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Politique, une économie du bullshit
Introduction
Les populations occidentales se déconnectent de plus en plus de la réalité. On l’a vu avec
Trump, on le voit maintenant avec le covid : les politiciens peuvent dire absolument n’importe quoi
et s’en sortir très bien. De nombreux électeurs aiment cela et en redemandent. On pense souvent que
cette tendance est limitée à quelques sujets ou à quelques courants, mais elle est en réalité
hégémonique. Dès qu’on creuse un sujet du débat public, on découvre qu’une large part des
politiciens dit absolument n’importe quoi dessus et est acclamée pour cela.
Cela questionne : quelle est la place de la vérité dans le débat politique ?
Post-vérité
Beaucoup d’auteurs parlent d’ère « post-vérité ». Apparu en 2004, dans « The Post-Truth
Era: Dishonesty and Deception in Contemporary life » de Ralph Keyes (2004) le terme s’est
généralisé en 2016 avec l’élection de Trump, le référendum du Brexit et la diffusion des fake news
(Troude-Chastenet 2018). Il ne s’agit plus, comme il est très ordinaire, de simplement tourner les
faits à son avantage, mais de mentir sans vergogne. Quelle est la place restait à la vérité dans nos
sociétés ?
C’est d’autant plus déconcertant que ce mépris absolu de la vérité est observé tant chez des
producteurs de discours aux intérêts bien compris que chez les récepteurs de ces discours. Les
nombreux médecins alertant sur les réseaux sociaux sur la dangerosité du Covid-19 et de l’intérêt
des vaccins en ont fait les frais : insultes, menaces de mort … Ceux qui se font abuser se battent
littéralement contre ceux qui tentent de les éclairer.
« Dans la post-vérité, par définition, tout ce qui est perçu comme réel peut
immédiatement être réduit à un point de vue personnel, à une perception subjective, à
une fake news, à un reflet de ses préjugés et privilèges de classe, à une question de
choix, de culture ou de préférence, à l’application d’un double-standard ou d’un
jugement à géométrie variable, en somme à la simple projection d’une création de
l’imagination. Inversement, tout ce qui est faux peut être considéré comme vrai, y
compris ce qui n’existe pas et ce qui ne s’est jamais produit. » (Dieguez 2018, p.180)
« La post-vérité détache les faits de leur réalité objective pour les transformer en
opinions contingentes que n’importe qui peut soutenir comme étant "vraies". » (Revault
d’Allones, 2018)
Toutefois, je ne vois pas comment rendre ces visions opérationnelles. Vit-on oui ou non dans cet
état idéalisé ? J’ai trouvé de nombreuses descriptions, mais peu d’explications1. Qu’est-ce qui
permet vraiment de comprendre pourquoi les gens accepteraient de participer à ce système ? À
l’inverse, pourquoi d’autres s’y refusent ?
1 On évoque souvent les nouvelles technologies comme facteur, mais cela ne permet pas de comprendre le
phénomène : beaucoup de leurs utilisateurs ne succombent pas aux sirènes de la désinformation et on peut même
être réceptif à une désinformation et pas une autre.
Bullshit
Des chercheurs ont également développé le thème du « bullshit ». D’abord évoqué par Black
en 19822, c’est surtout « On Bullshit » de Frankfurt, publié sous forme d’article en 1986, puis en
2005 comme livre, qui a fait entrer le sujet dans la recherche. La complexe discussion sur sa
définition a été détaillée par S. Dieguez dans Total Bullshit (2018), qui retient au final celle-ci :
« un simulacre d’assertion à fonction performative. » (p.167) C’est un discours dont le principe
n’est pas ce qu’il prétend être. L’échange d’information ne devient plus qu’une coquille, qu’une
forme prise par un discours dont le but n’est pas d’échanger, mais de produire un effet externe à
cette logique de compréhension mutuelle.
« Le bullshit est un type de discours caractérisé par une indifférence vis-à-vis du
progrès du projet de questionnement en tant que tel. » (Stokke et Fallis, 20173)
C’est la vision que j’aurais tendance à retenir, notamment parce qu’elle englobe ce qu’on pourrait
appeler le « méta-bullshit » : les discours qui restent du bullshit, même repris par des personnes de
bonne foi. L’astrologie reste du bullshit, que la personne qui en parle soit sincère ou non.
Toutefois, cela ne nous dit pas pourquoi ce bullshit semble envahir la politique.
Rétributions du militantisme
La première chose pour le comprendre est de saisir quelles sont les rétributions du
militantisme. Qu’est-ce qui peut ainsi détourner les militants des causes qu’ils pensent défendre ?
Daniel Gaxie avait ouvert cette boite de Pandore en 1977. Alors que les analyses antérieures
(d’Ostrogorski 1903, Weber 1919) n’envisageaient que la dimension entrepreneuriale de la
politique, lui va approfondir l’idée des rétributions psycho-sociales du militantisme. Cette idée va
être approfondie par beaucoup de sociologues (Lafont 2001, Péchu 2001, Agrikoliansky 2001,
Bizeul 2003, Bargel et Petitfils 2009, Jouanneau 2011, Leclercq 2011 …), qui vont observer de
telles motivations chez les militants qu’ils observent. J’ai également développé la réflexion sur
l’économie du militantisme (Baumann 2022) en prenant l’exemple du complotisme et de
l’agribashing (Baumann 2021).
Toutefois, cela ne permet pas de comprendre la place du bullshit en politique ni comment il
fonctionne précisément et pourquoi un narratif va-t-il l’emporter sur les autres. Par exemple,
pourquoi les antivaccins croient et promeuvent les discours antivaccins au péril de leur santé et
même de leur vie ? « Il y a des rétributions » n’est pas suffisant, il faut comprendre lesquelles et
comment elles s’expriment.
2 Il parlait alors de « humbug », ce qui est très proche de « bullshit ».
3 Traduit de l’anglais : « Rather than being marked by indifference toward the truth of what one says, bullshitting is a
mode of speech that is marked by indifference toward the project of furthering inquiry by making progress on more
specific subinquiries. »
Économie du bullshit ?
Une perspective pourrait résoudre cette impasse : et si la politique était une économie du
bullshit ? C’est la question que nous allons creuser ici. L’idée est de voir la politique comme un
marché consumériste comme un autre. Une fois que les contours de ce marché idéal dessiné, il
suffira d’étudier en quoi la réalité diverge de ce modèle pour trouver les autres forces en jeu.
Il faut commencer par préciser quels sont les « produits » (vote, discussion, manifestation,
etc.) de cette économie et les valeurs ajoutées que les clients vont consommer. Le cœur de ce
marché semble être la vente d’un narratif, d’un discours structuré. (I)
Dans cette perspective, les structures intellectuelles fausses ont plusieurs avantages
concurrentiels : elles entraînent une escalade d’engagement, permettent une gestion occulte des
organisations et transforment le consommateur de leurs produits non seulement en prescripteur,
mais en complice. Ils auront des intérêts profonds à parler de vous, à vous défendre et à refuser les
réalités divergentes. (II)
Cela se traduit par plusieurs aspects pratiques. Par exemple, les bullshiteurs vont vouloir
créer une réalité alternative où isoler leurs consommateurs et la rendre résiliente. On devrait
également voir émerger des acteurs politiques en apparence opposés, mais dont les marchés sont en
fait très proches et d’autres qui sont en apparence proches, mais dont les marchés sont en fait
opposés. On comprend mieux également la pénétration du complotisme dans le débat public : c’est
une arme extraordinaire. Enfin, notre perspective serait une explication originale à l’abstention. (III)
I. Le marché de la politique
« One of the most salient features of our culture is that there is so much bullshit. Everyone
knows this. Each of us contributes his share. But we tend to take the situation for granted. Most
people are rather confident of their ability to recognize bullshit and to avoid being taken in by it.
So the phenomenon has not aroused much deliberate concern, nor attracted much sustained
inquiry. » (Frankfurt, 2005)
On parle souvent de marchés à partir des produits vendus : de l’acier, de l’immobilier, de la
téléphonie mobile, etc. Toutefois, il faut bien garder à l’esprit que, ce qui est réellement vendu, ce
n’est pas tant le produit lui-même que le service qu’il rend. Plus précisément, c’est l’avantage perçu
par le client4. C’est à travers cette perception que pourront être valorisées les qualités du produit.5
Pour comprendre le marché de la politique (côté consommateurs), il faudrait donc d’abord
comprendre ce qui est vendu (1) et quelle serait la valeur ajoutée qu’en tirent ses clients (2).
1. Des produits et des gammes
Dans cette perspective, il y aurait différents « produits » : le vote, la discussion politique, la
manifestation, etc. Chacun de ces produits aurait ses propres coûts et avantages. Par exemple, la
discussion politique suppose d’exposer socialement ses idées, alors que, pour le vote, cela peut
rester secret. La discussion suppose de confronter ses idées à celles de quelqu’un d’autre, alors que
la manifestation n’implique pas de contradiction en face (vous n’êtes pas en train d’argumenter
« contre » quelqu’un qui vous répond). Les coûts, en termes d’énergie, de temps et d’image sociale
varient.
a. Le vote et ses narratifs
Le vote est le produit le plus individuel : en principe, personne à part le votant ne sait quelle
a été sa nature. C’est la concrétisation de la conviction du votant, de ce qu’il estime être « le bon »
vote. C’est surtout ce travail normatif sous-jacent qui est intéressant : les rétributions
psychologiques que le citoyen va tirer du fait d’avoir une opinion politique et de croire un narratif.
Prenons quelques exemples :
•« Je pense que les immigrés ne peuvent pas s’intégrer, causent de la délinquance et sont
responsables du chômage, donc je vote à droite. »
•« Je pense que le capitalisme est responsable de la pauvreté et de la pollution, donc je vote
à gauche. »
Ce ne sont que des exemples, mais on voit bien l’intérêt que l’esprit peut avoir à adhérer à ces idées
et à les mettre en œuvre par le vote : il gagne une vision « fermée », simple, du monde. Nous y
reviendrons plus loin. Néanmoins, pour construire ces narratifs, le citoyen va devoir engager un
travail cognitif important : il va devoir évaluer les différents narratifs, évaluer ceux qu’il estime les
4 Cela dépasse le seul acte d’achat : si votre objet ne fait pas ce qu’il est censé faire, l’avantage perçu va disparaître et
laisser place à de la colère et de la frustration. Il faut garder une vision très large de cette question
5 Je n’ai pas trouvé de définition de marché intéressante, elles sont souvent assez tautologiques et obscures (ex : « le
marché est là où un ensemble de fournisseurs et de clients établissent par leur échange le prix d’un bien.] » (Stigler
et Sherwin 1985)) et ne nous aident pas à comprendre ce que serait un marché de la politique.
plus à même de lui apporter la rétribution espérée, puis le mettre en cohérence avec ses autres
connaissances. Par exemple, un sociologue constamment aux prises avec la complexité du monde
pourra sentir une dissonance entre cette dernière et une explication aussi simpliste que « c’est la
faute du capitalisme ». Cette dissonance pourra être néanmoins résolue en créant un raisonnement
qui cache cette dimension simpliste.
Si le vote ou les opinions sur lesquels il se fonde sont communiqués, il entre plutôt dans le cadre de
la discussion politique.
b. La discussion politique
« Toute assertion devient alors un échantillon de l’expression de soi plutôt qu’une
tentative de partager une information, un marqueur identitaire qui ne peut plus, et n’a
plus à être remis en question puisqu’il relève de la subjectivité la plus irréductible. »
(Dieguez 2018, p.173)
C’est la forme la plus fréquente et visible du marché de la politique : la discussion politique.
On la trouve dans les soirées entre amis, aux réunions de famille, sur les réseaux sociaux, parfois
même au travail, bref, dans tous les espaces sociaux. Ses coûts sont évidents :
•La dimension sociale expose à un contrecoup : une personne présente risque de vous
décrédibiliser, vous risquez de vous aliéner quelqu’un, etc. Sur un plan plus personnel, un
contre-argument peut aussi affaiblir votre système de croyances.
•Discuter demande du temps et de l’énergie. Il s’agit d’un effort cognitif, parfois important.
Dans notre paradigme, elle n’aurait en aucune façon pour objet central de faire émerger une
quelconque vérité. Il peut notamment s’agir de convaincre l’interlocuteur, de s’exprimer (ex : un
énergumène qui déblatère) ou bien encore d’un objectif tiers (ex : donner une image positive de soi
pour séduire ou convaincre).
c. L’engagement politique
Alors que la discussion politique s’inscrit dans d’autres actions, dans d’autres cadres
(famille, amis, travail …), l’engagement politique va un cran plus loin : le cadre lui-même est
tourné vers l’action politique. Les exemples les plus évidents vont être le fait de participer à des
réunions d’organisation, le collage d’affiches ou encore, l’action la plus commune : la
manifestation.
Paradoxalement, cet engagement semble moins risqué que la discussion :
•vous n’êtes pas forcés d’en parler autour de vous.
•Vous n’êtes pas « là » pour confronter vos points de vue, mais pour agir.
•Vous êtes au milieu de personnes qui partagent vos croyances dans une certaine mesure.
Il peut emporter d’autres risques, comme celui d’être aspergé de lacrymogènes ou bien d’être
condamnés (comme l’ont par exemple été les militants antispécistes s’étant introduits dans des
élevages pour y taguer des croix nazies).
Notons que la discussion politique peut parfaitement être incluse dans l’engagement
politique et emporte les mêmes risques. En effet, il y a toujours une infinité de dissensions dans les
mouvements, la discussion peut toujours vous faire passer pour un idiot, vous remettre en question
ou, a contrario, renforcer vos convictions, etc.
d. Gammes de produits
On peut imaginer que ces produits puissent s’agencer selon différentes « gammes » :
•la gamme « simple suiveur », pour ceux qui ne veulent pas trop mettre en avant leurs idées,
consisterait essentiellement à voter et suivre, liker ou reprendre certains discours mesurés
qu’ils soutiennent ;
•la gamme « militant amateur » serait pour les gens qui expriment un peu plus leur
engagement, consisterait à exprimer directement des idées modérées et la reprise d’idées
plus véhémentes ; on pourrait aussi avoir une participation plus assidue aux discussions
publiques (réseaux sociaux, repas, soirée et autres événements sociaux …) etc. ;
•et enfin la gamme « militant engagé », qui inclurait les précédents packages, ainsi que des
actions militantes demandant plus d’implication (collages, happenings …), des
participations aux réunions des organisations militantes, production de contenus militants,
etc.
2. Valeurs ajoutées non financières
« De fait, Frankfurt [nda : un des premiers concepteurs du ‘bullshit’] avait noté qu’une
conception individualiste de la démocratie et de la liberté d’opinion, perçue comme la
nécessité immédiate d’avoir un avis sur tout et la nécessité pour chacun de « se
vendre », pouvait bien être à l’origine du succès du bullshit dans nos sociétés. »
(Dieguez 2018, p.171)
Dans le paradigme que nous dessinons, se livrer aux pratiques que nous venons de décrire
n’aurait pas pour objet principal les buts qu’elle prétend avoir (faire avancer telle ou telle cause),
mais d’obtenir diverses rétributions personnelles.
Nous nous intéressons ici à l’action politique dans ce qu’elle a de plus ordinaire. Or, les personnes
qui en tirent un profit financier ne semblent pas très nombreuses (nous en donnerons quelques
exemples plus loin) comparées à celles qui y participent. Il reste surtout les rétributions
psychologiques et sociales. On trouve justement ces récompenses dans la littérature de sociologie
(a), marketing (b) et psychologie sociale. (c)
a. Un thème standard en sociologie
Les rétributions du militantisme sont un thème de recherche assez commun. Si les
rétributions financières avaient déjà été évoquées par Weber dans « Le savant et le politique »,
Gaxie a présenté de nombreuses incitations psychologiques et sociales dans son article de 1977.
Depuis, de nombreux travaux ont développé cette idée.
Les valeurs ajoutées pour ce citoyen-consommateur sont multiples. C’est la question des
rétributions (psycho-sociales) du militantisme, qui a été largement observées en sociologie. Il peut
s’agit de rétributions très personnelles, comme le fait d’avoir des repères moraux, développer des
affinités, avoir le sentiment de « faire » quelque chose, d’accomplir une tâche importante, etc.
Voici quelques illustrations :
« Le côté action de terrain, j’ai appris à apprécier assez rapidement, les tractages, les
collages ; les collages, c’est différent, parce que les collages, en fait, c’est drôle. On est
trois en pleine nuit, habillés horriblement, à essayer de coller n’importe comment, c’est
dégueulasse, on s’en fout partout. Ou alors quand on repart et qu’on voit un mur collé
de Jeunes populaires, on est ravi, on a l’impression d’avoir fait du bon boulot, il y a
une bonne ambiance, c’est marrant. » (Adhérent JP6, étudiant à Sciences Po, Bargel et
Petitfils 2009, p.62)
« « Moi je trouve que c’est beau de se battre pour des idées, pour quelque chose dont
on a envie de se battre, bon nous c’est pour la, c’est pour la France, le nationalisme,
c’est, c’est pour nous, tout ce qu’on nous a appris […] quand on chante la Marseillaise
ça, j’ai les larmes aux yeux parce que, je sais pas c’est, ça fait quelque chose. »
(Militante FN interrogée par Lafont 2001, p.195)
Il peut également s’agir de rétributions plus « sociales », comme le statut social ou
l’exercice de pouvoir. Par exemple :
« Disposer d’une capacité d’action ou d’influence crée une dynamique d’engagement
qui peut devenir très mobilisatrice, offrir une dimension ludique qui donne un statut, un
rôle qu’un espace professionnel n’offre pas ou parfois peu. […] Il s’agit alors de
rentrer dans le cercle limité de ceux qui peuvent dire « non », qui apprennent à
s’opposer à un ordre dominant. » (Nicourd 2013, p.135)
« Pour Philippe, la position dans la société est essentielle, car elle conditionne aussi sa
place dans la famille. Celle-ci se structure autour de représentations d’une droite
monarchiste, mais surtout comme élément supérieur d’une hiérarchie sociale : Philippe
doit « tenir le rang » faute d’être exclu du clan. […] Or, Philippe échoue à gravir
l’échelle du prestige républicain (il « rate » les Grandes Écoles), le FN lui sert donc de
lieu où construire une carrière parallèle et alternative, permettant de concilier au
mieux exigences familiales et parcours propre. » (Lafont 2001, p.189)
« […] L’engagement militant peut donner l’occasion d’exercer des rôles sociaux
gratifiants et contribuer à l’affirmation et à la valorisation de soi. Certains y trouvent
des revanches contre les expériences de désinsertion familiale, de précarité, de
chômage ou de marginalisation » (Gaxie 2017)
En sociologie politique, Philippe Braud présente plusieurs exemples relatifs au vote collant
parfaitement à ce que nous décrivons ici :
« Beaucoup se contentent de la facilité qui consiste à donner sa voix à des candidats
familiers, des partis connus, des programmes politiques rassurants. Leur motivation peut
être tout simplement la recherche d'une tranquillité intérieure, en harmonie avec leur
environnement de proximité, et en évitant tout stigmate social (ce qui défavorise les
partis dont l’image paraît excessivement extrémiste, dans un contexte normatif donné).
6 Jeunes Populaires, l’association des jeunes de l’UMP.
D'autres électeurs, politisés ou non, verront dans le geste électoral le moyen de libérer
une agressivité nourrie de frustrations accumulées, qu'elles soient d'origine sociale,
professionnelle voire privée. Ils s'en prendront à des boucs émissaires en émettant un
vote de rejet des sortants, voire de la classe politique elle-même ; ou bien, ils
soutiendront, par défi, le parti ou le leader diabolisé par les médias et les autres
formations politiques. » (Braud 2016, p.444)
b. Un thème standard en marketing
Cette logique de rétributions psychologique est déjà largement utilisée en marketing. Par
exemple, Lendredvie, Levy et Lindon 2006 écrivent qu’« il peut arriver que les motivations d’un
individu soient conflictuelles » entre elles, se faisant obstacle. (2006, p.138)7 Il y a donc un marché
pour lever ce conflit. C’est le levier qu’a par exemple exploité D. Wallerstein.
Ce dernier travaillait pour une chaîne de cinémas dans les années 60 et avait
infructueusement cherché à inciter ses visiteurs à prendre plus de sodas et de popcorn. Ces derniers
se contentaient en fait de n’en prendre qu’un pour ne pas passer (vis-à-vis d’eux-mêmes ou des
autres) comme des gloutons (image « particulièrement négative dans une société assez
religieuse »). Il eut alors l’idée d’augmenter les doses, ce qui fonctionna très bien, avec le succès
qu’on sait des portions « king size » aux États-Unis. L’entrepreneur a fait fructifier cette découverte
en étant embauché par Mc Donald, dont il est l’un des dirigeants aujourd’hui. Il a donc permis de
lever le problème posé par cette rétribution morale et a été récompensé pour.
Le passage sur la notion d’attitude (vis-à-vis d’un produit) montre en plus une logique de
« structure » :
« Changer d’attitude8 a un coût pour l’individu, qui est d’autant plus grand que cette
attitude renvoie à une valeur forte, à une expérience significative ou, de façon plus
générale, à une implication forte vis-à-vis de l’offre. Selon l’importance du contexte
dans lequel elles se situent, on distingue les attitudes centrales, liées à des valeurs
fondamentales de l’individu, et les attitudes périphériques. Ces dernières sont
évidemment moins stables que les premières. » (Lendredvie, Levy et Lindon 2006,
p.142-143)
C’est également le problème de la dissonance cognitive :
« On tolère difficilement sa propre incohérence lorsqu’elle devient consciente. […]
Lorsqu’un individu ressent une contradiction entre ses connaissances, il éprouve une
tension et un état d’inconfort qui peuvent le conduire à réagir pour réduire cette
dissonance. » (Lendredvie, Levy et Lindon 2006, p.143)
Il y a donc un marché pour le fait de limiter cette dissonance.9 Le marketing s’intéresse aussi à
l’estime de soi :
7 Il s’agit du « Mercator », un livre de référence en la matière.
8« Une attitude peut être définie comme une tendance ou une prédisposition de l’individu à évaluer d’une certaine
manière un objet et à réagir devant lui ». (Lendredvie, Levy et Lindon 2006, p.141)
9 On peut se demander si ce n’est pas l’un des principaux moteurs du marché du bio, qui permet à une clientèle
fortunée d’avoir le sentiment d’agir pour sa santé et l’environnement sans faire d’efforts à cette fin.
« L’estime de soi est l’évaluation plus ou moins positive qu’on a de soi-même. […] Les
individus se partagent souvent dans leurs perceptions entre un moi idéal, qui représente
ce qu’ils aimeraient être et leur moi réel, ou de moins perçu, qui représente la façon
dont ils se voient réellement. Certaines personnes ont une grande capacité à combler
cet écart en surestimant leurs qualités (orgueil) ou en croyant que cette vision
surestimée d’eux-mêmes est partagée par les autres (vanité). […] On cherche à
conforter notre image de soi par des signes extérieurs et les offres commerciales
s’intègrent dans cette gestion de l’image de soi. » (Lendredvie, Levy et Lindon 2006,
p.147)
Cette logique pourrait être exploitée de plusieurs façons, notamment en flattant l’acheteur à travers
l’achat (ex : « vous êtes quelqu’un d’exceptionnel d’avoir perçu cette opportunité ») ou simplement
en permettant à l’acheter d’exprimer l’image qu’il a de lui-même (par exemple pour les vêtements
ou les voitures). (Lendredvie, Levy et Lindon 2006, p.147-8) C’est probablement l’un des
principaux leviers derrière certains produits « écologiques » : on vend l’idée d’être plus vertueux
que les autres, de « faire sa part ».
c. Un thème standard en psychologie sociale
« Social expectations for tact and polite cooperation are a disincentive for scrutiny;
moreover, in many situations, there is little to be gained—epistemically or otherwise—in
going against those expectations. We learn to adopt a certain amount of flexibility with
the truth, facts, and honesty. » (Wakeham 2017, p.28)
L’idée qu’il y ait un marché autour des croyances politiques est aussi évidente lorsqu’on
s’intéresse à la psychologie sociale. En effet, « nous observons une motivation fondamentale qui est
la recherche de cohérence entre différents éléments : pensée, croyance et sentiments par rapport au
monde environnant. » (Fischer 2020)
C’est également un thème abordé en matière de dissonance cognitive. Ainsi, Leon Festinger
écrivait dans le livre qui a été l’acte de naissance de cette notion :
« Il a fréquemment été sous-entendu, et même parfois souligné, que l’individu travaille
à être consistant avec lui-même. Ses opinions et attitudes, par exemple, tendent à
exister en ensembles dotés d’une consistance interne. On peut y trouver des exceptions.
Une personne peut penser que les noirs sont aussi bons que les blancs, mais n’en
voudrait pas dans son voisinage […]. Il reste néanmoins globalement vrai que les
opinions ou attitudes liées sont consistantes les unes avec les autres. […] Il y a le même
genre de consistance entre ce qu’une personne sait ou croit et ce qu’elle fait. »
(Festinger 1957)
« Selon Festinger (1957) il y a dissonance cognitive, un état de tension désagréable,
lorsque deux cognitions opposées sont simultanément présentes à l’esprit des individus.
Par exemple, je fume et j’aime ça, mais je sais que fumer cause le cancer des
poumons. » (Berjot et Delelis 2020)
« Les individus agissent à partir de ce qu’ils croient et de ce qu’ils éprouvent, vis-à-vis
des autres, vis-à-vis d’eux-mêmes. En étudiant la manière dont ils pensent leur action et
celle des autres, nous observons une motivation fondamentale qui est la recherche de
cohérence entre différents éléments : pensée, croyance et sentiments par rapport au
monde environnant. » (Fischer 2020)
C’est le marché qu’a exploité D. Wallerstein : il y avait chez ses clients une dissonance entre la
consommation de plus grandes quantités de popcorn et la volonté de ne pas être qualifié de glouton,
dissonance qu’il a permis d’effacer en proposant de plus grandes doses.
Enfin, on trouve évidemment cette logique de rétribution dans des travaux de psychologie
sociale, comme La personnalité autoritaire de Theodor W. Adorno à propos de l’antisémitisme :
« [Leurs indices plus ou moins cryptiques révèlent fréquemment une sorte de fierté
sinistre ; ils parlent comme s’ils étaient dans la confidence et avaient résolu une énigme
autrement insoluble pour le reste de l’humanité10 (peu importe le nombre de fois que
leur solution a déjà été exprimée). […] Étant donné que le cliché présente
régulièrement l’exogroupe comme mauvais et l’endogroupe comme bon, le modèle
antisémite offre des rétributions émotionnelles, des gratifications narcissiques qui
tendent à faire tomber les barrières de l’autocritique rationnelle. C’est de ces
instruments psychologiques que les agitateurs fascistes jouent constamment.] » (p.619)
C’est également largement évoqué par les chercheurs étudiant plus généralement le complotisme :
« De même, quelques études ont également établi un lien entre le complotisme et
différentes formes de narcissisme, en particulier le narcissisme vulnérable, associé
paradoxalement à une faible estime de soi, le narcissisme grandiose, associé à un excès
de certitude et de confiance en soi, et le narcissisme collectif, associé à une vision
excessivement positive de son groupe social et de sa nation. (Bertin et al., 202111,
Cichocka et al.201612 ; Cislak et al. 202013, 202114;Sternisko, Cichocka et van Bavel,
202015 ; Marchlewska et al., 201916 ; Golec de Zavala et Federico, 2018) […]
D’une part, le complotiste prétend généralement être en possession d’informations très
importantes qui sont ignorées par le plus grand nombre, et qu’ « on » nous cacherait. Il
lui faut donc, d’une façon ou d’une autre, croire qu’il est plus perspicace, moins
influençable, moins conformiste que la masse. […] En d’autres termes, les malheurs
que nous vivons ne sont compréhensibles qu’en proportion de l’extraordinaire attention
que nous portent les conspirateurs : il faut qu’ils soient incroyablement mauvais et
puissants, sans quoi ils ne pourraient rien contre nous. » (Dieguez et Delouvée 2021,
p.202)
On peut aussi rapprocher le complotisme du besoin de fermeture cognitive (« Need for
cognitive closure ») :
« [Les théories du complot offrent des réponses simples à des problèmes complexes en
fournissant des explications à des situations incertaines. Ainsi, elles devraient être
attractives pour les personnes qui ne tolèrent pas l’incertitude et qui recherchent une
fermeture cognitive.] » (Marchlewska et al. 2017)
L’existence d’un marché de la stabilité mentale est évidente lorsqu’on creuse le sujet :
10 « they speak as if they were in the know and had solved a riddle otherwise unsolved by mankind »
11 https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1368430221992114
12 https://psycnet.apa.org/record/2016-06648-008
13 https://www.researchgate.net/publication/341880600_Brexit_and_Polexit_Collective_Narcissism_Is_Associated_
With_Support_for_Leaving_the_European_Union
14 https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1368430220959451
15 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2352250X20300245
16 https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00224545.2019.1586637
« [Les auteurs proposèrent que dans le complexe monde actuel, un besoin de fermeture
élevé pourrait mener à davantage de détresse dans la prise de décision quotidienne
(Roets & Van Hiel, 2008), tandis qu’une faible habilité de fermeture pourrait apporter
des sentiments de frustration et d’impuissance, chacun contribuant (indépendamment) à
une diminution du bien-être mental.] » (Roets et al. 2015, p.16-17)
Il y aurait donc une rétribution possible en termes de structures cognitives : le renforcement du
système de croyances (ce qui traduirait l’existence d’un marché pour l’obtenir).
d. Mourir pour ses idées
La meilleure démonstration de la puissance de ces incitations nous est régulièrement donnée
par le mouvement s’opposant à la vaccination contre le COVID-19, qui acceptent de mourir pour
leurs idées. Sont ainsi morts du covid le biologiste italien Franco Trinta17, Serge Rader18, Alain
Decaille19, Aimé Agat20, les frères Bogdanoff21 et des dizaines d’autres dans le monde.
L’idée d’incitations matérielles quelconques n’a plus aucun sens ici : ils sont morts. On sait, de plus,
depuis longtemps que cette maladie tue, ce n’est donc pas vraiment une surprise. Ce sont bien les
incitations sociales et morales qui semblent centrales ici : ils ont gagné de l’audience, un statut
social, une vision du monde …
C’est, je pense, la meilleure illustration de la toxicité du bullshit, mais nous y reviendrons.
17 https://www.corriere.it/cronache/22_febbraio_05/franco-trinca-morto-covid-biologo-no-vax-66cd8624-8661-11ec-
ab3e-1258ba48ff09.shtml
18 https://www.franceinter.fr/info/serge-rader-antivax-et-conseiller-de-dupont-aignan-est-mort-apres-une-
hospitalisation-liee-au-covid
19 https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/covid-19-en-martinique-un-leader-du-mouvement-contre-l-
obligation-vaccinale-est-mort-du-virus-fafed55a-625d-11ec-9dbd-7ac2ed5a38a8
20 https://www.lindependant.fr/2021/12/22/martinique-contamines-lors-dune-reunion-de-travail-deux-leaders-antivax-
sont-decedes-du-covid-10007842.php
21 https://www.ouest-france.fr/sante/vaccin/mort-des-freres-bogdanoff-leur-non-vaccination-serait-liee-a-une-phobie-
des-medicaments-220ce9d4-6e39-11ec-8165-e952f387eb50
II. L’avantage concurrentiel du bullshit
Maintenant que nous avons un peu tracé quels étaient les produits et les principales valeurs
ajoutées du marché du bullshit politique, nous allons voir quelques-unes des mécaniques qui
favorisent le bullshit (faux ou désinformatif) face à un discours s’inscrivant dans une recherche la
vérité.
Nous avons présenté le bullshit comme « un simulacre d’assertion à fonction performative. » Cela
ne correspond pas forcément à ce dont nous souhaitons parler, c’est-à-dire un ensemble construit de
discours politiques. Par exemple, un bullshit antivaccin (« il y a des puces 5G dans le vaccin
anticovid »), qui va pouvoir s’inscrire dans d’autres bullshits (ex : « les illuminatis cherchent à
dominer le monde »). On se situe ici plus à l’échelle collective qu’individuelle.
Le bullshit dont nous parlerons ici sera
•un bullshit faux ou désinformatif (= qui induit en erreur)
•un ensemble de discours. Il ne s’agit pas simplement d’une phrase, mais d’un ensemble de
discours construisant une opinion sur un sujet politique.
Nous verrons qu’il a des avantages concurrentiels qui lui permettent, en raison même de sa nature,
de prévaloir sur des discours « normaux ».
1. L’escalade d’engagement ou la psychologie des coûts perdus
C’est une expérience que nous avons tous vécu : il est difficile, une fois qu’on a beaucoup
investi dans quelque chose, d’arrêter. On peut l’avoir vécu au poker, dans des relations ou une
infinité d’autres occasions : c’est l’effet des coûts perdus ou l’escalade d’engagements.
« L’effet ‘coûts perdus’22 consiste en une plus grande tendance à continuer un
comportement une fois qu’un investissement en argent, effort ou temps a été fait. »
(Arkes et Blumer 1985)
C’est un effet qui renforce considérablement les opinions et discours politiques : plus une
personne dit de choses fausses, plus elle s’engage vis-à-vis des autres et vis-à-vis d’elle-même. En
effet, si elle doit se dédire, elle devra admettre qu’elle a dit n’importe quoi, ce qui n’est pas agréable
sur le plan psychologique et peut être dommageable sur le plan social.
Cela peut être particulièrement puissant : imaginez un militant antivaccin qui a convaincu
son conjoint et éduqué ses enfants selon la croyance que les vaccins sont une création de Big
Pharma pour rendre tout le monde malade et toute la mythologie autour de ces délires. Comment sa
vie changerait s’il réalisait ses erreurs ? Quelle image aurait-il de lui, qui aura pensé ces absurdités,
menti à sa femme et ses enfants pour son propre intérêt ? S’il l’exprime, c’est encore pire : c’est
toute sa cellule familiale qui est en danger. Il devra alors vivre en feignant de continuer à penser ses
idioties, en se voyant ainsi mentir à sa femme et à ses enfants. Il est coincé.
C’est une mécanique qui avantage lourdement le bullshit, comme l’a souligné S. Dieguez :
22 « Sunk cost effect » dont le résultat est la « sunk cost fallacy ».
« Un autre paradoxe, aux conséquences également catastrophiques, est que les opinions
fausses et stupides ont en fait de plus grandes chances de survie que les analyses
raisonnables et correctes ou que les opinions mesurées. Cela s’explique par le fait que
renoncer à une opinion juste et mesurée ne fera jamais perdre la face à personne, tandis
qu’une opinion fausse devra être défendue bec et ongles au risque de se trouver
déshonoré. » (Dieguez 2018, p.107)
Cela signifie également que les organisateurs de bullshit ont intérêt à détruire, à créer de la
souffrance. Cela permet en effet de créer une dissonance qu’ils vont pouvoir instrumentaliser. Plus
vous rendez vos consommateurs complices de vos méfaits, plus ils seront punis lorsqu’ils sortiront
de l’illusion. Ils sont de plus en plus dépendants de vous. Ainsi, plus vous détruisez, plus vous
construisez votre emprise.
2. Un avantage organisationnel / managerial
« Il ne s’agit pas simplement de mener quelqu’un en bateau ou de le « faire marcher », il
s’agit de le faire en permanence, sans aucun égard pour sa patience, ses désirs ou son
intelligence, et en définitive de le faire vivre dans un monde imaginaire, qui n’est ni le
sien, ni celui de personne. » (Dieguez 2018, p.180)
Le bullshit a aussi un intérêt managérial : il va permettre de créer un ordre parallèle invisible
que pourront manipuler ceux qui l’ont conçu. En effet, ce sont ces derniers qui auront les clés de sa
nature. Puisqu’il est une création « pure », pour laquelle la réalité n’est qu’un matériau malléable, il
peut être modelé à volonté.
Imaginons une structure militante reposant sur du bullshit. La hiérarchie pourra modeler son
discours pour promouvoir les personnes qu’elle souhaite promouvoir et condamner celles qu’elle
veut condamner : « untel est un traître à la cause parce que … », « untel mérite d’être sur la liste
parce que … » À partir du moment où l’échelle de valeurs est définie par un discours flou, il peut
être modulé pour répondre aux besoins. Cela ne veut pas dire que c’est totalement libre : les abus
pourront avoir des conséquences négatives. Par exemple, si le discours perd sa crédibilité, des
dissidents vont tenter de prendre le pouvoir ou partir.
Cela va aussi dicter la construction de l’organisation : ce qu’elle valorise, qui doit s’élever
dans sa hiérarchie, etc. En effet, participer à la conception du bullshit demande un certain esprit. On
devine deux schémas :
•celui de la personne sous emprise
•celui de la personne sans scrupules
La première va se convaincre que ce qu’elle fait est juste et être très efficace pour convaincre
d’autres personnes. Néanmoins, plus elle va s’élever, plus cette croyance va être difficile à
maintenir. Qu’une personne révèle le pot aux roses serait désastreux (sans parler de l’impact sur les
équipes), les gestionnaires ont donc tout intérêt à valoriser, pour s’élever dans la hiérarchie,
l’absence de scrupules plus que la croyance sincère.
Notez que les deux ne sont pas absolument incompatibles : la croyance sincère a beaucoup tendance
à se transformer en manque total de scrupule si l’individu est petit à petit amené à voir les tactiques
malhonnêtes de son organisation comme nécessaires pour « la cause ». Il est aussi possible que,
réalisant la trahison, elle perde toute morale : « puisque c’est comme ça, autant être un salopard ».
C’est une question de conditionnement et de personnalité.
Les dirigeants devront donc faire très attention à ne faire monter en hiérarchie que les personnes qui
adhèrent ou adhéreront au bullshit et à sa politique.
3. Le consommateur-complice
Le dernier avantage concurrentiel du bullshit que nous étudierons ici est le rôle particulier
qu’y a le consommateur. Classiquement, le consommateur du service peut avoir plusieurs rôles :
•L’usager, qui utilise le service (par exemple l’utilisateur de la version gratuite d’un
freemium).
•Le client, celui qui paye le service. Il peut ne pas être l’usager, par exemple quand les
parents achètent un jouet à leur enfant.
•Le prescripteur, celui qui va parler du produit. Ayant été client et/ou usager, il parle du
produit autour de lui. C’est l’une des révolutions amenées par le développement d’internet :
ce bouche-à-oreille est devenu d’une puissance incommensurable.
Ici, on voit néanmoins apparaître un nouveau rôle : le consommateur complice.
a. Rappel : la puissance du prescripteur
En marketing, les prescripteurs sont particulièrement précieux : non seulement ils auront été
clients et/ou usagers, mais en plus ils vont vendre le produit à votre place et toucher leurs audiences.
Le rêve ! C’est la sacro-sainte « viralité ». C’est une mécanique très ordinaire : les avis sur
Tripadvisor ou Google, le bouche-à-oreille …
Toutefois, il y a des tactiques plus originales visant à créer de la viralité. C’est ce qu’avait
par exemple réussi la messagerie Hotmail. En ajoutant la mention « Ce message a été envoyé par
une messagerie Hotmail », chaque utilisateur devenait implicitement prescripteur : il sensibilisait le
destinataire à la marque et, en plus, montrait l’approbation de l’expéditeur, puisque celui-ci
l’utilisait. Ce « hack » a permis à Hotmail de gagner beaucoup de parts de marché avant d’être
copié et que l’effet de l’astuce diminue. Un autre exemple classique est Paypal. Pour se faire
connaître, la startup avait lancé un système de parrainage : pour chaque compte ouvert, elle offrait
10 $ au parrain et 10 $ au parrainé. Chaque nouveau client était fortement incité à trouver d’autres
personnes à parrainer. C’était cher, mais cela a fait un buzz énorme et lui a permis de faire un bond
en avant en termes de visibilité.
C’est aussi un objectif très important en référencement naturel : on veut que notre page
plaise tellement à d’autres personnes qu’elles fassent un lien depuis leur site vers le nôtre. Google
interprète très positivement ces liens : cela signifie que votre site est intéressant (pour les personnes
traitant de la thématique du sujet traité dans la page à l’origine du lien). C’est aussi le principe
central du marketing des réseaux sociaux : vous voulez que votre contenu soit partagé / liké par le
plus grand nombre de personnes possible (appartenant, en principe, à votre « cible »).
Bref : le fait que vos clients / usagers prescrivent vos services a une valeur immense dans le
commerce.
b. Le consommateur-complice
« la théorie de la dissonance permet de prédire qu’un individu, après avoir accompli un
acte immoral, aura vis-à-vis de cet acte une attitude plus indulgente qu’auparavant. »
(Fischer 2020)
Dans l’économie du bullshit, on voit néanmoins apparaître une figure encore plus
intéressante que le consommateur-prescripteur : le consommateur-complice. Il n’a plus simplement
l’envie ou une bonne raison de prescrire vos produits, il a besoin de le défendre. En effet, comme
nous l’avons posé, le bullshit induit en erreur, c’est une arnaque, une illusion.
Celui qui y croit se crée immédiatement une dette : s’il prend conscience de l’arnaque, il va
perdre une partie, tout ou davantage des rétributions cognitives qu’il avait gagnées en y croyant. Il
va donc avoir un intérêt cognitif à rejeter ce qui pourrait diminuer ou affaiblir l’illusion à laquelle il
croit. En prescrivant le bullshit, il va se créer une dette vis-à-vis des personnes auxquelles il l’aura
prescrit. Si elles réalisent le pot aux roses, leur relation va en pâtir, sa réputation peut être ternie, etc.
C’est la même idée que pour l’escalade d’engagement qu’on a vu plus tôt : celui qui a cru le bullshit
est coincé, il est pris dans un engrenage. Étant complice, il va devoir protéger le bullshit.
c. Un exemple existant : le marketing de réseau
Il est un modèle d’affaires qui exploite déjà ces dynamiques : le marketing de réseau (ou
Multi Level Marketing). Dans ce modèle, une maison mère permet à des individus non seulement
de vendre ses produits, mais en plus de permettre à d’autres individus de devenir également
vendeurs. Ils deviennent alors têtes de réseaux et sont également récompensés par les ventes faites
par les vendeurs qu’ils ont parrainés, mais pas seulement. Ils sont aussi récompensés sur les ventes
des vendeurs qu’ont parrainés les vendeurs qu’ils ont parrainés.
•La maison mère est récompensée par la vente de ses produits et les prestations qu’elle vend
aux vendeurs.
•Les vendeurs sont récompensés par les commissions venant de leurs ventes et de leur réseau.
Ce modèle peut très bien être vertueux, mais, souvent (et c’est malheureux), le « vrai »
client, c’est le vendeur (on parle alors de « schéma pyramidal », ce qui est illégal). La maison mère
peut, par exemple, imposer aux vendeurs d’acheter une quantité minimale de produits s’ils veulent
conserver un certain statut (ex : « vendeur gold ») ouvrant doit à un certain taux de commission ; ou
bien imposer des frais d’entrée importants (stocks + frais de formation), pour prendre le plus
d’argent aux nouveaux arrivants qui, ayant mal évalué les contraintes de l’entrepreneuriat,
abandonneront rapidement.
Mais revenons au consommateur complice. Les vendeurs auront l’incitation à convaincre
d’autres individus de devenir vendeurs, ainsi que de les maintenir dans ce rôle et ainsi de suite. Cela
peut créer des toiles d’intérêts extraordinaires : imaginez tout un voisinage où un tel réseau
s’étendrait. Vous auriez une quantité phénoménale de relations sociales qui dépendraient de la
croyance en l’idée que devenir vendeur pour le réseau X serait rentable. Le mensonge ne
concernerait, du coup, pas seulement les vendeurs, mais tous ceux qui leur sont liés et auraient
intérêt (moral, social ou financier) au maintien de l’illusion.
III. Implications concrètes
Maintenant que nous avons dessiné les grandes lignes de la consommation de cette
économie du bullshit, nous pouvons tenter de dessiner les implications concrètes. Tout d’abord, on
retrouve la convergence des luttes dont je parle dans l’économie du militantisme (Baumann 2022) :
il y aurait une convergence d’intérêt entre des organisations en apparence opposées. (1) Ensuite, on
aurait une sorte de société-mafia, où la conquête politique aurait exclusivement pour objet de capter
les ressources de l’État et où la vérité ne serait plus qu’affaire de pouvoir. Tout se perdrait dans
l’individualisme le plus absurde. (2) Enfin, l’abstention ne serait que l’expression de l’incapacité de
l’offre politique à fournir des rétributions hédonistes aux votants. (3)
1. La convergence des luttes
Dans l’économie du militantisme (Baumann 2022), nous avions vu que les courants
politiques opposés avaient tendance à se ressembler, notamment lorsqu’on analyse les narratifs.
J’avais notamment comparé Le génie lesbien d’Alice Coffin (2019) avec Le premier sexe d’Eric
Zemmour (2006) et montré qu’il y avait de profondes similarités :
•Le mépris de la complexité et de la démarche scientifique. Ils généralisent des anecdotes
sans la moindre rigueur.
•L’orientation sexuelle emporterait des caractéristiques et valeurs.
◦Pour Zemmour, il y aurait « la plastique, l’esthétique, le raffinement homosexuels » et
des « valeurs ludiques et festives des « gays » ». (p.13-15) Plus largement, l’homosexuel
serait par nature efféminé.
◦Pour Coffin, être lesbienne supposerait notamment d’accueillir toutes les minorités « à
les aider, à embrasser leur combat. » La « logique lesbienne » consisterait à « Aller là
où l’humanité est menacée. » (p.101)
•La sexualité serait politique. Il y aurait un projet politique derrière l’homosexualité
(Zemmour) et le lesbianisme (Coffin).
•Il y aurait des valeurs masculines et d’autres féminines. Pour l’un, il faudrait valoriser
davantage les premières, pour l’autre les secondes.
•La masculinité serait toxique et écraserait les femmes. Là-dessus, les deux sont d’accord,
mais pour l’un ce serait bien et pour l’autre mal.
En promouvant ces thèmes communs, ils se renforcent mutuellement, même s’ils apparaissent
comme ennemis.
C’est très cohérent avec l’idée d’une politique comme économie du bullshit. Ils crédibilisent
leurs discours réciproques, les rendant ainsi plus faciles à vendre et moins « chers » à leurs
consommateurs pour être maintenus.
En outre, cette opposition problématise des questions telles que « est-ce que les valeurs
homosexuelles sont supérieures aux valeurs hétérosexuelles ? » ou « est-ce que l’événement narré
comme preuve par Coffin est plus probant que l’événement narré comme preuve par Zemmour ? »
Cela va leur ouvrir un marché plus grand : les consommateurs pourront avoir l’opportunité de
prendre position « pour » ou « contre » et de capter les rétributions psycho-sociales
correspondantes.
C’est très pratique pour les deux « opposants » : ces problématisations écartent
implicitement les « vraies » réponses à ces questions. En effet, d’une part qu’il n’y a pas réellement
de valeurs « homosexuelles » ou « hétérosexuelles » et d’autre part aucun des événements narré par
ces polémistes ne prouve quoique ce soit. Encore mieux : vu que les « vraies » réponses sont niées
implicitement, le débat pourra durer éternellement.
Plus largement, on retrouve ici toutes les logiques de renforcement réciproques décrites dans
l’économie du militantisme. En voici deux exemples (sur une petite dizaine) :
•La polarisation : en imposant un choix (« vous êtes avec nous ou contre nous ») et en
exerçant des pressions, le lobby va inciter les personnes qu’il opprime à se rapprocher de
leurs ennemis.
•L’appropriation : en s’appropriant une cause de manière malhonnête, certains militants vont
permettre aux « ennemis » d’attaquer l’ensemble. Par exemple, il est facile aux
climatosceptiques d’attaquer l’écologie en ciblant les Verts ou Greenpeace, qui se sont
accaparés ce thème.
L’ensemble de la politique pourrait être analysée à cet égard : quels sont les discours qui se
renforcent ? Cela donnerait assurément une vision du champ politique très différente de ce qu’elle
est aujourd’hui.
2. Une société – mafia
Si la politique se réduisait à une politique du bullshit, la société prendrait à plusieurs aspects
les airs d’une mafia. Tout d’abord, les ressources publiques ne seraient plus que des outils à
mobiliser, dans la mesure du possible, pour alimenter l’illusion du parti politique en disposant. Une
partie importante irait évidemment protéger l’administrateur contre les accusations de mauvaise
gestion (si un gouvernement de droite retire brutalement tous les fonds de l’éducation nationale et
de la santé pour les investir en maintien de l’ordre, cela risque d’être trop clairement absurde).
Toutefois, il tenterait autant que possible de tirer ses dépenses vers des postes qui lui rendent
service. Typiquement, on peut penser à la ville de Paris qui alimente un épais réseau d’associations
promouvant clairement les thèmes cohérents avec le storytelling de ses propres dirigeants.
La vérité deviendrait purement une question de pouvoir et de confort. La véracité d’un
propos n’aurait aucun intérêt intrinsèque, seule compterait sa propension à renforcer ou affaiblir le
système de croyances :
« Je postule que l’un des effets directement mesurables de la post-vérité devrait être la
diminution ou l’élimination complète de ce mécanisme : si le bullshit a triomphé, alors
il n’y a plus aucune raison de ressentir le moindre sentiment d’inconfort personnel lors
de la perception d’une contradiction. Celle-ci, du reste, devrait être entièrement
remplacée par la perception d’une intention hostile à notre égard et par l’expression de
la colère ou de l’indignation. » (Dieguez 2018, p.176)
Toute forme de discussion ou d’action en général se résumerait alors à sa dimension « politique » :
quel système de croyances est renforcé ? Est-ce que c’est une action amie ou ennemie ? Sébastien
Dieguez synthétise parfaitement (encore!) :
« Dans un monde bullshit, de surcroît, de moins en moins de choses s’accomplissent et
se décident vraiment, puisqu’il suffit de décréter que toute intention, tout engagement,
toute réflexion et toute décision a été actée du seul fait de l’avoir évoqué avec
conviction sur le papier, tel un rituel dont plus personne ne saurait quelle était au juste
sa fonction d’origine. Quiconque se rebellerait contre le monde bullshit, du reste,
deviendrait un simple élément perturbateur qui ne joue pas le jeu, et de toute façon
personne ne serait plus en mesure de percevoir que cette personne ne bullshitte pas.
L’anti-bullshitteur serait traité exactement comme les bullshitteurs qu’il dénonce, avec
les mêmes armes, les mêmes arguments et la même rhétorique : il serait
impitoyablement absorbé dans le monde bullshit sans aucun moyen d’y échapper. »
(Dieguez 2018, p.140)
3. Une explication originale à l’abstention
Dans ce paradigme, l’abstention deviendrait aisément compréhensible : le vote ne serait pas
suffisamment attractif pour le consommateur sur un plan hédoniste. Non parce que les offres des
politiciens ne seraient pas adéquates pour le pays, mais parce que l’action ne viendrait pas renforcer
ses narratifs. De la même façon que, si on ne regarde pas la télé, ce n’est pas forcément que les
programmes sont « mauvais », c’est simplement qu’ils ne correspondent pas à notre demande. C’est
d’ailleurs ce qu’observe Philippe Braud dans son manuel de sociologie politique :
« Il existe aussi un abstentionnisme de gens très intéressés Il existe aussi un
abstentionnisme de gens très intéressés par la politique, aux convictions très arrêtées,
mais qui ne sont pas satisfaits de l'offre électorale, lorsque le choix leur apparaît
excessivement restreint (par exemple au second tour, en France, après élimination des
« petits » candidats). » (Braud 2016, p.425)
« Une partie importante des électeurs, notamment les plus jeunes, veut pouvoir rêver à
un avenir meilleur, cultiver des illusions consolatrices ou dynamisantes. Les débats
verrouillés, les candidats ternes ou âgés constituent des repoussoirs qui favorisent
l’abstention ; au contraire, des projets politiques ambitieux, l’éclat de la rhétorique, le
durcissement des affrontements idéologiques, les ramènent aux urnes. » (Braud 2016,
p.445)
Plus largement, les valorisations psychologiques dont nous avons évoqué l’existence se retrouvent
dans sa description du clivage gauche/droite :
« Se situer sur ou par rapport à l'axe droite/gauche, permet d’abord aux citoyens
d'endosser une identité politique. Il existe en effet, en France comme en Europe, des
cultures politiques de gauche et de droite, fondées sur des systèmes de valeurs et de
justifications privilégiées, sur des références choisies à des événements ou des
personnalités historiques prestigieuses. Connotations et références sont suffisamment
positives pour qu'il soit valorisant de s'identifier à elles. » (Braud 2016, p.422)
Je n’ai pas trouvé d’analyse contredisant efficacement cette piste. Le concept d’électeur
rationnel ou stratège développé par Anthony Downs en 1957 est très intéressant : on retrouve une
réflexion sur les dimensions marchandes de la politique pour les votants. Néanmoins, cette vision
est limitée, négligeant la logique hédoniste de gratification cognitive, que nous avons démontrée ici.
Cette faille se voit clairement lorsqu’il présente le problème des idéologies.
Il écrit : « Puisque les parties dans ce modèle n’ont aucun intérêt en soi à créer un type de
société particulier, l’omniprésence des idéologies dans les politiques démocratiques apparaît
comme contredire cette hypothèse. » Puis, il invalide cette critique au motif que ce serait quelque
chose de tout à fait logique : « Dans une société complexe, le seul prix en temps pour comparer
toutes les différences entre les partis concurrents est terrifiant. De plus, les citoyens n’ont pas
toujours assez d’information pour apprécier les différences qu’ils connaissent. Ils ne savent pas
non plus par avance les problèmes auxquels le gouvernement fera face sur la durée du mandat.
Dans ces conditions, un votant peut trouver les idéologies utiles p+rce qu’elles retirent la nécessité
de comparer chaque sujet à sa propre conception de « la bonne société ». » En bref, les idéologies
seraient pratiques pour éviter de se poser des questions et le votant pourrait « voter rationnellement
en comparant les idéologies plutôt que les mesures ».23 Il n’évoque à aucun moment le procédé de
conception de ce « choix rationnel », qui apparaît comme une tautologie : l’acteur a par définition
intérêt à faire ce qu’il fait, donc il est rationnel pour lui de le faire.
Ainsi, soit ce concept est absurde (la compréhension réelle de la population des enjeux des élections
étant abyssale), soit c’est une tautologie.
Enfin, en sociologie, il y a de nombreuses études sur le lien entre diverses variables (ex :
lieu de résidence) et le vote, mais cela n’apporte pas d’élément pertinent pour appréhender la
question qui nous intéresse.
S’agissant de la dimension psychologique du vote, elle est présentée comme un « chaînon
manquant » par P. Braud (2016). Il conclut :
« Nous savons encore très peu de chose sur la manière dont les citoyens, êtres humains
vulnérables à la peur, avides d'espoir, soucieux de reconnaissance, prompts (pour
certains) à l'indignation, forment réellement leur jugement politique. Ce qui ne fait pas
de doute, c'est que la part du calcul rationnel conscient y est assez faible. » (Braud 2016,
p.447)
Voir la politique comme une économie du bullshit (et la logique hédoniste sous-jacente) permettrait
d’ouvrir de nouvelles pistes de compréhension de la politique.
23 Traduit de l’anglais.
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