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Abstract

En publiant en 2005 son ouvrage The High Cost of Free Parking , Donald Shoup a réussi à traiter d’un sujet complexe, le stationnement, en le rendant passionnant par un travail scientifique minutieux et une prose éclairante. Cet ouvrage a connu depuis un succès inattendu, comme il nous le racontait en janvier dernier : « Quand j’ai publié ce livre, la moitié des urbanistes pensaient que j’étais fou, et l’autre moitié que j’étais un doux rêveur. Mais il a quand même été publié par l’American Planning Association ! C’est comme si le Vatican publiait un livre recommandant le mariage homosexuel ! Ils étaient très critiques, mais San Francisco a depuis mis en place tout ce que j’avais proposé. Le monde de l’urbanisme peut donc changer de direction. » Il a démontré les effets pervers des politiques de stationnement et proposé trois réformes clefs. Mais c’est une révolution qu’il amorce en remettant structurellement en cause le rapport de la ville à la voiture, « une place de parking après l’autre. »
LE COÛT PROHIBITIF DES OBLIGATIONS DE STATIONNEMENT
Donald Shoup, Adaptation et traduction Sylvain Grisot
Groupement pour l'Étude des Transports Urbains Modernes | « Transports urbains »
2020/2 N° 137 | pages 5 à 10
ISSN 0397-6521
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-transports-urbains-2020-2-page-5.htm
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© Groupement pour l'Étude des Transports Urbains Modernes | Téléchargé le 20/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.26.58.148)
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Transports Urbains N°137 (décembre 2020) 5
Le coût prohibitif des
obligations de stationnement
Au début de l’ère automobile, supposons que
Henry Ford et John D. Rockefeller aient de-
mandé à des urbanistes comment augmenter
la demande de voitures et d’essence. Ils au-
raient eu trois propositions. D’abord diviser la
ville en zones distinctes (logements, emplois,
commerces…) pour générer des déplacements
entre elles. Puis limiter la densité pour tout dis-
perser et augmenter encore les déplacements.
Et enn, créer partout du stationnement gratuit
pour que la voiture soit le moyen de transport
le plus pratique et le moins cher.
Les villes américaines ont malheureusement
mis en œuvre ces trois politiques. La sépara-
tion des fonctions, la faible densité et le sta-
tionnement gratuit créent des villes propices à
la conduite, mais pas à la marche. Les urba-
nistes n’ont bien entendu pas cherché à enri-
chir les industriels, mais leurs projets ont fa-
çonné nos villes pour la voiture. Comme l’a
écrit John Keats dans The Insolent Chariots :
« L’automobile a changé nos vêtements, nos
mœurs, nos coutumes sociales, nos habitu-
des de vacances, la forme de nos villes, nos
habitudes d’achat et nos positions sexuelles. »
Nous sommes sans doute nombreux à avoir été
conçus dans une voiture en stationnement.
Les obligations de stationnement xées
par la réglementation urbaine (comme les
« Obligations imposées aux constructeurs en
matière de réalisation d’aires de stationne-
ment » des PLU en France) sont particulière-
ment néfastes, car elles subventionnent direc-
tement les voitures. Dans The High Cost of
Free Parking, publié en 2005 par l’American
Planning Association, j’ai expliqué que ces
obligations augmentaient les embouteillages,
polluaient l’air, favorisaient l’étalement ur-
bain, augmentaient les coûts du logement, dé-
gradaient l’aménagement urbain, gênaient les
piétons, nuisaient à l’économie et pénalisaient
les plus pauvres. Depuis, à ma connaissance,
aucun urbaniste n’est venu me contredire. Bien
au contraire, une avalanche de recherches ré-
centes a montré que les obligations de station-
nement liées aux projets dans la réglementa-
tion empoisonnent nos villes.
En dépit de tout cela, les obligations de sta-
tionnement sont devenues une quasi-religion,
bien établie dans la planication urbaine.
On ne doit jamais critiquer la religion des
autres mais sur ce sujet je suis protestant et je
pense que la planication a bien besoin d’une
réforme.
Les trois réformes du stationnement
La réforme est difcile, car les obligations de
stationnement pour les projets de construction
n’existent pas sans raison. Si le stationne-
ment sur voirie est gratuit, alors supprimer les
obligations de stationnement pour les projets
provoquera l’engorgement de la rue, et tout le
monde se plaindra. C’est pourquoi je recom-
mande trois réformes en matière de stationne-
ment susceptibles d’améliorer les villes, l’éco-
nomie et l’environnement, détaillées dans The
High Cost of Free Parking :
1. Supprimer les obligations de stationnement
liées aux projets de construction. Les promo-
teurs et les entreprises pourront ensuite décider
eux-mêmes du nombre de places de stationne-
ment à offrir à leurs clients.
2. Faire payer le bon prix pour le stationne-
ment sur voirie. Une tarication dynamique
doit permettre de libérer en permanence une ou
deux places dans chaque rue pour éviter toute
pénurie, en jouant sur l’offre et la demande.
3. Investir les recettes du stationnement dans
les rues où elles sont collectées. Rendre vi-
sibles par les riverains les effets du stationne-
ment payant doit permettre de rendre celui-ci
plus acceptable.
Ces trois politiques sont liées. Dépenser les
recettes du stationnement pour améliorer les
services publics du quartier peut créer le sou-
tien politique nécessaire pour faire payer le
bon prix pour le stationnement. Si les villes
font payer ce bon prix permettant de libérer
quelques places dans chaque rue, il n’y aura
pas de pénurie de places. Si le stationnement
dans la rue ne manque pas, alors les villes
peuvent supprimer les obligations de station-
nement pour les projets de construction. Enn,
la suppression de ces obligations augmentera
la demande de stationnement dans la rue, et
donc les recettes permettant de payer les ser-
vices publics.
Un sujet émotionnel
Pour la plupart des gens, le stationnement
est un problème personnel et pas une ques-
tion de politique d’aménagement. Quand on
parle de parking, tout semble se jouer dans le
cortex reptilien, la partie la plus primitive du
cerveau en charge des réexes de survie pour
éviter de se faire manger. On dit que le cortex
reptilien régit les instincts liés à l’agression,
à la territorialité et aux rituels de représenta-
tion – des problèmes importants en matière de
stationnement.
Ce caractère particulier du stationnement a
appauvri notre réexion, et offrir le maximum
dOnAld shOup
FAICP, « Distinguished
Research Professor » en
urbanisme à la Luskin
School of Public Affairs
de l’Université de
Californie à Los Angeles
(UCLA) aux États-Unis.
sylvAin GrisOt
(adaptation et
traduction)
En publiant en 2005 son
ouvrage
The High Cost
of Free Parking
, Donald
Shoup a réussi à traiter
d’un sujet complexe,
le stationnement, en le
rendant passionnant par
un travail scientifique
minutieux et une prose
éclairante. Cet ouvrage a
connu depuis un succès
inattendu, comme il
nous le racontait en
janvier dernier :
« Quand j’ai publié
ce livre, la moitié des
urbanistes pensaient
que j’étais fou, et l’autre
moitié que j’étais un
doux rêveur. Mais il
a quand même été
publié par l’American
Planning Association !
C’est comme si le
Vatican publiait un
livre recommandant le
mariage homosexuel !
Ils étaient très critiques,
mais San Francisco a
depuis mis en place
tout ce que j’avais
proposé. Le monde de
l’urbanisme peut donc
changer de direction. »
Il a démontré les effets
pervers des politiques
de stationnement et
proposé trois réformes
clefs. Mais c’est
une révolution qu’il
amorce en remettant
structurellement en
cause le rapport de la
ville à la voiture, « une
place de parking après
l’autre. »
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6 Transports Urbains N°137 (décembre 2020)
de places disponibles est devenu un idéal de
la planication urbaine. Si les conducteurs de-
vaient payer tous les coûts de leur stationne-
ment, cela semblerait prohibitif. On demande
donc à d’autres de payer pour eux. Mais une
ville où tout le monde paie avec bonheur le sta-
tionnement gratuit de certains est folle.
Les gens ne sont pas intéressés par le station-
nement. J’essaie donc toujours de montrer à
quel point il inue sur ce qui compte pour eux,
comme le logement abordable, le changement
climatique, le développement économique,
les transports en commun, les embouteil-
lages ou l’aménagement urbain. Par exemple,
les obligations de stationnement réduisent
l’offre et augmentent le prix du logement.
Les subventions de stationnement incitent les
gens à utiliser la voiture, et pas les transports
en commun, le vélo ou leurs pieds. Les gens
veulent-ils vraiment plus de parkings gratuits
ou des logements abordables, de l’air pur, des
quartiers piétons, une conception urbaine de
qualité et une planète plus durable ?
Reconnaître que les erreurs de nos politiques
de stationnement empêchent de progresser sur
de nombreux enjeux clefs, comme le logement
abordable ou le réchauffement climatique,
peut permettre d’amorcer une réforme de la
planication. Cette réforme peut être le moyen
le plus simple, le moins cher, le plus rapide et
le plus réaliste pour atteindre de nombreux ob-
jectifs politiques importants.
Supprimer les obligations de stationnement
pour les projets de construction
Les urbanistes xent des obligations de sta-
tionnement pour chaque galerie d’art, piste
de bowling, salle de danse, club de tness,
quincaillerie, cinéma, discothèque et zoo sans
connaître la demande réelle. Malgré le manque
évident de données, ils ont déni des obliga-
tions de stationnement pour des centaines
d’usages dans des milliers de villes.
Voilà tout ce qu’ils devraient savoir avant de
xer une obligation :
Combien coûtent les places de stationnement
demandées ?
Combien de conducteurs sont prêts à payer
pour leur stationnement ?
Quels sont les impacts des obligations sur les
prix ?
Quels sont les impacts sur l’architecture et le
design urbain ?
Quels sont les impacts sur les choix de dé-
placement et la congestion de la circulation ?
Quels sont les impacts sur la pollution de
l’air, la consommation de carburant et les
émissions de CO2 ?
Le coût du stationnement est une inconnue im-
portante, pourtant essentielle pour évaluer son
impact sur le coût du logement. Si la construc-
tion de petits appartements est moins oné-
reuse que celle d’appartements de luxe, leurs
places de parking coûtent cependant le même
prix. De nombreuses villes exigent pourtant
le même nombre de places pour tous les loge-
ments, quelle que soit leur taille, et augmentent
donc de manière disproportionnée le prix des
petits logements.
Une étude a ainsi révélé que les obligations de
stationnement augmentaient de 13 % le loyer
des ménages sans voiture. Une autre étude ré-
cente a montré que les obligations de station-
nement à Los Angeles augmentent le coût de
construction d’un centre commercial de 67 %
si le parking est en surface et de 93 % s’il est
souterrain. Cette augmentation des coûts est
ensuite répercutée à tous les clients. Les obli-
gations de stationnement font grimper le prix
des aliments dans les épiceries pour tous, peu
importe le mode de déplacement. Les per-
sonnes qui ne peuvent pas se permettre de
posséder une voiture paient donc plus cher
leurs achats pour que les plus riches puissent
se garer gratuitement lorsqu’ils se rendent au
magasin.
Les conducteurs paient le prix du marché pour
leurs voitures, le carburant, les pneus, l’en-
tretien, les réparations et l’assurance, mais ils
ne paient généralement rien pour le stationne-
ment. Qui paie ? Tout le monde, y compris les
gens qui ne peuvent pas se payer une voiture.
En astronomie, l’énergie noire est une force
qui imprègne l’espace et provoque l’extension
de l’univers. En urbanisme, les obligations de
stationnement sont elles aussi une force qui
imprègne l’espace et provoque l’extension des
villes. Plus les obligations de stationnement
sont élevées, plus est forte cette énergie noire
qui étale et disloque les villes. Les obligations
de stationnement sont plus proches de l’astro-
logie que de l’astronomie, les urbanistes uti-
lisent peut-être les signes du zodiaque pour les
déterminer.
La pseudoscience des obligations
de stationnement
Lorsque je suis invité à parler de stationne-
ment, je commence généralement par une vue
aérienne d’un site avec une surabondance de
places de parking, comme cette vue d’un en-
semble de bureaux à San José. Les obligations
de stationnement induisent ce modèle de déve-
loppement urbain (gure 1).
Nous avons tendance à ignorer le éau qu’est
l’asphalte dans notre vie quotidienne, surtout
lorsque nous nous y garons librement. Le sta-
tionnement n’est gratuit que dans notre rôle
d’automobiliste, car nous le payons très cher
dans tous les autres aspects de notre vie.
Je montre ensuite une page des obligations
de stationnement de San José pour les pro-
jets de divertissement et les loisirs (gure 2).
Ces obligations sont si précises que la plu-
part des gens supposent que les urbanistes ont
Plus les obligations
de stationnement sont
élevées, plus forte est
cette énergie noire qui
étale et disloque
les villes.
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Transports Urbains N°137 (décembre 2020) 7
soigneusement étudié la question. En fait, ils
n’en savent rien, ils ne font en général que
de la médiation entre des intérêts politiques
opposés. Pour dénir ces obligations de sta-
tionnement, les urbanistes prennent consigne
des élus, copient celles d’autres villes ou s’ap-
puient sur des enquêtes peu ables. Les obli-
gations de stationnement des réglementations
urbaines sont donc plus proches de la sorcelle-
rie que de la science.
Beaucoup de gens pensent que le stationne-
ment réagit comme un liquide : si l’offre de
parking est comprimée à un endroit, alors les
voitures se gareront ailleurs. Mais le station-
nement se comporte davantage comme un
gaz : le nombre de voitures augmente ou se
contracte pour occuper l’espace disponible.
Créer plus d’emplacements attire donc plus
de voitures. Les urbanistes basent pourtant les
obligations de stationnement sur l’hypothèse
TYPE DE BÂTIMENT PLACES À CRÉER SELON LE TYPE DE GÉNÉRATEUR
Salle de jeux vidéo 1 place / 18,6 m² de plancher
Club de base-ball 1 place / poste et 1 place / employé
Bowling 7 places / piste
Salle de danse 1 place / 3,7 m² ouverts au public
Practice de golf
(entraînement – apprentissage) 1 place / tee et 1 / employé
Terrain de golf 8 places / trou et 1 / employé
Club de remise en forme, gymnase 1 place / 7,4 m² d’espace de pratique
Golf miniature 1,25 place / tee et 1 / employé
Espace de répétition pour spectacles vivants 1 place / 13,9 m² de plancher
Salle de billard 1 place / 18,6 m² de plancher
Club privé d’hôtel
1 place / 4 sièges xes sur les lieux ou 1 /
1,8 m de rangée de fauteuils
1 place / 18,6 m² d’espace de réception debout
1 place / 46,5 m² d’espace extérieur de loisirs
Espace de loisirs et commercial (couvert) 1 place / 7,4 m² d’espace de divertissement
Espace de loisirs et commercial (extérieur) 20 places / 4 047 m²
Skate park 1 place / 4,6 m² de plancher
Club de natation et de tennis 1 place / 46,5 m² d’espace de pratique
Figure 2. Obligations de stationnement à San José, Californie.
Figure 1. Parc de bureaux à
San José.
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8 Transports Urbains N°137 (décembre 2020)
que le nombre de voitures et de personnes
varient dans des proportions stables et xent
souvent les obligations de stationnement par
personne : par esthéticienne, dentiste, mécani-
cien, religieuse, étudiant, enseignant ou joueur
de tennis. Ce rapport supposé xe entre les
voitures et les personnes repose à son tour sur
l’hypothèse que le stationnement est gratuit, or
si le prix du stationnement couvrait son coût,
le ratio voitures/personnes serait moins élevé.
Ensuite, je montre la taille des espaces de sta-
tionnement découlant des obligations de sta-
tionnement de San José pour quelques usages.
Dans de nombreux cas, les espaces de station-
nement sont plus grands que les bâtiments
qu’ils desservent (gure 3). Le parking d’un
restaurant est ainsi plus de huit fois plus vaste
que le restaurant lui-même. Les obligations de
stationnement permettent aux gens de station-
ner partout, mais elles créent des espaces où les
gens ne veulent plus être. En plus, une partie
de ces coûteux parkings est rarement utilisée.
Les obligations de stationnement rendent la
ville conviviale pour les voitures mais pas pour
les gens elle est roulable, mais plus mar-
chable. Comme l’a écrit Jane Jacobs, « plus
le centre-ville est divisé et parsemé d’espaces
de stationnement et de garages, plus il devient
terne et mort, et rien ne peut être plus répugnant
qu’un centre-ville mort ». Nous voulons mieux
pour nos rues que du trac routier et du parking
gratuit. Nous voulons la prospérité, la sécurité,
la santé, la facilité de marcher et le plaisir.
Le coût élevé du stationnement
Les obligations de stationnement des régle-
mentations urbaines ressemblent à ce que les
ingénieurs appellent un « kludge », c’est-à-
dire une solution bricolée mais efcace pour
résoudre temporairement un problème, avec
de nombreux éléments maladroits, inef-
caces, redondants, difciles à comprendre et
coûteux à entretenir. Les utilisateurs de logi-
ciels Microsoft comprendront facilement ce
concept. Les urbanistes devraient reconnaître
que les obligations de stationnement imposées
aux projets sont un « kludge » conçu pour évi-
ter une pénurie de places de stationnement gra-
tuites dans la rue. Ces obligations de station-
nement sont superciellement réalistes, mais
fondamentalement inadaptées.
Les obligations de stationnement sont comme
des coquillages sur la coque d’un navire, qui
s’accumulent et ralentissent sa progression. Ces
obligations ont coupé le lien entre le coût réel du
stationnement et le prix que paient les conduc-
teurs. Elles augmentent le nombre de voitures
sur la route et lorsque les citoyens se plaignent
de la congestion qui en résulte, les villes réa-
gissent en limitant le développement urbain
pour réduire le trac. En résumé, les villes
demandent du stationnement, puis limitent la
densité de population pour limiter la densité de
voitures. Le stationnement gratuit est devenu
le déterminant premier de la forme urbaine, et
c’est la densité de voitures et pas d’habitants
qui est devenue le vrai sujet de préoccupation.
Les urbanistes sont chargés de justier les obli-
gations de stationnement, imposées par des élus
inquiets de se voir un jour reprocher une pénu-
rie de places. Ils doivent inventer des arguments
alors que les conclusions sont déjà écrites,
et simuler une expertise qu’ils n’ont pas.
Les urbanistes supposent généralement que
chaque nouvel habitant viendra avec une voi-
ture, ils demandent donc aux promoteurs de
fournir sufsamment de stationnements pour
loger toutes ces voitures. La plupart des habi-
tants viennent alors avec une voiture, mais cela
est dû au fait que des places gratuites soient
disponibles. Les obligations de stationnement
résultent donc d’une prophétie autoréalisa-
trice, selon laquelle tout le monde a besoin de
stationnement. Les obligations de stationne-
ment sont du fertilisant pour voitures.
Tout ce stationnement prend beaucoup de
place. Chaque place de stationnement occupe
environ 30 m2 aux États-Unis. Comme il existe
Les obligations de
stationnement résultent
d’une prophétie
autoréalisatrice
selon laquelle tout le
monde a besoin de
stationnement.
Figure 3. Obligations de
stationnement à San José :
surface de stationnement re-
quise pour différents usages
(en pieds carrés).
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Transports Urbains N°137 (décembre 2020) 9
au moins trois places de stationnement par
voiture cela fait 90 m2 par voiture. En compa-
raison, il y a environ 75 m2 de logement par
habitant aux États-Unis. La supercie de sta-
tionnement par voiture y est donc supérieure à
la supercie de logement par personne. La ma-
jeure partie de ce stationnement est gratuit pour
les automobilistes, car son coût est intégré aux
prix plus élevés du logement, et de tout le reste.
Les obligations de stationnement résultent de
forces politiques et économiques complexes.
Les urbanistes ne maîtrisent pas tout mais ils
permettent à la pseudoscience de perdurer, et
le public en supporte le coût.
Le fardeau inégal du stationnement
Les villes exigent du parking pour chaque bâ-
timent, sans se soucier de faire peser un lourd
fardeau sur les pauvres. Pourtant, une seule
place de stationnement peut coûter plus cher
que tout le patrimoine de nombreux ménages
américains. Le coût moyen de construction
(hors coût du foncier) des places de stationne-
ment dans 12 villes américaines en 2012 était
de 21 780 euros par place pour le stationnement
en surface et de 30 855 euros par place pour le
stationnement souterrain.
À titre de comparaison, aux États-Unis en
2011 la valeur du patrimoine moyen était de
7 000 euros pour les ménages hispaniques et
de 5 700 euros pour les ménages noirs. Une
place de parking coûte donc au moins trois
fois plus que le patrimoine de la moitié des
ménages hispaniques et noirs du pays. Puisque
les villes imposent des places de stationnement
à la maison, au travail, dans les commerces, les
restaurants, les églises, les écoles et partout ail-
leurs, il y a plusieurs places obligatoires pour
chaque ménage, et les coûts sont répercutés sur
tout le monde.
Les obligations de stationnement ont créé
un environnement dans lequel la plupart des
gens pensent avoir besoin d’une voiture pour
trouver un emploi, aller à l’école et faire leurs
courses. En essayant maladroitement de four-
nir du parking gratuit à tout le monde, les villes
obligent les pauvres à payer pour des places
qu’ils n’utilisent souvent pas. Le stationne-
ment gratuit semble être égalitaire, mais en
réalité il augmente les inégalités. C’est injuste
et coûteux.
Les bons côtés des obligations
de stationnement
Si les villes essayaient de micro-manager
d’autres parties de notre vie de la même ma-
nière que le stationnement, tout le monde
adhérerait au Tea Party. Mais l’aspect positif
est que la suppression des obligations de sta-
tionnement peut faire beaucoup de bien. La
gure 1 montre le désert d’asphalte créé par le
stationnement excessif dans la Silicon Valley.
Que se passerait-il si San José supprimait les
obligations de stationnement, faisait payer
le bon prix du parking sur rue et utilisait ces
recettes pour améliorer les services publics
du quartier ? Les propriétaires pourraient
alors décider que leurs parcelles ont plus
de valeur pour construire du logement que
pour du stationnement. Si une ville souhaite
plus de logements et moins de circulation,
elle n’a qu’à supprimer les obligations de
stationnement.
La gure 4 montre ce qui pourrait arriver à la
scène de la gure 1 en cas de suppression des
obligations de stationnement. Des logements
pourraient être construits à la périphérie des
parkings. Un grand parking peut facilement
être réaménagé, car il ne compte qu’un seul
propriétaire, ne requiert pas de déconstruction,
ne nécessite pas de nouvelle infrastructure et
se trouve à proximité des emplois et des com-
merces. La meilleure façon de se déplacer est
d’être déjà à proximité de sa destination, ces
logements à proximité de bureaux pourraient
proposer une nouvelle expérience des trajets
domicile-travail, en marchant.
Les logements peuvent être construits sans
créer de nouveaux parkings, car ceux existants
peuvent être mutualisés entre les immeubles
de bureaux et de logements. Pour éviter toute
pénurie, le coût du stationnement devra être
séparé du loyer des appartements et des bu-
reaux, an que seuls les conducteurs paient.
Les habitants qui travaillent dans un bureau
voisin pourront vivre avec une seule voiture,
voire sans. Ils auront la possibilité de louer un
appartement sans avoir à payer aussi pour deux
places de stationnement, option interdite par
les nouvelles obligations réglementaires. Ces
nouveaux logements ne peuvent pas provo-
quer de gentrication, puisque personne ne vit
actuellement sur les parkings qu’ils viennent
occuper. La présence de cet espace de station-
nement ouvre la possibilité de créer un espace
urbain bien plus intéressant, mais les obliga-
tions de stationnement liées aux constructions
rendent tout cela impossible.
La transformation de parkings en logement
peut réduire les embouteillages, car davantage
d’habitants peuvent marcher, faire du vélo ou
se rendre jusqu’à leur destination en transport
en commun. Les trajets restants pourraient se
faire avec des voitures partagées ou en trotti-
nettes électriques, plutôt qu’en voiture person-
nelle. Le paysage asphalté des États-Unis n’est
ni praticable, ni beau, ni durable, mais il peut
être reformé et transformé. La suppression
des obligations de stationnement peut faire
beaucoup de bien : déplacements plus courts,
moins de circulation, une économie plus dy-
namique, un environnement plus propre et des
logements plus abordables. Mais les avantages
ne s’arrêtent pas là : la réforme de la réglemen-
tation urbaine, et la dépendance excessive à la
voiture qu’elle induit, peuvent libérer pour la
construction de vastes espaces déjà articiali-
sés au cœur des villes. On dit souvent que les
objectifs économiques sont en conit avec les
Aux États-Unis,
la superficie de
stationnement par
voiture est supérieure
à la superficie de
logement par personne.
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10 Transports Urbains N°137 (décembre 2020)
objectifs environnementaux, mais les réformes
du stationnement peuvent servir les deux.
Les villes ne devraient pas obliger les promo-
teurs à construire des places de stationnement
non désirées. Les obligations de stationnement
étaient une mauvaise idée, mal exécutée, et il
est facile d’en voir les résultats désastreux :
de l’asphalte partout et un manque de vie
dans les rues. Il est plus difcile de voir les
bons résultats que ces obligations en matière
de stationnement empêchent, mais la gure 4
montre à quoi les villes pourraient ressembler
sans elles. Le désastre que nous avons créé est
une réserve foncière accidentelle, disponible
pour construire des logements à proximité des
emplois. Aux États-Unis, si les villes suppri-
maient leurs obligations de stationnement,
nous pourrions récupérer des terrains d’une
surface comparable à celle des Pays-Bas.
Les villes ont trois bonnes raisons de suppri-
mer leurs obligations de stationnement impo-
sées aux constructions : nous ne pouvons pas
nous les payer, nous n’en avons pas besoin et
elles font un mal immense. Les obligations de
stationnement répondent à un problème réel,
mais ne constituent pas la bonne solution. Pour
supprimer ces obligations, les villes doivent
mettre en œuvre une meilleure gestion du sta-
tionnement sur voirie. Si elles le gèrent correc-
tement, elles ne seront pas obligées d’imposer
des obligations de stationnement aux projets.
Conclusion
Mobiliser du soutien pour une réforme en
matière de stationnement revient à ouvrir une
serrure à combinaison : chaque petit tour du
cadran semble ne rien changer, mais lorsque
tout est en place, la serrure s’ouvre. Différents
groupes d’intérêts politiques peuvent soutenir
une combinaison de trois réformes : (1) sup-
primer les obligations en matière de station-
nement pour les projets, (2) appliquer le bon
tarif au stationnement sur rue et (3) utiliser les
recettes pour développer les services publics
de quartier.
Supprimer les obligations de création de places
de parking pour les projets de construction et
appliquer un tarif dynamique au stationnement
sur rue semble à première vue être un boule-
versement trop important pour que la société
l’accepte. Ces propositions devraient pour-
tant être bien accueillies par un large spectre
d’électeurs. La Droite y verra une réduction
des contraintes réglementaires, la Gauche une
augmentation des moyens pour les services
publics et les écologistes une réduction de la
consommation d’énergie, la pollution atmos-
phérique et les émissions de carbone. Les ur-
banistes verront que cela permet aux gens de
vivre dans une ville plus dense sans être en-
vahis par les voitures, et les promoteurs ver-
ront que cela réduit les coûts de construction.
Les conducteurs de tout bord seront heureux
de pouvoir se garer dans la rue facilement et
les résidents constateront l’amélioration des
services publics dans leur quartier. Les élus
apprécieront la dépolitisation des débats sur
le stationnement, la réduction des embouteil-
lages, les nouveaux potentiels de construction
et les nouveaux services publics, sans augmen-
ter les impôts. Et enn, les urbanistes pourront
consacrer moins de temps au stationnement et
plus à l’amélioration des villes.
Supprimer les obligations de stationnement,
les remplacer par une tarication efcace du
stationnement sur rue et dépenser les recettes
obtenues pour améliorer les services publics de
quartier est sans doute le moyen le moins cher,
le plus rapide et le plus simple pour améliorer
les villes, l’économie et l’environnement. Une
place de parking après l’autre.
Références
Shoup, Donald (2011). The high cost of
free parking. Updated. Chicago: American
Planning Association (APA), 765 p.
Shoup, Donald (ed.) (2018). Parking and the
City, New York: Routlege, 534 p.
Figure 4. Un parking de
bureaux bordé d’immeubles
d’habitation (photomontage
de l’auteur)
Le désastre que
nous avons créé est
une réserve foncière
accidentelle, disponible
pour construire des
logements à proximité
des emplois.
© Groupement pour l'Étude des Transports Urbains Modernes | Téléchargé le 20/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 93.26.58.148)
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