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Les micro-récits de Delerm pour un nourrissage culturel effectif en classe de FLE

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Abstract

The article proposes to study the impact of Delerm’s micro-stories in the FL classroom from a cultural perspective. These literary materials create opportunities for spontaneous dialogue and sharing that enrich the individual and common cultural reservoir and lexical repertoire of the learners. This study shows that micro-stories are significantly easier to introduce into the academic curriculum than whole books, without too much effort on the part of the teacher and the learner, but with a very satisfactory result for both sides. A focused definition of the term culture is presented at the beginning to set the framework for the study. This is followed by Delerm’s literalism, i.e., we tried to hone the learners’ skills in reading and understanding a simple text so they would be able to (re)use the acquired information in academic, professional, or personal life. Then, the exploitation of micro-stories in the FL classroom is presented with multiple explanations and, finally, our concluding remarks close this contribution.
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neofilolog
Czasopismo Polskiego Towarzystwa Neofilologicznego
ISSN 1429-2173, eISSN 2545-3971, 2022, NR 59/1, 83-94
http://dx.doi.org/10.14746/n.2022.59.1.7
http://poltowneo.org/
Christine Martinez
Université de Varsovie (Pologne)
https://orcid.org/0000-0001-5847-3933
christine.martinez@uw.edu.pl
Les micro-récits de Delerm pour un nourrissage
culturel effectif en classe de FLE
Delerm’s micro-stories for effective cultural nourishment
in FFL classroom
The article proposes to study the impact of Delerm’s micro-stories in
the FL classroom from a cultural perspective. These literary materials
create opportunities for spontaneous dialogue and sharing that enrich
the individual and common cultural reservoir and lexical repertoire of
the learners. This study shows that micro-stories are significantly easier
to introduce into the academic curriculum than whole books, without
too much effort on the part of the teacher and the learner, but with
a very satisfactory result for both sides. A focused definition of the term
culture is presented at the beginning to set the framework for the study.
This is followed by Delerm’s literalism, i.e., we tried to hone the learn-
ers’ skills in reading and understanding a simple text so they would be
able to (re)use the acquired information in academic, professional, or
personal life. Then, the exploitation of micro-stories in the FL classroom
is presented with multiple explanations and, finally, our concluding re-
marks close this contribution.
Keywords: cultural, Delerm, French as a foreign language, learners’
skills, micro-stories
owa kluczowe: kultura, Delerm, francuski jako język obcy, kompeten-
cje, mikronarracja
Christine Martinez
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1. Introduction
À l’heure où des compétences culturelles (en tant que maîtrise des fondamen-
taux et acquisition des connaissances) sont exigées des apprenants, il est utile
de questionner la pertinence de l’introduction de récits que nous qualifierons
de typiquement français, dans notre cas celles de Philippe Delerm, afin d’en-
tériner le bien-fondé de notre choix. Sachant que « l’exploitation des textes
satisfait toutes les exigences que formule la didactique des langues étrangères »
(Kalinowska, 2017 : 7), et que « la place du texte litraire en classe de langue
n’est plus périphérique » (Albert, Souchon, 2000 : 51), Delerm avec ses nou-
velles semble être le candidat idéal pour être lu, expliqué et compris en cours
de français langue étrangère (désormais FLE).
Lécrivain est connu pour ces courts récits micro-récits, qui sont l’es-
sence même de la culture française du fait des moments qui y sont décrits ;
grâce à l’auteur, le lecteur perçoit « un bout » de France authentique. En
d’autres termes, ce type de micro-récit ouvre une fenêtre au cœur de la so-
ciété française avec ces us et coutumes ainsi que les pratiques culturelles pour
les lui offrir. La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (1997)
s’avère être le livre le plus connu de Delerm avec plus d’un million d’exem-
plaires vendus, récompensé par le prix Grandgousier1 et traduit dans plus de
26 langues, et aussi un choix adéquat pour cette expérience.
Pour tenter déclaircir notre choix, la notion de culture telle qu’elle est com-
prise au XXIe siècle sera définie, ainsi que les compétences exigées dans l’exploita-
tion des textes en cours de FLE. Nous verrons les difrentes étapes de cette ex-
rience qui s’est terminée avec un enthousiasme non-caché de la part des ap-
prenants. En premier lieu, les textes et la méthodologie d’approche littéraire se-
ront présentés, puis, ce que nous appelons la « digestion », c’est-à-dire la préhen-
si on d es m icr o-réci ts e t, pour fini r, aps la com préhe nsi on pa r les app ren ants de s
éléments seront détaillées afin de montrer que le texte de Delerm est une source
riche fournissant des items typiquement français indispensables à l’adaptation
évolutive du monde qu’il soit éducatif, professionnel ou bien personnel.
2. La culture du XXIe siècle
Culture, du mot latin cultura – habiter, cultiver ou honorer, provient aussi de
colerecultiver et brer ; le terme culture se rére donc (entre autres)
1Le prix Grandgousier récompense un essai ou un texte louant les charmes de l’hé-
donisme à la française. Grandgousier (grand gosier) était un personnage rabelaisien
tiré de Gargantua (Rabelais publié en 1536).
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aux acquis, aux us et coutumes, traditions et pratiques. Ici, pour être bref,
deux acceptions importantes se dégagent :
la culture individuelle qui se définit comme la construction évolutive
des acquis2 personnels – ce qui correspond à la culture générale ;
la culture du peuple ou plutôt l’identité culturelle d’un peuple, c’est-
à-dire les repères historiques, artistiques, de traditions, etc. qui per-
mettent d’identifier un groupe, une collectivité et/ou un peuple
y compris son évolution. En opposition à la culture individuelle, la cul-
ture du peuple est plus lente pour ne pas dire stagnante. Elle corres-
pond à la culture collective. D’un point de vue sociologique, la culture
est une valeur qui soude un groupe d’individus.
La culture collective nommée aussi « réservoir commun » par B. Peerun Stei-
ger (2015 : 189) est définie par l’UNESCO de la sorte :
Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme
l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs,
qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts,
les lettres et les sciences, les m odes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les
traditions et les croyances3.
En d’autres termes, tous les éléments susmentionnés sont acquis, appris, pro-
duits, inventés et transmis ; cependant, il faut être conscient aussi que ce ré-
servoir commun ou individuel évolue avec le temps, avec les échanges et éta-
blit, voire régit nos manières d’agir, de penser, d’être et communiquer. D’ail-
leurs, le sociologue G. Rocher (1969 : 88) précise que la culture est
un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins for-
malisées qui, étant apprises et partagées par la pluralité de personnes servent,
d’une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en
une collectivité particulière et distincte.
Cette approche sociologique nous pousse à réflexion : les micro-récits qui
sont, selon nous, des « bouts » de culture française, sont-ils adéquats pour un
cours de FLE ? Ne serait-ce pas imposer et formater de jeunes personnes à
2 Dans acquis, nous comprenons ici le savoir, les us et coutumes, traditions et pra-
tiques que chacun acquiert tout au long de sa vie, qu’elle soit éducative, personnelle,
professionnelle ou sociale.
3 Tiré de Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, Conférence mondiale sur les
politiques culturelles Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982, en ligne, p. 1 [consulté 8.05.2022].
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leur insu ? Étant donné que le « lexique culturelle » (Galisson, 1999 : 5–6) et,
plus précisément, « la valeur d’usage d’un mot, la culture dans et par le
lexique dont les dictionnaires ne rendent habituellement pas compte » (ibid.)
se trouve dans ces micro-récits, alors nous affirmons qu’introduire des no-
tions culturelles françaises ne peut qu’enrichir le savoir, savoir-agir, savoir-
communiquer et le savoir se comporter presque comme un natif (Martinez,
2021 : 202). C’est ce que J.-P. Cuq et I. Gruca (2003 : 61) appellent la fonction
identitaire de la langue. Cette dernière est un habitus selon la théorie de P.
Bourdieu (1984) qui définit l’individu comme un produit socio-historique vi-
vant parmi ses pairs qui a suivi une certaine éducation et est habitué à des
pratiques sociales ; d’ailleurs, cet individu accepte ces pratiques sociales car
ce sont ses propres visions de la normalité. Or, l’individu apprend, acquiert,
voyage, partage et vise à dépasser l’ethnocentrisme ; par conséquent, de nou-
veau, nous confirmons qu’acquérir des compétences culturelles grâce aux mi-
cro-récits de Delerm est une approche des plus pertinentes.
3. Le littérisme par Delerm
Le bien-fondé didactique des textes littéraires n’est plus à démontrer. Autre-
fois bannis des classes de FLE, les textes littéraires, depuis les années 1980,
réintègrent le milieu éducatif des langues étrangères grâce à lapproche com-
municative ; cependant, les méthodologies4 ne suivent pas ce regain d’intérêt
(Cuq, Gruca, 2003 : 373).
Ainsi, pour que le texte littéraire choisi soit introduit en cours de FLE et
pour avoir une méthodologie constante, nous avons suivi les « instructions »
de J.-P. Cuq et d’I. Gruca (2003 : 381–387) et ceux de E. Kalinowska (2017 : 7–
24) dont certains points convergent. Les chercheurs proposent de faire une
prélecture, ensuite d’appliquer une approche globale avec une première lec-
ture qui sera suivie d’une deuxième lecture, qu’ils nomment « étude des in-
variants textuels génériques et typologiques » (Cuq, Gruca, 2003 : 382–383).
Vient enfin une lecture approfondie, en d’autres termes, une « étude du trai-
tement particulier des invariants et des spécificités de l’écriture ou les éton-
nements du texte » (ibid. 383–384). Dans le cas de la prélecture, les auteurs
proposent de chercher « l’appareil paratextuel et/ou le cadre contextuel »
(ibid. 381) ; de facto, il faut recueillir les informations nécessaires : le titre du
texte (s’il n’est pas indiqué) afin de l’analyser ; la typographie pour dégager la
structure du texte ; le genre littéraire et, si possible, vérifier la couverture, la
4 Les méthodologies de la littérature et des documents authentiques ne seront pas
répertoriées. Pour plus d’informations voir : Cuq et Gruca (2003 : 273).
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quatrième de couverture, la préface et les critiques. Ces indices permettront de
mieux situer l’ouvrage et par conséquent, le texte. Au cas où il serait impossible
d’obtenir ces éléments, il est conseillé de jouer à partir d’un des mots du titre,
des intertitres pour que l’apprenant puisse bénéficier de cette étape qui devrait
lui faciliter l’entrée dans la lecture (ibid.). Cette lecture peut être globale, silen-
cieuse ou non ; nous préférons la lecture à voix haute car elle s’avère être égale-
ment un excellent exercice de phonétique et de prosodie. La lecture soulève des
questions telles que : qui fait quoi ? à qui ? où ? quand ? comment ? et pourquoi
?, facilitant et affinant la compréhension dudit texte. Une deuxme étape de
lecture est proposée par J.-P. Cuq et d’I. Gruca, « l’étude des invariants textuels
génériques et typologiques » (2003 : 382–383) ; celle-ci consiste à repérer les
éléments stables/invariants du texte afin que l’apprenant puisse les comprendre
d’après ses acquis grammaticaux et lexicaux déjà ancrés. D’après les auteurs,
c’est lors de cette démarche5 que se manifesteraient les divergences et conver-
gences culturelles qui permettraient de construire une « passerelle culturelle
entre les diverses cultures » (ibid. 382–383). Enfin, la dernière démarche, dite de
lecture approfondie, avantage le traitement des éléments stables et les spécifi-
ci tés de l’écri tu re e t fa it ap pel à u ne analy se sém iotiqu e e t sé mantiqu e des item s
caractéristiques ou, au contraire, semblant insignifiants pour ledit texte. Lors de
l’analyse des textes de Delerm (et e n général), nous entrainons expressément les
apprenants à jouer et à jongler avec les mots et termes rechercs afin de les
familiariser à la sémiotique. Pour clore sur les démarches du littérisme de J. -P.
Cuq et I. Gruca, les auteurs précisent qu’introduire un texte littéraire met en re-
lief les difficultés d’ordre socio-culturel ou tout simplement culturel (ibid. 386)
parfois difficilement compréhensibles par les apprenants.
Quant à E. Kalinowska, elle loue la pertinence des textes littéraires en avan-
çant leur authenticité, leur subjectivité, leur « possibilité inépuisable pour faire
des comparaisons enrichissantes (des différences et similitudes prises en compte)
avec la littérature natale des apprenants » (2017 : 7), c’est ce que Cuq et Gruca
nomment « passerelle culturelle ». L’aspect contextuel lexical est aussi souligné
par la chercheuse ; ce point-ci nous tient particulièrement à cœur puisque nous
faisons lors de l’étude de textes en classe de FLE, entre autres, une analyse sé-
mantique et contextuelle du lexique rencontré. Comme E. Kalinowska (ibid.) l’ex-
plique : du lexique peut émaner une diversité de situations qui permettent à l’ap-
prenant de se familiariser avec l’usage de la langue étrangère. Enfin, outre les as-
pects lexicaux, les compétences linguistiques, réceptives, productives, sans oublier
le plais ir d e la lectu re, s ont à prendre e n consid érat ion lo rs de l’exp loita tion du t exte
littéraire en cours de FLE. M. -C. Albert et M. Souchon (2000 : 82) affirment que
5 Cuq et Gruca préfèrent le terme démarche à celui de méthode (2003 : 385).
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les textes littéraires aident au développement et perfectionnement des
quatre compétences6 : « Dans les activités de classe, l’attention sera focalisée
sur les opérations langagières de construction du monde du texte. C’est de
cette façon que l’apprenant développera des compétences en compréhension
et en production de textes en langue étrangère ». Les compétences réceptives
que nous renommerons compétences perceptives7ont pour but de dévelop-
per la perception du texte lui-même chez l’apprenant ; lors de la première
lecture globale ou de l’écoute8, sans explication de la part de l’enseignant ou
sans recherche lexicologique, l’apprenant est censé pouvoir formuler des hy-
pothèses quant au sens du texte. La compétence productive (Kalinowska,
2017 : 9) va motiver l’apprenant à produire des énons, soit écrits soit oraux.
En effet, le texte sert ici de point de part et épaulera l’apprenant dans ses
énoncés pour des productions écrites plus ou moins longues et/ou des pro-
ductions orales. Le dernier aspect effleuré en cours est le plaisir9 du texte, de
la lecture et de l’écoute.
Par conséquent et aux vues des aspects susmentionnés, notre métho-
dologie se basera sur les marches de J. -P. Cuq et d’ I. Gruca et de E. Kali-
nowska et sont mises en application dans la partie suivante.
4. L’exploitation des micro-récits de Delerm en classe de FLE
Les apprenants visés sont des étudiants de la 3e année du 1er cycle (licence). Le pro-
gramme du semestre est établi par l’enseignant, aucun programme strict n’est im-
posé par l’Institut si ce n’est le niveau à atteindre en fin d’année, c’est-à-dire C1 (selon
le CECRL). L’objectif général du programme est de développer les quatre compé-
tences (les 4C). Chaque séance dure 90 minutes. Trois groupes ont participé à cette
étude : un groupe dont le français est la première langue étrangère (leur seconde
langue est : l’anglais, le japonais ou le suédois) et deux groupes dont c’est la seconde
langue étrangère (la plupart ont l’anglais en langue 1, trois étudiants lespagnol).
6 Désormais, les 4C.
7Compétences perceptives car ces compétences découlent de la perception person-
nelle et/ou individuelle que l’apprenant a des situations, des textes, des activités et
des sujets abordés en classe de FLE.
8 Le micro-récit intitulé On pourrait presque manger dehors est disponible sur : https://
www.youtube.com/watch?v=AL4wSd7kOQ4 [DW 26.03.2022].
9 Le plaisir est pour nous un aspect très individuel. E. Kalinowska lui accorde une
grande importance (ibid.). Par ailleurs, nous verrons plus loin que celui-ci est pour les
apprenants signifiant.
Les micro-récits de Delerm pour un nourrissage culturel effectif en classe de FLE
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Trois micro-récits sont étudiés10 : Le croissant du trottoir (Delerm, 1997 : 20–2 1),
On pourrait presque manger dehors (ibid. 27–28) et Un banana split (ibid. 42–43).
Pour le premier micro-récit, Le croissant du trottoir, une prélecture
a été imposée, il s’agissait de bien asseoir le texte dans son cadre textuel.
L’analyse par la perception démarre ensuite avec une lecture globale silen-
cieuse suivie d’une lecture à voix haute. La seconde lecture nous a permis de
corriger la prosodie et la phonétique des apprenants. L’intérêt de laisser par-
ler les apprenants entre eux juste après les lectures permet de constater les
différentes perceptions qu’ils ont d’un même texte. Ce constat peut paraître
banal, néanmoins, il s’agit d’un texte en langue étrangère et observer les
échanges et les approches individuelles (réalisés en français) que les étudiants
s’appliquent à formuler (en français) est encourageant pour l’enseignant que
nous sommes. Face au texte littéraire, les étudiants n’ont pas hésité à donner
leur propre opinion, contrairement à ce qui se passe dans d’autres débats plus
polémiques et souvent plus personnels.
Pour l’analyse sémiotique et le repérage des éléments stables/invariants11,
nous laissons les apprenants s’approprier le texte. Le rôle de l’enseignant est
alors de modérer les échanges réalisés et d’ajuster les définitions proposées
dans le contexte du micro-récit. Notre rôle est aussi d’apporter, grâce aux dic-
tionnaires en ligne, d’autres contextes dans lesquels les mots ou les expres-
sions peuvent être réutilisés. Par exemple, dans Le croissant du trottoir, les
apprenants avaient repéré le participe passé du verbe faufiler faufilé dans
la phrase « … […] on s’est habillé, faufilé de pièce en pièce. » (Delerm, 1997 :
20) ; pour mieux le contextualiser, l’expliquer, nous avons exploité l’illustration
kinésique proposé par le TLFi, se frayer un passage. Dévoiler sur l’écran l’illus-
tration s’est avéré pertinent et judicieux. À notre grand étonnement, le terme
maraude était connu de pres que tous grâce à l a Carte des Maraudeurs du liv re
sur Harry Potter, dixit les étudiants. Les précisions historiques et contextuelles
du dictionnaire12 (TLFi en ligne) ont néanmoins permis d’identifier le terme
comme étant négativement connoté et non uniquement en lien avec Harry
Potter. Dans On pourrait presque manger dehors, la démarche sémiotique
a permis d’illustrer giboulées dans l’expression « … […] la semaine n’a été que
10 Un ordinateur, un projecteur, un écran et un accès internet ; nous ne prenons pas en
compte le fait qu'actuellement, chaque étudiant est muni d’un smartphone lui permettant
d’effectuer des recherches librement (presque) sans cesse. Outils qui facilitent la
tâche de recherche d’informations.
11 Él ém en ts qu i son t sta bl es J.-L . Cuq et I. G ru ca (2 00 3 : 38 2- 38 3) l es no mm en t au ss i invariants.
12 maraude sign ifi ait à l’ini tial e un « vol de d enré es comm is par des soldat s en cam pagne
» et par extension de « petit[s] larcin[s] commis par n’importe qui » (TLFi en ligne)
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pluie, vent et giboulées. » (Delerm, 1997 : 27). Lors du remue-méninge, au-
cune définition n’émanait des apprenants malgré quelques tentatives du type
: de la boue, les arbres qui se tordent : gibać się13. Finalement, après une courte
explication et l’ajout de l’expression « les giboulées de mars » , les apprenants ont
finalement pu reconstituer le sens du mot « giboulées », l’expression kwiecień
plecień, bo przeplata troche zimy, troche lata fuse. Pour le dernier micro-ré cit : Un
banana split (Delerm, 1997 : 42–43), le titre fut une aventure « digne de Kerouac
», pour reprendre les termes de Delerm. Banana split existe en polonais14. Or, les
étudiants n’ont pas rencontré cette expression ; les évocations et les étymologies
construites en décortiquant et traduisant l’expression les a distraits. Banana est
clair, split signifie fendu, divisé ; alors, comment avec ces deux termes construire
une expression sensée ? simplement avec de l’imagination, voici les propositions
des apprenants : comment diviser une banane, comment apprendre à couper
une banane en deux dans la longueur, comment couper une ba nane en deux sans
la couper entièrement, comment couper avec une banane, etc. Puis, sous un élan
courageux (dixit l’étudiant) : c’est peut-être une recette avec une banane ? Obser-
ver les apprenants inventer et formuler des significations plus ou moins saugre-
nues ont éveillé des compétences phrastiques mais surtout le plaisir - le plaisir du
texte, de la découverte et de la langue. Dans le même type d’expression arrive
plus loin dans le texte, une île flottante (ibid.) ; cette expression au premier abord
simple – une île et flotter sont explicites, s’est avéré nébuleuse : une île isolée qui
flotte sur les océans, une île qui flotte comme une bouée pour arriver jusqu’à un
rivage, un glaçon que lon peut appeler île qui flotte dans un verre alors cest le
nom d’un cocktail, etc. Le complément de la phrase « On a pousjusqu’à l’île
flottante le léger vaporeux, l’insaisissable… » (ibid.) n’apporte pas d’indice supplé-
mentaire, au contraire, on a l’impression qu’il hermétise le contexte. Après avoir
saisi l’expression dans un moteur de recherche, le fameux dessert apparaît sur
l’écran et les rires fusent. Pour compléter la visualisation, la lecture de la recette
se fit rapidement. La comparaison de l’île flottante avec le kogel-mogel fut immé-
diate ; cependant, le gogli (gogli-mogli) ou sabayon15 (sabaillon) existe aussi en
français, mais il est préparé avec de l’alcool tandis qu’en Pologne, il est générale-
ment préparé pour les enfants dixit les étudiants.
13 Cette analogie proposée par une étudiante eut un incroyable succès. Il est vrai que
la racine de giboulées et gib peuvent se ressembler, même si ladite étudiante a dé-
claré savoir que la prononciation française et polonaise divergent.
14 Banana split Polska, Sp. Z o.o est le nom d’une société en Pologne ; de plus, le moteur de
recherche a aussi proposé la définition sur Wikipedia.pl. Cette page est traduite de l’anglais.
15 Zabaione est une spécialité culinaire italienne ; des glaces sabayons sont commer-
cialisées en France et en Pologne.
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Avec cette comparaison, la « passerelle culturelle » de J.-P. Cuq et d’I.
Gruca (2003 : 382–383) est exposée avec clarté : l’île flottante n’est ni un kogel-
mogel, n i un sab ayon. L’ île flot tante, le b ana na spli t, l es g ibou lée s, e ntre aut res, s ont
donc des éléments stables ou invariants (ibid.) qui permettent de dévoiler les di-
vergences culturelles. Si l’authenticité et la subjectivité des textes littéraires sont
de s « v ale urs con sid érabl es » p our E . Kali no wska (201 7 : 7 ), u ne bonne percep tio n
de l’authenticité s’acquiert en travaillant avec de telles expressions. Rien de plus
français qu’une île flottante16. Quant à l’expression les giboulées de mars, elle de-
vrait faire partie du bagage lexical de chaque apprenant de niveau avancé.
Le nourrissage culturel a été réalisé tout au long des 3 séances. L’ap-
proche des micro-récits s’est révélée être une interprétation qui prend appui
sur la propre culture de l’apprenant, c’est-à-dire la culture individuelle. La lec-
ture des micro-récits de Delerm a éveillé une expérience interculturelle (Sper-
kova, 2009 : 6) : l’incompréhension17 a cédé la place à la découverte, au par-
tage d’idées et de compétences – les apprenants se sont épaulés lorsqu’il fal-
lait (re)trouver une définition ou une explication et la construction des con-
naissances en et dans la langue étrangère s’est réalisée collaborativement. La
culture collective, c’est-à-dire le réservoir commun diffuse une spontanéité
mêlée à une bonne humeur et cordialité entre les apprenants. Par exemple
lors du remue-méninge sur le banana split et l’île flottante, un étudiant est
venu dessiner au tableau le glaçon/île flottant dans le verre (en y ajoutant un
mini parasol comme pour les cocktails). Cette mise en commun a permis de
distinguer deux des Quatre piliers de l’éducation du XXIe siècle (Delors, 1999 :
90–94) : apprendre à vivre ensemble et apprendre à être – piliers que nous vi-
sons au niveau C1 puisqu’un comportement « presque natif » est attendu. Le
défi peut sembler inaccessible ; or, dès le début de leur apprentissage les ap-
prenants sont baignés dans les stéréotypes et clichés du français typique : la
baguette, le croissant, les repas, être un bon vivant et les plaisirs de la table,
alors pourquoi ne pas les amplifier et les ancrer dans leur moire lexicale et
comportementale. Ici, avec Le croissant du trottoir, une aventure à la Kerouac
(Delerm, 1997 : 20) est racontée et attise la curiosité du lecteur. Mais ce croissant
est-il dégusté18 tous les jours ? Est-ce que le trajet maison-boulangerie se passe
16 Ce type de dessert est servi dans presque toutes les cafétérias, buffets ou restau-
rants ; sans compter la possibilité de l’acheter dans tous les supermarchés, au rayon
yaourts et desserts.
17 Ce sont les qualificatifs que les apprenants ont évoqués lorsque nous avons discuté
des textes littéraires en classe.
18 Le verbe déguster est employé sciemment et nous l’avons souligné pendant la
séance afin de mettre en relief les valeurs françaises du bien vivre et des repas.
Christine Martinez
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vraiment de la sorte ? Les souvenirs inspirés par le micro-récit s’avèrent être
également une partie notable du texte et de l’interprétation - ils laissent libre
cours à l’imagination : ai-je des souvenirs semblables ? Ai-je ressenti la même
sensation lors d’une première dégustation de… ? Pour Un banana split, les
mêmes questions retentissent dans la tête du lecteur. Par analogie, pourquoi
ne renverraient-elles pas au contexte polonais ? En demandant aux apprenants
d’écrire la suite du Croissant du trottoir, l’interculturalité est relevée, il ne s’agit
pas seulement d’écrire un récit cohérent mais, avant tout, de confronter les
deux cultures (ou trois avec celle de leur seconde langue étrangère) dans le but
d’accentuer et de valoriser les divergences et convergences culturelles.
5. Quelques remarques en guise de conclusion
Lexpérience réalisée a montré l’intérêt des micro-récits de Delerm en cours de
FLE. La première raison qui nous a motivée à introduire ce genre littéraire est la
brièveté des textes et la marque d’authenticité qu’ils impriment. L’exploitation de
l’appareil paratextuel et du cadre contextuel, au sens de J.-P. Cuq et I. Gruca (2003 :
381), nous a permis de provoquer des moments très créatifs, parfois drôles mais
surtout toujours interacti fs. Ces interactions mettent en évidence le rôle social de
la littérature qui répond aux quatre piliers de J. Delors (1999 : 90–94) :
1) apprendre à connaître – acquérir les instruments de la compréhension,
2) apprendre à faire – pour pouvoir agir sur son environnement,
3) apprendre à vivre ensemble – afin de participer et de coopérer avec
les autres à toutes les activités humaines, et
4) apprendre à être – cheminement essentiel qui participe des trois précédents.
Ces quatre piliers correspondent aux compétences à développer chez l’appre-
nant qui doit non seulement savoir, savoir-agir, savoir-communiquer mais
aussi savoir se comporter presque comme un natif (Martinez, 2021 : 202) ;
compétences qui aident, en somme, à se construire une identité. Les atouts
des textes littéraires sont également démontrés par M. -C. Albert et M. Sou-
chon (2000 : 128) lorsqu’ils indiquent que :
De nombreux travaux montrent qu’en français langue étrangère, comme d’ail-
leurs en français langue maternelle, l’acquisition d’une compétence narrative
ne se fait pas facilement. Il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire d’ac-
quérir cette compétence rapidement car dans les interactions orales raconter
est une activité langagière omniprésente (2000 : 134).
Les micro-récits de Delerm pour un nourrissage culturel effectif en classe de FLE
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Dans cette approche entre en jeu le processus de codification culturelle19,
les apprenants ont découvert, accueilli et compris20 « un bout » d e Fran ce gce
à la lecture des micro-textes de Delerm.
In fine, les micro-récits de Delerm se sont avérés un choix effectif et af-
fectif : les compétences linguistiques, la compétence de perception, la compé-
tence de production – orale et écrite et le plaisir, tous ces aspects ont été pris
en considération et concrétisés dans l’exploitation des textes en classe de FLE.
Le développement lexical et son enrichissement a été assuré par l’analyse sé-
miotique et sémantique des mots et expressions. Nos apprenants, qui sont de futurs
traducteurs ou interprètes, ont besoin de parer leur bagage lexical d’un réservoir
commun de mots et d’expressions dits « ordinaires ». La littérature de Delerm offre
cette expérience linguistique et culturelle de l’ordinaire et comme l’affirme L. Gilles
(1970 : 14) 21 dans l’introduction de l’ouvrage de J.L. Austin Quand dire, c’est faire, « c’est
le langage ordinaire qui permettrait d’enrichir son expérience du réel ».
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elangesCrapel/file-25-6-1.pdf [consulté 8 mai 2022].
19 Expression créée par nos soins pour le présent texte.
20 Ici, nous nous réservons de mettre le verbe digérer même si nous pensons que l’ac-
quisition d’une langue ne peut être réalisée seulement si les 4C ont été ingérées (ac-
ceptées), comprises et digérées (acquises/saisies) par l’apprenant.
21 L’introduction de Quand dire, c’est faire de J. L. Austin a été rédigé par L. Gilles ; la
version française de 1970 est prise en compte pour ce texte.
Christine Martinez
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Received: 07.04.2022
Revised: 31.05.2022
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Chapter
The book is part of celebrations of the 100th anniversary of the Institute of Romance Studies and its scientific and didactic activity in the field of French and Romance studies. The articles concern French literature, as well as the literature of Belgium, Switzerland and Quebec and cover the period from the 17th to the 21st century. The authors analyse major novels, short stories, essays, dramas as well as selected epistolography and reportage, they indicate the places where literature meets painting and photography meets cinema. The volume offers a wide selection of critical discourses such as: history, history of ideas, narratology, genology, intermediality, post-colonial studies, geocriticism, ecocriticism, which dominate francophone literary research.
Les textes littéraires en classe de langue
  • Albert M.-C Souchon
Albert M.-C., Souchon M. (2000), Les textes littéraires en classe de langue. Paris : Hachette.
Apprendre la langue par la littérature ? « Études de linguistique appliquée », n°45
  • D Coste
Coste D. (1982), Apprendre la langue par la littérature ? « Études de linguistique appliquée », n°45, 59-73.
Cours de didactique du français langue étrangère et seconde
  • J.-P Cuq
  • I Gruca
Cuq J.-P., Gruca I. (2003), Cours de didactique du français langue étrangère et seconde, Grenoble : PUG.
La pragmatique lexiculturelle pour accéder autrement, à une autre culture, par un autre lexique
  • R Galisson
Galisson R. (1999), La pragmatique lexiculturelle pour accéder autrement, à une autre culture, par un autre lexique. « Mélanges Crapel » n° 25, 47-73. En ligne : https://www.atilf.fr/wp-content/uploads/publications/M elangesCrapel/file-25-6-1.pdf [consulté 8 mai 2022].
Lire en classe de français. Nouvelles d'expression française dans l'enseignement et l'apprentissage du FLE
  • E Kalinowska
Kalinowska E. (2017), Lire en classe de français. Nouvelles d'expression française dans l'enseignement et l'apprentissage du FLE. Frankfurt am Main : Peter Lang Edition.