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Développement d'un jumeau numérique de la main pour l'analyse biomécanique de l'arthrose et de ses traitements chirurgicaux

Authors:

Abstract

L’arthrose de la main est une pathologie multifactorielle qui provoque une dégénérescence progressive des articulations touchées. Cette pathologie handicapante engendre des douleurs et une impotence fonctionnelle empêchant le bon usage des mains dans la vie quotidienne. D’un point de vue biomécanique, les connaissances actuelles ne permettent malheureusement pas de proposer des hypothèses sur l’apparition et le développement de l’arthrose de la main ni de fournir de réelles améliorations des traitements chirurgicaux. L’objectif de ce travail de thèse a donc été de développer numériquement un jumeau biomécanique de la main permettant à la fois d’estimer le facteur mécanique de l’arthrose et d’évaluer les performances mécaniques des traitements chirurgicaux. Ce jumeau numérique a été développé à partir de données d’imagerie médicale et de mesures expérimentales périphériques de préhension et grâce à une modélisation hybride combinant l’approche musculosquelettique à la méthode par éléments finis. Dans cette démarche, la géométrie des structures anatomiques a été représentée tout en leur attribuant des propriétés matériaux et en considérant l’action mécanique des muscles et des tendons qui les mobilisent. Cette méthodologie a ensuite été utilisée pour estimer les chargements mécaniques aux articulations du pouce et de l’index. Les estimations des intensités des pressions de contact articulaires ont permis d’éclairer l’influence du facteur mécanique dans l’apparition et le développement de l’arthrose de certaines articulations spécifiques de la main, alors que ces observations cliniques ne trouvaient jusqu’alors pas d’explications. À l’aide de ce jumeau numérique, des chirurgies virtuelles ont également été simulées pour comparer différents traitements chirurgicaux. Les contraintes mécaniques dans deux implants pour l’arthrodèse partielle du poignet ont été comparées lors de tâches de préhension et de manipulation. Les résultats de ces simulations permettent aux chirurgiens un choix éclairé s’appuyant sur une quantification des bénéfices et risques des deux techniques. De plus, une étude sur l’influence de l’angle d’arthrodèse de l’articulation distale de l’index sur la biomécanique de la main a permis d’apporter des éléments de décision supplémentaires sur le choix optimal de l’angle d’arthrodèse. En conclusion, ce travail montre que le développement d’un jumeau numérique de la main est en mesure de fournir des données quantifiées qui permettent une meilleure compréhension des facteurs de risques de l’arthrose et des conséquences des traitements chirurgicaux. À plus long terme, ce type de modélisation vise à aider les chirurgiens au diagnostic et à la prise de décision clinique sur la base de données quantifiées et individualisées pour une meilleure prise en charge de chaque patient.
THÈSE DE DOCTORAT DE L’UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE
Discipline : Sciences du Mouvement Humain
Présentée par
Barthélémy Faudot
En vue d’obtenir le grade de
DOCTEUR D’AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ
Développement d’un jumeau numérique de la main pour
l’analyse biomécanique de l’arthrose et de ses traitements
chirurgicaux
Soutenue le 2 Avril 2021 devant le jury composé de :
Raphaël Dumas
PU, Université Claude Bernard Lyon 1 (FR)
Rapporteur
Frédéric Marin
PU, Université de Technologie de Compiègne (FR)
Rapporteur
Angela Kedgley
PU, Imperial College London (UK)
Examinatrice
Régis Legré
PU-PH, Aix-Marseille Université (FR)
Président du jury
Laurent Vigouroux
MCF, HDR, Aix-Marseille Université (FR)
Directeur de thèse
Jean-Louis Milan
MCF, Aix-Marseille Université (FR)
Directeur de thèse
Julien Ballerini
Entreprise NewClip Technics (FR)
Invité
École Doctorale Sciences du Mouvement Humain ED 463
Institut des Sciences du Mouvement E. J. Marey UMR 7287 CNRS
NNT/NL : 2021AIXM0195/006ED463
AFFIDAVIT
Je soussigné, Barthélémy Faudot, déclare par la présente que le travail présenté dans ce
manuscrit est mon propre travail, réalisé sous la direction scientifique de Laurent Vigouroux et
Jean-Louis Milan, dans le respect des principes d’honnêteté, d'intégrité et de responsabilité
inhérents à la mission de recherche. Les travaux de recherche et la rédaction de ce manuscrit ont
été réalisés dans le respect à la fois de la charte nationale de déontologie des métiers de la
recherche et de la charte d’Aix-Marseille Université relative à la lutte contre le plagiat.
Ce travail n'a pas été précédemment soumis en France ou à l'étranger dans une version
identique ou similaire à un organisme examinateur.
Fait à Marseille, le 15/02/2021.
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons
Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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RESUME
L’arthrose de la main est une pathologie multifactorielle qui provoque une dégénérescence
progressive des articulations touchées. Cette pathologie handicapante engendre des douleurs et
une impotence fonctionnelle empêchant le bon usage des mains dans la vie quotidienne. D’un
point de vue biomécanique, les connaissances actuelles ne permettent malheureusement pas de
proposer des hypothèses sur l’apparition et le développement de l’arthrose de la main ni de
fournir de réelles améliorations des traitements chirurgicaux. L’objectif de ce travail de thèse a
donc été de développer numériquement un jumeau biomécanique de la main permettant à la fois
d’estimer le facteur mécanique de l’arthrose et d’évaluer les performances mécaniques des
traitements chirurgicaux. Ce jumeau numérique a été développé à partir de données d’imagerie
médicale et de mesures expérimentales périphériques de préhension et grâce à une modélisation
hybride combinant l’approche musculosquelettique à la méthode par éléments finis. Dans cette
démarche, la géométrie des structures anatomiques a été représentée tout en leur attribuant des
propriétés matériaux et en considérant l’action mécanique des muscles et des tendons qui les
mobilisent. Cette méthodologie a ensuite été utilisée pour estimer les chargements mécaniques
aux articulations du pouce et de l’index. Les estimations des intensités des pressions de contact
articulaires ont permis d’éclairer l’influence du facteur mécanique dans l’apparition et le
développement de l’arthrose de certaines articulations spécifiques de la main, alors que ces
observations cliniques ne trouvaient jusqu’alors pas d’explications. À l’aide de ce jumeau
numérique, des chirurgies virtuelles ont également été simulées pour comparer différents
traitements chirurgicaux. Les contraintes mécaniques dans deux implants pour l’arthrodèse
partielle du poignet ont été comparées lors de tâches de préhension et de manipulation. Les
résultats de ces simulations permettent aux chirurgiens un choix éclairé s’appuyant sur une
quantification des bénéfices et risques des deux techniques. De plus, une étude sur l’influence de
l’angle d’arthrodèse de l’articulation distale de l’index sur la biomécanique de la main a permis
d’apporter des éléments de décision supplémentaires sur le choix optimal de l’angle d’arthrodèse.
En conclusion, ce travail montre que le développement d’un jumeau numérique de la main est en
mesure de fournir des données quantifiées qui permettent une meilleure compréhension des
facteurs de risques de l’arthrose et des conséquences des traitements chirurgicaux. À plus long
terme, ce type de modélisation vise à aider les chirurgiens au diagnostic et à la prise de décision
clinique sur la base de données quantifiées et individualisées pour une meilleure prise en charge
de chaque patient.
Mots-clés : Biomécanique de la main ; Modélisation Numérique ; Arthrose ; Traitement
Chirurgical.
5
ABSTRACT
Development of a digital hand twin for the biomechanical analysis of
osteoarthritis and its surgical treatments
Hand osteoarthritis is a multifactorial disease which causes progressive degeneration of the
affected joints. This disabling disease causes pain and functional impotence preventing the proper
use of the hands in daily life. From a biomechanical point of view, current knowledge
unfortunately does not allow to propose hypotheses on the occurrence and development of hand
osteoarthritis, nor to provide effective improvements in surgical treatments. Therefore, the
objective of this Ph.D. work was to develop a digital twin of the hand which would allow both a
better estimation of mechanical factor of osteoarthritis and an evaluation of the mechanical
performance of surgical treatments. This digital twin was developed using medical imaging data
and experimental gripping measurements, and by combining musculoskeletal approach with the
finite element method. In this approach, the geometry of anatomical structures was represented
while assigning material properties and considering the mechanical action of the muscles and
tendons which mobilise them. This methodology was then used to estimate the mechanical
loadings at the thumb and index. The estimation of joint contact pressures allowed to clarify the
influence of the mechanical factor in osteoarthritis occurrence and development in certain specific
joints of the hand, whereas these clinical observations had not previously been explained. Using
this digital twin, virtual surgeries were also performed to compare different surgical treatments.
Mechanical stresses in two implants for partial wrist arthrodesis were compared during gripping
and manipulation tasks. The results of these simulations allow surgeons to make an informed
choice based on a quantification of the benefits and risks of both techniques. In addition, a study
on the influence of the arthrodesis angle of the distal joint of the index finger on the biomechanics
of the hand provided additional evidence on the optimal choice of arthrodesis angle. In conclusion,
this work shows that the development of a digital twin of the hand is able to provide quantified
data which allow a better understanding of the risk factors of osteoarthritis and the consequences
of surgical treatments. In the long term, this type of modelling aims to help surgeons in diagnosis
and clinical decision-making based on quantified and individualised data for better management
of each patient.
Keywords: Hand biomechanics; Numerical Modelling; Osteoarthritis; Surgical Treatment.
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7
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement mes directeurs de thèse, Laurent
Vigouroux et Jean-Louis pour leurs conseils, leur confiance et leur soutien. Cela a été un véritable
plaisir d’échanger et de travailler avec vous. Laurent, merci pour ta disponibilité permanente, ton
énergie communicative et pour m’avoir transmis ta passion pour la main. À chaque réunion que
j’ai pu faire avec toi, j’en suis sorti surmotivé et plein d’idées. Jean-Louis, merci pour m’avoir
transmis ton optimisme et pour tes brillantes idées que tu as eu au cours de cette thèse. Nos «
points thèse » officiels et officieux m’ont été d’une grande aide.
Je remercie particulièrement Raphaël Dumas et Frédéric Marin qui ont accepté d’être
rapporteurs de ce document de thèse. Merci également aux autres membres du jury, Angela
Kedgley, Régis Legré et Julien Ballerini pour l’intérêt qu’ils ont porté à mes travaux.
Ce travail doctoral résulte de plusieurs collaborations dont je souhaite remercier les acteurs
principaux. En premier lieu, je tiens à remercier Benjamin Goislard de Monsabert pour son
investissement dans mes travaux de thèse. Nos réunions à 4 ont toujours été fructueuses,
intéressantes et vivantes et tu as été d’un support scientifique essentiel. Je voudrais également
remercier Julien Ballerini avec qui j’ai pu travailler durant près de deux ans sur une mission
scientifique avec l’entreprise NewClips Technics. Ce point de vue industriel a été un point essentiel
dans ma thèse et je te remercie d’avoir partagé avec moi l’avancée du projet sur lequel j’ai pu
apporter mon aide. Je remercie également Régis Legré, Charlotte Jaloux ainsi que Jean-Baptiste de
Villeneuve Bargemon du service de chirurgie de la main et de chirurgie plastique du membre
supérieur de l’Hôpital de la Timone pour le temps qu’ils m’ont accordé et pour avoir partagé leurs
connaissances pragmatiques de l’arthrose et de son traitement. Jean-Baptiste j’ai adoré travailler
avec toi et partagé notre passion pour la main et ta vision clinique. J’espère pour continuer à
travailler avec toi à l’avenir. Je remercie enfin André Jacques avec qui j’ai pu échanger sur la
modélisation numérique par éléments finis. Merci pour ta disponibilité et ton aide sur ces aspects
techniques.
Mes remerciements vont également à l’ensemble du personnel de l’Institut des Sciences du
Mouvement dirigé par Martine Pithioux et de la Faculté des Sciences du Sport à Luminy. Je
remercie particulièrement Patrick Chabrand et Guillaume Rao de m’avoir accueilli au sein des
équipes GIBoc, à l’Hôpital Sainte-Marguerite, et P3M. Patrick, un immense merci pour ta
bienveillance, ton soutien et tes bons conseils tout du long de ce parcours de thèse.
Ces années de thèse se sont avant tout déroulées dans une ambiance chaleureuse et amicale,
et cela grâce à l’ensemble de mes collègues. Je tiens tout particulièrement à remercier la team
8
GIBoc que ce soit les permanents Virginie, Cécile, Jean-Marie, Sophie, Patrick, Martine ainsi que
les doctorants (passés et présents) Jean-Baptiste, Maryama, Flavy, Gaetan, Imane, Sébastien.
Flavy, on a partagé ces derniers mois de rédaction de thèse ensemble et ça a été une grande source
de motivation pour moi. Promis, dès que tout ce Covid est fini on fera une sacrée soirée ensemble
! Par contre … on peut baisser le chauffage stp ? Sophie, mille mercis pour ton aide, ta générosité
et pour ton support indéfectible. Nos petites (ou pas) pauses dans ton bureau et pétages de câble
de fin de journée vont me manquer. Tu es et tu seras toujours la bienvenue chez moi et il me tarde
de repartager une bière avec toi ! Gaetan, dès que je me suis ouvert et que nous avons commencé
à nous connaitre ça a été tout de suite très puissant. Merci pour ta gentillesse et ta bienveillance
en toutes circonstances. Je ne te remercierais jamais assez et tu es à tout jamais dans mon cœur.
Je remercie ensuite les stagiaires avec qui j’ai pu travailler : Lucie, Mikako, Roxane, Tony,
Damien, Mary et Thomas. J’ai eu la chance de pouvoir vous encadrer, de travailler ensemble sur
des sujets en relation avec ma thèse et vous avez tous contribué également d’une manière ou d’un
autre à ce travail.
J’aimerais remercier l’ensemble de ma famille et de mes amis pour leur soutien. Stéphane,
Antonin, Aurélien, Lucas, merci pour ces week-ends, ces vacances et ces soirées de détente où j’ai
pu me changer les idées ! Je voudrais ensuite remercier Marianne et Alix avec qui j’ai pu partager
des moments même à plus de 6000km de distance. Je voudrais remercier sincèrement et du fond
du cœur mes parents pour m’avoir permis d’en arriver , merci pour votre soutien indéfectible et
pour m’avoir soutenu dans mes choix.
Enfin, un merci très particulier à Deborah qui m’a soutenu et supporté constamment ces
derniers temps. Merci pour ta compréhension et tes encouragements dans les moments difficiles.
J’ai pu m’épanouir à tes côtés et j’ai hâte de continuer cela en quête de nouvelles aventures …
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10
TABLE DES MATIÈRES
1. INTRODUCTION GENERALE ......................................................................................................................... 15
1.1. CARACTERISTIQUES NOTABLES DE LANATOMIE DE LA MAIN ET DE LA PREHENSION ....................................................... 18
1.1.1. Os, articulations et mouvements .................................................................................................. 18
1.1.2. Architecture musculo-tendineuse de la main ................................................................................ 20
1.1.3. Éléments passifs de stabilisation des articulations ....................................................................... 24
1.1.4. La préhension ................................................................................................................................ 27
1.2. L’ARTHROSE DE LA MAIN ................................................................................................................................ 30
1.2.1. Un problème de santé majeur ...................................................................................................... 30
1.2.2. Une pathologie de l’articulation ................................................................................................... 32
1.2.3. Une pathologie multifactorielle .................................................................................................... 35
1.2.4. Les facteurs de risques mécaniques .............................................................................................. 37
1.2.5. Diagnostic de l’arthrose ................................................................................................................ 40
1.3. ÉTAT ACTUEL DES TECHNIQUES DE REHABILITATION ............................................................................................... 43
1.3.1. Traitements conservateurs ........................................................................................................... 43
1.3.2. Traitements chirurgicaux .............................................................................................................. 44
1.3.3. Réussite d’un implant.................................................................................................................... 45
2. ETAT DE L’ART DE LA BIOMECANIQUE DE LA MAIN POUR EVALUER LES CHARGEMENTS INTERNES ........... 49
2.1. RESULTATS EXPERIMENTAUX ........................................................................................................................... 49
2.1.1. Mesure directe du contact articulaire ........................................................................................... 49
2.1.2. Mesure directe des forces musculaires ......................................................................................... 51
2.2. MODELES NUMERIQUES ................................................................................................................................. 54
2.2.1. La modélisation musculosquelettique ........................................................................................... 55
2.2.2. La modélisation éléments finis ...................................................................................................... 58
2.2.3. Autres types de modélisation ........................................................................................................ 63
2.2.4. La modélisation hybride pour aboutir à un jumeau numérique .................................................... 63
3. PRESENTATION DU TRAVAIL REALISE DANS CETTE THESE........................................................................... 67
4. DEVELOPPEMENT D’UN JUMEAU NUMERIQUE DE LA MAIN PAR MODELISATION BIOMECANIQUE ........... 70
4.1. PROTOCOLE EXPERIMENTAL POUR LACQUISITION DE DONNEES DENTREE LORS DUNE TACHE DE PREHENSION PINCH GRIP .... 71
4.1.1. Données d’entrée de géométrie osseuse ...................................................................................... 71
4.1.2. Données d’entrée de cinématique et de force externe ................................................................. 72
11
4.2. PARTIE MUSCULOSQUELETTIQUE DU JUMEAU NUMERIQUE DE LA MAIN ..................................................................... 75
4.2.1. Modèle musculosquelettique ........................................................................................................ 75
4.2.2. Estimation des forces musculaires ................................................................................................ 76
4.2.3. Estimation des forces et pressions articulaires ............................................................................. 76
4.3. PARTIE ELEMENTS FINIS DU JUMEAU NUMERIQUE DE LA MAIN ................................................................................. 77
4.3.1. Reconstruction tridimensionnelle des structures internes de la main .......................................... 77
4.3.2. Définition des propriétés matériaux des tissus ............................................................................. 94
4.3.3. Gestion du contact ........................................................................................................................ 98
4.3.4. Conditions limites .......................................................................................................................... 99
4.3.5. Formulation du calcul numérique ............................................................................................... 101
5. ANALYSE DU FACTEUR MECANIQUE DE L’ARTHROSE GRACE AU JUMEAU NUMERIQUE DE LA MAIN ....... 106
5.1. RESULTATS DES MESURES EXPERIMENTALES ET DU MODELE MUSCULOSQUELETTIQUE .................................................. 106
5.1.1. Angles articulaires et force externe de préhension ..................................................................... 107
5.1.2. Estimation des forces musculaires .............................................................................................. 107
5.2. DESCRIPTION DE LA MODELISATION HYBRIDE ..................................................................................................... 109
5.2.1. Mise en place des modèles hybrides ........................................................................................... 109
5.2.2. Vérification de la stabilité du modèle éléments finis .................................................................. 110
5.3. ÉLEMENTS DE VALIDATION INDIRECTE DE LA MODELISATION HYBRIDE ...................................................................... 111
5.3.1. Validation de l’estimation de la force externe de préhension..................................................... 111
5.3.2. Validation des forces de réaction articulaires ............................................................................. 112
5.3.3. Validation de la transmission des forces musculaires ................................................................. 114
5.3.4. Conclusion sur la validation de la modélisation hybride ............................................................. 117
5.4. CHARGEMENTS MECANIQUES AUX ARTICULATIONS DE LA PINCE POUCE-INDEX ET FACTEUR MECANIQUE DE LARTHROSE ..... 118
5.4.1. Estimation des chargements mécaniques internes de la pince pouce-index lors du pinch grip .. 119
5.4.2. Les niveaux de chargements mécaniques articulaires peuvent-ils être vus comme un facteur
mécanique de l’arthrose ? .......................................................................................................................... 123
5.5. ANALYSE DE SENSIBILITE DU MODELE HYBRIDE ................................................................................................... 129
5.5.1. Résultats de l’analyse de sensibilité ............................................................................................ 130
5.5.2. Quelle est l’influence des paramètres étudiés sur les chargements mécaniques articulaires et le
développement de l’arthrose ? ................................................................................................................... 132
5.6. CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................... 133
6. ÉVALUATION DE TRAITEMENTS CHIRURGICAUX GRACE AU JUMEAU NUMERIQUE DE LA MAIN .............. 137
6.1. COMPARAISON MECANIQUE DE DEUX ASSEMBLAGES CHIRURGICAUX POUR LARTHRODESE PARTIELLE DU POIGNET ............ 137
12
6.1.1. L’arthrodèse partielle des quatre os du carpe ............................................................................ 137
6.1.2. Problématique et objectif de l’étude ........................................................................................... 140
6.1.3. Description du modèle hybride du poignet sain .......................................................................... 141
6.1.4. Validation du modèle hybride du poignet ................................................................................... 144
6.1.5. Chirurgie virtuelle d’arthrodèse partielle des os du carpe .......................................................... 145
6.1.6. Comparaison des performances mécaniques des deux assemblages chirurgicaux .................... 151
6.2. ETUDE DE LINFLUENCE DE LANGLE DARTHRODESE DE LARTICULATION DISTALE DE LINDEX SUR LA BIOMECANIQUE DE LA MAIN
..................................................................................................................................................................... 156
6.2.1. L’arthrodèse des articulations distales des doigts longs ............................................................. 156
6.2.2. Problématique et objectif de l’étude ........................................................................................... 157
6.2.3. Protocole expérimental ............................................................................................................... 158
6.2.4. Mise en données du jumeau numérique de la main ................................................................... 160
6.2.5. Résultats préliminaires de l’influence de l’angle d’arthrodèse à l’articulation DIP ..................... 161
7. DISCUSSION GENERALE ET PERSPECTIVES ................................................................................................ 166
7.1. L’ARTHROSE DE LA MAIN .............................................................................................................................. 166
7.1.1. Liens entre arthrose de la main et chargement mécanique ....................................................... 166
7.1.2. Le jumeau numérique de la main pour évaluer des traitements chirurgicaux ............................ 170
7.2. LE JUMEAU NUMERIQUE ............................................................................................................................... 172
7.2.1. Le jumeau numérique en tant qu’outil clinique .......................................................................... 172
7.2.2. Le jumeau numérique intégré dans les processus de conception industrielle ............................. 174
7.2.3. Le jumeau numérique pour mieux comprendre le fonctionnement de la main .......................... 174
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................ 178
ANNEXE A PROTOCOLE DE MESURE DE LA CINEMATIQUE DE LA MAIN ..................................................... 205
ANNEXE B MODELE MUSCULOSQUELETTIQUE DE LA MAIN ....................................................................... 208
ANNEXE C ARTICLE “ESTIMATION OF JOINT CONTACT PRESSURE IN THE INDEX FINGER USING A HYBRID
FINITE ELEMENT MUSCULOSKELETAL APPROACH” ....................................................................................... 214
ANNEXE D ARTICLE “MECHANICAL PERFORMANCE COMPARISON OF TWO SURGICAL CONSTRUCTS FOR
WRIST FOUR-CORNER ARTHRODESIS VIA DORSAL AND RADIAL APPROACHES” ........................................... 215
13
TABLE DES ABBREVIATIONS
Abducteur du pouce
IP
Interphalangienne du pouce
Adducteur court du pouce
KL
Kellgren-Lawrence
Abducteur long du pouce
LU
Lombrical
Degré de liberté
MEC
Matrice extra-cellulaire
Interphalangienne distale
MCP
Métacarpo-phalangienne
Court extenseur radial du carpe
MP
Métacarpo-phalangienne du pouce
Long extenseur radial du carpe
OPP
Opposant du pouce
Extenseur ulnaire du carpe
PCSA
Aire de section de coupe physiologique
Extenseur commun des doigts
PIP
Interphalangienne proximale
Électromyographie
PL
Long palmaire
Extenseur propre de l’index
RB
Bande radiale
Extenseur long du pouce
RI
Interosseux radial
Extenseur court du pouce
SLAC
Scapho-lunate advanced collapse
Tendon extenseur central
SNAC
Scaphoid non-union advanced collapse
Fléchisseur radial du carpe
TE
Tendon extenseur terminal
Fléchisseur ulnaire du carpe
TFCC
Complexe fibrocartilagineux triangulaire
Fléchisseur profond des doigts
TMC
Trapézo-métacarpienne
Fléchisseur superficiel des doigts
TMS
Trouble musculosquelettique
Fléchisseur court du pouce
UI
Interosseux ulnaire
Fléchisseur long du pouce
UB
Bande ulnaire
Hounsfield Units
14
15
1. INTRODUCTION GENERALE
Imaginons un instrument capable de générer une force importante tout en permettant une
précision extrême, un outil capable de se déployer dans de nombreuses configurations pour
aliser de multiples tâches, un ustensile aux fonctions variées et quasi infinies. Et si cet outil se
trouvait continuellement sous nos yeux ? La main qui a une masse d’environ 500g dans un volume
de quelques centimètres cubes est un système articulaire complexe de 27 os et de 42 muscles qui
rendent cet organe préhensile très complexe. Cet outil biologique remarquable est utilisé
constamment pour un large éventail d’activités de la vie quotidienne avec des fonctions de
préhension et de manipulation d’objets, des fonctions d’appui et de locomotion ainsi que des
fonctions de communication et d’expression. Au-delà de la variété des tâches accomplies, il est
important de remarquer la diversité des objectifs de réalisation de ces tâches. Les mouvements
permis par la préhension peuvent être très précis, puissants ou particulièrement rapides. De plus,
les changements de mode, d’intensité et de vitesse sont presque instantanés.
La proximité et l’utilisation quotidienne de la main laissent penser que sa fonction
biomécanique est bien comprise. Cependant, malgré un grand nombre d’études publiées au cours
des dernières décennies, sa compréhension demeure partielle. Ainsi, bien que la main soit un outil
indispensable à notre quotidien, elle représente encore aujourd’hui un vaste champ d’exploration
scientifique. À titre d’exemple, il est surprenant de constater que les forces internes exercées dans
les mains qui écrivent, cuisinent ou réalisent une tâche de bricolage sont encore mal connues.
Constamment en mouvement, et soumise à des efforts internes et externes, la main est exposée à
de nombreuses pathologies telles que des tendinopathies, des fractures, des ruptures de ligament
ou des entorses.
Parmi ces pathologies, l’arthrose est l’une des plus fréquentes et des plus handicapantes
affectant la main. Elle se traduit par une dégénérescence de larticulation affectant le cartilage et
les tissus environnants et engendre notamment des douleurs aigües et des déformations osseuses
empêchant le bon usage des mains dans la vie quotidienne. L’arthrose touche 80% des individus
de plus de 80 ans, avec un fort impact socio-économique accentué par le vieillissement de la
population. Dans ce contexte, les médecins s’interrogent sur les causes d’apparition et de
développement de l’arthrose qui affecte spécifiquement certaines articulations des doigts de la
main. Même si son origine est multifactorielle, les facteurs de risques mécaniques pourraient jouer
un rôle majeur dans le sens où ils sont à l’origine du déclenchement de cette pathologie et/ou un
facteur amplificateur de son atteinte et/ou un facteur directement affecté par cette pathologie.
Les traitements chirurgicaux visent à réduire les douleurs et à améliorer la qualide vie du
patient. Malgré cette fréquence et cette sévérité, l’arthrose reste mal comprise et les interventions
1. Introduction générale
16
chirurgicales demeurent peu satisfaisantes d’autant qu’aucun traitement curatif n’est disponible
à ce jour. Par ailleurs, les chirurgiens manquent d’éléments de quantification biomécanique pour
choisir objectivement la méthode de traitement appropriée. Ce manque de compréhension de la
biomécanique de la main pose ainsi un problème pour traiter efficacement cette pathologie.
Ce manque de connaissance est en partie à l’absence de quantification des chargements
mécaniques aux articulations lors de tâches de préhension, c’est-à-dire des pressions subies par
les articulations. En effet, d’un côté, les études expérimentales sur cadavres et sur bancs d’essai
ne permettent pas à elles seules de déterminer l’efficacité d’un traitement chirurgical donné et
donc l’implant optimal pour le patient. D’un autre côté, les difficultés des mesures expérimentales
de la biomécanique interne et les avancées actuelles de la modélisation numérique appliquées à
la main ne permettent pas d’accéder aux informations qui pourraient permettre de répondre à ces
questionnements. Ainsi, bien quindispensable pour répondre à de nombreuses problématiques,
il nexiste actuellement aucune méthode ou outil capable de rendre compte finement des efforts
mécaniques aux articulations dépendant à la fois des actions des muscles et des tendons qui les
mobilisent, de la géométrie des structures anatomiques et des propriétés matériaux qui les
composent.
Ce travail de thèse s’intéresse à l’arthrose et à la connaissance des chargements internes
à la main permettant à la fois de mieux comprendre cette pathologie et d’évaluer les
performances mécaniques de traitements chirurgicaux. L’objectif général de cette thèse est
de développer un jumeau numérique de la main pour mieux répondre aux
questionnements fondamentaux et aux problématiques cliniques liées à l’arthrose et à
l’amélioration des traitements chirurgicaux. Un jumeau numérique reproduit
virtuellement en miroir, tel un avatar, les caractéristiques d’un système réel et les
conditions que celui-ci expérimente dans la réalité, tout en offrant des informations sur
l’état fonctionnel de ce système. À plus long terme, ce jumeau numérique vise à être mis à
disposition des chirurgiens comme un outil numérique permettant de mieux
diagnostiquer les patients et de simuler différents actes chirurgicaux en fournissant des
éléments de quantification mécanique des chargements internes non accessibles ou non
mesurables actuellement. Ce travail de thèse a consisté en la réalisation de deux études
principales. La première liée au développement du modèle numérique et à la
compréhension d’un des facteurs d’apparition de l’arthrose des doigts, la seconde liée au
développement d’une méthode de simulation pour l’évaluation de techniques
chirurgicales. Ainsi, dans ses grandes lignes, cette thèse se décompose en plusieurs grands
chapitres :
1. Introduction générale
17
Dans la suite de l’introduction, la partie 1.1 présente les éléments de connaissances
anatomiques et de préhension essentiels à la compréhension de ce travail de thèse. La partie 1.2
aborde les aspects liés à l’arthrose de la main et la partie 1.3 présente l’état actuel des techniques
de réhabilitation pour traiter l’arthrose. Le Chapitre 2 se focalise sur l’état de l’art de la
biomécanique de la main pour évaluer les chargements internes en considérant à la fois les
modèles expérimentaux et les modèles numériques. Le Chapitre 4 présente la première étude liée
au développement dun jumeau numérique de la main basé sur une modélisation combinant deux
approches numériques utilisées en biomécanique. Le Chapitre 5 est consacré à l’étude des
chargements mécaniques au niveau des articulations de la main à l’aide du jumeau numérique. Le
Chapitre 6 présente la deuxième étude relative à deux traitements chirurgicaux couramment
pratiqués pour traiter l’arthrose. Enfin, un dernier chapitre fournit une discussion générale, ainsi
que des perspectives, au regard de lensemble des travaux présentés dans ce document et
permettra de conclure sur ce travail de thèse.
Les études de ce travail ont mené à la publication de deux articles scientifiques publiés dans
Computer Methods in Biomechanics and Biomedical Engineering (Annexe C) et dans Clinical
Biomechanics (Annexe D). Les travaux ont également été présentés oralement lors de deux
congrès internationaux : en 2018 au 8th World Congress of Biomechanics (Dublin, Irlande) et en
2019 au 25th Congress of the European Society of Biomechanics (Vienne, Autriche).
1. Introduction générale
18
1.1. CARACTERISTIQUES NOTABLES DE LANATOMIE DE LA
MAIN ET DE LA PREHENSION
La main humaine a une anatomie particulière, constituée de petits os séparés les uns des autres
par du cartilage qui assure la mobilité des articulations, et reliés par des ligaments qui
maintiennent l’intégrité structurelle. De nombreux muscles et tendons mettent en action ces os.
Ceci confère à la main une infinité de préhensions et de postures possibles pour atteindre
l’ensemble des objectifs de préhension et de manipulation de la vie quotidienne. Pour comprendre
ce travail de thèse, il est indispensable de présenter ici les originalités et caractéristiques notables
de l’anatomie de la main et de la préhension. Le but de cette partie n’est pas de fournir une
description détaillée de l’anatomie que l’on retrouve dans de nombreux livres (par exemple
l’ouvrage de Hirt en 2017), mais plutôt de mettre en évidence les principales caractéristiques qui
sous-tendent la biomécanique de la main et les éléments nécessaires à la compréhension du
développement du jumeau numérique qui est l’objet de ce travail.
1.1.1. Os, articulations et mouvements
Dans un espace relativement réduit, la main comprend au total 27 os (14 phalanges, 5
métacarpes et 8 os carpiens). Lensemble de ces os ainsi que leurs articulations sont illustrés dans
la Figure 1.1.
Les cinq doigts qui composent la main représentent chacun une structure mobile à plusieurs
articulations pouvant être mobilisée de manière indépendante. Les phalanges et les métacarpes
sont des os longs possédant deux épiphyses, une tête distale et une base proximale, et une
diaphyse. Les mouvements des doigts longs et du pouce sont décrits Figure 1.2. Le pouce a une
structure sensiblement différente de celle des doigts longs, notamment grâce à l’articulation
trapézo-métacarpienne (TMC) de la base du pouce. Elle possède une amplitude de rotation axiale
importante qui est néanmoins considérée comme passive, car elle est liée mécaniquement aux
autres mouvements de l’articulation. Elle ne peut pas être mobilisée de manière indépendante par
les muscles. Le poignet représente l’ensemble des articulations qui effectuent les mouvements
entre l’avant-bras et les doigts de la main. Grâce notamment à l’articulation radio-carpienne, le
poignet permet d’exécuter des mouvements de flexion-extension, d’abduction-adduction et de
circumduction. Les mouvements au sein du massif carpien sont très limités, mais participent aux
mouvements globaux du poignet. Le poignet permet de contrôler l’orientation générale de la main,
de participer à sa stabilité lors de la préhension et transmet les efforts entre l’avant-bras et les
doigts (An et al., 1991; Taylor & Schwarz, 1955).
1. Introduction générale
19
Au niveau de chaque articulation, les surfaces osseuses en contact sont recouvertes de cartilage
hyalin articulaire. Ces couches cartilagineuses facilitent le glissement des os grâce à une surface
lisse qui réduit au minimum les phénomènes de friction et d’usure. Le cartilage possède également
la particularité de résister aux pressions articulaires. Chaque articulation est contenue dans une
capsule membranaire qui contient la synovie. La synovie est un liquide qui assure la lubrification
de l’articulation ainsi que la nutrition du cartilage.
Figure 1.1 Illustration simplifiée des os de la main et de l’avant-bras ainsi que des articulations
majeures.
1. Introduction générale
20
1.1.2. Architecture musculo-tendineuse de la main
De nombreux muscles sont nécessaires pour mobiliser lensemble des articulations de la main
et réaliser les mouvements des cinq doigts et du poignet. Outre le nombre de muscles mis en jeu,
cette architecture présente une complexité spatiale avec un réseau musculaire et tendineux
complexe et ramifié. En effet, la plupart des muscles de la main sont pluri-articulaires. Ceci signifie
que leurs tendons croisent plusieurs articulations et que leurs contractions génèrent
simultanément des actions sur chacune d’entre elles. Ces muscles se situent ainsi à distance des
articulations quils mobilisent. Il est à noter qu’il n’y a pas de muscles dans les doigts. Les
structures contractiles commandant le mouvement des doigts sont décentrées dans la paume de
la main et dans l’avant-bras.
1.1.2.a) Muscles et tendons de la main
Les muscles actionnant les doigts sont divisés en deux groupes appelés les muscles
extrinsèques et intrinsèques de la main, présentés dans le Tableau 1.1.
Les muscles extrinsèques, représentés dans la Figure 1.3, ont un chef musculaire se situant
dans l’avant-bras et s’insèrent jusqu’aux phalanges distales par le biais de longs tendons qui leur
permettent de mobiliser non seulement les articulations des doigts, mais aussi le poignet. Chaque
muscle extrinsèque des doigts longs possède quatre chefs musculaires distincts qui actionnent
chacun un doigt. Néanmoins, ces chefs musculaires sont partiellement dépendants à la fois au
niveau anatomique et au niveau neuromusculaire. Le pouce est relativement indépendant des
autres doigts dans le sens il ne possède pas de muscle commun. Par ailleurs, des muscles de
l’avant-bras mobilisent uniquement le poignet, car leurs tendons, s’insérant au niveau des
Figure 1.2 Les principaux mouvements des doigts longs (A et B) et du pouce (C). Illustrations
adaptées de (Kapandji, 1989).
1. Introduction générale
21
métacarpes et du pisiforme, ne croisent aucune articulation des doigts. Les muscles fléchisseurs
et extenseurs du poignet sont représentés en Figure 1.3. À l’exception du pisiforme, les os du carpe
ne possèdent donc pas d’insertion tendineuse, leurs mouvements sont générés par des forces de
Figure 1.3 Illustrations issues de (Netter, 2011) présentant le trajet de certains muscles
extrinsèques et de certains muscles du poignet. A : vue palmaire présentant les muscles fléchisseurs
profonds des doigts (FDP) et du pouce (FPL). B : vue dorsale présentant les extenseurs extrinsèques
des doigts longs (EDC, EDI et EDQ), des muscles extrinsèques du pouce (EPL, EPB, APL) et des
muscles extenseurs du poignet (ECRB, ERCL, ECU).
Tableau 1.1 Liste des muscles agissant sur l’index et le pouce ainsi que sur le poignet. Les couleurs
indiquent les muscles intrinsèques (en gris et italique) et extrinsèques (en noir).
Pouce
Index
Poignet
Fléchisseur long du pouce (FPL)
Fléchisseur court du pouce
(FPB)
Opposant du pouce (OPP)
Adducteur du pouce (APB)
Abducteur du pouce (ADP)
Abducteur long du pouce (APL)
Extenseur long du pouce (EPL)
Extenseur court du pouce (EPB)
Fléchisseur profond des doigts
(FDP)
Fléchisseur superficiel des
doigts (FDS)
Lombrical (LU)
Interosseux radial (RI)
Interosseux ulnaire (UI)
Extenseur commun des doigts
(EDC)
Extenseur propre de l’index
(EDI)
Fléchisseur radial du carpe
(FCR)
Fléchisseur ulnaire du carpe
(FCU)
Long palmaire (PL)
Long extenseur radial du carpe
(ECRL)
Court extenseur radial du carpe
(ECRB)
Extenseur ulnaire du carpe
(ECU)
1. Introduction générale
22
compression des autres os sur eux. Les muscles intrinsèques, représentés Figure 1.4, se situent
dans la main. Ils s’insèrent sur les os métacarpes et les phalanges et ne mobilisent donc que des
articulations des doigts. Les portions distales des muscles intrinsèques des doigts longs s’insèrent
sur le mécanisme extenseur des doigts décrit dans les paragraphes suivants.
1.1.2.b) Les poulies digitales
Les tendons des muscles fléchisseurs extrinsèques coulissent dans les doigts, au sein de gaines
fermées et renforcées à certains endroits par des poulies. Ces poulies situées sur la face antérieure
des doigts, représentées en Figure 1.5, maintiennent le tendon contre l’os lors de la flexion du
doigt. Elles évitent ainsi le décollement du tendon par rapport à l’os, phénomène de « corde
d’arc », que l’on observe lorsqu’une poulie est rompue. Les doigts longs possèdent huit poulies et
le pouce trois. Les poulies peuvent être arciformes et former un anneau ou cruciformes avec un
maintien en croix ; ces dernières qui assurent un rôle mécanique moindre ne seront pas
considérées dans la suite de ce travail. Les poulies sont des bandes de tissu fibreux, d’épaisseur et
de largeur variables.
1.1.2.c) Le mécanisme extenseur
Une des particularités de la main est qu’il existe sur la partie dorsale de chaque doigt un réseau
tendineux sur lequel plusieurs muscles et tendons viennent s’insérer. Au niveau des phalanges,
les tendons se subdivisent et forment un filet de bandes tendineuses. Ces subdivisions tendineuses
peuvent alors se recombiner avant de s’insérer sur les phalanges. Ce réseau, appelé mécanisme
Figure 1.4 Illustrations issues de (Netter, 2011) et (Gray & Lewis, 1918) présentant le trajet de
certains muscles intrinsèques des doigts longs et du pouce. A : vue dorsale présentant les muscles
interosseux radiaux (RI). B : vue palmaire illustrant le trajet des muscles lombricaux (LU). C : vue
palmaire représentant le muscle opposant du pouce (OPP), le muscle adducteur du pouce (ADP)
ainsi que le tendon du muscle abducteur long du pouce (APL).
1. Introduction générale
23
extenseur et représenté en Figure 1.6 pour les doigts longs, assure la transmission jusqu’au bout
des doigts des forces exercées par les muscles intrinsèques et par les extenseurs extrinsèques de
la main.
Une représentation géométrique du mécanisme extenseur a été proposée par Zancolli en 1979
au niveau des doigts longs, comme illustré en Figure 1.6.C. Les bandes tendineuses entrecroisées
qui forment le mécanisme extenseur sont ainsi représentées par un réseau rhomboïdal discret de
câbles. Chacun des câbles présents dans cette représentation géométrique est défini comme un
élément du mécanisme extenseur. Les éléments tendineux fournissent aux muscles intrinsèques
une configuration biomécanique originale en leur permettant d’agir simultanément en tant que
fléchisseurs à l’articulation métacarpo-phalangienne (MCP) et en tant qu’extenseurs aux
articulations interphalangiennes proximale (PIP) et distale (DIP). En effet, comme illustré sur la
Figure 1.6.A, leurs tendons passent du côté palmaire de MCP et se terminent, via le mécanisme
extenseur, du côté dorsal de PIP et de DIP. Ainsi pour une tâche de flexion, certains muscles jouent
à la fois le rôle de muscles agonistes ou antagonistes selon l’articulation considérée. De plus,
l’architecture de ce réseau tendineux évolue également en fonction de l’angle de flexion et des
tensions musculaires.
Pour le pouce, le mécanisme extenseur est moins complexe que ceux des doigts longs. Les
muscles intrinsèques APB et ADP et le muscle extrinsèque EPL s’insèrent sur un seul et même
élément tendineux appelé tendon extenseur terminal (TE) qui passe du côté dorsal de
Figure 1.5 Illustrations des poulies digitales arciformes (A1 à A5) et cruciformes (C1 à C3) d’un
doigt long en extension (A) et en flexion (B) illustrant notamment l’absence d’effet de corde d’arc.
Les tendons fléchisseurs FDP et FDS visibles sur ces illustrations coulissent dans les doigts à travers
ces poulies.
1. Introduction générale
24
l’articulation IP. Une représentation géométrique du mécanisme extenseur a été proposée par
Valero-Cuevas et al. en 2003 au niveau du pouce.
Ainsi, il est évident que le mécanisme extenseur des doigts est une particularité anatomique
très complexe qui pose des problème de modélisation singuliers et qui n’a jamais été modélisé
numériquement avec précision (Dogadov et al., 2017; Valero-Cuevas et al., 2007). Nous
proposerons dans le Chapitre 4 une représentation 3D de ce mécanisme extenseur.
1.1.3. Éléments passifs de stabilisation des articulations
La stabilité des articulations est assurée principalement par la présence de ligaments qui
relient les os d'une articulation et jouent le rôle d’éléments passifs de stabilisation. À un degré
moindre, les articulations sont également renforcées par les muscles qui les entourent et la
capsule synoviale.
1.1.3.a) Éléments passifs de stabilisation des doigts longs et du pouce
Les ligaments collatéraux se trouvent sur les côtés ulnaires et radiaux des articulations des
doigts longs et du pouce. Depuis leur origine sur los proximal de l’articulation, ils s’étendent
obliquement jusqu’à s’insérer sur l’os distal de l’articulation comme illustré en Figure 1.7. Ces
ligaments sont les principaux stabilisateurs de ces articulations (Minami et al., 1985; Minamikawa
Figure 1.6 Illustrations du mécanisme extenseur d’un doigt long (A) en vue sagittale et (B) en vue
dorsale issues de Netter (2011). (C) Illustration de la modélisation proposée par Zancolli en 1979
en vue dorsale. Les deux éléments du mécanisme extenseur se situant sur l’axe médian du doigt sont
le tendon extenseur terminal (TE) et le tendon extenseur central (ES) qui passent respectivement
du côté dorsal de DIP et PIP. Les éléments latéraux se trouvant de part et d’autre de PIP sont la bande
radiale (RB) et la bande ulnaire (UB).
1. Introduction générale
25
et al., 1993). Les plaques palmaires constituées de fibrocartilage se trouvent sur les faces
palmaires de chaque articulation des doigts et limitent l’hyper-extension. L’articulation TMC à la
base du pouce est renforcée par la présence de plus d’une dizaine de ligaments. Ces ligaments ont
été étudiés par de nombreux auteurs, mais du fait d’une nomenclature différente selon les articles
(Bettinger et al., 1999; Pellegrini et al., 1993) et de l’inconstance de certains ligaments (Cooney et
al., 1981; Kapandji, 1989; Pellegrini et al., 1993), il est difficile d’arriver à un consensus sur cet
appareil ligamentaire. Ainsi, les éléments passifs de stabilisation des doigts sont complexes et
difficiles à modéliser numériquement car ils sont encore mal compris (Spartacus, 2017).
1.1.3.b) Éléments passifs de stabilisation du poignet
Les ligaments du carpe sont divisés entre les ligaments extrinsèques et les ligaments
intrinsèques en fonction de leur localisation. Plus de trente ligaments sont présents dans le carpe,
dont un aperçu est donné en Figure 1.8. Les ligaments extrinsèques connectent la partie distale
du radius et de l’ulna avec les os du carpe et les ligaments intrinsèques ont leur origine et insertion
à l’intérieur du carpe. Le système des ligaments carpiens est chargé de stabiliser le poignet ainsi
que de limiter les mouvements extrêmes. Durant les dissections, il est presque impossible
d’exposer tous les ligaments séparément. Les descriptions et nomenclatures sont nombreuses
notamment en raison d’une grande variabilité entre les individus.
Le complexe fibrocartilagineux triangulaire (TFCC) est un système formé de structures
ligamentaires et cartilagineuses sitentre l’ulna et la première rangée du carpe. Il sert, entre
autres, à absorber les forces transmises à l’axe ulno-carpien et à stabiliser l’articulation radio-
ulnaire distale.
Figure 1.7 Représentation schématique d’une articulation métacarpo-phalangienne d’un doigt
long en vue sagittale. Le ligament collatéral en gris foncé s’insère sur la tête du métacarpe, s’étend
de façon oblique pour s’attacher à la base de la phalange proximale. La plaque palmaire en vert se
situe sur la face palmaire de l’articulation.
1. Introduction générale
26
En résumé :
Les caractéristiques notables de l’anatomie de la main
La description anatomique détaillée dans cette partie illustre la complexité du système
musculosquelettique de la main. Au total, plus d’une quarantaine de muscles actionnent
l’ensemble des os des cinq doigts et du poignet autour de leurs articulations. Une grande
majorité de ces muscles actionnent plusieurs articulations par un système de poulies sur la face
palmaire et un mécanisme extenseur sur la face dorsale. Au niveau du poignet, les huit os du
carpe, stabilisés par un grand nombre de ligaments extrinsèques et intrinsèques, sont essentiels
pour assurer une bonne transmission des efforts des doigts vers les autres articulations du
membre supérieur. Cette complexité permet d’exécuter un nombre considérable de tâches et
de mouvements, comme abordé dans le paragraphe suivant. En revanche, elle rend difficile la
compréhension des coordinations musculaires et l’estimation des chargements mécaniques
internes.
Figure 1.8 Illustrations, issues de (Berger, 1997), de certains ligaments palmaires (A) et dorsaux
(B) du carpe.
1. Introduction générale
27
1.1.4. La préhension
1.1.4.a) La complexité de la préhension
Bien que nous manipulions de nombreux objets au quotidien de manière naturelle, la
préhension est une tâche très complexe d’un point de vue biomécanique. En effet, afin d’assurer
une performance et un confort optimal, les doigts doivent être coordonnés sur les niveaux de
forces appliquées à l’objet, au niveau articulaire et au niveau des forces musculaires.
Lors de la préhension, les forces appliquées à l’objet doivent permettre de le maintenir en
équilibre (Westling & Johansson, 1984) tout en évitant une fatigue prématurée et la casse de
l’objet. Une marge de sécurité est employée pour exercer un niveau de force supérieur au seuil
d’équilibre afin de prévenir tout glissement. Au-delà de la force totale appliquée, la répartition de
cette force entre les doigts est également importante pour les préhensions impliquant au moins
trois doigts car il existe une redondance d’actionneurs. Les doigts peuvent en effet se coordonner
de manière quasi-infinie pour obtenir un même niveau de force totale. Du point de vue de la
cinématique articulaire, la préhension nécessite que le système neuromusculaire sélectionne
parmi une infinité de positions articulaires possibles celle qui permettra le mieux de saisir l’objet
en fonction de sa forme, sa dimension et son poids. L’infinité de possibilités qui découlent de la
coordination de plusieurs articulations est classiquement appelée « redondance articulaire »
(Bernstein, 1967). Le troisième niveau de complexité de la préhension réside dans la coordination
des différents muscles de la main. Cette distribution des forces musculaires doit assurer l’équilibre
de l’ensemble des articulations des doigts et du poignet, du fait du caractère pluri-articulaire des
muscles extrinsèques. De plus, il existe une infinité de combinaison de forces musculaires
permettant d’obtenir la même configuration articulaire et le même niveau de force de préhension.
Ce phénomène est appelé « redondance musculaire ». Face à cette redondance, la distribution
choisie des forces musculaires est considérée comme optimale en assurant, par exemple, une
répartition du chargement entre les muscles selon leur capacité musculaire (Crowninshield &
Brand, 1981; Prilutsky & Zatsiorsky, 2002). Pour une même posture et une même force de
préhension, chaque individu adoptera une coordination musculaire différente selon des
contraintes telles que le stress, une blessure antérieure ou les antécédents de l’individu.
1.1.4.b) Tâches de préhension power grip et pinch grip
Parmi les fonctions de la main, la préhension est la plus utilisée et la plus emblématique.
Comme nous manipulons un grand nombre d’objets dans des situations très différentes, les
configurations de préhension sont quasiment indénombrables. Bien qu’il existe des classifications
plus précises (MacKenzie & Iberall, 1994; Vergara et al., 2014), deux grandes catégories de
préhension ont été définies dans la littérature (Kapandji, 1989; Landsmeer, 1962; Napier, 1956).
La première correspond aux préhensions palmaires qui nécessitent l’utilisation combinée des
1. Introduction générale
28
doigts et de la paume de la main. Elle comprend notamment la manipulation d’objets de forme
cylindrique ou sphérique et est associée à des tâches puissantes nécessitant des niveaux de force
élevés tels que marteler ou piocher. L’une d’entre elles est la préhension palmaire cylindrique,
appelée power grip, et illustrée en Figure 1.9.A. La deuxième catégorie concerne les préhensions
en pince qui impliquent uniquement des zones ponctuelles des doigts. Ce type de préhension est
principalement utilisé pour des tâches de précision avec de faibles niveaux de forces, en
comparaison du power grip, tels que coudre, écrire ou encore pour le dentiste la manipulation
d’outils. Cette catégorie inclut notamment la préhension en pince pulpaire de l’index et du pouce,
appelée pinch grip, qui utilise le complexe de la pince pouce-index pour appliquer une force sur
l’objet (Figure 1.9.B). L’un des facteurs de risque liés à l’apparition et au développement de
l’arthrose de la main est le type de préhension utilisé, comme nous le verrons dans la partie 1.2.4.
1.1.4.c) Force de préhension maximale
L’un des facteurs les plus couramment mesurés dans les études sur les préhensions de type
power grip et pinch grip est la force de préhension maximale, qui est la somme des forces
appliquées à l’objet lors d’une contraction maximale volontaire. De ce point de vue, la
comparaison des deux postures indique que les niveaux de forces durant le power grip sont
environ six fois supérieurs à ceux mesurés en pinch grip avec environ 800 N (Goislard de
Monsabert et al., 2014; Rossi et al., 2012; Wimer et al., 2009) contre 120 N (An et al., 1985; Fowler
Figure 1.9 Les deux grandes catégories de préhension définies dans la littérature : (A) la
préhension palmaire de type power grip et (B) la préhension en pince de type pinch grip.
Illustrations issues de (Kapandji, 1989).
1. Introduction générale
29
& Nicol, 2001; Goislard de Monsabert et al., 2014; Weightman & Amis, 1982) pour les individus de
sexe masculin. Ces intensités sont fonction entre autres du sexe et de l’âge des individus (Nilsen
et al., 2012). Le power grip permet donc une intensité de serrage de l’objet bien plus importante
que le pinch grip. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que les cinq doigts et la paume
sont impliqués dans la production de force durant le power grip tandis que seules les pulpes du
pouce et de l’index sont utilisées durant le pinch grip. Néanmoins, même en comparant la force
appliquée par un seul doigt, l’écart entre les deux préhensions demeure important puisque l’index
exerce environ 130 N durant le power grip (Amis, 1987; Kong & Lowe, 2005) contre 60 N en pinch
grip (An et al., 1985; Fowler & Nicol, 2001; Weightman & Amis, 1982). Intrinsèquement, ces deux
types de préhension n’offrent donc pas les mêmes performances pour l’application de force.
Une des raisons de ces différences de performances réside dans la posture adoptée par les
doigts qui a une influence directe sur les capacités de production de force. En particulier, la
relation « force-longueur » reflète le fait que la force exercée par un muscle est maximale pour
une longueur optimale de fibre musculaire et qu’elle diminue progressivement à mesure que les
fibres s’allongent ou se raccourcissent depuis cet optimum (Goislard de Monsabert et al., 2020;
Gordon et al., 1966). La transmission de cette force musculaire dépend également du bras de levier
du tendon par rapport à l’articulation, qui varie selon la posture (An et al., 1983). Ainsi, la posture
adoptée durant le pinch grip pourrait correspondre à une posture désavantageuse en termes de
longueur de fibres et de bras de levier musculaires (Goislard de Monsabert et al., 2014).
Notamment en raison de l’utilisation constante de la préhension au quotidien, la main est exposée
à de nombreuses blessures et pathologies parmi lesquelles l’arthrose qui est un problème de santé
majeur.
En résumé :
La préhension
La préhension est une tâche complexe d’un point de vue biomécanique. Les doigts doivent
être coordonnés selon trois aspects à la fois : la cinématique articulaire, l’intensité des forces
appliquées à l’objet et les forces musculaires. Deux grandes catégories de préhension ont été
définies dans la littérature : les préhensions palmaires de type power grip et les préhensions en
pince de type pinch grip. La force de préhension maximale lors d’une contraction maximale
volontaire pour le power grip est près de six fois supérieure à celle en pinch grip. Les tâches de
préhension étant extrêmement fréquentes au quotidien, la main est exposée à de nombreuses
blessures et pathologies parmi lesquelles l’arthrose qui est un problème de santé majeur.
1. Introduction générale
30
1.2. LARTHROSE DE LA MAIN
1.2.1. Un problème de santé majeur
1.2.1.a) Prévalence et incidence
L’arthrose est la pathologie articulaire la plus courante (Lawrence et al., 2008). Elle est
considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé comme l’une des dix pathologies les plus
handicapantes dans les pays développés (Vos et al., 2016). Toutes les articulations sont
susceptibles d’être affectées par l’arthrose, mais l’arthrose des doigts fait partie des sites les plus
touchés avec le genou et la hanche (Arden & Nevitt, 2006; Zhang & Jordan, 2010). L’incidence
(proportion de nouvelles personnes atteintes par an dans une population) est, respectivement, de
1.0‰, 2.4‰ et 0.88‰ (Oliveria et al., 1995). La suite de ce manuscrit se concentrera
exclusivement à l’arthrose de la main. Les personnes âgées sont les plus atteintes par l’arthrose
des doigts de la main avec une prévalence (proportion de personnes atteintes à un moment
donné) élevée. Après l’âge de 55 ans, 15 à 25% de la population présentent des symptômes (Dillon
et al., 2007; Lawrence et al., 2008; Zhang et al., 2002) et 50 à 80% présentent des signes
radiologiques (Caspi et al., 2001; Dahaghin et al., 2005; Jones et al., 2001; Kalichman & Hernández-
Molina, 2010). Concernant l’arthrose du poignet, la prévalence d’arthrose radiologique est
d’environ 20% après 70 ans (van Saase et al., 1989). Une étude sur 4000 radiographies du poignet
a révélé de l’arthrose chez près de 5% de la population considérée (Watson & Ballet, 1984).
1.2.1.b) Symptômes et affections
L’arthrose est une pathologie dégénérative des articulations qui affecte le cartilage et les tissus
environnants. Elle se caractérise par de multiples affections dans les articulations touchées, telles
que la dégradation et la perte progressive du cartilage, la formation d’excroissances osseuses et
l’inflammation du tissu synovial. Les symptômes cliniques comprennent des douleurs localisées,
une raideur articulaire et des déformations des articulations, qui peuvent évoluer avec la sévérité
des affections. La Figure 1.10 illustre les déformations importantes que l’arthrose peut engendrer
au niveau des articulations des doigts. Les dégénérations causées par la pathologie engendrent
dimportants handicaps chez les patients, tels que la diminution des capacités de force de
préhension (Dominick et al., 2005; Jones et al., 2001; Lee et al., 2012; McQuillan et al., 2016; Zhang
et al., 2002), des difficultés à effectuer des tâches de la vie quotidienne (Jones et al., 2001;
Kalichman & Hernández-Molina, 2010; Zhang et al., 2002) et la réduction des amplitudes
articulaires (Jones, 2005). La gêne fonctionnelle est souvent fonction de l’importance de la douleur
et des atteintes structurelles. Concernant l’arthrose du poignet, les patients présentent des
symptômes comme des douleurs, un gonflement de l’articulation et une amplitude de
mouvements réduite (Shah & Stern, 2013; Strauch, 2011). Cette perte de mobilité a une incidence
1. Introduction générale
31
limitée sur les activités quotidiennes. En effet, elles nécessitent une faible mobilité du poignet avec
un minimum de 30° d’extension, 5 à 10° de flexion, 10° d’inclinaison radiale et 15° d’inclinaison
ulnaire (Palmer et al., 1985), soit une mobilité nettement inférieure à la mobilité maximale d’un
sujet sain. Cette zone de mobilité restreinte pour les tâches de la vie quotidienne explique en
partie la longue tolérance de l’arthrose du poignet.
1.2.1.c) Impact socio-économique
Le handicap et la prise en charge de l’arthrose ont des coûts très importants. Aux États-Unis,
Canada, Royaume-Uni, en Australie et en France, la prise en charge des troubles
musculosquelettiques et de l’arthrose représentent entre 1% et 2.5% du produit national brut
(March & Bachmeier, 1997). En France, les coûts directs de l’arthrose s’élevaient à 1,6 milliard
d’euros en 2002 (Le Pen et al., 2005) et ont été estimés à près de 3 milliards d’euros en 2010
(Grange et al., 2012). L’impact économique de l’arthrose ne devrait que croître (Barbour et al.,
2017; Turkiewicz et al., 2014) avec le vieillissement de la population et la dynamique de
l'épidémie d'obésité, deux facteurs de risques majeurs pour l’arthrose de la main comme expliqué
Figure 1.10 Photo et cliché radiographique de la main droite d’un patient atteint d’arthrose des
doigts de la main. Les caractéristiques principales sont visibles telles que les déformations osseuses,
les ostéophytes, le rétrécissement de l’espace articulaire (JSN) et la sclérose de l’os sous-chondral.
Illustration issue de (Marshall et al., 2018).
1. Introduction générale
32
en partie 1.2.3.a), et sachant qu’aucun traitement curatif n’est disponible à ce jour (Zhang et al.,
2007).
1.2.2. Une pathologie de larticulation
1.2.2.a) Description d’une articulation saine
Une articulation, dont une illustration simplifiée est donnée Figure 1.11.A, est composée de
différents tissus ayant chacun un rôle spécifique. Le cartilage hyalin articulaire est un tissu présent
dans toutes les articulations synoviales. Il est appelé « hyalin », du grec ancien « qui a la
transparence du verre », car sa richesse en protéoglycanes lui confère un indice de réfraction élevé
qui rend les fibres de collagène invisibles. Il possède des propriétés tribologiques permettant un
glissement efficace des surfaces articulaires. Le rôle du cartilage est aussi d’absorber et de
transmettre les efforts transitant par l’articulation à l’os sous-chondral. Le cartilage articulaire est
composé d'une matrice extracellulaire (MEC) avec une population cellulaire peu dense composée
uniquement de chondrocytes, représentant entre 1% et 2% du volume du cartilage (Buckwalter
et al., 2006). La MEC est principalement composée d’eau (60 à 80%) et de macromolécules (20 à
40%) telles que les fibres de collagène, les protéoglycanes et les protéines non collagéniques. La
MEC forme une structure poreuse dont les fibres de collagène donnent au cartilage sa forme et sa
résistance à la traction (Buckwalter et al., 2006). Le cartilage est un tissu biphasique par ses
compositions solides et liquides. Dans l’épaisseur du cartilage, il existe quatre zones qui
présentent des porosités, des architectures du réseau collagénique ainsi que des proportions
d’eau différentes. Une représentation de ces différentes zones de cartilage est illustrée en Figure
1.11.B. Depuis la surface du cartilage à l’os sous-chondral se trouvent la couche superficielle, la
Figure 1.11 Représentation schématique (A) d’une articulation synoviale et (B) d’une coupe du
cartilage illustrant l’organisation des chondrocytes dans les trois couches du cartilage non calcifié
ainsi que la tidemark et l’os sous-chondral. Illustration issue de (Martel-Pelletier et al., 2016).
1. Introduction générale
33
couche intermédiaire, la couche profonde et enfin le cartilage calcifié qui permet au cartilage
d’adhérer à l’os. La jonction entre les zones non calcifiée et calcifiée est nettement visible en
histologie et correspond au « tidemark » ou front de minéralisation. L’os sous-chondral est l’os
situé sous le cartilage articulaire. Il sert d’ancrage rigide au cartilage plus souple et transmet les
efforts du cartilage à l’os. Le liquide synovial est un liquide situé dans la cavité synoviale produit
par la membrane synoviale. Il a deux rôles principaux : l’un est d’assurer la nutrition du cartilage
articulaire qui est non vascularisé et l’autre est de lubrifier les surfaces articulaires (Unsworth et
al., 1975).
Le cartilage est dépourvu de vaisseaux sanguins, de vaisseaux lymphatiques et de nerfs. C’est
un tissu conjonctif qui se régénère mal, qui cicatrise difficilement et qui a une faible activité
métabolique (Sophia Fox et al., 2009). Cependant, les chondrocytes sont responsables du
remodelage et de la réparation de la MEC, et préservent ainsi l’intégrité du cartilage (Sophia Fox
et al., 2009). Dans des conditions physiologiques, les chondrocytes maintiennent l’équilibre
matriciel nécessaire pour que le cartilage s’adapte aux différentes contraintes mécaniques
auxquelles il est soumis. En effet, l’homéostasie du cartilage dépend d’un équilibre entre
l’anabolisme (synthèse des composants matriciels) et le catabolisme (dégradation des
composants matriciels). Le remodelage de la MEC dépend en partie de stimuli mécaniques par
l’intermédiaire de mécanorécepteurs à la surface des chondrocytes (Buckwalter et al., 2006). Le
stress mécanique est un élément régulateur de l’homéostasie du cartilage, mais également de l’os
sous-chondral. Une partie des nutriments nécessaires à l’homéostasie du cartilage proviennent de
l’os sous-chondral, et de nombreux auteurs considèrent le complexe {Cartilage + Os sous-
chondral} comme une unité fonctionnelle (Pan et al., 2009).
Plusieurs études ont montré que le stress mécanique peut soit être délétère et entrainer la
production de médiateurs de l’inflammation, soit être protecteur, notamment contre
l’inflammation. Les amplitudes de contraintes statiques normales sont relativement similaires
d’une articulation à l’autre et vont de 0,5 à 15 MPa en fonction des données de la littérature et des
contraintes moyennes ou maximales (Arokoski et al., 2000; Brand, 2005; Clements et al., 2001;
Grodzinsky et al., 2000). Ces niveaux de contraintes sont associés au maintien et à l’homéostasie
du cartilage. Il est aussi à noter l’importance du nombre et de la fréquence des cycles de
chargement appliqué au cartilage (Chen et al., 1999). Des contraintes mécaniques excessives
peuvent entrainer la mort des chondrocytes et ainsi mettre en péril l’intégrité du cartilage. Le
cartilage ne peut survivre à des pressions de contact supérieures à 15 à 35 MPa selon les études
(Clements et al., 2001; D’Lima et al., 2001; Kerin et al., 1998; Kerin et al., 2003; Torzilli et al., 1999).
Les niveaux de contraintes mécaniques aux articulations jouent donc un rôle important dans
l’intégrité du cartilage. Ce postulat sera étudié en détail pour les articulations des doigts de la main
dans le Chapitre 5.
1. Introduction générale
34
Grâce au potentiel osmotique des protéoglycanes, les molécules d’eau sont attirées dans la
MEC. Le cartilage au repos a donc une pression hydrostatique supérieure à celle de l’espace intra-
articulaire. De plus l’eau se lie à certaines protéines libres présentent dans la MEC pour former un
hydrogel. Le frottement avec la phase solide cartilagineuse limite fortement l’écoulement de ce
fluide lorsque le cartilage est sollicité en compression. La résistance à l'écoulement de la phase
fluide et la pressurisation initiale dans la MEC constituent les deux mécanismes de base qui
confèrent au cartilage articulaire sa capacité à supporter des charges cycliques importantes
(Ateshian, 2009; Sophia Fox et al., 2009).
1.2.2.b) Description d’une articulation arthrosique
L’arthrose a longtemps éconsidérée comme une pathologie du seul cartilage. Bien que la
pathogenèse ne soit pas encore fermement établie, il existe aujourd’hui un consensus (Bijlsma et
al., 2011; Brandt et al., 2006) sur le fait que l’arthrose est une pathologie globale de l’articulation,
comprenant le cartilage, mais aussi le tissu synovial, l’os sous-chondral, les ligaments et les
structures péri-articulaires (tendons et muscles).
La dégradation du cartilage résulte d’un déséquilibre entre la synthèse et la dégradation des
composants de la MEC conduisant à l’altération de l’homéostasie du cartilage. L’arthrose se
produit généralement dans des conditions de surcharge excessive d’une matrice cartilagineuse
normale ou de surcharge normale d’une matrice cartilagineuse vulnérable. Au cours du
développement de l’arthrose, les chondrocytes changent de phénotype, forment des agglomérats
et peuvent éventuellement s’autodétruire par apoptose (Martel-Pelletier et al., 2016) qui
correspond au processus par lequel la cellule déclenche son autodestruction en réponse à un
signal. Les chondrocytes n’assurant plus leur fonction, l’intégrité de la MEC du cartilage n’est plus
maintenue. Il en résulte une fibrillation du cartilage superficiel qui modifie sa morphologie de
surface, entrainant une augmentation du frottement et donc de l’usure du cartilage (Li et al.,
2013). Cette usure provoque une inflammation de l’articulation qui déclenche une signalisation
appelant à dégrader la matrice cartilagineuse abimée, ce qui accentue la dégénérescence. Les
fissures du cartilage réduisent sa capacité à emprisonner des protéoglycanes ce qui conduit à une
altération de ses propriétés mécaniques (Mow et al., 1984). Parallèlement, il s’opère une avancée
du front de calcification vers la couche intermédiaire qui conduit à l’extension de la zone de
cartilage calcifié. La multiplication des « tidemark » témoigne de ce phénomène (Li et al., 2013).
L’implication de l’os sous-chondral dans cette pathologie a fait l’objet de nombreux travaux
(Brandt et al., 2006; Goldring & Goldring, 2010; Li et al., 2013). Des modifications et dégradations
de l’os sous-chondral sont liées à l’apparition et au développement de l’arthrose, comme
l’existence d’une condensation de l’os sous-chondral due à un remodelage osseux important
(Finnilä et al., 2017) ou la présence d’ostéophytes et de géodes osseuses. Les ostéophytes, ou
1. Introduction générale
35
excroissances osseuses, se forment en périphérie des plaques d’os sous-chondral. Il est difficile de
savoir s’ils caractérisent un remodelage perturbé, ou s’ils constituent une réaction physiologique
visant à stabiliser l’articulation et pourraient enrayer le développement de l’arthrose comme cela
a été suggéré dans un modèle animal (Hsia et al., 2017). Le rôle de l'os sous-chondral dans la
pathogenèse de l'arthrose reste controversé. Des études s’interrogent s’il s'agit d'un facteur
déclencheur ou d'une conséquence secondaire de la dégénérescence du cartilage (Madry et al.,
2010; Radin & Rose, 1986).
La synovie et la capsule synoviale sont aussi impliquées dans l’arthrose. Des études
arthroscopiques montrent que dans plus de 50% des cas d’arthrose il existe une synovite dans
l’articulation symptomatique (Scanzello & Goldring, 2012). La capsule articulaire génère alors un
liquide synovial aux propriétés lubrifiantes dégradées (Elsaid et al., 2005). Elle génère également
des molécules participant à la destruction du cartilage (Sellam & Berenbaum, 2010).
1.2.3. Une pathologie multifactorielle
Dans la recherche des causes de l’arthrose, les cliniciens font tout d’abord une première
distinction entre l’arthrose primaire et l’arthrose secondaire. L’arthrose primaire est liée au
vieillissement naturel ou accéléré de l’articulation. Elle est multifactorielle (Kloppenburg & Kwok,
2012) et communément qualifiée d’idiopathique, car d’origine mal connue. Au contraire, lorsque
l’arthrose est causée par un traumatisme ou par certaines maladies métaboliques, elle est
qualifiée d’arthrose secondaire. Bien que l'étiologie soit différente de celle de l'arthrose primaire,
les symptômes et la pathologie qui en résultent sont les mêmes. Si les mécanismes d’apparition
de l’arthrose ne sont pas encore clairement établis, plusieurs facteurs de risques ont été identifiés.
1.2.3.a) Arthrose primaire
Les facteurs de risque de l’arthrose primaire peuvent être regroupés en deux catégories : les
facteurs de risques biomécaniques, également appelés locaux, et les facteurs systémiques,
également appelés globaux. Les facteurs de risques globaux sont liés à la spécificité du sujet et
sont causés par des facteurs non modifiables, génétiques, sexe, âge et/ou modifiables, obésité ou
régime alimentaire (Herrero-Beaumont et al., 2009). Les facteurs de risques locaux seront
développés plus en détail dans la prochaine partie. Le principal facteur de risque darthrose est
l’âge, l’incidence de l’arthrose croissant continuellement avec celui-ci (Kloppenburg & Kwok,
2012; Prieto-Alhambra et al., 2014). Ce facteur de risque est modulé par le sexe de l’individu, les
femmes étant plus touchées par l’arthrose des mains que les hommes (Prieto-Alhambra et al.,
2014). La génétique semble aussi jouer un rôle puisque plusieurs preuves de l’influence génétique
de l’arthrose ont été démontrées dans la littérature (Spector & MacGregor, 2004; Weldingh et al.,
2019). Néanmoins, l’hérédité peut inclure d’autres facteurs de risques aggravants comme
1. Introduction générale
36
l’obésité. Si l’obésité, justement, représente un des facteurs de risque d'arthrose des plus
importants au niveau des articulations porteuses comme le genou et la hanche du fait d’un
chargement mécanique accru (Jiang et al., 2012), elle semble également jouer un rôle dans
l’arthrose des membres supérieurs et des mains (Carman et al., 1994; Haara et al., 2003; Yusuf et
al., 2010). Ainsi, même si les mains ne sont pas impactées par une surcharge pondérale, l’obésité
est malgré tout un facteur global qui favorise une inflammation généralisée et induit des effets
métaboliques délétères pour le cartilage, quelle que soit l’articulation considérée.
1.2.3.b) Arthrose secondaire
Les causes de l’arthrose secondaire sont bien identifiées (Arden & Nevitt, 2006; Hart & Spector,
2000; Herrero-Beaumont et al., 2009) et incluent les traumatismes, les anomalies anatomiques et
les troubles métaboliques. Les traumatismes endommagent les surfaces articulaires, rendent les
articulations instables et provoquent donc une dégénérescence accélérée du cartilage. Ainsi, un
facteur de risque important de la rhizarthrose (arthrose de l’articulation TMC du pouce) est le
résultat d’une instabilité articulaire due à des lésions ligamentaires, tendineuses ou musculaires.
Les anomalies anatomiques entrainent une surcharge de certaines zones de l’articulation par
rapport à d’autres. Les troubles métaboliques, résultant par exemple d’un diabète, altèrent la
qualité du cartilage.
L’arthrose du poignet est majoritairement secondaire d’origine post-traumatique à la suite de
fractures ou instabilités ligamentaires. Il a été montré qu’une majorité des arthroses localisées
au carpe se situent à l’articulation radio-scaphoïdienne (Watson & Ballet, 1984). Les deux
étiologies les plus fréquentes sont les instabilités intra-carpiennes et les défauts de consolidation
du scaphoïde :
- Le poignet SLAC (Scapho-Lunate Advanced Collapse) correspond à une usure progressive des
surfaces articulaires du poignet provenant de la rupture du ligament scapho-lunaire qui est le
principal stabilisateur de l’articulation scapho-lunaire. Une illustration de ce type d’instabilité
est définie en Figure 1.12.A. Cette rupture du ligament peut survenir suite à une entorse du
poignet (Watson & Ballet, 1984). Cette déchirure, qui passe souvent inaperçue, entraine une
instabilité entre le scaphoïde et le lunatum. Le poignet de type SLAC contribue à lui seul à
environ 55% des cas d’arthrose du poignet (Feydy et al., 2009).
- Le poignet SNAC (Scaphoid Non-union Advanced Collapse) correspond à une usure progressive
des surfaces articulaires du poignet provenant d’une pseudarthrose du scaphoïde, c’est-à-dire
une absence de consolidation après fracture du scaphoïde (Shah & Stern, 2013). Une
illustration de ce type d’instabilité est définie en Figure 1.12.B. Le scaphoïde consolide
difficilement après une fracture, le plus souvent consécutif à un traumatisme en hyper-
extension du poignet lors d’une chute, qui peut passer inaperçu sur les clichés
1. Introduction générale
37
radiographiques. Près de 10% des fractures de la main et 60% des fractures du carpe
impliquent le scaphoïde (Hove, 1993).
Chez un patient sain, le scaphoïde et le lunatum fonctionnement en binôme lors des
mouvements de flexion-extension du poignet. Avec un poignet de type SLAC ou SNAC, les
mouvements du scaphoïde et du lunatum deviennent indépendants ce qui entraine une
incongruence des facettes articulaires du radius et du scaphoïde. Les changements dans la
répartition des chargements mécaniques entraineront des altérations des pressions et des zones
de contact (Burgess, 1987). Ce mécanisme va entrainer une usure progressive du cartilage à
l’origine de l’arthrose. Le délai évolutif vers l’arthrose du poignet est un processus long de
plusieurs années (Mack et al., 1984; Vender et al., 1987).
Au-delà du caractère multifactoriel de l’arthrose, les chargements mécaniques subis par les
articulations, autrement dit les forces et pressions de contact articulaires, sont considérés comme
un des facteurs de risque primordiaux, car ils sont associés à l’usure de l’articulation (Alexander
& van Puymbroeck, 1994; Arden & Nevitt, 2006; Hart & Spector, 2000; Herrero-Beaumont et al.,
2009; Zhang & Jordan, 2010). Ce facteur de risque mécanique a été largement étudié sans véritable
consensus et est détaillé dans la partie suivante. Il fera également l’objet d’une étude dans le
Chapitre 5.
1.2.4. Les facteurs de risques mécaniques
Les études concernant les facteurs de risques mécaniques sont le plus souvent contradictoires
et donnent lieu à des conclusions différentes. Une première hypothèse serait qu’un chargement
mécanique élevé des articulations contribue au développement de la pathologie. En effet, il a été
observé que les individus ayant une force de préhension élevée sont plus exposés (Chaisson et al.,
1999), que la main dominante est plus fréquemment et plus sévèrement affectée (Caspi et al.,
Figure 1.12 Illustration des traumatismes engendrant une arthrose secondaire du poignet.
Arthrose (A) après une lésion du ligament scapho-lunaire (ou SLAC) et (B) après une fracture du
scaphoïde (ou SNAC).
1. Introduction générale
38
2001) et que les membres paralysés semblent être moins à risques (Segal et al., 1998). Toutefois,
ce point de vue est contrasté par des études qui semblent indiquer que les articulations ne
subissant pas d’activités physiques sont également à risques, autrement dit qu’une réduction du
chargement mécanique pourrait engendrer l’arthrose (Alexander, 1989; Hagiwara et al., 2009). Il
semble donc qu’une articulation insuffisamment utilisée serait aussi délétère qu’une articulation
surchargée pour l’apparition et le développement de l’arthrose. Cette théorie est portée par de
nombreux auteurs (Arokoski et al., 2000; Brand, 2005; Musumeci, 2016; Sun et al., 2011). La
quantification des chargements mécaniques subis par les articulations semble être l’une des clés
pour comprendre l’influence des facteurs de risques mécaniques dans l’apparition et le
développement de cette pathologie.
1.2.4.a) Risques associés aux types de préhension
En mettant la fréquence d’occurrence de l’arthrose au regard de l’utilisation incessante de la
main, son développement à la suite d’une sollicitation excessive de l’articulation apparait comme
particulièrement plausible. En particulier, il semble qu’il existe des risques spécifiques associés à
certaines tâches de préhension au quotidien. Il a été observé que les individus favorisant la
préhension pinch grip semblent être plus exposées que celles utilisant la préhension power grip
(Hadler et al., 1978; Jensen et al., 1999; Lawrence, 1961; Moran et al., 1985; Solovieva et al., 2005).
Cette observation est surprenante puisque, comme expliqué dans la partie 1.1.4.c), les niveaux de
force de préhension semblent indiquer l’inverse. Les forces en power grip sont en effet six fois
supérieures à celles du pinch grip indiquant que les chargements mécaniques articulaires seraient
plus importants durant le power grip. Pour autant, il a été montré que les forces de contact
articulaires normalisées par la force exercée sur le doigt sont deux à huit fois plus élevées durant
le pinch grip quen power grip (Goislard de Monsabert et al., 2014). Ce résultat peut s’expliquer
par une configuration articulaire moins avantageuse de la préhension pinch grip comparée au
power grip en termes de longueurs musculaires et de bras de levier nécessitant des actions
musculaires plus importantes pour équilibrer les forces externes exercées sur le doigt. En effet,
les contractions musculaires influencent directement l’intensité des forces articulaires (Goislard
de Monsabert et al., 2012; Vigouroux et al., 2011). De plus, le pinch grip est une tâche de précision
dont la durée et la répétition sans repos participent à l’historique du chargement mécanique des
articulations. Il a également été démontré que l’usure du cartilage à l’articulation TMC est plus
prononcée dans des positions articulaires spécifiques telles que le pinch grip qui entraine une non-
congruence des surfaces articulaires du trapèze et du premier métacarpe du pouce (Ateshian et
al., 1995; Pellegrini et al., 1993). Par conséquent, les tâches utilisant le pinch grip telles qu’écrire
ou coudre sont potentiellement plus traumatisantes au niveau ostéoarticulaire qu’une tâche
utilisant le power grip, telles que frapper au marteau ou manipuler une pioche.
1. Introduction générale
39
Le constat uniquement fondé sur la mesure de la force de préhension n’est pas suffisant pour
conclure sur les mécanismes d’apparition et de développement de l’arthrose comme cela a été
démontré dans l’étude de Goislard de Monsabert et al. en 2014. Il est donc nécessaire d’apporter
des données quantifiées sur le comportement mécanique des articulations de la pince pouce-
index durant la tâche de pinch grip qui est plus pertinente que le power grip. De plus, le pinch grip
est la préhension la plus étudiée, tant du point de vue de la préhension elle-même (Napier, 1956;
Vergara et al., 2014), que celui du contact articulaire (Moran et al., 1985; Radin et al., 1971) ou de
l’estimation des forces musculaires (Kursa et al., 2005). C’est dans ce sens que nous étudierons
spécifiquement la tâche de pinch grip dans le Chapitre 5.
1.2.4.b) Risques spécifiques aux articulations
Les études cliniques indiquent également que des risques semblent être spécifiques aux
différentes articulations des doigts de la main et du poignet. Ainsi, il a été observé sur une série
de 210 clichés radiographiques que 57% des poignets atteints d’arthrose présentaient
initialement une atteinte de l’articulation radio-scaphoïdienne (Watson & Ballet, 1984). Cette
articulation du poignet présente donc plus de risques d’apparition et de développement
d’arthrose. Les cinq doigts de la main ne sont pas non plus affectés de la même manière par
l’arthrose. Les articulations les plus fréquemment et sévèrement touchées sont les articulations
distales (DIP) pour les doigts longs, et, l’articulation proximale (TMC) pour le pouce (Butler et al.,
1988; Caspi et al., 2001; Dahaghin et al., 2005; Zhang et al., 2002). Ainsi, alors que le pouce a une
structure mécanique similaire aux quatre doigts longs avec trois segments mobiles en chaîne
ouverte, il est affecté de manière différente par l’arthrose. Le pouce aurait des chargements
mécaniques articulaires spécifiques qui diffèreraient de ceux de l’index ou d’un autre doigt long.
En outre, il a été démontré dans des tâches de préhension que les forces articulaires suivent une
augmentation dans la direction disto-proximale le long des articulations des doigts (An et al.,
1985; Goislard de Monsabert et al., 2014; Weightman & Amis, 1982). Cela est principalement dû
aux contractions musculaires, car le nombre de muscles traversant une articulation augmente
dans la direction proximale le long de chaque doigt, ce qui entraine une plus grande compression
des articulations proximales. Ainsi, les forces de contact articulaire sont plus importantes à
l’articulation TMC qu’aux deux autres articulations distales du pouce, et plus importantes aux
articulations MCP qu’aux articulations PIP et DIP des doigts longs (Goislard de Monsabert et al.,
2014). Ce résultat basé uniquement sur les forces de contact articulaire n’explique donc pas la
différence de localisation d’arthrose entre le pouce et les doigts longs. De plus, la plus grande
stabilité des articulations des doigts longs comparée à l’articulation TMC pourrait expliquer en
partie ces différences. Ainsi, une hyperlaxité à l’articulation TMC a été associée à la rhizarthrose
qui ne semble pas exister au niveau des doigts longs (Jónsson et al., 1996). La biomécanique
singulière du pouce, et particulièrement celle de l’articulation TMC qui permet des mouvements
1. Introduction générale
40
d’opposition, peut expliquer les différences d’apparition et de développement d’arthrose entre le
pouce et les doigts longs.
Aucune étude portant sur les niveaux de chargements articulaires au niveau de la pince pouce-
index n’a pu expliquer ces phénomènes qui restent donc inexpliqués. La prise en compte de
résultats numériques supplémentaires aux seules forces de contact articulaires lors de la
modélisation, comme l’étude de la répartition locale des chargements mécaniques et la prise en
compte des propriétés matériaux des tissus ou de l’épaisseur du cartilage, pourrait ainsi apporter
des éléments de compréhension supplémentaires. Cela fait l’objet d’une question à laquelle nous
tenterons de répondre dans le Chapitre 5.
1.2.4.c) Facteurs de risques individuels
L’arthrose peut résulter de prédispositions génétiques, de dérèglements hormonaux ou même
d’autres pathologies qui sont des facteurs différents d’un individu à l’autre. Il existe des variations
dans la prévalence de l’arthrose de la main en fonction des différences géographiques et ethniques
des populations (Yoshida et al., 2002) qui peuvent s’expliquer par les différences de mode de vie
entre ces populations. D’un point de vue biomécanique, sans évoquer la survenue de fractures ou
de traumas articulaires notamment au niveau du poignet qui dégénèrent irrémédiablement vers
de l’arthrose secondaire, comme énoncé précédemment en partie 1.2.3.b), les spécificités du
système musculosquelettique de la main, propre à chacun, peuvent représenter un facteur de
risque individuel. Selon l’historique de leurs activités, de leur entrainement ou de leurs
pathologies, les individus peuvent présenter des adaptations particulières au niveau
ostéoarticulaire ou musculaire pouvant avoir une incidence sur le développement de l’arthrose.
Par ailleurs, il est envisageable qu’un individu présentant de très fortes capacités musculaires ou
des déséquilibres importants entre les capacités des muscles agonistes et antagonistes puisse être
plus à risque. Au-delà de la compréhension des mécanismes à l’origine de l’arthrose, il est
important de prendre en compte certaines spécificités individuelles, anatomiques et musculaires
afin d’adapter à chaque patient les traitements cliniques et les programmes de prévention. C’est
une problématique que nous aborderons dans les Chapitres 5 & 6.
1.2.5. Diagnostic de l’arthrose
Il existe trois définitions de l’arthrose : arthrose radiologique si le diagnostic repose
uniquement sur l’imagerie médicale, symptomatique si les symptômes sont présents et pris en
compte, et clinique si des signes cliniques d’arthrose (limitation des amplitudes articulaires,
diminution de la force de préhension…) sont mesurés.
1. Introduction générale
41
1.2.5.a) Diagnostic de l’arthrose des doigts de la main
Le diagnostic de l’arthrose des doigts de la main est symptomatique et clinique et, en principe,
aucun examen complémentaire n’est absolument nécessaire si les signes cliniques et les
symptômes, définis dans la partie 1.2.1.b), sont importants. Pour autant, en cas de doute, le
diagnostic de l’arthrose radiologique se fait par lecture d’un cliché radiographique en utilisant
principalement la méthode de classification de Kellgren-Lawrence (KL) (Kellgren & Lawrence,
1957) identifiant quatre grades distincts d’arthrose (Tableau 1.2 & Figure 1.13). Une arthrose
radiologique est diagnostiquée si le score de KL est supérieur ou égal à 2 (Kellgren & Lawrence,
1957).
Tableau 1.2 Méthode de classification radiologique de Kellgren-Lawrence de l’arthrose.
Grade d’arthrose
Caractéristiques radiologiques associées
Grade 0
Aucun
Aucune caractéristique de l'arthrose
Grade 1
Douteux
Petits ostéophytes, signification douteuse
Grade 2
Mineur
Ostéophyte avéré, espace articulaire non altéré
Grade 3
Modéré
Diminution de l'espace articulaire
Grade 4
Sévère
Altération de l'espace articulaire avec sclérose de l'os sous-chondral
Figure 1.13 Clichés radiographiques des articulations interphalangiennes distale et proximale
d’un doigt long aux quatre grades d’arthrose du score de KL. Illustrations issues de (Kellgren &
Lawrence, 1957).
1. Introduction générale
42
Cependant, il existe un découplage entre les symptômes cliniques et les altérations des
structures articulaires visibles sur les radiographies. De nombreuses personnes présentant une
arthrose radiologique ne ressentent aucune douleur ni gêne fonctionnelle, et aucune association
claire entre la douleur articulaire et le grade radiologique de la pathologie n’a été trouvée. Le
nombre de personnes diagnostiquées avec une arthrose radiologique est bien plus important que
ceux présentant une arthrose clinique (Dahaghin et al., 2005; Fassler et al., 1993; Marshall et al.,