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De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins : la co-production de la violence en Afghanistan, au Mali et au TchadFrom the “war on terror” to endless wars: The co-production of violence in Afghanistan, Mali and Chad

Authors:

Abstract

Quels sont les effets des interventions armées menées au nom de la « guerre contre le terrorisme » ? Fondé sur des études de cas localisées, en Afghanistan, au Mali et au Tchad, l’article invite à repenser les présupposés de l’interventionnisme et montre pourquoi la « guerre contre le terrorisme » ne peut être « gagnée » au sens classique du terme et comment elle contribue à perpétuer les conflits et à miner leur résolution. Si chaque configuration est singulière, on retrouve dans ces trois pays des processus similaires de perpétuation des conflits et de co-production de la violence armée par un ensemble d’acteurs internationaux et locaux.
Cultures & conits
Sociologie politique de l’international
123-124 | Automne-hiver 2021
Guerre et contre-terrorisme
De la «guerre contre le terrorisme» aux guerres
sans fins: la co-production de la violence en
Afghanistan, au Mali et au Tchad
From the “war on terror” to endless wars: The co-production of violence in
Afghanistan, Mali and Chad
Bruno Charbonneau, Marielle Debos, Jean-Paul Hanon, Christian Olsson et
Christophe Wasinski
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/conits/23194
DOI : 10.4000/conits.23194
ISSN : 1777-5345
Éditeur :
CECLS - Centre d'études sur les conits - Liberté et sécurité, L’Harmattan
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2021
Pagination : 67-82
ISBN : 978-2-14-020646-7
ISSN : 1157-996X
Référence électronique
Bruno Charbonneau, Marielle Debos, Jean-Paul Hanon, Christian Olsson et Christophe Wasinski, «De
la «guerre contre le terrorisme» aux guerres sans ns: la co-production de la violence en Afghanistan,
au Mali et au Tchad», Cultures & Conits [En ligne], 123-124|Automne-hiver 2021, mis en ligne le 01
janvier 2025, consulté le 09 janvier 2025. URL: http://journals.openedition.org/conits/23194 ; DOI:
https://doi.org/10.4000/conits.23194
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, chiers
annexes importés) sont «Tous droits réservés», sauf mention contraire.
De la « guerre contre le terrorisme »
aux guerres sans fins : la co-production
de la violence en Afghanistan,
au Mali et au Tchad
Bruno CHARBONNEAU, Marielle DEBOS, Jean-Paul HANON,
Christian OLSSON, Christophe WASINSKI
Bruno Charbonneau est professeur titulaire en études internationales et directeur
du Centre sur la gouvernance sécuritaire et de crise (CRITIC) au Collège militaire
royal de Saint-Jean, Canada.
Marielle Debos est maîtresse de conférences en science politique, chercheuse à
l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP), membre junior de l’Institut
Universitaire de France.
Jean-Paul Hanon est chercheur associé au Centre de recherche des Écoles de
Coëtquidan (CREC Saint-Cyr).
Christian Olsson est professeur de science politique (relations internationales) à
l’Université libre de Bruxelles (ULB) et directeur de son centre de recherche en
relations internationales, le REPI (Recherche et études en politique internationale).
Christophe Wasinski est professeur en sciences politiques (relations internationales)
à l’Université libre de Bruxelles et membre du centre Recherche et études en poli-
tique internationale (REPI) 1
Les interventions militaires menées au nom de la lutte contre le « terro-
risme » par des États tels que les États-Unis, la France et la Grande-
Bretagne sont souvent conçues et présentées comme des solutions strictement
exogènes aux problèmes d’insécurité qu’elles sont censées solutionner. Le
terme même d’interventions laisse en outre penser que celles-ci seraient excep-
1 . Les auteurs remercient Yves Buchet de Neuilly pour ses commentaires sur une première ver-
sion du texte.
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tionnelles, ponctuelles et purement réactives plutôt que routinisées, durables
et/ou récurrentes 2. Cette conception des interventions comme solutions per-
met d’asseoir une interprétation souvent simpliste, anhistorique et localiste
des causes de la violence transnationale. Ce faisant, elle jette un voile sur la
manière dont l’interventionnisme s’imbrique dans les dynamiques conflic-
tuelles. Cet article, qui s’inscrit dans les approches critiques des interventions
internationales et de la « guerre contre le terrorisme 3 », vise justement à saisir
cette imbrication. Il montre pourquoi la « guerre contre le terrorisme » ne
peut être gagnée au sens classique du terme et comment elle contribue à perpé-
tuer ou même à exacerber des conflits.
Notre argument est que, lors des interventions, la violence est co-produite
par les acteurs locaux et internationaux. Autrement dit, les interventions finis-
sent par devenir une composante du problème qu’elles affirment vouloir
résoudre. Il ne s’agit pas pour nous de pratiquer l’inversion accusatoire, qui
consisterait à affubler les intervenants du mal qu’ils attribuent au terrorisme,
ni à produire un contre-discours visant à réfuter point par point les arguments
des discours favorables aux interventions. Fondée sur trois études de cas,
l’Afghanistan, le Mali et le Tchad, notre analyse s’inscrit plutôt dans une
réflexion sociologique critique et distanciée et vise à saisir quelles consé-
quences concrètes résultent des interventions menées contre le « terro-
risme » 4.
Chacun des pays étudiés a une histoire et une place distinctes dans la
« guerre contre le terrorisme ». L’Afghanistan en a été le véritable laboratoire
après 2001. Le Mali et le Sahel se sont retrouvés au cœur de la stratégie de la
France depuis l’opération Serval lancée en 2013 5. Si le Mali est un pays d’in-
tervention, le Tchad est un allié de la France dans cette guerre menée au Sahel
et au Sahara. Chaque configuration est singulière : les conflits ne sont pas les
mêmes, les temporalités et les modes d’insertion dans la « guerre contre le ter-
rorisme » non plus. Le choix des études de cas est lié aux zones d’expertise des
co-auteurs mais aussi à l’intérêt d’étudier trois terrains d’intervention cruciaux
où l’armée française a une place importante (Afghanistan) et centrale (Sahel-
Sahara). On retrouve dans les trois pays étudiés (mais aussi en Somalie, en Irak
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2 . Olsson C., “Interventionism as Practice: On ‘Ordinary Transgressions’ and their
Routinization”, Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 9, n°4, 2015, pp. 425-441.
3 . Delori, M., Ce que vaut une vie, Théorie de la violence libérale, Paris, Éditions Amsterdam,
2021 ; Fassin D., Pandolfi M. (eds.), Contemporary States of Emergency: The Politics of
Humanitarian Intervention, New York, Zone, 2010 ; Derek G., The Colonial Present,
Oxford, Blackwell, 2004 ; Khalili L., Times in the Shadows. Confinment in
Counterinsurgencies, Stanford, Stanford University Press, 2013 ; Owens P., Economy of
Force: Counterinsurgency and the Historical Rise of the Social, Cambridge, Cambridge
University Press, 2015.
4 . Baczko A., Dorronsoro G., « Pour une approche sociologique des guerres civiles », Revue
française de science politique, vol. 67, n°2, 2017, pp. 309-327.
5 . Les autorités françaises ont récemment annoncé qu’elles envisageaient un retrait – qui semble
plutôt une réorganisation – de Barkhane.
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ou au Yémen) des processus similaires de perpétuation des conflits et de co-
production de la violence armée par un ensemble d’acteurs internationaux et
locaux 6. Les pratiques contre-insurrectionnelles et les registres de justifica-
tion des interventions circulent, quant à eux, d’une région du monde à une
autre et se retrouvent dans les trois cas étudiés.
Dans la guerre contre le terrorisme, la posture classique des autorités est
qu’on ne discute pas avec les terroristes. Selon certains thuriféraires des inter-
ventions, les « terroristes ne comprendraient que la force 7 ». En fait, le label
de terroriste – comme celui de seigneur de guerre 8 – tend à nier la dimension
politique de la violence. Pour les défenseurs des interventions, les « terro-
ristes » se définissent souvent comme des acteurs extrémistes et irrationnels
dont le point de vue ne mérite pas d’être pris sérieusement en considération 9.
Le concept de terrorisme est imprégné d’un jugement moral ; son usage ren-
voie à la question du type ou du niveau de violence toléré par l’autorité éta-
tique 10. Combiné à la notion de guerre, le recours au concept de terrorisme
est indissociable d’une stratégie plus large de légitimation de la violence, qui
exclut les options qui ne passent justement pas par l’emploi des moyens
(para)militaires 11. Comme le montrent nos analyses, cela devient rapidement
un problème pour (ou dans) la guerre elle-même. En effet, en labellisant
comme terroristes l’ensemble des acteurs combattants – organisations terro-
ristes mais aussi factions indépendantistes, bandes criminelles, groupes d’au-
todéfense – on rend plus difficile, voire impossible, la recherche d’une solu-
tion politique à la violence. Cela est d’autant plus problématique lorsque l’en-
nemi se révèle être, non pas un groupuscule inorganisé et coupé de toute base
sociale, mais une force politique et militaire qu’il faudra tôt ou tard reconnaî-
tre comme telle. Lorsque les labellisations terroristes perdurent, elles tendent
à imposer leur logique propre au détriment des solutions politiques. Tels sont
certains des problèmes posés par le « terrorisme », un concept « expert » aux
contours flous mais dont l’appropriation politique et médiatique est aisée 12.
6 . Shadid A., Night Draws Near. Iraq’s People in the Shadow of America’s War, New York,
Henry Holt, 2005 ; Hagan, J., Kaiser J., Hanson A., Iraq and the Aggressive War. The Legal
Cynicism of Criminal Militarism, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Harper M.,
Getting Somalia Wrong? Faith, War and Hope in a Shattered State, Londres, Zed Books,
2012 ; Burgat F., « Le Yémen après le 11 septembre 2001 : entre construction de l’État et rétré-
cissement du champ politique », Critique internationale, n°32, 2006, pp. 9-21 ; Bonnefoy L.,
Le Yémen. De l’Arabie heureuse à la guerre, Paris, Fayard, 2017.
7 . Pour une critique de ce discours, voir Brown K., “ All They Understand Is Force: Debating
Culture in Operation Iraqi Freedom”, American Anthropologist, vol. 110, n°4, décembre
2008, pp. 443-453.
8 . Marchal R., “Warlordism and Terrorism: How to Obscure an Already Confusing Crisis?
The Case of Somalia”, International Affairs, vol. 83, n°6, 2007, pp. 1091-1106.
9 . Ils peuvent néanmoins se voir reconnaître des compétences techniques et tactiques.
10. Asad T., Attentats-suicides. Questions anthropologiques, Paris, Zones sensibles, 2018.
11. Mégret F., “‘War’? Legal Semantics and the Move to Violence”, European Journal of
International Law, vol. 13, n°2, 2002, pp. 361-399.
12. Stampnitzky L., Disciplining Terror: How Experts Invented “Terrorism”, Cambridge,
Cambridge University Press, 2013.
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13. Bayart J.-F., « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internatio-
nale, n°5, 1999, pp. 97-120.
14. Keen D., Useful enemies. When Waging Wars is More Important than Winning Them, New
Haven, Yale University Press, 2012.
15. Un processus similaire a permis de mettre fin à la deuxième guerre du Golfe, voir : Olsson C.,
« Méconnaître pour reconnaître ? La “stratégie de sortie” américaine d’Irak ou comment faire
de nécessité vertu », Cultures & Conflits, n°87, 2012, pp. 187-214.
16. Keen D., Endless War? Hidden Functions of the “War on Terror”, Londres, Pluto Press, 2006.
L’article vise à montrer que le recours aux pratiques guerrières nourrit des
cycles provocation/répression qui peuvent être recherchés par les groupes
armés. C’est notamment de la répression que certains d’entre eux tirent leur
crédibilité opérationnelle et politique. Répression et dégradation des condi-
tions de vie locale font aussi émerger des opportunités. Les acteurs sociaux et
politiques, qui deviennent de véritables entrepreneurs, ont alors recours à des
stratégies d’extraversion 13 pour capter les ressources de la guerre et du déve-
loppement. Notons enfin que la guerre n’est pas seulement utile aux acteurs
locaux ; elle l’est aussi à certaines catégories d’acteurs « occidentaux » (déci-
deurs politiques désirant paraître inflexibles, professionnels de la défense y
trouvant une confirmation de leur raison d’être professionnelle ou encore
fabricants d’armes) 14.
Afghanistan : du mythe du sanctuaire enclavé à l’état d’intervention
permanente
Des guerres sans fin à la fin d’une guerre
Les interventions anti-terroristes ont une tendance à s’auto-perpétuer,
voire à se pérenniser. La première raison est qu’en interdisant a priori toute
négociation avec l’ennemi « terroriste », on rend impossible lagociation
d’une fin au conflit, la seule issue étant une bien illusoire victoire totale.
Comment faire la guerre à un adversaire avec lequel on n’est pas prêt à négo-
cier ? En dépit des prises de position grandiloquentes initiales, guerre et négo-
ciation finissent généralement par se rejoindre aux termes d’un long processus
et de nombreuses contorsions rhétoriques. C’est ce que montre la guerre de
l’OTAN en Afghanistan 15. Une deuxième raison est que les dispositifs sécuri-
taires mis en place par les forces intervenantes sont tributaires de la collabora-
tion de leurs alliés locaux, eux-mêmes dépendants des intervenants pour la
consolidation de leur pouvoir. Ce faisant, l’interdépendance dans la guerre se
mue rapidement en dépendance à la guerre 16. Le domaine de la guerre s’étend
progressivement.
L’intervention post-11 septembre 2001 en Afghanistan est à cet égard
emblématique. D’abord, on peut remarquer que cette invasion par une coali-
tion ad hoc n’est pas le début des guerres d’Afghanistan. Celles-ci commen-
cent en 1979 avec l’invasion soviétique et le soutien américain, pakistanais et
saoudien aux Moudjahidines (dont les futurs Talibans), suivi par la guerre
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civile intra-Moudjahidine après le retrait soviétique, la prise de pouvoir par les
Talibans en 1996 et la guerre de ces derniers contre l’Alliance du Nord soute-
nue notamment par la France, la Russie et l’Iran. Le gouvernement afghan
officiellement reconnu par les pays occidentaux en 2001 est d’ailleurs celui
auquel l’Alliance du Nord est alors restée fidèle.
Les guerres d’Afghanistan ne marquent pas davantage le début du lien
entre accroissement du pouvoir coercitif exercé par l’État afghan en interne et
« aide » militaire extérieure. Ce lien se tisse au début du XIXe siècle. Il prend
alors la forme de la tentative de clientélisation concurrentielle de la monarchie
afghane par l’empire russe et britannique. Il est au cœur de la première guerre
anglo-afghane entre 1839 et 1842. Depuis lors, l’histoire afghane est rythmée
par des interventions militaires ou militaro-diplomatiques, qui tantôt renver-
sent ou fragilisent le pouvoir central, tantôt le consolident. Cela étant dit, les
périodes de consolidation se nourrissent davantage de la mise en concurrence
des puissances extérieures (Royaume-Uni et Russie, États-Unis et URSS…)
par le pouvoir afghan que d’occupations militaires qui ont plutôt tendance à
exacerber les divisions politiques internes 17.
Lancée avec l’objectif de démanteler le réseau Al-Qaïda, l’invasion de
novembre 2001 prolonge cette histoire au long cours ; notamment par son
incapacité à imposer son ordre politique par la force militaire. Elle la prolonge
également de par la mise en place d’une logique de clientélisation de la nou-
velle élite politique afghane, clientélisation qui ne parvient pourtant pas à
ancrer son pouvoir en dehors des grandes villes. La guerre contre le terrorisme
constituera d’autant plus une aubaine pour ces élites politiques que l’objectif
de destruction d’Al-Qaïda s’élargira progressivement à l’anéantissement des
Talibans, à la construction d’un nouvel État et à l’établissement d’une démo-
cratie libérale.
Sélections adverses et incitations perverses du failed state-building
La rente du contre-terrorisme international représentant une manne
indispensable à la nouvelle élite afghane post-2001, il n’est pas étonnant que
celle-ci ait été aussi peu prompte à faciliter le retrait des troupes de la coalition.
Pourtant, du point de vue « occidental », la consolidation du pouvoir gouver-
nemental est une condition du retrait. Plus généralement, la dépendance des
forces internationales par rapport aux élites dirigeantes des pays d’interven-
tion permet souvent à ces dernières de différer toute réforme qui ne leur serait
pas favorable, qu’il s’agisse de lutter contre la corruption, empêcher la fraude
17. Barfield T., Afghanistan: A Cultural and Political History, Princeton, Princeton University
Press, 2010 ; Rubin B.R., The Fragmentation of Afghanistan: State Formation and Collapse in
the International System, New Haven, Yale University Press, 1995 ; Dorronsoro G., La révo-
lution afghane, Paris, Karthala 2000.
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électorale ou discipliner des forces de sécurité trop portées à la répression…,
reconduisant ainsi la problématique de la mobilisation violente de leur oppo-
sition politique 18.
Ces structures incitatives perverses créées par le contre-terrorisme s’illus-
trent également au niveau de l’allocation des ressources internationales entre
les provinces et districts afghans. Ainsi, l’idée que l’aide auveloppement
apportée par les pays intervenants participe de la lutte contre le terrorisme a eu
des effets pour les moins contre-productifs. Cette politique a de fait, en réalité,
logiquement été lue par les acteurs afghans comme défavorisant les provinces
les plus stables au profit des régions davantage sujettes à la violence politique.
Maintes fois, des attaques dans les provinces considérées comme délaissées par
l’aide internationale ont été soupçonnées d’avoir été fomentées par des acteurs
locaux dans le seul but d’attirer des projets de réhabilitation visant à lutter
contre l’instabilité naissante 19. Même les Talibans ont su tirer bénéfice de
l’économie politique de la « guerre contre la terreur », détournant à leur béné-
fice une partie significative des fonds alloués par les autorités militaires améri-
caines à la sécurisation des périmètres extérieurs des bases et des convois logis-
tiques, cela notamment par le racket, voire l’infiltration, des entreprises de
sécurité locales contractant avec les forces internationales 20.
Le cadrage manichéen des interventions contre-terroristes contempo-
raines, dans lequel les « populations locales » sont tantôt victimes passives à
sauver, tantôt bourreaux à punir, ne permet pas de saisir la capacité d’acteurs
divers à jouer de ces narrations internationales pour promouvoir leurs intérêts
propres. Une approche critique des interventions menées au nom de la lutte
contre le terrorisme doit ainsi tenir compte des structures d’incitation pro-
duites, intentionnellement ou non, pour les élites de ces pays. Que la chasse
tous azimuts aux Talibans ait à maintes reprises conduit des notables afghans à
accuser leurs rivaux d’être liés à l’insurrection pour déclencher des bombarde-
ments aériens à leur encontre, illustre comment le contre-terrorisme a pu se
trouver détourné de sa vocation initiale 21. Les intervenants ne sont pourtant
pas dupes de ces formes d’instrumentalisation du contre-terrorisme, l’accep-
tant parfois même au nom du soutien mutuel entre alliés locaux et internatio-
naux.
18. Dorronsoro G., Le gouvernement transnational de l’Afghanistan, Paris, Kartala, 2021. Le
même phénomène a été observé au Sahel : Pérouse de Montclos M.-A., Une guerre perdue. La
France au Sahel, Paris, JC Lattès, 2020.
19. Kilcullen D., Out of the Mountains: The Coming Age of the Urban Guerrilla, Oxford,
Oxford University Press, 2013.
20. Olsson C., “Coercion and Capital in Afghanistan: The Rise, Transformation & Fall of the
Afghan Commercial Security Sector”, in Berndtsson J., Kinsey C. (eds.), The Routledge
Research Companion to Outsourcing Security, New York et Londres, Routledge, 2016,
pp. 41-51.
21. Martin M., An intimate war: an oral history of the Helmand conflict, Londres, Hurst & Co,
2014 ; Malkasian, C., War comes to Garmser. Thirty years of conflict on the Afghan frontier,
Oxford, Oxford University Press, 2013.
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22. Malejacq R., Olsson C., « Reculer pour mieux sauter ? Délégation et monopolisation de la
violence en Afghanistan », Revue Canadienne de Science Politique, publié en ligne en juin
2021, pp. 1-16 [doi : 10.1017/S0008423921000330].
Les interdépendances entre forces intervenantes et forces locales produi-
sent des effets aléatoires et peu maitrisables dans la lutte contre le terrorisme,
effets qui sont pourtant faciles à comprendre dès lors que l’on rend compte
des intérêts et de la réflexivité des acteurs locaux. Elles créent des incitations
négatives qui font apparaître ces interventions comme une partie du problème.
On notera ainsi qu’en Afghanistan le fait que les forces internationales soient
parfois intervenues dans des équilibres locaux précaires en armant des milices
locales considérées comme fidèles au gouvernement, a souvent eu l’effet de
pousser les factions opposées à celles-ci dans les bras des Talibans 22. C’est
notamment ce qui explique la chute de la ville de Kunduz en 2015 dans les
mains des Talibans, les milices de l’Afghan local police (ALP) armées par les
Américains ayant largement polarisé la situation autour de la ville dans les
mois précédents.
Ces mécanismes ne sont d’ailleurs pas étrangers à la prise de pouvoir ful-
gurante par les Talibans et l’effondrement catastrophique du gouvernement
afghan en septembre 2021. En effet, tant que la coalition internationale était
présente, les élites politiques et militaires afghanes n’avaient pas intérêt à faire
du zèle dans la guerre contre les Talibans sous peine de devoir payer elles-
mêmes un prix qu’elles avaient jusque-là réussi à faire payer par les interve-
nants. D’un autre côté, les États-Unis avaient tout intérêt à menacer le gouver-
nement afghan de vouloir se retirer pour le pousser à agir avec davantage d’ef-
ficacité et avec moins de détournements de biens publics.
Ainsi, on peut aisément imaginer pourquoi, lorsque le président Joe Biden
annonce le retrait définitif des troupes américaines début 2021, beaucoup au
sein de l’administration afghane croient à un stratagème politique. De la même
façon, l’administration Biden a pu croire que les premières débâcles gouverne-
mentales face aux Talibans étaient sinon voulues, du moins utilisées stratégi-
quement par le gouvernement afghan dans l’espoir d’un revirement de la posi-
tion américaine. Manifestement, sans succès. Paradoxalement, si le gouverne-
ment afghan s’est effondré de manière aussi rapide en 2021, ce n’est pas seule-
ment parce qu’il était bancal, mais aussi parce que la présence internationale
s’était pérennisée au point d’être considérée comme acquise. C’est là aussi un
des problèmes centraux de ces guerres d’occupation : si on n’annonce pas dès
le début son intention de retrait rapide, on dispense le gouvernement local
d’investir dans son propre futur. Inversement, si on annonce son intention de
se retirer rapidement, ceux-là mêmes que l’on dit combattre n’ont plus qu’à
temporiser et à attendre ce retrait sans combattre.
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Mali : l’évolution continue du dispositif militaire français en Afrique
Un certain discours veut que le Sahel soit aux Français ce que
l’Afghanistan a été aux Américains 23. Depuis le lancement de l’opération
Serval en 2013, les comparaisons entre ces deux conflits ont fusé de toutes
parts, malgré les avertissements des chercheurs à propos des limites et des dan-
gers de ce jeu comparatif 24. Ces comparaisons avec l’Afghanistan ont servi
divers agendas politiques, dont celui de promouvoir l’engagement français au
Sahel comme une contribution aux efforts globaux dans la « guerre contre le
terrorisme » ou celui de remettre en cause cet engagement face au risque de
l’enlisement. Plus concrètement, via le transfert des expertises, les expériences
contre-insurrectionnelles des armées européennes en Afghanistan ont nourri
et continuent de nourrir l’approche militaire prônée au Sahel 25.
Malgré les critiques de la présence française, le conflit malien, les opéra-
tions Serval et Barkhane et la « guerre contre le terrorisme » au Sahel ont
renouvelé la légitimité de la posture militaire française en Afrique qui, doit-on
le répéter, est un élément historique, permanent et intégral de l’État postcolo-
nial africain francophone 26. L’incapacité de l’État malien à monopoliser la
violence ou à asseoir son autorité continue de contribuer à la construction de
cet espace permettant aux interventions militaires et politiques d’exister et de
prendre forme 27. Le lancement rapide et (à l’origine) unilatéral de l’opération
Serval en janvier 2013 est impossible sans ce dispositif historique que sont les
bases militaires en sol africain et les relations proches entre élites franco-afri-
caines. La fondation militaire de ce dispositif est transformée en 2014 avec la
création de l’opération Barkhane. Produit de la fusion de l’opération Serval et
de l’opération Épervier (lancée en 1986 au Tchad), la logique fondatrice de
Barkhane est celle de la « guerre contre le terrorisme » qui octroie une légiti-
mité nouvelle à la politique militaire de la France en Afrique, tout en redessi-
nant l’espace opérationnel vers le nord, soit la région du dit Sahel (les pays du
G5 Sahel : Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie et Tchad).
À plusieurs égards, Barkhane n’est pas seulement une action contre le ter-
rorisme, mais un constat d’échec de décennies de présence militaire française
dans la zone sahélienne, d’accords de coopération militaire qui devaient
23. Ce discours est répandu au point où la ministre des Armées, Florence Parly, a cru bon de
refuser publiquement le parallèle dans le contexte du retrait américain en Afghanistan.
Barotte N. « Parly refuse le parallèle entre le Sahel et l’Afghanistan », Le Figaro, 13 septembre
2021.
24. Malejacq R., Sandor A., Sahelistan? Military Intervention and Patronage Politics in
Afghanistan and Mali”, Civil Wars, vol. 22, n°4, 2020, pp. 543-566.
25. Charbonneau B., “Counterinsurgency Governance in the Sahel”, International Affairs,
Vol. 97, n°6, 2021, pp. 1805-1823.
26. Charbonneau B., “The Imperial Legacy of International Peacebuilding: The Case of
Francophone Africa”, Review of International Studies, vol. 40, n°3, 2014, pp. 607-630.
27. Charbonneau B., « De Serval à Barkhane : les problèmes de la guerre contre le terrorisme au
Sahel », Les Temps modernes, avril-juillet 2017, n°693-694, pp. 322-340.
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De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins… - B CHARBONNEAU et al. 75
construire et professionnaliser les armées africaines et des politiques françaises
et internationales qui devaient développer les États sahéliens. Contrairement
aux interventions françaises du passé, cependant, la logique de « guerre contre
le terrorisme » internationalise l’espace d’engagement. Il devient ainsi difficile
de se limiter aux relations franco-africaines. En effet, Barkhane est partielle-
ment dépendante de l’aide militaire américaine (transports stratégiques, ren-
seignement, appui financier), du soutien et des contributions des membres de
l’Union européenne et autres pays européens et de la coopération des gouver-
nements africains concernés, tout en étant fort utile à tous. Les États-Unis
perçoivent une menace terroriste au Sahel, mais pas un intérêt national assez
significatif pour s’y investir davantage. L’Union européenne est préoccupée
par les flux migratoires et les trafics qui pourraient déstabiliser l’Europe. Les
gouvernements africains y trouvent leur compte, Barkhane assurant la sécurité
– ou étant censée l’assurer – et la stabilité des régimes du G5 Sahel, même si ces
régimes ont changé de mains. La restructuration du dispositif militaire fran-
çais à la suite de l’opération Serval rétablit ainsi un état d’intervention militaire
permanent. L’opération Barkhane est au cœur d’une restructuration fonda-
mentale de la gouvernance régionale sécuritaire, mais cette restructuration
dépasse largement le cadre des relations franco-africaines bien qu’elle soit
ancrée dans celles-ci 28.
Au-delà de la trame contre-terroriste
En 2012, l’émergence de la violence au Mali était et demeure intimement
liée au problème de l’État, de sa légitimité et de la moralité des systèmes de
répartition des ressources et des pouvoirs 29. La menace terroriste au Sahel est
bien loin d’être le seul enjeu et est, à bien des égards, l’un des résultats des fai-
blesses intrinsèques de l’État plutôt qu’une cause 30. C’est dans ce contexte
historique de formation étatique que s’insère une zone d’exception permettant
une intervention militaire française qui fait fi des dilemmes et des obstacles de
divers régimes de souveraineté, dont ceux des États et des organisations régio-
nales africaines 31. Les pratiques démocratiques et les droits de la personne
sont ainsi considérablement minés par la militarisation et la sécurisation des
politiques et des pratiques de « stabilité » visant le Sahel. Un appui sans faille à
la stabilisation peut favoriser l’instabilité, comme le suggèrent les deux coups
d’État au Mali en août 2020 et en mai 2021, car cela revient à accepter des pra-
tiques et des régimes douteux ; ces derniers ayant en partie alimenté les
conflits au départ. Au final, les enjeux actuels peuvent être définis comme la
renégociation (violente) de l’ordre politique postcolonial 32. Il importe de ne
28. Charbonneau B., “Counterinsurgency Governance in the Sahel”, op. cit.
29. Sears J., Espoirs de gouvernance déçus et crise persistante au Mali, Montréal, Centre
FrancoPaix, 2017.
30. Baudais V., Les trajectoires de l’État au Mali, Paris, L’Harmattan, 2016.
31. Bagayoko N., Le multilatéralisme sécuritaire africain à l’épreuve de la crise sahélienne,
Montréal, Centre FrancoPaix, 2019.
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32. Bøås M., Strazzari F., “Governance, Fragility and Insurgency in the Sahel: a hybrid political
order in the making”, International Spectator, vol. 55, n°4, 2020, pp. 1-17 ; Hüsken T., Klute
G., “Political orders in the making: emerging forms of political organization from Libya to
Northern Mali”, African Security, vol. 4, n°8, 2015, pp. 320-337.
Cultures & Conflits n°123/124 - automne/hiver 2021
76
pas sous-estimer la question de la légitimité des régimes politiques en place et
des liens avec une « guerre contre le terrorisme ».
En effet, la visibilité grandissante des forces militaires françaises, améri-
caines et européennes semble avoir renforcé les activités des groupes djiha-
distes plutôt que d’avoir discrédité leur idéologie. L’accent mis sur une straté-
gie de stabilisation peut se traduire ou être perçu comme un appui ferme à des
régimes politiques autoritaires, peu représentatifs ou de transition, ce qui tend
à délégitimer l’action internationale, celle-ci étant alors perçue par plusieurs
segments de la population comme alliée de régimes autoritaires nationaux ou
subnationaux. L’histoire des interventions militaires françaises ne manque pas
d’exemples à cet égard. Comme les justifications au temps de la guerre froide,
la « guerre contre le terrorisme » a tendance à obscurcir, négliger, cacher, ou
même exacerber ces enjeux fondamentaux.
Au Mali, au-delà des groupes terroristes, ce sont les violences intercom-
munautaires dans le centre du pays qui posent le plus grand défi de la résolu-
tion des conflits. Elles illustrent aussi la polarisation de la société, minent la
confiance locale envers les missions de l’ONU et la France et alimentent les
conflits. Par exemple, à la suite d’intenses violences dans la région de Mopti
opposant des communautés peules et dogons, soutenues par des milices com-
munautaires armées, des brigades d’autodéfense et des groupes djihadistes, à
partir de 2018 la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des
Nations Unies pour la Stabilisation au Mali) a reçu le mandat de réorienter ses
activités vers les régions du centre du Mali. En soutenant l’État malien pour
réaffirmer son autorité sur cet espace, la MINUSMA a enquêté sur des viola-
tions généralisées des droits humains par des acteurs non étatiques. Les massa-
cres à grande échelle perpétrés en 2019 dans les villages d’Ogossagou-Peul et
de Sobane Da, et les enquêtes menées ensuite par la mission sur ces incidents,
ont eu pour effet d’accroître les tensions entre ces communautés. La milice
Dogon (Dan Na Ambassagou) rend la MINUSMA responsable du massacre
de Sobane Da en faisant allusion à son implication dans le massacre
d’Ogossagou-Peul. Des groupes djihadistes opérant dans le centre du Mali
soutiennent que la MINUSMA est complice de la mort des villageois peuls à
Ogossagou-Peul puisqu’elle soutient les autorités maliennes qui ont conclu
des accords avec les chefs de la milice dogon. Ainsi, les activités de surveillance
des droits de l’Homme de la MINUSMA sont affectées par les perceptions
locales selon lesquelles la mission de l’ONU n’est pas impartiale, étant donné
ses relations avec les forces françaises. Même au sein de la mission, l’un d’entre
nous a été témoin de tensions importantes entre la division des droits de
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33. Observation de terrain, Bamako, juin 2018. Depuis, la division des droits de l’homme semble
avoir réussi à se faire entendre davantage : voir MINUSMA, Division des droits de l’homme
et de la protection, Rapport sur l’incident de Bounty du 3 janvier 2021, UN doc., mars 2021.
34. Sur les perceptions locales de la MINUSMA, voir Sabrow S., “Local perceptions of the legiti-
macy of peace operations by the UN, regional organizations and individual states – a case
study of the Mali conflict”, International Peacekeeping, vol. 24, n°1, 2017, pp. 159-186.
35. Sandor A., “The power of rumour(s) in international interventions: MINUSMA’s manage-
ment of Mali’s rumour mill”, International Affairs, vol. 96, n°4, 2020, pp. 913-934.
De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins… - B CHARBONNEAU et al. 77
l’Homme et les objectifs de stabilisation, les premiers affirmant que leur tra-
vail était entravé et que les résultats des enquêtes étaient écartés au nom de la
lutte contre les terroristes, en particulier lorsque les violations concernent les
forces de sécurité de l’État hôte 33.
Une partie de la population malienne attendait de la MINUSMA et des
autres forces internationales qu’elles combattent et soumettent rapidement
tous les groupes armés du pays, et pas seulement les forces djihadistes. La
MINUSMA se retrouve dans une position difficile : son mandat, le soutien au
processus de paix et à la « restauration de l’autorité de l’État », implique de
travailler avec les groupes armés signataires du nord du Mali. Or, de nom-
breux Maliens (surtout près du pouvoir à Bamako) considèrent ces groupes
comme des ennemis terroristes ou associés aux groupes terroristes et estiment
donc que les relations de la MINUSMA avec ces groupes relèvent de la com-
plicité 34. Ainsi, la mission de maintien de la paix et les opérations contre-ter-
roristes se mélangent, tant en pratique que dans les perceptions. Cela diminue
la légitimité opérationnelle des processus de résolution des conflits, condui-
sant au développement des théories de conspiration selon lesquelles la com-
munauté internationale est réellement au Mali pour un jour acquérir ses res-
sources naturelles, ou pour un jour aider à créer un État touareg 35.
Le soutien de la « communauté internationale » à la stabilisation de la
situation sécuritaire, au rétablissement de l’autorité de l’État et sa logique de
lutte contre les formes non étatiques de violence (les priorités identifiées dans
le mandat de la MINUSMA) bloquent nécessairement d’autres mécanismes
d’arbitrage politique et de dialogue. Les communautés locales, qui peuvent
avoir des relations ténues avec les administrations centrales de l’État, sont dés-
avantagées si elles n’ont pas accès à la table des négociations, ce qui risque
d’amener certains de leurs membres à rechercher des moyens plus radicaux et
plus violents de répondre à leurs griefs politiques. Par exemple, le refus fran-
çais de considérer les négociations avec les groupes armés terroristes exclut les
pratiques de résolution des conflits à grande échelle au profit d’approches qui
reposent sur l’utilisation de la force coercitive par l’État ou ses alliés contre-
terroristes. La labellisation de terroriste interdit aux acteurs de la « guerre au
terrorisme » toute négociation formelle ou informelle avec les adversaires. Or,
de telles négociations sont souhaitées par l’exécutif malien et une partie de la
population malienne, comme le rappelait Moktar Ouane, premier ministre du
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36. Carayol R., « Le Mali contre la France ? Le défi des négociations avec les ‘terroristes’ »,
Orient XXI, 7 décembre 2012.
37. Ibid.
38. Charbonneau B., “Intervention as counter-insurgency politics”, Conflict, Security &
Development, vol. 19, n°3, 2019, pp. 309-314.
39. Scheele J., « L’Afrique militarisée : perspectives historiques », Politique africaine, n°161-162,
2021, pp. 165-188.
40. Debos M., Living by the Gun in Chad: Combatants, Impunity, and State Formation,
Londres, Zed Books, 2016.
Cultures & Conflits n°123/124 - automne/hiver 2021
78
gouvernement de transition du coup d’août 2020 (mais renversé par le coup de
mai 2021) aux autorités françaises 36. De plus, ces négociations sont parfois
même déjà entamées par les pouvoir locaux. De micro-accords de paix sont
négociés et mis en œuvre bien malgré les obstacles nationaux et internatio-
naux. Niagalé Bakayoko estime qu’en « ne voulant pas négocier avec les terro-
ristes et uniquement avec les signataires de l’accord de paix de 2015, [Jean-
Yves Le Drian] ne se concentre que sur la situation dans le Nord Mali. Il omet
donc une grande partie de la crise actuelle, notamment dans le centre et le sud
du pays, mais aussi au Burkina Faso ou encore au Niger 37 ». La vision mili-
taire technique de la « guerre contre le terrorisme » s’impose ainsi au détri-
ment d’une prise en considération des dynamiques politiques locales et mine
régulièrement les efforts locaux de résolution des conflits.
Tchad : L’armée française et la formation d’un État militarisé
L’étrange banalité de Barkhane
Si la militarisation du Sahel s’est accélérée depuis le déclenchement de
l’opération Serval au Mali en 2013, la « guerre contre le terrorisme » n’est que
le dernier épisode d’une histoire bien plus longue. Le Tchad a une place à la
fois centrale et singulière dans cette histoire. Vue du Tchad, la « guerre contre
le terrorisme » n’est en effet qu’un moment dans une trajectoire beaucoup
plus longue de militarisation du Sahel et du Sahara, remettant en question la
distinction entre la « guerre contre le terrorisme » et les autres formes d’inter-
vention militaire 38.
La militarisation de l’Afrique est en effet un processus multiforme et
réversible qui a été alimenté autant par des acteurs internes qu’externes 39.
Ceci est particulièrement vrai au Tchad : le pays n’a jamais connu de période
de paix et les conflits armés qui se sont succédé ont été enchevêtrés dans des
dynamiques régionales et globales 40. C’est le pays qui a connu le plus grand
nombre d’interventions militaires françaises depuis l’indépendance en 1960.
Le pays a été historiquement construit comme un espace stratégique, même si
les modes d’engagement des Français ont changé depuis les premières opéra-
tions contre-insurrectionnelles menées contre les rebelles du Frolinat (Front
de libération nationale du Tchad) dans les années 1960. La nécessité de préser-
ver la stabilité du pays et de l’Afrique centrale est le registre de justification
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41. Powell N., France’s Wars in Chad: Military Intervention and Decolonization in Africa,
Cambridge, Cambridge University Press, 2020.
42. République française, Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, Paris, 2017.
https://www.defense.gouv.fr/dgris/presentation/evenements-archives/revue-strategique-de-
defense-et-de-securite-nationale-2017 (consulté le 29 décembre 2021).
43. Mulier T., « Opérations extérieures et contrôle parlementaire », in Fernandez J., Jeangène
Vilmer J.-B. (dir.)., Les opérations extérieures de la France, Paris, CNRS Éditions, pp. 57-78.
De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins… - B CHARBONNEAU et al. 79
récurrent. Avec une succession de politiques de court-terme qui s’étalent sur
des décennies, les interventions ont pourtant largement contribué à sa déstabi-
lisation 41. Le monde change mais la base militaire française est restée.
L’Opération Barkhane, issue de la fusion des Opérations Serval au Mali et
Épervier au Tchad en 2014, a d’ailleurs installé son quartier général sur la base
de la précédente opération extérieure (Épervier de 1986 à 2014).
La confusion des genres n’est pas uniquement de l’ordre du symbole : en
février 2019, à la demande du président Idriss Déby, l’armée française mène
des frappes aériennes contre une colonne rebelle de l’Union des Forces de la
Résistance (UFR). Le cadre juridique de l’intervention lui-même est équi-
voque : les frappes ont-elles été effectuées dans le cadre de Barkhane ou de
l’accord de coopération militaire technique conclu par les deux pays en 1976 ?
En 2021, l’armée française apporte à nouveau une aide décisive à l’armée gou-
vernementale qui affronte la nouvelle rébellion du Front pour l’Alternance et
la Concordance au Tchad (FACT). S’il n’y a cette fois-ci pas de frappes
aériennes, les moyens de Barkhane (logistique, renseignement) sont à nouveau
utilisés dans un conflit qui ne relève pourtant pas de la guerre contre le « terro-
risme islamiste », pour reprendre le terme utilisé dans la Revue stratégique de
défense et de sécurité nationale de 2017 42. Le voiement des moyens de
Barkhane est facilité par le flou juridique qui entoure les opérations françaises
ainsi que par le faible contrôle politique exercé par le Parlement sur les
Opex 43.
Un réservoir de main d’œuvre combattante
La « guerre contre le terrorisme » est cependant bien plus complexe que
l’imposition par Paris de son armée au Sahel et Sahara. Les interventions inter-
nationales sont encastrées dans les structures politiques et sociales locales et
opèrent par des alliances, conclues avec des acteurs étatiques et non-étatiques,
à un niveau national ou local. L’armée tchadienne a été mobilisée au Mali dès
le lancement de l’opération Serval – les pertes du côté tchadien ont été particu-
lièrement lourdes. aussi, l’histoire compte : si l’engagement de l’armée
tchadienne a pris une nouvelle ampleur en 2013, ce n’était pas la première fois
que le Tchad intervenait dans un autre pays de la région à la demande (ou avec
l’assentiment) de la France. Dans les années 1990, le Tchad proposait déjà ses
services à un moment où la France apparaît déclassée en Afrique centrale : l’ar-
mée tchadienne ou des hommes en armes non officiellement intégrés à l’armée
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Cultures & Conflits n°123/124 - automne/hiver 2021
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ont combattu en République centrafricaine, en République démocratique du
Congo et, hors de tout cadre officiel, au Congo 44.
La « guerre contre le terrorisme » va cependant changer la donne et per-
mettre au Tchad de jouer la carte militaire pour devenir une puissance régio-
nale 45. Si elle bénéficiait déjà de formations à la lutte anti-terroriste, c’est en
2013 que l’armée tchadienne, mobilisée aux côtés de l’armée française au Mali,
acquiert un le de premier plan dans la région. L’armée tchadienne est
aujourd’hui mobilisée dans le cadre du G5 Sahel et constitue le deuxième plus
important contingent de la MINUSMA. À Paris ou Washington, personne
n’ignore pourtant les violences perpétrées contre les civils par une armée gou-
vernée par l’impunité.
Idriss Déby a su jouer habilement de la rente sécuritaire qui lui était
offerte. Celui qui s’était fait décerner le titre de maréchal en 2020 avait
construit sa carrière politique sur les armes, en politique interne comme sur la
scène internationale. Cette politique semble se poursuivre après sa mort – il
est décédé des suites de ses blessures le 19 avril 2021, alors qu’il s’était rendu
sur le champ de bataille. Emmanuel Macron était le seul chef d’État occidental
à se rendre aux obsèques, s’affichant ainsi aux côtés du fils du funt qui
venait de prendre le pouvoir dans un coup d’État. Si le président français a
ensuite affirmé son opposition à « un plan de succession » et son attachement
à une « transition démocratique, pacifique, inclusive 46 », la réaction française
au coup d’État a été d’une grande modération ; elle est en tout cas très éloignée
de la position de la France face aux deux coups d’État successifs au Mali. Ce
décalage entre les deux politiques s’explique par des situations et enjeux dis-
tincts au Tchad et au Mali, mais aussi par la place particulière du Tchad dans
l’histoire française.
Ce qui se joue ici va cependant au-delà d’un échange qui consisterait à tro-
quer l’engagement de l’armée tchadienne contre un soutien au régime en place.
La « guerre contre le terrorisme » renforce la trajectoire historique d’un État
formé par et pour la guerre et qui a été utilisé par les Français à la fois comme
base militaire et réservoir de main-d’œuvre combattante 47. La militarisation
du Tchad est le produit d’une co-construction des élites politiques du pays et
de l’ancienne puissance coloniale. Le développement de l’État est depuis la
période coloniale marqué par la violence. La construction du Tchad comme
espace stratégique par la France et les États-Unis 48 (en particulier sous Habré)
44. Marchal R., « Petites et grandes controverses de la politique française et européenne au
Tchad », N’Djamena, CSAPR, 2015.
45. Marchal R., “An emerging military power in Central Africa? Chad under Idriss Déby”,
Sociétés politiques comparées, n°40, octobre-décembre 2016.
46. RFI, « Tchad: les présidents Macron et Tshisekedi appellent à une transition pacifique », RFI,
28 avril 2021.
47. Debos M., Living by the Gun in Chad…, op. cit.
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De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins… - B CHARBONNEAU et al. 81
et les interventions successives ont eu des effets structurants. Aujourd’hui, le
budget de la Défense engloutit 30 à 40% du budget national 49. Au-delà des
chiffres, c’est la centralité des armes dans l’économie et la politique qui
importe. La place réservée au Tchad dans le dispositif anti-terroriste au Sahel
et au Sahara vient renforcer un trait structurel de cet État.
La « guerre contre le terrorisme » ne vient donc pas interrompre le
cours ordinaire de l’histoire d’un pays qui n’a de toute façon jamais connu de
moment de paix et qui a vu se déployer l’armée française de façon quasi-conti-
nue depuis plus de cent-vingt ans. Comprendre les enjeux de la « guerre
contre le terrorisme » au Tchad (comme ailleurs au Sahel, en Afghanistan et
au-delà) suppose ainsi de la resituer dans l’histoire, de prendre en compte les
alliances nouées avec les acteurs régionaux et locaux et, au final, de sortir de la
thèse de la supposée exceptionnalité des interventions militaires.
***
Au final, les interventions menées au nom de la « guerre contre le terro-
risme » participent de la production des violences dans les pays concernés. Les
violences en Afghanistan ou au Mali ont des ressorts locaux. Elles sont cepen-
dant souvent exacerbées par les interventions extérieures. Ces dernières n’ont
pas commencé en 2001 et ont une histoire qui remonte à la période colo-
niale 50. Les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne n’ont cessé d’interve-
nir, de manière ouverte et/ou discrète (par l’entremise de mercenaires et de
services secrets), en Afrique, au Moyen Orient et en Asie, dans un cadre colo-
nial, dans le contexte de la lutte contre le communisme, et plus récemment au
nom de la lutte contre le « terrorisme ».
Comme il a été dit, le Sahel n’est pas l’Afghanistan et les interventions étu-
diées ici s’inscrivent dans des histoires différentes. Il n’empêche que, dans ces
trois pays, l’engagement des militaires étrangers a participé de la production
de la violence. Les études de cas ont ainsi mis en évidence une des contradic-
tions centrales de la « guerre contre le terrorisme ». Ces interventions ne per-
mettent pas de faire émerger les conditions d’une stabilisation ; elles provo-
quent au contraire des effets de polarisation dans les sociétés et rendent plus
difficile la résolution des conflits. Ces interventions, censées renforcer ou
48. Debos M., « La France au Tchad, l’opération militaire permanente », in Borrel T., Boukari-
Yabara A., Collombat B., Deltombe T., L’empire qui ne voulait pas mourir : Une histoire de
la Françafrique, Paris, Le Seuil, 2021, pp. 543-552.
49. International Crisis Group, Les défis de l’armée tchadienne, Rapport Afrique n°298, 22 jan-
vier 2021, p. 4.
50. On retrouve par ailleurs des traces de cette historicité dans des discours militaires qui recy-
clent la pensée coloniale et le retour d’expérience des guerres contre-insurrectionnelle de la
guerre froide. Olsson C., « Guerre totale et/ou force minimale ? Histoire et paradoxes des
“cœurs et des esprits” », Cultures & Conflits, n°67, 2007, pp. 35-63 ; Khalili L., Time in the
Shadows…, op. cit.
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51. Cold-Ravnkilde S. M., Lindskov Jacobsen K., “Disentangling the security traffic jam in the
Sahel: constitutive effects of contemporary interventionism”, International Affairs, vol. 96,
n°4, juillet 2020, pp. 855-874.
52. On retrouve également ce problème dans le contexte des opérations de maintien de la paix.
Pouligny B., Ils nous avaient promis la paix. Opérations de l’ONU et populations locales,
Paris, Presses de Science Po, 2004.
53. Charbonneau B., Sears J. M., “Fighting for Liberal Peace in Mali? The Limits of International
Military Intervention”, Journal of Intervention and Statebuilding, vol. 8, 2-3, 2014,
pp. 192-213.
Cultures & Conflits n°123/124 - automne/hiver 2021
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consolider les États, produisent l’exact opposé de ce qu’elles cherchent à réali-
ser 51. Elles créent (ou recréent) des liens de dépendance entre les acteurs qui
interviennent et les acteurs locaux. Ces derniers sont mis en concurrence et
développent des stratégies pour capter les ressources politiques et écono-
miques des interventions 52. Dans ce contexte, les ennemis finissent par deve-
nir utiles, leur existence étant la condition de la perpétuation du système de
captation. On a pu voir des processus similaires de co-production de la vio-
lence sur d’autres terrains, en Irak, en Somalie ou au Yémen. Enfin, nos
recherches invitent à remettre en question le « mythe de la paix comme télé-
ologie 53 », selon lequel une finalité de paix pourrait être atteinte si les condi-
tions sont réunies et les politiques appropriées mises en œuvre.
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Chapter
In a globalised and regionalised Africa, governments have transferred part of their sovereignty to international and regional organisations, which have evolved from non-interference to non-indifference in terms of their pan-African values and norms, particularly on peace and security issues. Extensive new prerogatives have been given to multiple regional and international actors to prevent peace and security breaches, including the right to declare sanctions on a member state that threatens to violate their charters and principles. Despite this new African Peace and Security Architecture, we argue through the Malian case that the discourses and sanctions of competent but interlinked organisations such as Economic Community of West African States (ECOWAS), West African Economic and Monetary Union (WAEMU) and the African Union (AU) can fail to fulfil their goals and can even delegitimise the organisations.KeywordsCoup d’étatMaliRegional organisationsSanctionsECOWASWAEMU
Article
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Chad involvement in Mali in January 2013 and in all neighboring states throughout the following years gives an image of strength to a regime that is also seen as increasingly fragile. This discrepancy can be understood by analyzing the dynamic of events over the last two decades, which convinced President Idriss Déby Itno to play successfully the card of the West’s main regional ally against terrorism in the Sahel region. Reasons are rooted in his management of internal tensions as well as in a shrewd stance in regional polarizations in the 2000s. An outcome of these policies was the development of an impressive military apparatus. Oil revenues were key to acquire this power but the rentier economy had long-term negative effects in increasing greed among the ruling elite and president relatives, and weakening the regime legitimacy among the marginalized population. The ability to project troops over Chad borders appears ambiguous, especially after international oil price collapsed in 2014. It exorcises internal contradictions within the regime as much as it builds new regional and international alliances to get alternative fi nancial and political resources to keep a military machine that, besides popular protests, has become a source of potential destabilization.
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Despite years of ongoing interventions by multiple external and regional actors, the security situation in west Africa's Sahel region is dramatically deteriorating. In this introduction to the special section of the July 2020 issue of International Affairs, we zoom in on four major external international intervention actors (France, the United States, the European Union and the United Nations) in the Sahel region's escalating ‘security traffic jam’. We argue that the diversity of intervention actors makes the Sahel a paradigmatic case for exploring a set of often-overlooked constitutive intervention effects. By adding new temporal, relational and spatial dimensions to the notion of ‘constitutive effects’ as introduced by post-structuralists in the 1990s, we (re)launch constitutive effects as a conceptual framework for approaching the study of ongoing intervention engagements. From this perspective, and as further illustrated in this special section, intervention continuity and escalation cannot be explained simply with reference to frameworks of ‘success’ or ‘failure’, but require a broader conceptualization of effects, including how specific threat perceptions, rationales and problematizations get constituted and consolidated through and during ongoing intervention practice. Contributions to this special section each unpack a diverse set of constitutive effects including the contested performance of security actorness, the (un)making of security alliances and partnerships, logics of choices produced by ongoing intervention practices, as well as the constitution of conditions for continual international involvement.
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The use of the word 'war' to describe the anti-terrorist efforts in the wake of the 11 September attacks has gone virtually unchallenged. The term, however, is not innocent and carries far-reaching implications for international law. The article examines how its use can be said to fit into a broader strategy of legitimization of armed violence. 'War', it is argued, prepares the ground for what is basically an ideal-typical state of exception, that which portrays the sovereign as the ultimate saviour of liberalism at home. But the domestic implications of the 'war rhetoric' are probably less important than the international ones, where 'war' can be manipulated to provide an escape route from the constraints of international law. This it does by reframing both the temporal and spatial coordinates of self-defence in a way that fundamentally loosens the framework of collective security. By the time the term's use has been ratified by law, it will have served to exclude or distort alternative ways of understanding and dealing with the problem of terrorism, namely, as a criminal and political issue. Whatever else military action against terrorist targets may achieve, it is far from clear that placing such action under the banner of 'war' will serve the cause of suppressing terrorism.
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This article demonstrates how concepts and notions such as ‘warlordism’ and ‘terrorism’, supposedly framed to enable an understanding of complex crises, can have exactly the opposite effect. It exposes their conceptual ambiguity, a factor contributing to their success, and comments on their practical application in the Somali context. The article seeks to analyse how these two ‘categories’ have contributed to building a specific ‘regime of truth’—vocabulary, assumptions of meaning, labels and narratives that function to select and interpret events, emphasizing some and disregarding many others. The article presents the argument that the recurrent mobilization of these particular expressions has resulted not in deepening analysis, but rather in sifting information and providing moral condemnation and political prescription that are highly debatable.
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Soldiers’ Pay: Historical Perspectives on the Militarization of Africa In view of the growing influence of security paradigms in international approaches to large parts of Africa, it seems henceforth possible to speak of the continent’s “militarization.” This militarization is not new, however, nor is it irreversible or one-way, or only the result of external intervention. This article reviews some of those moments and places where military logics have been particularly salient in the past, in order to understand their structural effects, and hence to better situate current developments.
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Examining the continuous French military interventions in Chad in the two decades after its independence, this study demonstrates how France's successful counterinsurgency efforts to protect the regime of François Tombalbaye would ultimately weaken the Chadian state and encourage Libya's Muammar Gaddafi to intervene. In covering the subsequent French efforts to counter Libyan ambitions and the rise to power of Hissène Habré, one of postcolonial Africa's most brutal dictators, Nathaniel K. Powell demonstrates that French strategies aiming to prevent the collapse of authoritarian regimes had the opposite effect, exacerbating violent conflicts and foreign interventions in Chad and further afield. Based on extensive archival research to trace the causes, course, and impact of French interventions in Chad, this study offers insights and lessons for current interveners - including France - fighting a 'war on terrorism' in the Sahel whose strategies and impact parallel those of France in the 1960s–1980s.
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Today’s military interventions are best understood as a form of counter-insurgency politics. Counter-insurgency politics constructs a distinctive type of rule and governance through military intervention. It normalises the use of military force in the management and suppression of instability instead of resolving conflict. Its practices are not predisposed to the usual International Relations binaries, however, as counter-insurgency politics involves a multitude of global governance structures and networks countering or preventing terrorism and violent extremism. The typical binary categories used in analyses of intervention are of little use because counter-insurgency politics signals a capacity to authorise discriminations in ways that elude them. So the basis of our political and analytical judgement is shaken, as the state-international line still informs legal, moral and political judgements about intervention while also being challenged by the international politics of counter-insurgency. Mali and the Sahel are a rich and evolving case for theorising counter-insurgency politics.
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The January 2013 French military intervention in Mali exposed the rising threat of ‘terrorist’ and illicit networks in the Sahel, but more importantly the intertwined limits of Malian politics and of the international politics of African conflict management. While much has been written about the ‘liberal peace’, this article argues that what is at stake in this debate is the consistency of the ‘liberal peace’ ideological form and what governance requirements it imposes. Such an ideology necessarily intersects with ongoing Malian peace-, nation- and statebuilding dynamics and competing normative orders that transcend state borders and nationalist projects.
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ABSTRACT  Drawing entirely on public, open sources, in this article I trace the recent development of U.S. military understandings and uses of cultural knowledge. Military education, training, and operations reveal complexity and diversity that demands empirical study. In particular, I locate in Operation Iraqi Freedom (2003–present) an internal, critical theoretical disagreement between a model of culture as a static, or slow-moving, property of a constructed “other,” embraced by mainstream thought in the U.S. Army, and a competing sense of cultural process as dynamic, interactive, and emergent, emphasized by Special Forces and the Marine Corps. This disagreement feeds off of and into longer-running debates within U.S. military circles, demonstrating that the U.S. military's engagement with the concept of “culture” is far from monolithic: different services’ approaches are shaped by their own histories, driving rival emphases on weaponizing culture and culturalizing warriors.