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ISSN: 1699-4949
nº 18 (otoño de 2020)
Monografías 11
Epistemocrítica: análisis literario y saber científico
Amelia Gamoneda Lanza & Francisco González Fernández, editores científicos
La chute dans la conscience.
Animalité, philosophie et cognition dans l’œuvre de
Camus*
Amelia GAMONEDA LANZA
Université de Salamanca
gamoneda@usal.es
ORCID : 0000-0002-8552-6487
Resumen
La obra de Camus alberga aspectos «ciegos e instintivos» que el propio autor se-
ñaló como insuficientemente tenidos en cuenta por la crítica. La interrogación sobre la
conciencia desde un punto de vista cognitivo y moral atraviesa toda su producción, tra-
tando a menudo de situarse en la incierta divisoria que separa y reúne al animal y al hom-
bre. Este eje epistemocrítico –que implica a la filosofía y a las ciencias cognitivas– servi-
rá para analizar en el presente estudio la articulación entre L’Étranger y La Chute que
convierte a Clamence en el reverso de Meursault. La nostalgia de un paraíso inocente, el
problema ético y moral de la violencia y la consideración de la muerte reciben en el pen-
samiento de Camus un tratamiento cognitivo que enlaza la filosofía fenomenológica de su
tiempo con la biología de la conciencia o la antropología evolutiva actuales.
Palabras clave: Albert Camus, Ciencias cognitivas, Conciencia, Animalidad, Inocencia y
culpabilidad.
Résumé
L’œuvre de Camus abrite des aspects « aveugles et instinctifs » dont l’auteur lui-
même a signalé la considération insuffisante de la part de la critique. Le questionnement
de la conscience d’un point de vue cognitif et moral traverse sa production tout en es-
sayant de se placer sur la ligne de partage qui sépare et réunit l’animal et l’homme. Cet
axe épistémocritique – qui concerne la philosophie et les sciences cognitives – servira à
analyser dans cette étude l’articulation entre L’Étranger et La Chute qui convertit Cla-
mence en le revers de Meursault. La nostalgie d’un paradis innocent, le problème éthique
et moral de la violence et la considération de la mort font l’objet, dans la pensée de Ca-
mus, d’un traitement cognitif qui relie la philosophie phénoménologique de son temps à
la biologie de la conscience et l’anthropologie évolutive actuelles.
Mots clé : Albert Camus, Sciences cognitives, Conscience, Animalité, Innocence et cul-
pabilité.
* Artículo recibido el 25/02/2020, aceptado el 25/10/2020.
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Abstract
Camus’s work contains «blind and instinctive» aspects that the author himself
pointed out as insufficiently considered by the critics. The questioning of conscience from
a cognitive and moral point of view runs through his entire production, often trying to
situate itself in the uncertain division that separates and brings together the animal and
man. This epistemic critical axis –which straddles philosophy and the cognitive sciences–
will serve in this article to analyze the articulation between L'Étranger and La Chute that
makes Clamence into Meursault’s reverse. The nostalgia for an innocent paradise, the
ethical and moral problem of violence and the consideration of death receive in Camus’
thought a cognitive treatment that links the phenomenological phylosophie of his time
with the current biology of consciousness or evolutionary anthropology.
Key words: Albert Camus, Cognitive sciences, Consciousness, Animality, Innocence and
guilt.
1. Souci de construction
Décembre 1959. Interrogé dans une interview sur l’aspect de son œuvre le
plus négligé par lecteurs et critiques, Camus signale sa part obscure, ce qu’il y a
« d’aveugle et d’instinctif » (Benhaïm, 2011 : 86)
1
. Étrange réponse pour un phi-
losophe. Bien plus compréhensible pour un penseur qui sait que la raison n’est pas
seule à conduire le cours des productions de sa conscience. La mention de
l’instinct pointe vers l’animal et, quoique les études concernant la place de celui-ci
dans la pensée et la littérature de Camus soient rares – bien plus rares que ceux sur
sa relation connue à la nature –, il en est qui envisagent le rapport entre l’homme
et l’animal
– de préférence le cas connu du chien de Salamano dans L’Étranger ou les rats de
La Peste. Mais sans aller toutefois jusqu’à analyser la portée que cette part
aveugle et instinctive aurait dans la relation de l’écrivain au temps, à la langue et à
l’imaginaire (Benhaïm, 2011 : 86). L’étude présente tentera de pénétrer dans cette
contrée de l’œuvre camusienne tout en s’inscrivant dans la réflexion récente du
questionnement de la frontière entre l’homme et l’animal d’un point de vue neu-
robiologique, cognitif et philosophique. Car ce questionnement semble pouvoir
apporter de nouvelles idées au débat toujours ouvert sur certains profils des per-
sonnages, sur certaines positions éthiques, sur certaines indécisions de
l’architecture de l’œuvre.
1
André Benhaim précise ses sources : «Camus évoque ce regret dans une interview datée de dé-
cembre 1959, parue dans la revue américaine Venture 4, (printemps-été 1960), reproduite dans
Camus : Œuvres Complètes» (Benhaïm, 2011 : 86, note 3). Il s’agit de l’édition Œuvres complètes,
sous la direction de Raymond Gay-Crosier (Paris, Gallimard, «Bibliothèque de la Pléiade», 2008, t.
IV).
Cet article a été réalisé avec le soutien du Projet I+D d’Excellence Inscripciones literarias de la
ciencia: cognición, epistemología y epistemocrítica financé par le Ministère espagnol de
l’Économie et de la Compétitivité (réf : FFI2017-83932-P).
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L’on sait que Camus n’était pas un philosophe systématique, mais en tant
que penseur il avait le souci de l’organisation de son œuvre en vue d’une cohé-
rence. Lors de son séjour à Stockholm pour la remise du prix Nobel en 1957, il
déclara que sa production découlait d’un plan préconçu dans les premiers temps
de sa carrière et qui comptait trois étapes : premièrement, une phase négative (ap-
pelé « de l’absurde ») exposée dans L’Étranger, Caligula et Le Mythe de Sisyphe ;
en deuxième instance, le versant positif (« de la révolte ») représenté par La Peste
ou L’Homme révolté. Et, en troisième lieu, une phase envisagée sur l’amour (Gre-
nier, 1987 : 10-11) qui comprendrait trois titres – et que la mort ne lui a pas per-
mis d’écrire. Il ajoutait encore une autre étape finale dont le nom générique serait
« La création corrigée » ou « Le système ». Les notes de ses Carnets dévoilent
bien l’effort de construction organisée de l’ensemble (Camus, 1993 : 328) mais
aussi quelque chose d’inattendu : avant de mettre en place la phase sur l’amour, il
en avait inopinément introduit une autre représentée par le roman Le Jugement –
qui s’intitulera finalement La Chute (1956) – et par Le Premier homme, ce roman
d’inspiration autobiographique que la mort de l’auteur en 1960 rendra inachevé.
Ces deux titres apparaissent donc comme un ébranlement survenu dans l’édifice
de son projet.
À bien y réfléchir, d’autres maillons semblent peu mis en évidence dans ce
qui s’avère être de fait plutôt un réseau qu’un édifice. C’est le cas de certains
écrits tôt publiés – Noces (1938) et L’Envers et l’endroit (1937) – et de deux titres
postérieurs : Été (1954) et L’Exil et le royaume (1957). Le commun dénominateur
de ces quatre livres est l’exploration du monde naturel et le repli vers le silence.
Les deux derniers signent donc un curieux retour vers les origines de son œuvre –
et vers les deux premiers titres – qui vient interroger la progression projetée en
trois étapes et conduisant vers une culmination transcendant les conflits : l’amour.
Mais il est aussi vrai que, à ce moment du prix Nobel, Camus avait déjà éprouvé
les amertumes de l’incompréhension communicative autour du conflit algérien, et
qu’il semblait pencher pour un abandon de la scène sociale et politique. Trêve de
discours. Et, en passant, trêve de vérités sans appel, de solutions sans conteste, de
salut par les grands principes – fût-ce celui de l’amour. Qui sait si Camus aurait
par la suite opté pour le silence.
Qui sait, car des dernières années de la vie de Camus date également La
Chute, où le plus bavard et disert de ses protagonistes, Clamence, côtoie étrange-
ment les derniers titres qui présagent le choix du silence. Le titre La Chute semble
faire référence à l’épisode où une femme tombe ou se jette d’un pont et se noie –
ce qui déclenche les problèmes de conscience du protagoniste-spectateur, qui ne
lui a pas porté secours mais n’est pas non plus sûr de ce qui est arrivé. Pourtant,
après lecture, l’on dirait surtout que le titre du livre fait référence au processus que
Clamence entame à partir de cet épisode. Accident ou suicide, Clamence se sent
coupable dans tous les cas, et la chute est dès lors non seulement le geste physique
de la femme mais aussi le geste moral du protagoniste. Coupable indépendam-
ment des faits, coupable indépendamment de leur connaissance : la conscience
coupable ne s’octroie pas à elle-même la présomption d’innocence. Le ton cy-
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nique, désabusé et défiant de la voix qui monologue – et son discours, jugé confus
par certains critiques – s’articule péniblement au retour au silence des livres de
Camus qui lui sont contemporains – comme L’Exil et le royaume –, et, de même,
le rôle d’éventuel porte-parole de la phase sur « l’amour » qui couronnerait le pro-
jet de l’écrivain lui sied mal. Mais il y a des manifestations narratives chez Camus
à comprendre par anti-phrase. Et une voie d’interprétation paradoxale à partir de
la relation à « l’aveugle et à l’instinctif » tentera ici sa chance pour reconduire La
Chute vers le réseau de l’œuvre.
La question de la conscience, qui traverse des siècles de philosophie,
trouve un nouvel essor dans la multiplicité d’approches dont elle est l’objet depuis
la fin du XIXe. On épargnera ici au lecteur ce trajet philosophique et celui litté-
raire qui avancent en parallèle, et on se contentera de rappeler que depuis la phé-
noménologie, la psychanalyse, l’existentialisme, et jusqu’à la théorie mathéma-
tique de l’information, la physique quantique et l’intelligence artificielle, des
abordages divers de la conscience se produisent dont il est possible de repérer
l’écho dans les œuvres de Proust, des avant-gardes, de Valéry, de Woolf, de Mau-
passant, de Beckett, de Lautréamont, de Sartre... et d’un long et cœtera. Il serait
difficile de concevoir que Camus n’y ait pas apporté sa conception de la cons-
cience de manière plus ou moins explicite, plus ou moins interrogative. Et que
l’on comprenne bien : l‘hypothèse concerne sa conception des aspects cognitifs de
la conscience, car, para ailleurs, il est bien connu que Camus a longuement et ex-
plicitement traité des aspects éthiques et moraux. Mais on peut conjecturer qu’il a
inscrit dans son œuvre le lien insécable qui relie ces deux versants de la cons-
cience et que c’est donc sur la trace de l’un (cognitif) que se présente l’autre
(éthique). Voilà la piste que se proposent de suivre ces pages.
2. Le revers obscur du solaire
Camus était un homme solaire, de sol et de soleil, d’un espace régi par un
monde naturel où règne l’idée de la plénitude physique. On dit que cela tenait à
ses racines, à l’origine espagnole de sa mère et à son enfance algérienne, dont la
pauvreté est exaltée dans son dernier livre, Le Premier homme : une pauvreté au
dramatisme mitigé par le climat, où la mort est un « accident du bonheur » et la
vie s’exerce en la puissance du muscle : le sport, la danse, la respiration à l’air
libre – et leur revers obscur : la tuberculose que le jeune Camus contracte. Mer et
soleil se trouveront reliés dans le pseudonyme adopté par l’écrivain pour signer à
« Le soir républicain » : Mersault (un nom plus tard obscurci par la mort dans le
« Meursault » de L’étranger).
La méditation sur la nature physique que présente Noces parle d’une pos-
sibilité de bonheur dans cette vie en communion avec une nature inondée de soleil
et associée à la culture grecque et à son héritage : « Depuis vingt siècles, les
hommes se sont attachés à rendre décentes l'insolence et la naïveté grecques, à
diminuer la chair et compliquer l'habit » (Camus, 1959 : 37). Camus participe du
chant terrestre entonné par Gide, mais sa version est même plus radicale car il
critique de Les Nourritures terrestres (1897) l’éloge de l’animalité innocente en-
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core trop cérébral, ainsi que le choix protestant de « retenir son désir pour le
rendre plus aigu » (Camus, 1959 : 37). Dans ces premiers temps d’écriture, Camus
est le champion de la spontanéité naturelle. Et dans le contexte de l’interrogation
sur la conscience qui caractérise la pensée et la littérature du premier tiers du XXe
siècle, Camus bat Gide en optant décidément pour le chant d’une nature humaine
réglée par sa condition biologique et par son appartenance au monde physique.
L’homme solaire participe d’une énergie, d’une tonicité et d’un dynamisme que
Camus a trouvés chez les grecs mais aussi dans Ainsi parla Zarathoustra de
Nietzsche. Un héritage où des critiques comme Marin (2010), Onfray (2012) et
Rufat (2009) ont pu déceler les bases d’une philosophie libertaire camusienne. La
morale, le grand problème aussi bien pour Gide que pour Camus dans des œuvres
à venir, est encore seulement naturelle dans ce monde en suspension, hors du
temps, hors de l’Histoire, hors de la conscience.
Mais, très tôt, Camus devina que le monde solaire avait un revers très obs-
cur. « À certaines heures, la campagne est noire de soleil » (Camus, 1959 : 12),
disent les premières lignes de Noces (« Noces à Tipasa ») ; et à cette même
« heure funèbre de midi » revient Camus dans « Retour à Tipasa », Été (Camus,
1959 : 162). Suspension solaire et menace obscure se réunissent en oxymore.
L’association du soleil et de la mort sera aussi présente dans L’Étranger (1942),
dont le protagoniste tue l’arabe sur une plage où le soleil de midi tombe à plomb,
poussé peut-être par ces « coups du sang [qui] rejoignent les pulsations violentes
du soleil de deux heures » évoqués par Noces (Camus, 1959 : 49). Une jonction
rythmée du sang et du soleil qui – comme on verra plus loin – est d’une grande
importance dans l’acte mortifère de Meursault. Et où déjà il n’est pas aisé
d’ignorer la « naturalisation » de la violence qui, menée à l’extrême, conduira
jusqu’à l’animal sanguinaire dans Caligula.
« Tout ce qui exalte la vie, accroît en même temps son absurdité », écrit
encore Camus dans Noces (1959 : 48). Car en se révélant comme périssable, tout
ce qui exalte la vie – le bonheur, la beauté, l’amour – la rend tragique. Et tel est
l’envers toujours présent dans l’être de l’animal solaire et innocent : « ce dur tête-
à-tête avec la mort, cette peur physique de l'animal qui aime le soleil » (Camus,
1959 : 28). L’origine de la tragédie et de l’absurde est donc dans la découverte de
la peur de la mort, qui donne accès à une conscience et une nature sociale : « j'ai
peur de la mort, dans la mesure où je m'attache au sort des hommes qui vivent, au
lieu de contempler le ciel qui dure » (Camus, 1959 : 32). L’écrivain semble ici
assumer des thèses proches à Heidegger (2007) affirmant que l’animal ne meurt
pas à proprement parler, même s’il a une fin
2
. La peur de la mort fournirait donc à
l’animal solaire la condition d’homme. Et cette différence des autres animaux –
qui ne connaissent pas la mort – et des êtres et du monde, rend l’homme étranger
2
Heidegger récuse l’idée de Umwelt de Uexküll en affirmant que l’animal est « pauvre en monde
». Pour un développement de cette question concernant l’animalité en philosophie, consulter
Elisabeth de Fontenay (1998 : 925-947). On dirait que la position de Camus soutient l’Umwelt tout
en refusant la connaissance de la mort à ce Meursault animal.
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et lui fait éprouver l’absurde de sa condition consciente. Absurde et bonheur sont
« deux fils de la même terre » (Camus, 1942 : 168). Mais deux fils de différente
espèce.
L’absurde découle, chez Camus, de l’expérience que l’animal solaire a de
sa chute dans la conscience. L’on connaît ses définitions de l’absurde – relevant,
selon lui, non pas d’une philosophie de l’absurde mais d’une sensibilité de
l’absurde –, et la place qu’elles font à l’expérience de l’exil de la nature
qu’éprouve l’animal solaire. En voici celles recensées dans Le mythe de Sisyphe,
où Camus « s’efforce de décrire l’absurde sous sa forme épurée, délivrée de sa
gangue, pour voir s’il conduit logiquement au suicide » (Wuyembergh, « Ab-
surde ») : Si j'étais arbre parmi les arbres, chat parmi les animaux,
cette vie aurait un sens ou plutôt ce problème n'en aurait
point car je ferais partie de ce monde. Je serais ce monde au-
quel je m'oppose maintenant par toute ma conscience et par
toute mon exigence de familiarité (Camus, 1942 : 75).
Ce divorce entre l'homme et sa vie [...], c'est proprement le
sentiment de l'absurdité (Camus, 1942 : 19).
Un degré plus bas et voici l'étrangeté : s'apercevoir que le
monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est
étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la na-
ture, un paysage peut nous nier. [...] cette épaisseur et cette
étrangeté du monde, c'est l'absurde (Camus, 1942 : 29-30).
Entre la certitude que j'ai de mon existence et le contenu que
j'essaie de donner à cette assurance, le fossé ne sera jamais
comblé. Pour toujours, je serai étranger à moi-même (Camus,
1942 : 35).
L'absurde naît de cette confrontation entre l'appel humain et
le silence déraisonnable du monde (Camus, 1942 : 46).
L’absurde, c’est la raison lucide qui constate ses limites
(Camus, 1942 : 73).
Dans ces premières œuvres, on dirait que Camus cherche à conformer un
idéal biologique pour l’être humain : le paradis perdu se trouve avant la décou-
verte de la mortalité ; le paradis humain est donc dans l’animalité, et la perte du
paradis ne survient pas avec la chute d’un ange mais lorsque l’animal devient hu-
main. Le paradis est donc une conscience première, une conscience animale qui,
ne connaissant pas le temps au delà du « présent remémoré » (Edelman, 2000 :
185), ne se trouve pas en état de connaître la mortalité. Cette conscience n’est pas
encore tombée dans le temps – « Je suis parti d’œuvres où le temps était nié. Peu à
peu j’ai retrouvé la source du temps » (Camus, 1989 : 20) –, mais sa chute sera
souvent guettée au long de l’œuvre par l’écrivain – comme on aura l’occasion de
le voir – jusqu’à ce qu’il la nomme directement dans le récit du même titre : La
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Chute. Vingt ans plus tard, ce sera à Cioran d’en utiliser l’expression entière dans
La Chute dans le temps, un essai au ton encore plus amer.
Depuis son mépris habituel de Camus, Sartre banalisait la notion de
l’absurde camusien en la caractérisant de « déception » : il estimait que la décou-
verte de la distance entre l’homme et le monde était un luxe presque snob, une
déconvenue agaçante qui lui survenait, une version rousseauiste de la petite tragé-
die de l’homme qui doit se rendre responsable de sa conscience dans un monde où
les autres existent. Alors que pour Sartre l’absurde était en rapport avec la contin-
gence de l’être et son manque de justification, Camus – sans dévoiler trop
d’attirail philosophique et scientifique – pointait peut-être vers une compréhen-
sion qui se joue aujourd’hui dans le champ de la phylogenèse et de l’évolution.
D’où découle que, effectivement, les héros de La Nausée et de L’Étranger ne sont
pas de la même famille
3
.
3. Le paradis préconscient
Ce que Camus pointait est une vision de l’homme qui le conçoit en conti-
nuité avec l’animal. Et non seulement en continuité évolutive mais aussi en conti-
nuité de conscience. Sans doute connaissait-il les thèses de Uexküll – un des fon-
dateurs de la biologie théorique et de la réunion entre sémiotique et biologie –
soutenant la continuité entre le bas et le haut de la hiérarchie des animaux, la no-
tion de Umwelt – le monde phénoménique propre à l’animal – et le statut de sujet
réunissant l’homme et l’animal – même sans conscience. Ces thèses seront plus
tard reprises par Merleau-Ponty lorsqu’il expose une continuité entre le logos et la
physis (Merleau-Ponty, 1995) qui permet de doter l’animal d’un « être au monde »
(en quoi il s’oppose à Heidegger) ouvrant sur un symbolisme animal qui est à
comprendre comme pré-culture : « Ce n’est que dans le monde perçu que l’on
peut comprendre que toute corporéité soit déjà symbolisme» (Merleau-Ponty,
1968 : 137). Si Camus a connu la pensée de Merleau-Ponty peu de temps après
l’écriture de L’Étranger, il est aussi fort possible qu’il ait été au courant des
études de Uexküll. Quoi qu’il en soit, ces approches sont présentes dans la philo-
sophie phénoménologique de l’époque, dont on connaît l’influence husserlienne
sur Camus.
Par ailleurs, Camus semble également pouvoir être rallié aux vues au-
jourd’hui scientifiques d’une compréhension de la conscience animale et de la
conscience humaine comme des gradations d’un même processus – ce qui
n’exclut pas une transition de phase ou « saut » dans le surgissement de la cons-
cience supérieure. Avec Edelman (2000), Dennet (2017), Díaz (2007) ou Dehaene
(2014), on peut affirmer que la conscience première que l’homme partage avec
l’animal est nécessaire à la conscience supérieure même si elle lui est inaccessible
– ce qui engendre une fascination et une nostalgie du préconscient dont est témoin
toute la culture à partir du XIXe. Capable de pré-catégorisations (Edelman, 2000 :
3
Pour une lecture nuancée des convergences et des divergences des deux romans, voir la réflexion
de Castex (1965 : 56-63).
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185, 192) qui serviront après à construire les symboles avec lesquels opère la
conscience supérieure, la conscience première est également douée d’une certaine
introspection et donc de rudiments de métacognition (Dehaene, 2014 : 336),
même s’il s’agit de mécanismes inconscients. Vu que la plupart des comporte-
ments de l’homme reposent sur des mécanismes inconscients (Dehaene, 2014 :
75-126), il faut en déduire que la parenté cognitive de l’homme et de certains
animaux n’est pas moindre malgré celle qu’on appelle « la conscience supé-
rieure ».
Bien entendu, il semble que l’espèce humaine ait une capacité combina-
toire récursive des structures symboliques constituant le seuil d’une capacité de
pensée qui ne peut être que consciente (Dehaene, 2014 : 339-342). Cette com-
plexité de la pensée qui combine en syntaxe récursive des concepts appartenant à
des domaines différents est forcément symbolique et donc associée au langage :
elle ne peut plus appartenir au domaine pré-conscient du sous-symbolique. Ceci
veut dire que l’animal accède tout au plus à deux niveaux de représentation : une
« pensée » et un degré de « croyance ». Il peut donc « penser », par exemple:
«voilà de la viande qui n’a pas été perçue par ce concurrent-là de mon espèce ».
Mais il ne peut pas ajouter un degré d’emboîtement de plus tel que « il ne sait pas
que je sais qu’il n’a pas perçu la viande ». Ce degré de plus dans la récursivité
pourrait bien être le déclic qui fait la différence de l’homme. Avec, bien entendu,
tout ce qui en découle : évolution du cortex frontal, plasticité cérébrale, mémoire,
transmission des contenus du savoir, culture construite à partir du langage et de la
symbolisation... Mais la parenté cognitive entre l’homme et l’animal n’en est pas
pour autant effacée.
Quel intérêt pouvait avoir Camus à situer son paradis avant ce troisième
tour de récursivité mentale ? Il conçoit que là se trouve le bonheur : « Comme si
l’absurde n’existait pas pour les bêtes » (Benhaim, 2011 : 87). Les animaux ne
peuvent pas penser leur propre mort. Tel est, dans la philosophie de Camus, le
chaînon essentiel qui relie les premières œuvres solaires et Le Mythe de Sisyphe :
celui de la découverte que l’animal humain fait de sa propre mort. L’homme est
un Sisyphe qui tombe – la pierre étant lui-même – et qui se trouve constamment
en état de la/se remonter.
Certes, Camus écrit Le Mythe de Sisyphe afin de postuler un humanisme
plus positif que celui de l’existentialisme, mais aussi pour conjurer la tragédie de
la conscience acquise : si l’irrationalité du monde persiste – et si donc l’homme ne
peut plus entrer dans le silence de monde et de son étrangeté – il peut en revanche
organiser son expérience rationnellement, et alors, « la lutte elle-même vers les
sommets suffit à remplir un cœur d'homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux »
(Camus, 1942 : 169). La remontée organisée et consciente viendra remplacer le
désarroi de la tombée dans la conscience même : puisque Sisyphe ne peut plus
être un animal, il lui faudra transformer sa conception même du bonheur en fonc-
tion de ses possibilités: la raison régira son esprit et son action, la vie jouissive
corporelle et sous-symbolique ne sera pas la seule source de bonheur, il comptera
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aussi sur la maîtrise des symboles par laquelle sont cerveau organise sa volonté et
ses émotions.
Camus essaie de présenter la remontée répétée de Sisyphe comme un acte
constructif pour l’homme qui a découvert l’absurde, mais il le met dans des situa-
tions bien forcées aussi bien sur le plan physique que moral : « La conquête »
avec « La comédie » et « Le don juanisme » sont les titres et les attitudes vitales
étudiés dans le chapitre « L’homme absurde » de Le Mythe de Sisyphe. Et on y
parle du conquérant en ces termes : « Les conquérants savent que l'action est en
elle-même inutile. [...] Mais il faut faire “ comme si ”. Car le chemin de la lutte
me fait rencontrer la chair. Même humiliée, la chair est ma seule certitude. Je ne
puis vivre que d'elle » (Camus, 1942 : 120). Et on comprend de la sorte que –
derrière la raison – ce qui continue à donner de la force à Sisyphe est cette ren-
contre avec sa biologie animale même lorsqu’elle n’est pas jouissive. Mais ici le
bonheur n’est pas la jouissance solaire. Il est le résultat d’un « comme si » dont
l’opération mentale fait appel à un type de récursivité qui ne se produit pas dans le
cerveau de l’animal non humain.
Mais, avant Le Mythe de Sisyphe, la lecture de L’Étranger permet de
suivre l’évolution du portrait de l’homme solaire et sa chute. Meursault est, au
commencement du livre, un homme pour qui « le jugement du corps vaut bien
celui de l’esprit » (Camus, 1942 : 21). Submergé dans un silence extérieur et inté-
rieur dont le modèle est celui de sa mère (celle de Meursault et celle de Camus –
non pas muette mais extrêmement taciturne), Meursault demeure uni à elle lors-
qu’elle meurt, réuni avec elle dans un silence naturel et primaire à tel point que le
deuil ne lui est pas nécessaire. Meursault conserve un lien à la mère qui l’écarte de
la connaissance assumée de sa mort. Un lien antérieur à la rupture qui semble
autobiographiquement évoquée par Camus en ces termes :
Autour d’elle, la nuit s’épaissit dans laquelle ce mutisme est
d’une irrémédiable désolation. Si l’enfant entre à ce moment,
il distingue la maigre silhouette aux épaules osseuses et
s’arrête : il a peur. Il commence à sentir beaucoup de choses.
À peine s’est-il aperçu de sa propre existence. Mais il a mal
à pleurer devant ce silence animal. Il a pitié de sa mère, est-
ce l’aimer ? Elle ne l’a jamais caressé puisqu’elle ne saurait
pas. Il reste alors de longues minutes à la garder. À se sentir
étranger, il prend conscience de sa peine. Elle ne l’entend
pas, car elle est sourde. [...] ce silence marque un temps
d’arrêt, un instant démesuré (Camus, 1958 : 66).
La conscience de l’enfant s’éveille et il s’aperçoit de son existence et du
silence animal de sa mère. Il se sent étranger et il en souffre d’un type de souf-
france tout humaine, qui signe sa séparation d’avec elle : la peine
4
. Voilà la scène
4
La peine et non pas ce qui, en espagnol se dit du nom de desdicha, une perte de bonheur qui
concerne les animaux sans dictum. Car la des-dicha peut être comprise comme la pré-conscience
de ‘la privation de ce qui est dit’, dicha étant le participe du verbe decir [‘dire’]. Voir à ce propos
Gamoneda (2016).
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originaire
– autobiographique – de la pensée philosophique de Camus : il sait qu’il est né
d’un être d’un mutisme féroce. André Benhaim commente la relation à la mère en
ces termes : Des frontières qui lui rendent son fils étranger. « Il était in-
telligent, comme ils disaient. Et ce qui le séparait d’elle,
c'était précisément son intelligence ». [...] Jamais il n’aurait
pu la dire bête. Mais il pouvait parler de son « silence ani-
mal ». Pour se faire lire par elle, c’est donc ainsi qu’il aurait
fallu écrire : comme une bête. La part obscure, ce qu’il y a
d’aveugle et d’instinctif chez Camus, est la réponse et l’écho
de ce silence animal. Une réponse à chercher autant dans son
nom [camus] que dans la part animale de son écriture (Ben-
haim, 2009 : 39).
Benhaim cherche cette écriture animale du côté des animaux représentés
dans les textes de Camus, en relevant les ressemblances entre hommes et animaux.
Et il cite les carnets de l’écrivain pour dire qu’il parle la langue des chiens qu’il
entend la nuit en Algérie : « langue idiosyncratique, primitive, première. Comme
une langue maternelle ». Et d’ajouter : « Je soupçonne que l’œuvre recèle plus
qu’on ne le croit signes et occurrences de cette écriture animale ». Car il y a « du
bonheur dans ce rapprochement avec la bête » (Benhaim, 2011 : 91 et 93).
4. L’écriture « animale»
L’écriture « animale » semble avoir un véritable développement dans
L’Étranger, où Meursault incarne les comportements d’un être ignorant de ce que
les anthropologues ont considéré l’un des premiers signes du comportement sym-
bolique de l’humain (une affirmation d’ailleurs revue et corrigée depuis le temps
où Camus écrivait) : Meursault ne comprend pas émotionnellement les rites funé-
raires que l’on consacre à sa mère. C’est le regard des autres qui souligne chez lui
un défaut de conscience qui l’empêche d’éprouver de la distance avec le monde et
de connaître humainement la mort, de sorte que son adhésion au monde le tient
dans un état de non conflit qu’il qualifiera lui-même de « bonheur ». Si la mort de
la mère ne l’ébranle nullement, il en va de même de son meurtre de l’arabe : au-
cune inquiétude – venant de l’éthique, de la peur, ou de la responsabilité devant la
loi – ne bouleverse Meursault, car (dans la première partie du roman) il n’a pas de
conscience morale.
Et il n’en a pas parce qu’il n’a pas non plus une conscience cognitive com-
plètement humaine, car le peu de recul de sa conscience sur elle-même affecte
doublement sa capacité de penser à sa propre pensée et celle de penser à ses actes,
ce qui, en conséquence, le prive d’une conscience éthique et morale. Un homme
qui – doué de langage – parlerait comme un animal dirait ce que dit Meursault :
que son comportement est réglé par le monde naturel. Et, adhérant de tout son être
à ce monde, il signale que la cause du coup de pistolet qui a tué l’arabe est le so-
leil. En toute innocence.
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Camus emprunte le point de vue et le mode de conscience de l’animal
Meursault pour faire le récit de la scène du meurtre à la première personne du sin-
gulier. Le narrateur fait parler son personnage comme si celui-ci avait eu la possi-
bilité d’enregistrer dans la mémoire une longue suite de détails perceptifs, ce qui
est bien douteux étant donné le statut ontologique qu’il attribue à Meursault : celui
d’un homme tout proche de l’animal, ce qui pourrait bien l’exclure de l’accès à la
mémoire en dehors du « présent remémoré » (Edelman, 2000 : 147-173), un type
de mémoire qui couvre seulement un petit intervalle de temps autour du moment
précis de l’expérience. Mais un animal est néanmoins capable de construire une
« scène », c'est-à-dire, « un ensemble ordonné, dans l’espace et dans le temps, de
catégorisations d’événements, familiers ou non, non nécessairement reliés entre
eux de façon physique ou causale » (Edelman, 2000 : 156). Vraisemblablement,
c’est donc la narration – un agencement linguistique propre à la conscience hu-
maine – qui, sur un jeu de perceptions et de mouvements retenus comme « scène »
par le personnage, organise un schéma de pressions physiques et de réactions dont
l’enchaînement détaillé permet de déduire que l’ensemble n’entre pas dans la ca-
tégorie d’action volontaire et que donc la responsabilité des conséquences de
l’acte y est absente.
Néanmoins, la précision descriptive, expositive et cognitive de l’écriture
de Camus dans ce passage distingue deux moments dans la compréhension que
Meursault retire des suites de l’événement. Le premier moment enregistre
l’interruption de son adhésion au monde naturel car son acte y intervient de ma-
nière violente : « J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence
exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux » (Camus, 1957 : 95). La com-
préhension qui survient est celle de la composition de l’ensemble des actions per-
ceptives et physiques en rupture avec la lumière et le silence du monde : la des-
truction de leur équilibre. Ce premier moment de compréhension ne concerne que
l’organisation des données perceptives : il comprend que la scène qu’elles compo-
sent a changé, mais sa compréhension demeure de l’ordre de la perception. À quoi
s’ajoute une réaction émotionnelle : le sentiment de la perte du bonheur. C’est
alors que Meursault énonce : « Et c’était comme quatre coups brefs que je frap-
pais sur la porte du malheur » (Camus, 1957 : 95), et cette conclusion démontre –
il s’agit du deuxième moment – qu’il ajoute un type de compréhension consciente
pourvue d’une capacité métaphorique qu’il faut déjà attribuer à la nature humaine.
Le savoir de Camus en décrivant la scène ne vient sans doute pas d’une
application qu’il aurait faite de principes cognitifs – par ailleurs peu développés
dans ce temps-là. Mais d’une expérience éprouvée dans l’observation du corps
propre – celui de l’homme solaire qu’il était lui-même, philosophiquement et vita-
lement parlant. Un savoir cognitif pratique qui, par ailleurs, s’exprime dans la
littérature depuis des siècles – de manière plus puissante à partir du XIXe – et dont
la science cognitive commence à faire grand cas.
Dans le détail, le récit de la scène dans L’Étranger s’articule de la manière
suivante : « j’étais venu là [sur la plage] sans y penser » – dit Meursault écartant
tout projet d’action consciente :
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Dès qu’il [l’arabe] m’a vu, il s’est soulevé un peu et a mis la
main dans sa poche. Moi, naturellement, j’ai serré le revol-
ver de Raymond dans mon veston. [...] son image dansait
devant mes yeux, dans l’air enflammé. [...] toute une plage
vibrante de soleil se pressait derrière moi (Camus, 1957 : 92-
93).
On y remarque donc un geste d’alerte non réfléchi – « naturellement » –
face à un autre geste interprété comme menace (mais c’est le lecteur qui le déduit,
Meursault ne le précisant pas). Ces gestes sont suivis d’une impression de mirage
(ou d’un vrai mirage dit « supérieur» – peut-être – dû à la réfraction inouïe des
rayons de la lumière lorsqu’ils traversent une couche d’air suffisamment chaude –
en l’occurrence celle sur le sable – : ils produisent alors une image suspendue en
l’air floue et « dansante »). Survient alors une sensation d’être bousculé à cause
d’une pression exercée par la plage et la mer qui reflètent la lumière du soleil et
l’intensifient. La notion de « pression » ne peut pas être tactile, puisque c’est une
plage ensoleillée qui l’exerce
– selon Meursault – et il faut donc penser qu’il s’agit d’une sensation propriocep-
tive : la pression est éprouvée par la sensibilité interne, celle des muscles du corps
et du système vestibulaire. Les propriocepteurs se chargent de l’équilibre et du
mouvement du corps, et justement Meursault fera par la suite référence à des
mouvements pour la récupération de l’équilibre et finalement à la perte de celui-ci.
Mais c’est une « plage vibrante de soleil » qui presse derrière Meursault, et
il faut donc définitivement comprendre que la pression ne s’exerce pas par contact,
mais qu’elle est traduite à partir du domaine de la vue. La physiologie de la per-
ception nous apprend que notre œil ajuste le regard au moyen de saccades qui
permettent le changement de direction. D’habitude le monde nous semble stable
malgré ces déplacements continuels, mais ici l’effet de vibration lumineuse
semble vraisemblablement venir de la radiation intense de la lumière. Il se trouve
que la vision agit comme propriocepteur et que le mouvement visuel a une in-
fluence sur le contrôle de la posture (Berthoz, 2008 : 237-239), d’où peut-être
cette interprétation proprioceptive de la réverbération lumineuse comme pression.
Le mouvement lumineux agit encore de deux manières : la lumière
« gicle » sur le couteau de l’arabe ; et le visage de celui-ci se peuple d’ombres et
lumières menaçantes (un effet de rire se compose de la sorte, mais il ne sera pas
dit que ce rire est menaçant). Ces mouvements de la lumière sont également inter-
prétés visuellement comme agressifs sans que toutefois le texte traduise explici-
tement la portée de l’émotion convoquée : la peur, une émotion primaire qui con-
cerne hommes et animaux.
Même sans émotion explicitée, le lecteur distingue que, face à la violence
subie, Meursault essaie de retrouver un équilibre physique et de se protéger : lors-
que la plage presse, il fait « quelques pas » pour amortir l’impulsion, puis il fait de
nouveau un pas en avant à cause de « cette brûlure » même s’il sait que « [c’est]
stupide, qu’[il] ne se débarrasser[a] pas du soleil en [se] déplaçant d’un pas »
(Camus, 1957 : 94). Et lorsque le soleil fait étinceler la lame du couteau et
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l’aveugle, « la sueur amassée sur [ses] sourcils [coule] d’un coup sur les paupières
[en les recouvrant] d’un voile tiède et épais » (Camus, 1957 : 94) et les protégeant
de la sorte – une protection qui en même temps l’aveugle, et qui n’est pas dite
mais surgit comme effet d’une lecture sensible à la disposition pendulaire des
événements en deux pôles : déséquilibre/équilibre.
Mais, à force, il finit par ne plus pouvoir rétablir l’équilibre : les veines
battent sous la peau de son front et s’accouplent à la lumière qui continue à scin-
tiller, de sorte que l’ensemble est perçu comme des « cymbales du soleil » sur le
front. À ce mouvement violemment répétitif s’en ajoute un autre qui possède une
direction précise : « le glaive éclatant jailli du couteau », « une épée brûlante » qui
fouille dans ses yeux : par la composition du texte, la douleur du front devient la
conséquence de la blessure d’un couteau prolongé en épée de lumière. Et c’est la
combinaison des deux mouvements qui ébranle son équilibre : « c’est alors que
tout a vacillé » (Camus, 1957 : 95). Il attribue à son entourage la rupture de
l’équilibre que son corps éprouve.
« Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser
pleuvoir du feu » (Camus, 1957 : 95). Avec ces mots, la première remarque sur-
vient qui distingue d’un côté la constatation des perceptions et des sensations et
d’un autre l’image mentale : il y reconnaît que quelque chose semble arriver qui
n’arrive pas en réalité. L’on pourrait penser qu’il élabore une métaphore mais, à
bien lire la phrase, on s’aperçoit que Meursault constate strictement une erreur
dans l’interprétation de sa perception : sur l’instant il s’est trompé en interprétant
les données, car il ne pleuvait pas, et encore moins du feu. La voix qui narre con-
naît l’erreur, mais pas Meursault au moment des événements. Meursault rapporte
une illusion optique. La physiologie de la perception considère aujourd’hui les
illusions optiques comme « des solutions trouvées par le cerveau lorsque les in-
formations temporelles sont ambiguës, ou contradictoires entre elles ou avec les
hypothèses internes qu’[on] peut faire sur le monde » (Berthoz, 2008 : 263). Elles
sont une « opération de synthèse » où se réunissent deux types de mouvement
(l’un répétitif et percutant – le scintillement lumineux –, l’autre ayant une direc-
tion définie : le reflet de la lumière sur la lame), une perception lumineuse intense
et une sensation douloureuse (celles-ci réunies dans le « feu »).
Ce premier indice d’interprétation mentale de la perception – qui, tenant de
l’inférence et non pas de l’hypothèse concerne aussi bien l’animal que l’homme
(Berthoz, 2008 : 264) – ouvre vers une autre nouveauté : on remarque celle qui est
la première action après cette suite de perceptions et de sensations. Mais cette
action ne se présente pas comme étant le fruit d’une décision et d’une volonté, elle
se situe dans le même registre non réfléchi de ce qui la précède : tout son être se
crispe, y compris sa main, et la gâchette du revolver cède. Il ne tire pas : il n’y a
pas de sujet qui tire. D’ailleurs, au mouvement de la main ne suit qu’une percep-
tion sonore : « un bruit à la fois sec et assourdissant ». « J’ai secoué la sueur et le
soleil », dit-il tout de suite après (Camus, 1957 : 95), et la remarque semble vou-
loir expliquer l’origine du bruit : elle est à prendre littéralement comme un geste
qui écarte les éléments qui l’aveuglent, et non au sens métaphorique.
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La science reconnaît aujourd’hui trois notions de conscience : la vigilance
(qui exclut le coma profond du domaine de la conscience), l’attention (qui con-
siste à focaliser les ressources mentales sur un objet précis) et l’accès à la cons-
cience, où certaines pensées deviennent disponibles pour d’autres opérations men-
tales et peuvent être l’objet de communication linguistique (Dehaene, 2013 : 25).
Il est évident que la narration du passage comprend ces trois types de conscience,
et que le narrateur de première personne qui s’y exprime les met en jeu. Mais dans
le présent de la scène vécue (et jusqu’au point précis analysé), l’expérience de
Meursault concerne seulement la vigilance et l’attention, car aucune opération
d’élaboration mentale ne s’inscrit suffisamment dans le langage : il ne relie pas les
causes et les effets, il élide toute syntaxe relationnelle au point que la suite réac-
tive de gestes plus haut reconstituée est l’œuvre du lecteur – et d’ailleurs seule-
ment de certains lecteurs. De plus, le résultat qu’est la mort de l’arabe n’y est pas
nommé. À ce moment-là, Meursault n’est pas encore tombé dans la conscience –
dans le troisième type de conscience.
Suspendons ce moment dans le temps. Il est vrai que, une fois narrée, cette
suite d’événements semble ne pas pouvoir échapper à la saisie par la conscience.
Car ce sont des perceptions et des impressions qui pourraient aussi être cons-
cientes, qui pourraient donc susciter une diffusion globale de leur information
dans le cortex, un embrasement généralisé – disent les neurologues – des zones du
cerveau atteintes par ces connexions réentrantes (Edelman, 2000) qu’exécutent
des neurones géants aux longs axones traversant le cortex. Ce n’est pas la nature
des perceptions ou des sensations qui décide de leur possibilité de devenir cons-
cientes mais l’autonomie de « l’espace de travail neuronal global » (Dehaene,
2013 : 33). L’activité nerveuse spontanée de cet espace n’a même pas besoin de
stimulation extérieure et, de fait, le flux de conscience de l’homme est souvent
indépendant de ses perceptions. Mais ces perceptions peuvent aussi avoir cours à
l’insu de la conscience.
Chez Meursault tout se passe comme si, au moment où il tire sur l’Arabe,
l’information de ses perceptions n’embrasait pas suffisamment son cortex, comme
si elle demeurait préconsciente. Sans doute l’attention – et même l’attention sélec-
tive – y est opérative, mais l’attention sélectionne à couvert, car ce n’est que son
produit qui peut accéder à la conscience. C’est parce que – tout de suite après les
derniers mots analysés plus haut – nous lisons la phrase « J’ai compris que j’avais
détruit l’équilibre du jour » – où la compréhension est avouée – que nous suppo-
sons que ce qui précède – la crispation de la main sur le revolver, le toucher du
ventre poli de la crosse – a finalement été sélectionné par l’attention. Une sélec-
tion avec un certain retard temporel toutefois. Mais il se trouve qu’on peut même
« faire attention à un stimulus sans pour autant en devenir conscients » (Dehaene,
2013 : 110), car, comme le font les animaux, le cerveau humain y attribue des
valeurs positives ou négatives de manière inconsciente et cela peut suffire (De-
haene, 2013 : 113). De là que vraisemblablement toutes les perceptions de Meur-
sault ne soient que préconscientes jusqu’à ce moment précis.
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De manière générale nous tendons à reconnaître trop peu de poids à
l’énorme travail que notre cerveau fait sans que nous en ayons conscience : il tisse
des relations et fait des calculs de manière constante (il fait certaines opérations
mathématiques, reconnaît des mots, détecte des erreurs et résout des problèmes).
Hors de la conscience s’assemblent les parties d’une scène dans un tout cohérent –
même venant de modalités sensorielles différentes. De fait, nous voyons de ma-
nière inconsciente beaucoup plus de détails d’une scène que lorsqu’elle devient
consciente : dans le passage à la conscience nous effectuons une abstraction (De-
haene, 2013 : 92). Il n’est donc pas étrange que Meursault éprouve dans la scène
beaucoup de perceptions et de mouvements, beaucoup plus qu’il ne recenserait
s’il la racontait comme vécue de manière consciente. D’ailleurs, la disposition
temporelle narrative – linéaire – ne peut rendre compte de l’évaluation en paral-
lèle et simultanée que fait notre cerveau en mode préconscient.
Les « opérations complexes qui relient la perception à l’action se déroulent
sans conscience » (Dehaene, 2013 : 75), et nous surestimons donc notre pouvoir
de décision. Voilà encore un pas qui peut être fait sans abandonner le préconscient.
L’on sait que notre conscience est toujours en retard para rapport aux événements,
y compris nos perceptions et nos mouvements non réfléchis. Sans doute Meursault
n’est pas conscient de ses perceptions et de ses gestes avant le fameux « J’ai com-
pris ». Mais pourquoi le devenir à ce moment-là ? « La plupart des systèmes phy-
siques autoamplifiés possèdent un point de non-retour au-delà duquel le change-
ment survient d’un seul coup, en fonction de la présence de petites impuretés ou
de fluctuations aléatoires. Selon nous, il en va de même pour le cerveau » (De-
haene, 2013 : 75). Le passage du régime inconscient au conscient chez Meursault
se fait – admettons l’hypothèse – lorsque les perceptions admises dans le précons-
cient changent de modalité, lorsqu’elles cessent d’être visuelles et qu’elles de-
viennent auditives : c’est le bruit de son propre coup de pistolet qui ouvre le che-
min de la conscience, pas le fait qu’il appuie sur la gâchette. Voilà son point de
non-retour.
C’est alors qu’il énonce – à la première personne – qu’il a tiré « encore
quatre fois sur un corps inerte », et cet « encore » montre bien que, à ce moment
précis, il assume rétrospectivement un premier coup de pistolet jusque là non re-
connu consciemment comme acte propre. C’est aussi alors qu’il perçoit le corps
de l’arabe
– absent jusque là dans les derniers moments de la scène – et qu’il énonce tout de
suite une comparaison à valeur symbolique – qui signe non seulement l’ouverture
d’une conscience pleine mais aussi une projection dans le temps – : « Et c’était
comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur ». Meursault est
en train d’éprouver sa chute dans la conscience (de troisième type). Mais la porte
du malheur qu’est la conscience pleine n’est pas encore grand ouverte, et Meur-
sault va par la suite s’entêter à ignorer son entrebâillement. Pourtant, l’accès à la
conscience n’admet pas de demi-teintes : il survient ou il ne survient pas, et lors-
qu’il survient on ne peut pas revenir en arrière. Or, c’est à cet inévitable passage
que refusera de se plier Meursault, décidé à redevenir animal solaire – la deu-
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xième partie du livre montre sa résistance en même temps que ses difficultés.
C’est aussi la grande question qui, amplifiée à l’échelle éthique et morale, Camus
a situé au centre de toute son œuvre : peut-on demeurer – et se revendiquer – in-
nocent quand on a pris connaissance de la responsabilité du crime ?
La scène du meurtre de l’Arabe présente Meursault de telle façon que le
lecteur a tendance à relativiser la responsabilité de celui-ci du fait de son manque
de conscience. Par ailleurs, Camus y sème quelques germes de justification, mais
qui n’arrivent pas à en être une : l’Arabe tire son couteau tout au début, et la réac-
tion de Meursault en reçoit une certaine caution pouvant être vaguement considé-
rée comme un acte de légitime défense. De plus, une lecture d’allure psychanaly-
tique est suggérée à travers l’introduction de cette remarque de Meursault :
« C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le
front surtout me faisait mal » (Camus, 1957 : 94). L’on sait les reproches que
l’environnement social adresse à Meursault parce qu’il n’a pas pleuré sa mère.
Cette absence de deuil atteste son écart de la conscience commune mais, sur la
plage, il éprouve à travers la douleur provoquée par le soleil une espèce de rap-
prochement de la scène présente et de celle de l’enterrement qui suscite un lapsus :
la sueur qui s’amasse sur ses sourcils coule et « [ses] yeux [sont] aveuglés derrière
ce rideau de larmes et de sel » (Camus, 1957 : 94). Ce qui n’est que de la sueur
dans la scène de la plage devient les larmes manquantes dans la scène de
l’enterrement. Et le meurtre présent se teint du deuil de la mort de la mère qu’un
Meursault sans conscience ébauche mais ne sait pas faire.
L’apparent défaut de conscience de Meursault est mis en évidence à tra-
vers ses automatismes et son impossibilité à faire une représentation cohérente des
relations du propre corps avec l’environnement. Cette impossibilité empêche la
construction d’« une hypothèse interne de l’intention de l’autre » (Berthoz, 2008 :
105), une hypothèse qui relève de la « théorie de l’esprit » qui signe la différence
entre l’homme et l’animal. Meursault a pu interpréter comme menace le geste de
l’Arabe tirant son couteau, mais il n’a pu faire une supposition sur son dessein – et
il n’en dit d’ailleurs rien. Mais, finie la scène, on a pu constater que Meursault
redevient un homme doué d’une conscience cognitive humaine, quoique étrange.
Dès lors, le problème pour Camus est de nuancer cette conscience cognitive qui se
refuse à être conscience morale, qui se refuse à quitter son paradis d’innocence
animale.
5. L’entrebâillement de la conscience
Dans la deuxième partie du livre, Meursault est en prison. Pendant un
temps, il se montrera peu enclin à sortir du silence, il n’éprouvera aucune culpabi-
lité, il sera sans intérêt pour la transcendance après la mort, il évitera de considérer
le pardon éventuel de la justice. Camus pense que son protagoniste n’est pas privé
de sensibilité, mais qu’il est seulement animé de la passion de voir et de sentir
(Grenier, 1987: 91). Camus y entreprend de nouveau une justification subtile de
Meursault : son adhésion à une logique sensitive et naturelle le sépare de celle des
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hommes, qui est régie par leur conscience et qui prend la forme de justice. Mais,
de plus, il est scandalisé par l’instabilité de la logique cognitive de cette justice,
car dans son propre procès « tout est vrai et rien n’est vrai » (Camus, 1957 : 141).
De même, il récuse l’ambiguïté de la logique morale de cette justice, qui fait que
les qualités d’un homme deviennent vite des charges de culpabilité, et que la vertu
tolérante se change en justice condamnatoire (Camus, 1957 : 154-155). En somme,
il souligne la relativité, l’inconsistance et les contradictions de cette conscience
humaine et sociale qu’il ne partage pas.
Exaspéré para ces logiques – y compris celle, croyante, qui par la voix de
l’aumônier lui promet une vie éternelle –, Meursault se lance dans l’insulte et dans
le discours confus. Son refus de la logique de la conscience devenue justice n’est
pas relayé par un discours qui défendrait une éthique individuelle naturelle. Car il
refuse la notion même de discours logique reliée à la conscience humaine, et il ne
voit pas de sens à ce que ses manifestations se plient à la nature du langage qu’il
repousse. Ses choix sont donc contraires à la logique, ils brouillent tous les sens
convenus et se rapportent à la pure expression émotionnelle, à la colère et au re-
fus : « Du fond de mon avenir, [...] un souffle obscur remontait vers moi [...] »
(Camus, 1957 : 141), exprime-t-il. Cette réaction atteste le danger qu’il a perçu
lorsque le regard de ceux qui le jugent lui a révélé quelque chose de lui-même. Se
sentir jugé lui a permis d’avoir l’intuition d’un abîme qui s’ouvre en lui-même en
le séparant du monde, et cet abîme s’appelle conscience. Meursault ne tombe pas
dans la conscience de son acte, mais il en a vent. Et c’est ce qui fait son extrême
étrangeté, car dorénavant il ne sera ni complètement animal ni tout à fait homme :
un impossible. Très vite, il clôt cette ouverture de l’abîme de la conscience en
criant avant d’épouser un silence définitif. Mais c’est déjà celui de la mort – et de
la fin du livre.
Uri Eisenzweig (1983 : 10) parle à propos de L’Étranger de la naissance
brève d’un sujet suivie de l’annulation de son identité. Le meurtre et le séjour en
prison de Meursault sont vus comme un abandon provisoire du paradis muet et
une entrée dans le langage, dans la reconnaissance de la voix propre et de soi
même dans le miroir – lorsqu’il regarde son écuelle dans la solitude de sa prison
(Eisenzweig, 1983 : 36, 83). Mais le sujet décide finalement de réintégrer son mu-
tisme et de dissoudre son identité dans la disparition (Eisenzweig, 1983 : 69, 74).
Pourtant, il est entré dans le temps, ce temps inévitablement associé à la
conscience humaine. L’animal Meursault – qui à la première page du livre ne
connaissait que le présent et qui donc disait « Aujourd’hui maman est morte. Ou
peut-être hier » (Camus, 1957 : 9) – s’adonne ici au souvenir, et précisément au
souvenir de sa mère. Et pour la première fois, il prend conscience de la mort de
celle-ci : la chute dans la conscience est toujours conscience de mort chez Camus.
Néanmoins, une fois l’intervalle de conscience fermé, il s’absente à nouveau du
souvenir de cette mort, qui devient pour Meursault aussi indifférente que sa
propre mort déjà imminente. Camus est en train de transgresser cette loi de la
conscience qui dit que, une fois survenue, elle ne peut plus disparaître. Mais c’est
celui-là justement le point que Camus s’essaie à creuser : ce retour en arrière vers
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l’innocence et l’inconscience animale est la grande nostalgie qui inspire une
bonne partie de son œuvre.
Donc, Meursault est indifférent à sa propre mort. Il faut en dire même plus,
car, installé dans un présent qui annule le temps dans les moments qui précèdent
son exécution, Meursault se voit « prêt à tout revivre » (Camus, 1957 : 185). Re-
commencer a peu d’importance quand on est hors temps, et même la mort est sans
importance, par exemple celle de sa compagne Marie : « Morte, elle ne
m’intéressait plus. Je trouvais cela normal comme je comprenais très bien que les
gens m’oublient après ma mort », avoue Meursault (Camus, 1957 : 175).
Savoir qu’on va mourir est le propre de l’humain, de même que tenir en
mémoire les proches qui sont morts. Dans les derniers moments de son protago-
niste, Camus essaie d’intégrer ce savoir de mort à l’indifférence de la mort qui
correspond à l’animal. Finalement, « vidé d’espoir », il s’ouvre « à la tendre indif-
férence du monde » (Camus, 1957 : 186). Et il trouve ce monde si pareil à lui, si
fraternel, qu’il sent qu’il a été heureux et qu’il l’est encore. Le bonheur de la non
distinction d’avec le monde est plus fort que la conscience humaine de la mort.
Michel Barré rappelle la réflexion sur Plotin que Camus a présentée dans
son Diplôme d’Études Supérieures Métaphysique chrétienne et Néoplatonisme
(1936) en même temps que les échos qu’en garde La Mort heureuse, le premier
roman de l’écrivain. Barré y décèle un parcours presque mystique du protagoniste
Mersault
– sans « u » – qui, dans ses derniers moments, « pierre parmi les pierres, [...] re-
tourne dans la joie de son cœur à la vérité des mondes immobiles » (Camus, 1971 :
204). Mais il ne manque pas de relever que cette union souhaitée par Plotin, Ca-
mus la retrouvait sur terre (Barré, 2015). Meursault, lui, prend ses distances
d’avec la « vérité » et les « mondes immobiles » ; ce sont contrairement des bruits
et des odeurs du monde terrestre qui l’atteignent lorsqu’il retrouve le calme à
l’approche de la mort, et ce sont les rythmes de la nature qui en l’envahissant le
conduisent au bonheur : « La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi
comme une marée » (Camus, 1957 : 185).
Avec L’Étranger, Camus semble donc récupérer de Plotin quelque chose
dont l’intérêt a une portée autre que mystique. Plotin (1999 : 277) affirmait que
toute vie est une pensée plus ou moins obscure. Il s’ensuit que la pensée
n’acquiert pas toujours la forme qu’elle emprunte chez l’homme, elle peut se pro-
duire sous d’autres formes, sous des formes manifestant la vie. Car la forme dans
le vivant se pense en même temps qu’elle se fait, la pensée de ce vivant est l’acte
même de sa formation. Cette notion de pensée est dérivée de la morphogenèse et
elle a aujourd’hui un grand poids dans les sciences du vivant. Mais son ébauche
peut être également trouvée au sein des expériences communes entre hommes et
animaux que l’on relève dans les pages de L’Étranger de Camus. Meursault pense
à travers son adhésion sensuelle au monde, et, à la limite, son action réactive face
au soleil – son meurtre – est une pensée analogue à celle que pourrait constituer la
destruction de certaines cellules par d’autres qui façonne tout être vivant. À
l’échelle du monde naturel, son meurtre jouit de cette innocence extérieure à toute
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morale et à toute éthique. De même, face à la conscience humaine de sa mort
proche, il se pourvoie d’une pensée plus élémentaire en se sentant vivre à
l’unisson avec la nature. Et cette forme naturelle de pensée est plus forte que celle
apportée para sa conscience humaine : de là cette nouvelle version d’une mort
heureuse.
6. Y a-t-il un innocent quelque part ?
Mais Camus est loin de donner pour réglée la question de la culpabilité.
Comme l’on sait, l’écrivain prendra le tournant – dans ses œuvres postérieures :
L’Homme révolté, La Peste – d’une idée de présent inscrit dans la temporalité
humaine et d’une idée de conscience morale ne pouvant plus se réfugier dans
l’innocence animale. La chute dans la conscience – et dans la conscience sociale –
situera de nouveau au centre le problème de la mort de l’autre : le problème du
meurtre au sein d’une révolution nécessaire et le problème de la justification de la
violence – et ceci à un moment historique particulièrement critique qui force
l’écrivain à concevoir des nuances et des contextes.
Pendant le temps de la Résistance, Camus admettait la violence comme
lutte contre les forces d’oppression. La pièce de théâtre Les Justes (1959) traite de
cette exception où la responsabilité du crime – un crime « délicat » qui évite le
meurtre des enfants – doit être compensée par l’immolation du meurtrier lui-
même. Camus en dira que, même si une vie enlevée ne vaut pas pareil qu’une vie
donnée en échange, la transaction lui semble « respectable » (Grenier, 1987 : 180).
Placé également en contexte de l’après-guerre, L’Homme révolté nuance encore
les appuis : il trouve odieux le crime idéologique mais il soutient que
la non-violence absolue fonde négativement la servitude et
ses violences ; [...] [la violence] doit donc conserver, pour le
révolté, son caractère provisoire d’effraction, être toujours
liée, si elle ne peut être évitée, à une responsabilité person-
nelle, à un risque immédiat. [...] la violence ne peut être
qu’une limite extrême qui s’oppose à une autre violence, par
exemple dans le cas de l’insurrection. [...] le révolté refuse
d’avance la violence au service d’une doctrine ou d’une rai-
son d’État (Camus, 1965a : 695).
Camus (1965a : 696) exige que si la fin justifie les moyens, les moyens
justifient de même la fin, mais le problème de fond est que, une fois ouvertes les
portes de la conscience sociale, la conscience personnelle apparaît tout de suite,
qui demande à être apaisée. Camus est en train de proposer que l’utilité sociale de
la violence révoltée soit justifiée par une conception toujours naturelle de la vio-
lence chez l’individu : le révolté risquera sa vie et la perdra s’il le faut, comme le
ferait un animal dans son entourage sauvage. Il évitera de la sorte la chute dans la
conscience personnelle et le problème éthique de sa violence.
Cette option qui compose une conscience sociale avec un manque de cons-
cience individuelle n’est qu’un premier temps de L’Homme révolté. Très vite,
Camus avancera vers la condamnation de toute violence sociale car il la considé-
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rera comme une violence d’état. Les différences et les affrontements entre Camus
et Sartre entrent ici en jeu. Sans vouloir en faire le parcours ni le bilan, il semble
clair que la violence institutionnalisée, avec des objectifs révolutionnaires (le ré-
gime stalinien, pour faire bref), a signifié une limite dans la conscience sociale de
Camus : l’homme individuel ne pouvait plus compenser une telle organisation de
la violence avec le sacrifice de sa vie. Sartre, de son côté, pensait que l’homme
peut et doit se salir les mains. Mais, pour Camus, c’était déléguer de trop que de
déléguer la conscience individuelle à l’état et à l’Histoire.
La violence réelle du monde et la politique du moment ont tiré l’écrivain
de son idée d’homme naturel. Dans la deuxième partie de L’Homme révolté il
reste peu de chose de l’homme solaire. Mais Camus a du mal à abandonner ne
serait-ce que le lexique solaire de sa position la plus chère, et il baptise du nom de
« La pensée de midi » sa nouvelle proposition éthique. Et, opérant un glissement
qui déboussole ceux qui le considèrent un « anarchiste de l’anarchisme » (Onfray,
2012) en même temps qu’il charme ses partisans libéraux, il affirme : « La révolte
n’est nullement une revendication de liberté totale. [...] Le révolté exige sans
doute une certaine liberté pour lui-même ; mais en aucun cas, s’il est conséquent,
le droit de détruire l’être et la liberté de l’autre » (Camus, 1965a : 687-688). « La
justice absolue passe par la suppression de toute contradiction: elle détruit la liber-
té » (Camus, 1965a : 691). « La vertu toute pure est meurtrière; [...] il faut une
part de réalisme à toute morale » (Camus, 1965a : 699). « La révolte, elle, ne vise
qu’au relatif et ne peut promettre qu’une dignité certaine assortie d’une justice
relative » (Camus, 1965a : 693). Camus, qui n’était certainement pas un « mo-
derne » à la manière sartrienne, se montre pragmatique et relativiste dans ces
lignes-ci, et cherche à ce propos la caution de la science :
Les quanta, la relativité jusqu’à présent, les relations
d’incertitude, [permettent de comprendre] un monde qui n’a
de réalité définissable qu’à l’échelle des grandeurs
moyennes qui sont les nôtres. Les idéologies qui mènent
notre monde sont nées au temps des grandeurs scientifiques
absolues. Nos connaissances réelles n’autorisent au contraire,
qu’une pensée des grandeurs relatives (Camus, 1965a : 698).
C’est donc la physique quantique qui prend le relais de la théorie biolo-
gique de l’évolution dans la nouvelle position philosophique et éthique de Camus.
Schrödinger, Dirac et Heisenberg semblent se trouver derrière ces lignes qui re-
prennent des termes venant du « Principe d’incertitude » et de l’indétermination
des états quantiques. Au moment de la publication de L’Homme révolté, en 1951,
la culture et la philosophie occidentales ne répercutaient pas encore ce change-
ment de paradigme survenu en physique, mais les mots de Camus sont avant-
coureurs. De même, lorsque Camus y parle de la fin des idéologies, il est difficile
de ne pas évoquer une postmodernité qui, quelques décennies plus tard, viendra
critiquer l’héritage du marxisme. Voilà autant de raisons pour considérer Camus
comme un philosophe visionnaire.
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Mais Camus est encore soucieux de nuancer : même au cours de cette
chute dans la conscience il se montre capable de trouver des éléments de réconci-
liation avec la condition naturelle de l’homme. Le midi solaire est l’image d’une
mesure dans la révolte, mais aussi une valorisation du présent qui écarte l’espoir
et néglige le pari sur un avenir que seulement l’Histoire connaîtra et qui exige
d’hypothéquer la vie et la liberté des hommes sacrifiés pour leurs descendants. En
termes anti-sartriens : nulle violence et nulle oppression dans le présent ne peut
être justifiée par l’Histoire et par une liberté à venir. Camus récupère de la sorte
une notion de présent qui refuse de jouer un rôle mineur dans un cours temporel
transcendant. Sa « pensée de midi »
– juge-t-il – doit s’inscrire dans le présent, car l’alliance de la mesure et de la ré-
volte doit être le résultat d’un « conflit constant, perpétuellement suscité et maîtri-
sé par l’intelligence » (Camus, 1965a : 704). L’on dirait que l’ancien rêve d’un
présent naturel et édénique cherche à être revitalisé de cette façon quelque peu
précaire et individualiste.
Paul de Man (1996 : 245) soutient que lorsque
Camus accuse Sartre de croire volontairement en une
« idylle universelle » [...] Camus ne s’aperçoit pas qu’il [est]
lui même prisonnier d’un rêve idyllique [un rêve arcadique
d’un hellénisme naïf] qui ne diffère de celui qu’il attribue à
Sartre que parce qu’il est personnel et non pas universel.
Rien ne semble indiquer qu’il réussira à se réveiller de ce
songe.
Il est vrai que Camus lutte contre cet éveil qui est une chute. Mais la lutte
elle-même trahit l’éveil. Dès lors, ne pas tomber dans les rets de la transcendance
de l’Histoire sera sa dernière résistance.
Il lui a été difficile de ne pas tomber dans ces rets. Surtout au moment de
la guerre d’Algérie. L’idéologie et l’Histoire tant abhorrées se retrouvaient du côté
des anticolonialistes ; défenseur des droits des indigènes, Camus soutenait aussi
les colons modestes vivant depuis longtemps en Algérie et ne réclamait donc pas
l’indépendance de la colonie. La question tournait au paradoxe pour lui, qui voyait
par ailleurs la violence se répandre dans les deux camps. Le monde édénique était
certainement bien plus simple. Alors que le monde de la conscience humaine am-
plifiée en conscience morale chassait de son sein toute innocence. Car la cons-
cience rendait raison à Sartre en ce temps-là : la violence pouvait être juste. Mais
alors Camus répondait que si c’était ça la justice, il préférait sa mère
5
. Ce qu’il dit
aux journalistes lors de la remise de son Prix Nobel peut bien être compris ainsi :
qu’il préférait se mettre du côté de la nature et s’abstenir face à la chute dans la
conscience que le monde lui exigeait. Bien entendu, ils furent nombreux à ranger
ses mots dans le camp colonialiste, car toute pauvre et malade que sa mère était,
elle n’en était pas moins de la race des colons. C’est le danger des mots brefs.
5
Voici les mots précis de Camus: « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la jus-
tice ».
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Dans les derniers temps de sa vie, Camus désespérait du dialogue entre les
factions. Ni les parties en conflit ne s’entendaient ni la presse et les intellectuels
ne le comprenaient dans le sens qu’il souhaitait. Il semble que, à l’époque, il était
tenté d’abandonner sa parole publique, mais l’accident de voiture qui l’a tué ne lui
a pas laissé le temps de rendre effectif ce silence. Ce jour-là on trouva à côté de
lui le manuscrit non achevé du Premier homme, où le récit de son enfance algé-
rienne rejoint le paradis perdu, mais cette fois à la recherche d’innocents – cette
espèce qui n’existe pas parmi les hommes depuis que la conscience est leur apa-
nage. Le titre du dernier chapitre écrit du Premier homme est « Obscur à soi-
même ». Camus semble y renouer avec la sensibilité de l’homme solaire de ses
débuts, cet homme qui a un revers obscur, tout comme le paysage de Tipasa dans
l’« heure funèbre de midi », ce paysage présent dans Noces (1938) et dans Été
(1959). Camus meurt en janvier 1960, peu après avoir souligné devant un journa-
liste « l’aveugle et l’instinctif de son œuvre », ce que, justement, il souligne chez
le protagoniste du Premier homme et qui porte André Benhaim (2009 : 58, 60) à
conclure : « il y a du bonheur dans ce rapprochement avec la bête ». Car, effecti-
vement, les derniers mots du roman (inachevé et posthume) parlent d’une « force
obscure qui pendant tant d’années l’avait soulevé au-dessus des jours [...] [et qui]
lui fournirait aussi [...] des raisons de vieillir et de mourir sans révolte ». Et l’on
songe au meurtrier Meursault retrouvant le calme avant la mort également envahi
par la vague de paix qui vient de la nature en été. Tous les meurtriers de Camus se
revendiquent innocents : l’avenir meurtrier (« monstrueux ») de Jacques, le prota-
goniste du Premier homme, a été démontré par le spécialiste Hiroshi Mino (2018),
qui a aussi étudié le poids du silence dans l’œuvre camusienne (Mino, 1987).
7. La conscience complexe
Avant la tentation du silence des derniers jours de Camus, il y eut un épi-
sode littéraire dans son œuvre qui n’est pas sans rappeler celui de Meursault fa-
rouchement colérique avant son acceptation de la mort heureuse. Ce fut en 1956 –
une année avant la remise du Prix Nobel, en pleine guerre algérienne : il publia
La Chute. Si L’Étranger avait interrogé le seuil de la conscience humaine et du
réveil éthique et moral, le livre La Chute y entre de plain-pied en explorant les
chemins subtilement retors que peut emprunter cette conscience. Avec l’histoire
de ce Clamence qui ne fera rien pour éviter qu’une femme tombe à l’eau, Camus
renoue avec l’idée d’une chute dans une conscience qui survient, attirée par un
épisode de mort. Mais il s’agit cette fois de la mort d’une inconnue et où le prota-
goniste n’a pas un rôle actif : tout au plus est-il responsable d’une omission, celle
de ne pas lui avoir porté secours. Par ailleurs, le jugement de cette faute présumée
n’est plus fait par une cour sociale, car juge et accusé sont ici le même sujet. La
chute se produit donc ici dans une conscience connaissant l’éthique et la morale.
Ce que pourtant elle connaît moins ce sont les circonstances de l’accident de la
femme, c’est-à-dire qu’elle ne compte pas sur la perception pour établir une con-
naissance des faits. Si Meursault présentait le soleil comme la cause de son
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meurtre, Clamence ne réclamera pas la nuit comme circonstance atténuant sa cul-
pabilité – même s’il n’a rien vu. Il se déclare d’emblée coupable.
Certains critiques soutiennent que, sous la pression aussi bien de la droite
que de la gauche, Camus a prêté sa voix à Clamence pour régler des comptes avec
l’intellectualité parisienne et sartrienne quant à la « question algérienne ». Mais
Clamence n’est pas Camus, bien qu’ils partagent la même nostalgie d’un espace
de bonheur perdu sur les plages ensoleillées du passé. Clamence devient juge-
pénitent, il devient une conscience qui choisit de s’accuser elle-même afin de ne
pas être jugée par les autres. Il est vrai que Camus a déclaré que les existentialistes
battaient sa coulpe en vue de se garantir le rôle de juges incorruptibles et de pou-
voir ainsi juger les autres coupables – ce que l’auteur de La Chute trouvait dégoû-
tant (Camus, 1965b : 897). C’est ainsi que Clamence pourrait en partie faire figure
de sartrien mais, de fait, il ne nomme les partisans de la pensée sartrienne que
pour en prendre ses distances. Camus ne veut pas qu’on réduise Clamence à une
devinette trop politiquement contextualisée.
Dans La Chute, Camus ne part pas – comme il l’a fait pour L’Étranger –
d’un monde naturel que l’homme perd. Clamence, au début de l’histoire, est déjà
un homme qui participe d’une conscience morale apaisée par de nombreuses acti-
vités d’empathie sociale et d’aide d’autrui. Sa béatitude ne vient pas du monde
naturel mais de son adéquation à une morale active et solidaire. L’épisode de la
femme noyée lui révèle la duplicité de sa conscience, capable – en même temps –
de se montrer dévouée à l’autre et de s’inhiber face à cette mort. Clémence est un
homme satisfait avec sa bonne conscience qui tout à coup découvre que celle-ci
est fausse. La rupture de son éden particulier – où à force de plénitude physique et
de simplicité il se croyait un peu « un surhomme » (Camus, 1956 : 33) – se pro-
duit parce que Clamence commence à se juger lui-même et que ce jugement divise
sa conscience. Clamence est quelqu’un qui entre dans la « complexité » de la
conscience dans le sens épistémologique d’un système dont les interrelations
d’éléments divers produisent des comportements étranges : les attitudes de Cla-
mence ne sont pas le fruit d’une conviction ou d’un plan linéaire mais les effets
d’un système que sa conscience compose avec la simulation de la conscience des
autres – ceux auxquels il veut refuser la possibilité de juger. Et ceci demande
d’être exposé avec quelque détail.
Cet individu qui, peu à peu nous révèlera la sophistication de sa cons-
cience
– dans le sens de « raffinement cognitif » comme dans celui de « sophisme » –,
avoue néanmoins qu’il est attiré par les « créatures tout d’une pièce. Quant on a
beaucoup médité sur l’homme par métier ou par vocation, il arrive qu’on éprouve
de la nostalgie pour les primates. Ils n’ont pas, eux, d’arrière-pensées » (Camus,
1956 : 8). Mais le problème est que aussi bien sa conscience que celles des autres
humains est faite d’arrière-pensées. Non seulement parce que celles-ci consistent
en des intentions cachées mais parce qu’elles obligent les consciences des autres à
en juger (dans le sens d’en tenir compte comme dans celui de les évaluer) : c’est
le fond même de la « théorie de l’esprit », à la base de la conscience humaine, qui
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est problématique. La connaissance entre humains repose sur ces processus récur-
sifs qui relient les consciences
– « je sais qu’il sait que je sais » – et qui, dans leur développement, changent le
jugement strictement cognitif en jugement moral.
Clamence découvre que sa propre conscience peut devenir la scène de ce
glissement entre la connaissance et le jugement lorsqu’il commence à la percevoir
scindée. C’est tout d’abord une question de perception sans réflexion qui se situe
entre la perception réelle et l’hallucination : il commence à écouter des rires dans
son dos qui n’appartiennent à personne, il voit des rires doubles dans le miroir. Ce
« charmant Janus » – comme il se nomme lui-même – découvre par la suite chez
lui une duplicité qui l’effraie autant qu’elle l’intéresse. Il connaît que dans son
apparente générosité il y a un fond de vanité, de condescendance, de superficialité,
d’égoïsme. Mais surtout il découvre que cette duplicité comporte un jugement. Au
sein de la conscience humaine – qui toujours en soi se pense –, connaître c’est
juger. Effrayé par sa propre noirceur morale et intéressé par le mouvement cons-
cient qui transforme la connaissance en jugement, Clamence se lance à
l’exploration de ce nouveau continent intérieur : sa chute dans la conscience ne
manque pas d’élan. La disposition des canaux d’Amsterdam, où il se promène en
monologuant avec un auditeur mystérieux, lui rappelle celle des cercles de l’enfer
dantesque ; on pourrait y reconnaître également – plus près de nous et de lui – les
stations d’un parcours baudelairien nullement orienté vers le salut mais, au con-
traire, vers une déclaration de culpabilité après jugement par soi-même : car – en
calquant les tentations qui organisent Les Fleurs du mal – il y transforme la solli-
citude pour ceux qui souffrent en mépris, il fréquente l’alcool, cherche la déprava-
tion dans les plaisirs de la chair, puise dans le blasphème, côtoie le suicide. Ces
cinq explorations bannissent toute innocence de sa conscience. Il n’y a que face à
un spectacle de sport ou de théâtre qu’il la retrouve : dans ces activités où le corps
et l’esprit s’équilibrent et où Camus lui-même trouvait un refuge pour son reste
d’animal solaire et innocent.
Mais il ne suffit pas de s’accuser soi-même, pense Clamence, il faut encore
le faire plus vite que le jugement des autres si on veut justement empêcher celui-ci.
Il faut devenir consciencieusement coupable – et ici affleure la volonté rimbal-
dienne de travailler à l’encanaillement et à la monstruosité propres pour devenir
un autre –, ce qui n’a rien à voir avec une recherche de vérité du crime. On peut
même aller jusqu’à simuler un larcin pour rendre plus évidente une culpabilité
trop subjective : c’est ce que fait Clamence. Tout, afin de devenir juge-pénitent.
Car il s’agit de rendre la propre conscience suffisamment complexe pour que le
jugement des autres soit superflu, pour qu’il ne parvienne pas à apporter de nou-
veauté morale à l’exigence éthique du sujet. Pour y parvenir, il faut au juge-
pénitent transformer le solipsisme de la conscience en une polyphonie dynamique
de jugement : comme si la conscience de l’un pouvait inclure les consciences des
autres.
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Ce théâtre de soi-même réduit les autres à un simple public. Au fond, leur
dit Clamence, vous êtes déjà compris dans ma propre conscience, vous êtes la
matière de mes arrière-pensées, ma condamnation de moi-même joue plus fort et
plus vite que la vôtre. Cet état de juge-pénitent représente pour Clamence – dans
les dernières pages du livre, proches du délire – un sommet que lui seul peut at-
teindre et d’où il règne sur ses sujets : « Plus je m’accuse et plus j’ai le droit de
vous juger. Mieux, je vous provoque à vous juger vous-même [...] J’ai encore
trouvé un sommet, où je suis seul à grimper et d’où je peux juger tout le monde »
(Camus, 1956 : 146). Il a renversé la perspective, et, dans son délire, il transforme
en sommet cette chute dans la conscience exacerbée au point de comprendre en
elle-même toutes les consciences. Mais, dans ces mêmes pages, un lapsus se pré-
sente : « Ces nuits-là, ces matins plutôt, car la chute se produit à l’aube, je sors, je
vais d’une marche emportée le long des canaux » (Camus, 1956 : 149). Ce qu’il
dit est étrange. S’il parle de la chute dans l’eau du corps de la femme – que
d’ailleurs il répète souvent de manière fantasmatique dans sa tête – il est en train
de se tromper de moment malgré son souci de précision temporelle. Car, comme il
l’explique avec une pareille précision quelques pages plus tôt, cette chute de la
femme a eu lieu à une heure du matin d’un mois de novembre, bien loin de l’aube
donc. Il n’y a pas d’erreur possible dans un texte comme celui-ci, écrit au milli-
mètre, et il semble donc clair qu’une faille s’ouvre dans le délire de Clamence : ce
sommet du pouvoir de sa conscience sur elle-même et sur celle des autres a ce
piètre revers : une chute aux moments de faiblesse que procure l’aube, une expé-
rience de la conscience comme chute du haut de son sommet.
En quoi consiste cette chute ? La réponse est donnée de manière oraculaire
par un mendiant : « ce n’est pas qu’on soit mauvais homme, mais on perd la lu-
mière » Et Clamence d’ajouter : « Oui, nous avons perdu la lumière, les matins, la
sainte innocence de celui qui se pardonne lui-même » (Camus, 1956 : 150-151).
Avec la lumière de l’aube l’homme réalise la perte subie de sa lumière, la perte de
l’innocence de l’homme solaire qu’un jour il a été : car il n’y a plus d’innocence
dans le monde de la conscience et de ses jugements. La conscience ne permet de
déclarer innocent qui que ce soit, y compris soi-même.
Prophète qui clame dans le désert la culpabilité propre et celle des autres,
ou Lucifer qui paie sa lucidité de la chute et la perte de lumière, Clamence est
celui qui n’a de clémence ni pour les autres ni pour lui-même. L’homme est
l’animal qui acquiert une conscience incapable de pardon, tel est le miroir qu’il
tend aux autres pour qu’ils s’y reconnaissent. « Vous devriez vous juger comme je
me juge, en me servant de la mesure de votre morale », aurait-il pu dire. Mais à la
place il affirme : « J’aime les chiens d’une très vieille et très fidèle tendresse. Je
les aime parce qu’ils pardonnent toujours » (Camus, 1956 : 128). Clamence est un
cynique, mais pas de la même espèce que les chiens qu’il aime.
Cynique avec les autres, il est essentiellement ironique envers lui-même.
L’Étranger, par contre, se caractérisait par une « écriture blanche » – selon
Barthes – qui reflétait l’adhésion à la réalité physique et la neutralité tonale qui
correspond à la suspension de la conscience et du jugement. Une « écriture inno-
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cente [...] Cette parole transparente, inaugurée par L’Étranger de Camus, accom-
plit un style de l’absence qui est presque une absence idéale du style » (Barthes,
1972 : 56). Dans cette transparence du langage Barthes semble trouver l’écho des
attributs de l’homme solaire (innocence, absence de conflit entre le sujet et le
monde) mais il y joint ceux de l’homme révolté, puisque « l’instrument formel
n’est plus au service d’une idéologie triomphante ; il est le mode d’une situation
nouvelle de l’écrivain, il est la façon d’exister d’un silence ; il perd volontaire-
ment tout recours à l’élégance et à l’ornementation, car ces deux dimensions in-
troduiraient à nouveau dans l’écriture le Temps, c’est-à-dire une puissance déri-
vante, porteuse d’Histoire (Barthes, 1972 : 56-57). Barthes y repère donc un style
d’écriture formellement opposé à l’existentialisme sartrien.
Mais dans La Chute, Camus se trouve très loin de cette écriture blanche,
remplacée par celle qui, une fois le paradis perdu, correspond à l’homme qui est
tombé dans la conscience et qui, de plus, la découvre scindée, double, complexe.
Cette écriture est ironique parce que l’ironie est le langage de la distance, de la
scission : Clamence est ironique au sein même de sa conscience de juge-pénitent –
où se présente le reflet de la morale des autres. En étant ironique avec lui-même,
Clamence l’est avec les autres. Et l’on reconnaît dans une certaine tradition de
narrateurs cette stratégie de neutralisation du jugement que les autres exerceraient
en retour – celle de Céline, Houellebecq, Beigbeder... étranges compagnons pour
Camus... mais pas pour Clamence.
L’ironie est le point de non-retour du langage de celui qui est tombé dans
la conscience : il ne pourra plus redevenir transparent. Et il ne le pourra pas parce
que l’ironie repose sur une simulation de sens qui rompt ladite transparence du
langage, mais surtout parce que l’ironie repose sur une dissimulation volontaire du
vrai sens
– tromperie, duplicité – qui est l’apanage de l’homme face à l’animal. L’animal ne
pourra jamais être ironique. L’ironique ne pourra plus devenir animal. Une fois de
plus, c’est la « théorie de l’esprit » qui s’en explique : l’animal n’est pas capable
d’attribuer des intentions secondes à un autre animal. Michael Tomasello – dans
sa théorie de psychologie évolutive comparée entre hommes et animaux – soutient
que même si les primates non humains peuvent développer des stratégies intelli-
gentes pour influencer la conduite de ses congénères, ils ne cherchent pas à in-
fluencer leurs intentions, parce qu’ils ne comprennent pas qu’ils puissent influen-
cer leurs croyances et leurs expectatives (Tomasello, 2007 : 35). Ainsi donc, lors-
que Camus met narrativement en place une conscience ironique qui cherche à
éviter d’être jugée par les autres tout en leur tendant un miroir, il construit une
stratégie spécifiquement humaine qui influence leurs intentions et leur volonté.
Une stratégie qui, de plus
– écartant les ambiguïtés du cas de Meursault –, ne permettra plus à Clamence de
revenir à l’innocence animale. Camus signe ainsi la différence essentielle entre les
deux personnages. « Ce n’est pas qu’on soit mauvais homme », disait le mendiant,
« mais on perd la lumière » : on perd l’animalité lumineuse où l’on ne possède pas
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de « théorie de l’esprit », où l’on ne juge pas, où l’on n’a pas à se déclarer cou-
pable.
Lorsqu’au début de ces pages-ci l’on a consigné les diverses versions des
phases (« cycles ») que Camus avait prévues pour son œuvre, on a omis celle que
voilà : six ans avant la publication de La Chute, il avait envisagé d’éliminer ou de
déplacer la troisième étape prévue sur l’amour et de compléter les deux premiers
cycles de son œuvre – ceux centrés sur le mythe de Sisyphe et de Prométhée –
avec un troisième portant sur Némésis, la déesse de la vengeance et de la justice
qui s’abat sur les humains coupables, mais la déesse de la « mesure », pour Camus.
Il ne serait donc pas insensé de concevoir La Chute comme un livre de cette nou-
velle étape. Clamence serait alors la Némésis de Meursault, la Némésis de
l’homme solaire : la conscience qui, en l’homme lui-même, se venge d’avoir été
chassée de l’innocence paradisiaque.
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