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Journée d’études « Où situer le communisme, entre démocratie et totalitarisme ? », le 16 mai 2018,
Université Paris Diderot
Penser les complexités sociales sous le régime du Parti communiste chinois
CODIFICATION CONSTITUTIONNELLE DES RAPPORTS SOCIAUX DU PCC (1931-2018)
Xiaohong Xiao-Planes
INALCO-ASIEs
Le part-État chinois est une construction élaborée à partir de la théorie marxiste-
léniniste et de la praxie en Chine en matière de lutte de classes, de rôle primordial du parti
communiste et de sa mission historique dans l’édification d’une société sans classe ni
exploitation de l’homme par l’homme. A l’exemple de l’Union soviétique, le PCC a pris
l’habitude, depuis les années 1930, de présenter sous la forme de Constitution
l’organisation institutionnelle de son régime. A l’époque de la Chine républicaine, cela lui
servait dans sa compétition avec d’autres partis politiques. Mais à la différence de
l’universalisme dont se réclament les régimes démocratiques, le PCC n’a cessé de redéfinir
la nature de son pouvoir et ses rapports avec diverses classes sociales, et d’afficher ses
programmes socio-politiques à réaliser dans l’immédiat. Mon intervention sera centrée
sur les modifications en ces matière effectuées dans des principales constitutions du
parti-État chinois. Je laisse volontiers de côté d’autres composantes des Constitutions —
la structure des pouvoirs et les droits et devoirs de citoyens. Il me semble que les
modifications constitutionnelles ont imprimé, d’une manière particulièrement condensée
et explicite, le chemin parcouru par le parti dans ses adaptations successives aux réalités
socio-politiques chinoises. Elles nous fournissent en tout cas une formidable matière pour
interroger l’évolution de sa vision du pouvoir et de son rapport avec les assises sociales
qu’il était censé représenter.
La Constitution provisoire de la République soviétique chinoise (1931-1934).
C’est le premier régime politique que le PCC ait fondé en novembre 1931 dans sa base
centrale du Jiangxi, avec l’objectif de réunir sous la même autorité une dizaine de bases
armées disséminées dans le centre de la Chine. Sa Constitution provisoire définit le régime
comme une « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie dans les districts
soviétiques avant de l’étendre à la Chine entière » (art. 1). Elle exclut catégoriquement
des élections et de tous droits et libertés politiques, une large palette de populations —
« militaires, bureaucrates, notables, moines, capitalistes et d’une façon générale tout
individu vivant de ‘l’exploitation d’autrui’ » (Jacques Guillermaz, p. 208). Pour soutenir
ses bases, qui se situent dans des régions agricoles, le PCC conduit entre 1928 et 1934 une
politique agraire irrégulière qu’il ne cesse de modifier. Il prévoit, dans un premier temps,
la confiscation de toutes les terres et habitations des paysans riches et des propriétaires,
qui se voient privés de tous moyens d’existence. Les terres confisquées sont distribuées
équitablement aux paysans mais leur propriété appartient à l’État ; le commerce et la
location des terrains sont interdits. Cette disposition rigoureuse s’est ensuite radoucie : la
confiscation de terres se limite à celles de propriétés collectives (appartenant aux
diverses institutions rurales) et à celles de propriétaires fonciers vivant de loyers ; la
propriété de la terre et de ses productions revient aux paysans qui gagnent également le
droit de location et de commercialisation des terrains. Cette politique plus libérale que la
précédente satisfait mieux les aspirations des paysans moyens désireux de s’enrichir.
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Mais à partir de 1931, la nouvelle direction centrale redéfinit le principe de distribution
de terre parmi diverses catégories de paysans, en stipulant la privation de terre des gros
propriétaires fonciers et la distribution de mauvaises terres aux paysans riches. La lutte
des classes s’est déployée dans les districts dits soviétiques, et la masse des paysans
pauvres est mobilisée pour combattre les paysans riches et les marchands, allant jusqu’à
la pratique de la terreur rouge en 1934. Rompant avec la politique précédente de l’alliance
avec les paysans moyens, cette ligne radicale a sensiblement affaibli les assises sociales
du PCC et fait accroître bêtement des difficultés économiques dans les bases communistes.
La loi organique du gouvernement de la région frontière de Shaan-Gan-Ning
(1937-1946). Dans le cadre du front uni national antijaponais, le PCC a créé en septembre
1937, aux confins des trois provinces du Nord-Ouest de la Chine, le gouvernement de la
région frontière de Shaan-Gan-Ning. La Loi organique de 1940 y définit le régime comme
un « pouvoir du front national uni antijaponais » et la direction du PCC : « C’est un pouvoir
politique, précise Mao, de tous ceux qui sont pour la Résistance et la démocratie, c’est-à-
dire de la dictature démocratique exercée conjointement par plusieurs classes
révolutionnaires contre les traîtres à la nation et les réactionnaires ». Les classes
révolutionnaires incluent le prolétariat, la paysannerie, la petite bourgeoisie, les forces
intermédiaires de la moyenne bourgeoisie et les hobereaux éclairés (Jacques Guillermaz,
p. 340-341). Ils sont représentés par une organisation politique dite des « trois tiers »,
dans laquelle « les communistes, les éléments progressistes et les éléments
intermédiaires » occupent chacun un tiers des places. A la différence de la période du
Jiangxi, toutes les professions ou catégories sociales disposent des droits et libertés
politiques. En parallèle, la politique sociale est beaucoup plus libérale que dans la
République soviétique chinoise : le parti cesse de confisquer et de redistribuer les terres
des propriétaires fonciers, et s’oriente vers la diminution des taux d’intérêt et du montant
des fermages ; l’instauration d’un impôt progressif vient remplacer une multitude de
taxes et de surtaxes arbitraires et inéquitables. Pour pallier la médiocrité économique de
cette région du nord-ouest et pour désamorcer des plaintes de paysans accablés de
charges à mesure que s’accroissent les besoins des militaires et de l’administration civile,
le parti adopte des mesures encourageant la production individuelle des cadres civils et
militaires, le développement de la production artisanale, le commerce et les échanges
interrégionaux.
La politique d’économie mixte et d’alliance des classes prend la forme théorique dite
de la « nouvelle démocratie ». Il s’agit d’un essai de Mao publié en janvier 1940. Élaborée
pour répondre aux impératifs de la guerre sino-japonaise, cette conceptualisation définit
les principes et la structure du futur gouvernement national de coalition du front uni et
d’une économie semi-capitaliste et semi-privée. Bien qu’à partir de 1946, le parti pratique
de nouveau dans les « zones libérées » la réforme agraire avec violence, le programme de
la nouvelle démocratie a remarquablement favorisé le ralliement des petits partis
démocratiques, des contestataires du régime nationaliste et des représentants de divers
milieux sociaux ou ethniques.
« Le Programme commun » adopté le 29 septembre 1949 par la Conférence
consultative politique du peuple chinois (CCPPC), fait figure d’une Constitution provisoire
pour la fondation de la République populaire de Chine et reste en vigueur pendant ses
premières années de 1949 à 1953. Par l’esprit, il se situe en continuité avec le régime
régional précédent du PCC : Le préambule précise que la RPC est un État de la « Nouvelle
Démocratie, autrement dit de la démocratie du peuple » ; que « La dictature démocratique
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du peuple est le pouvoir du front uni des classes ouvrière, paysanne, petite bourgeoise,
bourgeoise nationale et d’autres éléments démocratiques et patriotiques, dirigé par la
classe ouvrière et fondé sur l'alliance entre ouvriers et paysans ». Sur le plan économique,
l’État doit abroger les privilégies des pays impérialistes en Chine, confisquer les biens des
capitalistes bureaucratiques et transformer par étape le système de propriété terrienne
féodale et semi-féodale, mais il protège les intérêts économiques et les biens privés des
ouvriers, paysans, petits bourgeois et bourgeois nationaux afin de développer l’économie
populaire de la nouvelle démocratie et de transformer graduellement le pays agricole en
un pays industriel (chap. 1, art. 3).
Dans le Programme commun comme dans la loi organique du gouvernement régional
de Shann-Gan-Ning, la définition du pouvoir est le plus large parmi toutes législations du
PCC. La représentation politique est ouverte à la quasi-totalité des classes sociales à
l’exception des partisans de l’ancien régime. Le Plan commun a été élaboré
particulièrement pour faciliter le ralliement au nouveau régime de la bourgeoisie, de
l’intelligentsia, des milieux sociaux urbains et des minorités ethniques. Les communistes
transfèrent désormais la priorité de travail de la sphère rurale au monde urbain, où la
coopération et le concours des élites leur sont particulièrement précieux. A la différence
des propriétaires fonciers, les capitalistes, les paysans riches et la petite bourgeoisie
marchande sont considérés comme partie prenante du peuple. Toutefois, en 1940 comme
en 1949, le parti ne manquera pas de restreindre ce pouvoir du presque tout le peuple
par la direction d’un PCC représentant le prolétariat et les paysans pauvres. Sur le modèle
de l’Union soviétique, le « Programme commun » de 1949 inscrit « la dictature
démocratique du peuple … dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l'alliance entre
ouvriers et paysans ». Celle formule figurera dorénavant dans tous les textes
constitutionnels de la RPC.
La Constitution de 1954. Contrairement à la promesse des hauts dirigeants, le régime
de la Nouvelle démocratie dure peu, entre 1949 et 1953. L’Assemblée populaire nationale,
qui remplace la CCPPC, adopte le 15 septembre 1954 la première Constitution de la RPC.
Mao profite de cette occasion pour accélérer la marche vers l’édification du socialisme.
L’appellation de la nouvelle démocratie (c’est-à-dire la démocratie populaire) est
maintenue, mais l’article 1 du premier chapitre stipule que « La République populaire de
Chine est un État de la dictature de démocratie populaire dirigé par la classe ouvrière et
fondé sur l'alliance entre ouvriers et paysans ». Cette définition se substitue à l’inscription
dans le Programme commun concernant « le pouvoir du front uni des classes ouvrière,
paysanne, petite bourgeoise, bourgeoise nationale et d’autres éléments démocratiques et
patriotes ». Le parti recule ainsi de sa position sur la définition du peuple : les capitalistes
et les classes intermédiaires ne font plus partie des classes dirigeantes. L’existence de
différentes formes de propriété des moyens de production reste légale ; la protection des
biens des citoyens est toujours garantie par l’État. Mais le préambule prescrit une « ligne
générale de transition » suivant laquelle le parti conduisait le pays vers « l’avènement de
la société socialiste », et « La tâche fondamentale de l’État (…) est de réaliser
progressivement l’industrialisation socialiste du pays et d’achever progressivement la
transformation socialiste de l’agriculture, de l’artisanat, ainsi que de l’industrie et du
commerce capitalistes ». Dans le corps du texte, plusieurs clauses stipulent une politique
de développement prioritaire de l’économie étatique et des coopératives agricoles, ainsi
que le remplacement progressif des entreprises capitalistes par des entreprises publiques.
Des marchands-industriels de Shanghai n’ont pas tort de regretter, avec impuissance,
l’abandon du régime de nouvelle démocratie. A peine un an après l’adoption du texte
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constitutionnel, les clauses garantissant la protection de la propriété et des biens de
production sont rendues caduques par le lancement de la collectivisation agricole et la
nationalisation des entreprises privées. Seule la propriété des biens ordinaires issus de
l’épargne ou de la succession seront épargnée par la réquisition gouvernementale à
l’exception des victimes des campagnes politiques. Cette tolérance sera préservée jusqu’à
la Révolution culturelle.
La Constitution de 1975 a été promulguée le 13 janvier 1975, une date qui approche
déjà la fin de la Révolution culturelle. Elle supprime le poste de président de la RPC
et entérine le double statut administratif et économique de la commune populaire. Les
changements substantiels consistent à y inscrire « la révolution continue » de Mao. Le
préambule annonce que la société socialiste sera une longue période pendant laquelle il
existe toujours des classes et des luttes de classe, et par conséquent un danger de
restauration capitaliste et un risque de subversion impérialiste. La théorie et la pratique
de « la révolution continue » sont les seuls moyens susceptibles de résoudre ces
contradictions. L’article 1 stipule que « La République populaire de Chine est un État
socialiste de dictature du prolétariat dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l'alliance
entre ouvriers et paysans ». L’expression de « dictature du prolétariat » se substitue
partout à celle de « dictature populaire ». Ainsi, à l’exception des ouvriers, paysans et
soldats, toutes les autres catégories sociales sont exclues des classes dirigeantes. Cette
vision exclusive se répercute à travers la succession des campagnes politiques contre des
ennemis de classe. Au paroxysme de la Révolution culturelle, le nombre de catégories
sociales qualifiées d’ennemies de classe est passé de 5 à 9 : propriétaires fonciers, paysans
riches, contre-révolutionnaires, mauvais éléments, droitiers, traitres, agents spéciaux,
dirigeants engagés sur la voie capitaliste et intellectuels. Les dispositifs nécessaires à la
réalisation d’une révolution continue sont constitutionnalisés — le droit de grève et les
quatre grandes libertés (libre expression d’opinion, large exposé d’idées, grand débat et
dazibao) — dans le but de « consolider la direction du parti et la dictature du prolétariat ».
Mais il revient au leader suprême de décider du moment de recours à ces mesures de
« liberté ». Sur le plan des droits civils et politiques, la Constitution de 1975 a notamment
supprimé les clauses de « l’égalité absolue de tous les citoyens devant la loi » et du droit
de succession des biens privés inscrites dans la Constitution de 1954.
La Constitution de 1978 a été adoptée le 5 mars 1978, peu après la disparition de
Mao. Elle a conservé les formulations concernant « la révolution continue » et « la
dictature du prolétariat » ainsi que le droit de grève et les quatre grandes libertés. Ces
derniers seront supprimés en 1980 par un amendement constitutionnel. Mais il faut
attendre l’année 1982 pour y voir éliminées toutes les traces de la « révolution continue ».
Marquée par l’évolution des rapports de force au sommet, elle se présente comme le
résultat d’un compromis entre différentes factions.
La Constitution de 1982 a été adoptée le 4 décembre 1982 par la cinquième APN.
Cette 4e Constitution de la RPC est toujours en vigueur, mais elle a été assortie de cinq
amendements dont le dernier date de mars 2018. Tout en inscrivant les « Quatre
Principes Fondamentaux » prônés par Deng Xiaoping en 1980
1
, le régime ne se présente
plus comme un État socialiste de dictature du prolétariat, mais comme une « dictature
démocratique populaire ». La notion du peuple a connu un changement important dans la
mesure où l’existence d’un quelconque ennemi de classe n’est plus notifiée, puisque « les
1
Les « quatre principes fondamentaux » sont : voie socialiste, dictature populaire, direction du PC,
marxisme-léninisme et pensée-de Mao Zedong.
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exploiteurs ont disparu en tant que classe » et que les intellectuels ont acquis pour la
première fois un statut égal à celui des ouvriers et paysans. La lutte des classes n’est plus
considérée comme le moteur du développement de la société ; elle fait place à la libération
et à la mise en valeur de la force de production. L’État s’engage à « améliorer sans cesse
l'ensemble du système socialiste, à développer la démocratie socialiste, et à mettre en
place un système législatif socialiste complet». La Conférence consultative politique qui
était suspendue pendant la révolution culturelle, voit son rôle réaffirmé et sa fonction de
front uni rétablie. L’égalité des citoyens devant la loi et le droit de succession des biens
privés ont été restaurés.
A l’époque maoïste, les paysans chinois ont constitués une catégorie sociale sacrifiée
à l’aune de l’industrialisation et de la politique désastreuse du Grand bond en avant dont
ils héritent d’un permis de résidence rural, un statut social inférieur à celui des citadins.
Ils aspirent en particulier à se libérer des carcans de l’économie planifiée. La Constitution
de 1982 leur attribue une large autonomie et de larges libertés dans la gestion de leur
économie collective ou privée. A cette date, la réforme urbaine ne s’est pas encore
amorcée et il existe peu de modes de production relevant de l’économie privée. Les
clauses constitutionnelles liées à la légitimité de l’économie individuelle (art. 11) et à la
fonction régulatrice des mécanismes du marché (art. 15) semblent principalement
destinés aux libertés d’exploitation paysannes.
La Constitution de 1982 s’inscrit dans le droit fil de l’évolution accomplie depuis 1977,
et trace les limites des évolutions acceptables par le pouvoir. Elle renonce à la révolution
continue de Mao et rejette toutes ces assertions qui justifient la renaissance de nouveaux
ennemis de classe due à la pensée bourgeoise et à l’influence des pays étrangers. De 1977
à 1982, le parti a entrepris d’importantes mesures de démaoïsation : environ 2,8 millions
de victimes des campagnes ou purges politiques ont été réhabilitées et indemnisées, un
million des "droitiers" de 1957 retrouvent leurs citoyenneté, titres et fonctions. Les
étiquettes de classe discriminatoires, dont celles des anciens propriétaires fonciers,
paysans riches et capitalistes faisaient l’objet ont été supprimées. Mais c’est sans doute
avec les intellectuels que le régime a effectué la plus importante réconciliation : dès août
1977 les intelligentsias scientifiques, techniques et artistiques sont reconnus comme
faisant partie intégrale du peuple travailleur ; les sciences et technologies sont déclarées
comme forces de production. Les intellectuels acquièrent une position sociale et politique
sans précédent, et disposent désormais d’une plus grande liberté d’expression et de prise
d’initiatives. A leur grande satisfaction, les concours d’entrée aux universités sont rétablis
à la fin de 1977 avec l’organisation exceptionnelle de deux sessions de recrutement
pendant l’année 1978. Sur 11,8 millions de candidats âgés de 18 à 30 ans, le taux
d’admission n’atteint que 5 à 7% par session. Ce n’est qu’une menue récompense réservée
à une petite minorité d’heureux élus par rapport à la dizaine de millions de jeunes qui ont
été privés de droit à la formation depuis 1966. Or, c’est le droit universel de tout individu
de passer un concours d’entrée universitaire qui est en cause et qui réconcilie l’élite de la
jeunesse avec le régime. Nombre de diplômés des promotions de 1977-1979 assumeront
par la suite d’importantes responsabilités dans les domaines politique, économique et
culturel ; certains sont montés jusqu’au sommet de l’État, comme par exemple l’actuel
premier ministre Li Keqiang etc.
Aussi substantielle est la réforme du système d’encadrement du parti et du
gouvernement. Engagée depuis le début des années 1980, elle remplace progressivement
des vétérans révolutionnaires issus principalement de l’armée et de la campagne, par un
encadrement d’individus plus jeunes, plus compétents et mieux formés. Le recrutement
des membres du PCC s’effectue de plus en plus dans les mieux intellectuels, à la place des
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ouvriers, paysans et soldats d’autrefois. La sélection et la promotion des cadres sont
désormais rattachées aux niveaux d’instruction et de compétences professionnelles, et
non plus à la conscience politique et aux origines familiales des candidats. La réforme du
système d’encadrement a injecté du sang nouveau dans la nomenklatura, facilité la
mobilité et l’ascension des jeunes instruits et rapproché les critères de sélection des élites
politiques, sociales et culturels.
Après l’adoption de la Constitution de 1982, le programme de modernisation chinoise
du PCC connaît une grande stabilité. Le parti utilise les amendements constitutionnels
pour affiner la structure de l’État et surtout pour modifier la codification des rapports
sociaux et des droits de propriété. La définition du pouvoir n’est plus changée : « l’Etat
socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur
l'alliance entre ouvriers et paysans ». De nouveaux concepts ont été introduits pour
justifier l’autorisation des modes de production non socialistes, ou pour légaliser le
système de propriété des moyens de production non publics. Ainsi, l’Amendement
constitutionnel du 12 avril 1988 régule la cession du droit d’utilisation des terres sans
modification de leur propriété (art. 10). Cela signifie que les paysans ont le droit de
disposer de leurs terres, car selon la Constitution chinoise, la terre à la campagne
appartient aux collectivités villageoises et la terre urbaine à l’État. L’économie privée
acquiert un statut légale (art.11), alors qu’elle était seulement tolérée du bout des lèvres
dans la précédente inscription constitutionnelle.
L’Amendement constitutionnel du 29 mars 1993 introduit dans son préambule le
concept de « phase initiale du socialisme ». Cela implique un retour en arrière à la période
de « nouvelle démocratie », au cours de laquelle l’existence du capitalisme était légitime
et l’économie mixte dominante. L’amendement de 1993 a substitué « l’économie socialiste
de marché » au principe sacro-saint de l’économie socialiste planifiée. La légalisation de
l’économie de marché est accompagnée d’une assertion consistant à maintenir et à
développer, pendant une longue période et sous l’égide du PCC, le système de coopération
et de concertation politique entre les partis. L’État promet de réguler désormais
l’économie par les lois et les leviers macro-économiques (art. 15) et les entreprises d’État
obtiennent le droit de gestion autonome dans le cadre des lois (art. 16).
Ces textes additionnels ont jeté les bases théoriques préparant la réforme structurelle
à venir dans les deux prochaines décennies. A leur niveau, l’abandon de l’économie
planifiée changera foncièrement la physionomie du parti-État et ses sphères
d’intervention : il n’aura plus le monopole des ressources nationales ni le pouvoir d’en
disposer toutes. Sur le plan pratique, les entrepreneurs privés, les intelligentsias
techniques et professionnelles entrent en nombre dans les instances de représentation
ou de concertation, telles que l’assemblée populaire, la conférence consultative politique
ou les associations professionnelles. Ces nouvelles élites n’y détiennent pas pour autant
le pouvoir de décision, mais utilisent ces plateformes pour se rapprocher du pouvoir ou
faire entendre leur voix, dans le cadre notable de la décentralisation administrative.
L’Amendement constitutionnel du 15 mars 1999 affine les inscriptions récentes en
précisant dans le préambule que « la Chine restera pour une longue période en phase
initiale du socialisme ». L’article 5 se voit couronné d’un nouvel alinéa qui remplace
l’appellation ancienne du gouvernement des lois par la construction d’un « État de droit
socialiste ». Les économies individuelle et privée sont mises en valeur sur le même plan
que d’autres formes économiques, leurs droits et intérêts légitimes protégé par l’État.
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L’Amendement constitutionnel du 14 mars 2004 intègre dans le préambule les
« Trois Représentations du PCC » formulé par Jiang Zemin en 2000. L’État s’engage à
soutenir diverses formes d’économie non publique (art. 11), proclame que « les biens
privés des citoyens inaliénables et transmissibles en succession » (art. 13), et annonce la
construction d’un système de sécurité sociale (art. 14, alinéa 3). Comme la RPC n’a pas
voté la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies en 1948, mais a
signé en 1998 le pacte international relatif aux droits civils et politiques (un accord
international qui présente des garanties juridiques), un alinéa 3 est ajouté à l’article
33, stipulant que « L’État respecte et protège les droits de l’homme ».
Les amendements de 1999 et de 2004 sanctionnent les résultats obtenus au cours de
la décennie écoulée et affinent certains dispositifs constitutionnels. Les réformes
effectuées dans les années 1990 ont foncièrement modifié les structures de l’économie et
de la société chinoises, tandis que l’amélioration des relations avec les pays occidentaux
dominants réconfortent la détermination des dirigeants du PCC à intégrer la communauté
internationale. Les codifications nouvelles traduisent un certain rapprochement en
direction des normes internationales. Sur le plan social, la Chine a réalisé en quelque sorte
sa transformation de pays agricole en pays industriel. En 2004, l’agriculture ne procurait
plus que 13 % du PIB national, contre 46 % pour l’industrie et le bâtiment, et 41 % pour
les services. Le secteur d’État s’est considérablement contracté et le secteur privé domine
l’économie du pays : il représentait en 2003 96% de l’agriculture, 61 % de l’industrie, 76
% du bâtiment et 56 % des services, soit un total de 68% du PIB. Le secteur privé est
devenu le plus important créateur de richesse nationale et le plus gros fournisseur
d’emplois urbains. Ces réalisations économiques ont reconfiguré les structures sociales,
engendré l’émergence de nouveaux capitalistes et classes moyennes. La montée en force
des investisseurs, entrepreneurs et gestionnaires impose au parti un effort d’adaptation.
C’est dans ces circonstances que le secrétaire général du comité central Jiang Zemin
redéfinit début 2000 le rôle du PCC en fonction des « trois représentations » : le parti doit
toujours représenter « les forces avancées de la production, « la culture progressiste de la
nation » et « les intérêts fondamentaux de la plus grande partie du peuple ». Inscrite dans
la Constitution, cette formule des « trois représentations » marque un tournant en
imposant une distorsion capitale à l’orthodoxie léniniste-maoïste. L’entrée des
entrepreneurs privés et d’autres élites sociales dans le parti est légitimée, et le parti se
trouve mieux en phase avec les changements sociologiques intervenus. La représentation
par le parti des intérêts fondamentaux de tout le peuple opère un virage vers un « parti
de l’ensemble du peuple », semblable à celui qu’avait proposé Khrouchtchev en URSS dans
les années 1960. Mais la théorie de « trois représentations » traduit surtout une
conception élitiste du pouvoir, tout en émettant une résonance universelle capable
d’envelopper toute la population.
Le dernier Amendement constitutionnel date du 11 mars 2018. Il a introduit dans
son préambule le concept de « développement scientifique » du précédent secrétaire
général du PCC Hu Jintao et « la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la
nouvelle ère ». Il affiche un nouvel objectif — « la renaissance grandiose de la nation
chinoise » — placé à côté de la « construction d’une puissance socialiste » préexistante. Le
principe du front uni et « les relations socialistes harmonieuses entre les groupes
ethniques » sont réaffirmés. Pour les relations sino-étrangères, l’amendement propose
« la construction d'une communauté de destin pour l'humanité » et « l’adhésion de la
Chine à la voie du développement pacifique et à la stratégie mutuellement bénéfique
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d'ouverture », tout en affirmant que « l'avenir de la Chine est étroitement lié à celui du
monde. » Dans le corps de texte, la définition du régime comme un Etat socialiste de
dictature démocratique populaire est suivi d’un nouvel alinéa 2 : « La direction du Parti
communiste chinois est la caractéristique déterminante du socialisme à la chinoise ». Sur
le plan idéologique, « l’État promeut les valeurs socialistes fondamentales et les vertus
telles que l’amour de la patrie, du peuple, du travail, de la science et du socialisme. Il
enseigne au peuple le patriotisme, le collectivisme, l’internationalisme et le communisme ;
l’initie au matérialisme et au matérialisme historique et combat les pensées capitalistes,
féodales et d’autres idées dépravées » (art. 24). La structure de l’État se voit dotée d’un
nouvel organe de « commission de supervision » chargé de contrôler les fonctionnaires
du haut en bas de l’échelle administrative. Enfin, la limitation à deux mandats du président
et du vice-président de la république a été abrogée.
L’amendement de 2018 a porté encore d’autres retouches d’ordre lexical ou
protocolaire. Mais ses plus importants ajouts et modifications consistent à recadrer la
primauté du pouvoir du PCC et de ses marques idéologiques du temps présent — le
nationalisme et l’étatisme. Il confère à l’équipe de Xi Jinping les leviers institutionnels
nécessaires à la réalisation de son projet de renaissance de la nation chinoise qui s’y
affiche comme une mission historique, un objectif du siècle. Il n’est pas seulement
question de devenir, dans un avenir proche, la première puissance économique du monde,
mais aussi un incontournable interlocuteur dans les domaines politique, technologique et
culturel. Face à une société chinoise de plus en plus mouvante, disparate et enveloppée
dans divers courants mondialisés, Xi et ses proches préservent le mode de domination du
parti unique tout en le réconfortant. L’amendement de 2018 apparaît comme le manifeste
d’un noyau de hauts dirigeants réunis autour de Xi et issus principalement de la
descendance des vétérans communistes révolutionnaires. Suivant le thème politico-
juridique traditionnel chinois, ces derniers semblent se donner la mission de faire
pérenniser le fatong (continuité légale) établi par les fondateurs de la RPC. L’expression
des « deux cents ans » (Liangge yibainian) que Xi a prononcée dans une allocation en
novembre 2012, et qu’il n’a cesse de répéter depuis lors, est révélatrice de cet état d’esprit :
il parle ainsi de « réaliser d’ici le centième anniversaire de la fondation du Parti
communiste chinois (1921-2021), l’objectif de construire entièrement une société de
petite aisance (xiaokang); et d’atteindre d’ici le centième anniversaire de la RPC (1949-
2049), l’objectif de construire un Etat moderne socialiste riche, puissant, démocratique,
civilisé et harmonieux. » Pour y parvenir, il faudra dompter d’une part les tares
intrinsèques de la corruption et la prévarication des fonctionnaires, et de l’autre, étouffer
les aspirations aux libertés de la société chinoise. Dans son exercice du pouvoir, l’équipe
de Xi semble se fier aux recettes classiques de renforcement de la machine étatique et
affiner les dispositifs de contrôle de la haute technologie, aussi bien pour éliminer les abus
de pouvoir des cadres que pour réduire au silence l’opinion publique et l’espace de la
société civile. Le parti s’emploie également à mater les masses par la répression et les
dispositions financières, et à amadouer la jeunesse par l’inculcation des valeurs
nationalistes et étatistes. Il continue en même temps à donner des gages au libéralisme
économique, à la coopération internationale et à la lutte pour la réduction des foyers de
pauvreté dans le pays. On peut se demander si le conservatisme politique du parti-État
actuel ne risque pas d’être contre-productif par rapport à son objectif fixé, d’en éloigner
l’adhésion des éléments les plus dynamiques et les plus dévoués de la nation chinoise ?
Conclusion
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Les textes constitutionnels codifient la nature du pouvoir du parti communiste chinois
et ses rapports avec les diverses classes sociales. Prétendant être le représentant naturel
des ouvriers et des paysans, le PCC a mis longtemps à résoudre son handicap intellectuel
vis-à-vis des modes de production avec les propriétés privées, à se réconcilier avec les
classes sociales qui y sont liées et les travailleurs culturels de l’intelligentsia. Cependant,
cette réconciliation avec les élites sociales a poussé la barre à l’autre extrémité : de nos
jours, les ouvriers et les paysans se trouvent en bas de l’échelle sociale, largement sous-
représentés dans des instances officielles, et privés d’expression, de droit d’organisation
et de garantie réelle de protection sociale. C’est notamment le cas des mingong, —paysans
venus travailler en ville —, qui sont largement sacrifiés à la croissance chinoise et à la
mondialisation. L’évolution constitutionnelle montre aussi que le parti n’a jamais
fondamentalement changé sa vision du pouvoir. Il a conservé un caractère léniniste,
autoritaire et sectariste. Quelles que soient les catégories sociales, l’ouverture du pouvoir
est toujours scellée par des dispositifs de contrôle stricts. Les libertés politiques des
citoyens et l’émergence de la société civile sont toujours vues, non pas comme une force
dans la construction d’un État-nation moderne et universaliste, mais comme une menace
au pouvoir exclusif d’un groupe et comme un danger à l’éclatement national.
Abréviation
* Les « quatre grandes libertés » sont : libre expression d’opinion, large exposé d’idées,
grand débat et dazibao (1975; 1978)
** Les « quatre principes fondamentaux » sont : voie socialiste, dictature populaire,
direction du PC, marxisme-léninisme et pensée-de Mao Zedong (1982).
*** Les « trois représentations » : le PCC est censé représenter les élites avancées de la
nation, la culture avancée de la nation et les intérêts fondamentaux de l'ensemble du
peuple chinois (2004).
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Références bibliographiques
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