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Retombées collatérales d’un Teaching Experiment: vers une bienveillance didactique

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Abstract

Our research involves interacting with students and teachers through Teaching Experiments conducted in mathematics classes. The core scientific objectives of our work are to study the mathematical strategies used by students and the meaning they associate with the concepts at stake. Our interest in students’ comprehension of and approaches to their mathematics work requires that we continuously take into account the mathematics they produce in class so we can understand their methods and discover their underlying meanings. During a recent project carried out over the course of a school year, teachers from the primary and secondary classes that participated in the study spontaneously and repeatedly commented on the positive impact of our work on class dynamics: it created an environment that stimulated students’ mathematical work and fostered their sustained engagement. Although this was initially outside the scientific scope of our study, the significance and frequency of these comments from teachers caught our attention. This article describes the impact, or collateral outcomes, that our Teaching Experiments had on students and the classroom environment. Following a description of the scientific parameters guiding our research, we identify the scientific and epistemological foundations grounding our work. We then provide a detailed analysis of the collateral outcomes of our approach as expressed in the teachers’ statements. From this analysis emerges the theoretical concept of kindness, which offers a conceptualization of how our Teaching Experiments impact students, the classroom environment and the mathematics performed therein. Studying outcomes through the lens of kindness leads us to propose the notion of didactic kindness, as one that focuses on students’ progress in their mathematic abilities in class.
1
Proulx, J., & Mégrourèche, C. (2021). Retombées collatérales d’un Teaching Experiment: vers une
bienveillance didactique. Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques
et des technologies.
Cet article est disponible au :
This article is available at:
https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs42330-021-00171-5
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Ce qui suit est le pre-print. Il peut être (très) différent de la version finale publiée.
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Retombées collatérales d’un Teaching Experiment : vers une bienveillance didactique
Jérôme Proulx
Charlotte Mégrourèche
Laboratoire Épistémologie et Activité Mathématique, UQAM
Résumé : Nos travaux de recherche nous font intervenir avec des élèves et des enseignants à travers des
Teaching experiments réalisés en classe de mathématiques. Les objectifs scientifiques au cœur de nos
travaux sont centrés sur l’étude des stratégies mathématiques des élèves et le sens que ceux-ci donnent aux
concepts mathématiques à l’étude. Cet intérêt pour les compréhensions et façons de faire des élèves en
mathématiques implique une prise en compte constante des mathématiques qu’ils produisent en classe,
pour les comprendre et saisir leur sens sous-jacent. Lors d’un récent projet étalé sur une année scolaire, les
enseignants des classes du primaire et du secondaire dans lesquelles nous intervenons ont spontanément et
de façon récurrente commenté l’impact positif de notre travail sur la dynamique de classe : par la création
d’un climat stimulant le travail mathématiques des élèves et leur engagement soutenu. Bien
qu’initialement en dehors des intérêts scientifiques de nos recherches, l’importance et la fréquence de ces
commentaires par les enseignants nous ont sensibilisés à leur intérêt. Cet article traite de ces retombées sur
le climat de classe et les élèves, parlées en termes de retombées collatérales, des Teaching Experiments
que nous avons menés. Après une explicitation des orientations scientifiques, une description des
fondements scientifiques et épistémologiques retenus dans nos travaux est proposée. Par la suite, une
analyse de la nature des retombées collatérales de notre approche est détaillée à travers les propos des
enseignants. Cette analyse convoque le concept théorique de bienveillance, comme concept porteur offrant
une conceptualisation des retombées de nos Teaching Experiment sur les élèves, le climat de classe et la
nature des mathématiques qui s’y font. Ces retombées étudiées sous l’angle de la bienveillance mènent en
retour à la proposition de la notion de bienveillance didactique, soit une bienveillance orientée par une
centration sur les mathématiques et leurs avancées en classe avec les élèves.
Mots-clés : Didactique des mathématiques, Teaching Experiment, bienveillance
Introduction
Cet article aborde la question de la bienveillance en classe de mathématiques, sous un angle
didactique. Il est important de souligner que cette thématique de la « bienveillance », bien que de
plus en plus mise en avant dans divers travaux (voir JCACS, 2019), n’était pas du tout
initialement anticipée dans notre travail de recherche. Toutefois, au fil du temps, elle s’est
imposée comme concept théorique porteur pour parler de certaines des retombées de nos travaux
en salle de classe.
En effet, les enseignants des classes dans lesquelles nous travaillons ont rapidement mis en avant,
de façon tant implicite qu’explicite, des retombées du travail que nous réalisons avec leurs élèves
sur un certain climat de classe. Ces retombées sont alors petit à petit devenues un sujet central des
interactions quotidiennes avec eux. Bien que fort loin des préoccupations scientifiques initiales de
nos travaux de recherche centrés sur l’analyse des stratégies et compréhensions mathématiques
3
des élèves, cet arrière-plan relatif aux retombées sur le climat de classe nous a convaincus de lui
porter davantage attention. C’est ici que le concept de bienveillance est venu se greffer, comme
concept théorique porteur pour aborder ce que soulignaient les enseignants relativement aux
changements qu’ils constataient dans leurs classes. Nous avons donc entrepris d’analyser les
propos des enseignants et les actions des élèves sous l’angle de la bienveillance, particulièrement
en la conceptualisant d’un point de vue didactique.
L’article se divise en quatre parties. Dans une première partie, et pour offrir cet arrière-plan au
lecteur pour la suite, une conceptualisation de la notion de bienveillance issue des travaux en
éducation est offerte. Ce regard initial sur la bienveillance est présenté non pas comme si celle-ci
avait eu un statut a priori dans nos analyses, mais plutôt comme un premier pas sur la question de
la bienveillance en classe. Comme ce fut le cas pour nous, ceci permet que son sens se concrétise
peu à peu au fil de l’article à travers des vignettes de classe et des exemples tirés des propos des
enseignants. Tel que l’explique Papert (e.g. 1972), les exemples et illustrations se voient enrichis
et leurs sens plus faciles à saisir si le lecteur possède déjà une compréhension relative à l’ancrage
conceptuel recherché par leur présentation; en retour, les exemples et les illustrations de notre
travail permettent aux affirmations théoriques (ici, concernant l’intérêt de convoquer le concept
de bienveillance) de développer un sens concret pour le lecteur.
La deuxième partie de l’article présente la nature des travaux menés en classe de mathématiques
avec les élèves et les objectifs scientifiques poursuivis, en plus d’offrir justement des exemples de
vignettes représentatives du travail fait en classe avec les élèves. La méthodologie du Teaching
Experiment (e.g. Steffe, 1983, 1991), à travers ses orientations scientifiques et épistémologiques,
complète cette deuxième partie, dans le but de spécifier les objectifs scientifiques du travail de
recherche entrepris. La troisième partie fait intervenir ce que nous appelons des « retombées
collatérales » de ce travail de recherche sur les élèves, soit sur leurs façons de faire les
mathématiques en classe, sur leur engagement dans les tâches, sur leurs attitudes et motivations
en mathématiques, etc. À travers une démarche empruntant à la théorisation ancrée (Strauss &
Corbin, 1990), une analyse initiée à partir des propos de leurs enseignants est présentée pour
saisir le sens de ces retombées collatérales chez les élèves. La quatrième partie offre une analyse
et une compréhension de ces retombées collatérales, particulièrement en convoquant
4
explicitement le concept de bienveillance. Mise en relation avec les dimensions initiales
présentées dans la première partie, cette analyse des retombées permet de souligner la dimension
didactique de cette bienveillance dans nos travaux, soit une bienveillance orientée vers
l’avancement des mathématiques en classe.
Partie 1. Premiers pas d’une conceptualisation de la bienveillance en éducation
Selon le dictionnaire Larousse, la bienveillance est une « Disposition d’esprit inclinant à la
compréhension, à l’indulgence envers autrui ». Cette caractérisation commune de la bienveillance
rejoint de plusieurs façons les préoccupations au centre des travaux réalisés en éducation autour
du thème de la bienveillance. De manière générale, ces travaux font ressortir la notion de
bienveillance comme une relation chaleureuse qui s’établit, s’alimente et se renforce au fil du
temps entre deux ou plusieurs acteurs, ici un enseignant et ses élèves. En ce sens, la bienveillance
est de nature relationnelle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas attachée aux actions ou intentions d’une
simple personne, mais est plutôt un attribut de la relation qu’elle entretient avec d’autres (Doré-
Côté, 2017 ; Noddings, 1988). Ainsi, un enseignant n’est pas nécessairement bienveillant, mais
c’est plutôt la bienveillance qui peut caractériser la relation qu’il entretient avec ses élèves. Ceci
souligne que la bienveillance est une relation qui s’installe et prend sens dans le temps, à travers
différentes occasions où les élèves et l’enseignant impliqués interagissent. Cette bienveillance
n’est pas non plus momentanée, ni non plus jamais vraiment achevée, puisqu’elle se vit dans sa
constante réponse à l’autre : elle se met en route à travers les relations entretenues.
De cette conceptualisation de la relation de bienveillance, les travaux réalisés en éducation
soulèvent différentes dimensions qui encadrent et informent le travail de l’enseignant et sa
relation éducative avec l’élève sous l’angle de la bienveillance. Ces dimensions agissent comme
points d’ancrage permettant de donner un sens à la relation de bienveillance en salle de classe.
La bienveillance comme geste d’empathie et de réceptivité. Noblit et al. (1995) abordent la
bienveillance à travers le sentiment de reconnaissance de l’autre, qui pousse à le comprendre, le
valoriser et le supporter dans ce qu’il entreprend. C’est alors à travers l’empathie pour l’autre et
envers ses besoins que la bienveillance est mise en route et entretenue. En classe, l’enseignant se
met à la place d’un élève pour être attentif et pour comprendre son point de vue et certains de ses
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besoins spécifiques, qu’il pourra en retour valoriser par son écoute et son support. Noddings
(1988) parle ici d’une affective awareness pour nommer cette prise de conscience des besoins et
de la perspective de l’autre, élément central dans l’établissement et le maintien de cette relation
de bienveillance. Reprenant les travaux de Rogers (1961) sur le unconditional positive regard,
Baker et al. (2019) soulignent l’importance de développer ce regard positif envers les élèves,
pour se mettre à leur place et considérer positivement leurs apports et leurs actions; produisant ce
que Markle (2019) nomme un espace qui soutient la capacité à faire et à réussir de l’autre. Cette
démarche envers ce que fait l’élève est aussi abordée par Duval (2018), dans une optique où en
tant qu’être humain l’élève mérite ce respect et cette empathie en classe. C’est par son ouverture
et réceptivité envers l’élève que l’enseignant initie la relation de bienveillance, qui en retour est
complétée et maintenue par la réceptivité de l’élève face à cette ouverture de l’enseignant.
La bienveillance comme inclinaison à prendre soin de l’autre. Les travaux de Noddings (1984,
1998) sur la notion de caring soulignent l’importance pour l’enseignant de vouloir le mieux pour
l’élève et de s’y attarder; insistant sur l’impact de cette dimension sur l’estime de soi de l’élève,
voire sur sa réussite scolaire. Noddings (1992) parle alors en termes de chaleur humaine, où un
des acteurs prend le rôle d’émetteur et l’autre le rôle de récepteur. En contexte scolaire,
l’enseignant comme émetteur de cette chaleur veut le bien de l’élève, qui en retour reçoit cette
dite chaleur en étant et en se sentant supporté. Reto (2018) souligne l’importance de ce désir de
voir l’autre réussir et s’épanouir pour caractériser le regard sur l’autre qu’implique la relation de
bienveillance. Elle parle de la relation de bienveillance en contexte éducationnel dans une
préoccupation de soutenir la réussite éducative des élèves. Reprenant les travaux de Noddings,
Long (2008) a abordé l’importance de la prise en compte soignée et attentive des erreurs
commises par les élèves en classe de mathématiques, où celles-ci offrent des moments charnières
de caring pour faire grandir l’élève et le supporter dans son développement. La relation de
bienveillance sous-tend ainsi une volonté que l’autre se sente bien, un souhait qui se développe
en harmonie avec les particularités et les besoins de l’autre.
La bienveillance à travers les interactions. La bienveillance en classe est présentée comme une
dimension interactionnelle, prenant forme dans les interactions entre l’enseignant et ses élèves où
la communication est valorisée, des deux côtés. Doré-Côté (2017) explique que la possibilité de
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communication entre un enseignant et ses élèves est une condition nécessaire pour qu’une
relation de bienveillance se développe, et Noddings (1988) parle d’occasions qui peuvent être
saisies pour initier et soutenir cette même relation de bienveillance. En ce sens, la relation de
bienveillance est favorisée dans les classes où les interactions sont maximisées et encouragées.
Pour Noddings, les méthodes d’enseignement qui placent les élèves dans une position active et
où les interactions sont nombreuses permettent l’installation d’une relation de bienveillance, à
l’instar d’un modèle d’enseignement davantage axé sur la transmission de contenus où les
interactions sont moins présentes. Dans ces classes où les interactions sont minimisées, voire
découragées, la relation de bienveillance peut alors difficilement se développer. En ce sens, la
relation de bienveillance exige et se bâtit à travers ces possibilités d’échanges de part et d’autre
des parties impliquées et s’impliquant dans la relation de bienveillance. Reto (2018) ajoute que la
bienveillance est toujours traduite en termes d’actions qui contribuent à maintenir une relation
entre ses acteurs. Elle parle de la relation de bienveillance en termes de potentialité ou de
« germe » qui offre la possibilité d’être réalisée à travers les opportunités d’interactions.
Noddings (1992) pointe même vers une nature continue et circulaire de la bienveillance entre
l’enseignant et les élèves qui, à travers leurs (ré)actions régulières nourrissent et motivent cette
relation de bienveillance qui prend force au fil de leurs possibilités d’interactions. C’est en ce
sens que Noddings (1992) explique que la relation de bienveillance est initiée, complétée et
maintenue au fil des interactions et n’est pas détenue par un des acteurs à un moment ou à un
autre.
La bienveillance comme acte démocratique. Alignée à cette dimension interactionnelle, la
bienveillance est aussi vue sous son angle démocratique, où une place est laissée à l’élève et à ses
idées, et non uniquement à celles de l’enseignant, qui sont écoutées et reconnues à travers la mise
en place d’un dialogue en classe (Baker et al., 2019; Noddings, 1988). L’allègement des jeux de
pouvoirs en classe et la question de l’autorité de l’enseignant sont aussi mis en avant comme
participant directement à la mise en place d’un climat de bienveillance envers les élèves
(Andersson & Wagner, 2019). La bienveillance est ici caractéristique d’une relation pour laquelle
chacun des acteurs participe à sa façon et où sa place est reconnue. Doré-Côté (2017) parle de
réciprocité pour qualifier l’implication nécessaire de chacune des parties, de l’enseignant et de
l’élève par exemple, dans la relation de bienveillance. Les deux acteurs de la relation peuvent (ou
7
pas) adopter des comportements qui entretiennent ou mettent fin à la relation de bienveillance.
Ceci souligne un deuxième aspect au sens démocratique : non seulement une place est laissée à
l’élève et à ses idées, mais aussi relativement à sa volonté de participer. Noddings (1988)
distingue ici the one caring et the one cared for dans cette relation, et explique que bien que le
premier initie la relation de bienveillance, le second doit y être réceptif et y répondre pour
permettre à cette relation de bienveillance de se développer. Ainsi, l’unique proposition de
relation bienveillante de l’enseignant n’est pas suffisante, car elle doit être entretenue et
maintenue ; l’élève devant accepter d’entrer dans cette relation de bienveillance et y contribuer.
Elle explique que, dans le cas d’un enseignant et d’un élève par exemple, l’enseignant peut
encourager ou féliciter un élève qui, à son tour, a le choix de répondre positivement à cette
attention et de participer autant que de contribuer à cette relation de bienveillance, qui lui
appartient tout autant. Cette bienveillance est démocratique, car elle implique que les deux
acteurs ont leur « mot » à dire quant à la relation qu’ils entretiennent : la relation de bienveillance
ne peut être imposée ni maintenue sans la participation de chacun des membres de la dyade.
La bienveillance à travers la coopération et la collaboration. Anderson et Wagner (2019) parlent
de la classe de mathématiques comme d’un espace à l’intérieur duquel des relations (positives ou
négatives) entre enseignant-élèves et élèves-élèves prennent forme. Ils abordent cette dimension
de la bienveillance à travers le rôle que la classe peut jouer pour vaincre la solitude et
l’intimidation chez les élèves. La classe apparaît alors comme un contexte, pour instaurer des
relations de coopérations positives entre les élèves, à travers des patterns d’interactions
favorables. Réto (2018) pointe dans la relation de bienveillance une volonté de « construire des
collectifs » qui amène à établir des biens communs. C’est ainsi à travers une solidarité et
cohésion avec l’autre, pour faire quelque chose de plus grand que soi, que la relation de
bienveillance se met en route et s’entretient. Noddings (1988) parle aussi de bienveillance en
termes d’occasions à saisir pour ouvrir et encourager le dialogue et la coopération-collaboration
entre l’enseignant et ses élèves, pour leur permettre de s’impliquer dans le processus.
L’enseignant n’enseigne pas indépendamment des élèves dans la classe et peut saisir les
opportunités de bienveillance en étant réceptif et à l’écoute des contributions des élèves : ceci
pointe sur l’importance du faire-ensemble, soit de la collaboration entre les élèves et l’enseignant
dans ce qui est fait en classe.
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Complémentaires, ces cinq dimensions en s’entrecroisant offrent une lunette à travers laquelle
considérer les questions de bienveillance en salle de classe. En retour, ces dimensions permettent
dans ce qui suit de mieux comprendre comment le concept de bienveillance apparaît porteur pour
donner un sens aux retombées des travaux de recherche que nous menons en classe de
mathématiques. Ces dimensions permettent de concevoir sous l’angle de la bienveillance
plusieurs des actions posées et les retombées de celles-ci chez les élèves. La deuxième partie
offre des explications sur la nature de nos travaux de recherche et leurs objectifs.
Partie 2. Contexte des travaux de recherche menés en classe de mathématiques
Une partie des travaux de recherche que nous conduisons au sein de notre laboratoire de
recherche (www.leam.uqam.ca) est centrée sur l’investigation de l’activité mathématique des
élèves
1
. Cet intérêt de recherche nous mène à intervenir comme chercheurs à travers des
Teaching Experiments directement dans les classes de mathématiques, pour explorer dans
l’action les façons qu’ont les élèves d’aborder et de résoudre des problèmes, c’est-à-dire les
questions qu’ils se posent et leurs idées, stratégies, raisonnements et compréhensions
mathématiques. Nous collaborons de façon régulière avec des enseignants de mathématiques, du
primaire au secondaire, qui nous invitent dans leurs classes afin d’expérimenter différentes
approches de résolution de problèmes et pour interagir, analyser et réfléchir avec nous à propos
des mathématiques qui sont produites
2
durant ces séances en classe. Nos travaux dans les classes
des enseignants ne veulent pas être intrusifs sur le fonctionnement habituel de celles-ci. Avec les
enseignants, nous convenons de suivre leur planification scolaire et de nous insérer, lors de nos
visites, à l’endroit où ils sont rendus en mathématiques avec leurs élèves. Ainsi, les thèmes
mathématiques à aborder et les tâches à donner aux élèves sur ces thèmes sont toujours discutés
et choisis par et avec les enseignants travaillant avec nous. Les tâches utilisées proviennent
parfois de notre matériel et parfois du leur. Par cet intérêt d’alignement avec le travail quotidien
1
Le « nous » est utilisé pour désigner toutes les personnes (enseignants, conseillers pédagogiques, étudiants, collègues
chercheurs) qui se sont investies de près ou de loin dans les travaux menés au Laboratoire et qui ont interagi avec ceux-
ci de différentes façons.
2
Les expressions « produire des mathématiques », « productions mathématiques » et leurs dérivées sont utilisées tout
au long de l’article pour aborder les mathématiques faites par les élèves en classe. En étant centrés spécifiquement
sur l’activité mathématique des élèves, nous nous intéressons spécifiquement à ce que les élèves font et réalisent
mathématiquement en classe, c’est-à-dire à ce qu’ils « produisent » et mettent en avant par et dans leur activité, ainsi
qu’aux retombées de cette activité sur le travail mathématique ultérieur en classe (voir e.g. Maheux & Proulx, 2014,
2015, 2018 ; Mégrourèche, 2020). Les expressions « produire des mathématiques », « productions mathématiques »
etc., semblent bien capter le sens de nos intérêts scientifiques tels qu’expliqués par la suite.
9
dans leur classe, les tâches utilisées sont directement (ou encore s’apparentent à) celles que les
enseignants utilisent dans leur quotidien avec leurs élèves; la différence étant ici qu’elles sont
pilotées par nous dans le cadre de nos Teaching Experiments. Ces tâches sont généralement
simples, ressemblant davantage à de courts problèmes en mots ou encore à des exercices, et non
pas à des situations-problèmes élaborées ou complexes (les vignettes qui suivent offrent un
aperçu du type de tâches utilisées).
L’organisation des séances en classe s’apparente à celle proposée par Douady (1994) et suit
normalement le même format : le chercheur-enseignant propose une tâche aux élèves (écrite au
tableau, donnée oralement ou encore sur papier, selon la nature de la tâche) et pour laquelle un
temps variable est accordé pour résoudre (seuls ou en équipe). Ces tâches à résoudre jouent le
rôle de déclencheurs, de points de départ, pour les explorations mathématiques des élèves. Une
fois la tâche résolue, les élèves sont invités, en plénière, à expliquer leurs stratégies et solutions à
la classe, toujours en explicitant et justifiant leurs raisonnements. Les élèves sont aussi amenés à
interagir entre eux à propos des stratégies et des solutions mathématiques offertes, à poser des
questions, à compléter les idées, à faire des liens entre les solutions, etc. Les séances plénières
sont structurées autour et à partir des interactions ayant cours en classe (i.e. entre chercheur-
enseignant et élèves ou entre élèves) au sujet des stratégies, solutions et idées offertes. Ces
interactions provoquent fréquemment, en retour, de nouvelles investigations, où les élèves sont
invités à creuser des idées et questions émergentes (Cobb et al., 1994), ici encore seuls ou en
équipe.
Les travaux dont il est question dans cet article se sont déroulés sur une année scolaire complète,
dans une école du primaire et une du secondaire, où trois classes de 5e année (10-11 ans), une
classe-double (52 élèves) de 6e année (11-12 ans), et trois classes de 2e secondaire (13-14 ans)
participaient au projet avec leurs enseignants (en tout, 56 séances de Teaching Experiment ont été
pilotées en classe sur l’année). À chaque semaine (le jeudi), nous avons travaillé les matins dans
les classes et en après-midi avons conduit une rencontre collective avec les enseignants, en
alternant avec le primaire et le secondaire : une semaine les travaux étaient en classe du primaire
le matin et la rencontre avec les enseignants du secondaire l’après-midi, la semaine suivante nous
intervenions dans les classes du secondaire le matin avec une rencontre avec les enseignants du
10
primaire en après-midi. Une fois par mois, l’ensemble des enseignants du primaire et du
secondaire étaient réunis pour une rencontre collective. Toutes ces diverses rencontres avec les
enseignants représentent des occasions de planification des séances futures en classe (choix des
thèmes et tâches, suivi des événements, adaptation de l’approche, etc.), mais aussi de faire un
retour sur les séances précédentes. Lors de chacune des séances en classe, les enseignants-
responsables agissent comme observateurs, tout comme deux ou trois autres enseignants et
conseillers pédagogiques participant au projet qui sont aussi présents comme observateurs (à
quelques occasions, ces observateurs sont aussi intervenus auprès des élèves, soit pour leur poser
une question ou encore répondre aux leurs). En tout, 10 enseignants ont participé au projet avec
leurs classes (trois enseignantes de 5e année et deux stagiaires, deux enseignantes de 6e année et
leurs stagiaires respectifs, un enseignant de 2e secondaire et son stagiaire) et une conseillère
pédagogique, en plus de visites occasionnelles de trois conseillers pédagogiques (du primaire et
du secondaire) venus observer nos travaux en classe et participer aux rencontres de suivi avec les
enseignants.
Dans le but de donner une idée plus concrète du travail fait en classe avec les élèves, et de
contextualiser la suite des explications sur notre contexte de recherche, deux vignettes sont
proposées dans ce qui suit (et servent de point de départ pour les analyses subséquentes reliées à
la bienveillance dans les Parties 3 et 4).
2.1 Vignettes de classe
Les vignettes qui suivent offrent un aperçu de la nature des explorations et interactions
mathématiques ayant lieu lors des Teaching Experiments que nous menons en classe. Elles
proviennent de deux classes de 5e année (10-11 ans). Ces vignettes illustrent aussi comment les
productions mathématiques des élèves sont traitées lors du travail fait avec eux. Dans les séances,
les productions mathématiques des élèves sont toujours prises au sérieux et ne sont jamais mises
de côté d’emblée parce qu’elles semblent fausses ou comporter des dimensions erronées. Toutes
les productions mathématiques des élèves, autant celles qui peuvent sembler « sans faute » ou
inappropriées, sont à creuser en étant justifiées, expliquées, validées, etc., pour en saisir le sens et
11
la nature des idées mathématiques qui les soutiennent – soit le cœur de l’objectif scientifique de
la recherche
3
.
3
Pour tous les extraits verbatim utilisés dans l’article, les noms des élèves, des enseignants et des conseillers
pédagogiques sont des pseudonymes. Le chercheur-enseignant est désigné par « ch.-ens. ».
12
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16
2.2 Orientations méthodologiques, scientifiques et épistémologiques des travaux de
recherche conduits en classe
Une majeure partie de notre travail de recherche est centré sur l’investigation de ce que Steffe
(2007, 2010) appelle Children mathematics, soit les idées, solutions et stratégies mathématiques
des élèves déployées pour explorer et résoudre des problèmes. Cet intérêt scientifique pour les
mathématiques des élèves, tel que l’explique Steffe (ibid.), repose sur l’idée que les productions
qu’ils offrent en classe sont (des) mathématiques, qu’elles sont appuyées par un rationnel
mathématique qu’il est possible et même nécessaire d’investiguer :
Children mathematics is mathematics. Because you look for a rational system that would explain
that mathematics […] and if you can formulate rational systems that are mathematical-like, than
this constitutes legitimate mathematics. It’s internally consistent and not contradictory. Now
people say kids make errors all the time, well that’s because you don’t understand where they’re
at, and you don’t understand the internal workings of those kids well-enough. […] (Steffe, dans
Moore, 2017)
Tel que l’explique ici Steffe, cet intérêt envers les mathématiques des élèves ne présuppose pas
que tout ce qu’ils font est « bon », mais plutôt de voir que ce qu’ils offrent est sensé et possède
une valeur mathématique. L’intention du chercheur-enseignant ici est de saisir et d’analyser les
compréhensions des élèves, le rationnel derrière leurs façons de faire les/en mathématiques, de
mettre à jour leurs cohérences. Ces investigations se réalisent à travers ce que Steffe (e.g., 1983,
1991; Cobb & Steffe, 1983; Steffe & Thompson, 2000) nomme des Teaching Experiments, qui
permettent à ces productions de voir le jour et d’être investiguées et creusées.
Durant le travail en classe avec les élèves, et dans le but de répondre aux objectifs de recherche
autour de l’investigation de l’activité mathématique des élèves, le rôle central du chercheur-
enseignant, tel que Steffe l’explique, est de pousser plus loin et de creuser les idées des élèves en
cours de résolution. Par des questions, des reformulations, des commentaires, des comparaisons
entre solutions, des demandes de clarifications et des relances, le chercheur-enseignant engage les
élèves à formuler leurs idées mathématiques et à approfondir le sens donné à celles-ci. L’objectif
17
scientifique est de stimuler l’avancée des mathématiques produites par les élèves afin de mieux
les comprendre à travers le Teaching Experiment
4
.
Pour Steffe, la relation qui s’établit en classe entre le chercheur-enseignant et les élèves est
cruciale. À travers ses interactions continuelles, ses commentaires, ses questions, ses
reformulations, le chercheur-enseignant exprime aux élèves son réel intérêt pour leurs
(productions) mathématiques : leurs idées, leurs stratégies, leurs raisonnements, leurs
compréhensions, etc. Son intention, son rôle, n’est pas de cacher les « bonnes » réponses aux
élèves, ni de leur faire « découvrir par eux-mêmes » une stratégie préalablement visée ou encore
de vérifier si les élèves sont capables de résoudre le problème de la bonne façon. L’intention du
chercheur-enseignant est scientifique, c’est-à-dire de creuser, investiguer et stimuler les
productions mathématiques des élèves, et ce, pour mieux les comprendre.
Beaucoup a été écrit sur le Teaching Experiment, et par Steffe lui-même, et il est illusoire de
vouloir retracer tous les fondements, intentions et retombées de cette méthodologie. Toutefois, de
ce qui a été explicité plus haut et pour aborder les orientations scientifiques du Teaching
Experiment, nous soulignons dans ce qui suit quatre dimensions qui apparaissent centrales aux
travaux fondateurs de Steffe en lien avec les nôtres. Ces dimensions offrent un contexte
conceptuel pour comprendre la position épistémologique et méthodologique qui soutient notre
travail de recherche réalisé avec les élèves et donc le travail du chercheur en salle de classe.
Importance que le chercheur soit enseignant
L’idée que le chercheur intervienne directement avec les élèves en adoptant un rôle d’enseignant
est un aspect central du Teaching Experiment pour Steffe. Cette proximité lui donne un accès
privilégié et de l’intérieur, donc contextualisé à la classe, aux productions mathématiques des
élèves : « A […] reason for acting as teachers stems from the importance we attribute to the
context within which the child constructs mathematical knowledge. » (Cobb & Steffe, 1983, p.
4
Notre perspective sur le Teaching Experiment s’ancre dans les travaux de Steffe, qui l’a développée au niveau de
ses orientations épistémologiques et scientifiques (et développé le concept de Children mathematics). D’autres
chercheurs, souvent étudiants ou collaborateurs de Steffe et prenant appui sur ses travaux, ont développé des
moutures différentes du Teaching Experimentla question de trajectoires de Thompson ou encore de Design
Experiment ou Design Research de Cobbmais leurs fondements cadrent moins avec nos travaux de recherche.
18
84). Ce contact direct avec les élèves et leurs productions mathématiques lui permet de les
creuser et de les pousser pour en développer une meilleure compréhension et aussi les investiguer
en temps réel.
A primary purpose for using teaching experiment methodology is for researchers to experience,
firsthand, students’ mathematical learning and reasoning. Without the experiences afforded by
teaching, there would be no basis for coming to understand the powerful mathematical concepts
and operations students construct or even for suspecting that these concepts and operations may be
distinctly different from those of researchers. (Steffe & Thompson, 2000, p. 267)
Cette proximité du chercheur avec les productions des élèves est un élément fondamental pour
aborder scientifiquement de la façon la plus fine possible, et de l’intérieur, les questions de
recherche autour des mathématiques des élèves. Une entrée uniquement théorique sur les
compréhensions des élèves est jugée insuffisante pour comprendre en profondeur les
mathématiques des élèves : « The insufficiency of relying solely on a theoretical analysis serves
as one reason for our belief that researchers must act as teachers. » (Cobb & Steffe, 1983, p. 84).
Co-influence du chercheur-enseignant dans le travail de l’élève
Pour Steffe, les compréhensions que les élèves développent en classe sont grandement
influencées par l’enseignant et sont marquées des expériences vécues avec lui : « Our emphasis
on the researcher as teacher stems from our view that children's construction of mathematical
knowledge is greatly influenced by the experience they gain through interaction with their
teacher. » (Cobb & Steffe, 1983, p. 83). Cette place du chercheur-enseignant est caractérisée par
un engagement dans l’action avec les mathématiques des élèves, qui implique en retour des
interventions spontanées de la part du chercheur-enseignant :
If the researchers knew ahead of time how to interact with the teaching experiments’ students and
what the outcomes of those interactions might be, there would be little reason for conducting a
teaching experiment. So, frequently, the researchers are obliged to engage in responsive and
intuitive interactions with the students when they are, in fact, puzzled about where the interactions
are headed. (Steffe, & Thompson, 2000, p. 278)
19
Ce travail sur-le-champ provoque une interdépendance entre les interventions du chercheur-
enseignant et celles des élèves, et en retour des actions des élèves sur celles du chercheur-
enseignant. Le maillage qui se définit à travers leurs interactions façonne le déroulement des
événements de classe et constitue un point de référence pour mieux saisir les mathématiques qui
sont produites par les élèves, soit leur contexte, leur nature, leur provenance et leur sens.
At every point when interacting with students in a teaching experiment, the students’ and
teacher’s actions are codependent. The realization that the researchers are participants in the
students’ constructions and the students are active participants in the researcher’s constructions is
precisely what recommends the teaching experiment methodology. Rather than being regarded as
a weakness of the methodology, it is one of its greatest strengths because it provides researchers
the possibility of influencing the education community’s images of mathematics teaching,
learning, and curricula. (Steffe, & Thompson, 2000, p. 301)
Plonger les élèves dans une expérience mathématique spécifique
Par son écoute et son intérêt envers les productions mathématiques des élèves – ce qui l’amène à
formuler plusieurs questions, demander des clarifications, pousser les idées à leurs limites, etc. –
le chercheur-enseignant crée un contexte mathématique particulier.
To view students as important others who have a mathematics that is indeed worth knowing
represents a general change of paradigm. The focus is shifted from the teacher, not to the student,
but to the interactive communication that transpires between teachers and students, among
students, or among teachers. (Steffe, 1991, pp. 188-189)
Les mathématiques qui sont produites, développées et explorées sont contingentes à ce contexte
spécifique, qui prend forme à travers les interactions entre le chercheur-enseignant et les élèves.
Le caractère spécifique de ce contexte et l’expérience propre qui y est façonnée représentent des
dimensions à prendre en compte dans la compréhension de l’activité mathématique qui en
émerge.
By acting as teachers, and by forming close personal relationships with children, we help them
reconstruct the contexts within which they learn mathematics. In particular, we help them
20
differentiate between the contexts of doing mathematics in class and doing mathematics with us.
This is essential given our objective of exploring the limits and subtleties of children's creative
possibilities in mathematics. (Cobb & Steffe, 1983, p. 85)
Faire avancer et pousser les productions mathématiques des élèves
C’est dans ce contexte spécifique que le chercheur-enseignant cherche à stimuler et à comprendre
les productions mathématiques des élèves. Ses interventions, questions, reformulations, et
réactions aux explorations des élèves constituent sa méthode pour amener les compréhensions
des élèves le plus loin possible, voire pour les pousser à leurs limites, pour pouvoir ensuite les
étudier.
Our methodology for exploring the limits and subtleties of children's construction of mathematical
concepts and operations is the primary object of attention in this paper.
(Cobb & Steffe, 1983, p. 83)
The formulation and tests of hypotheses involve initiating probes that might stretch the child to the
limits of his or her conceptual adaptability and endurance.
(Steffe, 1991, p.178)
Ces limites mathématiques des productions des élèves sont les objets d’exploration du chercheur-
enseignant, qui tente de leur donner un sens qui est propre au contexte dans lequel elles se sont
formées. Ces limites ne sont pas prédéfinies sur la base d’un cadre mathématique extérieur qui
serait imposé et pré-tracé : elles émanent plutôt de l’avancement des mathématiques produites
dans l’expérience de la classe elle-même.
C’est cette orientation, au cœur de cette méthodologie dite vivante (Steffe & Thompson, 2000, p.
273), qui guide le travail du chercheur-enseignant en classe. Toutefois, cet intérêt scientifique
envers les mathématiques produites par les élèves n’est pas neutre : les enseignants des classes
dans lesquelles nous intervenons nous ont rapidement expliqué que nos actions ont un impact
direct sur les façons de faire des mathématiques des élèves en classe. La troisième partie aborde
ces éléments à travers les propos des enseignants.
21
Partie 3. Retombées collatérales perçues par les enseignants du Teaching Experiment
Tel que souligné, les travaux menés dans cette recherche ont impliqué des rencontres
quotidiennes de planifications avec les enseignants des classes dans lesquelles nous intervenons.
Dès la première de ces rencontres, les conversations ont très rapidement pris une tangente
imprévue. Centrées sur l’atmosphère de la classe mise en avant dans nos Teaching Experiment, et
les façons de s’engager des élèves dans ces séances, les discussions ont fait ressortir des
retombées relativement à l’attitude des élèves en classe, à leur engagement, à leur motivation, etc.
Il nous a donc semblé de plus en plus évident que notre intérêt scientifique envers l’investigation
des mathématiques des élèves en contexte de Teaching Experiment produisait « plus » selon les
enseignants : il générait une écoute des élèves ayant en retour un impact direct sur la dynamique
de classe. Parce que ces discussions sur ce type de retombées sont devenues récurrentes au fil des
rencontres, l’analyse de cette dimension s’est imposée à nous d’elle-même.
Pour réaliser l’analyse de cette dimension relative à la dynamique de classe, nous sommes partis
des propos des enseignants recueillis à travers les 10 rencontres réalisées avec eux sur l’année
scolaire. À partir d’une démarche d’analyse inductive inspirée de la théorisation ancrée (codages
répétitifs, conceptualisations et catégorisations émergentes; voir Strauss & Corbin, 1990), le
discours des enseignants a été analysé pour faire ressortir une catégorisation au niveau des
retombées de ce travail de recherche sur la dynamique de classe. Dans un premier temps, puisque
les rencontres collectives touchaient plusieurs sujets, les extraits pour lesquels une discussion
relative aux retombées sur la dynamique de classe ont été ciblés. Dans un deuxième temps, une
catégorisation initiale a été développée sur la base des extraits des trois premières rencontres avec
les enseignants, pour guider la lecture subséquente des extraits ciblés. Cette catégorisation initiale
a fait ressortir trois types de retombées : les élèves ont une voix en classe, les élèves se sentent
dans un espace sécuritaire, les élèves démontrent de l’intérêt envers les mathématiques. Dans un
troisième temps, à partir de ces trois premières catégories, tous les extraits des rencontres
comprenant des propos relatifs aux retombées sur le climat et la dynamique de classe ont été
analysés. Cette analyse a permis de raffiner la troisième catégorie obtenue en la scindant en deux,
soit les élèves ont du plaisir à faire des mathématiques et les élèves s’engagent et offrent leurs
idées. Cette nouvelle catégorisation de quatre types de retombées a été, dans un quatrième temps,
réappliquée à nouveau sur l’ensemble des extraits pour confirmer les catégories et catégoriser les
22
propos. Au final, tous les propos relatifs à la dynamique de classe ont été organisés à travers les
quatre catégories, où certains propos ont parfois été placés simultanément dans plus d’une
catégorie. Voici dans ce qui suit une description des catégorisations retrouvées dans le discours
des enseignants, avec des exemples d’extraits verbatim à l’appui pour expliciter la nature des
propos des enseignants.
Les élèves ont une voix en classe
Une première retombée soulignée par les enseignants est que les élèves ont une voix en classe
durant les séances, où ils se font donner le droit de parole et où leurs interventions sont prises en
compte et influencent le déroulement des explorations mathématiques de la classe. Les
enseignants notent que plusieurs élèves, qui sont normalement plus silencieux, prennent
maintenant la parole et offrent des réponses, expliquant leurs stratégies.
2017-10-26 (32:21)
5
Ch.-ens. : Toi Luc tu [m’as dit que tu] as des élèves qui parlent soudainement.
Luc : Oui, oui, moi j’en ai qui sont muets depuis le début de l’année, mais quand tu es là, là ils
ont une voix !
2017-11-23 (10:00)
Zora : [Dans la classe], mis à part 4 ou 5, les gars étaient vraiment très engagés.
Ch.-ens. : Il y en a toujours qui ne parlent pas, mais bon.
Zora : ils ne parlent pas mais ils sont quand même impliqués cognitivement, ils sont là, ils
écoutent, et tu vois qu’ils réfléchissent et tout ça.
[…]
Nathan : je trouve qu’il y a plus de gars qui ont participé, si je compare à mes cours par exemple,
en général […] les gars je trouve que c’était plus généralisé, ce n’était pas toujours mes mêmes à
moi que quand moi je donne mes cours c’est eux qui lèvent la main […]
L’ouverture envers les productions mathématiques des élèves, générée par l’intérêt scientifique
du chercheur-enseignant, amène les élèves à prendre leur place et à s’exprimer dans la résolution
des tâches présentées. Les enseignants ont exprimé à plusieurs reprises qu’ils trouvaient que leurs
5
Les dates des rencontres sont en gras et le temps dans la rencontre est indiqué entre parenthèses.
23
élèves avaient non seulement une place, mais qu’ils osaient maintenant prendre cette dite place et
qu’en faisant ceci ils avaient une voix (mathématique) en classe.
2017-12-14 (25:41)
Isalie : Je pense qu’il y a quand même un climat [d’ouverture et d’interactions…] quand un élève
amène une idée, une procédure, une réflexion et façon de faire, et là un autre n’est pas d’accord,
etc. Je suis allée à la pêche ce matin, par curiosité […] pour savoir comment ils trouvaient ça [la
recherche] jusqu’à maintenant et j’en ai qui me l’ont dit. J’en ai un, Maxime, il m’a vraiment dit
ça, les mots qu’il a dit c’est « Ah mais lui, il est ouvert… » Je ne sais pas s’il voulait dire « lui ! »
Autres enseignantes : (rires)
Isalie : « Il est ouvert à toutes nos réponses » […] Et ça ils appréciaient vraiment ça. Et il y en a
d’autres qui ont dit, je crois que c’est Jean, « C’est le fun parce qu’on fait comme des débats. ».
Dans le fond il veut dire, comme, quand un amène une idée, l’autre dit « non c’est pas vrai, je
pense pas la même affaire », et là sont obligés [de débattre]
Béatrice : Ils sont confrontés à leurs idées, ils aiment ça.
Les élèves se sentent dans un espace sécuritaire
Une deuxième retombée du travail fait en classe est que les élèves se sentent dans un espace
sécuritaire. À titre d’exemple, les enseignants soulignent que les erreurs des élèves ne sont pas
ridiculisées ou rabrouées comme étant inadmissibles et insensées. Comme toute production
d’élèves, adéquate ou non, elles sont considérées et fouillées sérieusement.
2017-10-26 (23:28)
Ch.-ens. : Mais ça c’est une situation dans laquelle les élèves étaient très à l’aise à proposer une
erreur et puis après à dire « hé, ça marche pas » et puis ensuite retourner s’asseoir mais sans
malaise.
Irène : Moi je pense que le fait que toi tu prennes tout ce qu’ils disent et que tu l’écrives
Béatrice : Ils réalisent que c’est pas grave s’ils se trompent
Irène : C’est ça ! C’est comme pas grave, tandis que souvent on va être porté à dire
Béatrice : « t’es sûre ? »
Irène : « non, non, ça marche pas ! » (rires) « on va choisir quelqu’un d’autre ! »
24
Les enseignants expliquent que ceci fait en sorte que l’atmosphère n’est pas menaçante et que
plusieurs élèves osent proposer leurs idées, même s’ils ne sont pas certains de la validité de leurs
réponses. En toutes situations, ils ne se sentent pas idiots et voient qu’ils peuvent essayer
d’explorer les idées et participer aux avancées mathématiques des séances.
2017-11-16 (20:52)
Isalie : J’aurais le goût de croire qu’à moyen-long terme ces enfants-là se [questionnent et
réfléchissent] plus. Et là en même temps, [avec toi] ils sont dans le contexte parfait pour…
Béatrice : …que tu ne peux pas juste [donner la réponse]
Isalie : …se poser des questions, réaliser que « il me demande tout le temps pourquoi ». Et là ils le
font verbalement, ce n’est pas menaçant, ce n’est pas une évaluation, tranquillement ce que ça
fait…
Béatrice : Et au-delà de ça « c’est l’fun [pour eux] », parce qu’ils ne veulent pas arrêter, ils veulent
continuer, donc ils aiment ça faire ça là.
Isalie : c’est ça.
Irène : et ils n’ont jamais l’impression que ce qu’ils ont dit c’est nono…
L’accueil des productions et réflexions mathématiques des élèves lors des séances – la réceptivité
envers leurs diverses stratégies – les amène à se sentir en confiance et à oser proposer des
raisonnements originaux, à risquer le partage de solutions encore en construction, incomplètes ou
même erronées. Lors des retours avec les enseignants, l’impact de la création de cette zone
sécuritaire, de ce climat de confiance, est palpable pour eux.
2017-11-30 (4:00)
Ch.-ens. : Dans les deux groupes ce matin […] certains ont décidé de comprendre différemment la
tâche.
Irène : alors que moi je dirais qu’ils n’ont pas écouté la question !
Ch.-ens. : ah, ben ça…
Irène : C’est ça que je dis et c’est ça qui fait que t’es winner dans notre classe, c’est qu’ils [les
élèves] n’ont jamais l’impression que ce qu’ils font…
Nathan : …d’être dans le champ
25
Les élèves ont du plaisir à faire des mathématiques
Une troisième retombée est relative au fait que les élèves ont du plaisir à faire des
mathématiques. Les enseignants nous disent voir leurs élèves aimer le travail mathématique fait
dans les séances, où ils développent une envie et un plaisir à comprendre et à en savoir plus en
mathématiques.
2017-11-23 (15:38)
Michelle : Il y avait un petit jeune à un moment donné dans ce groupe qui dit « Ah, mais pourquoi
on veut savoir ça ?! »
Ch.-ens. : ouais, c’est ça…
Michelle : et l’autre petit jeune à côté de moi il dit : « Ah, tais- toi, on veut juste le savoir ! ».
Autres enseignants : (rires généralisés)
Ch.-ens. : ah c’est intéressant !
Michelle : Je l’ai noté parce que moi ça m’a frappée, c’est comme si lui ça, il ne se préoccupe de
« pourquoi je veux savoir », « je veux juste le savoir ».
Les élèves en deviennent motivés, où ils développent dans ce climat de travail un engouement à
faire des mathématiques, à argumenter, à se questionner, etc.
2017-10-26 (1:19:41)
Zora : […] il y a cette dimension-là de voir que les élèves ont du plaisir à s’obstiner, à discuter
mathématique, à argumenter, je trouve que c’est un aspect […] si par moment ils ont du plaisir à
faire des mathématiques, à discuter de mathématiques, je pense qu’on gagne à long terme, parce
qu’en maternelle et 1e année tous les enfants capotent à faire des mathématiques, il n’y a pas
personne qui fait « beuh… » quand l’enseignant dit qu’on va faire des maths, mais je pense que
Nathan [enseignant de secondaire 2] est confronté à des élèves qui [fait un signe montrant que les
élèves n’aiment pas]…
Une des dimensions qui ressort des échanges avec les enseignants est donc au niveau du plaisir et
de la motivation des élèves à faire des mathématiques durant les séances de Teaching Experiment
conduites avec eux. Les élèves sont investis et expriment aimer le type de travail mathématique
qui est fait avec eux.
26
2017-11-16 (2:25)
Irène : J’apprécie énormément quand tu es là, les élèves l’ont démontré aussi, je pense. Ils étaient
prêts à continuer après la récréation parce qu’on n’avait pas finalisé. Donc je le sais que les élèves
vont chercher beaucoup [de choses dans ce travail].
Les élèves s’engagent et offrent leurs idées
Une quatrième retombée est que les élèves s’engagent et offrent leurs idées en séance. Les
enseignants notent que ceux-ci se mettent au travail, embarquent de façon importante dans les
activités proposées et s’essaient à tenter des réponses de toutes sortes. En bref, les enseignants
notent que leurs élèves sont très impliqués : ils écoutent, répondent, posent des questions,
interrogent les autres, etc., particulièrement lorsqu’ils ont la possibilité de penser par eux-mêmes.
2017-12-14 (1:30:30)
Zora : Moi ce qui me frappe le plus c’est l’engagement, l’engagement des élèves, c’est ça qui me
frappe le plus, c’est ça qui m’encourage le plus, mais qui, je sais pas, me donne le goût de
poursuivre dans ce genre de projet-là avec d’autres classes. De les voir, de les voir vouloir
s’exprimer, et puis…
Irène : comprendre
Zora : oui ! et puis je trouve ça vraiment beau et plus ça va, plus tu le sens ce désir-là de vouloir…
par eux-mêmes ils vont en venir à poser ces fameuses six questions-là [« pourquoi ? », « Es-tu
certain ? », « Comment sais-tu ça ? », « Est-ce qu’il y en a d’autres façons ? », « Quelqu’un a-t-il
fait autrement ? », « Dis-moi en plus/davantage », « Est-ce que ça marche tout le temps ?], parce
que déjà, des fois tu les entends, [en réponse à une affirmation d’un élève] ils disent « ah ouin ? »,
ils sont déjà en train de [se questionner], ça je trouve ça beau de voir ça.
À travers le travail fait en séance avec eux, les élèves manifestent un engagement qui semble
marquer les enseignants impliqués dans le projet. Les enseignants notent que les élèves sont
investis dans les tâches qui leur sont présentées, ils proposent leurs raisonnements et interagissent
avec les productions mathématiques des autres élèves. Une certaine façon de faire se dessine à
travers les pratiques de mathématisation des élèves.
27
2017-12-14 (1:32:55)
Zora : Sinon là, l’espèce de culture qui est en train de s’instaurer, tu sais, quand vous [parle à
l’ensemble des autres enseignants] dites, « les élèves, maintenant, même quand tu n’es pas là, ils
vont, ils sont plus enclins à questionner…
Béatrice : « j’peux-tu aller te le montrer ? »
Zora : « j’peux-tu te le montrer ? », donc cet espèce genre de culture-là qui est en train de…
[…]
Béatrice : et puis là, tu sais, je l’ai entendu « ah et bien regarde je vais aller te le montrer au
tableau ». Ok ! [elle fait un geste avec son corps pour se retirer]. Et puis moi je pense qu’il y a un
lien qui est direct [entre cette attitude des élèves et le travail fait avec eux dans les classes], parce
que c’est tout le temps ça que tu leur [demandes] « Ah ben viens, c’pas clair, viens le faire toi ».
[…]
Ch.-ens. : En fait, ils viennent au tableau pour expliquer, pas juste pour…
Béatrice : oui, pas juste pour écrire la réponse.
Autres enseignants : (acquiescent)
Béatrice : pas juste, souvent ça va être [parlant d’elle] « ok, viens me faire ce que t’as fait ». [elle
fait un signe de déception]
Zora : non, c’est ça !
Ces retombées relatives au climat et à la dynamique de classe soulèvent des aspects importants
provoqués par le contexte du Teaching Experiment. Elles nous ont menés à investiguer le sens
pouvant leur être donné à travers une analyse plus fine de leurs rôles chez les élèves et leur travail
mathématique. La quatrième partie investigue plus en détails ce rôle et aborde le tout en
convoquant le concept théorique de bienveillance.
Partie 4. Discussion des retombées collatérales et bienveillance didactique
Dans cette partie, nous revenons dans un premier temps sur l’analyse des propos des enseignants
relativement au climat de classe durant nos Teaching Experiments. De manière complémentaire,
ce retour est éclairé par un appui sur les vignettes présentées à la Partie 2. Dans un deuxième
temps, ces idées sont reprises à travers le concept de bienveillance, combinant l’arrière-plan
initial de la Partie 1 sur les travaux en éducation et l’angle didactique au cœur de nos travaux. En
ressort une conceptualisation bonifiée de la notion de bienveillance à travers nos travaux, soit une
bienveillance qualifiée ici de didactique.
28
Dynamique de classe et implication des élèves
Bien que ces retombées collatérales ne fassent pas partie des objectifs de recherche, la création de
cette dynamique de classe que soulignent les enseignants est d’intérêt. Douady (1994) et Lampert
(1990a) parlent en effet de l’importance de la création et du maintien d’un climat favorable à
l’exploration et à la participation des élèves comme étant un aspect incontournable au bon
fonctionnement de la résolution de problèmes en classe. La possibilité pour les élèves d’avoir une
voix en classe, où ils peuvent prendre leur place et où ils s’engagent et prennent plaisir à faire des
mathématiques dans un espace sécuritaire est en ce sens pointé comme un aspect qui forge et
participe à la création de ce climat de classe. Toutefois, ce climat ne peut pas être vu comme
conséquence unique du travail du chercheur-enseignant. Cette dynamique de classe implique en
retour que les élèves y participent, voire y contribuent. C’est d’ailleurs ce que permettent de
souligner les commentaires des enseignants qui insistent beaucoup sur cette nouvelle place que
les élèves prennent dans la classe. S’inspirant des travaux de Polya (1957) en résolution de
problèmes, Lampert (1990a) insiste sur le fait que ce travail engagé, où les élèves s’interrogent,
expliquent leurs raisonnements et stratégies, justifient leurs compréhensions, etc., ne doit pas être
pris à la légère, car il implique de leur part une certaine vulnérabilité et une prise de risque.
From the standpoint of the person doing mathematics, making a conjecture (or what Lakatos calls
a conscious guess) is taking a risk; it re-quires the admission that one's assumptions are open to
revision, that one's insights may have been limited, that one's conclusions may have been in-
appropriate. Although possibly garnering recognition for inventiveness, letting other interested
persons in on one's conjectures increases personal vulnerability. Courage and modesty are
appropriate to participation in mathematical activity because truth remains tentative, even as the
proof of a conjecture evolves. (p. 31)
Pour que ce type d’investigations en classe fonctionne, les élèves doivent participer et contribuer
au climat de classe en faisant preuve de courage et de modestie. Il y a donc une certaine boucle,
voire une circularité, dans cette dynamique de classe qui s’installe et qui se renforce.
L’installation d’un climat sécuritaire où les élèves ont une voix les fait oser et les motive à
s’engager mathématiquement, ce qui en retour est essentiel à l’installation de ce même climat
sécuritaire où ils peuvent avoir une voix, s’engager, oser…
29
Ainsi, pour avoir le courage et la modestie de s’engager en classe de mathématiques, les élèves
doivent sentir que la dynamique de classe est propice et sans « dangers », soit qu’ils sont écoutés
et non ridiculisés, qu’ils ont le droit d’essayer et de se tromper, et que leurs productions
mathématiques sont considérées à part entière. En retour, en proposant et expliquant leurs idées,
en explorant, en se trompant, les élèves participent justement à la création de ce climat propice en
prenant leur place et offrant leur voix, voire ils le stimulent en interagissant à leur tour avec les
productions des autres élèves et en les considérant signifiantes.
La Vignette 1 illustre cette boucle et comment ce contexte d’accueil et d’écoute des propositions
mathématiques mène les élèves à proposer des stratégies qui contribuent en retour à une
dynamique de classe propice à l’avancement des mathématiques. Dans la séance, le traitement à
part entière de la stratégie erronée donnant 960 pour trouver la réponse de 12x18 contribue à
stimuler la proposition d’idées mathématiques supplémentaires des autres élèves. Tel que
souligné dans les propos des enseignants, bien qu’erroné ce 960 n’est pas mis de côté, mais
considéré comme réponse plausible pour le calcul de 12 x 18. Dans l’extrait, le chercheur-
enseignant insiste à plusieurs reprises sur l’importance de comprendre le fonctionnement du
calcul avant de mettre de côté la réponse de 960, invitant à mettre ce calcul à l’épreuve en
explorant sa nature et son fonctionnement. Cet accueil du 960 en tant que proposition
mathématique authentique à considérer contribue en retour à créer et soutenir un climat propice à
l’avancée des mathématiques en classe. Dans un premier temps, ceci encourage un élève à
formuler un argument pour questionner la validité du 960 comme réponse pour le calcul de 12 x
18. Cet élève se lance courageusement, sans avoir de réponse exacte à donner, en offrant une
façon de pouvoir invalider la stratégie, expliquant que 12x12 donne déjà 144 et qu’il ne reste que
Climat sécuritaire de
classe, où les élèves
ont une voix
Engagement et plaisir à
faire des mathématiques,
avec courage et modestie
30
6x12 à calculer rendant le 960 fort improbable. La réponse officielle de 12x18 n’est pas encore
révélée, et cet élève ne peut l’offrir, de là son courage, mais son intervention faite avec sérieux
permet d’ébranler le 960, tout en demeurant respectueuse de cette réponse. Plus tard en séance,
l’importance de bien traiter et comprendre la réponse 960, pour continuer à avancer
mathématiquement, amène le chercheur-enseignant à la resoumettre aux discussions du groupe et
à inviter les élèves à formuler des explications du fonctionnement du calcul menant à 960. Ces
interventions amènent la classe à non seulement comprendre pourquoi cette stratégie n’offre pas
une réponse valide pour le 12x18, mais aussi à proposer des ajustements à cette stratégie pour
arriver à la réponse 216. C’est ainsi en invitant et en provoquant des propositions et arguments
supplémentaires de la part des élèves, qui sont à leur tour accueillis et respectés, que la manière
des traiter les productions des élèves dans cette séance illustre la mise en route et le maintien de
cette boucle propice à la production et à l’avancement des mathématiques dans la classe.
De la même façon, dans la Vignette 2, les différentes stratégies pour trouver si les nombres se
divisent par 2 sont prises en compte sérieusement et traitées avec rigueur, pour mieux les
comprendre et voir leurs limites et leurs forces. Des justifications supplémentaires sur le
fonctionnement des stratégies sont demandées, les stratégies sont questionnées pour comprendre
leur nature et testées pour être validées mathématiquement. Ceci fait en sorte que des élèves
réinvestissent certaines de ces stratégies ou encore les explorent pour déterminer si ces stratégies
fonctionnent pour d’autres nombres. Le chercheur-enseignant, dans le but de continuer à mettre à
l’épreuve et explorer ces stratégies, et la compréhension des élèves de ces dernières, en ramène
certaines à la charge (e.g. la séparation des dizaines et des unités). Cette invitation à des
explorations supplémentaires mène certains élèves à se risquer et à affirmer ne pas être
totalement convaincus de leur réponse. C’est ainsi qu’une élève dit ne pas être certaine que 70 est
divisible par 2, car la stratégie de la séparation des dizaines et des unités ne fonctionne pas dans
ce cas, 7 étant un nombre impair. Ceci mène un autre élève à venir au tableau pour tenter de
montrer comment il est possible de couper le 70 en deux parties. En étant explorées et
questionnées sérieusement, les idées proposées sont respectées et ce respect mène en retour les
élèves à proposer d’autres idées et à les réinvestir. De plus, les élèves démontrent du courage et
de la confiance, en affirmant tout haut avoir une compréhension partielle des productions
mathématiques qu’ils proposent. Ici, et c’est le propre de l’espace sécuritaire tel que le soulignent
31
les enseignants, l’incertitude est permise et accueillie, voire devient un moteur de
questionnements supplémentaires pour faire avancer les explorations mathématiques (voir aussi
Beghetto, 2017, sur la place de l’incertitude en résolution de problèmes).
Ces retombées font écho à Hackenberg (2005) qui reprend la notion de caring développée par
Noddings en termes de mathematical caring, c’est-à-dire une relation bienveillante qui peut se
développer à travers les mathématiques. Elle explique que l’enseignant en étant attentif et
intéressé au point de vue mathématique de l’élève peut initier la relation de bienveillance à
laquelle l’élève peut répondre en s’investissant et en s’engageant dans les mathématiques qui sont
faites en classe. Ainsi, elle rattache le développement d’une relation de caring au contexte
mathématique dans lequel il se développe. Sa notion de mathematical caring amène à voir que la
bienveillance n’est pas forcément indépendante des contenus travaillés dans la classe et au
contraire qu’elle peut se réaliser à travers ces contenus. Pour Hackenberg (ibid.), la volonté de
créer une relation de bienveillance mène à s’intéresser aux productions mathématiques des
élèves.
Dans le cas de nos travaux, cette boucle mise en lumière par les enseignants retourne le concept
de mathematical caring en amenant à voir que c’est l’intérêt scientifique envers les productions
mathématiques des élèves qui mène à la création de cette relation de bienveillance. Dans ce qui
suit, ces idées sont justement réinvesties et considérées à travers le prisme de la bienveillance,
offerte comme notion fédératrice des propos soulevés par les enseignants concernant
l’établissement de ce climat en classe avec les élèves. Et, parce qu’elle est mise en route par cette
centration sur l’avancée des compréhensions et stratégies mathématiques en classe, cette
bienveillance est conceptualisée comme étant didactique.
Vers une bienveillance didactique
Ce sont nos intentions scientifiques qui nous ont conduits à intervenir comme chercheurs
directement dans les classes pour explorer dans l’action les façons qu’ont les élèves d’aborder et
de résoudre des problèmes, soit les questions qu’ils se posent et leurs idées, stratégies,
raisonnements et compréhensions mathématiques. Ces intérêts scientifiques ont mené à la mise
en route de Teaching Experiments, qui ont guidé nos façons de faire en classe et qui ont eu en
32
retour des répercussions importantes sur l’expérience mathématique vécue par les élèves. Ces
retombées soulevées par les enseignants lors des rencontres sont appelées « collatérales », parce
que nos intentions scientifiques n’ont jamais été orientées envers et par ces dimensions. C’est
donc à travers l’investigation de l’activité et des productions mathématiques des élèves, soit le
cœur de nos intérêts de recherche, que ces retombées collatérales se sont développées.
Ces retombées collatérales expliquées par les enseignants s’alignent avec les travaux réalisés
autour de la question de la bienveillance en salle de classe (soulevés dans la Partie 1). Dans le cas
de nos travaux, à travers nos objectifs scientifiques et la considération des retombées collatérales
soulignées, cette relation de bienveillance peut être qualifiée de didactique, celle-ci découlant
avant tout d’un désir d’avancement des mathématiques en classe. En ce sens, cette relation n’a
pas à être conçue comme bienveillante en soi, a priori pensée pour les élèves et leur bien-être.
Cette bienveillance est directement ancrée dans les mathématiques faites en classe et les façons
de les faire : elle ne tourne pas à vide et prend forme à travers le travail mathématique réalisé en
classe, pour les mathématiques elles-mêmes et leurs avancées. En d’autres mots, c’est en retour
de cet intérêt envers les mathématiques des élèves que ces retombées sur les élèves, leurs
expériences mathématiques et le climat de classe se sont produites en classe.
Dans ce qui suit, les cinq dimensions soulevées plus haut sont reprises, considérées et interprétées
à la lumière du travail scientifique et didactique réalisé dans cette recherche. Cette analyse permet
de clarifier la proposition d’une bienveillance didactique.
La bienveillance comme geste d’empathie et de réceptivité. Les travaux en éducation font
ressortir la disposition d’écoute et la reconnaissance de l’autre avec ses besoins spécifiques
comme des aspects importants dans la relation de bienveillance. Dans notre travail de recherche
où le chercheur-enseignant investigue et pousse les (productions et compréhensions)
mathématiques des élèves, cette idée de (com-)prendre le point de vue mathématique de l’autre,
de le recevoir, de le respecter et de l’accueillir est centrale. Nos objectifs scientifiques visent
justement à entrer par le point de vue des élèves pour arriver à donner un sens à leurs productions
mathématiques et à mieux comprendre leurs façons de faire en/les mathématiques. Comme
l’explique Steffe (1991), imposer un jugement (positif ou négatif) sur leurs productions à partir
33
d’un cadre mathématique extérieur préétabli empêcherait tout simplement de remplir les objectifs
scientifiques de la recherche et empêcherait de toucher et comprendre leur rationnel
mathématique sous-jacent. Ainsi, l’empathie du chercheur dans la relation de bienveillance qui
s’établit est mathématique, par l’intention d’entrer par le point de vue mathématique de l’élève et
de comprendre ses productions mathématiques à travers sa propre perspective. La bienveillance
au niveau de l’empathie du chercheur-enseignant est ancrée dans les mathématiques et leur
développement : elle est bienveillance didactique.
La bienveillance comme inclinaison à prendre soin de l’autre. La relation de bienveillance est
aussi conçue dans les travaux en éducation en termes de chaleur humaine, où l’enseignant veut le
bien de l’élève en l’accompagnant et en le supportant. Dans le cadre de nos travaux de recherche,
ce « bien de l’élève » en est un qui a été appelé collatéral, car il peut être vu comme le produit de
« vouloir du bien aux productions mathématiques des élèves ». En effet, le travail du chercheur-
enseignant est centré sur les mathématiques des élèves et donc, indirectement, sur l’élève lui-
même. L’idée de respecter et vouloir le bien des mathématiques des élèves, par intérêt
scientifique pour bien les comprendre, semble avoir eu comme impact que l’élève se sente lui-
même respecté et, d’une certaine façon, qu’il sente que nous prenons soin de lui en faisant
attention à ses idées. La bienveillance au niveau de vouloir du bien et de prendre soin de l’autre
est encore ici relative aux mathématiques et à leurs avancées, parce que les productions
mathématiques des élèves ont une valeur mathématique qui intéresse le chercheur-
enseignant : elle est bienveillance didactique.
La bienveillance à travers les interactions. Dans les travaux en éducation, la bienveillance a été
décrite comme une relation s’établissant et prenant force à travers les possibilités d’interactions
entre l’enseignant et les élèves. Ces interactions pour maintenir cette relation de bienveillance en
salle de classe sont de nature mathématique et se retrouvent au cœur de la boucle itérative
soulignée au sujet de l’implication des élèves et la création du climat de classe : c’est dans le
travail mathématique réalisé que ces interactions prennent place et forme. Par leur courage et leur
humilité à propos de leurs compréhensions mathématiques, et par la considération des
productions mathématiques des autres – par leurs interactions au sujet de toutes ces productions
mathématiques – les élèves contribuent à maintenir ce climat sécuritaire, cette relation de
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bienveillance, pour faire des mathématiques et pour les faire avancer. C’est par leurs entrées et
explorations mathématiques qu’en retour d’autres explorations mathématiques sont mises en
route et considérées. Borasi (1992) montre justement que les élèves peuvent avoir des réticences
à accepter d’interagir à propos des solutions et stratégies mathématiques proposées, qui pour
certains exigent une implication inhabituelle en classe de mathématiques (voir aussi Baruk, 1985,
sur ce point). Cette relation de bienveillance est promue à travers les interactions des élèves et
leur implication dans le travail mathématique en classe : elle est bienveillance didactique.
La bienveillance comme acte démocratique. Les travaux en éducation insistent sur le fait que la
bienveillance ne peut pas être imposée, mais est plutôt une relation où chacun contribue et a son
mot à dire. Dans nos travaux, l’objectif scientifique centré sur l’activité mathématique des élèves
donne une place fondamentale à l’élève dans les mathématiques qui sont faites. L’autorité ou le
mot final sur les mathématiques dans la classe ne réside pas uniquement chez le chercheur-
enseignant, car les mathématiques de l’élève ont leur place et sont même le sujet d’investigation
principal. Dans la classe, les élèves ont une voix, comme les enseignants ont souligné. En fait, tel
que plusieurs l’affirment, tels Davis (2006), Schoenfeld (1994) et Su (2017) pour ne nommer que
ceux-, l’autorité mathématique n’est pas préétablie et ne réside pas dans les personnes, ni dans
le manuel scolaire ou autres ressources externes : elle est dans le travail mathématique lui-même.
Ce sont les processus mathématiques de validation, des questionnements, de reformulations qui
ont figure d’autorité dans le travail fait avec les élèves, où ceux-ci sont au cœur des explorations
réalisées. Encore ici, la dimension démocratique de la bienveillance est ancrée et n’est pas
séparée du contenu mathématique qui la rend possible : elle est bienveillance didactique.
La bienveillance à travers la coopération et la collaboration. La relation de bienveillance telle
que décrite par les travaux en éducation met l’accent sur l’importance du travail conjoint à travers
un dialogue ouvert entre l’enseignant et les élèves. Dans ses travaux en classe de mathématiques,
Lampert (1990a, b) aborde la question du travail collaboratif et coopératif en classe sous l’angle
du développement d’une communauté de validation mathématique, où la classe (enseignant et
élèves inclus) se met à la tâche d’explorer, valider, questionner, etc., les productions
mathématiques offertes. Alignées à ces idées, dans le cadre de nos recherches, les mathématiques
sont en effet réalisées ensemble, pour et à partir des idées, des interrogations et des
35
reformulations des membres du groupe. Tel qu’expliqué, les investigations prennent ancrage dans
la considération des mathématiques des élèves produites en classe, qui permet d’établir en retour
une mini-communauté de validation mathématique où l’autorité est partagée. De plus, au cœur de
cette communauté de validation réside justement ce besoin de valider, au-delà du jugement
rapide, si une solution est adéquate ou non : chaque solution, tel le 960 de la Vignette 1, mérite
attention et exploration pour investiguer les idées mathématiques qu’elle porte et pour mieux la
comprendre. Ici aussi, la bienveillance au niveau de l’établissement d’un travail coopératif se fait
en fonction des mathématiques et du besoin de les explorer : elle est bienveillance didactique.
Ce qui découle de l’orientation de nos travaux, où le chercheur-enseignant est ancré dans un
intérêt envers les productions mathématiques des élèves, rend possible la conceptualisation de
cette relation de bienveillance au plan didactique. Ces dimensions concernant la relation de
bienveillance permettent une lecture différente des retombées collatérales de nos travaux de
recherche et de nos intérêts scientifiques en salle de classe. Elles mettent en relief l’orientation
didactique qui peut être donnée à cette bienveillance, ancrée dans une intention d’avancée des
mathématiques et non pas d’une intention de bienveillance en elle-même. Bien que parlées en
termes de retombées collatérales, ce que les enseignants soulignent (et les élèves implicitement
par leurs actions) est que c’est en premier lieu l’intérêt envers l’activité mathématique des élèves
qui s’est avéré central dans l’établissement de la relation de bienveillance. En s’intéressant à leurs
façons de faire et de comprendre en mathématiques, et en voulant les faire avancer, nous leur
avons implicitement montré que nous nous intéressons à eux et que leurs idées en valent la peine;
et en retour qu’eux-mêmes en valent la peine. C’est en ce sens que cette relation de bienveillance
en devient une didactique.
Conclusions
Bien qu’il y ait matière à réflexion au sujet de ces retombées collatérales de nos travaux, vus ici
sous l’angle d’une bienveillance didactique, nous n’avons pas d’intérêt à soutirer de grandes
morales de ces Teaching Experiments ou encore à formuler des prescriptions aux enseignants. En
effet, le contexte de Teaching Experiment qui s’est déroulé en classe avec des élèves représente
un contexte particulier qui plonge, tel qu’expliqué, les élèves dans un travail mathématique fort
spécifique et possiblement très différent de celui habituel de la classe dite ordinaire.
36
Toutefois, ces retombées collatérales sur le climat de classe du Teaching Experiment motivent
une réflexion concernant la classe de mathématiques. Ce sont bien sûr les sensibilités et
connaissances des enseignants au sujet de leur classe qui les ont menés à souligner l’importance
de ces retombées collatérales dites de bienveillance. D’une certaine façon, et c’est ce que les
enseignants ont rapidement dégagé de notre travail en classe, notre prise en compte des
productions mathématiques des élèves semble avoir eu des retombées importantes non pas
uniquement pour comprendre les mathématiques des élèves par nos analyses scientifiques, mais
aussi sur l’enseignement en classe lui-même et le climat qui en émerge. Il nous a semblé, face à
ces retombées imprévues et collatérales, pertinent de s’y attarder et de prendre en compte
sérieusement l’effet de ceci sur la classe. Il y a peut-être, sans s’en rendre compte, quelque chose
de beaucoup plus puissant pour la classe de mathématiques qui se « cache » sous nos actions de
chercheurs et desquelles choses nous en avons probablement encore beaucoup à comprendre,
chercheurs comme enseignants.
D’une certaine façon, ces retombées collatérales de bienveillance didactique montrent toute la
force, la pertinence et l’intérêt des dimensions didactiques longtemps mises en avant par divers
travaux de recherche en didactique des mathématiques. À titre d’exemple :
La bienveillance sous l’angle de la démocratie s’aligne aux travaux de Schoenfeld (e.g.
1988, 1994) sur les échanges entre élèves en contexte de résolution de problèmes, sur
ceux de Lampert (1990a, b) et Boaler (1998) sur l’établissement d’une communauté de
validation mathématique ou encore ceux de Legrand (1993, 2001) sur les débats
scientifiques en classe de mathématiques ;
La bienveillance sous l’angle des interactions s’apparente aux travaux de Bauersfeld (e.g.
1996) sur les interactions et la culture de classe, de Voigt (1988, 1994) sur les patterns
d’interaction entre enseignant et élèves dans la négociation de sens, de Krummheuer
(1992, 2016) sur les formats d’argumentation en classe de mathématiques, voire ceux de
Cobb et al. (1994) sur l’établissement de normes sociales en classe ;
La bienveillance sous l’angle de l’empathie et de la réceptivité peut être associée aux
travaux de Gattuso (ind.) sur la considération de la perspective de l’élève dans
l’évaluation des apprentissages et ceux de Remillard et Kaye Geist (2002) et Van Zoest et
37
al. (2015) sur l’idée de construire sur les idées des élèves en enseignement des
mathématiques ;
La bienveillance sous l’angle du travail coopératif et collaboratif fait écho aux travaux de
Boaler (1998, 1999) sur le travail d’équipe, de Burton (2004) sur la collaboration entre
mathématiciens, ou encore aux travaux relatés dans Braun et al. (2017) sur le travail actif
en classe de mathématiques ;
Finalement, la bienveillance sous l’angle de prendre soin de l’autre, particulièrement sous
l’angle des erreurs, peut être reliée aux travaux de la CIEAEM (1988) sur la notion
d’erreur en mathématiques, à ceux d’Astolfi (1997) sur l’erreur comme outil pour orienter
l’enseignement ou encore à ceux de Borasi (1992) sur la prise en compte des erreurs des
élèves pour faire avancer les mathématiques en classe.
Maillés avec ces perspectives, nos travaux en Teaching Experiment apportent une couche
d’argumentation supplémentaire, bien que non prévue à cet effet, à l’importance de ces
dimensions didactiques pour l’enseignement des mathématiques : ces dimensions peuvent
participer implicitement à la création d’une dynamique de classe propice aux mathématiques,
voire favorisant le développement d’une culture de classe comme l’expriment Bauersfeld (1996),
Boaler (1999) ou encore Lampert (1990a, b). Toutefois, avant d’avancer sur ce que ceci impulse
réellement sur le travail en classe et en enseignement, beaucoup plus est à comprendre de et sur
cette bienveillance dite didactique, ouvrant vers le besoin de développer d’autres travaux en ce
sens.
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... Further exploration of participation and reification in the context of teacher practice is one area proposed by the authors. Proulx and Mégrourèche (2021) describe the teaching experiments that they have done as part of their study of students' mathematical strategies in elementary and secondary school classrooms. The teachers involved in the study have repeatedly commented on the positive impact of class dynamics, specifically focusing on creating a climate that encourages student engagement. ...
Article
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Cet article aborde des questions relatives aux données de recherche concernant des travaux conduits en salle de classe. Mon entrée sur le sujet se fait par mes propres travaux en didactique des mathématiques, qui ont été des déclencheurs importants de réflexion au sujet des notions de collecte, de production et de fiabilité des données. Par une anecdote vécue à l’intérieur de mon programme de recherche sur le calcul mental, plusieurs questionnements d’intérêt méthodologique, mais aussi épistémologique et éthique sont mis en avant. Cet article traite plus précisément de la question de l’influence des conditions d’expérimentation sur la nature des données de recherche.
Article
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I imagine mathematics to be a place of loving kindness and capability. Loving kindness is a way of being together, one that affords and sustains capability; and making the (math) classroom a place of loving kindness consists in taking an active interest in one other. Nussbaum (2011) characterizes capability as an answer to the following question: “What is each person able to do and to be?” (p. 18). Drawing on Nussbaum’s (2011) capabilities approach as a broad, normative framework for characterizing individual well-being in the context of teaching and learning, I inquire into my experience teaching a mathematics class in which we cooperatively built 14-foot Prospector canoes. I explore the potential for a hermeneutic pedagogy as a means to both interpret and cultivate capability, and to identify three specific, significant capabilities that emerged in our work together—autonomy, affiliation and hermeneutic imagination—as valuable in and of themselves, yet also essential to cultivating and securing additional capabilities, and to furnishing a space for loving kindness in the mathematics classroom.
Thesis
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Depuis plusieurs années, l’intérêt lié à l’erreur stimule la recherche en didactique des mathématiques. Parmi les différents courants développés pour envisager les rapports de l’erreur dans le développement des compréhensions mathématiques des élèves, certains didacticiens des mathématiques ont mis en avant une vision productive de l’erreur dans laquelle elle prend le sens non pas de lacune à rectifier ou de fausse conception à dépasser, mais plutôt d’une occasion pour contribuer au développement des mathématiques. Inspirée de l’histoire des mathématiques, où les erreurs ont permis de nouvelles idées et compréhensions mathématiques, cette vision appelée productive de l’erreur la conçoit comme une opportunité pour générer des nouvelles mathématiques. Cette recherche de maîtrise offre des pistes pour comprendre cette question de productivité mathématique des erreurs dans la classe de mathématiques. L’histoire des mathématiques offre plusieurs exemples où les erreurs ont transformé, voire même révolutionné, la discipline mathématique en stimulant de nouvelles idées. À la lumière de retombées productives des erreurs soulevées pour la discipline mathématique, des séances de résolution de problèmes réalisées en classe avec des élèves sont analysées. Ces analyses font ressortir des éléments de réponses pour donner un sens à la productivité mathématique des erreurs en salle de classe. Ce travail de recherche à la maîtrise dégage une productivité des erreurs qui portent un potentiel pouvant être exploité dans la classe pour faire des mathématiques. Un parallèle important entre la productivité des erreurs au niveau de la discipline et celle au niveau de la classe de mathématiques est tracé et précise (1) la nature des retombées mathématiques permises par diverses erreurs réalisées par les élèves et (2) de quelles façons les erreurs peuvent participer au développement des mathématiques en classe, soit le contexte et le sens de cette productivité mathématiques des erreurs.
Article
We develop an analytical frame to support reflection on how love, bullying and solitude appear in communication in mathematics classrooms. The frame distinguishes among communication acts that are responsive or dismissive to others, and identifies how the acts draw on authority to open or close dialogue. Our examination of high school students’ language repertoires revealed that their communication acts influence both their development of mathematics and their interpersonal relationships. To illustrate the framework in use, we draw on transcripts from group interactions in one high school mathematics class. We consider how the particular kinds of communication acts may support and develop caring, antagonism or reclusion. The illustrative analysis illuminates the complexity of human relationships—how communication acts in mathematics classrooms intertwine personal autonomy, interpersonal positioning, and how these communication acts are intertwined with interpersonal positioning.
Article
Places of mathematical learning are not always places of loving kindness. Instead, they are sometimes loci of undetected cultural violence (Galtung, 1969) and associated harm. We explore how Cousin’s (2015) interpretation of love in the context of early years relates to building mathematical resilience across the lifespan. Our interpretation of loving kindness in the context of older learners includes unconditional positive regard (Rogers, 1961) and the explicit building of this into the classroom milieu. Education is understood in this work in a broad sense, not only as a means of acquiring knowledge and skills, but also an arena for making connections and gaining a shared understanding about what it is to be human (Tagore, 1933). One of the tools found helpful in the practice of loving kindness, especially where learners have experienced significant prior harm, is the growth zone model (Lugalia, Johnston-Wilder, & Goodall, 2013), informed by the hand model of the brain (Siegel, 2010) and the relaxation response (Benson, 2000). With unconditional positive regard, and with such tools, learners may be empowered to become less avoidant and more engaged with mathematics. They may also acquire resilience, including coping skills, to on greater challenges, once perceived as dangerous. Loving kindness in mathematics is enabling.
Thesis
La bienveillance soulève, aujourd’hui, un engouement dont l’évidence mérite un éclairage porté par un souci d’objectivation. La présente recherche met en relief l’émergence de cette notion dans la société puis dans le champ de l’éducation et dans le cadre de l’École. Elle montre l’appel fait à la bienveillance qui existe au sein du système scolaire, notamment dans le projet pour la refondation de l’École française, et elle interroge le sens de cet appel. Elle conduit au constat du manque de conceptualisation de la notion, ce qui rend complexe son opérationnalisation tant au niveau de l’institution que sur le plan des pratiques au sein des établissements scolaires. Une clarification de la notion de bienveillance est alors proposée en l’inscrivant dans le champ de la philosophie, et plus précisément de l’éthique. Elle débouche sur une première caractérisation qui est ensuite spécifiée au contexte de l’École française, et plus particulièrement aux pratiques du personnel enseignant. La thèse présente alors la recherche exploratoire menée auprès de membres du personnel enseignant et de chefs d’établissement travaillant dans des collèges, ainsi que d’experts en éducation. Cette recherche qualitative vise à mieux comprendre comment la bienveillance se manifeste sur le terrain professionnel de l’enseignement à l’École française. Prenant appui sur 14 entrevues, elle permet de caractériser les pratiques de bienveillance du personnel enseignant et de mettre en relief ce que celles-ci requièrent à l’échelle de la classe, de l’établissement, et de l’École. Du constat de la mollesse de la notion à sa caractérisation, la recherche conduit à mettre en évidence les changements importants reliés à l’actualisation de la bienveillance dans les pratiques à l’École française, voire un déplacement paradigmatique.
Article
The constructivist teaching experiment is used in formulating explanations of children's mathematical behavior. Essentially, a teaching experiment consists of a series of teaching episodes and individual interviews that covers an extended period of time—anywhere from 6 weeks to 2 years. The explanations we formulate consist of models—constellations of theoretical constructs--that represent our understanding of children's mathematical realities. However, the models must be distinguished from what might go on in children's heads. They are formulated in the context of intensive interactions with children. Our emphasis on the researcher as teacher stems from our view that children's construction of mathematical knowledge is greatly influenced by the experience they gain through interaction with their teacher. Although some of the researchers might not teach, all must act as model builders to ensure that the models reflect the teacher's understanding of the children.