Nous nous basons sur une étude inédite de 2.209.206 commentaires, dont 1.184.859 se trouvent dans les fils de discussion , répartis dans les espaces de commentaires de 46.090 vidéos. Ces dernières sont issues d’un panel de 57 chaînes de médias français aux catégories institutionnelles et aux positionnements différents. Cet échantillon (cf. Annexe 1) est en partie construit sur la base des travaux empiriques précédents (Marty et al., 2012 ; Cardon et al., 2019; Lyubareva et Rochelandet, 2016; Lyubareva et al., 2020a), recensant des médias de presse traditionnels, nationaux et régionaux et les pure players (par exemple, Reporterre ou Slate). Parmi les médias, cités dans ces recherches et représentatifs de leurs domaines, nous avons sélectionné 57 acteurs disposant d’une chaîne YouTube. Sans prétendre à une couverture exhaustive des médias français présents sur YouTube, cette sélection nous permet d’établir une catégorisation des chaînes en trois groupes (cf. Annexe 1) : les médias généralistes couvrant un large éventail de thématiques, qui existent en version papier, version web ou à la télévision ; les médias « partisans » de gauche et de droite marqués par un positionnement politique plus extrême, qui ont une version papier ou existent uniquement en version web; et les médias thématiques et spécialisés couvrant exclusivement certains sujets ou zones géographiques.
Nous nous posons comme objectif de comprendre, d’une part, où et quand l’espace des commentaires des médias français en vient à être touché par les débats brutaux ou agressifs et, d’autre part, quels facteurs limitent ou favorisent cette agressivité. Pour atteindre cet objectif, nous employons un dispositif d’enquête inhabituel au regard des méthodes utilisées les travaux abordant le terrain YouTube en sciences sociales ; dispositif se positionnant à la lisière du traitement automatisé du langage et de l’économie politique des médias (Guibert et al., 2016).
Dans une première partie, nous allons résumer certaines orientations retrouvées dans la littérature afin de préciser quels facteurs sont susceptibles de peser sur l’agressivité dans les commentaires YouTube et de comprendre sous quelles conditions l’agressivité intervient dans les espaces de commentaire de la plateforme. Dans une seconde partie, nous reviendrons sur les données et la méthodologie mises en œuvre. Nous verrons ainsi dans notre analyse que des formes de participation très différentes sont observées selon que nous considérons les commentaires sur les chaînes de médias que nous classons en “généralistes”, celles des médias que nous classons en “partisans”, ou enfin celles des médias que nous classons en “thématiques et spécialisés”
Dans la troisième partie, nous parcourons les résultats de cette recherche et vérifions comment les médias en ligne, espaces de commentaires et d’agressivité sont liés par un ensemble de pratiques oscillant, selon les chaînes et les niveaux de fréquentation des espaces de commentaire des vidéos, de peu à fortement agressif.