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Ann. Soc. Sci. nat. Charente-Maritime, 2016, 10(7) : 777-789
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DE LA CHARENTE-MARITIME
EVOLUTION DES PEUPLEMENTS D’ISOPODES TERRESTRES
(ISOPODA, ONISCIDEA) DE L’ÎLE D’AIX (CHARENTE-MARITIME)
Franck Noël
La Motte - 53160 Saint-Martin-de-Connée
Résumé
L’île d’Aix en Charente-Maritime constitue un territoire exceptionnel pour l’étude des
crustacés terrestres. La composition de sa faune isopodologique, étudiée pendant plusieurs
années par le professeur Jean-Jacques Legrand est l’une des mieux connue au niveau du
territoire français.
De récents inventaires réalisés depuis 2004 permettent de réactualiser ces données et
d’envisager l’évolution des peuplements. La diversité des habitats présents (rivages, marais,
zones anthropisées et boisements), au sein d’une supercie réduite, permet le maintien de
plusieurs cortèges d’espèces : la diversité recensée y est remarquable avec 33 taxons signalés.
Plusieurs découvertes récentes permettent de mettre en exergue la dispersion de quelques
espèces à l’instar d’Armadilloniscus ellipticus, connue uniquement des rivages méditerranéens
en France.
Abstract
The Aix island in Charente-Maritime is an exceptional place for the study of terrestrial
crustaceans. The isopod communities of the island, studied for many years by Professor Jean-
Jacques Legrand are one of the best known in France. Recent surveys conducted since 2004
allow to update these data and to study the evolution of isopod populations. The diversity
of the landscapes (shorelines, marshes, anthropic areas and woodlands), within a small
area, allows to maintain many species. The isopod biodiversity recorded on the island is
outstanding with 33 taxa reported.
Several recent discoveries help to highlight the dispersion of some species as Armadilloniscus
ellipticus, previously known only to the Mediterranean coast in France.
Mots-Clé
Isopodes terrestres, Inventaires, Evolution, Ile d’Aix, Jean-Jacques Legrand.
Keywords
Terrestrial Isopods, surveys, diversity evolution, Aix island, Jean-Jacques Legrand.
Introduction
Les recherches sur les isopodes terrestres débutent en France entre la n du 18ème et le début
du XIXe siècle, notamment effectuées par G. Cuvier et P.-A. LatreiLLe.
Les connaissances se développent dans la première moitié du XIXe ; Brandt (1833) mentionne
alors 23 espèces appartenant à la faune française, tandis qu’en 1885 paraît la monographie
de G. Budde-Lund (38 espèces recensées). Quelques années plus tard, a. doLLfus (1899a,
1899b) publie le premier catalogue des Isopodes terrestres de France, répertoriant 81 espèces.
Par la suite, plusieurs naturalistes et scientiques de renom (E. G. raCovitza, r. JeanneL, K.
W. verhoeff, a. vandeL, J.-J. Legrand) poursuivent les études systématiques et taxinomiques
des isopodes terrestres en France. Le Pr. Albert vandeL publie alors la Faune de France (1960,
1962), décrivant avec précision près de 170 espèces.
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Parallèlement à la description de nouveaux taxons, les auteurs s’intéressent également à
d’autres aspects, tels que l’écologie ou la distribution des taxons, ainsi qu’aux mécanismes
de dispersion et de spéciation (impact des glaciations, de l’isolement écologique, etc.).
Dans le cadre d’un projet plus global portant sur les îles de l’Atlantique, le Pr. Jean-Jacques
Legrand, chercheur à l’Université de Poitiers, réalise plusieurs missions sur les îles du littoral
atlantique au cours des années 1950, qui donneront lieu à quatre publications (Legrand,
1953, 1954a, 1954b, 1956).
L’île d’Aix, ayant fait l’objet de recherches approfondies, est celle qui héberge la plus grande
diversité : 28 espèces sont répertoriées à la n des années 50 sur son territoire (d’après
Legrand, 1953 à 1956).
De supercie réduite et d’accès aisé depuis le continent, cette île nous est apparue comme
présentant un fort intérêt pour l’étude des communautés d’isopodes terrestres et de leur
évolution. L’aspect insulaire renforce cet intérêt, car il s’agit d’un territoire assez peu ouvert
aux échanges et dont les limites n’évoluent guère, hormis à la marge (évolution négative du
trait de côte).
Depuis 2004, soit un demi-siècle après les prospections réalisées par le Pr. Legrand, des
inventaires visant les isopodes terrestres ont été menés. Nous présentons ici les premiers
résultats obtenus au cours de 4 visites récentes (2004-2014) et les comparons à ceux publiés
par Legrand (1953 à 1956).
1- MATÉRIEL ET MÉTHODES
L’étude des isopodes terrestres n’offre guère de difcultés et repose essentiellement sur une
prospection minutieuse des principaux milieux naturels, ainsi que des micro-habitats (voir
par exemple noëL & séChet, 2014).
Dans le cas de l’île d’Aix, au vu de la supercie réduite, aucun échantillonnage par piégeage
n’a été mis en place : les prospections ont toutes été réalisées à vue, avec en complément
quelques sorties nocturnes.
Les isopodes font pour la plupart l’objet d’une identication directe sur le terrain, parfois à
l’aide d’une loupe de botaniste ou de jumelles tenues en position inversée, an d’observer
quelques critères discrets. Cependant, le groupe des « cloportes pygmées » (famille des
Trichoniscidae) nécessite le plus souvent l’examen des spécimens à la loupe binoculaire,
voire la dissection puis le montage sous lame des appendices différenciés des mâles. Dans ce
cas, quelques individus ont été prélevés en différentes stations an de représenter au mieux
les peuplements, puis conservés en alcool à 70° avant examen en laboratoire.
L’ensemble de l’île a fait l’objet de prospections, dont l’intensité dépend à la fois des
possibilités d’accès et des potentialités d’accueil pour la faune. Seules quelques zones
privées (grands jardins clos notamment) n’ont pu être visitées.
Période des 4 visites réalisées sur la période récente (2004-2014) et noms des récolteurs :
• octobre 2004 (SECHET E., NOËL F., OUIGRE G.) ;
• novembre 2006 (noëL f., Jean-Baptiste J.) ;
• novembre 2013 (noëL f., Jean-Baptiste J., vigour d., tep v.) ;
• octobre 2014 (noëL f., Jean-Baptiste J.).
Faute de description détaillée il ne nous est pas possible de connaître la pression d’observation
et les méthodes employées par Legrand. Il est toutefois vraisemblable qu’elles fussent
similaires, tant en intensité qu’en technique d’inventaire.
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2- DESCRIPTION DE LA ZONE D’ÉTUDE
L’île d’Aix, située au cœur du Pertuis Charentais, jouit d’une position abritée, entre les îles
de Ré et d’Oléron. D’une supercie de 119 hectares, elle se développe sous forme d’un
croissant présentant des entités paysagères bien délimitées :
• la partie sud-ouest, le village, constitué du port et ceinturée de remparts, où sont
regroupées les principales habitations ;
• la partie centrale, où s’est implanté un habitat dispersé voisinant avec des étendues
naturelles (dune, prairie, marais). À l’est sont présents quelques bassins ostréicoles, en
bordure des grandes vasières de l’anse du Saillant ;
• la zone nord, essentiellement boisée (Coudepont), qui est aussi le point le plus haut de
l’île (15 m alt.).
L’île est marquée par son passé et notamment l’installation de nombreuses fortications
édiées entre le XVIIe et le XIXe siècle. Celles-ci ont fortement modié les paysages. De
même, la présence de nombreuses petites parcelles, maintenant enfrichées, témoigne d’une
activité agricole autrefois plus dynamique, même si une légère inexion se dessine ces
dernières années (vignoble, maraîchage, élevage équin).
L’île était difcile d’accès et fut longtemps ignorée des naturalistes. Ainsi duguy (1977),
dans l’introduction de sa synthèse sur l’île d’Aix dit-il « une lacune encore plus grande s’est
produite pour la faune vivante qui n’a fait l’objet d’aucun travail de recherche, ainsi que pour
la ore », « Mais il faut imaginer quelles étaient les liaisons entre l’île et le continent au XIXe
siècle, qui rendaient relativement difciles les prospections des naturalistes. »
Il est difcile de visualiser l’île d’Aix à l’époque des prospections de Legrand. Probablement
les zones naturelles étaient plus nombreuses et le bâti moins développé dans la partie
centrale (dans les années 50, environ 150 habitants étaient recensés contre 240 à l’heure
actuelle), tandis que les parcelles à vocation agricole étaient plus étendues (plusieurs dizaines
d’hectares de vigne notamment). De même, la forêt s’est progressivement reconstituée depuis
l’abandon des activités militaires.
Plus récemment, l’île fut fortement bouleversée par le passage des tempêtes (Lothar en 1999,
puis Xynthia en 2010), occasionnant la chute de nombreux arbres et la submersion de la
partie centrale de l’île. Celles-ci ont également remodelé les côtes et potentiellement affecté
les communautés d’espèces liées aux hauts de plage, soit par l’impact direct (submersion,
érosion), soit par la suite lors des travaux de restauration des digues et le réensablement
articiel.
3- RÉSULTATS
Trente-trois espèces d’isopodes terrestres ont été inventoriées au sein du territoire, dont 27
dans les années 50 (Legrand, 1953 à 1956) et 31 sur la période récente (2004-2014).
Le peuplement peut être considéré comme relativement stable, avec néanmoins une
tendance à l’augmentation de la richesse spécique.
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Tableau n°1 : liste des isopodes terrestres observés par Legrand dans les années 50 puis lors de nos quatre visites
(2004 à 2014).
Légende :
Espèce nouvelle pour l’île
Espèce non revue sur la période récente
Legrand
(Années
50)
Octobre
2004 Novembre
2006 Novembre
2013 Octobre
2014
Tylos europaeus X X
Ligia oceanica X X X X
Trichoniscus pusillus X X X
Trichoniscus pygmaeus X X X X
Haplophthalmus mengii X
Haplophthalmus danicus X X X X
Stenoniscus pleonalis X X
Halophiloscia couchii X X X
Armadilloniscus ellipticus X
Chaetophiloscia elongata X X X X
Chaetophiloscia cellaria X X
Chaetophiloscia sicula X X X X
Philoscia muscorum x X X X
Philoscia afnis X X X
Oniscus asellus X X X
Platyarthrus hoffmannseggii X X X X X
Platyarthrus costulatus X X X X
Platyarthrus aiasensis X X X
Porcellionides sexfasciatus X X X X
Porcellionides cingendus X X X X X
Porcellionides pruinosus X
Acaeroplastes melanurus X
Porcellio scaber X X X X
Porcellio laevis X X X
Porcellio dilatatus X X
Porcellio spinicornis X X X
Porcellio lamellatus X X
Cylisticus convexus X
Paraschizidium coeculum X X
Armadillidium vulgare X X X X X
Armadillidium nasatum X X
Armadillidium album X X
Armadillidium depressum X X
Total : 33 espèces 27 21 7 20 20
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3.1- Présentation des communautés d’espèces
Les communautés d’isopodes peuvent être réparties en quatre catégories :
• les espèces littorales et supra-littorales (espèces des plages, des côtes sableuses, des
falaises maritimes, espèces halophiles) ;
• les espèces forestières (espèces des milieux boisés, de l’humus ou corticoles) ;
• les espèces prairiales (plutôt thermophiles, supportent les milieux plus ouverts) ;
• les espèces euryèces ou synanthropes (présentes dans une diversité de milieux,
fréquemment observées à proximité de l’habitat humain : jardins, compost, etc.).
- les espèces littorales et supra-littorales
Les plages sableuses (anse du Saillant, anse de la Croix) accueillent Tylos europaeus et
Armadillidium album, avec des effectifs peu importants. Les rochers situés à la limite des
hautes eaux sont le domaine de la Ligie Ligia oceanica, ainsi que d’Halophiloscia couchii et
du rare Porcellio lamellatus.
Stenoniscus pleonalis (décrit par Legrand en 1954 sous le nom de Stenoniscus aiasensis,
littéralement « de l’île-d’Aix ») est mentionné par son découvreur des « grèves exposées au
midi ». Nous avons pu le retrouver en octobre 2014 au sein d’une micro-falaise maritime
située entre le bourg et les bassins ostréicoles, au sud du Saillant.
Les douves situées entre Tridoux et l’anse de la Croix, partiellement comblées, ont permis
de découvrir une petite population d’Armadilloniscus ellipticus, espèce méditerranéenne
jusqu’alors inconnue de la façade atlantique.
Les pelouses littorales accueillent Porcellionides sexfasciatus, tandis que les minuscules
Platyarthrus costulatus et aiasensis sont présents ça et là, sous les pierres, parfois en
compagnie de fourmis.
Paraschizidium coeculum est une espèce très rare, connue en France uniquement de l’île
d’Aix. Décrite sous le nom de Paraschizidium lianae par Legrand (1956) qui la mentionne de
fourmilières, nous l’avons retrouvée en 2013 au sein des pelouses écorchées surplombant
les falaises de Tridoux. Son écologie est mal connue et son afnité avec le littoral mériterait
d’être précisée.
- les espèces forestières
Les cloportes pygmées Trichoniscus pusillus et Trichoniscus pygmaeus sont bien présents
dans les boisements et les haies. Sous le bois mort, ils cohabitent généralement avec
Haplophthalmus mengii (découvert en 2013 dans un vallon humide du secteur de
« Montrésor ») et H. danicus. Sous les écorces où au pied des arbres vivent le cloporte
rugueux Porcellio scaber, Porcellionides cingendus et Oniscus asellus.
Rare dans le nord de la France, Philoscia afnis était « assez commune à Aix (bois) » selon
Legrand (1954b). Revue ces dernières années, elle semble toutefois moins répandue que
l’ubiquiste Cloporte des mousses Philoscia muscorum.
- les espèces prairiales
Les prairies sèches et les friches sont le domaine de Chaetophiloscia elongata et de
Chaetophiloscia sicula, deux espèces proches dont l’expansion récente au niveau national
a été mise en évidence (noëL et al., 2014). Relativement résistants à la sécheresse, les
armadilles Armadillidium vulgare et Armadillidium nasatum fréquentent les milieux les plus
xériques, tandis que Platyarthrus hoffmannseggii est noté ça et là au sein des pelouses, sous
les pierres, le plus souvent en compagnie de fourmis.
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- les espèces euryèces ou synanthropes
Ces espèces ont su s’adapter à l’Homme, voire proter de ses déchets. Ainsi, Porcellio
dilatatus est-il fréquemment observé au sein des tas de compost. Il est remarquable que trois
espèces signalées par Legrand aient quasiment disparu : c’est le cas de Cylisticus convexus
et de Porcellionides pruinosus, qui n’ont fait l’objet d’aucune observation ces dix dernières
années. Quant à Porcellio laevis, devenu extrêmement rare dans toute la moitié nord de la
France, il est revu à l’unité en 2004 et 2006.
Dans les interstices des vieux murs vivent Chaetophiloscia cellaria, Porcellio spinicornis et
Armadillidium depressum, ces deux derniers abondants de nuit sur les parois de l’église.
Enn, Acaeroplastes melanurus, originaire du sud de la France, a rapidement colonisé tout
le nord-ouest du pays, favorisé notamment par la plantation de platanes, dont il aime se
réfugier sous les écorces (noëL et al., 2009).
3.2- Etude diachronique des peuplements
• Les espèces devenues rares ou non revues
Deux espèces n’ont pas été revues récemment : Cylisticus convexus et Porcellionides
pruinosus. Toutes deux sont des synanthropes, présentant une aire de répartition étendue,
certains comme P. pruinosus étant devenus cosmopolites.
C. convexus et P. pruinosus étaient semble-t-il beaucoup plus fréquents au milieu du XXe
siècle qu’à présent et fréquentaient les jardins et les fermes, notamment les tas de fumier. Le
déclin de l’agriculture sur l’île pourrait expliquer celui de ces deux espèces.
Il en va de même pour Porcellio laevis, autrefois signalé « commun dans toutes les îles » par
Legrand (1954b) et revu à l’unité sur Aix, tandis qu’il semble avoir totalement disparu de
Noirmoutier et Ré (obs. pers., D. desmots comm. pers.). Présent autrefois dans presque toute
la France, l’espèce n’est plus observée que dans la moitié sud (séChet & noëL, 2015) et aurait
souffert de la disparition des élevages équins, consécutivement aux changements de modes
de traction agricole.
Le développement récent de l’élevage, lié à une activité touristique (calèches de l’Ile d’Aix)
pourrait permettre de restaurer des conditions favorables à la survie de ces espèces. Toutefois,
les traitements prophylactiques, qui tardent à se décomposer dans le fumier, se révèlent
parfois nocifs à la faune des décomposeurs.
• Les espèces nouvellement signalées
Nous présentons ici les taxons ayant fait l’objet d’observations depuis 2004, qu’elles soient
nouvellement apparues sur l’île ou non identiées jusqu’à présent.
Trois espèces ont connu une expansion bien documentée ces dernières décennies :
Acaeroplastes melanurus, Chaetophiloscia sicula et Chaetophiloscia cellaria (noëL et al.,
2009 ; noëL et al., 2014 ; séChet et noëL, 2015). Originaires du sud du pays, leur expansion
rapide est remarquable dans le nord-ouest du pays depuis quelques années.
Haplophthalmus mengii est mentionné par Legrand (1954b) sous le nom de H. perezi de
Belle-Ile, Noirmoutier et Yeu mais absent des îles de Ré et d’Aix. L’espèce est à présent
connue de l’ensemble des îles de l’Atlantique et il est difcile de savoir s’il s’agit d’une
introduction récente ou bien d’une espèce non détectée par Legrand. L’espèce reste rare sur
l’île (obs. pers.), localisée à quelques zones humides au sein des boisements du nord-est.
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Espèce des rivages rocheux, Armadilloniscus ellipticus est pour la première fois observée
en 2014, au sein des douves partiellement comblées au sud de l’anse de la Croix. D’origine
méditerranéenne, sa présence est probablement récente sur l’île, la station colonisée par
l’espèce étant extrêmement réduite.
Le cas d’Armadillidium depressum est intéressant en ce qu’il constitue un témoignage certain
de colonisation récente. En effet, cette espèce est l’une des plus grosses et est facilement
identiable. Legrand (1954b) la mentionne commune à Belle-Ile, Noirmoutier et Yeu mais
absente à Ré et Aix. Elle est présente maintenant sur l’île de Ré (obs. pers.) et a été détectée
à partir de 2004 sur l’île d’Aix, au sein du village où sa distribution semble restreinte (pas
d’observation dans les autres milieux favorables, tels que le Fort Liédot).
La présence de l’espèce sur certaines îles atlantiques serait d’ailleurs, selon Legrand (1954b),
la preuve d’une « importation par l’Homme à l’âge des métaux, par suite du cabotage ».
Beaucoup d’espèces présentes sur les îles seraient d’ailleurs liées à des importations liées au
trac maritime, à une époque plus ou moins récente. L’essor du tourisme et l’augmentation
de la population sédentaire nécessitent de nouvelles infrastructures et de nouveaux
moyens : l’import de matériaux de construction (bois, briques, parpaings, tuiles…), pour les
infrastructures (granulats, graviers), le bois de chauffage ou encore les végétaux d’ornement
constituent autant d’évènements réguliers susceptibles d’enrichir la faune terrestre.
Selon Legrand (1953) la plupart des espèces forestières présentes sur les îles seraient d’origine
exogène. En effet, si une colonisation naturelle a pu avoir lieu au début de la transgression
andrienne (période à laquelle la régression marine permettait encore le raccordement de
l’île d’Aix au continent), cette faune aurait ensuite disparu avec la raréfaction progressive
des forêts. Ceci expliquerait la rareté des Trichoniscidae (absence du genre Trichoniscoides,
faible diversité des autres genres) et de taxons forestiers pourtant bien présents en Poitou-
Charentes tels que Porcellio monticola ou Porcellio gallicus.
3.3- Présentation des espèces remarquables
- Armadilloniscus ellipticus (Harger, 1878)
(Syn. Armadilloniscus litoralis Budde-Lund, 1885).
Cette espèce présente une aire de répartition étendue (côtes de la Méditerranée, de
l’Atlantique nord-américain, de l’Asie, etc.). Sa distribution est plus localisée en France : elle
est signalée uniquement du littoral méditerranéen à l’est du Rhône et de la Corse (sChmaLfuss,
2003 ; séChet & noëL, 2015).
Sur l’île d’Aix, une dizaine d’individus est récoltée n
octobre 2014 au sein des douves situées au nord de l’anse
de la Croix. Ceux-ci se tenaient sur une supercie réduite
d’environ 10 mètres carrés, parsemée de blocs calcaires et
présentant quelques touffes de végétation éparse (Soude
maritime Suaeda maritima, graminées).
Cette observation constitue le premier témoignage de la
présence de l’espèce sur le littoral atlantique français.
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Figure n° 1 : Armadilloniscus ellipticus (5 mm), espèce méditerranéenne découverte en 2014, n’avait jamais été
observée sur la façade atlantique jusqu’à présent. Vue d’un individu vivant (encart) et vue générale de la station.
Cliché F. Noël.
- Stenoniscus pleonalis aubert & Dollfus, 1890
(Syn. Stenoniscus aiasensis Legrand, 1954 ; Stenoniscus pleonalis aiasensis Legrand, 1954).
S. pleonalis possède une distribution ouest-méditerranéenne et atlantique : il colonise les
côtes nord de la Méditerranée (de la France à la Grèce), de la Mer Noire (Bulgarie) ainsi
que les côtes de l’Atlantique est et ouest (France, Bermudes, Mexique). En France, l’espèce
est signalée du littoral méditerranéen (Alpes-Maritimes, Var, Bouches-du-Rhône, Corse),
atlantique et de la Manche (Charente-Maritime, Finistère) (sChmaLfuss, 2003 ; séChet & noëL,
2015, séChet, 2014).
Décrite par Legrand (1954b) sous le nom de Stenoniscus aiasensis, cette espèce était
alors considérée comme endémique de l’île d’Aix : « Stenoniscus aiasensis nova species.
Endémique de l’île d’Aix, assez commun sous les pierres littorales enfoncées et recouvertes
de laisses de mer (grèves exposées au midi) ».
La découverte de populations un peu plus au nord, dans l’Aber Benoît (Finistère) puis la mise
en synonymie avec Stenoniscus pleonalis font que cette espèce possède une distribution plus
étendue qu’initialement proposé.
Sur l’île d’Aix, l’espèce fait l’objet d’une seule observation en octobre 2014, lorsque 5
individus sont capturés au sud de l’anse du Saillant, dans une micro-falaise, en compagnie
de Porcellio lamellatus. L’espèce semble manifestement plus rare actuellement, au vu des
commentaires de Legrand (1954b).
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Figure n° 2 : Stenoniscus pleonalis, femelle. Ile d’Aix, octobre 2014.
- Platyarthrus aiasensis legranD, 1954
(Syn. P. schoblii aiasensis Legrand, 1954)
La sous-espèce P. schoblii aiasensis décrite par Legrand (1954a) à partir de spécimens
collectés sur l’île d’Aix est élevée au rang d’espèce par Caruso (1968a, 1968b).
L’espèce possède à l’origine une distribution ouest-méditerranéenne et atlantique, mais elle
est à présent introduite en plusieurs régions du globe (Etats-Unis, Caraïbes, Yémen, Afrique
du Sud) (sChmaLfuss 2003 ; montesanto et al. 2008).
Legrand (1954b) dit à propos de l’espèce : « Endémique de l’île d’Aix (fourmilières le long du
rivage sud), en compagnie de l’espèce précédente [P. costulatus] ».
Les recherches récentes menées dans l’île montrent que l’espèce est présente dans toutes
sortes de milieux ouverts : hauts de falaises littorales, pelouses rases et « espaces verts »
au sein du village. Il s’agit manifestement de l’espèce de Platyarthrus la plus rare sur l’île,
beaucoup moins répandue que l’espèce proche Platyarthrus costulatus.
Figure n° 3 : Platyarthrus aiasensis, spécimen en collection personnelle
provenant de l’île d’Aix.
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- Porcellio lamellatus buDDe-lunD, 1885
(Syn. Porcellio l. lamellatus forme oceanicus Legrand, 1954)
Legrand (1954a) publie sous le nom de Porcellio (Haloporcellio) insularis une espèce littorale
découverte sur Belle-Ile. Par la suite (Legrand, 1954b), il la renomme Porcellio (Haloporcellio)
oceanicus et signale que cette espèce fréquente Belle-Ile et Noirmoutier.
Ce taxon est ensuite rattaché à Porcellio lamellatus, espèce signalée des côtes de la
Méditerranée et de la Mer Noire, des îles de l’Atlantique et introduite en plusieurs régions du
globe (sChmaLfuss, 2003 ; séChet & noëL, 2015).
Sa présence ancienne est notée dans trois îles du littoral atlantique (Yeu, Noirmoutier, Belle-
Ile) (Legrand, 1954b, vandeL 1962) mais elle n’a fait depuis l’objet d’aucune observation
récente. L’observation d’un unique individu sous des remblais au sud de l’anse du Saillant en
octobre 2014 constitue la première mention pour l’île d’Aix.
- Porcellionides sexfasciatus (buDDe-lunD, 1885)
(Syn. Metoponorthus (Polytretus) sexfasciatus sexfasciatus Budde-Lund, 1885)
L’espèce possède une origine ouest-méditerranéenne mais a été introduite dans de
nombreuses régions du globe. En France, elle est signalée des côtes méditerranéennes, Corse
comprise et du littoral atlantique, atteignant le Finistère (sChmaLfuss, 2003 ; séChet & noëL,
2015). Sur la façade atlantique, il s’agit surtout d’un taxon insulaire, à l’exception d’un point
sur le continent situé à proximité de l’île d’Aix : la pointe de Fouras (vandeL, 1962).
L’espèce est relativement répandue sur l’île d’Aix où elle fréquente essentiellement les
biotopes ouverts (prairies, falaises littorales et jardins, dans lesquels elle cohabite avec
Porcellionides cingendus).
- Paraschizidium coeculum (silvestri, 1897)
(Syn. Paraschizidium menozzii arCangeLi, 1933 ; P. menozzii lianae Legrand, 1956)
P. coeculum présente une aire de répartition méditerranéo-atlantique : France, îles Baléares
(Minorque), Italie centrale, Croatie et Hongrie (sChmaLfuss, 2003). En France, elle est connue
uniquement de l’île d’Aix (Legrand 1956 ; vandeL 1962 ; séChet & noëL, 2015).
L’espèce est décrite sous le nom de P. lianae par Legrand (1956), en hommage à Liane pauLian
de féLiCe, entomologiste et botaniste, épouse de l’entomologiste Renaud pauLian de féLiCe.
Le taxon est par la suite mis en synonymie avec P. coeculum (siLvestri, 1897) décrit d’Italie
(maniCastri & taiti, 1994).
Un seul individu est découvert par Legrand, au sein d’une fourmilière : l’espèce est alors
présentée comme myrmécophile.
Malgré plusieurs recherches ciblées à partir de 2004, l’espèce n’est nalement retrouvée
qu’en novembre 2013, sur le secteur de Tridoux, avec un unique individu femelle (circa
3 mm) trouvé sous des pierres en bord de falaise, à proximité de Trichoniscus pygmaeus,
Platyarthrus costulatus et P. aiasensis.
Il s’avère que l’espèce mène très probablement une vie endogée (séChet & noëL, 2015) et
que sa petite taille rend son observation difcile. Des prospections ciblées à l’aide de pièges
enfoncés dans le sol, destinés à collecter les espèces du milieu souterrain superciel (MSS)
mériteraient d’être menées au sein de l’île an de recueillir de nouveaux témoignages.
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DE LA CHARENTE-MARITIME
Figure n° 4 : Paraschizidium coeculum, minuscule espèce aveugle menant
une vie endogée. Novembre 2013, Ile d’Aix.
Conclusion
L’île d’Aix constitue un territoire d’exception pour l’étude des crustacés isopodes terrestres,
à la fois en raison de la pression d’observation déjà ancienne mais également du fait de sa
grande diversité spécique.
À titre d’exemple, les îles d’Hyères (archipel de Port-Cros, Var) accueillent 34 espèces soit
seulement un taxon de plus que l’île d’Aix et ce pour une supercie bien plus importante
(Noël & Séchet, non publié).
L’île d’Aix constitue un paradis pour les cloportes et les spécialistes qui les étudient. Le seul
nom du « Platyarthrus de l’île d’Aix », Platyarthrus aiasensis, rappelant à chacun l’intérêt de
l’île pour ces petites bêtes…
REMERCIEMENTS
Mes remerciements vont tout d’abord à James Jean-Baptiste, qui s’est intéressé à mes recherches
sur les isopodes et m’a permis de découvrir l’île d’Aix, ainsi qu’à la famille mayot pour leur
accueil toujours aussi chaleureux sur l’île et à qui je suis redevable pour ces (re)découvertes.
Merci à Yves mayot et Jean Lagord pour leurs indications relatives à l’évolution des paysages.
Enn, je n’oublie pas mon collègue Emmanuel séChet pour sa relecture attentive.
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