Ce travail évalue l’impact de crises démographiques de différentes natures au sein d’une société, en prenant comme exemple la ville de Martigues (Bouches-du-Rhône) au XVIIIe siècle. Cette ville a été touchée par la dernière grande épidémie de peste en France, la peste dite de Marseille, qui a affecté la Provence et le Haut Languedoc entre 1720 et 1722, tuant près du quart des habitants. Cette épidémie intervient après une succession de crises (problèmes climatiques, guerres, famines et/ou épidémies) qui ont contribué à affaiblir la population. Considérant les effets que les famines, les épidémies et la malnutrition chronique peuvent avoir sur le développement et la santé des individus, nous avons cherché à mesurer l’impact des difficultés alimentaires et/ou épidémiques qui ont affecté les habitants de Martigues à différents moments de leur cycle de vie, et à évaluer le rôle des inégalités socio-économiques et de genre dans la présence des marqueurs de stress sur les individus observés. Nous accordons une attention particulière à la situation des femmes, tant d’un point de vue sanitaire qu’historique. Notre étude s’appuie sur un corpus des squelettes de victimes de la peste de 1720, à Martigues. Une telle collection ostéologique est bien adaptée à notre problématique car elle est composée d’individus contemporains entre eux, décédés dans un laps de temps très court (moins d’un an), qui ont connu les mêmes contraintes environnementales et qui ont vécu selon les mêmes règles sociales. L’observation des stress vécus repose sur l’analyse de marqueurs de stress physiologiques (cribra orbitalia, hyperostose poreuse de la voûte crânienne, hypoplasie linéaire de l’émail dentaire et stature). L’analyse du corpus a nécessité la mise en œuvre de nouveaux outils méthodologiques, tant pour mieux mesurer l’intensité des stress vécus par la population à différents âges, que pour implémenter une analyse intersectionnelle en bioanthropologie. Ces données ont été enrichies par les informations historiques contextualisant l’état sanitaire de la population étudiée, ce qui nous a permis de démontrer la représentativité de l’échantillon par rapport aux victimes de la peste et par rapport à la population vivante (distribution par sexe et par âge et composition sociale). Cela nous a aussi permis de relier les stress observés dans certaines classes d’âge aux crises démographiques connues par les textes. Les résultats, validés statistiquement, ont été analysés en recourant à des concepts issus de la sociologie (tels que l’approche intersectionnelle et biosociale) que nous avons adaptés à l’archéologie et à la bioanthropologie. Analyser les marqueurs de stress sans le filtre d’une distribution préétablie, par sexes ou par groupes d’âge par exemple, permet de mettre en lumière l’impact des rapports sociaux sur le développement biologique des individus. Notre étude a ainsi mis en évidence un lien entre une naissance dans les années de crises et l’observation d’une proportion plus élevée de marqueurs de stress physiologiques chez les individus immatures. Nous n’avons pas observé le même phénomène chez les adultes, qui ont été affectés par les stress de façon plus uniforme. Nous remarquons néanmoins que le nombre des crises traversées et leur intensité ont un impact plus important sur l’état sanitaire des individus que leur appartenance à l’un ou l’autre sexe ou à tel ou tel groupe d’âge. Les nouveaux outils méthodologiques développés à l’occasion de ce cette recherche doctoral pourront être appliqués à d’autres études. Le contexte exceptionnel de cette étude, à la fois en termes de représentativité de la collection ostéologique et de diversité des données historiques disponibles, nous a permis d’apporter ces contributions originales en bioanthropologie.