concessions dans le Sous, ce qui inflige
aussi d’énormes pertes pour les commerçants-intermédiaires anglais.
Même si la concession des moulins est reprise par un marchand français,
la fin du XVIème siècle annonce le début d’une période trouble avec la
peste et les guerres qui ravagent la population du Sous, notamment lors
des luttes entre les fils d’Al Mansour après son décès en 1603. Les routes
entre Taroudant et Agadir qui permettaient l’exportation du sucre et des
autres biens deviennent impraticables à cause du brigandage et les
plantations de canne à sucre dans le Sous sont complétement détruites ou
abandonnées durant la première moitié du XVIIème (Dzubinski, 1986 : 32-
33).
L’émirat commercial d’Iligh
C’est dans le contexte de décomposition de la dynastie saâdienne avec la
révolte de différentes zawaya (Dilaia, Sidi Yahya El Hahi, Tazerwalt) et
de l’apparition de pouvoirs autonomes dans tout le territoire qu’émerge,
dans la région du Sous, l’émirat12 de Boudmiâ : un descendant direct du
cheikh Sidi Hmad ou Moussa13. Nous avons vu que ce dernier avait déjà
12 Justinard (2007) préfère l’appeler « un petit royaume berbère ».
13 Il s’agit de Ali fils de Mohamed. Son grand-père, appelé aussi Mohamed, est le
fils du cheikh Sidi Hmad ou Moussa (Soussi, 2005 : 42). On l’appelait Boudmiâ
126
acquis un pouvoir symbolique lors de l’ascension des chérifs saâdiens et
que des dissensions importantes ont surgi entre Al Mansour Dahbi et la
zawiyt n’Tzerwalt lorsqu’elle n’a pas été exonérée d’impôts et que l’un
des fils du cheikh a été jeté en prison à Taroudant où il est décédé. C’est
ce qui pourrait expliquer la tentative du petit fils du cheikh, Brahim Ben
Mohamed, de mener une révolte dans le Sous en 1608 (Soussi, 2005 : 35-
37) avant que son neveu Ali Boudmiâ ne parvienne à recevoir, à l’âge de
21 ans, une proclamation (bayâ) en 1613 de la part de quelques tribus de
l’Anti-Atlas (Ibid. : 51-52). Mais c’est surtout le décès d’un sérieux
prétendant Sidi Yahya El Hahi qui a permis à Boudmiâ d’occuper le Draa
en 162714 et Taroudant en 1630. La conquête de cette ville sans effusion
de sang est révélatrice de la mobilisation du capital symbolique de sa
zawiyt n’Tzeroualt pour convaincre Issoussiyn, ici le qadi de Taroudant,
de rejoindre son émirat (Ibid. : 70-78). Il s’applique alors à transformer le
pouvoir symbolique et politique de la zawiyt n’Tzerwalt en capital
économique, comme le souligne très bien Paul Pascon (1980 : 701) :
Les choses changent après la mort du saint. Ses héritiers vont gérer le
capital symbolique. Ils ne peuvent prétendre se tenir sur les sommets
mystiques du fondateur : l'air y est trop raréfié ; une telle capacité
d'ascèse ne se répète jamais dans une même dynastie. Les rôles socio-
politiques assurés par l'ancêtre peuvent l'être encore un temps au simple
rappel de sa mémoire, mais le relais de la puissance matérielle ne tarde
pas à être nécessaire. L'arbitrage cède la place à l'organisation d'une
police, la parole bénie à l'ordre, l'espoir d'une cité de Dieu à la gestion
triviale des hommes. La justice a besoin d'un bras séculier, celui-ci
coûte : il doit être entretenu par le produit d'une richesse stable.
Pascon, qui a pu avoir accès aux archives privées de la zawiyt n’Tzerwalt,
nous donne une description intéressante de certains mécanismes qui ont
rendu possible l’émergence d’un pouvoir dans le Sous (Pascon, 1984). Il
étudie principalement le polyptique, sorte de registre où l’on décrit les
propriétés foncières et les droits d’eau à une date donnée. Cela lui permet
de souligner que lorsque Boudmiâ prend le pouvoir « il ne possède
aucune terre dans la vallée alors presqu’exclusivement patrimoine des
descendants de son grand oncle Ali b. Ahmad u Musa15. Il ne peut s’y
parce qu’une petite larme ne quittait jamais son œil à cause d’une maladie (Ibid. :
46).
14 Dans la même région du Sud-Est, le Dades et Sijilmassa suivront respectivement
en 1631 et 1632.
15 Dans le récit que fait Lmokhtar Soussi (2005 : 39-40), c’est d’abord Lhassan Ben
Ali Ben cheikh qui hérite de la direction de la famille et il y aurait eu des tensions
127
établir qu’en éliminant le lignage concurrent et peut-être faut-il voir dans
ces premiers moments, l’origine d’une rivalité qui n’a cessé durant quatre
siècles d’alimenter d’inassouvies vengeances. » (Ibid. : 22) L’attitude de
Boudmiâ vis-à-vis de sa famille élargie rend compte de certaines
pratiques socio-économiques qu’on retrouve un peu partout dans le Sous.
Derrière le système familial de copropriété en indivision il y a différentes
stratégies de renforcement du lignage principal basées sur la capture des
héritages : impossibilité pour les filles d’obtenir leurs parts d’héritage en
biens immeubles, obligation d’effectuer des donations viagères ou des
ventes forcées voire même l’expulsion ou le meurtre (Ibid. : 36-38) ce qui
produit et entretient des luttes qui peuvent perdurer durant plusieurs
générations.
L’installation de l’émirat de Boudmiâ se manifeste également par la
construction de sa capitale à Iligh qui aurait duré une dizaine d’années où
il a notamment utilisé des captifs européens. La description qu’en fait
Lmokhtar Soussi (2005 : 60-67) nous permet de comprendre la façon
avec laquelle se déploie le gouvernement de l’espace pour asseoir la
souveraineté politique de Boudmiâ. A l’image des forteresses, il érige un
mur16 avec quatre portes, y installe sa garde rapprochée et oblige
Amazighes et Arabes de plusieurs tribus à venir y habiter. La cité
comporte alors une grande mosquée, des boutiques, un hammam, et
surtout une prison sous terre pour les punitions. Il y installe extra-muros
une communauté israélite importante dotée d’un lieu de culte17. Certains
juifs font partie de ses consultants18 alors que d’autres sont des
marchands qui jouent, en plus de la grande foire que constitue
anmouggar n’Sidi Hmad ou Moussa, un rôle important dans la prospérité
commerciale des descendants de la zawiyt n’Tzerwalt lorsque le contexte
s’y prête notamment aux XVIIème et XIXème siècles.
L’ascension politique de l’émirat d’Iligh amène une concentration de ses
propriétés foncières. Pascon illustre cette tendance à la concentration par
entre la branche de Ali Ben Cheikh et celle de Mohamed Ben Mohamed Ben Cheikh
dont descend Ali Boudmiâ.
16 Lmokhtar Soussi (2005 : 66) suppose même qu’il aurait mis des canons aux tours
(sqala) de la muraille.
17 Ce lieu de culte initial a pu être détruit ou maintenu secret suite à un débat entre
religieux du Sous sur la possibilité de construire une synagogue ou un cimetière neuf
pour des juifs sur les terres musulmanes.
18 Une lettre d’un représentant du gouvernement néerlandais, qui devait négocier la
libération de captifs, signale la présence de juifs dans le cabinet de Boudmiâ (Soussi,
2005 : 193).
128
les jardins de Tigag du Tazerwalt où la maison d’Iligh aurait acquis des
terres et des tours d’eau. Iligh faisait partie des 35 propriétaires et
disposait de 7,55% des terres en 1608, lors de la première ascension
politique de Brahim le petit fils du cheikh. En 1640, la suprématie
politique de Boudmiâ apparaît économiquement dans la concentration de
94,75% des jardins de Tigag entre ses mains au moment où il ne reste
plus que 3 propriétaires (Pascon, 1984 : 34-35). Mais l’extension de la
maison d’Iligh se fait principalement hors du Tazerwalt où les opérations
de donation ou d’acquisition ressemblent plutôt à des actes de redditions
(Ibid. : 20). Il peut également s’agir de cessions qui correspondent à une
demande de protection comme le montre Naimi (2004 : 269-270) pour le
cas des haratin de Waârun dans l’Oued Noun. L’émirat d’Iligh détient,
en 1640, entre cinq et six mille hectares situés principalement dans
l’Azaghar (plaine) de Tiznit, dans l’Oued Noun, à Masst et dans l’oued
Sous.
L’extension de l’émirat d’Iligh s’effectue également sur la côte atlantique
afin d’obtenir une ouverture commerciale et des contacts avec les
marchands européens. Boudmiâ utilise d’abord des ports de Masst avant
l’occupation de Founty en 1633 et s’installe à Agadir quatre ans plus tard
(Soussi, 2005 : 86, 161). Les nombreux captifs européens qui échouent
sur ces côtes permettent à la maison d’Iligh d’entrer en négociation avec
les puissances européennes comme l’illustre le cas d’un navire de la
compagnie néerlandaise des Indes occidentales19, échoué en 1638 au
large des côtes dépendant de l’émirat d’Iligh (Ibid. : 186). De plus, les
échanges commerciaux entre Boudmiâ et les Anglais, qui n’ont pas
encore pu asseoir leur Empire maritime, est importante comme le montre
certaines correspondances de commerçants britanniques (Ibid. : 203-206).
Grâce à ces contacts avec les Européens, Boudmiâ parvient donc à
acquérir les armes à feu nécessaires pour asseoir son autorité militaire
mais il adopte une stratégie non offensive, voire d’alliance avec les
derniers Saâdiens en perte de pouvoir20. Visiblement Boudmiâ ne
s’aventure pas dans le projet de fondation d’un Empire dont les
19 Le début du XVIème siècle connaît une ascension des Hollandais qui concurrencent
vigoureusement l’Empire portugais, ce qui les pousse à envoyer plusieurs navires
pour occuper des postes stratégiques en Afrique de l’Ouest.
20 Lorsqu’il était encore faible, il a préféré laisser Agadir sous la tutelle du chérif
Zaydan (Soussi, 2005 : 86) et il a ensuite marié l’une de ses filles, en 1647, au
dernier chérif saâdien Mohammed Cheikh Sghir (Ibid : 156-157). Lmokhtar Soussi
suppose que Bouamiâ établit cette alliance matrimoniale pour profiter de la faiblesse
des derniers saâdiens et de leur légitimité chérifienne.
129
ressources proviendraient principalement d’impôts fonciers prélevées sur
les tribus d’un vaste territoire comme l’ont fait, par exemple, les
Almoravides ou les Almohades. Il ne tente pas non plus de créer une
grande industrie pour l’exportation sur les marchés européens comme ce
qu’ont fait les Saâdiens. Le souverain de Tazerwalt a plutôt essayé de
poser les bases d’un émirat commercial. Celui-ci devait être fondé sur le
contrôle du commerce caravanier entre le Bilad Soudan et les ports de la
zone côtière du Sous. La maison d’Iligh en profite à différents niveaux.
Elle capte une partie des profits de la vente des biens provenant du
Sahara (or, esclaves, etc.) en développant des souks et des foires
commerciales notamment son anmouggar n’Tzerwalt qui rapportent des
droits d’entrée, grâce aux taxes douanières sur les navires qui accostent
sur ses côtes. Elle prend aussi directement part aux caravanes, seule ou en
association avec de grands commerçants. Enfin, elle achète la libération
de captifs européens échoués sur ses côtes. Nous pouvons même oser un
rapprochement avec le système qui a permis l’émergence d’Etats
marchands dans l’Asie du Sud-est tels celui de Malacca qui a bénéficié
de sa position stratégique dans le commerce maritime entre l’Indonésie,
la Chine et l’Inde (Subrahmanyam, 2013 : 38-40).
Lorsque Boudmiâ choisit la voie marchande plutôt qu’une extension
guerrière, il se concentre sur le développement de son expertise en
matière de commerce caravanier. Ce savoir-faire va se construire autour
des relations qu’il va nouer avec les principautés sahariennes, de
l’acquisition des salines de Taghaza pour l’échanger avec de l’or (Soussi,
2005 : 92-93), du recrutement d’hommes qui peuvent guider les
caravanes grâce à l’emplacement des étoiles pour trouver les points d’eau
dans le désert et connaître le mouvement du vent pour éviter les tempêtes
de sable (Ibid. : 220). C’est l’excédent tiré de son activité marchande
qu’il mobilise pour consolider son pouvoir politique dans son territoire en
investissant dans d’importants aménagements hydrauliques des terres
acquises. Lorsqu’il analyse les documents de l’émirat d’Iligh, Pascon
souligne le coût de l’aménagement des terrains et de la rénovation du
système hydraulique « parfois six fois plus élevées que la valeur
foncière » (Pascon, 1984 : 25).
A sa mort en 1659, Boudmiâ laisse derrière lui un émirat commercial qui
s’étend de Masst aux confins sahariens avec comme capitale Iligh. Son
émirat monopolise les routes occidentales du commerce transaharien qui
débouchent sur les côtes atlantiques principalement au port d’Agadir.
Mais il ne parvient pas à éliminer les autres prétendants au pouvoir et
130
notamment les chérifs alaouites qui sont en pleine ascension. Après
l’occupation de Marrakech en 1668, les alaouites qui ont choisi la voix
guerrière foncent sur Iligh et la détruisent comme ils ont fait quelques
années auparavant avec zawiyt dilaia. Les descendants de Boudmiâ se
réfugient à la zawiyt n’Ait Oussa dans le Sahara en attendant des jours
meilleurs.
A chaque fois qu’un pouvoir périclite dans le Sous, que ce soit celui des
Saâdiens ou de l’émirat d’Iligh, les habitants se réapproprient les
principales ressources : la terre et l’eau. Durant toutes ces périodes, les
institutions communautaires ljmaât ne disparaissent pas au niveau local.
Elles s’adaptent en prenant en compte les rapports de force existants et
cherchent même à innover dans les techniques de gestion des ressources
et des lieux communs. Ces institutions communautaires régulent les
relations et arbitrent les tensions entre propriétaires d’arbustes, amandiers
et arganiers notamment, et les éleveurs. Les communautés locales des
tribus sédentaires du Sous organisent les ouvertures/fermetures des terres
agricoles qui servent à cultiver l’orge, les amandes, l’arganier, les dattes,
les olives ainsi que toutes les cultures vivrières dont ils ont besoin. Un
système de mise en défend, souvent appelé agdal ou Tuqna (Auclair et
Alifriqui, 2012 ; Wanaim, 2018 : 228-230) protège ces cultures durant
certaines périodes tout en ouvrant des parcours alternatifs aux troupeaux.
Car même si les habitants sont sédentaires, l’activité pastorale à base de
caprins et d’ovins joue un rôle important dans le système économique de
la plupart des tribus du Sous. Il existe parfois des troupeaux individuels
mais la plupart des petits éleveurs optent pour le regroupement de leur
bétail pour constituer un troupeau collectif conséquent afin de partager
les tâches et efforts à réaliser (Aboulkacem, 2018 : 22-24).
L’organisation de l’élevage est discutée en assemblée durant laquelle des
modalités sont précisées portant sur : les parcours et déplacements, les
gardes et les sanctions en cas d’infractions.
L’eau est, pour sa part, considérée comme un bien collectif dans la
mesure où tous les habitants de la vallée peuvent l’utiliser pour leur usage
domestique (Aboulkacem, 2018 : 28-30). Toutefois l’usage de l’eau pour
l’irrigation des terres nécessite la propriété des droits en tours d’eau
(tiram n’waman). La possession de ces droits de propriété est souvent
liée à la contribution aux travaux hydrauliques mais aussi à l’achat et à la
confiscation de ces droits dans certaines phases historiques. Elle est donc
souvent liée aux hiérarchies de statut où l’on distingue souvent
entre imgharn (caïds), inflas (notables), igourramn (descendants d’un
131
saint) ou issemgan (esclaves) mais aussi aux différences entre lignages
forts et faibles. D’autres événements exceptionnels comme les famines,
les guerres ou les épidémies peuvent obliger certains habitants à fuir leur
vallée ou à vendre leurs parts de terre et/ou d’eau à d’autres acteurs, y
compris des étrangers, qui disposent du pouvoir de coercition ou de
ressources.
Développement du port de Tassourt et début des changements
économiques
Entre la fin du XVIIème siècle et le début du XIXème, le Sous connaît
également plusieurs révoltes (Hendaine, 2005). Des seigneurs locaux
cherchent à s’autonomiser en utilisant l’ouverture commerciale offerte
par la côte atlantique du Sous. Cela induit une modification majeure dans
le circuit marchand de cette région. Le sultan Mohamed ben Abdellah
construit la ville portuaire de Tassourt (Essaouira/Mogador) en 1764 tout
en veillant à détruire le port de Masst et à fermer celui d’Agadir21.
L’objectif est à la fois de monopoliser le commerce extérieur pour
augmenter les recettes du Makhzen et d’empêcher toute autonomie du
Sous qui proviendrait d’un échange commercial profitable avec les
Européens. La nouvelle ville de Tassourt (Schroeter, 1997) est plus facile
d’accès à partir de la ville impériale de Marrakech, qui est l’un des
centres du pouvoir central. Sa population provient de différentes régions
avec une communauté juive qui jouera un rôle important pour dynamiser
le commerce de la ville. Enfin, le sultan ne manque pas d’y installer des
militaires, dont des âbid lbukhari22, pour mater toute rébellion.
Lorsque Moulay Abderrahman est proclamé souverain en 1822, il
entreprend de développer le commerce avec les Européens alors que son
prédécesseur Moulay Slimane cherchait à réduire les échanges extérieurs.
L’occupation de l’Algérie par la France en 1830 détourne le commerce
caravanier vers son axe occidental qui débouche sur le port de Tassourt
21 Il y a eu une ouverture du port d’Agadir à la dernière décennie du XVIIIème siècle
lors des luttes entre les fils de Mohammed Ben Abdellah. Lorsque Moulay Slimane
prend le pouvoir, il n’arrive pas à contrôler le gouverneur d’Agadir qu’il soupçonne
de détourner les ressources provenant du commerce, il décide alors de fermer
définitivement le port en 1797 et de déplacer tous les commerçants juifs à Tassourt
(Schroeter, 1997 : 104-105).
22 Le sultan Moulay Smail a constitué une armée avec les esclaves noirs qu’il a
appelé âbid lbukhari. Ils ont largement participé aux troubles qu’a connus l’Empire
après le décès du sultan et les luttes entre ses fils pour prendre le pouvoir. Cette
armée a ensuite été éparpillée sur plusieurs régions pour qu’elle ne constitue plus un
danger pour le pouvoir.
132
(Miège, 1981). Si cette situation favorise la disponibilité des produits
d’exportation, la pénétration des produits importés est stimulée, quant à
elle, par une transformation technique importante : le remplacement des
voiliers, fragiles face aux tempêtes, par des navires à vapeur (Miège,
1956a). En constatant ce que peut produire la libéralisation des échanges
sur les structures socio-économiques, le Makhzen cherche à en atténuer
l’ampleur en développant des monopoles sur plusieurs produits. Le sultan
institue un régime d’attribution des concessions à de grands
commerçants, pour la plupart des juifs appelés toujjar sultan, qui lui sont
liés par des rapports de dépendance (Schroeter, 1997 : 236-239).
Le traité établi avec la Grande-Bretagne en 1856 marque un tournant
dans la politique commerciale du Maroc au cours du XIXème siècle. En
établissant le taux unique de 10% aux droits de douane imposés aux
importations, il instaure une libéralisation des échanges et donne un rôle
accru aux marchands britanniques. L’augmentation des importations du
coton, thé et du sucre va avoir des conséquences sur la culture
vestimentaire et alimentaire de toute la région du Sous.
Pour ce qui est des habits, André Adam (1952 : 460) explique, en se
référant au voyage de Charles de Foucauld, que les changements dans le
Sous commencent par la porte d’entrée des caravanes vers le Sahara.
Dans les oasis du Bani à Tisint, Aqqa et Tata les femmes amazighes
abandonnent progressivement la laine pour la toile de coton dès la fin du
XIXème siècle. Il signale que ces produits sont importés d’Angleterre et
sont une contrefaçon de ceux, de meilleure qualité, provenant du Bilad
Soudan. L’habit venant du Sud est un produit de luxe très recherché, qui
est principalement porté par les cheikhs et les nomades du Sahara. Adam
avance une hypothèse intéressante sur la modalité de sa diffusion. Pour
lui, ce sont les négociants juifs qui, connaissant les goûts vestimentaires
et l’attrait de la cotonnade utilisée des gens du désert, inondent les souks,
les inmouggarn et les villages de plusieurs régions du Sous (Ibid. : 461).
Le parcours des Afriat illustre le rôle joué par ces commerçants israélites
dans la pénétration de produits anglais dans le Sous (Schroeter, 1997 :
92-100). L’ancêtre des Aït Afriat était un rabbin à Ifran dans l’Anti-Atlas,
sa famille aurait fui les troubles causés par la révolte de Bouhlais dans la
montagne pour s’installer à Aguelmim. L’un de ses membres devient le
commerçant principal pour le compte du cheikh Bairouk alors en pleine
expansion. Les membres de la famille s’installent ensuite à Tassourt où
l’un d’eux, Abraham plus connu sous le nom du « Rabbin Bihi », devient
commerçant pour le compte du sultan (tajir sultan). Les Aït Afriat
133
entament alors une grande réussite commerciale qui conduit le neveu du
Rabbin Bihi, appelé Aaron à s’installer en Angleterre à l’âge de 20 ans où
il crée la société Aaron Afriat and Co, le principal exportateur anglais
vers Tassourt. La société exporte principalement des toiles blanches et
bleues, à base de coton, qui vont envahir les marchés du sud mais elle
commercialise aussi le thé, connu sous le nom atay afriat, qui s’installe
durablement dans les habitudes alimentaires des Marocains.
Pour les grands caïds ou certains officiers des affaires indigènes le rituel
consistant à boire le thé avec un interlocuteur ou le lui servir dans un
cadre particulier devient même un instrument pour impressionner les
personnes, gagner leur confiance et collecter des informations utiles
(Agrour, 2007 : 29). Atay (le thé) s’ancre rapidement dans la culture
locale à tel point qu’on le retrouve dans certains poèmes amazighs des
inddamn. Dans sa monographie sur les Aït Baâmran, Justinard (1930 :
63) reprend le poème suivant qui date de l’année 1895 et qui résume bien
les rapports contradictoires des habitants avec ces produits importés avant
même l’arrivée du protectorat23 :
Le thé de Londres a la beauté et la bonté.
Le trépied, c'est le minaret de la mosquée ;
La bouilloire, c'est le moudden, c'est évident, tout à côté.
Et la théière, c'est l’imam. Cela aussi évident.
Et les verres, ce sont les rangs des Musulmans à la prière.
Et le plateau, c’est la msalla. Et que dites-vous de cela,
Vous qui êtes intelligents ?
Que le plateau soit brillant. Là-dessus, j'insiste.
Que le plateau et la théière et les verres soient éclatants.
Essuyés d'un linge propre et non par de vieux chiffons.
Que celui qui fait le thé ait un esprit pondéré
Qu'il est aussi, cela est bon, de la considération.
Qu'il porte haik et turban, qu'il ait aussi la sagesse.
Le sourire et la bonne humeur, mais pas d'orgueil, c'est un péché.
Après que le poète ait encensé le thé et les objets qui l’accompagnent en
les comparant avec une description de la prière des musulmans et ses
espaces, il va, quelques pages plus loin (Ibid. : 66), désigner le thé et les
autres objets tels que le sucre et le coton qui s’installent dans les
habitudes alimentaires et vestimentaires comme les nouvelles armes
d’occupation utilisés par les étrangers :
23 Ce poème aurait été composé en 1895 par le chanteur Brahim Ben Lhaoussine ben
Ahmed el Ouisadni el Khalfaoui. Il fut apporté à Tiznit et remis à Justinard en 1918,
par Mohamed Ben Embarek bou Azalim el Khalfaoui.
134
Or, quant au thé, voyez-vous,
Le Chrétien, lui, qui connaît bien que vous êtes ses ennemis,
Il vous frappe avec ces canons chargés de ces balles de thé,
Il vous tend des embuscades au plateau de la balance.
L’ennemi au ventre vous frappe. Il connaît bien que c’est là,
Que la mort est facile, au ventre où sont le cœur et le foie.
Le Chrétien lance ses vaisseaux. Il les charge de cotonnade.
Le Chrétien frappe, il vise bien. Il apporte le pain de sucre.
Si c’était pour votre bien, il ne vous enverrait rien.
L’introduction du thé au Maroc, qui a d’ailleurs suscité plusieurs avis sur
son caractère licite ou pas, n’est pas une chose récente (Sebti et
Lakhssassi, 1999). Depuis son introduction à la cour du sultan Moulay
Smail, il est resté l’apanage des élites comme le montre le même poème
amazighe (Ibid. : 62) :
Le généreux a le pouvoir d'avoir plateau, théière et verres.
Le caïd en a le pouvoir, les cheikhs et le cadi aussi
Et le peut aussi le sultan, a qui chacun fait des présents.
La beauté, plateau, vous l'avez,
Mais qui n’a ni bien ni argent, il ne peut pas vous posséder.
L’appropriation du thé par la population urbaine puis rurale ne s’est
effectuée qu’à la fin du XIXème siècle (Miège, 1956b). Les importations
de thé passent ainsi de 2.326 kilos en 1854 à 14.202 kilos en 1855 avant
d’atteindre 31.426 kilos en 1862, 145.000 kilos en 1869 et 171.000 kilos
en 1876 (Ibid. : 385-386). L’importation du thé résiste à la crise qui suit
l’année 1876 ce qui lui permet de rebondir rapidement après la crise en
passant entre 1884 et 1886 de 250.000 kilos à 420.000 kilos. C’est
surtout durant cette période que atay (thé) pénètre les campagnes,
notamment dans les régions de Tassourt, du Sous et du Sahara. Grâce aux
importations d’un thé de mauvaise qualité, les marchands britanniques
parviennent à offrir le thé à un prix abordable pour inonder les souks
ruraux et les inmouggarn. Cela préfigure la grande transformation
culinaire du XXème siècle où le thé n’est plus un produit de luxe prisée par
les élites mais il devient un accompagnant des repas populaires et
consommé plusieurs fois par jour.
Les maisons commerciales britanniques installées à Tassourt mobilisent
les marchands juifs, qui ont une bonne connaissance des habitudes
commerciales du Sud, pour diffuser le thé grâce à leur réseau de
marchands ambulants qui font le tour des principaux souks. Mais son
adoption, au moins au début, provient de l’attrait qu’exerce le mode de
vie de la cour du sultan sur les élites locales qui cherchent à en
reproduire, à leur niveau, les pratiques de distinction. Les marchands juifs
135
parviennent donc facilement à convaincre les élites du Sous de s’en
procurer. Par exemple, un commerçant juif de l’Oued Noun ramène du
thé de Tassourt au cheikh Bairouk d’Aguelmim vers 181924 ; donc, bien
avant la généralisation de la consommation du thé dans le Sud. Le thé se
diffuse parce qu’il a représenté un idéal d’accession à un produit de luxe
mais aussi parce qu’il s’est diffusé dans la ville. Les marchands juifs l’ont
diffusé d’abord dans leur propre mellah avant de devenir un produit prisé
chez les musulmans des médinas (Miège, 1956b). L’attrait du thé, ainsi
que d’autres produits commercialisés à la fin du XIXème siècle, préfigure
déjà l’influence que va commencer à avoir la ville sur la campagne en
l’irriguant de ses valeurs et de ses modes de vie à partir de l’instauration
du protectorat.
Le développement de la consommation du thé a aussi été favorisé par
l’explosion de la consommation d’un autre produit : le sucre. Lorsqu’il y
avait une industrie du sucre dans le Sous au temps des Saâdiens, celle-ci
avait principalement pour objectif d’exporter le produit fini en Europe. A
la fin du XIXème siècle, la situation est totalement différente. Les
habitudes alimentaires s’orientent progressivement vers un usage du
sucre pour remplacer le miel avant qu’il ne devienne le produit phare
qu’on offre, encore aujourd’hui, lors des cérémonies. Mais ce sont
d’abord les importations qui permettent son développement en proposant
un produit abordable. Celles-ci ont connu une augmentation importante à
la fin du XIXème siècle, comme l’illustre le tableau suivant, portées
principalement par les fournisseurs français de la firme marseillaise
Saint-Louis25.
24 Jean-Louis Miège (1956 : 384) cite Cochelet qui s’est retrouvé au Oued Noun
après le naufrage d’un bateau français.
25 Cette augmentation se poursuit au XXème siècle jusqu’à ce que la compagnie
marseillaise Saint-Louis ouvre son usine COSUMA au Maroc en 1929.
136
Année Importations (en Kg)
Part de la France
dans les
importations (en %)
1869 240.000 80
1873 360.980 92
1879 1.010.000 94,6
1882 800.000 82,5
1890 2.805.836 77,16
1900 4.865.888 92,6
Tableau des importations marocaines de sucre à la fin du XIXème siècle
Source : réalisé à partir des données fournies par Miège (1952 : 249).
L’une des causes qui expliquent l’augmentation rapide des importations
est l’accroissement des capacités de production des Européens qui
cherchent à écouler leur surproduit sur les marchés externes (Miège,
1952 : 254-255). Les gouvernements européens se mettent aussi en
concurrence entre eux en soutenant leurs industries respectives à coup de
primes à l’exportation, ce qui conduit à la baisse du prix du sucre au
Maroc.26
Mis à part la chute brutale des importations en 1882, qui est due à la crise
en Europe, les achats de sucre n’ont pas connu de contractions ayant une
cause interne au marché marocain. La place que prend de plus en plus le
sucre dans la vie des Marocains apparaît dans ces moments de disette où
l’on reste fidèle à ce produit comme le signale Jean-Louis Miège (Ibid. :
252) :
26 Il serait intéressant de mentionner ici la tentative de création d’une industrie
sucrière par le Makhzen. Ennaji (1994) a signalé l’incapacité de celui-ci à se
moderniser malgré la mobilisation d’ingénieurs étrangers et la tentative de formation
de ses propres cadres. Les structures traditionnalistes et la mobilisation d’une main
d’œuvre gratuite sous forme de âbid lbukhari n’ont pas non plus arrangé la situation.
Néanmoins, la libéralisation des échanges qui a facilité l’importation d’un sucre
subventionné, donc plus compétitif que le local, ne pouvait que tuer dans l’œuf toute
tentative d’industrialisation.
137
Les années de crise économique, permettent de voir, en effet, les
produits sur lesquels les Marocains opèrent, d'abord, leurs réductions
d'achat. Jamais l'importation du sucre ne subit les oscillations extrêmes
qui affectent cotonnades ou bougies. Dans les mauvaises années, le
Marocain se prive de tout, surtout de tissus, il n'abandonne le sucre
qu'en dernier ressort. Toutes les années de crise permettent de constater
ce fait.
On retrouve cette même idée dans le poème recueilli par Justinard (1930 :
65), où l’association entre le sucre et le thé pousse le pauvre qui n’a rien
à s’endetter pour en consommer :
Le sucre est une panthère, et aussi le thé,
Celui qu’ils ont déchiré, piétiné,
Le pauvre n’a plus qu’à s’en contenter.
Plateau, tu as de la beauté, mais il faut pour te posséder
Avoir de l’argent et des biens.
Tout ce qui se vend au poids, dangereux est son bienfait.
Le sucre va jusqu’au ciel et aussi le thé.
Le pauvre et le misérable, ils ont des plateaux de thé
Et des cafetières. Les pauvres sont las, frappés de calamité.
Qu’ont-ils à faire du thé, les pauvres qui n’ont aux pieds
Ni semelle ni courroie, en quête d’une lanière,
Sans vêtement ni chaussure et de crasse non pas peu,
N’ayant même pas un dirhem pour payer leurs dettes,
Ils s’y perdent. L’une est payée que dix-huit leur courent après.
Et toujours ils sont humiliés là où ils voient leurs créanciers
Et des mensonges, des délais et des gages qu’il faut donner
Ils sont lassés. Et des procès et des serments
Tant qu’à la fin il faut payer.
Une guerre du sucre a lieu entre la compagnie française Saint-Louis qui
domine le marché marocain et des firmes belges et allemandes
entreprenantes. Dans le Sous, ce sont surtout les sociétés allemandes
telles que les Mannesman et la maison Marx et Cie qui réussissent à s’y
installer peu avant l’établissement du protectorat français. Dans un
courrier adressé le 19 mai 1911 par le chargé d’Affaires de la République
française à Tanger à son ministre des Affaires étrangères, on peut lire
ceci :
D’après des renseignements venant de notre Consul à Mogador, que les
agents des frères Mannesmann, installés à Agadir, vendent aux
indigènes des marchandises de première nécessité, telles que sucre, thé
et cotonnades. Ce stock, qui est abrité dans une baraque démontable,
doit s’accroître d’un nouveau chargement, attendu incessamment.
Il semble, d’ailleurs, que les Allemands obéissent à un mot d’ordre en
cherchant à multiplier leurs intérêts dans le Sous. C’est ainsi que la
maison Marx et Cie, de Mogador, dont fait partie le vice-consul
138
d’Allemagne en cette ville, a envoyé un de ses employés auprès du
Chérif du Tazeroualt, pour obtenir son concours, en vue de l’installation
d’une factorerie27 à Aglou.28
Dans un autre courrier entre les mêmes protagonistes, daté du 8 juin
1911, on observe que l’activité des Allemands s’étend au sud de Sidi Ifni,
comme on peut le lire ici :
Les agents de MM. Mannesmann sont restés dix jours à Arksis29 et ont
distribué gratuitement aux indigènes Sbouia des sacs de riz, de sucre,
d’orge et de thé, deux fusils et 2.000 cartouches après quoi ils
repartirent, annonçant un prochain retour avec un nouveau
chargement.30
En plus des explorateurs français, ce sont surtout les agents et
représentants des sociétés commerciales françaises, installés au Maroc
avant le protectorat, qui fournissent ce type d’informations aux consuls
de leurs pays respectifs comme le montre l’étude de la correspondance
d’une agence commerciale française qui tente de s’installer dans le Sous
(Honnorat, 2016).
L’architecture institutionnelle du commerce caravanier durant la
seconde moitié du XIXème siècle
L’essor que connaît le commerce caravanier transsaharien durant la
seconde moitié du XIXème siècle favorise le développement de deux
maisons commerciales : Iligh et Bairouk. Celles-ci vont à la fois profiter
de l’augmentation des produits importés d’Europe mais aussi du
développement des exportations de plumes d’autruches, des amandes et
de l’huile d’olives. Pour le cas de la Maison d’Iligh, Paul Pascon (1980 ;
1984) nous renseigne sur les mécanismes qui lui ont permis de dominer
le chemin caravanier. Après la disparition de l’émirat commercial d’Iligh,
ce n’est qu’à la fin du XVIIIème siècle que Hachem, un descendant de
Boudmiâ, réussit à réactiver progressivement les activités commerciales
au Sahara en s’alliant avec la tribu des Tajakant de Tindouf. Il devra
néanmoins subir l’arrivée de la peste dans le Sous en 1800 et surtout
Lherkt d’Aghennaj envoyé par le Makhzen en 1810, qui cause un climat
d’insécurité dans cette région pendant plusieurs années. Lorsqu’il fut
assassiné en 1825 par la branche rivale des Toumanar, les troubles
s’installent à Tazerwalt. C’est son fils Lhoussin ou Hachem qui va y
27 La factorerie est une agence d’une compagnie étrangère.
28 S.H.D, série 3H.
29 Cet endroit est situé au niveau des côtes situées au sud de Sidi Ifni.
30 S.H.D, série 3H.
139
mettre fin et qui va surtout réussir à consolider le pouvoir politique et
économique de la Maison d’Iligh dans toute la région vers l’année 1850.
L’analyse du registre comptable de Lhoussin ou Hachem permet à
Pascon (1980) de présenter l’architecture institutionnelle de ce commerce
saharien. Le descendant du saint y est d’abord décrit comme banquier. Il
est probablement le principal prêteur dans la région. L’activité de prêt
monétaire apparaît, dans la plupart des cas sans intérêt, l’objectif étant
principalement de créer des rapports de dépendance pour, au moins,
neutraliser ceux qui peuvent potentiellement s’allier à des ennemis. Les
différents termes choisis pour le remboursement des prêts prennent
souvent en compte le calendrier des inmouggarn ou la durée des trajets
des caravanes. Les dates d’échéance qu’on y trouve font donc parfois
référence à l’anmouggar n’Sidi Hmad ou Moussa de mars ou celui
d’octobre.
L’activité rentable du chérif-banquier est celle qui est liée directement au
commerce caravanier. Il s’agit des commandites ou associations
commerciales dont la plupart, une trentaine, sont réalisées entre 1863 et
1870. Celles-ci dissimulent, comme le montre Pascon, un taux d’intérêt
qui peut aller de 10% à 20%. Il s’agit concrètement d’un prêt à un
commerçant qui est censé acheter des biens à Tassourt pour les revendre
dans les marchés du Sous afin de rembourser son capital et partager le
profit avec le chérif.
Lhoussin ou Hachem participe aussi à l’activité commerciale à
proprement parler en achetant les biens apportés par les caravanes et en
les revendant à crédit, ce qui lui permet de dégager des bénéfices
importants comme le souligne Pascon (Ibid. : 715) :
La caravane qui arrive à Ilîgh dépose ses marchandises dans le
méchouar du chérif — l'endroit en est encore connu de nos jours. Le
chef de caravane dispose d'un rôle des marchandises avec indication de
ce que l'armateur, resté dans le sud dans la plupart des cas, désire
obtenir comme prix. La marchandise est déballée, visitée, cochée sur le
rôle et signalée dans le registre. Ces dépôts sont faits en consignation
avec une indication de prix. Le chérif peut, s'il y va de son intérêt,
verser immédiatement au convoyeur la somme demandée et acquérir
ainsi la cargaison, ou bien attendre que la marchandise soit achetée par
des commerçants de la région.
Dans le texte 168.1 du 3.9.1863, le chérif reçoit en consignation un lot
de plumes pour lequel le caravanier demande 1 255 rial. Dans les huit
jours qui suivent, le chérif rencontre cinq acheteurs qui acquièrent
chacun indépendamment une partie du lot pour une valeur totale de 1
140
860 rial ; mais ils ne payent ensemble que 659 rial. Le chérif alors
complète à 1 255 rial (soit 596 rial) et remet la somme au caravanier qui
peut repartir. L'Ilighî mettra un an à recouvrer les sommes dues par les
acheteurs à crédit (1 860 - 659 = 1 201 rial). Son bénéfice a été de 48%.
La description que nous donne Pascon de cette opération commerciale
montre l’organisation minutieuse de l’espace, de l’inventaire et de la
comptabilité des convois caravaniers à Iligh. Une fois que les produits
arrivent dans l’enceinte du méchouar, le chérif monopolise les premières
opérations d’achat. Tout en se fixant une marge confortable, il va vendre
à découvert à d’autres commerçants. Ceux-ci vont se rendre à Tassourt
pour écouler les produits à exporter vers l’Europe tels que les plumes
d’autruche, l’ivoire ou la gomme et à Taroudant ou Marrakech écouler
sur le marché local des esclaves, de l’encens ou de l’ambre. Sachant que
la plupart des commerçants à qui il prête sont des juifs dont la famille
habite le mellah d’Iligh, le chérif-banquier dispose de toutes les garanties
nécessaires pour que le prêteur revienne et assure ses engagements.
Les rapports qu’entretient la Maison d’Iligh avec les commerçants juifs
est assez classique de la situation de protégés et de dhimmi dans laquelle
ils se trouvent en terre d’islam. Les souverains ou seigneurs locaux les
protègent et leur donnent parfois des situations privilégiées de
commerçants attitrés parce qu’ils savent qu’ils ne constituent pas un
danger politique. Ils ne peuvent pas rassembler les tribus musulmanes
autour d’eux ou se révolter. Ils sont également tenus par les dettes qui
leur sont accordées, comme ici à Iligh, mais aussi à Tassourt pour les
grands commerçants juifs qui dépendent des crédits que leur accorde le
sultan31.
Mais il y a aussi un niveau de prêts-associations commerciales au sein de
la communauté juive. Il s’effectue entre les grands commerçants juifs de
Tassourt et les intermédiaires juifs qui font le lien entre les maisons
commerciales d’Iligh ou Bairouk et le port atlantique. Grâce aux archives
consultées par Daniel Schroeter, notamment celles de la maison
commerciale Corcos, il a pu saisir le rôle joué par Aït Amar dans le
commerce florissant des plumes d’autruches. Massôud Amar et son père,
habitants Ifran dans l’Anti-Atlas, sont souvent associés à Lhoussin ou
Hachem dans des commandites commerciales. Mais ce que révèle
Schroeter, c’est l’existence d’un contrat, établi par deux juges religieux
31 Cette situation va changer lorsque plusieurs commerçants juifs deviendront
protégés puis citoyens anglais, américains ou français et vont commencer à installer
leur maison commerciale à l’étranger.
141
juifs en 1863, pour que Massôud Amar reçoive un montant d’argent de la
part d’Abraham Corcos, afin qu’il réalise des opérations commerciales
notamment sur les plumes d’autruches, les bougies et l’or et que les
bénéfices soient partagés à égalité entre eux (Schroeter, 1997 : 213-215).
Nous remarquons donc toute une architecture institutionnelle composée
de contrats juridiques entre différentes communautés religieuses pour
faire du profit. Lorsque les plumes d’autruches deviennent très
recherchées sur le marché européen, leur importation d’Afrique
notamment se développe. Un circuit saharien profite, pendant au moins
une période de cinq ans, à la Maison d’Iligh et à ses partenaires qui en
tirent de gros bénéfices. Entre 1863 à 1867, le chiffre d’affaires lié à cette
activité représentait 43% de tout ce qui a été comptabilisé dans le registre
de Lhoussin ou Hachem (Pascon, 1980 : 717). Mais ce commerce va
péricliter suite à la concurrence internationale d’autres circuits qui font de
la production en masse dans des fermes d’Afrique du Sud ou d’Algérie.
Lhoussin ou Hachem a compris que l’économique était aussi un moyen
pour contrôler le politique dans la région. Grâce à sa capacité à drainer du
profit, du fait d’une position intermédiaire dans le commerce caravanier,
il a pu tisser un réseau de clientèle politique et d’alliés. Il sait, par
exemple, qu’il peut compter sur les Tajakant qui contrôlent l’étape de
Tindouf et sollicite des caravaniers de la tribu Ouled Bou Sbaâ qui
nomadisent dans le Sahara et connaissent parfaitement ses chemins. Le
chérif peut aussi amener les notables des tribus les plus importantes du
Sous à devenir ses obligés en leur fournissant des crédits sans intérêt. Ne
pouvant pas, le plus souvent, rembourser à temps, il les pousse à
l’associer dans leurs affaires commerciales. Ce type de stratégies permet
au chérif de consolider ses alliances avec des tribus importantes sur
lesquelles il peut compter tout en réalisant des profits grâce aux
associations commerciales qu’il contracte. L’évolution des relations avec
un notable de la tribu de Lakhssas illustre parfaitement cette situation
(Pascon, 1980 : 721) :
Certains cheikhs des A[k]hsas notamment se font les intermédiaires
pour de petits négoces, en particulier sur l'huile, les chèvres, les
moutons, les produits primaires régionaux.
Un des cas les plus intéressants, parce qu'on peut suivre sa destinée pas
à pas dans une quinzaine d'actes répartis sur huit années, est celui du
cheikh Ali b. cheikh Mess'ud b. Alami al-A[k]hsasi. On le voit d'abord
s'endetter pour de petites sommes — 30 rial algériens en juillet 1863 —
il aurait dû les rendre en octobre mais à cette date il reconnaît devoir
maintenant 242 mitqal (73 rial environ), en juin 1864 il doit encore 55
142
rial français, en novembre 1865 il en est à 80 rial français. En février
1866 Husayn l'a à sa main ; « il lui confie » 150 rial à titre de «
commandite commerciale ». Cela signifie qu'il devra en somme
rapporter au moins 15 % de bénéfice pour le commanditaire. De fait, le
26.8.1866 il versera 79 mitqal au titre de bénéfice, le capital ayant été
rendu intégralement soit 23,7 rial. Pour la petite histoire, le cheikh rend
à Husayn, en outre, deux fusils que ce dernier lui avait prêtés. On ne
commerce pas à l'époque sans se protéger contre les pillards. En mars
1867, il s'endette à nouveau de 100 rial qu'il rendra ; en mars 1869 il
emprunte encore 60 rial, il ne parvient pas à les rendre à la date fixée, ils
sont transformés en prêt pour commandite commerciale. En septembre
1871, Ali doit désormais 123 rial sur lesquels il finira par verser 18 %
de bénéfice.
On remarque donc que dès que cet amghar (cheikh) rentre dans le cercle
de l’endettement envers le chérif, celui-ci le tient. Sachant que les
notables de Lakhssas s’inscrivent dans des circuits régionaux profitables
le chérif leur transforme le prêt sans intérêt en association commerciale
dont il tirera des bénéfices. Certaines indications nous permettent
également de relever que Lhoussin ou Hachem dispose de certaines
garanties car il s’associe à un amghar dont le père était aussi amghar
(cheikh Ali b. cheikh Mess'ud), il s’agit donc d’un lignage bien installé
dans sa fraction. Il étale également les avances sur plusieurs années, ce
qui lui permet de juger l’évolution de la situation commerciale de son
partenaire. Il lui prête enfin deux fusils pour protéger leur affaire
commerciale.
La protection du commerce de la Maison d’Iligh lui a permis de
prospérer dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Comme tous les
souks et inmouggarn de la région (Oubenal, 2018), celui de Sidi Hmad
ou Moussa dispose de la baraka du saint protecteur mais aussi d’un
règlement écrit qui est strictement appliquée en cas de vol ou tout autre
crime perpétré dans son enceinte ou dans le chemin qui y mène. Le
registre étudié par Pascon énumère donc les différentes amendes ainsi
que les rançons payées par les chefs de fractions pour récupérer l’un de
leur membre qui a été pris en flagrant délit sans pouvoir payer son
amende (Pascon, 1980 : 726). Lhoussin ou Hachem dispose même d’une
police qui cherche à faire régner l’ordre dans les foires commerciales
importantes. Et lorsque la sécurité est remise en cause dans son chemin
caravanier, il sanctionne la tribu concernée en prenant, par exemple, en
otage ses membres qui se rendent dans des souks sous son autorité
jusqu’à ce qu’elle paie la rançon et tous les dommages encourus.
143
Boulversement de la situation économique du Makhzen et
pénétration commerciale dans le Sous
Si le XIXème siècle a connu la pénétration des produits importés et des
intérêts économiques européens, il a aussi été marqué par des agressions
et des incursions militaires qui préludent l’occupation coloniale. La
guerre franco-marocaine qui culmine avec le bombardement de Tassourt
par les navires français en 184432 sera surtout suivie en 1859-1860 par
l’occupation espagnole de Tétouan. Les négociations aboutiront à
l’évacuation des militaires contre le paiement d’une amende importante
qui va grever les finances du Makhzen pendant plusieurs décennies. Pour
s’assurer du remboursement de leur amende, les Espagnols vont placer
des contrôleurs dans les ports marocains y compris dans celui de
Tassourt33. L’objectif étant de ponctionner à la source la moitié des
recettes douanières. La présence au port de Tassourt de contrôleurs
douaniers étrangers pose de sérieuses contraintes aux commerçants
locaux et favorise la domination des marchands britanniques. Cette
situation nouvelle conduit le Makhzen à réformer l’administration du port
de Tassourt (Schroeter, 1997 : 257-270). Il s’agit principalement de
l’augmentation du nombre de fonctionnaires des douanes tout en leur
assurant des salaires réguliers, de la mise en place d’une comptabilité
écrite et d’un contrôle plus régulier ainsi que de la tentative, non
concluante, d’introduire le principe de séparation des activités
administratives et commerciales.
La situation difficile des finances a poussé le Makhzen à augmenter les
taxes sur les produits qui sont mis en vente dans les souks des villes
comme Tassourt. Mais le développement du système des protégés a miné
cette réforme fiscale. Les protections accordées par les autorités
étrangères aux commerçants, intermédiaires voire associés agricoles
marocains a paradoxalement conduit à l’évasion fiscale des plus riches et
à la concentration de la taxation sur le monde rural. Les caïds, les grands
commerçants juifs et leurs petits intermédiaires obtenaient la protection
d’un consulat européen pour échapper au paiement de plusieurs taxes ou
garantir la sécurité sur les chemins qui sont encore régis par le système
institutionnel traditionnel.
32 Cette guerre fait suite au soutien apporté à l’émir Abdelkader.
33 Le Makhzen avait contracté un emprunt de 20 ans auprès des britanniques pour
payer au comptant la moitié de l’amende. Les recettes douanières serviront
également à rembourser ce prêt.
144
Au vu de l’importance des échanges économiques avec l’Europe, le
Makhzen cherche surtout à monopoliser le commerce extérieur en
empêchant les pouvoirs locaux dans le Sous de s’autonomiser
économiquement. Pour ce faire, le pouvoir central mobilise une palette de
mesures où il peut, par exemple, accorder des avantages commerciaux à
une maison commerciale pour la coopter, jouer sur les contradictions et la
concurrence entre les différents chefs locaux ou tout simplement envoyer
une expédition militaire Lherkt pour punir les récalcitrants. Pascon et
Ennaji (1985) déconstruisent la notion de siba (voir aussi Belghazi, dans
cet ouvrage) en détaillant les rapports qu’entretient le Makhzen avec ses
marges dans le Sous. Tout au long du XIXème siècle même si les pouvoirs
locaux tentent de s’autonomiser le pouvoir central maintient le contact à
travers les correspondances, l’échange de cadeaux ou de services, le jeu
de distance et de proximité ainsi que les rappels à l’ordre.
La maison commerciale du cheikh Bairouk située à Aguelmim, dans
l’Oued Noun, dispose de deux avantages par rapport à celle d’Iligh :
l’éloignement du centre du pouvoir impérial et une ascension qui n’est
pas alourdie par la pesanteur d’un héritage symbolique à préserver. Les
Id Bairouk sont donc plus entreprenants et prennent plus de risques pour
rentrer en contact avec les marchands européens sur les côtes du sud-
ouest. Les premières tentatives hésitantes datent de 1835-1836 avec
l’Anglais John Davidson puis le Français Delaporte entre 1837 et 1841
(Schroeter, 1997 : 304). Mais c’est en 1845 que l’agent du cheikh
Bairouk à Tassourt accompagne un navire français de Marseille vers les
côtes de la région de l’Oued Noun sans pouvoir y accoster. Pour faire
face à ce danger qui risque de briser le monopole du commerce de
Tassourt, le Makhzen, après avoir écrit aux Bairouk pour leur interdire
cette aventure, sollicite également Lhoussin ou Hachem qui aurait
empêché cette opération de se faire. C’est ce qui ressort en tout cas de ce
courrier envoyé par Mohammad ben Abderrahman au chérif d’Iligh
(Pascon et Ennaji, 1988 : 40-41) :
Nous avons reçu ta lettre au sujet du navire paru sur le rivage du Wani
[Noun]. Lorsque tu en as entendu parler, tu as été sur le lieu nommé. Tu
as défendu à ses habitants les transactions avec les chrétiens (que Dieu
les anéantisse), mais ils ne se sont pas abstenus. Tu as trouvé Bayrûk
réunissant pour eux (les chrétiens) la cargaison dont il disposait. Tu l’as
réprimandé sans résultat. Nous n’attendions pas moins de toi, c’est notre
conviction dans les gens de bien intègres comme toi. Vous faites partie
de nous et vous vous devez à nous, l’amitié entre nous est ancienne et
héritée de père en fils. Nous savons avec certitude que vous n’acceptez
pas cela et que vous le désapprouvez pour la désobéissance qu’il
145
comporte envers le prince des croyants et parce qu’il ouvre la voie à un
grand dommage pour les musulmans et constitue une des voies du mal.
Il est consigné dans la tradition du prophète que « celui qui adopte une
bonne conduite bénéficie de la récompense qui y est attachée ainsi que
de la récompense de ceux qui feront usage jusqu’au jour de la
résurrection, celui qui adopte une mauvaise conduite en supportera la
charge ainsi que celle (la charge) de ceux qui en feront usage jusqu’au
jour de la résurrection ». Il y est dit aussi que « celui qui fera une
innovation ou donne asile à un innovateur aura contre lui la malédiction
de Dieu, celle des anges et celle de tous les hommes ». De
même : « celui qui introduit dans notre ordre que voici, ce qui n’y est
pas, est un apostat, et, les innovations sont le pire des choses, toute
innovation est une hérésie, et toute hérésie est un égarement, et tout
égarement conduit en enfer ». Nous avons écrit à Bayrûk lui interdisant
le commerce avec ce chrétien arrivé auprès de lui et avec quiconque
d’autre. Nous l’avons sermonné, exhorté au bien, mis en garde
énergiquement. Si Dieu lui veut du bien et qu’il se repend à lui (Dieu) et
renonce à son action, il se sera retiré pour sauvegarder son honneur et sa
religion, sinon l’élan impétueux de Dieu est aux aguets. Quant à toi,
mets-le en garde le plus possible et essaie de faire échouer son action
avec le chrétien. Nous avions craint qu’il t’embellisse cet acte odieux et
que tu lui emboites le pas, mais puisque Dieu t’a préservé, nous le
bénissons à cette fin pour toi. C’est une disposition naturelle chez tes
aïeux qui n’ont atteint la position qu’ils occupent que par la crainte de
Dieu, la revivification de la Sûnna, l’anéantissement de l’hérésie,
l’attachement à l’obéissance, la non séparation de la communauté ainsi
que la recherche de qui peut être utile aux musulmans. Salut.
Cette correspondance est révélatrice de l’incapacité du Makhzen à
rétablir l’ordre directement dans certains territoires qui se trouvent à la
marge. Pour y remédier, il mobilise les différents relais dont il dispose
tout en utilisant un vocabulaire qui exhorte et félicite tout en faisant la
morale, voire en menaçant les destinataires. En écrivant à Lhoussin ou
Hachem, Mohammad ben Abderrahman connaît probablement la
proximité entre la Maison d’Iligh et celle des Bairouk (Ibid. : 41). Ce
dernier a choisi comme concubine la sœur de Lhoussin ou Hachem et lui
donne sa fille comme épouse. Il est donc méfiant à l’égard du chérif de
Tazerwalt et craint qu’il ne poursuive lui aussi une pareille « innovation »
commerciale. Mohammad ben Abderrahman le félicite parce qu’il a
prévenu le Makhzen des agissements du cheikh Bairouk tout en lui
rappelant qu’il s’agit d’une obligation d’obéissance qui s’inscrit dans
l’héritage des relations entre Iligh et le Makhzen.
Les pressions et les négociations avec le cheikh Bairouk aboutissent à
l’abandon des relations directes avec les Européens en échange de
quelques avantages. Il aura ainsi le droit d’obtenir un local commercial à
146
Tassourt et ponctionner 2/3 des droits de douane des exportations
provenant de son territoire. En voyant les avantages accordés à son voisin
et malgré les menaces du pouvoir central, la Maison d’Iligh va
discrètement tenter de nouer des relations avec les puissances étrangères.
Les commerçants jouent ici un rôle central dans la prise de contact. En
1853, Lhoussin ou Hachem envoie un émissaire à Tassourt auprès de la
maison commerciale Beaumier, Altaras et Cie de Marseille (Pascon et
Ennaji, 1985 : 102-103). Il propose de nouer des relations commerciales
directes avec les Français sur la côte d’Agadir ou plus au Sud et propose
d’envoyer un membre de sa famille en France en guise de garantie.
L’objectif étant d’obtenir une reconnaissance des autorités françaises et
échanger des armes contre des biens du Sous et du Sahara qui éviteraient
ainsi le paiement des droits de douane à Tassourt. Mais les politiques
français de l’époque refusent ce rapprochement car ils ne souhaitent pas
d’incidents avec le sultan, préfèrent garder le port d’Agadir pour l’avenir
et souscrivent à un principe général de politique générale : c’est aux
commerçants de devancer le politique. Ce n’est qu’au moment où les
maisons commerciales auront tissé des intérêts commerciaux à défendre
dans le Sous que les forces françaises pourront intervenir pour les
protéger.
Les décennies suivantes seront marquées par l’intensification des
tentatives d’établissement de relations commerciales au Sud d’Agadir.
Après la mort du cheikh Bairouk en 1856, c’est surtout son fils Lahbib
qui, en désaccord avec ses frères, va tenter de nouer des relations
commerciales avec les Espagnols34. Là aussi le Makhzen fera appel à
Lhoussin ou Hachem qui va utiliser son pouvoir politique et son réseau
auprès des tribus Aït Baâmran pour faire échouer les tentatives de Lahbib
Bairouk (Pascon et Ennaji, 1988 : 53-55 et 60-61). Les correspondances
entre le chérif d’Iligh et le Makhzen montrent que son soutien est
récompensé. Il est autorisé à s’approvisionner en souffre, cette matière
étant importante pour la préparation de la poudre des fusils.
C’est dans ce contexte que va se préparer l’intervention directe du sultan
Hassan 1er dans la région du Sous à travers deux expéditions (Pascon et
Ennaji, 1988 : 85). L’événement qui va précipiter cette intervention est
l’installation d’un comptoir commercial par le commerçant anglais
Donald Mackenzie au cap Juby. Cette démarche incitera d’autres
34 Lorsque les négociations vont échouer, il va prendre certains Espagnols en
captivité pour demander une rançon, ce qui complique davantage la situation du
pouvoir central.
147
commerçants français et anglais à entamer des démarches semblables
auprès des notables des Aït Baâmran ainsi qu’auprès de Lhoussin ou
Hachem pour s’installer sur les côtes de la région du Sous à Arksis.
Malgré les difficultés rencontrées par Lherkt du sultan de l’année 1882,
elle a permis de baliser le terrain et enclencher les préparatifs de celle
plus réussie de 1886. Durant ces expéditions, le pouvoir central a pu
renforcer les murailles de Tiznit et en faire un nouveau pôle de contrôle
en plein cœur du Sous, réduire l’autonomie des maisons commerciales
d’Iligh et de Bairouk et arrêter les projets d’établissements de comptoirs
européens sur les côtes au sud d’Agadir.
L’occupation française de Tombouctou en 1894 va ruiner le commerce
transsaharien et affaiblir les maisons commerciales qui ont connu leur
âge d’or pendant la deuxième moitié du XIXème siècle. La première
décennie du XXème siècle a, quant à elle, été celle des grands
bouleversements qui vont préparer la signature du traité de protectorat
(Burke, 2013). La réforme du système fiscal, en passant d’un système
d’imposition collectif et tribal à un système individuel, fut un échec total.
De leur côté, les groupes privés européens vont profiter de l’attrait du
sultan pour les techniques modernes pour tisser un réseau de relations
auprès des hommes de la cour afin d’écouler leurs marchandises et de
vendre leurs grands projets. Tout ceci a engendré un déficit commercial
abyssal et un recours insoutenable à l’endettement auprès de bailleurs de
fonds internationaux. Cette situation va déboucher sur le traité
d’Algésiras qui va instaurer la domination financière de la France et une
protection des intérêts commerciaux européens qui vont s’implanter
durablement au Maroc.
La période qui précède la signature du traité de protectorat connaît une
concurrence acharnée entre les différents groupes économiques
européens afin d’acquérir des positions avantageuses au Maroc. Les
commerçants et les entreprises seront même utilisés pour accélérer la
décomposition des structures institutionnelles traditionnelles et les mettre
sous la dépendance des intérêts étrangers. Le cas de l’Union des Mines
Marocaines, un consortium européen avec comme chef de file le groupe
français Schneider, illustre les imbrications entre les affaires et le jeu
d’influence diplomatique. Comme le signale Daniel Rivet (1979 : 574) :
La distinction entre l'entreprise d'exploitation minière de l'Union et
l'action de pénétration de la légation de France et de la mission militaire
tend singulièrement à s'estomper. La jonction s'opère, en particulier, par
le relais de Mogador où l'Union a installé en 1909 une antenne
permanente, qui collabore étroitement avec le consulat. Et la crise
148
d'Agadir renforce encore cette « instrumentalisation » de l'Union par la
diplomatie. Ce sont alors les agents de l'Union qui démontent les
premiers le mécanisme d'intoxication par lequel la diplomatie allemande
s'efforça d'accréditer la thèse d'une pénétration étendue des intérêts
allemands dans le Sous.
Le cas allemand est, quant à lui, révélateur du dynamisme commercial
qui peut influencer le politique. Les firmes allemandes, déjà installées à
la fin du XIXème siècle à Mogador et à Marrakech, cherchent à prospecter
plus au Sud. Les frères Mannesmann35 financent le prétendant Moulay
Hafid et obtiennent en contrepartie un firman en 1908 qui leur permet
d’exploiter les mines dans le territoire du Sous (Guillen, 1967). Otto et
Robert Mannesmann s’installent à Taroudant où ils commencent la
prospection minière, achètent des terrains, écoulent des marchandises et
exercent beaucoup d’influences sur les notables de la région. La maison
commerciale allemande Marx est, quant à elle, liée à la famille Guellouli,
caïd des Ihahan et de la plupart des régions jusqu’à Agadir même où il
nomme son khalifa. Un rapport36 souligne que les Mannesmann ont
effectué, entre 1911 et 1912, dans la région de Taroudant des achats de
terrains équivalent à 500.000 francs. Ils accaparent, au côté de la maison
Marx, une grande partie du commerce dans la région. Le même rapport
précise qu’ils utilisent des courtiers locaux musulmans ou juifs qui
rassemblent les produits locaux, principalement les amandes, les peaux
de chèvres et les huiles d’olives. Les allemands n’hésitent pas à prendre
des risques en faisant des avances à des intermédiaires souvent
déficitaires. C’est donc par ces méthodes que les Mannesmann, les Marx
et les autres maisons commerciales allemandes ont pu s’implanter dans le
Sous où ils réussissent à écouler des marchandises telles que le sucre et le
thé. Cela pousse d’ailleurs le gouvernement allemand à dépêcher en 1911
un navire aux larges de la côte d’Agadir pour renforcer sa position dans
les négociations avec la France.
La Société d’Etudes et de Commerce (SEC), une maison commerciale
marseillaise qui dispose d’un siège à Tassourt, souhaite aussi s’installer à
Agadir et à Taroudant. La correspondance de l’un de ses agents nous
35 Le groupe des Frères Mannesmann connaît un essor fulgurant en Allemagne
même grâce à la mise en place d’un nouveau procédé technique à tel point qu’ils
sont considérés comme des arrivistes par les groupes bien installés.
36 Il s’agit du rapport adressé le 10 juillet 1914 à Taroudant par le colonel de
Lamothe, chef du service des renseignements de la région de Marrakech, au résident
général à Rabat en mettant en copie le général commandant la région de Marrakech
(S.H.D, série 3H).
149
renseigne sur les activités spéculatives dans le Sous aux alentours de
l’année 1911 (Honnorat, 2016). En effet, les entreprises commerciales
cherchent à consolider leurs positions en perspective de la croissance et
des opportunités qui seront apportées par la mise sous tutelle du pays. Les
Français n’apprécient pas les avancées réalisées par les Allemands
notamment en matière d’achats de terrains. Le représentant français de la
SEC accuse ainsi les Allemands de s’être accaparés le foncier le plus
intéressant et d’avoir causé une augmentation des prix à Agadir (Ibid. :
45 et 65) :
Les terrains propres à bâtir sont presque tous pris depuis longtemps. Le
bluff allemand et la spéculation ont fait hausser les prix d’une façon
exagérée. Je cherche à trouver un endroit assez plat pour pouvoir
installer nos installations futures.
[…] Les Ksima, nos plus proches voisins surtout, sont envieux d’Agadir
pour les bénéfices et l’argent qui s’y amassent du fait de la spéculation
sur les terrains. Ils disent avec quelques raisons, que des terrains valant
à peine 100 douros sont vendus à un prix décuple.
Un autre courrier envoyé par le consulat français à leur ministère de
tutelle en métropole37 détaille les principales acquisitions des étrangers à
Agadir : les Allemands arrivent largement en tête avec 75.000 pesetas
hassani (p.h.) plus que le double des acquisitions des Français qui
s’élèvent à 29.735 p.h., les Anglais, les Italiens et les Espagnols
acquièrent respectivement : 10.000 p.h., 4.000 p.h. et 1.350 p.h. Le frère
du caïd des Ihahan, Haj Hassan Guellouli joue un rôle important dans ces
acquisitions. Il était d’abord proche des Allemands, leur facilitant les
premières acquisitions, avant de se rapprocher des Français. Pour gonfler
les prix des terrains et augmenter ses profits, ce baron local a non
seulement pu jouer sur les compétitions entre Allemands et Français,
mais aussi sur celles entre les maisons commerciales françaises. Ces
dernières étaient en rivalité pour acquérir du foncier à Agadir (Ibid. : 48
et 51), comme on peut le remarquer dans ce courrier adressé par l’agent
Honnorat à sa hiérarchie à Tassourt :
Hadj Hassan paraît être plus attaché à l’Union des Mines [coalition
dominé par le groupe français Schneider] qu’à notre Société
[marseillaise SEC]. Vous feriez bien de lui écrire, lui proposant notre
protection et lui parlant de l’affaire des terrains. […] Dès l’arrivée de
37 Courrier adressé le 8 novembre 1911 par le chargé d’affaires de la République
française à Tanger à son Ministre des Affaires Etrangères. Les informations utilisées
dans ce paragraphe proviennent de l’annexe comportant un courrier adressé par le
Consul de Mogador au chargé d’affaires à Tanger. (S.H.D, série 3H)
150
Sintés [interprète envoyé par la SEC], j’ai mandé hadj Hassan. La seule
combinaison à l’heure actuelle étant de nous l’attacher le plus possible,
pour éviter qu’avec sa mauvaise foi coutumière, il ne joue double jeu
avec l’Union des Mines, les juifs [Afriat et Corcos notamment] ou
autres.
[…] Nous ne pouvons guère compter sur Hadj Hassan ni pour nos
ventes, ni pour nos achats de terrains. Je le crois entièrement aux ordres
de l’Union des Mines et ses manières sont presque hostiles depuis
quelques temps. Pour ce qui est des terrains, il ne veut traiter qu’avec
M. Crété [inspecteur des agences de la SEC qui créa celle de Mogador]
en personne et dit avec un grand sérieux que je ne puis acheter parce
que c’est trop cher.
Néanmoins, toutes ces acquisitions foncières n’étaient pas garanties. Les
étrangers faisaient parfois des achats dans le Sous en faisant confiance à
des intermédiaires qu’ils rencontrent à Marrakech ou à Tassourt. Ils se
trouvent donc avec de mauvaises surprises en matière d’emplacement ou
d’exactitude de la superficie quand ils se déplacent pour prendre
possession des biens. Dans d’autres cas, ils se retrouvent même avec des
titres irréguliers. La correspondance susmentionnée des diplomates
français précise que les Allemands ont établi des actes d’achats auprès du
caïd des Iksimen qui n’a aucune autorité dans Agadir qui dépend plutôt
de celui des Ihahan. Même si les diplomates présentent le cas des
Allemands comme un exemple qui illustre la supériorité des procédés
utilisés par les commerçants français soutenus par leur consulat, le
témoignage de l’agent de la SEC (Ibid. : 79) montre les difficultés qu’ils
peuvent également rencontrer :
Par l’intermédiaire du consul de France, Mme du Gast38 a acheté le
« herri », grande maison avec fondouk et magasin dont le caïd Guellouli
s’était emparé, et dont le véritable propriétaire a fourni les titres. Il y
aura, je crois de grandes difficultés à l’entrée en possession. C’est la
maison qui loge présentement la mission. On m’a dit que le chiffre
d’achat était de 8000 douros. Mme du Gast a également acheté du
terrain appartenant au caïd Anflous situé près de la Nzala.
Même si le mouvement hibiste bouscule l’installation des intérêts
français dans le Sud, la dynamique enclenchée par la signature du traité
du protectorat et l’occupation progressive de tout le territoire qui
s’achève autour de 1934 engendre la remise en cause des institutions
38 Il s’agit d’une riche exploratrice française qui a parcouru le Maroc et qui était,
durant cette période, au service du gouvernement français pour étendre son influence
dans plusieurs territoires et collecter des informations notamment dans le domaine
agricole.
151
économiques traditionnelles. L’un des aspects les plus importants est la
construction de nouvelles routes qui assurent une pénétration
commerciale.
Les enjeux de la sécurisation des routes
L’instauration du protectorat français au Maroc marque l’approfondis-
sement de la décomposition des institutions traditionnelles. L’un des
aspects les plus importants a consisté à dessaisir les assemblées de tribus
et les caïds des ressources importantes que sont la taxation des Nzala. Le
système des Nzala permettait aux caravanes qui transportaient les
marchandises entre le Sahara et le Nord de s’arrêter dans des étapes
sécurisées (Nzala) contre le paiement d’un droit de passage. Ce sont les
tribus et surtout leurs chefs qui ont un contrôle direct sur ces chemins ce
qui leur permettait d’obtenir des ressources supplémentaires et renforcer
ainsi leur autonomie. Lorsque la pénétration économique des Européens
s’est accentuée l’un des enjeux pour eux a été, en plus de trouver un
contact direct avec les tribus sur les côtes au sud d’Agadir, la question de
la sécurisation des routes qui a pour corrolaire la question de la réduction
des taxes des Nzala.
Le transport des produits à vendre tels que le sucre, le thé, la cotonnade
de Tassourt, d’où ils sont débarqués des bateaux, vers les souks des pays
du Sous n’était pas chose aisée. Au départ, les marchands se sont
contentés de s’associer à des intermédiaires juifs ou musulmans locaux
qui eux-mêmes étaient encastrés dans un réseau complexe où sont
imbriquées les relations politiques et symboliques que nous avons mis en
évidence plus haut pour le cas de la Maison d’Iligh. Progressivement les
premiers commerçants aventuriers vont tenter de créer des comptoirs au
sud d’Agadir pour contourner les taxes de Tassourt avec pour objectif
économique de maximiser les profits et, dans une perspective politique,
d’affaiblir le pouvoir central. Le contexte qui suivra la conférence
d’Algésiras leur permettra progressivement de contourner les petits
intermédiaires pour ouvrir directement des agences dans le Sous et traiter
directement avec des personnages influents. La mise en place de réseaux
commerciaux européens, davantage basée sur le système de protection et
d’endettement monétaire, va créer une interdépendance entre les
chefferies locales et des intérêts étrangers39. La correspondance de la
39 L’affaiblissement du pouvoir central dans le Sous et la pénétration des intérêts
économiques étrangers va paradoxalement induire un soulèvement qui embrasera
tout le Sous. Il s’agit de l’alliance entre un lignage religieux venant du Sahara (les
152
maison commerciale marseillaise SEC aux alentours de l’année 1911
dans le Sud marocain nous renseigne sur les enjeux autour de la question
du contournement des intermédiaires et de l’acheminement des
marchandises. L’agent de la SEC Ferdinand Honnorat, qui s’installe à
Agadir, constate que les marchés sont interdits aux Européens et souhaite
échanger directement sans intermédiaires (Honnorat, 2016 : 30) :
En dehors des marchés, on pourrait traiter avec les caravanes, ce qui
serait préférable car les affaires se feraient ainsi sous les yeux de
l’Européen et en supprimant les intermédiaires indispensables dans un
pays où les marchés sont fermés aux blancs. En plus du bénéfice qu’ils
prélèvent, ces intermédiaires sont une source d’ennuis par suite des
risques que l’ont court avec eux, car il faut leur faire des avances. Mais
pour que la caravane s’arrête, il faut qu’elle soit certaine de pouvoir
acheter ce qu’il lui faut et vendre les produits qu’elle porte. En lui
payant les mêmes prix ici qu’à Mogador, défalcation faite des frais de
transport et de nzala, on arriverait à les faire arrêter facilement.
Les tarifs des Nzala sont l’objet de discussions dans lesquelles
interviennent les autorités consulaires étrangères. La France qui a des
prétentions sur le Maroc n’hésite pas à mobiliser ses représentants pour
négocier avec les caïds des tribus la baisse des taxes, la sécurisation des
routes et l’intervention en faveur d’étrangers ou de protégés marocains.
En juin 1911, le consul français à Tassourt réussit à négocier une baisse
significative des tarifs des Nzala dépendant des caïdats Anflous et
Guellouli qui se trouvent sur les chemins partant principalement pour
Marrakech et Agadir. Le diplomate a en effet profité d’une situation
politique favorable où les deux caïds se méfient du renforcement du
Makhzen suite à la présence de troupes françaises à Fès ainsi que
l’ascension de leur concurrent le caïd Mtougui. Son ton était menaçant
comme il dit lui-même dans un courrier adressé à sa hiérarchie40 :
J’abordi avec mes deux interlocuteurs la question qui faisait l’objet de
mon voyage. Je leur exposât que l’affaire des nzalas était mûre pour une
solution, et qu’il était de leur intérêt d’aller eux-mêmes au devant de
cette solution avant qu’elle ne leur fût imposée par des circonstances
Ma’ lâynayn) et des caïds et chefs locaux (entre autres, Abdellah Zakour, Lmadani
Lakhssasi, caïd Najm et Sidi Lhaj Lahbib Lbouchouari) qui sont préoccupés par
l’autonomie de leur pouvoir et l’arrivée de forces étrangères. Mais le protectorat
français et ses nouveaux alliés Makhzen (caïds Glaoui et Goundafi notamment) vont
user de la force pour stopper le mouvement hibiste puis profiter des conflits et
alliances au niveau local afin de le canaliser dans les montagnes de l’Anti-Atlas
avant de le liquider en 1934.
40 Courrier adressé le 28 juin 1911 par le Consul de Mogador au chargé d’affaires à
Tanger. (S.H.D, série 3H)
153
indépendantes de leur volonté ; que le commerce de Mogador, paralysé
depuis trois mois, faisait entendre des plaintes auxquelles il était temps
pour eux de faire droit, s’ils voulaient éviter une intervention
makhzenienne qui ne manquerait pas de rencontrer notre approbation,
que, dans ces conditions, l’occasion leur était offerte de donner un gage
de leur subordination à l’égard du pouvoir central en remédiant eux-
mêmes à une situation contraire à l’ordre public et à l’intérêt général.
Malgré le ton triomphal du consul, on sait, grâce à la correspondance de
la maison commerciale SEC, que le commerce en chameaux est perturbé
sur le chemin entre Tassourt et Agadir. Une livraison de sucre de la SEC
se trouve bloquée dès novembre 1911 à quelques kilomètres d’Agadir
(Honnorat, 2016), suite à Lherkt (l’expédition militaire) menée par les
Iksimen, achtouken et leurs alliés contre les Imsggin, alliés au caïd
Guellouli. Ce dernier, suite à un différent avec les Iksimen, les a punis en
détournant les caravanes qui avaient l’habitude de s’arrêter dans une
Nzala des Iksimen pour passer désormais par une autre en territoire
Imsggin. L’agent de la SEC précise d’ailleurs qu’il y a eu de nouvelles
négociations en janvier 1912 entre le consul français de Mogador et le
caïd Guellouli à la suite desquelles ce dernier aurait promis de supprimer
les droits de passage sur son territoire. N’ayant pas exécuté sa promesse,
les Iksimen ont augmenté le nombre et les tarifs des Nzala sur leur
territoire. Cette escalade a presque bloqué le commerce entre Tassourt,
Agadir et Taroudant.
La période qui s’écoule entre le début du protectorat et la fin des années
1920 est caractérisée par la mise en place du projet d’ouverture du port
d’Agadir et le lancement progressif de la construction des routes
notamment celle reliant Tassourt à Agadir. Néanmoins, la mise en place
de ces projets est très ralentie par la persistence du mouvement hibiste
dans l’Anti-Atlas et surtout la priorité accordée aux projets d’équipement
et de colonisation agricole dans le Nord du Maroc. Durant cette période
les responsables militaires français s’occupent plutôt de l’analyse de la
situation économique du Sous41. Ils soulignent que le chemin de la plaine
qui passe par Agadir pour aller vers le Nord est préférable à celui de
l’Atlas, puisqu’il permet le passage quotidien d’environ 200 chameaux et
35 tonnes de marchandises. Ils projettent donc le développement de la
route Tassourt-Agadir qui permettra la progression des échanges
commerciaux. Ils estiment toutefois que le dynamisme commercial du
41 Les informations présentes dans ce paragraphe proviennent de la conférence sur
« Le Sous », donnée par le capitaine Mondet, le 6 janvier 1923, au Service des
renseignements : Bureau du Cercle de Marrakech-Banlieue (S.H.D, série 3H).
154
Sous ne peut être atteint sans une autonomie administrative à l’égard de
Marrakech et une indépendance économique qui pourra se faire grâce à
l’ouverture du port d’Agadir. Ce dernier va avoir une grande importance
car le Sous contribue déjà pour la moitié aux exportations de Tassourt.
Mais l’on s’inquiète déjà des difficultés que vont affronter les agents
commerciaux français face à « la concurrence de musulmans ou israélites
[qui sont des] commerçants avisés ».
Si en 1923 le capitaine Mondet constate qu’ « il faut de gros travaux
coûteux, routes, port pour livrer ce pays au commerce, or ; notre outillage
du Maroc du Nord de l’Atlas absorbe la majeure partie de nos
disponibilités »42, les choses changent à la fin des années 1920. La route
reliant Tassourt à Agadir est achevée à l’exception de trois ponts. Celle
tout aussi importante de Taroudant est presque terminée. Les pistes qui
vont faciliter la pénétration commerciale sont également réalisées à
plusieurs endroits comme à Ida ou Tanan (58 Km), Igherm-Issafen (40
Km), Amentoutel –Souk El Tenin de Toufelâzt (53 Km). Les travaux
préparatoires de l’ouverture du port d’Agadir avancent rapidement, que
ça soit le prolongement et l’aménagement de la jetée ou encore la
construction des magasins et des équipements des douanes43.
Consolidation des rapports de dépendance à l’égard du Nord et de la
métropole
La sécurisation des anciens chemins caravaniers et la mise en place de
nouvelles routes côtières consolident les échanges avec le nouveau pôle
économique de Casablanca. A mesure que le port de Casablanca devient
plus accessible par les nouvelles routes sécurisées les marchandises
délaissent Tassourt pour la capitale économique. Cette dépendance à
l’égard du Nord n’est pas seulement le fruit des échanges économiques,
elle est aussi provoquée par la ponction fiscale et l’allocation budgétaire.
La réorganisation du système fiscal par une administration plus
rationnelle permet de ponctionner plus efficacement les tribus. Les
ressources collectées ne restant plus au niveau local, lorsque le Makhzen
est affaibli, mais remontent désormais systématiquement au niveau
central. Comme le signale dès 1922 le rapport réalisé par le chef du
bureau des renseignements de Taroudant, le contrôle administratif
42 Ibid.
43 Rapport relatif à l’action administrative menée du 1er janvier au 1er novembre
1929, réalisé par le Lieutenant-colonel responsable de la région d’Agadir et adressé
au Général de division, commandant la région Marrakech.
155
nécessite la collecte des impôts légaux (tertib), des taxes des marchés, des
taxes municipales à Taroudant en veillant à assurer « le versement de leur
produit aux caisses de l’Etat, qui assurera désormais les charges dont il
laissait le soin aux Caïds »44. Conscient des oppositions que peut susciter
cette innovation, il rajoute plus loin qu’elle « portera un coup sensible
aux revenus actuels des Chefs Indigènes, et il est possible qu’ils
n’apportent pas à son succès une parfaite bonne volonté »45.
Les rapports de certains officiers des affaires indigènes montrent les
difficultés qu’ils peuvent rencontrer dans la taxation des tribus. Ils sont
en fait confrontés, au jour le jour, aux dures réalités des populations
locales alors qu’ils ont des injonctions du ministère des finances qui leur
demandent de collecter les impôts de la manière la plus stricte possible.
L’analyse du capitaine Olloix, chef du bureau des Affaires indigènes
d’Agadir-Banlieue46, est de ce point de vue intéressante parce qu’il
souligne un paradoxe dans le fonctionnement du système fiscal du
protectorat. En faisant la comptabilité des sommes envoyées au centre et
de ce qui est reçu, il constate que c’est la région pauvre qui finance le
Nord où les investissements en équipement sont déjà importants du fait
de la présence d’une colonisation européenne importante. Il constate
que :
Les impôts payés par notre Circonscription se sont élevés à environ
6.500.000 francs pour les quatre années écoulées se répartissant comme
suit :
1934 1935 1936 1937
Tertib (environ) 650 000 1 100 000 1 375 000 1 000 000
Droits de Marché 400 000 400 000
Patente, timbres
et taxes diverses 200 000 200 000 500 000 500 000
Total 1 250 000 1 700 000 1 875 000 1 500 000 6 325 000
44 Rapport réalisé le 8 avril 1922 à Taroudant, par le chef du bataillon Bourguignon,
chef du bureau des renseignements de Taroudant (S.H.D, série 3H).
45 Ibid.
46 Rapport réalisé le 9 décembre 1937 à Inezgane, par le capitaine Olloix, chef du
bureau des Affaires indigènes d’Agadir-Banlieue.
156
Si l’on déduit de ce chiffre la totalité des sommes allouées annuellement
au fonctionnement de notre Bureau (hormis les sommes payées par la
Guerre) et aux travaux exécutés dans la Circonscription – ce total
n’atteignant pas 500.000 frs – on constate que les caisses de l’Etat ont
effectué un bénéfice de plus de trois millions c’est-à-dire plus de 50%.47
Or, le budget du protectorat, quand il n’est pas en déficit, ne réalisant
pas de bénéfice, il y a lieu de déduire que cet excédent de recettes
provenant d’un pays relativement pauvre et à équiper, va aux régions
riches dont l’équipement est déjà en partie accompli48 et présente
d’autant moins d’urgence que les pays du Nord sont favorisées par les
pluies, que le paysan y vit sans effort, sans crainte des calamités, et n’a
donc pas besoin de rechercher à grand frais comme celui d’ici le moyen
de mettre sa terre en valeur avec l’eau du sous-sol.
[…] Comment peut-on concevoir que le trésor s’enrichisse des apports
d’un pays encore si pauvre et qui a tant à dépenser pour devenir
simplement apte à nourrir sa population ?
Le capitaine Olloix dénonce aussi les augmentations de tertib et le
système draconien des patentes. Il essaie d’ailleurs de convaincre le
ministère des Finances qu’il n’est pas possible de ponctionner
abusivement des paysans dont les biens déclarés sont souvent diminués
de moitié lors du prélèvement d’impôt.
Durant le protectorat, l’un des aspects les plus importants de la
dépendance du Sous est l’intensive introduction de cultures qui ne
répondent pas aux besoins locaux. Pour illustrer cette dynamique, nous
allons prendre deux exemples : la culture du tabac qui répond à
l’augmentation des besoins des grands centres urbains et la participation
à l’effort de guerre en produisant de l’huile de ricin pour subvenir aux
besoins de l’armée française durant la seconde guerre mondiale.
Concernant la culture du tabac, le directeur général de la Régie des
Tabacs, basée à Casablanca, adresse en septembre 1941 un courrier au
directeur des Finances à Rabat49 où il le sollicite pour étendre cette
culture dans différentes régions au Maroc. Il souhaite « l’extension de la
culture du tabac à fumer en milieu indigène » dans les plantations
familiales. Pour ce qui est de la difficulté de séchage, il propose de les
dépasser en recourant à un regroupement en coopératives pour lesquelles
47 C’est nous qui soulignons.
48 C’est nous qui soulignons.
49 Courrier adressé le 22 septembre 1941 à Casablanca, par de Montravel, directeur
général de la Société Internationale de Régie co-intéressée des Tabacs au Maroc, au
directeur des Finances à Rabat (S.H.D, série 3H).
157
la Régie peut proposer les équipements et les formations nécessaires.
Pour convaincre la direction des Finances de l’importance du projet pour
l’économie de l’Etat, le responsable de la Régie explique que face à
l’impossibilité d’importer des quantités suffisantes de tabac, la
production de l’usine de Casablanca pourrait être réduite et les ouvriers
mis en chômage partiel. Il signale surtout que l’impact sur le budget
risque d’être grevé par la réduction des impôts indirects sur le tabac.
Alors que cet impôt augmente tout en étant « accepté allègrement par la
population puisque – comme cela vous a été signalé par ailleurs – les
augmentations dernières n’ont pu enrayer, même momentanément, le
mouvement ascendant de nos ventes. » Ces arguments reçoivent un
accueil favorable. Cette demande de soutien des efforts de
développement de la culture du tabac est envoyée à la direction de la
production agricole et à celle des affaires politiques. Nous retrouvons
d’ailleurs la lettre du directeur général de la Régie des Tabacs en annexe
d’un courrier adressé, entre autres, au général, chef du commandement
d’Agadir-Confins, dans lequel le directeur des Affaires politiques lui
demande de donner des instructions aux autorités relevant de son
commandement afin de promouvoir la culture du tabac, « efforts dont les
répercussions sur l’économie du pays et les recettes budgétaires du
Protectorat ne vous échappent certainement pas »50.
Ces efforts sont poursuivis au niveau local par l’action du représentant de
la Régie des Tabacs à l’entrepôt d’Agadir. Celui-ci adresse un courrier au
lieutenant-colonel, chef du territoire d’Agadir, dans lequel il lui
communique, outre les prix d’achat du tabac et la disponibilité de
semences gratuites, les primes dont celle à l’encouragement de la culture
du tabac :
Pour les planteurs de l’année 1941 nous ayant livré un minimum de
2.000 kgs de tabac à fumer, il est prévu une prime supplémentaire si
leur livraison de 1942 est en augmentation par rapport à celle de l’année
précédente. Cette prime se présente sous la forme d’une majoration de
la valeur d’achat des tabacs des quatre qualités marchandes.51
50 Courrier adressé le 14 octobre 1941 à Rabat par le directeur des Affaires
politiques aux responsables des différentes provinces, y compris celle du Sous
(S.H.D, série 3H).
51 Courrier adressé, le 24 novembre 1941, par l’entreposeur de la Régie des Tabacs à
Agadir au lieutenant-colonel, chef du territoire d’Agadir (S.H.D, série 3H).
158
Ces différentes incitations économiques ont pour objectif d’encourager
les planteurs à augmenter les superficies cultivées et d’attirer de
nouveaux agriculteurs pour étendre la culture du tabac dans le Sous52.
Au cours de l’année 1942, l’effort de généralisation de la culture du tabac
est intensifié, la Régie des Tabacs nomme un représentant, M. Roman,
dans la région d’Agadir et Taroudant qui se charge du développement de
cette culture. Celui-ci est tout de suite accrédité par la hiérarchie militaire
locale en la personne du général de brigade Chatras. Ce dernier souhaite
voir le Sous produire d’importantes quantités de tabac pour augmenter les
revenus des agriculteurs de la région. Pour cela, il s’adresse aux chefs des
territoires de Tiznit, Taroudant et Inezgane dans un courrier53 où il
précise que :
Etant donné l’importance que présente pour nos protégés et l’économie
générale française, cette culture, je vous prie de faire une propagande54
auprès de vos administrés, pour que les plantations de tabacs soient
intensifiées.
Je demande aux chefs de circonscription, d’agir personnellement dans
ce but, de me rendre compte des mesures prises et des résultats obtenus,
en m’indiquant les principales plantations. Je pourrais ainsi les visiter et
le cas échéant, exprimer directement ma satisfaction à tous ceux qui
auraient fait l’effort qui leur est actuellement demandé.
Néanmoins, la diffusion de ce type de cultures qui ne répondent pas aux
besoins locaux suscite d’énormes problèmes. Les incitations
économiques ainsi que les contraintes de l’administration poussent les
agriculteurs à remplacer leur culture vivrière et celle qu’ils vendent dans
les marchés locaux par des produits destinés aux manufactures de la
Régie des Tabacs à Casablanca. Or l’approvisionnement de la population
est un souci important pour les officiers des affaires indigènes surtout
durant les périodes de sécheresse. Lorsqu’il y a peu de pluie, les
territoires irrigués sont sollicités pour combler le vide laissé par l’absence
de productivité des terres bour. Dans le rapport réalisé en 1945 par le
52 Ce message a été appuyé par la hiérarchie en la personne du colonel Chatras, chef
du commandement d’Agadir-confins qui a envoyé une correspondance le 4
décembre 1941 au lieutenant-colonel chef du territoire d’Agadir. Il lui demande de
diffuser largement les prix et les primes applicables au tabac et surtout de « prescrire
d’encourager l’extension de cette culture ».
53 Courrier adressé le 23 Aout 1942 à Agadir, par le général de brigade Chatras au
lieutenant-colonel chef du Territoire des Confins de Tiznit, ainsi qu’au chef de
bataillon, chef du cercle de Taroudant, et au chef d’escadron, chef du cercle
d’Inezgane (S.H.D, série 3H) .
54 C’est nous qui soulignons.
159
capitaine Deal, chef du cercle d’Inezgane, celui-ci souligne les facilités
qu’il a d’abord accordées au représentant de la Régie des Tabacs mais il a
dû freiner ses actions pour que les agriculteurs préservent les surfaces qui
leur permettent de nourrir leur famille. Le document écrit par le
capitaine55 montre que l’augmentation des plantations de tabac provient
davantage du soutien apporté par l’administration et les incitations
accordées que d’une réelle volonté des agriculteurs :
La régie d’Agadir bénéficie de facilités diverses pour encourager la
culture du tabac chez les indigènes. L’an dernier elle distribue des cartes
permettant à l’autorité de contrôle d’exempter les planteurs du travail de
15 jours et de reporter leurs prestations de 4 jours à la période morte de
la culture du tabac. Des bons de sucre furent également octroyés aux
meilleurs planteurs, la saison passée.
Par ailleurs l’entreposeur d’Agadir eut de tous temps toute latitude pour
rassembler les planteurs de tabac, pour les visiter, et ce sous le
patronage du Caïd et de l’Officier contrôlant la tribu. Cet appui des
Autorités fut sans conteste la seule raison de l’extension de la culture du
tabac. Les indigènes propriétaires d’une naora56 préfèrent, sans aucun
doute, se livrer à toute autre culture que celle là57.
En cas de sécheresse les agriculteurs locaux choisissent leur culture
vivrière au lieu de répondre aux besoins de l’industrie du tabac. Mais le
responsable local, n’hésite pas à les pousser à poursuivre les efforts quitte
à utiliser de nouvelles incitations :
Les planteurs de tabac furent à nouveau réunis au Km 44 le lundi 9
avril, et l’Officier contrôlant la tribu, le Caïd Bouchaib [des Houara] et
M. Roman exhortèrent tour à tour les planteurs de tabac à poursuivre
leurs efforts. Quoique demeurant disciplinés, certains planteurs
élevèrent cependant la voix et firent comprendre qu’ils ne pouvaient, au
prix où était l’orge cette année, nourrir leur famille, améliorer leurs
naoras et répondre comme l’an passé à l’appel du maghzen.
Le Lieutenant Rousseau et M. Roman, lequel, à n’en pas douter, se
rendit compte de la bonne foi de ces planteurs, se concertèrent alors et
pour encourager leurs interlocuteurs durent envisager :
- La création de prêts par la Régie des Tabacs (ce qui permettra de
remettre en état des naoras défectueuses ce en évitant les prêts à
des taux usuriers).
55 Rapport rédigé le 11 avril 1945 à Inezgane, par le capitaine Deal, chef du cercle
d’Inezgane, au sujet de la culture du tabac (S.H.D, série 3H).
56 Appelé aussi noria ou Aghrour en amazigh. Il s’agit d’une petite propriété
délimitée comportant un puits avec un mécanisme pour remonter l’eau avec un
animal qui se déplace sur un plan incliné.
57 C’est nous qui soulignons.
160
- L’octroi d’un petit contingent d’orge mensuel aux planteurs
méritants.
A la nouvelle de ces deux promesses tous les planteurs manifestèrent
leur contentement et assurèrent que le makhzen les aidant eux aussi
aideraient le makhzen en cultivant de bon cœur le tabac.
Les pressions qui sont exercées sur les agriculteurs marocains pour
satisfaire les besoins de l’industrie du tabac contrastent avec l’absence de
contraintes sur les colons européens qui sont pourtant les premiers
bénéficiaires des politiques agricoles. Le capitaine français regrette lui-
même :
que la culture du tabac soit uniquement basée sur le travail de petits
fellahs indigènes qui, en période difficile, cherchent plus que jamais,
pour des raisons bien compréhensibles, à s’en soustraire.
Les doléances de ces fellahs se justifient d’autant plus que les colons
européens, cependant dotés de moyens puissants leur permettant
d’irriguer de vastes étendues de terrain, ont catégoriquement refusé de
se livrer à cette culture peu rémunératrice.
Répartis entre ces colons, les 160 Ha de tabac cultivés actuellement par
1600 indigènes seraient une bien faible charge pour chacun d’eux.
Parallèlement à l’essor de l’industrie du tabac au Maroc, pendant la
période de la seconde guerre mondiale, d’autres cultures ont été
encouragées en guise de contribution à l’effort de guerre.
L’administration du protectorat français a sollicité les agriculteurs pour
contribuer à planter plusieurs cultures. Nous allons prendre ici l’exemple
du ricin. Bien avant le début de la seconde guerre, les services du
ministère de la Défense au Maroc ont commencé à réfléchir à
l’approvisionnement en graines de ricin, destinées à la fabrication de
lubrifiants pour les moteurs des avions militaires français. Les besoins
étaient situés à environ 15.000 tonnes qui ne pouvaient pas tous être
satisfaits par les colonies alors que les importations étrangères avaient un
coût important58. Des accords ont été conclus entre le ministère français
de la Guerre59 et le gouvernement du protectorat pour encourager la
culture du ricin. En contrepartie, un contingent, à un prix plus intéressant
58 Courrier adressé le 2 Octobre 1933 à Casablanca au directeur des affaires
indigènes à Rabat par le lieutenant-colonel Stortz, commandant le parc régional de
réparation et entretien du matériel, chargé du service des essences au Maroc auprès
de la direction de la Guerre. Direction des Poudres. Service des Essences (S.H.D,
série 3H).
59 Le ministère de la Défense française était appelé à cette époque ministère de la
Guerre.
161
que le cours international, est réservé à la production marocaine.
L’administration du protectorat a donc commencé, aux alentours de
l’année 1934, à récolter les graines de ricin situées dans les dunes aux
alentours de Tassourt et d’Agadir qui dépendaient des services des Eaux
et forêts60.
Durant la même période, la direction générale de l’Agriculture et de la
Colonisation souhaite développer cette culture mais, face au refus des
colons européens, elle se tourne vers les fellahs marocains61. La direction
demande alors la contribution des officiers pour des « actions de
propagande » et pour la mise en place d’une logistique afin de centraliser
les récoltes éparpillées et les envoyer vers Casablanca. Le discours qui
est alors véhiculé est que :
La culture du ricin à peu de frais telle qu’elle est préconisée par cette
Direction peut intéresser les groupements sédentaires supplétifs et elle
doit pouvoir se propager rapidement au double bénéfice de la défense
nationale et de la situation matérielle des « fellahs »62.
Dans la région du Sous, le développement de la culture du ricin s’effectue
à partir de la fin 1935 chez les Achtouken, notamment la fraction Aït
Mimoun, puis dans les tribus des Aït Masst et Aït Lmâdar. La production
passe de 17 tonnes en 1936 à 40 tonnes en 1937 puis 73 tonnes en 1938
mais les agriculteurs font attention à le cultiver uniquement comme
clôture en bordure des terrains et jardins irrigués63. L’orge, le mais et les
légumes restant le cœur de l’activité du fellah assoussi. Les officiers des
affaires indigènes, au niveau local, sont conscients qu’une grande
extension de la culture du ricin ne peut se faire qu’au détriment de
l’économie rurale traditionnelle ce qui peut avoir des effets néfastes pour
la politique du protectorat. L’administration central des services
d’approvisionnement considère, quant à elle, que les difficultés
rencontrées pour le développement du ricin dans le Sous ont
60 Courrier adressé le 20 juin 1934 à Marrakech, par l’inspecteur adjoint, chef de
service des Eaux et forêts à Marrakech au général de division commandant la région
de Marrakech.
61 Courrier adressé le 24 octobre 1934 à Rabat, par le directeur général de
l’Agriculture, du Commerce et de la Colonisation au chef du service du contrôle
civil à Rabat au sujet de la culture du ricin en milieu indigène (S.H.D, série 3H).
62 Message adressé le 22 décembre 1934 à Rabat, par la direction des Affaires
indigènes au général de division Commandant la région – Marrakech pour diffusion
et à toutes fins qui seraient jugées localement opportunes (S.H.D, série 3H).
63 Note sur le ricin dans le Sous produite à Agadir en avril 1939, par le général de
brigade Miquel, chef de la région d’Agadir (S.H.D, série 3H).
162
principalement pour causes la méconnaissance des agriculteurs des
avantages de cette culture ou « leur ignorance en ce qui concerne la
possibilité d’écouler leur récolte »64.
Lorsque la seconde guerre mondiale éclate et que les importations de
l’huile de ricin deviennent impossibles, la pression sur les agriculteurs
pour cultiver les graines de ricin s’intensifie. En juillet 1941, les prix
d’achat ont significativement augmenté de presque le double en passant
de 160 à 310 francs le quintal des graines décortiquées65. Deux semaines
plus tard, cette incitation économique est augmentée à 400 francs le
quintal pour les régions qui se situent au sud de l’Atlas nécessitant des
frais de transport plus élevés66. En octobre de la même année, c’est le
résident général qui insiste dans un courrier adressé, entre autres, au
général chef du commandement d’Agadir-confins pour l’appeler à la
réalisation d’importantes plantations de ricin sur « les terres collectives
de richesse moyenne, qui ne sont occupées qu’accidentellement et
partiellement par d’autres cultures » ou « les terres sablonneuses qui
avoisinent fréquemment le littoral »67. S’en suivent alors d’importants
projets dans le Sous, notamment ceux portés par les services des Eaux et
forêts qui souhaitent ensemencer 200 hectares de dunes au sud-ouest
d’Inezgane et le semis de quelques parcelles de la forêt d’arganier qui ont
été mises en coupes notamment 100 hectares en forêts Imsggin68. Le
responsable des Eaux et forêts souhaite même interdire l’accès de ces
espaces aux parcours des troupeaux de la population locale en indiquant
que :
64 Courrier envoyé le 14 février 1935 à Casablanca au gérant du magasin annexe
d’essence à Agadir, par le colonel Stortz, chargé du service des essences au Maroc
(S.H.D, série 3H).
65 Courrier adressé le 22 juillet 1941 à Rabat, par le directeur des Affaires politiques,
entre autres, au général chef de la région Agadir et confins à Tiznit au sujet de la
récolte du ricin (S.H.D, série 3H).
66 Message envoyé le 4 aout 1941à Rabat, par le directeur des Affaires politiques
aux administrateurs délégués des coopératives indigènes de blés de Meknès et
Marrakech (S.H.D, série 3H).
67 Courrier datant du 29 octobre 1941 à Rabat, adressé par le général Noguès,
commissaire résident général de France au Maroc à, entre autres, le général chef du
commandement d’Agadir-Confins. Ce courrier porte sur l’extension des plantations
du ricin en milieu indigène (S.H.D, série 3H).
68 Message adressé en novembre 1941 par l’inspecteur-adjoint des Eaux et forêts,
chef de Circonscription, au lieutenant-colonel, chef du Territoire à Agadir, au sujet
de l’extension des plantations de ricin (S.H.D, série 3H).
163
Ces parcelles sont interdites au parcours des troupeaux pendant six ans,
durée approximative du plant de ricin, lorsqu’il n’est pas irrigué. Le
ricin bénéficiera de la mise en défends sans qu’aucune gêne nouvelle ne
soit apportée à l’usufruitier.
Dès la moitié des années 1930, la plantation du ricin a rencontré des
difficultés sérieuses dans le Sous à cause de facteurs naturels telle que la
chenille icerya ou le manque d’eau. D’autres facteurs culturels tels que le
refus des agriculteurs du Sous d’installer une plante étrangère non
vivrière sont également à prendre en compte. Mais l’objectif principal de
soutien à la métropole française a obnubilé les responsables de
l’administration du protectorat. Cela a conduit à la création d’une
dépendance de la région du Sous à l’égard d’intérêts lointains qui a
commencé à se fissurer après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce
n’est que dans un courrier datant de 194769 qu’on apprend que « les
promesses faites par l’Etat en 1940-41 [au sujet des incitations
économiques liées au ricin] 70 n’avaient pas été tenues et les indigènes se
sont de ce fait désintéressés de cette culture ». Et c’est la coopérative des
primeuristes d’Inzegane qui, jusqu’à sa dissolution, a acheté les graines
de ricin qui ont été plantées. On retrouve le peu d’intérêt des agriculteurs
pour la culture du ricin un peu partout dans le Sous car les essais de
plantations de ricin tentés depuis dix ans n’ont réussi que médiocrement.
Les agriculteurs préfèrent donc se tourner vers les céréales.
Pour conclure, nous pouvons souligner que la sécurisation des routes
pour la diffusion des produits européens et l’orientation d’une partie de la
production locale pour répondre aux besoins extérieurs ne sont que des
exemples pour illustrer les dynamiques enclenchées par la colonisation et
le processus de « modernisation » qui l’accompagne. Si l’on ajoute à cela
l’accaparement des terres ainsi que la surexploitation des eaux grâce aux
techniques de pompages nous pouvons entrevoir la grande transformation
que connaît le Sous tout au long du XXème siècle. Ceci va induir un
mouvement de migration vers les villes du Nord comme Casablanca ou
l’agrandissement de centres urbains tels qu’Agadir ou Ouled Teima.
Beaucoup d’institutions communautaires autrefois dynamiques comme
Tawizi vont s’affaiblir alors que d’autres vont essayer de s’adapter
69 Courrier envoyé le 7 novembre 1947 à Inzegane par le lieutenant-colonel Le Page
chef du cercle d’Inezgane au général chef du commandement Agadir-Confins à
Agadir (S.H.D, série 3H).
70 Cette fausse promesse est probablement liée à la défaite des Français en 1940 ce
qui signifie que les commandes ont probablement été annulées.
164
comme Ljmaât qui, dans certaines situations, prend la forme associative
pour tenter, tant bien que mal, d’accomplir ses missions.
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