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Chapter Title: REPENSER LE RAPPORT SOCIAL D’ÂGE SUR LE TERRAIN Ethnographies de
la Commission jeunesse de Gatineau et du Comité des droits de l’enfant du Centre de
pédiatrie sociale de Gatineau
Chapter Author(s): Stéphanie Gaudet, Émilie Drapeau, François Marchand and Mariève
Forest
Book Title: La recherche centrée sur l’enfant. Défis éthiques et innovations
méthodologiques
Book Editor(s): Isabel Côté, Kévin Lavoie, Renée-Pier Trottier-Cyr
Published by: LesPresses de l’Université Laval. (2020)
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/j.ctv1h0p10q.12
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La recherche centrée sur l’enfant. Défis éthiques et innovations
méthodologiques
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rePenser Le raPPOrt
sOciaL d’âGe
sur Le terrain
Ethnographies de la Commission jeunesse
degatineau et du comité des droits de l’enfant
du Centre de pédiatrie sociale de Gatineau
stéPhanIe Gaudet,
éMIlIe dRaPeau,
FRançoIs MaRChand
et MaRIève FoRest
Dans ce texte, nous proposons une réflexion sur les apports de l’ap-
proche ethnographique dans les recherches mettant à contribution
des enfants et des adolescents ou adolescentes. Les analyses présentées
s’appuient sur notre expérience de terrain, acquise dans le cadre d’un
projet de recherche partenariale portant sur des initiatives d’éduca-
tion à la citoyenneté démocratique menées par des organisations de
la société civile. Il s’agit d’une enquête ethnographique multisite qui
a pour objectif de comparer analytiquement les expériences vécues
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LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L’ENFANT : DÉFIS ÉTHIQUES E T INNOVATIONS MÉ THODOLOGIQUES
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par les jeunes et les adultes dans sept organisations différentes1. Ce
chapitre portera sur les cas de la Commission jeunesse de la Ville de
Gatineau et du Comité des droits de l’enfant du Centre de pédiatrie
sociale de Gatineau. Ce choix méthodologique permet de comparer les
expériences de terrain vécues dans deux groupes de jeunes de moins de
18ans, soit les enfants (9 à 15ans) et les adolescents et adolescentes (12 à
17ans). Cette comparaison met en lumière l’inf luence du rapport social
d’âge dans l’enquête entre les adultes et les jeunes, mais également entre
les catégories de la jeunesse que sont les personnes enfants et les per-
sonnes adolescentes. Ce choix de terrain permet également d’étudier
la complexité des liens dans lesquels les enfants et les adolescents et
adolescentes s’inscrivent en situation d’enquête.
Le chapitre se divise en trois sections. Nous exposons d’abord la per-
tinence scientifique de l’approche ethnographique dans le cadre de la
modélisation de ce projet de recherche. Nous présentons par la suite les
origines et les fondements de cette approche méthodologique, ainsi que
ses particularités dans le contexte d’enquêtes qui mettent à contribution
des groupes d’enfants et d’adolescents et d’adolescentes. Nous termi-
nons le chapitre par une présentation des enjeux pratiques vécus lors de
notre présence sur les deux terrains et par une comparaison de ceux-ci.
1. LA MODÉLISATION D’UN PROJET DE RECHERCHE
ETHNOGRAPHIQUE METTANT À CONTRIBUTION DES ENFANTS
ET DES ADOLESCENTS OU DES ADOLESCENTES
Au moment de modéliser le projet, l’approche ethnographique est
apparue comme étant la plus pertinente pour aborder l’éducation à la
citoyenneté démocratique, car il s’agit d’un objet de recherche empi-
rique encore peu documenté (Zeldin, Gauley, Krauss, Kornbluh et
Collura, 2017). Elle implique l’utilisation de plusieurs sources d’infor-
mation (observations, entretiens, documents, etc.) ; elle permet ainsi
d’analyser la complexité d’un phénomène social. L’observation, la
technique privilégiée de cette approche, accorde également aux cher-
cheurs et aux chercheuses la latitude nécessaire pour s’adapter aux
situations vécues et observées sur le terrain. Comme nous observions
1. Pour connaît re l’ensemble des organ ismes impliqués d ans le projet, veui llez consulter
le site Web <www.educationetdemocratie.ca>.
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des initiatives organisées par plusieurs acteurs et actrices de la société
civile, il demeurait important que nous conservions cette ouverture
afin de rendre compte avec justesse du phénomène observé et d’adapter
notre posture pour chacun des sites (Cohen, Manion et Morrison, 2013).
L’observation, même si elle est soutenue par une grille, limite ainsi les
risques d’imposer une problématique ou une préanalyse théorique, au
détriment des expériences vécues par les personnes enquêtées (Chauvin
et Jounin, 2010).
En nous engageant dans une observation participante, nous faisions
également le choix épistémologique de coconstruire avec les groupes
de personnes enquêtées les matériaux d’enquête, les connaissances
développées et les outils de diffusion de connaissances, c’est-à-dire de
nous adapter continuellement et de négocier avec les participants et
participantes (Demazière, Horn et Zune, 2011). Cette posture collabo-
rative correspond à la perspective épistémologique du projet (Gaudet,
à paraître). En effet, la modélisation du projet a été coconstruite avec
des adultes œuvrant dans différentes organisations de la société civile
et dans les milieux universitaires, mais il était essentiel d’intégrer les
jeunes comme des collaborateurs et collaboratrices à l’étape de l’en-
quête afin d’éviter une perspective épistémologique adultocentriste
(Caron, 2018). L’approche collaborative s’appliquait d’autant plus à
notre cadre conceptuel que, d’une part, elle reconnaît l’agentivité des
enfants et des adolescents et adolescentes, c’est-à-dire leur capacité à
produire des rapports sociaux autonomes et créatifs (Corsaro, 2015), et
que, d’autre part, elle admet les jeunes comme des citoyens compétents,
mais différenciés des adultes (Lister, 2007).
Le choix méthodologique d’opter pour l’approche ethnographique
s’avérait également pertinent en raison des publics étudiés. L’ethnogra-
phie facilite l’observation des pratiques, c’est-à-dire des façons d’être et
de faire au sein des interactions sociales. Il s’agit d’un type de matériau
d’enquête particulièrement adapté aux personnes pour qui la parole
n’est pas le mode d’expression privilégié, comme les enfants et les ado-
lescents et adolescentes. L’ethnographie rend ainsi justice à des pra-
tiques ignorées ou incomprises (Beaud et Weber, 1997). Observer les
pratiques permet également de mettre en lumière les incohérences et
les paradoxes entre les discours des acteurs et actrices et leurs actions.
Par exemple, les animateurs et animatrices jeunesse peuvent avoir des
discours valorisant l’agentivité des jeunes, tout en ayant des pratiques
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qui la contraignent. Les jeunes peuvent « se dire » peu engagés comme
citoyens ou citoyennes, mais démontrer par leurs pratiques un grand
engagement dans la prise de décisions collectives. Dans le cadre de
notre projet, nous avons privilégié une relation d’enquête de longue
durée, car nous avions ainsi davantage accès aux jeunes et à leurs inte-
ractions.
Finalement, l’ethnographie multisite est un choix méthodologique
particulièrement pertinent pour l’analyse des rapports sociaux, c’est-
à-dire les rapports de pouvoir dans lesquels s’inscrivent nos interac-
tions, celles entre les personnes qui mènent la recherche et celles sur qui
la recherche porte, celles entre les adultes et les jeunes, et celles entre
les jeunes en fonction des contextes sociaux. Elle exige une grande
réflexivité de la part des enquêteurs et enquêtrices. Par exemple, une
femme adulte et un homme adulte n’ont pas les mêmes types de rap-
ports avec les jeunes en raison de leur rôle social et des stéréotypes qui
en découlent. Dans notre recherche, il ne s’agissait pas uniquement
d’observer des jeunes, mais aussi les rapports sociaux qui façonnaient
leurs expériences de citoyenneté vécues. Soulignons que le rapport
social d’âge a été peu étudié dans le cadre de l’ethnographie (Stavo-
Debauge, Roca i escoda et Hummel, 2017).
Comme n’importe quelle autre technique de production de données,
le processus d’échantillonnage est un facteur de validité important
de la recherche. En outre, dans le cadre de notre projet, deux critères
principaux ont guidé le choix des sites observés. D’abord, nous avons
sélectionné des organisations qui proposaient des initiatives positives
de l’intervention jeunesse (Crocetti, Erentaitė et Žukauskienė, 2014),
c’est-à-dire que ces organisations mettent en valeur les jeunes et leur
potentiel. Ensuite, les sept sites d’observation ont été choisis en fonc-
tion de leur portée différenciée en ce qui concerne l’éducation à la
citoyenneté. Nous reconnaissons dans le cadre de cette recherche trois
modalités distinctes d’expérimentation de l’éducation à la citoyenneté :
1)l’expérience de création et de médiation intellectuelle (Y des femmes
et Exeko) ; 2)l’expérience de mobilisation sociale (la Marche Monde et
les Magasins du Monde d’Oxfam, le Comité des droits de l’enfant du
Centre de pédiatrie sociale de Gatineau) ; 3)l’expérience de la délibé-
ration (la Commission jeunesse de Gatineau, l’École d’été de l’INM
et le Forum jeunesse des Tables unifiées des conseils d’élèves de deux
commissions scolaires de Montréal).
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2. LES ORIGINES ET LES FONDEMENTS DE L’APPROCHE
ETHNOGRAPHIQUE
L’approche ethnographique se situe dans la filiation de l’ethnologie
et de l’anthropologie de tradition française. À partir des travaux de
Malinowski (1922), l’enquête ethnographique a été définie comme une
immersion de longue durée basée sur un contact direct avec le milieu
social enquêté. En sociologie, elle a surtout été développée par les pre-
miers chercheurs et chercheuses issus de l’École de Chicago. Inspirés
par le travail journalistique, ces sociologues ont contribué à décrire de
manière approfondie la réalité des grandes villes à partir des observa-
tions de leur milieu de vie.
L’enquête ethnographique répond à trois conditions. Il faut :
que le milieu enquêté se caractérise par un degré élevé d’inter-
connaissance ; que l’enquêteur se donne les moyens d’une ana-
lyse réflexive de son propre travail d’enquête, d’observation et
d’analyse ; que l’enquête elle-même soit de longue durée pour que
s’établissent et se maintiennent entre enquêteurs et enquêtés des
relations personnelles (Beaud et Weber, 1997, p.294-295)
L’une des méthodes de production de données privilégiées dans l’ap-
proche ethnographique est l’observation participante. À travers elle, les
chercheuses et les chercheurs sont amenés à se mêler à la vie ordinaire
des personnes enquêtées, à s’immerger dans la culture des groupes avec
lesquels ils travaillent, avec l’objectif d’obtenir des éléments d’un savoir
qu’ils pourront restituer et traduire en nouvelles connaissances scien-
tifiques (Peneff, 2009). Les observateurs et observatrices endossent un
rôle qui peut aller du « pur observateur » au « pur participant » (Gold,
2003). Le choix du rôle endossé n’est pas sans importance, puisqu’il
balise le type d’informations auquel l’observateur ou l’observatrice aura
accès.
À partir de l’observation in situ, les chercheuses et chercheurs pro-
duisent des données sur des interactions, des situations, des discours et
des pratiques sociales. Ils ont accès au sens que des acteurs ou actrices
donnent à leurs pratiques, de même qu’aux représentations sociales qui
guident ces pratiques. L’intérêt de l’observation en situation repose sur
le caractère fortement contextualisé des données recueillies (Hilgers,
2013, p.101). L’observation directe constitue un complément fécond
à l’entretien qualitatif, puisqu’elle permet d’accéder à ce qui se passe
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au-delà des constructions discursives des acteurs et actrices, à savoir à
des pratiques sociales gestuelles ou verbales (Arborio et Fournier, 2008).
Il s’agit d’une méthode de collecte de données particulièrement bien
adaptée pour « saisir ce qui ne se dit pas ou “ce qui va sans se dire” »
(Chauvin et Jounin, 2010, p.145). L’observation directe devient perti-
nente dans les cas où les pratiques et les comportements ne sont pas
« facilement verbalisés » et, à l’inverse, lorsqu’ils sont « trop verbalisés »
et renvoient à des discours préconstruits (Arborio, 2007, p.20).
2.1 La réexivité sur les rapports sociaux dans l’enquête
ethnographique
Les approches ethnographiques engagent la chercheuse ou le chercheur
à faire preuve de réflexivité sur la relation d’enquête en tant que rapport
social d’âge, de sexe, de classe ou d’ethnicité, de même que sur les rap-
ports de domination révélés par l’analyse de cette relation d’enquête. Le
rapport d’âge constitue un principe organisateur des rapports sociaux,
mais aussi un rapport de domination entre le monde adulte et celui
des personnes enfants et des personnes adolescentes enquêtées. Cette
réflexivité permet de mieux comprendre les conditions de production
des données, leur rigueur et la validité des résultats qui en découlent
(Mallon, 2017 ; Lefrançois, 2017).
Quand il s’agit d’enquêter auprès des jeunes, il est nécessaire de s’in-
terroger sur les effets de l’âge sur les proximités et les distances qui se
jouent dans la relation entre l’enquêtrice ou l’enquêteur et les personnes
enquêtées (Mallon, 2017). L’âge est une « caractéristique externe » aux
enquêteurs ou enquêtrices, puisqu’elle est visible. Les personnes enquê-
tées s’y réfèrent pour interpréter le contrat d’enquête qui les lie aux
enquêteurs ou enquêtrices (Fournier, 2006).
Le fait d’observer et de décrire de manière approfondie les rapports
sociaux, ceux des personnes enquêtées de même que les relations entre
ces dernières et l’enquêteur ou l’enquêtrice, permet de désessentialiser
l’analyse des rapports de domination fondée uniquement sur l’âge en
montrant que différentes logiques sont à l’œuvre dans le croisement de
l’âge, du genre, de la classe sociale et de l’ethnicité (Mazouz, 2015). Nous
verrons dans la prochaine partie comment l’ethnographie a permis de
poser un nouveau regard sur les personnes enfants et les personnes
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adolescentes en sciences sociales, notamment en désessentialisant le
rapport d’âge.
2.2 L’apport des recherches ethnographiques aux études
sur l’enfance et l’adolescence
Dès la fin du XIXesiècle, la psychologie, la psychanalyse et la méde-
cine pédiatrique dominent le discours scientifique sur l’enfance. Les
chercheuses et chercheurs de ces disciplines contribueront à une vision
cognitiviste de l’évolution de l’enfance et de l’adolescence, qui domine
encore aujourd’hui les sciences sociales. On leur doit notamment des
outils d’analyse qui ont permis de « standardiser » et de « normaliser »
l’enfance en différents stades développementaux (Turmel, 2013), ce qui
a contribué à essentialiser ces acteurs et actrices en fonction de leur âge.
Au début du XXesiècle, les travaux ethnographiques de MargaretMead
remettent en question ce discours scientifique. Avec son enquête sur la
manière dont les enfants deviennent des adultes au sein de la société
de l’île de Manus, Mead (1930) met en évidence les variations cultu-
relles des catégories d’âge. Plus tard, JacquelineRabain, inspirée de la
recherche féministe et de la standpoint theory, décrira la multiplicité
des échanges sociaux au sein desquels les enfants wolofs du Sénégal
construisent leur propre expérience culturelle du vivre en société et
de leur être au monde grâce à leurintelligence du social(Rabain, 1979,
citée dans Mozère, 2006).
Les sociologues de la jeunesse et des parcours de vie, inspirés des
anthropologues, démontreront par la suite comment l’âge est notam-
ment structuré par les institutions sociales. Ainsi, les groupes des per-
sonnes enfants et des personnes adolescentes ne se distinguent pas
uniquement par leurs caractéristiques neurodéveloppementales, mais
également par les organisations qu’ils fréquentent et les attentes sociales
à leur égard (Gaudet, 2007, 2013).
Ces recherches incontournables dans le champ de la sociologie et de
l’anthropologie de l’enfance et de la jeunesse ont favorisé l’adoption
d’une nouvelle perspective sur les enfants et les adolescentes et ado-
lescents comme actrices ou acteurs sociaux capables d’agentivité. Les
premières recherches ethnographiques ont démontré qu’il ne suffisait
plus d’observer les enfants, mais qu’il fallait également les écouter et les
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considérer au sein des processus de recherche. L'ethnographie aura donc
été une méthode d’enquête privilégiée pour mieux saisir les contours de
cette agentivité, tout en devenant le catalyseur d’une nouvelle façon de
faire enquête sur et avec les personnes enfants ou adolescentes.
2.3 Le chercheur ou la chercheuse sur le terrain
del’observation ethnographique auprès des enfants
et des adolescents ou adolescentes
Les observateurs et les observatrices adultes, lorsqu’ils négocient leur
participation avec des enfants ou des adolescents ou adolescentes,
peuvent mettre en place différentes stratégies visant à atténuer la dis-
tance sociale qui les lie aux personnes enquêtées ou peuvent, par ail-
leurs, se servir de cette distance pour se questionner sur les rapports
et les catégories d’âge à partir de leurs propres interactions avec les
personnes enquêtées. Comme nous l’avons souligné précédemment,
l’ethnographie appelle les chercheurs et les chercheuses à développer
leur réflexivité à l’égard des rapports sociaux qui structurent le ter-
rain. La posture qu’ils adopteront aura ainsi des conséquences sur leur
façon d’entrer sur le terrain et sur les relations qu’ils auront avec les
personnes enfants ou adolescentes, ainsi qu’avec les nombreux adultes
qui les entourent.
2.3.1 La posture de l’ethnographe : entre l’adulte total et l’adulte
minimal
Pour entrer sur le terrain et obtenir la confiance du groupe, les enquê-
teurs et les enquêtrices doivent acquérir les compétences de sens naturel
des informateurs ou informatrices avec lesquels ils travaillent. Le
déploiement de ces compétences permet d’établir une posture qui
neutralise un rapport traditionnellement hiérarchique entre la per-
sonne qui enquête et celle sur qui porte l’enquête (Céfaï, 2003). Dans le
contexte d’une recherche ethnographique comprenant des enfants, ce
défi se pose avec acuité. Il se pose également en présence des personnes
adolescentes, mais de façon plus mitigée.
Enquêter auprès des enfants peut amener les chercheuses et les cher-
cheurs à faire et à dire les choses de manière enfantine afin que les
enfants les acceptent dans leurs cercles (Corsaro et Molinari, 2017 ;
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Hejoaka et Zotian, 2017). Hejoaka et Zotian utilisent le concept de
« performance générationnelle » pour nommer cette adaptation des
enquêtrices ou enquêteurs aux « actes sociaux singuliers » culturel-
lement associés à l’enfance (2017, p.49). Cela dit, cette performance
générationnelle n’efface ni le phénotype adulte de ces personnes sur
le terrain ni leur rôle d’éducateur ou d’éducatrice, qui les empêchent
d’être complètement à hauteur d’enfant.
L’enquêteur et l’enquêtrice exécute une performance générationnelle
en adoptant une posture « d’adulte minimal » qui permet d’atténuer
les rapports inégalitaires de pouvoir adulte-enfant et, par le fait même,
facilite leur intégration dans un groupe d’enfants (Corsaro et Moli-
nari, 2017). Le sociologue étatsunien WilliamCorsaro adopte sciem-
ment la posture de l’adulte minimal en mettant délibérément l’accent
sur quelques-unes de ses incompétences en présence des enfants. Une
autre stratégie propre à cette posture minimale est celle d’introduire
auprès des enfants des sujets de conversation généralement considérés
comme adultes, afin de leur montrer que l’on considère leurs compé-
tences. Cette stratégie diffère de la précédente, dans la mesure où la
première s’appuyait sur une forme d’autoatténuation du pouvoir de
l’adulte, alors que la seconde vise à reconnaître les capacités et les poten-
tiels des enfants, et donc à leur redonner plus de poids dans l’équilibre
du pouvoir (Connolly, 2017).
En effectuant des performances générationnelles qui leur demandent
d’atténuer leurs manières d’être et de faire adultes, les chercheuses et
les chercheurs se retrouvent à transgresser les rapports sociaux adultes-
enfants normalement établis. Cet écart à la norme peut créer des ten-
sions dans les rapports avec les autres adultes présents et compromettre
la poursuite de l’enquête, car ces autres adultes jouent souvent le rôle de
gatekeeper (Hejoaka et Zotian, 2017).
Cette perspective de performance générationnelle propre à la posture
de l’adulte minimal est critiquée par James (2001), qui prône l’impor-
tance d’accepter et d’assumer la différence entre adulte et enfant, voire
d’adopter et d’assumer une posture d’adulte total. Les chercheurs ou
chercheuses n’ont pas à être et à agir comme les personnes (enfants)
qu’ils observent, tout comme les ethnographes qui observent une
culture étrangère n’ont pas à s’assimiler complètement à la culture d’ac-
cueil. Pour James, il y a donc des différences générationnelles qu’il faut
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accepter. Dans le même sens, Connolly (2017) rappelle que l’un des rôles
fondamentaux de la chercheuse et du chercheur est celui d’éduquer. Il
s’agit d’une question de déontologie scientifique que de questionner
et de confronter les enfants pour les encourager à réfléchir aux consé-
quences de leurs paroles et de leurs comportements. Les adultes doivent
être en mesure de contester certains comportements des enfants, ce que
la posture de l’adulte minimal empêcherait (Connolly, 2017).
2.3.2 Le travail avec les gatekeepers
Une autre particularité de l’ethnographie auprès des enfants est celle
du rapport de l’enquêteur ou l’enquêtrice avec les gatekeepers. Le terme
gatekeeper est fréquemment utilisé en contexte d’enquête de terrain
pour désigner les personnes qui arbitrent l’accès du responsable de l’en-
quête à un environnement de recherche ou à des acteurs ou actrices
sur le terrain. Dans une enquête de terrain réalisée auprès d’enfants,
les gatekeepers sont très souvent des membres du corps enseignant, du
personnel éducateur, des parents ou des intervenants ou intervenantes
qui ont des responsabilités légales envers les enfants (Corsaro et Moli-
nari, 2017). Les enquêteurs et les enquêtrices doivent prendre en consi-
dération cette particularité de l’enquête auprès des enfants avant même
de commencer le travail sur le terrain, puisque les normes éthiques et
déontologiques qui encadrent le consentement des enfants sont strictes.
Dans le cadre de notre recherche collaborative, les gatekeepers ont été
des alliés ; certains ont même participé à l’élaboration de la modélisa-
tion du projet.
La présence de ces nombreux gatekeepers rend difficile l’obtention
d’un consentement différencié entre les adultes autorisés à accorder le
consentement et celui de l’enfant lui-même. Par exemple, un parent
peut être réticent à accorder un consentement, alors que l’enfant serait
d’accord. L’inverse est aussi fréquent. Dans ce cas, la personne qui
mène l’enquête ne doit pas hésiter à valider le consentement auprès des
enfants (James, 2001). Elle doit aussi garder en tête que le consentement
des adultes autorisés est souvent vécu par l’enfant comme une menace à
son intimité (Davies, 2017). Les réserves de certains parents concernant
la participation de leur enfant à l’enquête mettent en lumière certaines
limites imposées à la recherche auprès des enfants, puisqu’il est dif-
ficile d’accéder à eux et de leur donner l’occasion de livrer leur récit
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indépendamment des relations personnelles et familiales. Les parents
sont parfois inquiets de ce que l’enfant va dévoiler, et ils vont même
aller jusqu’à demander d’être présents auprès de l’enfant lors des entre-
vues (Davies, 2017).
Accéder à « l’espace de liberté des enfants », c’est-à-dire accéder à leurs
propos sans les contraintes qui peuvent s’imposer relativement aux
rapports entre eux et l’enquêteur ou l’enquêtrice (Corsaro et Moli-
nari, 2017), constitue un enjeu qui, dans certaines circonstances, peut
être sensible. Dans le cas d’enquêtes auprès d’enfants maltraités, par
exemple, Hamelin-Brabant (2006, p.86) se demande comment on peut
« construire la réalité sociologique de l’enfance maltraitée du point de
vue des enfants si leur accès nous est interdit sans l’autorité ou la pré-
sence de leurs parents ». Il n’y a pas ici de recette à suivre. Il revient aux
enquêteurs ou enquêtrices d’approfondir leur réflexion éthique, au-delà
des enjeux déontologiques, et de faire la part des choses entre l’intérêt
de l’enfant, celui des gatekeepers et leur responsabilité épistémique, qui
les pousse à mieux comprendre et à faire connaître la réalité dans la
perspective de l’enfant. Le travail ethnographique invite ainsi à déve-
lopper une réflexivité sur la relation d’enquête, l’éthique du chercheur
ou de la chercheuse et la déontologie au sein de l’éthique de la recherche.
2.3.3 La coconstruction de la recherche avec les enfants
et les adolescents ou les adolescentes
Un des aspects importants de la pratique ethnographique est celui de la
coopération tout au long du processus de l’enquête de terrain. À notre
avis, ce principe rend à lui seul la participation des enfants incontour-
nable, voire essentielle. DanielCéfaï parle d’« ethnographie coopéra-
tive ». Le « principe coopératif » vise précisément à faire « fuir l’excès de
certitude » des chercheurs ou chercheuses pour mieux entretenir un état
de « doute permanent ». Il ne s’agit donc plus pour eux d’agir seul dans
la recherche, mais bien d’agir en communauté et donc de considérer la
recherche comme un processus collectif (Céfaï, 2003). Depuis une tren-
taine d’années, il s’est développé au sein des childhood studies un intérêt
marqué pour la participation active des enfants dans la recherche et
l’implication des enfants et des adolescents et adolescentes en tant que
chercheurs ou chercheuses.
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Pour Spyrou (2018), la participation des enfants s’opère de deux
manières. Dans certains cas, les enfants participent aux côtés d’adultes
en tant que cochercheurs ou cochercheuses ou en tant que collabora-
teurs ou collaboratrices et prennent certaines des décisions relatives
à un travail de recherche. Ils peuvent, par exemple, prendre part à la
collecte, à l’analyse ou à l’interprétation de données et, dans certains
cas, jouer le rôle de guide. Plus couramment, ils sont engagés dans
une « recherche par les pairs », dans laquelle ils interrogent d’autres
enfants de leur groupe. Pour certains chercheurs et chercheuses, ce
niveau d’implication limitée est suffisant. Il est donc utile de penser
la recherche par des enfants en tant que phénomène hybride, situé
quelque part entre la recherche universitaire, l’action communautaire
et l’éducation des enfants (Spyrou, 2018). Nous croyons par ailleurs
que Roberts (2017) exprime la pensée de nombreux chercheurs et cher-
cheuses des childhood studies en soutenant que le fait de ne pas impli-
quer les enfants, particulièrement les jeunes marginalisés, ne représente
pas seulement un comportement d’exclusion, mais aussi une menace
pour la validité scientifique (voir à ce propos le chapitre d’introduction
du présent ouvrage).
Mais qu’en est-il de la capacité des enfants d’agir en tant que chercheurs,
cochercheurs, chercheuses ou cochercheuses ? Thomas (2017) affirme
qu’il existe de nombreuses preuves que la compétence est acquise plutôt
qu’innée. L’âge ne serait donc pas un facteur déterminant. Bien entendu,
l’enfant n’a pas les mêmes capacités cognitives, émotives et langagières
que l’adulte, d’où la nécessité de penser la participation des enfants de
manière différenciée de celle des adultes. Thomas appelle à se méfier
d’une perspective cognitiviste des enfants et des adolescents et adoles-
centes fondée sur un modèle déficitaire des jeunes, c’est-à-dire sur une
vision d’acteurs ou d’actrices incompétents. Il propose plutôt d’adopter
un modèle où les compétences et les connaissances peuvent être obte-
nues avec du soutien, et de veiller à ce que ce modèle tienne compte du
fait que les enfants peuvent déjà avoir acquis antérieurement des com-
pétences et des connaissances spécifiques que les adultes ne détiennent
pas. L’encadrement par des chercheurs ou chercheuses adultes expéri-
mentés (Thomas, 2017) et la formation des enfants-chercheurs (Spyrou,
2018) sont donc des conditions centrales pour une participation active
fructueuse des enfants dans la recherche.
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231
3. LES ENJEUX PRATIQUES, RELATIONNELS ET ÉTHIQUES
SUR LE TERRAIN
L’objectif de la présente section est de faire part de nos réflexions sur
les enjeux pratiques, relationnels et éthiques de deux cas de notre eth-
nographie multisite. Nous aborderons les outils utilisés pour encadrer
l’observation multisite et nous discuterons des enjeux déontologiques
de la recherche. Nous terminerons par la présentation de chacun des
cas.
3.1 La déontologie de la recherche
Au Canada, le consentement à la participation des enfants à la recherche
fonctionne un peu selon le mode du opting out, c’est-à-dire que ce sont
les adultes qui décident pour les enfants, mais que ceux-ci peuvent tou-
jours décider de retirer eux-mêmes leur consentement une fois qu’ils
ont fait la démonstration qu’ils ont compris l’objet de la recherche ainsi
que les risques et les bénéfices qui y sont associés (Conseil de recherches
en sciences humaines du Canada [CRSH], Conseil de recherches en
sciences naturelles et en génie du Canada [CRSNG] et Instituts de
recherche en santé du Canada [IRSC], 2018). La politique des trois
conseils n’impose pas d’âge pour le consentement ; elle préconise que
la personne mineure soit capable de consentir de façon libre et éclairée
à sa participation2. Dans la pratique, ce sont plutôt les établissements
fréquentés par les enfants qui ont des exigences spécifiques quant aux
règles régissant l’accès au consentement des personnes d’âge mineur.
Dans le cadre de notre enquête, nous avons demandé le consentement
du parent et de l’enfant, même si la réglementation au Québec et en
Ontario autorise les personnes de 14ans et plus à donner leur consen-
tement sans l’accord des parents. Pour un des cas, nous avons demandé
une modification à notre certification d’éthique afin de recueillir uni-
quement le consentement des jeunes âgés de plus de 14ans.
2. <http://pre.ethics.gc.ca/fra/policy-politique_interpretations_consent-consente-
ment.html>.
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LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L’ENFANT : DÉFIS ÉTHIQUES E T INNOVATIONS MÉ THODOLOGIQUES
232
3.2 L’ethnographie multisite
Lorsqu’il est question de mener des observations sur plusieurs terrains
de recherche, la préparation pose des défis importants sur le plan de la
comparaison. Les chercheuses ou chercheurs doivent s’attendre à ce que
les données recueillies sur différents sites puissent faire l’objet d’une
analyse comparative (Céfaï, 2003). Ils devront comparer le produit des
observations de chacun des terrains particuliers, et ce, en plus de resti-
tuer la singularité de chacun (Hilgers, 2013).
Nous avons choisi de structurer les observations à partir d’une grille.
Nous l’avons élaborée de façon itérative en fonction de notre premier
terrain d’enquête à l’École d’été de l’INM, de la littérature scientifique et
des objectifs énoncés dans le projet. Cette grille se veut un outil flexible
qui oriente et cadre les observations réalisées sur les différents terrains
de recherche. Elle englobe les dimensions suivantes : 1) les informations
sociodémographiques, 2) la nature de l’activité, 3) l’approche éducative,
4) les savoirs théoriques transmis autour de la citoyenneté, 5) les savoir-
faire (ou savoirs pratiques) transmis autour de l’éducation à la citoyen-
neté, 6) les savoir-être transmis par l’activité, 7) la posture pédagogique
de l’animateur ou l’animatrice dans l’intervention.
3.3 Le cas de la Commission jeunesse de la Ville de Gatineau
La Commission jeunesse de Gatineau (CJG) est une instance municipale
qui rassemble des jeunes de 12 à 17ans. Elle les amène à réfléchir sur
les dimensions de la vie municipale qui les touchent particulièrement, à
en discuter et à prendre des décisions à ce sujet. Plus largement, la CJG
se présente comme une « école municipale de participation citoyenne ».
Elle se dit également « une instance représentative reconnue en matière
de jeunesse, où le sentiment d’appartenance à l’école et à la ville est un
levier de l’engagement des adolescentes et adolescents ». Chacune des
13écoles secondaires présentes sur le territoire de la Ville a droit à deux
sièges ; ainsi, la CJG peut être constituée d’un maximum de 26jeunes.
Un poste de coprésidence est réservé à un jeune, qui est élu par ses
pairs pour un mandat d’un an. De même, trois élues ou élus munici-
paux sont désignés pour siéger à la CJG, et l’un d’eux est nommé à un
poste de coprésidence. Une employée de la Ville est responsable de la
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233
Commission jeunesse à titre d’agente. Elle a comme rôle de coordonner
les rencontres et de soutenir les jeunes dans la réalisation des projets.
Trois chercheuses ont participé à l’ethnographie auprès de la CJG, soit
une chercheuse principale dans la quarantaine, une cochercheuse dans
la trentaine, ainsi qu’une assistante de recherche qui est dans la ving-
taine. Les premiers contacts avec l’agente responsable de la CJG ont eu
lieu en 2015. Cette personne étant la gatekeeper du terrain, il importait
de la mobiliser afin qu’elle collabore étroitement dès les débuts de la
démarche. La chercheuse principale l’avait approchée lors d’un sympo-
sium en avril2016 pour que l’agente participe aux premières étapes du
processus collaboratif d’élaboration de ce projet de recherche partena-
riale. Le premier contact a été facile, et l’agente s’est montrée enthou-
siaste à l’idée de participer à la recherche. Elle a toutefois indiqué qu’elle
ne pouvait prendre seule la décision : il importait que les membres de la
CJG votent pour statuer sur leur participation au projet. Ainsi, le projet
de recherche a été présenté à la CJG au printemps2017. Les jeunes ont
approuvé le projet à l’unanimité. Ils avaient toutefois auparavant posé
plusieurs questions pour bien comprendre l’intérêt de cette recherche,
ce qui illustre leur agentivité dans le processus d’enquête et le début de
leur collaboration à son déroulement. Durant la présentation, la cher-
cheuse principale avait notamment discuté de l’idée de produire une
vidéo afin de diffuser les résultats de recherche pour que cette der-
nière contribue au rayonnement des jeunes de la CJG. Ceux-ci ont donc
consenti de façon réfléchie à leur participation à la recherche et aux
éventuelles retombées. Même si nous avions ce consentement initial
de la CJG, nous devions respecter la déontologie. Ainsi, nous avons
expliqué à ses membres les normes de confidentialité et d’anonymat, et
leur avons précisé qu’ils avaient le droit de se retirer des observations,
c’est-à-dire qu’ils pouvaient demander à ce qu’aucune note sur leurs
interactions ne soit prise. Aucun jeune n’a fait une telle demande.
L’entrée sur le terrain a été plutôt facile, car ces jeunes très éloquents
étaient habitués à côtoyer des adultes dans le cadre des activités de la
CJG. Ils ne paraissaient pas intimidés par l’équipe de recherche. Les
trois chercheuses associées au terrain étaient présentes à la première
rencontre. Par la suite, la cochercheuse et l’assistante avaient la respon-
sabilité d’observer les réunions un samedi par mois. Des activités ad
hoc de préparation de projets spéciaux ont également été observées. La
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234
réunion mensuelle se déroulait ainsi : en avant-midi, il y avait une séance
de travail plutôt informelle ; en après-midi, le travail était encadré par
les règles formelles de toutes les commissions municipales. Les ordres
du jour et les procès-verbaux étaient affichés sur le site Web de la Ville.
Lors des séances en commission, les jeunes étaient assis autour d’une
grande table ovale avec le personnel et les élues et élus municipaux. En
matinée comme en après-midi, les chercheuses prenaient généralement
place autour de la table avec leur ordinateur portable, et leur travail
passait plutôt inaperçu.
Le caractère « participatif » de la plupart des observations était minimal,
les chercheuses n’intervenant pas dans le déroulement ordinaire des
rencontres. Ainsi, les chercheuses n’essayaient pas d’être incluses dans
les discussions, et les jeunes s’adressaient rarement à elles, sauf durant
les temps libres. Il était évident qu’ils trouvaient un peu étrange que des
chercheuses soient toujours là, à prendre des notes en silence, mais ils
semblaient tout autant fiers que l’on s’intéresse à eux. Ils démontraient
également de la curiosité à l’égard du projet. Par exemple, lorsqu’une
jeune a demandé à choisir son pseudonyme, plusieurs autres membres
ont trouvé l’idée emballante. L’assistante de recherche, étudiante à la
maîtrise, semblait jouir d’un capital de sympathie supplémentaire,
parce qu’elle était la plus jeune membre de l’équipe de recherche. De
même, comme l’humour faisait partie intégrante de la manière dont
les jeunes communiquaient entre eux, les chercheuses l’utilisaient à
l’occasion pour s’adresser à eux, ce qu’ils ont eu l’air d’apprécier. Une
posture décontractée semblait également de mise lorsque les cher-
cheuses prenaient la parole, par exemple pour rappeler les intentions de
la recherche et les règles déontologiques lorsque des jeunes s’ajoutaient
au groupe. En somme, en dépit d’une certaine distance, les jeunes sem-
blaient trouver les chercheuses sympathiques.
Ainsi, les chercheuses jouaient leur rôle d’adulte tout en s’adaptant à
la culture des jeunes avec qui elles travaillaient. Toutefois, le contexte
de la CJG fait en sorte que la plupart des adultes participant dans ce
groupe avaient une posture minimale, en ce sens que le partenariat
entre les adultes et les jeunes est plutôt horizontal et égalitaire (Zeldin et
al., 2017). Seule l’agente intervenait davantage, mais surtout en soutien
à la coprésidente jeune, qu’elle « coachait » et dont elle sollicitait réguliè-
rement l’avis entre les rencontres. Les enquêtrices respectaient donc les
normes établies du rapport adulte-jeune de ce groupe, ce qui atténuait
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par conséquent le rapport de pouvoir entre les personnes enquêtrices et
les personnes enquêtées.
L’âge des enquêtrices jouait tout de même dans la relation d'enquête
puisque, comme nous l’avons mentionné plus haut, le rapport des jeunes
avec l’assistante de recherche était différent de celui avec les chercheuses
plus âgées. Par exemple, les jeunes ont invité l’assistante à participer à
leurs activités, notamment à interpréter un rôle dans une vidéo de sen-
sibilisation qu’ils tournaient. Il reste qu’en général, il était facile pour
toute l’équipe d’établir une relation de coopération avec ces jeunes,
car même s’ils n’avaient pas atteint l’âge de la majorité, ils étaient des
citoyens engagés, en marge et en amont de leurs activités avec la CJG.
Ainsi, ils étaient plutôt habiles dans l’art d’exposer des arguments, de
les contester et de les raffiner. De plus, ils avaient davantage de connais-
sances sur la politique et sur l’administration municipale que beau-
coup d’adultes. L’âge n’était donc pas un facteur de minorisation dans le
cadre de ce travail de terrain. Au contraire, ces jeunes étaient conscients
et fiers de leurs compétences « sur » les jeunes et de leur rôle au sein de
la CJG par rapport aux adultes et même aux chercheuses. Il était par
ailleurs évident que cette confiance et ces compétences grandissaient au
fur et à mesure que l’année avançait, celles-ci étant décuplées pour les
jeunes qui étaient membres de la CJG depuis plusieurs années.
Cette enquête de terrain illustre de façon intéressante la complexité des
rapports sociaux à l’intersection de l’âge et de la position sociale. Au
moment de l’observation, sept membres fréquentaient un établissement
d’enseignement privé, et plusieurs autres membres étaient inscrits dans
des programmes scolaires contingentés comme le programme d’édu-
cation internationale. Les enquêtrices travaillaient donc avec des per-
sonnes enquêtées dont la position sociale était plutôt favorisée. Si nous
avions rencontré des jeunes issus d’un autre contexte socioéconomique,
l’effet de l’âge et de la position sociale aurait peut-être été difficile à
distinguer. En effet, observer des jeunes moins favorisés nous aurait
peut-être amenées à penser que la teneur de leurs pratiques citoyennes
était marquée par leur âge, et nous aurions essentialisé leur citoyenneté
politique en fonction de l’âge.
Même si ces jeunes avaient toutes les capacités requises pour offrir un
consentement libre et éclairé, nous nous étions engagées auprès du CER
(Comité d’éthique de la recherche) de notre établissement à faire signer
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LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L’ENFANT : DÉFIS ÉTHIQUES E T INNOVATIONS MÉ THODOLOGIQUES
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des formulaires de consentement aux jeunes et à leurs parents. Ces for-
mulaires, distribués en format papier, ont été difficiles à récupérer : il
aura fallu les interventions de l’agente. Ainsi, notre gatekeeper a joué un
rôle essentiel pour permettre à la recherche de démarrer.
L’agente nous a également aidées à sélectionner des jeunes à interviewer
de façon à représenter une variété de profils en fonction de l’âge, du
sexe, de l’école fréquentée et du niveau d’implication à la CJG. Pour
communiquer avec les jeunes, les réseaux sociaux ont été mis à profit,
car nous avons compris qu’il s’agissait du moyen de communiquer – les
textes, mais aussi les vidéos – privilégié par les membres entre les ren-
contres mensuelles. L’agente et les chercheuses ont rappelé ensemble,
lors de la troisième rencontre mensuelle, que les jeunes seraient solli-
cités pour des entretiens. Nous avions jugé qu’il était préférable d’at-
tendre quelques mois avant de réaliser les entretiens afin que les jeunes
puissent s’habituer à la présence des chercheuses. Après l’annonce en
grand groupe, les invitations aux entrevues ont été faites par un texto
plutôt familier rédigé par la cochercheuse, qui écrivait directement à la
personne pour lui demander si elle souhaitait nous accorder un entre-
tien. Les jeunes sollicités ont tous accepté. Nous leur avons proposé des
rencontres de 30 à 45minutes en personne, au téléphone ou par vidé-
oconférence ; ils ont privilégié les entrevues par vidéoconférence. Les
entrevues permettaient d’obtenir la perspective de l’expérience vécue
par les jeunes et leurs représentations de la citoyenneté.
Par ailleurs, l’aspect collaboratif de la recherche a été développé de
plusieurs façons. D’abord, l’agente de la CJG et les chercheuses ont
convenu que des outils de mobilisation des connaissances adaptés aux
publics de la CJG allaient être mis au point. D’une part, l’agente avait à
ce moment-là exposé son besoin de mieux « vendre » la CJG auprès des
élus et élues, mais aussi du grand public. D’autre part, les jeunes avaient
exprimé, lors de notre présentation devant la Commission, leur désir de
« voir » les résultats de recherche. À cet effet, nous avions convenu qu’un
court métrage serait réalisé pour vulgariser certaines conclusions de la
recherche et qu’un rapport serait rédigé. Alors que la vidéo devait viser
un public élargi, incluant les jeunes de la CJG, le rapport était plutôt
destiné aux élues et élus municipaux. Si le scénario principal de la vidéo
a été élaboré par les chercheuses, nous avions convenu avec l’agente
et les jeunes d’inclure des entretiens semi-dirigés avec les jeunes dans
le documentaire, de manière à les laisser proposer leurs perspectives.
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Durant le montage, l’agente était mise à contribution pour nous assurer
que la CJG était présentée d’une manière fidèle à la réalité. Une cher-
cheuse a également convié un jeune à participer avec elle à un panel
dans le cadre d’un colloque universitaire où les membres du partenariat
de recherche – chercheurs, chercheuses, intervenants et intervenantes
du milieu – présentaient leurs travaux. Le jeune et l’agente ont parti-
cipé étroitement à l’élaboration du propos qui allait être présenté. Ces
démarches de mobilisation des connaissances en collaboration avec la
gatekeeper et les jeunes ont contribué à améliorer la compréhension des
chercheuses à l’égard de la CJG et à former les jeunes au rôle de cher-
cheur ou chercheuse tel qu’il est proposé par Spyrou (2018). En effet,
chaque fois, la production de connaissances faisait l'objet d'une négo-
ciation et d'une coconstruction lors de dialogues plus ou moins formels
avec des jeunes ou des adultes (l’agente et la coprésidente élue).
3.4 Le cas du Comité des droits de l’enfant du Centre
depédiatrie sociale de Gatineau
Le Centre de pédiatrie sociale de Gatineau (CPSG) est un organisme
communautaire qui offre des soins à des enfants vivant dans deux sec-
teurs de la ville de Gatineau où l’on retrouve une concentration d’enfants
en situation socioéconomique précaire. Pour ce faire, le CPSG compte
deux succursales (une par secteur), et il intervient selon l’approche de la
pédiatrie sociale telle qu’elle a été développée à Montréal par le pédiatre
GillesJulien. Ces interventions ont pour objectif de fournir des services
de santé de proximité et des services sociaux adaptés aux besoins des
enfants et de leurs parents, de promouvoir de saines habitudes de vie et
de renforcer le pouvoir d’agir des enfants et de leurs parents (Clément
et al., 2015). Les deux comités des droits de l’enfant (CDE) du CPSG (un
par succursale) sont l’une des composantes de cette approche de soins
aux enfants.
Les CDE ont pour objectif de conscientiser les enfants aux notions de
respect de leurs droits fondamentaux, tels qu’ils sont énoncés dans la
Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’ONU en 19893.
Ces comités offrent aux enfants un espace où ils peuvent s’exprimer
dans un environnement émotionnellement sécuritaire et développer
3. <https ://ww w.ohchr.org/fr/professiona linterest /pages/crc.aspx >.
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LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L’ENFANT : DÉFIS ÉTHIQUES E T INNOVATIONS MÉ THODOLOGIQUES
238
de nouvelles compétences, entre autres en matière de défense de leurs
droits, et organisent des activités comme une marche annuelle pour la
promotion des droits de l’enfant. Les enfants se servent parfois de cette
plateforme comme outil de revendication auprès du conseil d’adminis-
tration du CPSG afin de sensibiliser et d’influencer les administratrices
et les administrateurs sur des aspects de la vie du Centre qui pourraient
être améliorés pour leur bien-être.
Les CDE sont chacun composés d’environ six enfants âgés de 7 à 15ans.
La plupart, mais pas tous, sont des usagers du CPSG. Chaque comité
est animé par une avocate et une intervenante psychosociale qui sont
en lien étroit avec le reste de l’équipe clinique. L’ensemble du personnel
soignant du CPSG recommande des enfants en concertation avec les
animatrices du comité. Deux des principaux critères de sélection des
enfants sont la motivation de l’enfant à participer au comité et sa capa-
cité à intégrer un groupe (Angba, Tremblay-Perron et Fauser, 2016).
Les comités tiennent une dizaine de rencontres durant l’année. Ces
rencontres, d’une durée de deux heures chacune, se tiennent dans les
locaux du CPSG et sont structurées selon un programme annuel conçu
par les animatrices. À chaque rencontre, les enfants partagent un repas
avec les animatrices, et il s’ensuit une série de deux ou trois activités
plus ou moins structurées selon les objectifs du programme. Voici un
exemple d’activité structurée : les enfants reçoivent des vignettes sur
lesquelles apparaît un pictogramme qui illustre un bien ou une chose.
Ils doivent alors dire s’il s’agit d’un « désir », d’un « besoin » ou d’un
« droit ». Parfois, les activités sont moins structurées et consistent en
des discussions sur des thèmes généraux comme « la justice sociale »,
« la démocratie », « la politique », etc.
L’entrée sur le terrain a été effectuée par un étudiant de doctorat âgé
d’une quarantaine d’années, qui désirait étudier les CDE et, par la
même occasion, agir comme chercheur au sein du partenariat. L’en-
quête de terrain est encore en cours : nous sommes toujours dans une
phase d’observation et de production de données. Les premiers contacts
ont été faits à l’automne2018. Les chercheurs et les chercheuses ont été
accueillis à bras ouverts par la directrice clinique et l’une des « avo-
cates-animatrices ». Il faut dire que cette entrée a été facilitée par la
réputation de l’étudiant, qui a déjà travaillé dans le milieu communau-
taire. Le lien de confiance était donc facile à établir, et il a été décidé
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qu’un seul enquêteur serait présent sur le terrain, puisqu’il s’agissait
d’un petit groupe d’enfants déjà entourés par plusieurs professionnels.
Nous craignions que la signature des formulaires de consentement par
les parents et les enfants soit difficile à obtenir. À l’inverse, elle a été
facile à obtenir en raison de la qualité de la relation qu’ont les gatekee-
pers avec les familles.
Contrairement à ce qui avait été fait avec la Commission jeunesse de
Gatineau, les enfants membres du CDE n’ont pas été consultés avant
leur participation à la recherche. Cela a influencé la posture de l’enquê-
teur. Par exemple, lors des premières séances d’observation, l’enquêteur
a été très attentif aux signes possibles d’inconfort des enfants. Àplu-
sieurs reprises, il leur a rappelé que s’ils se sentaient gênés par l’en-
registreur, il l’arrêterait sur-le-champ.Il l’a offert directement à deux
enfants. Dans les deux cas, les enfants ont décliné l’offre, se disant suf-
fisamment à l’aise pour parler tout en étant enregistrés.
L’enquêteur a décidé de négocier peu à peu son entrée sur le terrain afin
d’assurer un lien de confiance avec les enfants. Il faut dire que sa stature
imposante et sa position d’homme contrastaient grandement dans ce
milieu où les femmes sont majoritaires dans les rôles d’intervention.
Cette façon de procéder était d’autant plus importante qu’il prévoit tra-
vailler avec ces jeunes durant quelques années. Progressivement, il a
augmenté son niveau d’engagement dans le comité. Son but était d’at-
teindre rapidement un équilibre entre un niveau d’acceptation suffisant
pour avoir la confiance des enfants et des animatrices et un niveau de
participation adéquat, qui respecte la dynamique du groupe.
Lors des premières séances, l’enquêteur se mettait en retrait derrière
les enfants assis autour d’une table de réunion, adoptant ainsi un rôle
de « pur observateur » (Gold, 2003). Il s’est peu à peu mêlé au groupe.
Maintenant, il s’assoit autour de la table avec les enfants et intervient
parfois dans les discussions. Il participe à certaines activités publiques,
comme la Journée internationale des droits de l’enfant. À quelques
reprises, il a offert son soutien pour l’animation d’activités qui nécessi-
taient un soutien plus personnalisé auprès de certains enfants qui, par
exemple, avaient des difficultés en lecture. Il joue ce rôle uniquement
lorsque les animatrices sont débordées, puisqu’il ne s’agit pas unique-
ment d’une activité d’éducation citoyenne, mais aussi d’un groupe thé-
rapeutique. Il ne doit donc pas nuire à la relation thérapeutique entre les
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LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L’ENFANT : DÉFIS ÉTHIQUES E T INNOVATIONS MÉ THODOLOGIQUES
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animatrices et les enfants au sein du comité ; c’est pourquoi il s’assure
en tout temps d’obtenir l’accord des animatrices. L’alliance entre l’en-
quêteur et les autres intervenantes du groupe est importante, car il peut
ainsi naviguer entre un rôle de participant plus près des enfants et un
rôle de participant plus près des adultes. Cela est rendu possible par la
relation de confiance qu’il a tissée avec les animatrices et les enfants.
Le fait que le CDE soit aussi un groupe thérapeutique explique pour-
quoi les rapports adulte-enfants sont empreints d’une importante valo-
risation de l’agentivité des enfants. Dans le langage de l’intervention, il
s’agit d’un dispositif qui encourage l’autonomisation des enfants. En ce
sens, les intervenantes mettent en œuvre la plupart des activités, mais
elles rendent leurs actions invisibles en mettant en scène les enfants
comme étant les principaux acteurs ou actrices de l’activité. L’enquê-
teur, pour faire partie du groupe, doit adhérer à ce modèle thérapeu-
tique des rapports « intervenant-enfant », ce qui l’amène à adopter le
rôle de l’adulte total.
Cette posture, bien qu’elle n’ait pas été choisie sciemment par l’enquê-
teur dès son entrée sur le terrain, découle de nombreuses réflexions
issues de l’éthique relationnelle de la recherche. Comme nous l’avons
mentionné plus tôt, il a été facile de respecter les normes déontologiques
de la recherche dans ce terrain, mais les enjeux éthiques demeurent
nombreux. En s’intégrant physiquement dans le groupe de façon pro-
gressive, l’enquêteur a voulu respecter le consentement pratique des
enfants dans la recherche. Même s’ils avaient signé le protocole, le
chercheur voulait s’assurer de leur plein consentement. En raison de
sa stature et du symbole paternel que sa présence physique imposait en
tant qu’homme mesurant six pieds et portant la barbe, il pouvait diffi-
cilement adopter une posture d’adulte minimal qui « joue » à l’enfant.
Finalement, la situation de vulnérabilité de ces enfants et le contexte
thérapeutique, davantage que leur âge, l’ont amené à adopter une pos-
ture d’adulte total, puisque tous les adultes du groupe ont une respon-
sabilité de protection à l’égard des enfants. L’éthique de la recherche
relationnelle engage donc les enquêteurs ou enquêtrices dans une négo-
ciation constante de leur posture sur le terrain (Gaudet, 2009).
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4. CONCLUSION
L’ethnographie ne représente pas la panacée de la méthodologie de
recherche mettant à contribution des enfants et des adolescents ou ado-
lescentes. Dans ce chapitre, nous avons plutôt démontré comment elle
proposait une méthodologie cohérente dans la modélisation de notre
projet de recherche partenariale sur les initiatives d’éducation à la
citoyenneté démocratique offertes par deux organisationsde la région
de l’Outaouais. Elle nous permettait 1)de mettre en lumière des acteurs
et actrices peu considérés dans les recherches sur la participation démo-
cratique et les théories sur la citoyenneté ; 2)d’aborder l’étude de l’édu-
cation citoyenne de façon ouverte, dans une perspective de coopération
avec les acteurs et actrices sur le terrain ; 3)d’accéder aux pratiques et
aux représentations de personnes enquêtées qui seraient susceptibles
d’avoir une utilisation restreinte du langage.
L’ethnographie correspondait également à la posture épistémolo-
gique du paradigme partenarial de la recherche. Comme nous l’avons
expliqué, les intervenants et intervenantes jeunesse ont été peu présents
durant la première phase de la modélisation des connaissances, mais
ils ont été parties prenantes du processus de production des connais-
sances. Avec l’exemple de l’enquête sur le terrain de la CJG, nous avons
aussi expliqué comment les jeunes se sont engagés dans les activités de
mobilisation des connaissances et comment ils ont acquis des com-
pétences de recherche en participant aux analyses et en les présentant
dans le cadre d’un colloque scientifique.
L’ethnographie, notamment l’ethnographie multisite, est une approche
pertinente pour l’analyse des rapports sociaux. En comparant les deux
cas, nous analysons une désessentialisation de la catégorie d’âge, c’est-à-
dire que nous remettons en question l’âge des enfants et des adolescents
et adolescentes en tant que déterminant social de leur rôle d’actrices ou
d’acteurs sociaux et politiques.
La comparaison des deux enquêtes sur le terrain révèle que le rapport
entre les personnes enquêtées et les personnes enquêtrices est tout
autant influencé par la position sociale des premières que par leur âge.
Par exemple, le cas de la CJG montre comment ces jeunes ont des com-
pétences citoyennes qui dépassent celles de la moyenne des adultes.
Leur position sociale influence donc davantage la relation d’enquête
que leur âge. Les enquêtrices, pour s’insérer dans la culture du groupe,
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ont dû adopter une posture correspondant surtout à celle de l’adulte
minimal. Aurions-nous ce rapport avec un groupe de jeunes moins
privilégiés ? Nous en doutons.
À l’inverse, la grande vulnérabilité des enfants présents au CDE a amené
l’enquêteur à se placer dans une posture de l’adulte total. Ce choix,
découlant d’une réflexion éthique, s’imposait en raison du contexte
thérapeutique, mais aussi en raison de la position sociale des enfants.
Ce facteur était plus important à considérer que l’âge des enfants. Si
nous avions à imaginer un tel terrain avec un groupe d’enfants favorisés
fréquentant un programme d’éducation internationale, par exemple,
l’attitude de l’enquêteur n’aurait probablement pas été la même. Il aurait
pu opter pour une posture correspondant davantage à celle de l’adulte
minimal.
La comparaison des terrains illustre également le rôle clé que jouent
les gatekeepers dans le cadre d’une enquête ethnographique. Le fait que
nous ayons mobilisé des intervenants et intervenantes jeunesse dans
le développement de la modélisation du projet et du processus de pro-
duction de données nous a permis de forger des liens de confiance et
de collaboration très forts. Ces liens facilitent différentes étapes de la
recherche, notamment celle consistant à remplir le protocole d’éthique
de la recherche et à établir des liens de confiance avec les jeunes. Plus
encore, ce rapport collaboratif nous permet de jouer pleinement notre
rôle de sociologues publics, c’est-à-dire celui d’actrices et d’acteurs
sociaux privilégiés pour faire le pont entre les sciences sociales et la
société civile.
FAITS SAILLANTS
1. L’approche ethnographique permet d’enrichir les débats théoriques sur la
participation démocratique et la citoyenneté des enfants en permettant
de mettre en lumière des pratiques d’acteurs et d’actrices encore peu
étudiées.
2. L’ethnographie constitue une approche coopérative et ouverte avec les
acteurs et les actrices du terrain ; elle donne accès aux pratiques et aux
représentations de personnes ayant une utilisation limitée du langage.
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3. L’ethnographie avec des enfants demande aux chercheurs et aux cher-
cheuses de rééchir sur le rapport de pouvoir entre les adultes et les
jeunes, mais aussi de rééchir sur la position sociale des enfants au-delà
du rapport social d’âge.
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