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LES ARMOIRIES DE LA BREGUET n° 4255 :
IDENTIFICATION ET DATATION
Bernard Roobaert
Hon FBHI
Version 1.1 du 4 mai 2017
Introduction
La Breguet n° 4255
Description des armoiries
Les éléments d’identification
Introduction
On ne sait pas grand-chose de la montre Breguet n° 4255, actuellement conservée au Mayer
Institute de Jérusalem. Les archives de Breguet ne fournissent aucune information à son pro-
pos. Elle est datée « vers 1807 » sur la seule base du type de signature du cadran, tandis qu’un
examen attentif montre que certaines parties ont subi des modifications ultérieures. En outre,
les remarquables armoiries émaillées qui ornent l’arrière n’ont pas été identifiées jusqu’ici. Sir
David Salomons, qui en était le premier propriétaire connu, parlait d’une « couronne de vi-
comte » en se basant sur l’héraldique anglaise.
C’est donc une véritable enquête policière qui est entreprise ici, avec succès d’ailleurs, mais
surtout avec des surprises. Grâce à cet art si exact et exigeant qu’est l’héraldique, il est pos-
sible d’identifier le porteur des armoiries et, partant, le (un ?) propriétaire de la montre. La
datation doit elle aussi être corrigée quelque peu.
Nous tenons à remercier le Mayer Institute pour la photo de détail qui figure à la première
page, sans laquelle cette étude n’aurait pas été possible.
La Breguet n° 4255
Description selon Salomons & Desoutter 1923 :
1
« N° 92
Pas de certificat. Montre No. 4255
Vendu à un inconnu. Prix et date inconnus. Fabriquée vers 1807, puisque le cadran porte la
signature « Breguet » et non « Breguet et Fils ». Prix environ 4,000 francs.
Montre à grande sonnerie et à répétition à quarts, boîte d’or guillochée, avec l’équation gravée
sur le fond. Armes de vicomte émaillées en couleurs héraldiques au centre du fond, qui tourne
et découvre les trous de remontage, deux barillets, dont l’un sert pour le mouvement et l’autre
pour la sonnerie. Arbres percés, cadran d’argent, trotteuse, aiguilles d’acier, phases de lune,
échappement à ancre, balancier-compensateur, signature secrète sur le cadran, entre les
chiffres X et XI, maintenant presque invisible.
N.B. - Les livres de Breguet ne révèlent aucune trace de cette montre, soit que des modifica-
tions aient peut-être été apportées à cette pièce par d’autres maisons, soit qu’on ait négligé de
l’enregistrer. Le fond est marqué 4255 B ; le pendant porte aussi ce numéro. Toutes les carac-
téristiques d’une véritable Breguet se trouvent ici, et l’ouvrage est de tout premier ordre. »
La description donnée par Daniels et Markarian n’apporte pas de données additionnelles.
2
La montre fait partie d’un groupe qualifié de « montres à la turque avec équation du temps
gravée ». D’après les experts de Christie’s, il s’agit des numéros 1795/3814, 2607, 2614,
2890, 2916, 4255 et 4384. Nous ne possédons de renseignements que sur les suivantes :
N° 1795/3814, vendue par Christies en 2015
3
, et n° 2890, acquise par le Musée Breguet
4
La table d’équation, avec indications des mois et « soleil avance » « soleil retarde », est gra-
vée sur l’arrière de la montre.
1
David Salomons, Louis Desoutter, Breguet (1747-1823), p. 82.
2
George Daniels, Ohannes Markarian, Watches and Clocks in the Sir David Salomons Collection,
Sotheby, New-York, 1890, pp. 76-77.
3
http://www.christies.com/lotfinder/watches/breguet-no-17954384-montre-a-repetition-turque-
5940954-details.aspx
4
Louvre, p. 248
Description des armoiries
Écu : écartelé, en 1°, mi-coupé parti ; de gueules et d’argent, à un lion d’or couronné d’or sur
les gueules et de sable sur l’argent; d’argent à la bandée ondée d’azur; en 2°, de gueules au
dextrochère d’or mouvant du flanc, sortant d’une nue d’argent, armé d’un sabre d’argent enfi-
lant un tortil de sinople ; en 3° de sinople à une église d’argent au toit de gueules, à quatre
coupoles d’argent, sur un tertre au naturel ; en 4°, d’azur au l’échassier (?)
5
d’argent. A un écu
d’or sur le tout, à l’aigle bicéphale de sable, couronnée, la poitrine de l’aigle portant un écu de
gueules […]
6
.
L’écu sommé d’une couronne d’or, rehaussé de pierreries, à 9 perles d’azur. La couronne
surmontée de trois heaumes tortillés (?) dont celui du milieu porte une aigle bicéphale de
sable.
Supports :
L’écu est tenu sur une terrasse, à dextre par un lion dressé, à senestre par un cavalier en uni-
forme, bottes noires, pantalon bleu à hongroises, dolman rouge à brandebourgs d’or, schako
rouge à écusson doré et cordon raquette rouge. Casoar blanc. Sabre et sabretache.
Devise :
« Virtuti et honore »
Manteau :
De gueules, doublé d’argent, frangé d’or, cordonné et houppé d’or, sommé d’une couronne
d’or, pierreries au naturel, 9 perles d’or (?).
Cette description est celle des armoiries véritables, car les armoiries émaillées, de par leur
petite taille, ont perdu quelques détails. Certaines figures sont également peu claires.
5
Il pourrait s’agir d’un héron ou d’une cigogne.
6
Sans doute aux lettres « Pi » et « I » majuscules.
Éléments d’identification
Les indices de départ étaient très minces : la couronne « de vicomte » et la devise, qui auraient
dû fournir une première piste.
Malheureusement, une recherche rapide a montré qu’au Royaume-Uni, si la couronne de vi-
comte porte bien 9 perles, elle possède une fourrure, absente sur ces armoiries-ci.
En France d’Ancien Régime, la couronne à 9 perles était la marque des comtes, mais il en
était également de même dans le Saint-Empire Romain Germanique, au Portugal et en Russie.
Quant à la devise « virtuti et honore », elle ne correspond à aucune famille connue d’après les
recherches sur Internet.
En supposant une erreur ou une mauvaise lecture due à l’usure, on peut penser à « virtute et
honore », qui correspond à deux familles anglaises, mais certainement pas nobles.
7
Un deuxième axe de recherches a consisté à tenter d’identifier l’un des supports, à savoir le
militaire.
Comme la montre est à dater du début du XIXe siècle, on peut restreindre le champ de re-
cherche aux armées de l’époque napoléonienne. En outre, les bottes hautes à genouillère
8
sont
des bottes de cavalerie. Le dolman et le schako vont dans le sens de hussards.
Mais ici aussi, l’incroyable variété des uniformes de cavalerie, qui ont en outre subi de nom-
breuses évolutions entre 1800 et 1820, rend pratiquement impossible une identification posi-
tive.
Les recherches sur les meubles de l’écu n’ont rien donné de probant, jusqu’à ce que la pré-
sence de l’aigle bicéphale apporte un premier élément. Elle existe comme emblème majeur en
Autriche et en Russie,
9
mais un détail permet de les distinguer : les aigles autrichiennes por-
tent deux couronnes, tandis que celles de Russie sont surmontées d’une seule couronne dont
une banderole couvre les deux têtes.
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En outre, les couleurs : écu jaune, aigles noires, portant
en cœur un écu à dominante rouge, rappellent l’ancien écu impérial russe.
L’ensemble de ces indices semble aller dans le sens d’un comte russe, sans doute avec une
carrière militaire.
En reprenant la question de la devise, nous avons essayé la variante « virtuti et honori », qui a
donné d’emblée un résultat satisfaisant : il s’agit de la devise de la famille Lewaschoff (Le-
7
https://books.google.be/books?id=SsHCFIsiF8sC&pg=PA29&lpg=PA29&dq=%22virtute+et+honore
%22&source=bl&ots=g6kvBFn_eW&sig=Y55EcS-
uXVP4Jqb6W2R5IZvnuYE&hl=nl&sa=X&ved=0ahUKEwiY1O3ezM_KAhXLvhQKHYI1CjAQ6A
EIKTAB#v=onepage&q=%22virtute%20et%20honore%22&f=false
8
Appelées parfois « bottes à la hessoise » ou « bottes de vènerie ».
9
Les ducs de Marlborough portent également une aigle bicéphale comme support.
10
Certaines variantes présentent trois couronnes, l’une sur chaque tête, l’autre au milieu au-dessus.
washeff
11
, Levashov), dont le représentant sans doute le mieux connu est le général Vasily
Levashov, né en 1783 et décédé en 1848, général de l’armée russe, fait comte en 1833.
12
Le général Levashov eut une carrière militaire distinguée, combattit dans la plupart des
grandes batailles napoléoniennes (Austerlitz, Eylau, Borodino, Leipzig) et devint à la fin de sa
vie membre du Conseil d’Etat.
Son hôtel de maître à Saint-Pétersbourg existe encore. Le fronton de la façade comporte ses
armoiries sculptées en grand.
13
11
La graphie la plus commune en français au XIXe siècle.
12
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassili_Vassilievitch_Levachov;
https://books.google.be/books?id=j2BwBPz4QFQC&pg=PA226&lpg=PA226&dq=vasily+levashov&
source=bl&ots=4sE5b1UfDo&sig=mZRkWk0Na-
P_PFRqbjP3nVHzTF4&hl=nl&sa=X&ved=0ahUKEwiZ9O7I48_KAhUEwxQKHY-
nAAYQ6AEIKTAB#v=onepage&q=vasily%20levashov&f=false
13
http://www.citywalls.ru/house2625.html
Pour la maison Breguet, Levashov n’est pas un inconnu. On le voit en 1822 échanger une
montre turque qui avait peut-être été vendue au tsar Nicolas Ier.
14
Il achète en 1822 la Breguet n° 3260, qui a fait partie de la collection Salomons.
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L’ensemble des éléments trouvés devrait permettre de se prononcer sur l’identification du
propriétaire et une datation de la montre. En effet, Levashov a été nommé « Comte de
l’Empire Russe » le 1er juillet 1833. Les armoiries ne peuvent donc dater au plus tôt que de ce
moment, puisqu’elles comportent une couronne comtale.
Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. On observe que la montre a subi des
modifications (la plus visible est le balancier). Il est donc possible que les armoiries aient été
apposées plus tard. Ces éléments de datation ne sont donc pas absolument sûrs.
De plus, comme la famille de Levashov était déjà noble,
16
le titre de comte conféré en 1833 ne
pourrait être que la confirmation d’un état de fait. En effet, le Bulletins of State Intelligence de
1820
17
relatent la visite faite par Levashov à Carlton House, au nouveau Roi d’Angleterre
George IV, le 8 avril 1820. Il y est qualifié de « General Count Lewascheff ».
Toutes les armoiries que nous avons trouvées comportent la couronne comtale, mais il n’est
pas possible de les dater précisément.
14
http://www.christies.com/lotfinder/watches/breguet-no-17954384-montre-a-repetition-turque-
5940954-details.aspx.
15
N° 69.
16
Son père Vassily était Conseiller privé et Ober-Jagdmeister. Une source affirme que le général était
illégitime, mais ce fait aurait certainement été répercuté dans les armoiries, avec une brisure de bâtar-
dise, qui ne semble pas exister sur celles que nous avons examinées.
17
https://books.google.be/books?id=va1IAQAAMAAJ&pg=PA426&lpg=PA426&dq=lewascheff&sour
ce=bl&ots=CBUc0jAi-0&sig=JNLt1lAzbV7fraBZ-
qRpR6yXC9Y&hl=nl&sa=X&ved=0ahUKEwiVoJWz9MzKAhWHuhQKHSEoBBkQ6AEIOzAD#v=
onepage&q=lewascheff&f=false
Une dernière piste à explorer est à nouveau celle du support senestre, le cavalier. Comme
nous connaissons la carrière du général, il devrait être possible d’identifier précisément
l’uniforme et, partant, la date de composition des armoiries.
On possède deux portraits du général, l’un réalisé en 1823-25, l’autre à une date non précisée,
mais l’uniforme qu’il y porte semble être le même.
Portrait trouvé sur Internet, sans indication d’auteur ni de lieu de conservation.
19
La carrière militaire de Levashov s’établit comme suit :
1801 Major, régiment de cuirassiers de la garde
1802 Rittmeister du régiment à cheval de la garde
1808 Colonel
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http://www.idtg.org/archive/1345-general-levashov-a-knight-of-the-order-of-st-lazarus/
1812 1ère division de Cuirassiers, 5e Corps, 1ère armée de l’ouest
1813 Major général
1813 Chef du régiment de Cuirassiers de Novgorod
1815 Commandant du régiment des hussards de la garde
1817 Aide-de-camp
1818 commandant, 2e brigade, division de cavalerie légère de la garde
1826 Lieutenant général, commandant 1ère division Cuirassiers
Parmi ses décorations, on peut citer :
1808 St Anne (3e classe) 1814 – 1ère classe (étoile portée à droite)
1808 St Vladimir (4e classe) – 1813 3e classe (rouge, portée au cou)
1812 St George (4e classe) – (blanc, porté sur le brandebourg)
1813 Aigle Rouge Prusse – (blanc, porté au cou)
(av. 1825) « Pour le Mérite » Prusse – (bleu-vert, porté au cou)
Cette dernière décoration, exceptionnelle, peut lui avoir été concédée après les batailles de
1813 en Allemagne (Dresde, Leipzig), car c’est cette année que son aide-de-camp, le colonel
Dmitri Boutourlin (1790-1849), la reçut.
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L’uniforme des armoiries semble donc bien être celui des hussards russes de la Garde. Il est
possible que le général ait préféré porter cet uniforme à tous les autres, tout comme Napoléon
portait de préférence son uniforme de colonel des chasseurs de la Garde.
Lewascheff et Breguet
On connaît donc 3 montres de Breguet qui ont un rapport avec le général : la n° 1795/4384
(1822), la n° 3260 (Salomons 85) et celle-ci, la n° 4255 (Salomons 92).
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Boutourlin avait acheté en 1837 la Breguet n° 4863 (Habsburg, p. 286)