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Les bacheliers et leur territoire d'origine: des stratégies différentes à l'heure des vœux d'orientation dans le supérieur

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Abstract

:Au terme des études secondaires en France, les vœux d’orientation dans le supérieur sont certes élaborés en fonction des résultats scolaires, des ressources socio-économiques des familles mais dépendent aussi de la localisation des bacheliers et de leur degré de proximité géographique avec des établissements d’enseignement supérieur. Faute de ressources éducatives à proximité, les familles les plus éloignées des grands centres urbains font des vœux à longue distance. Pour autant, ces souhaits d’orientation se distinguent de ceux émis par les jeunes des grands pôles et de leurs couronnes. Moins diversifiés, ils sont aussi en moyenne moins sélectifs
1
Les bacheliers et leur territoire d’origine : des stratégies
différentes à l’heure des vœux d’orientation dans le
supérieur ?
Arnaud Dupray1, Mélanie Vignale2
1Centre d’Etudes et de Recherche sur les Qualifications (Céreq)
Chercheur associé à Aix Marseille Univ, CNRS, LEST
Marseille
arnaud.dupray@cereq.fr
2Centre d’Etudes et de Recherche sur les Qualifications (Céreq)
Marseille
melanie.vignale@cereq.fr
1. Introduction
Dans le prolongement du rapport CNESCO (2016) qui pointait le déficit d’équité des conditions
de réussite des élèves dans l’enseignement éducatif français, nous souhaitons ici mesurer
d’éventuelles disparités de devenirs dans l’enseignement supérieur selon la localisation
territoriale des jeunes au moment du Bac. Il s’agit, au travers de l’analyse des vœux des élèves,
de s’intéresser, non à leurs devenirs effectifs dans l’enseignement supérieur, mais à leurs
aspirations, compte tenu de leur parcours scolaire, de la situation socio-économique de leur
famille mais aussi de leur origine géographique.
Or, le territoire n’est pas uniforme au regard des établissements d’enseignement supérieur qui
le composent. Ces derniers se trouvent massivement implantés dans les grandes
agglomérations : trente villes concentrent les trois quarts des étudiants de métropole (Brutel,
2010). Ainsi, la distance aux « gisements » de formations supérieures est susceptible
d’intervenir dans le processus de décision à la fois de poursuite d’études et de souhait
d’orientation dans le supérieur. C’est donc bien les conditions du lien entre la localisation de
l’élève et ses ambitions scolaires qui sont interrogées ici. Pour ce faire, on avance l’hypothèse
qu’à conditions égales par ailleurs, les rapports à la mobilité des jeunes et des familles au seuil
de l’enseignement supérieur différent selon leur localisation, conçue en termes d’éloignement
par rapport aux positions géographiques d’une offre de filières et de formations qui peut être à
la fois plus ou moins étendue et plus ou moins sélective.
Cet élément pourrait alors se répercuter sur la nature des vœux émis avec, dans certaines
situations, une préférence pour les établissements les plus proches et une diversification plus
grande du type de vœu pour s’accorder au coût de la distance.
2
Les données 2016 issues de la plateforme admission post bac (APB) demeurée opérationnelle
de 2009 à 2017 vont nous permettre de creuser ces questions. Jusqu’à présent, cette variété
territoriale a surtout été analysée à l’aune de la région (Baron & Perret, 2006 ; Perret 2007) mais
nous voudrions descendre ici sur un découpage en lien avec la densité des populations.
En première approche, nous utiliserons le zonage en aires urbaines (Brutel et Levy, 2011) pour
décrire la diversité des situations géographiques, mais aussi, d’un point de vue descriptif,
l’échelle du département.
L’article se divise en quatre sections. Dans la première, nous revenons brièvement sur les acquis
de la littérature avant d’évoquer dans quel cadre théorique on se situe pour appréhender le lien
entre localisation et vœu d’orientation émis. Puis la deuxième section sera consacrée à la
présentation des données mobilisées et aux méthodes de traitement empirique privilégiées dans
cette étude. Nous commenterons les résultats dans un troisième temps avant de conclure dans
une ultime section.
2. L’orientation à l’issue de la terminale : enseignements et
théorie
Parmi les conditions d’élaboration par les familles des vœux d’orientation dans le supérieur en
France, les résultats scolaires et la série du Baccalauréat préparé jouent un rôle prépondérant
(Nakhili, 2005). Ceci ne doit pas occulter la réalité d’effets d’établissement, qu’ils tiennent à sa
composition sociale ou à ses liens avec l’enseignement supérieur (Draelants, 2013 ; Mirouse,
2016).
En outre, le poids des origines socio-culturelles reste prégnant pour décider du type
d’établissement et de la filière dans laquelle on souhaite s’orienter (Duru-Bellat et Kieffer,
2008) avec une importance variable selon les pays (Dupriez, Monseur et Van Campenhoudt,
2012). Mais au-delà de ces ressorts scolaires et socio-économiques, il convient de s’interroger
sur une variation territoriale des intentions. Cette hypothétique variation territoriale, on souhaite
l’aborder par le diptyque éloignement-proximité. Dans quelle mesure la distance géographique
pour accéder à la ressource convoitée en matière d’enseignement supérieur peut être une
variable importante (ou non) de décision selon sa localisation, par-delà la réalité des contraintes
académiques, sociales et économiques qui pèsent sur les vœux d’orientation ?
Comme le soulignent Berthet et al. (2010) dans une étude en Dordogne, les choix d’orientation
sont gouvernés par l’offre de formation de proximité à la fois compte tenu des souhaits des
familles et des conseils des acteurs scolaires et institutionnels de l’orientation. Les auteurs
évoquent aussi une problématique de « contrainte socio-spatiale », le milieu socioculturel
est susceptible de peser particulièrement sur la distance de mobilité à couvrir pour s’orienter
dans des communes éloignées des centres urbains.
Par ailleurs, Schwartz (1973) attribuait l’effet désincitatif de la distance de mobilité
principalement à un problème d’information sans exclure le coût psychologique de la distance
lié à l’éloignement de son réseau social et affectif. Cet obstacle à la mobilité constitpar le
risque de rupture avec le réseau de socialisation et d’amitiés est bien mis en évidence par Dahl
et Sorenson (2011) dans le cas de travailleurs danois.
Il nous semble que la notion de capital social permet d’appréhender cette réticence à la mobilité
géographique ou de manière positive, la préférence pour la proximité, notamment à un âge où
les liens affectifs associés à la famille sont une composante importante des liens sociaux tissés
par les jeunes. Les liens familiaux ou d’amitié sont favorables à des relations d’entraide, de
3
confiance, génèrent des obligations et des attentes constitutives de liens de réciprocité. À cela,
s’ajoute le fait que ces liens démultiplient les sources et éventuellement les niveaux
d’information mobilisables par égo. Bourdieu (1980) insiste justement sur cet aspect d’utilité
stratégique des interconnexions sociales où le capital social individuel dépend « de l’étendue
du réseau de relations et du volume du capital (économique, social, symbolique) possédé en
propre par chacun de ceux auxquels il est lié… ». Le capital social s’étend aussi à des aspects
non économiques en favorisant les capacités d’intégration ou d’inclusion sociale. La vision du
capital social développée ici est positive, la densité des réseaux de relations contribue à réduire
les coûts de transaction, génère la confiance et facilite les coopérations en vue d’un bénéfice
mutuel. Comme le précise Portes (1998), au niveau individuel, le réseau social, par les normes
qu’il véhicule, peut exercer un certain contrôle social et prévenir des comportements erratiques
tout en permettant un accès privilégié à des ressources. Mais, vu de l’extérieur, il peut réduire
les libertés individuelles et interdire l’obtention de certaines informations ou ressources au
travers de préférences exclusives pour ses membres.
La distinction travaillée par Patulny et Svendsen (2007) entre le degré d’ouverture ou
d’exclusivité du réseau social permet également de penser les conséquences éventuellement
négatives du capital social. À travers le dyptique « Bonding/bridging » plus évocateur en
anglais, ils distinguent ce qui relève de l’attachement : à la famille, à un club, à une secte etc.,
lequel contient un élément de fermeture, d’exclusion et ce qui relève du réseau ouvert,
d’appartenances qui nous relient aux autres. Putnam (2000) parle dans cette seconde acception
« de réseau tourné vers l’extérieur qui englobe des gens au-delà de différents clivages sociaux
qui les distinguent ». Alors que les liens d’attachement sont définis comme des réseaux
centripètes, tournés vers l’intérieur et dont la tendance est de renforcer des appartenances
exclusives et des groupes homogènes. On peut alors associer à la nature différente de ces
réseaux une information de qualité distincte.
Si on revient à la problématique de l’orientation qui nous occupe, dans le cas de l’information
transmise via la famille ou des liens forts pour reprendre le terme de Granovetter (1974), on
devrait être en présence d’une information plutôt limitée mais précise sur les orientations
possibles et les établissements permettant de les dispenser. À ces caractéristiques, on peut
ajouter un fort degré de prescription. Dans le cas de réseaux d’information plus ouverts (amis,
amis d’amis, acteurs de l’orientation, enseignants…), l’information est potentiellement plus
large mais sans doute moins complète sur chacune des alternatives présentées. Elle relève par
ailleurs de l’indication ou de la suggestion, son degré de prescription est bien moindre que dans
le cas précédent (Tableau 1).
Tableau 1 : type d’information selon la nature du réseau social
Réseau social
Information
type
Spectre
Contenu
Prescription
« Bonding »
restreint
précise
forte
« Bridging »
étendu
partielle
faible
On peut, à partir de là, avancer quelques hypothèses.
On sait que les professions supérieures se concentrent dans les grands centres urbains, qui
regroupent les instances de décisions des collectivités, les représentants de l’Etat en région et
les sièges sociaux des grandes entreprises. Par ailleurs, ces grands centres urbains sont
4
alimentés par des flux migratoires et eux-mêmes génèrent des migrations régulières vers
l’extérieur, sources de renouvellement et d’enrichissement des informations et d’extension de
l’espace géographique sur lequel elles portent.
Il en ressort que les familles qui y demeurent ou sont localisées dans leur périphérie seraient
plus à même de mobiliser des réseaux ouverts en complément du ou des réseaux sociaux centrés
sur la famille. Et ces expériences directes ou indirectes d’ouverture leur permettraient
d’envisager une aire de mobilité plus vaste dans les décisions à prendre pour eux-mêmes ou
leurs proches.
Au contraire, les villes isolées ou en milieu rural sont moins poreuses à l’arrivée de populations
extérieures. La communauté est davantage fermée sur elle-même et les ressources en
information à la fois plus limitées car principalement dépendantes de la communauté et plus
signifiantes (et « impliquantes ») car partagées avec redondance par les membres de celle-ci,
élément participant d’un fort contrôle social de la part des aînés (Retière, 2003). On sait par
ailleurs que les jeunes domiciliés en milieu rural s’orientent davantage vers l’enseignement
professionnel, lequel prédispose moins que les filières générales à la poursuite d’études dans
l’enseignement supérieur (Arrighi, 2004). Et dans le supérieur, les filières courtes sont
privilégiées par les jeunes habitant en milieu rural dans la mesure où leurs aspirations d’études
se révèlent plus modestes qu’en ville (Grelet, Vivent, 2011) avec une élection particulière pour
les STS de proximité (Orange, 2009). Comme le montre cette dernière, choisir son orientation
en fonction de ce que font ses pairs est une attitude typique des jeunes des classes populaires
leur permettant de prolonger des sociabilités construites au village (voir aussi Alpe et Barthes,
2014).
On peut donc s’attendre à ce que la préférence pour la proximité en termes d’orientation dans
le supérieur soit exacerbée dans une commune éloignée des grands centres urbains alors qu’un
jeune citadin de même condition sociale devrait, par hypothèse, avoir moins d’aversion pour
une mobilité à longue distance du fait de cercles de soutiens sociaux et informationnels plus
diversifiés. En conséquence, son attachement géographique devrait être plus plastique et avoir
moins d’incidence sur ses choix.
Toutefois, ceci n’implique pas que les vœux puissent être en moyenne à plus longue distance
dans les villes éloignées des grands pôles urbains compte tenu du facteur d’offre : un jeune dont
le souhait ne peut être satisfait par l’offre de proximité est contraint d’étendre son périmètre de
recherche.
3. Présentation des données et méthode
3.1 Les données APB’Stat
Les données utilisées pour cette étude sont issues de la plateforme APB, dispositif précédant
l’actuel ParcourSup mis en œuvre à partir de 2018. Nous disposons des données du millésime
2016, APB’Stat. Elles ont été collectées, mises en forme et anonymisées par la Sous-direction
des Systèmes d’information et d’Etudes Statistiques (SIES) du ministère de l'Enseignement
supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI).
C’est sur cette plateforme que les élèves de terminale établissaient une liste de vœux
hiérarchisée quant à leurs souhaits d’orientation dans le supérieur. Chaque élève avait la
possibilité de lister jusqu’à vingt-quatre formations
1
. Par la suite, à diverses dates, des
1
Avec quelques subtilités pour dépasser ce quota, comme le fait de postuler dans des réseaux d’écoles ou de
doublonner une candidature avec ou sans internat.
5
propositions d’affectation leur étaient faites, qu’ils pouvaient refuser, accepter définitivement
ou encore accepter dans l’attente de mieux (c’est-à-dire un vœu mieux classé dans leur liste de
souhaits).
Tableau 2 Liste des « types de formations » proposés dans APB
Part dans l'ensemble
des vœux
Part des 1ers vœux
45,40
38,2
23,03
29,0
11,48
13,9
11,46
8,7
4,83
3,6
1,04
2,1
0,62
1,35
0,45
0,64
0,45
0,57
0,35
0,61
0,21
0,34
0,21
0,18
0,16
0,24
0,15
0,21
0,10
0,21
0,04
0,07
0,03
0,08
100
100
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016
Les données APB’Stat sont ainsi constituées de plusieurs bases : candidats, vœux et
propositions dont seules les deux premières ont été exploitées ici. La table des candidats
renseigne un ensemble de variables individuelles telles que le sexe, l’âge, la nationalité, la
6
position sociale des parents plus quelques éléments du parcours scolaire comme la série du Bac,
la mention obtenue, ou l’expérience d’un redoublement (déduit en fonction de l’âge).
La table des vœux caractérise chaque souhait de formation émis par les bacheliers, avec
notamment l’ordre du vœu dans la liste, le type de formation (en dix-sept modalités, Tableau
2), la filière détaillée en cent trente et un postes. APB ne couvre pas la totalité des formations
accessibles post-bac. Sont exclus les grands établissements, les instituts d’études politiques, les
formations sanitaires et sociales, les écoles d’art et de management post-bac, les écoles relevant
du ministère de la culture (école d’architectures par exemple).
Au niveau du champ, nous sélectionnons les candidats néo-bacheliers, qui ont validé au moins
un vœu sur la plateforme dont un vœu classé en première position. Sont ainsi exclus les jeunes
qui sont déjà dans le supérieur et passent par APB pour se réorienter. Par ailleurs, nous ne
considérons ici que les vœux émis en « procédure normale », c’est-à-dire hors procédure
complémentaire.
3.1 L’approche géographique
À partir d’informations disponibles dans la base, nous avons pu enrichir nos données en
calculant les distances entre le lieu de résidence des jeunes au moment du Baccalauréat et les
établissements dans lesquels ils postulent. Le logiciel Metric (Insee), utilisant les fonds
cartographiques routiers de l’IGN a été utilisé : les distances sont estimées en kilomètres, par
la route.
La commune de résidence au Bac a également permis d’associer à chaque candidat un type
d’espace de résidence, en reprenant le zonage en aires urbaines de l’Insee. Pour rappel, ce
zonage a été constitué en repérant des « pôles urbains », soit des unités urbaines dépassant
certains seuils d’emplois. La « couronne » d’un pôle est l’ensemble des communes dont au
moins 40 % des actifs en emploi (selon la source Recensement de la population de l’Insee)
travaillent dans ce pôle ou dans une commune de sa couronne. Les communes « multi-
polarisées » atteignent le seuil de 40 % mais avec des flux dirigés vers plusieurs pôles urbains
(ce sont souvent des communes situées au carrefour de plusieurs aires). Le regroupement de
certaines catégories aboutit au découpage suivant : grands pôles (pôles urbains des grandes
aires), couronnes des grands pôles, communes multi-polarisées des grandes aires urbaines
(GAU), autres communes multi-polarisées
2
, petites et moyennes aires (incluant les pôles et les
couronnes des petites et moyennes aires), communes isolées. Au final, la répartition des
candidats du champ retenu est celle présentée dans le Tableau 3.
Les Dom ont également été exclus, pour ne pas être traités de la même façon que les candidats
de métropoles alors que pour ces jeunes, la question d’une mobilité ne se pose pas de la même
façon. Ainsi au final, ce sont 554 019 individus qui sont retenus parmi les candidats
3
, Corse
incluse. Ils sont à l’origine de 4 187 924 vœux.
Tableau 3 - Répartition des candidats selon le type d’espace de résidence au BAC
2
Il s’agit des communes multi-polarisées des petites et moyennes aires.
3
586 575 candidats sont néo-bacheliers et ont au moins validé un vœu 1, parmi lesquels nous en sélectionnons
554 019 sur critères géographiques (voir 3.2).
7
Type d'espace de résidence au Bac
Part des candidats
Grands pôles
60,1
Couronnes des grands pôles
20,3
Multi-polarisé des GAU
5,0
Autre multi-polarisé
4,3
Petites et moyennes aires
6,8
Communes isolées
3,5
Total
100
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016
3.2 Méthodologie
D’un point de vue méthodologique, des modèles de régression linéaire vont nous permettre
d’analyser, dans un premier temps, le lien entre le nombre de filières demandées sur l’ensemble
des vœux et la localisation géographique du néo-bachelier, en contrôlant les antécédents socio-
culturels et académiques de l’élève.
Dans un deuxième temps, on examinera le lien entre la distance au premier vœu d’orientation
(dépendante) et la localisation (ZAU, département) en intégrant au modèle les mêmes variables
explicatives que précédemment à l’exception du nombre de vœux émis -, c’est-à-dire le sexe,
le retard au bac, la mention au Bac, la série du Bac, la position sociale des référents légaux 1 et
2, le lien de parenté du référent légal 1 et la présence d’une CPGE dans le lycée de l’élève. À
ces dimensions, on ajoute ici le type de formation, dans une nomenclature un peu plus agrégée
que celle présentée au tableau 2.
Des régressions logistiques permettront d’apprécier les déterminants d’un vœu d’orientation
(premier vœu) vers une filière sélective et notamment les effets propres de la localisation
géographique au Bac. Deux modèles de formation sélective sont testés, le premier sur une
orientation en classe préparatoire (CPGE) ou DUT, le dernier réunissant CPGE et école
d’ingénieur.
Enfin, l’interaction entre aire de la commune de résidence et distance au vœu est testée sur ce
dernier modèle. La « distance au vœu » est celle qui sépare la résidence du candidat de celle de
l’établissement le plus proche proposant ce type de vœu sélectif – une CPGE si c’est ce choix
qui a été fait, une école d’ingénieur sinon et le minimum des deux distances est retenu pour
ceux qui n’ont pas émis de premier vœu dans une formation sélective.
8
4. Résultats : des aspirations variables selon le type d’espace
d’origine
4.1 Nombre de vœux et distance aux établissements demandés
Dans un premier temps, examinons comment les jeunes construisent leurs listes de vœux de
formation, afin de mesurer d’éventuelles variabilités selon l’origine géographique.
En moyenne, chaque candidat formule 7,6 vœux, et les trois quarts en font moins de dix.
Toutefois, le nombre de vœux émis par les candidats n’est pas uniforme. Si le sexe n’apparaît
pas comme une variable discriminante (7,4 pour les femmes et 7,7 pour les hommes), le
parcours scolaire semble, lui, avoir un impact sur le nombre de vœux émis (Graphique 1). Les
bacheliers généraux sont ceux qui font le plus de vœux sur la plateforme, et le minimum est
atteint par les bacheliers professionnels dont Lemêtre et Orange (2017) montrent qu’ils ont des
difficultés à appréhender la logique formelle de l’orientation telle que proposée dans un outil
comme APB. Les bacheliers professionnels font, d’autre part, face à un éventail de formations
accessibles, objectivement plus réduit que les autres bacheliers. La mention au bac, qui peut
être considérée comme un indicateur de réussite scolaire, joue positivement sur le nombre de
vœux : plus la mention est élevée, plus ce nombre augmente.
Graphique 1 - Nombre de vœux selon la série du Bac, la mention, le type d’espace de résidence
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016; Champ : ensemble des candidats (554 019), ensemble des vœux.
Au-delà du nombre de vœux, étudions à quelle distance se situent les établissements demandés
par les bacheliers.
Celle-ci varie selon le profil des jeunes. La distance moyenne à l’ensemble des établissements
demandés sera d’autant plus élevée que la série du Bac s’inscrit dans la filière générale, que la
mention obtenue au Bac est élevée et que le candidat n’a jamais redoublé, tous facteurs qui vont
de pair avec l’élargissement de l’univers des possibles pour des jeunes qui achèvent
0
2
4
6
8
10
12
9
brillamment leur cursus secondaire. Ainsi, un bachelier professionnel avec mention passable
aura une aire de vœu située dans un rayon de 78 km autour de son domicile alors que son
homologue d’une série générale avec mention très bien affichera un rayon de 127 km
(Graphique 3).
L’effet de l’origine sociale est approché à l’aide d’une variable de « position sociale » du
premier référent légal. Plus la position sociale du référent légal est élevée, plus les formations
demandées sont éloignées. Le fait de baigner dans un milieu social favorisé est plus propice à
une mobilité d’étude, d’une part, sans doute car le jeune a plus de chances d’être aidé dans son
orientation (niveau d’information, familiarité avec le système d’enseignement supérieur),
d’autre part, étant donné le capital social parental, lequel peut être mobilisé non seulement pour
trouver la formation désirée, mais aussi un logement dans une ville distante. Les ressources
économiques en lien avec la position sociale permettront enfin de subvenir plus facilement au
coût du logement.
Graphique 2 Distance aux vœux émis selon des caractéristiques scolaires et sociales
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016; Champ : ensemble des vœux.
Enfin, quel que soit le rang du vœu considéré, la distance entre adresse au Bac et établissement
demandé est fortement liée au type d’espace de résidence des candidats. Cette distance croît
avec l’éloignement vis-à-vis des grandes aires urbaines : pour l’ensemble des vœux, la distance
moyenne va de 100 km pour les bacheliers des grands pôles à 184 km pour ceux des communes
isolées. Les distances liées aux premiers vœux sont plus faibles, variant de 69 à 133 km.
Le lien entre distance aux établissements et lieu de résidence au moment du Bac peut
s’expliquer par la répartition géographique de l’offre du supérieur : les grands pôles en
concentrent l’écrasante majorité. À partir de l’identification des formations par leur site
0
20
40
60
80
100
120
140
160
180
En Km
10
(l’établissement dans lequel elles sont dispensées), le type de formation et la filière
4
, 8788
formations différentes sont recensées en France métropolitaine. Et parmi elles, 7750 sont situées
dans un grand pôle, soit près de 90 %.
On peut alors émettre l’hypothèse que c’est par contrainte que les bacheliers les plus éloignés
des grands pôles (i.e. ceux des petites et moyennes aires et de leurs couronnes et des communes
isolées) demandent des formations distantes. Il est même possible que certains renoncent
parfois à demander des formations trop éloignées, en raison des coûts entraînés par de telles
mobilités (financier, social, psychologique…), ou tout simplement par manque d’information à
leur sujet. À l’opposé, les bacheliers des grandes aires urbaines, qui sont moins souvent amenés
à candidater loin de chez eux, postulent préférentiellement dans des établissements situés dans
les principales aires urbaines (les 17 grandes aires urbaines de plus de 500 000 habitants
5
)
lorsqu’ils doivent s’éloigner de leur commune de résidence au Bac. Les plus grandes aires
semblent en effet fonctionner comme un réseau au sein duquel circulent les étudiants du
supérieur
6
.
4.2 Types de formations demandées selon le lieu de résidence et le
profil des candidats
Adoptons à présent un point de vue plus qualitatif, en analysant les types de formations
demandés, en particulier selon la localisation géographique.
Premier constat, les vœux formulés sont plus variés pour les bacheliers des grandes aires
urbaines (grands pôles et leurs couronnes) que pour les autres. En moyenne, les jeunes des
grandes aires demandent environ 2 types de formation (contre 1,7 pour les autres), et entre 3 et
3,5 filières (contre 2,7 pour les autres). Ces jeunes métropolitains profitent d’une offre plus
importante, plus diversifiée, ce qui leur permet d’élargir la palette des formations demandées.
Néanmoins, les écarts restent d’une ampleur plutôt faible, suggérant que ce n’est pas seulement
l’offre qui oriente la demande en matière de formation.
Pour aller plus loin, nous regardons plus en détail comment se répartissent les vœux entre les
divers types de formations proposés dans APB. Le classement des vœux pris dans leur globalité,
comme celui des premiers vœux aboutit au même constat : les licences arrivent en tête, suivies
des BTS-BTSA, DUT, CPGE et formations d’ingénieurs. Ces cinq types de formations
concentrent la quasi-totalité des vœux émis par les bacheliers (96% de l’ensemble des vœux et
93% des premiers vœux). Si l’on croise le type de formations demandées en vœu 1 avec le type
d’espace de résidence, la hiérarchie précédente demeure, quel que soit le type d’espace.
Cependant, des écarts apparaissent dans la structure des vœux d’un type d’espace à l’autre. Par
exemple, pour les bacheliers des grands pôles, les licences représentent 40 % des premiers
vœux, contre 34 % pour les bacheliers des communes isolées ou des communes multi-polarisées
des petites et moyennes aires. Inversement, ces deux types d’espaces, globalement moins
urbanisés que les autres, sont ceux qui émettent la plus forte demande de BTS-BTSA environ
35 % contre moins de 27 % dans les grands pôles. Enfin, les candidats résidant dans les grandes
aires urbaines (pôles ou couronnes) sont nettement plus nombreux à demander des formations
très sélectives telles que les CPGE ou les écoles d’ingénieurs : les CPGE représentent près de
4
Ainsi, par exemple, un établissement proposant deux spécialités de BTS comptera pour 2 formations.
5
À savoir les aires urbaines de Paris, Lyon, Marseille Aix-en-Provence, Toulouse, Lille, Bordeaux, Nice,
Nantes, Strasbourg, Grenoble, Rennes, Rouen, Toulon, Douai-Lens, Montpellier, Avignon, Saint-Etienne.
6
Voir Dupray et Vignale , rapport de l’Observatoire des Territoires 2018, CGET.
11
10 % des premiers vœux dans les grands pôles, contre environ 6 % dans les petites et moyennes
aires, les autres communes multipolarisées et les communes isolées.
Encore une fois, on peut légitimement supposer que ces écarts tiennent, en partie du moins, à
la répartition de l’offre de formation supérieure : les pôles universitaires (licences et IUT), les
classes préparatoires et écoles d’ingénieurs sont en effet les formations les plus concentrées au
sein des grandes aires urbaines, alors que les BTS sont non seulement plus nombreux, mais
également plus disséminés sur le territoire (Cartes 1 et 2). Seuls les BTS-BTSA sont représentés
dans tous les types d’espaces.
Carte 1 et 2 Implantation des formations de type Licence, IUT et BTS
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016
En parallèle, joue également le profil des jeunes, en ce qu’il diverge selon le type d’espace
géographique. Etant donné le phénomène bien connu de concentration des cadres au sein des
métropoles, il n’est pas surprenant de noter que les bacheliers de père ou mère cadre sont plus
nombreux dans les grandes aires urbaines (Tableau 6). 38% des bacheliers des grands pôles ont
au moins un parent cadre, contre 20% ou à peine plus pour ceux des communes les plus
éloignées de ces derniers. Les résultats scolaires semblent faire écho à ces écarts de composition
sociale. Les bacheliers des espaces les plus urbains sont plus souvent titulaires d’un Bac général
et moins souvent d’un Bac Professionnel. Ce dernier constat vient apporter une explication de
plus au fait que les jeunes des espaces plus éloignés des grands pôles demandent davantage des
BTS, à la fois plus accessibles d’un point de vue géographique, mais représentant aussi, pour
certains d’entre eux, une poursuite logique compte tenu de la série du Bac obtenu.
12
Les mentions au Bac les plus élevées sont légèrement plus fréquentes dans les grandes aires
urbaines. Plus surprenant, les redoublements avant le Bac sont plus répandus dans les grands
pôles : cela pourrait être le signe d’une persévérance accrue dans la voie générale dans ce type
d’espace non sans lien avec la proximité en nombre et en diversité des établissements
d’enseignement supérieur. Dans les milieux moins urbanisés, les élèves s’orienteraient plus tôt
sur le marché du travail en cas de difficultés, encouragés aussi par les opportunités d’emploi
qui peuvent s’offrir à eux (Zaffran, 2018).
Tableau 4 Caractéristiques sociales et scolaires des candidats selon le type d’espace
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016. Lecture : dans un grand pôle, 38% des bacheliers ont un parent qui occupe
un emploi de cadre, 23 % ont redoublé au moins une fois avant le Bac…
En résumé, les bacheliers des grandes aires urbaines apparaissent comme mieux dotés dans la
perspective d’études supérieures : issus de milieux sociaux plus favorisés, plus souvent
bacheliers généraux et plus fréquemment détenteurs d’une mention bien ou très bien. On peut
alors se demander si la variabilité des vœux observée d’un type d’espace géographique à l’autre
ne tient qu’à ces divergences de profil ? Ou bien des écarts géographiques persistent-ils une fois
prises en compte les caractéristiques individuelles des bacheliers ? Par ailleurs, ayant observé
que les bacheliers des grandes aires urbaines candidatent préférentiellement dans des
établissements situés dans les plus grandes aires, peut-on en déduire que le rapport à la distance
diffère selon le type d’espace d’origine ?
4.3 Un effet propre du territoire ?
Parmi les incidences de la localisation sur les vœux d’orientation après le Baccalauréat repérées
ci-dessus, figure le constat d’une variété moindre des filières demandées dans les tissus et villes
les plus à l’écart des grands centres urbains. Dans le même temps, les caractéristiques socio-
culturelles de leurs habitants, la plus forte proportion de bacheliers issus de l’enseignement
technique ou professionnel, le fait que les bacheliers des grandes aires urbaines émettent un
nombre de vœux plus important pourraient suffire à rendre compte de ce résultat.
Le modèle estimé dans le tableau 5 permet d’explorer l’existence d’un effet propre de la
catégorie d’aire urbaine de la commune de résidence. À cet égard, comparativement aux
habitants des grands pôles, les jeunes résidant dans les autres communes multipolarisées (hors
celles des GAU), dans les petites et moyennes aires et dans les communes isolées affichent une
plus faible variété de filières de vœux que ceux résidant dans un grand pôle. C’est le cas aussi
%
Père ou
mère cadre
Père et
mère cadre
Retard
au Bac
Bac
Général
Bac
Professionnel
Mention
Bien ou
Très bien
Grands pôles
38
13
23
63
16
26
Couronnes des grands
pôles
35
9
18
60
17
25
Multipolarisé des GAU
27
6
18
57
19
24
Autre multipolarisé
21
4
17
56
22
23
Petites et moyennes
aires
23
5
19
58
20
23
Communes isolées
20
4
17
55
22
23
13
des résidents en couronne des grands pôles et en commune multipolarisée des GAU, mais à un
moindre degré.
Il est intéressant de noter par ailleurs que cette variété des vœux est plus faible chez ceux dont
la performance académique est la meilleure (détenteurs de mentions Très Bien et Bien) et parmi
les jeunes d’origine très favorisée, comme si ces atouts constituaient les prémices de vœux à la
fois mieux définis et exclusifs Elle est maximale parmi les détenteurs d’un Bac technologique
et minimale pour les sortants d’une série professionnelle. Avoir redoublé avant le Bac ou être
en échec au Bac au contraire augmentent cette variété, signe possible d’une stratégie la plus
ouverte possible pour augmenter ses chances d’obtenir une place dans l’enseignement
supérieur, peu importe la filière.
Enfin, le coefficient positif de la présence d’une CPGE dans son établissement montre bien que
peut jouer pour certains bacheliers un effet d’aubaine, consistant à demander une CPGE du fait
de sa présence sur place même si la probabilité d’y accéder est faible.
Tableau 5 : Régression du nombre de filières demandées sur l’ensemble des vœux
Dépendante :
Nombre de filières
différentes demandées
Coefficient
Valeur
du test t
Constante
1,880 ***
249,03
femme
-0,075 ***
17,54
retard au Bac
Mention au Bac
0,029 **
5,24
Mention TB
-0,463 ***
-55,62
Mention B
- 0,165 ***
-25,39
Mention AB
passable
-0,058 ***
Ref.
-10,95
Oraux de rattrapage
-0,102 NS
-1,11
Echec au Bac
Série du Bac
générale
0,017 **
Ref.
2,09
professionnelle
-0,669 ***
-106,67
Technologique
Position sociale (référent
légal 1)
0,058 ***
-10,48
Très favorisée
-0,085 ***
-14,30
plutôt favorisée
0,013 *
1,87
défavorisée
0,097 ***
16,3
Non renseignée
Position sociale (référent
légal 2)
0,067 ***
4,51
Très favorisée
-0,065 ***
21,84
plutôt favorisée
-0,018 ***
-2,58
défavorisée
0,089 ***
14,2
Non renseignée
-0,002 ***
-0,3
14
Lycée du Bac inclut une
CPGE
Lien de parenté du référent
légal
Père ou mère
0,104 ***
Ref.
19,26
Ref.
Lui(elle)-même
-0,066 **
-2,14
Tuteur, DASS, autre
0,009
0,29
Membre de la famille
Nombre de vœux
Zonage en aires urbaines de
la commune de résidence
0,124 ***
0,211 ***
3,33
591,7
Couronne des grands pôles
-0,222 ***
-40,34
Multipolarisée des GAU
-0,257 ***
-25,98
Autre multipolariése
-0,313 ***
-29,4
Petites et moyennes aires
-0,291 ***
-33,48
Commune isolée
-0,306 ***
-26,70
Grand Pôle
Ref.
Ref.
0,438
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016 ; * p<0.10, ** p<0.05, *** p<0.01
Dans un deuxième temps, on se concentre sur le premier vœu: sa distance par rapport à la
résidence du bachelier et sa nature sélective (Tableau 6). On confirme ainsi, à conditions
identiques par ailleurs, que la distance à l’établissement du premier vœu est bien maximale au
départ des communes les plus éloignées des grands centres urbains : communes isolées, petites
et moyennes aires et enfin autres communes multi-polarisées. La rareté d’une offre de proximité
et son manque de diversité sont à n’en pas douter responsables de ces vœux à « longue
distance ». Un modèle incluant les départements (non reproduit ici) montre que par rapport aux
bacheliers parisiens, la distance moyenne au premier vœu est ainsi de 180 km plus élevée pour
les bacheliers des Alpes de Haute-Provence et des Hautes-Alpes.
Cette distance est par ailleurs accrue pour les bacheliers de la série générale, avec mention TB
ou Bien, pour les jeunes d’origine très favorisée et pour les jeunes élevés par un autre membre
de la famille que leurs parents biologiques. On montre également que ceux qui expriment des
vœux à longue distance un seuil de plus de 80 km a été retenu pour tenir compte de la nécessité
d’un changement résidentiel ont en moyenne des origines sociales plus favorisées que ceux
qui restent, notamment au départ des territoires ruraux, confirmant des résultats antérieurs
(Coquard, 2015).
En ce qui concerne la nature sélective du premier vœu, si l’on compte CPGE et DUT ensemble,
il apparaît que les résidents en commune isolée et les jeunes habitant dans une autre commune
multipolarisée (hors GAU) ont significativement moins de chance que les autres et en
particulier que les habitants d’un grand pôle d’émettre un tel u sélectif (tests linéaires
d’égalité des coefficients rejetés). Si l’on se restreint aux vœux d’orientation en faveur d’une
CPGE ou d’une école d’ingénieur, les variations selon la localisation s’homogénéisent entre
résidents en commune isolée, petite ou moyenne aire ou autre commune multipolarisée, ces
trois catégories présentant des chances significativement moindres que les bacheliers des
Grands pôles et de leur couronne de former un tel vœu. Les habitants en couronne des grands
pôles et en commune multipolarisée des GAU, favorisés par rapport aux précédents, ont
15
toutefois également moins de chance que les résidents d’un grand pôle d’indiquer en premier
vœu une CPGE ou une école d’ingénieur.
Outre la commune de résidence, un vœu de nature sélective est plus probable lorsque
l’établissement du Bac inclut une CPGE, pour des bacheliers de série générale et d’autant plus
qu’ils l’obtiennent avec une mention élevée, enfin lorsque le jeune a des parents d’origine
sociale favorisée. En revanche, avoir redoublé avant le bac réduit cette probabilité et on notera
que les jeunes filles sont un peu plus désavantagées que leurs homologues masculins dans les
mêmes conditions. Bien que les intensités de ces effets varient d’un type de vœu sélectif à
l’autre, ils se retrouvent dans les deux modèles.
Tableau 6 : Distance et sélectivité du premier vœu
Dépendante
Distance au
premier
Vœu
Vœu 1 =
CPGE ou
DUT
Vœu 1 =
CPGE ou
école
d’ingénieur
Modèle
Linéaire
Logistique
Logistique
Spécification
Coefficients
Coefficients
Coefficients
Constante
47,954***
-1,032 ***
-2,493 ***
femme
4,241 ***
-0,623 ***
-1,056 ***
retard au Bac
5,314 ***
-0,136 ***
-0,409 ***
Mention au Bac
mention TB
37,756 ***
1,176 ***
2,894 ***
mention B
12,665 ***
0,673 ***
2,034 ***
mention AB
3,612 ***
0,38 ***
1,084 ***
mention Passable
ref.
ref.
ref.
Oraux de rattrapage
9,534 NS
-0,271 *
0,180 NS
échec au Bac
2,802 ***
-0,433 ***
-0,624 ***
Série du bac
générale
ref.
ref.
ref.
professionnelle
-8,081 ***
-2,218 ***
-4,641 ***
technologique
-8,169 ***
-0,085 ***
-1,428 ***
Position sociale (référent
légal1)
très favorable
5,219 ***
0,07 ***
0,351 ***
plutôt favorisée
0,331 ns
0,028 ***
0,037 **
moyennement favorisée
ref.
ref.
ref.
défavorisée
-7,624 ***
-0,021 **
-0,14 ***
Non renseigné
4,413 ***
-0,056 **
-0,014 NS
Position sociale (référent
légal2)
très favorable
6,838 ***
0,045***
0,303 ***
16
plutôt favorisée
2,729 ***
0,018 NS
0,087 ***
moyennement favorisée
ref.
ref.
ref.
défavorisée
-2,690 ***
-0,005 NS
0,042 **
Non renseigné
3,774 ***
-0,082 ***
0,042 **
Lycée du Bac inclut une
CPGE
-4,071 ***
0,145 ***
0,304 ***
Lien de parenté du
référent légal 1
Père ou mère
ref.
ref.
ref.
Lui(elle)-même
15,794 ***
-0,085 NS
0,216 *
Tuteur, DASS, autre cas
5,938 **
0,048 NS
0,109 NS
Autre membre de la
famille
27,505 ***
-0,005 NS
0,242 **
Type de formation
licence
4,653 ***
IUT
9,579 ***
CPGE
25,713 ***
Ecole d’ingénieur
96,905 ***
Année préparatoire,
mention complémentaire,
mise à niveau
49,359 ***
STS
ref.
Santé-social
4,216 ***
Architecture-commerce-
métiers d’art
65,664 ***
Autre filière (a)
40,283 ***
Zonage en aires urbaines
de la commune de
résidence
Couronne des grands pôles
23,673 ***
-0,023 ***
-0,155 ***
Multipolarisée des GAU
35,500 ***
-0,044 ***
-0,192 ***
Autre multipolarisée
53,388 ***
-0,098 ***
-0,256 ***
Petites et moyennes aires
59,333 ***
-0,037 ***
-0,254 ***
Commune isolée
71,173 ***
-0,114 ***
-0,246 ***
Grand Pôle
ref.
ref.
ref.
Log-vraisemblance
0,062
533 579,4
288 100,8
Source : MESRI-SIES APB’Stat 2016 ; * p<0.10, ** p<0.05, *** p<0.01
(a) : DCS, DTS, DEUST et DU, autres formations, cycle universitaire préparatoire aux grandes écoles,
diplômes des métiers d'art.
En prenant appui sur le dernier modèle et en calculant pour chaque individu la distance
minimale à l’établissement le plus proche (cf. supra, section 3), la probabilité de mettre en vœu
1 une CPGE ou une école d’ingénieur croît avec la distance pour les résidents des grands pôles
et des couronnes des grands pôles. En revanche, la distance apparaît significativement
17
défavorable pour les habitants des petites et moyennes aires. Elle est aussi plutôt contre-
incitative pour les habitants des communes isolées ou des autres communes multipolarisées,
cependant les coefficients ne sont pas significatifs. Il semble donc que les rapports à la distance
en matière de vœu sélectif tendent à diverger entre les premiers, pour lesquels elle ne représente
pas un frein notable, et les seconds, dont une partie des élèves l’intègrent dans leur stratégie en
s’efforçant de contenir les coûts de la mobilité qui l’accompagnent.
5. Conclusion
De ces analyses, il ressort un certain nombre d’enseignements : Les vœux d’orientation sont
certes élaborés en fonction des résultats scolaires, des ressources socio-économiques des
familles mais dépendent aussi de la localisation des bacheliers et de leur degré de proximité
géographique avec des établissements d’enseignement supérieur.
Faute de ressources éducatives à proximité, les familles les plus éloignées des grands centres
urbains font des vœux à longue distance qu’il s’agisse du premier vœu ou de l’ensemble des
vœux. Pour autant, ces souhaits d’orientation se distinguent de ceux émis par les jeunes des
grands pôles et de leurs couronnes. Moins diversifiés, ils sont aussi en moyenne moins sélectifs,
débouchant plus rarement vers une demande en classe préparatoire, en IUT ou en école
d’ingénieur.
Cette contrainte qui pèse sur les vœux d’orientation des élèves les plus éloignés des centres
urbains, lesquels concentrent la grande majorité des structures de l’enseignement supérieur,
peut tenir à différents mécanismes que nous ne pouvons explorer ici faute de données.
Il est toutefois permis d’avancer quelques hypothèses en lien avec l’approche théorique de
l’influence du capital social développée au début.
Un niveau d’information déficitaire à la fois de la part des familles et du corps des enseignants
et des conseillers d’orientation dont les connaissances se projetteraient sur un périmètre local
ou académique, pourrait rendre compte des constats sur l’étroitesse des vœux.
Le capital social des familles des communes isolées de petite taille, potentiellement moins
familiarisées avec le fonctionnement de l’enseignement supérieur, pourrait jouer également un
rôle d’ancrage bien plus substantiel que lorsque ces familles sont davantage connectées à des
réseaux ouverts qui multiplient les ressources informationnelles et diversifient les
communautés de référence. Le capital social s’apparenterait alors au capital d’autochtonie,
conçu comme un ensemble de ressources sociales liées à une reconnaissance locale et à
l’appartenance à des réseaux locaux de sociabilité (Renahy, 2010). Celui qui part, même si c’est
de manière transitoire, romprait en quelque sorte avec la communauté et l’entrelacs de liens de
réciprocité fondés sur l’appartenance locale. Ainsi, le coût monétaire relatif de la mobilité lié à
la distance (qu’il s’agisse d’un emménagement étudiant ou de navettes) et aux ressources socio-
économiques plus modestes des familles dans les villes et villages éloignés des pôles urbains
se doublerait, plus qu’ailleurs, de coûts sociaux et psychologiques.
Ces résultats plaident pour la mise en place de dispositifs qui permettent, en amont, un meilleur
accès à l’information sur les orientations dans le supérieur à destination des bacheliers les plus
éloignés des sites de formation et en aval, des aides à la mobilité à l’instar des associations du
type « Des territoires aux grandes écoles »
7
.
7
Association qui met en rapport des étudiants de grandes écoles ou de filières universitaires prestigieuses comme
Paris Dauphine, eux-mêmes issus de petites villes de province, avec des lycéens de ces petites villes pour leur faire
connaître ces établissements supérieurs et soutenir leurs candidatures.
18
Dans un travail futur, il s’agira de prolonger ces analyses des vœux d’orientation en affinant
l’approche géographique : l’espace des grandes aires urbaines (pôles et couronnes) sera
segmenté selon la taille des aires urbaines. Cela permettra de différencier les modes
d’élaboration des vœux selon le degré de métropolisation des espaces.
19
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