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Agroscope Transfer | No 333 / 2020
Concepts de sélection appliqués à l’abeille
Oc
tobre
Table des matières
Introduction ................................. 2
Partie 1: Concepts de génétique . 2
Partie 2: Application en sélection 7
Partie 3: Exemple d’application . 10
Partie 4: Leviers d’amélioration
génétique .................................. 11
Partie 5: Perspectives ............... 12
Discussion générale et
conclusion ................................. 13
Bibliographie ............................. 14
Auteurs
Matthieu Guichard
Florence Phocas
Markus Neuditschko
Benjamin Basso
Benjamin Dainat
En agriculture, la sélection est une façon intéressante d’améliorer sur le
long terme les performances des plantes cultivées et des animaux
d’élevage. Cela s’applique également à l’abeille domestique. Cependant, des
échanges répétés au sein de la filière apicole ont montré que les concepts
utiles en sélection sont en général peu connus par les apiculteurs. Afin de
répondre à leurs interrogations concernant les procédures susceptibles de
favoriser l’obtention d’un progrès génétique, des rappels de génétique et
leur application dans le cadre de la sélection sont proposés ci-après. Une
illustration de ces concepts est apportée par le biais des résultats d’une
analyse de données conduite auprès de deux populations suisses d’abeille
domestique. De plus, des pistes sont présentées afin de mieux comprendre
les différents leviers du progrès génétique et les façons de l’optimiser au
sein du cheptel apicole. Enfin, l’intérêt d’utiliser des ressources génétiques
locales et de tirer profit de la diversité génétique pour renforcer l’expression
de certains caractères est également abordé. Si certains caractères
semblent avoir un bon potentiel d’amélioration dans une population donnée,
la réussite de la sélection est particulièrement favorisée par une bonne
coordination des apiculteurs et un accompagnement scientifique.
Nucléi de fécondation contenant des reines initialement vierges placées en station de
fécondation en vue d’obtenir une fécondation dirigée avec des mâles sélectionnés
(Photo: Matthieu Guichard, Agroscope).
Concepts de sélection appliqués à l’abeille
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Introduction
L’influence de la génétique et de la sélection sur les performances apicoles est difficile à estimer de manière
empirique par les apiculteurs. Cette difficulté, rencontrée par les éleveurs de toutes les espèces domestiquées, est
encore plus forte pour l’abeille, dont la biologie et la reproduction sont complexes. De ce fait, les apiculteurs se
retrouvent souvent partagés entre les enthousiastes et les sceptiques; les premiers comptent avant tout sur la
sélection pour l’amélioration des performances, tandis que les seconds préfèrent utiliser d’autres leviers d’action
pour tendre vers leur objectif apicole. Afin d’aider les apiculteurs à faire la part des choses entre ce qui peut
raisonnablement être apporté par la sélection et ce qui est à améliorer par d’autres approches zootechniques (gestion
des colonies, traitements, etc.), une synthèse des concepts utiles en génétique de l’abeille et de leur utilisation en
sélection est présentée. Elle est illustrée par l’exemple de deux populations suisses.
Partie 1: Concepts de génétique
1.1 Les caractères à déterminisme simple
Les caractères à déterminisme génétique simple correspondent à des caractères dont l’expression est déterminée
par un seul ou un très petit nombre de gènes. L’exemple historique correspond à la transmission à la descendance
des gènes de couleur chez le pois, qui a été étudiée par Gregor Mendel au 19e siècle. En son honneur, ces caractères
à déterminisme génétique simple sont également appelés caractères mendéliens.
En croisant des lignées parentales de pois (fig. 1) aux caractéristiques différentes (graines vertes x graines jaunes),
un hybride F1 est obtenu (100 % jaune). En réalisant des fécondations entre les individus de la génération F1, on
obtient une génération F2 dont les proportions sont ¾ jaunes et ¼ verts. Ainsi, en F1, l’aspect «vert» a été transmis
à la génération F2 mais était masqué par «jaune»: «jaune» est l’aspect dominant, vert est l’aspect récessif du facteur
couleur.
Plus tard, le développement de la théorie génétique a permis d’établir le support de cette transmission. Le facteur
«couleur» a été attribué à un gène, à savoir un fragment codant pour une protéine et situé sur un chromosome du
pois. Ce chromosome est constitué d’ADN, une molécule qui est le support de l’information génétique. Le gène
codant pour la couleur existe en plusieurs «versions» : il s’agit des allèles de ce gène. Le phénotype, c’est-à-dire
l’aspect observé pour le caractère chez l’individu, est directement déterminé par les allèles portés par l’individu. Dans
une espèce diploïde comme le pois, une paire de chaque chromosome est présente (un chromosome d’origine
maternelle, l’autre d’origine paternelle), ce qui fait qu’un individu peut posséder deux copies du même allèle ou bien
deux allèles différents pour un même gène. Lorsque l’individu possède deux allèles récessifs ou deux allèles
dominants, le caractère exprime le phénotype correspondant à l’allèle porté. Lorsqu’un allèle dominant et un allèle
récessif sont présents, l’allèle dominant s’exprime: c’est ce qui se produit en génération F1: le pois a un phénotype
jaune mais possède à la fois l’allèle jaune et l’allèle vert, qu’il peut transmettre à sa descendance.
Figure 1: Croisement de deux lignées parentales de pois (jaunes et verts) produisant une génération F1 (100 % jaune). Le
croisement F1 x F1 donne la génération F2 avec ¾ de pois jaunes et ¼ de pois verts. L’hybride est porteur à la fois de l’allèle
«jaune» (J) et de l’allèle «vert» (V) pour le gène «couleur». Les pois de F1 ont le phénotype «jaune»: l’allèle J s’exprime même
si l’allèle V est également présent: J est dit «dominant», V est dit «récessif». En génération F2, la redistribution qui s’opère à
partir des allèles (J et V) présents en F1 permet la réapparition de pois verts (VV) semblables à la lignée parentale verte.
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Ce type d’approche fonctionne également pour plusieurs caractères (fig. 2). Par exemple, en étudiant la texture des
graines (lisse ou ridée) en plus de leur couleur (jaune ou verte), on retombe sur des résultats similaires. L’hybride
est 100 % jaune et lisse (allèles dominants), tandis que les allèles récessifs (vert et ridé) s’expriment dans une
minorité des individus de la génération F2.
Figure 2: Croisement de deux lignées parentales de pois (jaunes et lisses x verts et ridés) produisant une génération F1 (100 %
jaune et lisse). Le croisement F1 x F1 donne la génération F2 avec une majorité de pois jaunes et lisses (phénotypes
respectivement codés par les allèles dominants J et L) et une minorité de pois verts et ridés (phénotypes respectivement codés
par les allèles dominants V et R).
Les caractères à déterminisme génétique simple sont faciles à modéliser, et on peut connaître le nombre de gènes
et d’allèles impliqués dans leur expression sans avoir recours à des analyses génomiques. Un gène (ou un faible
nombre de gènes) code pour un caractère. Ce gène possède plusieurs allèles. Il existe un nombre fini de phénotypes
pour ce caractère dans une population, dépendant des allèles présents dans cette population et des éventuelles
relations de dominance entre les allèles. Dans certains cas (codominance, dominance incomplète), des phénotypes
intermédiaires entre les phénotypes des lignées parentales peuvent également apparaître.
Par ailleurs, les caractères à déterminisme simple sont, en général, peu voire pas influencés par l’environnement :
un nombre fini de phénotypes est alors observable, dépendant directement des allèles présents dans la population.
De ce fait, la diversité phénotypique pour un tel caractère reste en général limitée, et est directement liée à la diversité
allélique.
De tels caractères sont rares en pratique : il s’agit par exemple de certaines maladies génétiques, de couleurs de
pelage, etc... Le cas le plus connu chez l’abeille correspond au déterminisme sexuel, qui est codé par le gène csd
(complementary sex determiner) (Beye et al. 2003). Une future ouvrière se développe à partir d’un œuf fécondé
(diploïde) lorsqu’elle possède deux allèles différents pour ce gène (hétérozygotie). Lorsque l’œuf n’est pas fécondé,
un seul allèle, transmis par la reine, est présent pour le gène (haploïdie), et l’individu issu de la larve sera un mâle
viable. Lorsque deux copies du même allèle sont présentes dans l’œuf fécondé (homozygotie), la larve ne se
développera pas en femelle mais en mâle diploïde, qui sera détruit par les ouvrières. Ainsi, une grande diversité
d’allèles pour ce gène sera nécessaire afin d’obtenir des colonies avec une grande proportion d’ouvrières : cette
petite portion du génome est extrêmement variable et plusieurs dizaines d’allèles ont été décrits pour ce gène (Wang
et al. 2012).
D’autres exemples de caractères mendéliens concernent des mutations, qui sont en général rares: il s’agit
notamment de la couleur des yeux (ex: abeilles aux yeux blancs), de certaines colorations du corps (ex: mutation
cordovan, abeilles au corps très clair), de certaines malformations allaires ainsi que d’absences de pilosité
(Rothenbühler et al. 1968).
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1.2 Les caractères quantitatifs
Dans leur immense majorité, les caractères d’intérêt apicole sont des caractères quantitatifs à déterminisme
génétique complexe. Ces caractères ont une expression à variation continue et un très grand nombre de valeurs
différentes sont observées dans la population (au point que chaque variante ne correspond qu’à un faible nombre
d’individus).
Dans ce cas, on s’intéresse plutôt aux variations de ces caractères dans une population : la question qui se pose
est alors de savoir quelle est la moyenne et la variabilité de ce caractère dans la population plutôt que de savoir s’il
est simplement absent ou présent (fig. 3).
Cela s’applique par exemple pour la production de miel, la moyenne des notes de tenue au cadre attribuées de
manière répétée pendant la saison, les niveaux d’infestation varroa ou le comportement hygiénique. À partir de
données de testage, il est possible de représenter les distributions des valeurs des colonies pour ces caractères
dans une population donnée, c’est-à-dire le nombre de colonies présentant une valeur donnée du caractère.
Souvent, ces distributions s’approchent d’une distribution normale, dite «en cloche», avec un petit nombre d’individus
extrêmes et beaucoup d’individus dont les valeurs sont proches de la moyenne de la population.
Figure 3: Distribution de caractères quantitatifs mesurés sur une population d’abeilles domestiques: en ordonnées, nombre de
colonies correspondant à un certain niveau du caractère, indiqué en abscisses. On remarque que ces caractères adoptent une
distribution continue, souvent en forme de «cloche»: peu de valeurs extrêmes, une majorité des données regroupées autour de
la médiane).
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Exemple de caractère quantitatif mesuré chez l’abeille domestique dans le cadre d’un programme de sélection: le
comportement hygiénique. La colonie à gauche a évacué davantage de couvain tué expérimentalement que la colonie à droite.
Pour les deux colonies les photos des résultats ont été prises 12h après réalisation du test dit de l’aiguille (perçage de 50
nymphes avec une aiguille entomologique) (Photos : Matthieu Guichard, Agroscope).
Les caractères quantitatifs sont à déterminisme polygénique (fig. 4): contrairement aux caractères à déterminisme
simple, de très nombreux gènes (souvent de plusieurs centaines à plusieurs milliers) interviennent et peuvent avoir
des effets variables sur les performances. Ces gènes sont dans leur très grande majorité à effets très faibles
(polygènes), quelques dizaines de gènes peuvent avoir un effet faible à moyen quantifiable (QTL, quantitative trait
locus) tandis qu’aucun ou quelques gènes ont un effet majeur sur le caractère. Les mécanismes expliquant les effets
des gènes à effets faibles ou moyens ne sont généralement pas connus, de même que leurs éventuels effets de
dominance entre allèles ou d’interaction entre gènes (épistasie).
Figure 4: Contribution de différents gènes d’effets variables au phénotype observé. Un caractère quantitatif est le plus souvent
conditionné par une minorité de gènes ayant un effet important, et par une majorité de gènes ayant un effet faible à très faible.
Figure d’après Florence Phocas (adaptée avec son aimable autorisation).
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Production de reines fécondées au moyen de nucléi de fécondation dans le cadre d’un programme de sélection
(Photo: Matthieu Guichard, Agroscope).
L’exemple de la production de miel d’une colonie permet de comprendre la diversité de gènes qui contribuent à un
caractère à déterminisme complexe. Une colonie ayant récolté beaucoup de miel peut posséder des capacités de
détection d’une ressource mellifère supérieures, posséder de bonnes capacités de vol, être moins sensible au
pillage, mieux résister aux maladies… Par ailleurs, sa reine peut également avoir de bonnes aptitudes à la ponte, ce
qui se traduira par davantage de butineuses disponibles pour aller récolter le nectar. Ces différents caractères, à
leur tour, sont codés par de multiples gènes. Ainsi, le caractère «production» intègre nécessairement les effets
additifs et d’interaction de très nombreux gènes dont les effets individuels sont difficilement identifiables.
Les caractères quantitatifs sont également très liés aux effets de l’environnement, qui se manifestent de différentes
façons. En effet, les caractères mesurés à l’échelle de la colonie peuvent être affectés par la météo (précipitations,
températures…), mais aussi par l’emplacement du rucher (orientation), les ressources mellifères et polliniques
(présence de fleurs et production de nectar, pucerons…), l’environnement chimique (produits phytosanitaires utilisés
en agriculture, qualité des cires gaufrées, traitements anti-varroa…), les prédateurs et pathogènes présents, les
propriétés de la ruche (format, matériau…) et les interventions de l’apiculteur/trice (formation, technicité). Par ailleurs,
la qualité des reines peut être affectée par d’autres effets d’environnement: ces derniers dépendent de l’historique
d’élevage (qualité du greffage, de l’éleveuse…) et de la qualité des fécondations (nombre et qualité des mâles…).
Ainsi, la variation des caractères quantitatifs dépend essentiellement de deux facteurs : elle est affectée par un très
grand nombre de gènes ayant des effets faibles mais qui se cumulent, et par les effets de l’environnement. Les
similitudes observées entre des apparentés résultent d’allèles communs partagés par ces individus. Cette approche
a été théorisée dès le début du 19e siècle (Fisher 1918) par un modèle génétique dit infinitésimal et un modèle
statistique associé décrivant le phénotype de la colonie en fonction de la somme des petits effets additifs des
nombreux gènes expliquant la variabilité du caractère et des effets d’environnement (fig. 5). Comme dans tout
modèle statistique, une valeur résiduelle traduit l’écart à la performance observée qui n’a pas pu être expliquée par
les autres termes du modèle.
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Figure 5: Modélisation de la valeur phénotypique (caractère observé chez les individus) comme résultante de la valeur
génétique additive des individus (composante génétique pour laquelle la valeur génétique des descendants est en espérance
égale à la moyenne de la valeur génétique des parents) et d’un effet d’environnement.
Partie 2: Application en sélection
2.1 La démarche de sélection
La sélection est un processus qui consiste à choisir les futurs reproducteurs au sein d’une population de candidats en vue
d’améliorer la valeur génétique d’une population pour un objectif de sélection pré-défini (fig. 6). Pour cela, les futurs reproducteurs
doivent avoir un niveau de performance supérieur à la moyenne de la population: un taux de sélection est appliqué à la population
des candidats à la sélection, aboutissant à une différence ΔP, appelée différentielle de sélection, entre la moyenne de la
population et la moyenne des candidats retenus comme reproducteurs. Le but est d’obtenir une réponse à la sélection (R), c’est-
à-dire une performance moyenne des descendants supérieure à la performance moyenne de la génération des parents.
Figure 6: Représentation graphique de la démarche de sélection. La courbe bleue supérieure représente la distribution d’une
population pour un caractère quantitatif: ici, la courbe ressemble à une distribution dite normale, avec une minorité d’individus
ayant des performances extrêmes et beaucoup d’individus proches de la moyenne (ici égale à la médiane de la population,
pointillés bleus). Les meilleurs individus de cette population (zone rouge) sont sélectionnés comme reproducteurs. La courbe
inférieure représente la distribution de la population des descendants des individus sélectionnés. Le but de la sélection est
d’améliorer la population de cette façon au fil des générations, afin de progresser sur un objectif de sélection donné (ex :
abeilles douces, productives, résistantes aux pathogènes…). Figure adaptée d’après(Phocas, 2011)avec l’aimable autorisation
de Florence Phocas.
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Cependant, une réponse à la sélection, et donc un progrès génétique au fil des années peut uniquement être obtenu
si la variation observée dans la population pour le caractère considéré est au moins partiellement d’origine génétique
additive (le caractère est héritable au sens strict). Afin de réaliser une sélection efficace (donc obtenir une réponse
élevée), il est important d’accomplir le choix des reproducteurs en s’affranchissant des effets d’environnement pour
discriminer au mieux les potentiels génétiques des candidats à partir de leurs performances.
2.2 Héritabilité d’un caractère
À ce titre, l’héritabilité au sens strict (h2) est un outil essentiel pour identifier les caractères pour lesquels une part de
la variabilité phénotypique peut être attribuée à une origine génétique additive, donc les caractères pour lesquels le
choix des reproducteurs parmi les meilleurs individus sera susceptible d’augmenter le niveau de performance global
de la population à la génération suivante. L’héritabilité correspond à la part de la variabilité phénotypique (variabilité
observée corrigée des effets d’environnement identifiés) qui est d’origine génétique additive. Elle varie entre 0 (pas
d’influence de la génétique sur la variabilité phénotypique) et 1 (la variation phénotypique du caractère est
uniquement d’origine génétique). Plus le caractère est héritable, plus il est susceptible de pouvoir être amélioré
rapidement par la sélection. Cependant, un caractère peu ou non héritable n’est pas forcément un caractère qui n’a
pas de composante génétique : il est simplement possible que ce caractère n’ait pas de variabilité génétique dans
la population, ou, le plus souvent, que les mesures effectuées ne permettent pas d’identifier cette composante
génétique soit parce que la précision des mesures est trop faible soit parce que la variabilité phénotypique est très
forte en raison d’effets d’environnement non identifiés et induisant une forte variabilité. De ce fait, la précision des
mesures revêt une importance centrale pour aboutir à de meilleures valeurs d’héritabilité: une production de miel
estimée au kilogramme près permettra une meilleure identification de la variabilité du caractère qu’une production
estimée à la hausse près. Par ailleurs, si des effets d'environnement majeurs ne sont pas pris en compte dans
l’analyse du caractère (par exemple, un effet rucher non renseigné dans le jeu de données, ou une hétérogénéité
des conditions d’environnement au sein d’un rucher non relevée par l’apiculteur), une grande partie de la capacité
d’explication de la variabilité observée sera perdue. L’héritabilité peut également fluctuer au cours des générations
de sélection en raison d’une diminution de la variance génétique sous l’effet de la sélection, de l’accumulation de la
consanguinité et de la dérive génétique dans des populations de taille limitée.
La part de la variabilité phénotypique qui n’est pas d’origine génétique additive est due à des effets d’environnement
non identifiés ainsi qu’à des effets génétiques non additifs. De ce fait, l’héritabilité varie suivant la population et les
conditions de mesure : en effet, la variabilité environnementale peut être plus ou moins importante selon les régions.
Par ailleurs, selon les populations, un même caractère peut avoir des causes biologiques différentes : si dans une
population la production de miel est particulièrement impactée par la capacité de détection des ressources, dans une
autre elle pourra plutôt dépendre de la capacité de vol. Cette notion est importante car elle implique que les résultats
obtenus dans une population donnée ne sont pas automatiquement extrapolables aux autres. Par exemple, une
mesure d’héritabilité de la douceur dans une population extrêmement douce (sans variabilité observée) pourrait
laisser supposer que ce caractère ne se sélectionne pas alors que dans une population avec une plus grande
variabilité des comportements, la douceur pourra éventuellement être héritable et donc sélectionnable.
Pour chaque programme de sélection, le calcul des héritabilités au sein de la population considérée est donc
nécessaire afin de déterminer les caractères pour lesquels un progrès génétique pourrait être le plus facilement
obtenu et améliorer la fiabilité de l’évaluation génétique de ces caractères.
2.3 Évaluation génétique des individus
Afin d’identifier les potentiels reproducteurs avec le meilleur potentiel d’amélioration génétique pour la population, la
valeur génétique additive des individus est prédite. Cette prédiction est couramment appelée «index» ou «EBV» (de
l’anglais estimated breeding value) et correspond au potentiel génétique estimé par la part de performance corrigée
des effets de l’environnement de testage et transmissible à la descendance. En Suisse, on parle souvent de valeur
d’élevage au lieu de valeur génétique en traduisant littéralement le terme anglais breeding value.
Cette valeur est estimée à partir des ressemblances phénotypiques entre individus apparentés qui sont évaluées
grâce aux données de performances et de pedigree des colonies (origines maternelles et paternelles des colonies):
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en effet, à performances égales, une colonie dont les apparentés proches (colonies-sœurs, parents, descendants)
auront eu de très bons résultats aura potentiellement une meilleure valeur génétique qu’une colonie dont les
performances des colonies apparentées seront très mauvaises. En effet, dans le premier cas, en comparaison avec
ses apparentées, la performance de la colonie en question pourra avoir été limitée du fait de spécificités
environnementales, alors que dans le second cas elle aura tiré profit de conditions particulièrement favorables.
La valeur génétique d’un individu peut être calculée même s’il ne possède pas de données phénotypiques propres
(performances individuelles), sur la base des phénotypes observés sur ses apparentés et de la connaissance des
coefficients d’apparentement (degré de liens génétiques) avec ces autres individus pour lesquels les performances
ont été mesurées. De cette façon, la valeur génétique d’une génération future peut être déterminée à partir des
informations disponibles sur les parents ; les index des parents contribuent ainsi au choix des accouplements à
réaliser.
Des modèles statistiques sont utilisés pour calculer ces index (Bienefeld et al. 2007; Brascamp et Bijma 2014). Le
modèle de base de l’évaluation génétique décrit le phénotype d’une colonie en fonction de la moyenne générale de
la population pour le caractère, un effet environnemental fixe (rucher-année-apiculteur/trice) et un effet génétique
additif aléatoire des individus associés à la performance de la colonie (reine ou ouvrières).
Modèle étudiant les performances observées en fonction de l’identité des reines:
Performance de la colonie = moyenne de la population
+ Effet génétique de la reine de la colonie
+ Effet de l’environnement
+ Effet résiduel
Modèle étudiant les performances observées en fonction des ouvrières composant la colonie:
Performance de la colonie = moyenne de la population
+ Effet génétique moyen des ouvrières de la colonie
+ Effet de l’environnement
+ Effet résiduel
Ce type d’évaluation génétique est utilisé en routine dans la majorité des filières de sélection animale (bovin, ovin,
caprin, lapin, porc, poissons, volailles). Cependant, à part dans certains cas, comme Beebreed (www.beebreed.eu),
ce système est encore peu utilisée en sélection chez l’abeille domestique. Plusieurs spécificités de cette espèce
compliquent l’application de cette approche.
Premièrement, à la différence des autres espèces, la performance mesurée est celle de la reine de la colonie et de
milliers d’individus non reproducteurs et non identifiables individuellement, ni par leur performance, ni par leur origine
paternelle. En effet, la plupart des caractères sont mesurés sur une colonie, qui est composée pour l’essentiel de
différents groupes d’ouvrières avec des origines paternelles différentes. Cette complexité découle du système de
fécondation multiple de la reine, qui s’accouple avec environ 10 à 20 mâles dans l’environnement. Seule une maîtrise
de ces fécondations, par exemple au moyen de stations de fécondation dédiées ou d’inséminations artificielles,
permet d’apporter des informations génétiques sur la voie mâle.
Il existe donc une incertitude forte sur les coefficients d’apparentements entre individus au sein d’une colonie ou
entre colonies d’une même population échangeant des reproducteurs.
Par ailleurs, ces calculs de coefficients d’apparentements sont encore complexifiés par le système haplo-diploïde de
l’abeille (le faux-bourdon possède un seul exemplaire de chaque chromosome, tandis que l’ouvrière ou la reine en a
deux). Il amène à considérer les reines productrices de faux-bourdons comme des «pères virtuels» diploïdes (à
l’image des autres espèces d’élevage qui sont diploïdes) pour ne pas avoir à gérer directement l’haploïdie et la
multiplicité des faux-bourdons dans les calculs.
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Partie 3: Exemple d’application
3.1 Données et modèle
L’exemple ci-après est adapté d’après la publication de Guichard et al. (2020).
On s’intéresse ici à l’estimation d’héritabilités sur la base de données phénotypiques correspondant à la période
2010-2018 dans deux populations d’abeilles suisses : une population d’abeilles Apis mellifera carnica (Société
Romande d’Apiculture, SAR, 1009 colonies testées) et une population d’Apis mellifera mellifera (mellifera.ch, MEL,
1071 colonies testées). Pour ces colonies, les données phénotypiques suivantes étaient disponibles : production de
miel, douceur, tenue au cadre, propension à l’essaimage, comportement hygiénique vis-à-vis du couvain percé et
infestation à Varroa (infestation au printemps, en été et taux d’accroissement entre les deux périodes). Par ailleurs,
les origines maternelles des reines à la tête des colonies testées ainsi que l’origine des mâles utilisés pour les
fécondations étaient connues.
Les héritabilités (et les erreurs standard associées) ont été estimées pour les différents caractères séparément pour
les effets des reines et ceux des ouvrières. Les valeurs sont présentées dans le tableau 1.
Tableau 1: Héritabilités (h2) et erreurs standard associées pour différents caractères évalués dans deux populations
d’abeilles suisses : mellifera.ch (MEL) et Société Romande d’Apiculture (SAR). Les valeurs sont obtenues pour la
voie mâle par le modèle ouvrière (MO) et pour la voie femelle par le modèle reine (MR).
Caractère MEL
(A. m. mellifera) SAR
(A. m. carnica)
Récolte de miel
MO: h2O = 0,02 ± 0,04
MR: h
2
R = 0,10 ± 0,06
MO: h2O = 0,11 ± 0,06
MR: h
2
R = 0,11 ± 0,06
Douceur MO=: h2O = 0,34 ± 0,09
MR: h2R = 0,32 ± 0,08 MO: h2O = 0,02 ± 0,03
MR: h2R = 0,02 ± 0,04
Tenue au cadre MO: h2O = 0,16 ± 0,07
MR: h2R = 0,12 ± 0,06 MO: h2O = 0,03 ± 0,04
MR: h2R = 0,09 ± 0,05
Essaimage MO: h2O = 0,06 ± 0,05
MR: h2R = 0,07 ± 0,05 MO: non détecté
MR: h2R = 0,01 ± 0,04
Comportement hygiénique MO: h2O = 0,19 ± 0,08
MR: h2R = 0,18 ± 0,08 MO: h2O = 0,06 ± 0,05
MR: h2R = 0,09 ± 0,06
Accroissement de la population de varroas (*) MO: non détecté
MR: non détecté MO: non détecté.
MR: non détecté
* Varroa au printemps et en été: idem
.
3.2 Résultats et discussion
De manière générale, les héritabilités obtenues sont assez faibles. Certaines estimations ont des ordres de grandeur
compatibles avec l’obtention d’un progrès génétique (douceur, tenue au cadre et comportement hygiénique chez
MEL, potentiellement récolte de miel chez SAR).
D’autres valeurs sont très faibles (souvent proches de zéro), ce qui peut être dû à différentes raisons. Par exemple
la qualité des données recueillies par les apiculteurs peut éventuellement souffrir d’un manque de fiabilité pour
certains caractères. Par ailleurs, en cas de mortalité parmi les colonies testées, la connexion génétique entre les
différents ruchers de testage peut s’avérer insuffisante pour estimer sans biais les valeurs génétiques correspondant
à certains caractères.
Cependant, d’autres explications peuvent également être avancées. Comparées aux données de la littérature, les
héritabilités pour la production de miel sont faibles. Les conditions de miellée sont très particulières en Suisse: elles
dépendent des floraisons de printemps (colza, pissenlit), qui varient énormément selon la météo et les années, ainsi
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que de la production de miellat l’été, qui est directement liée aux populations de pucerons et aux conditions de
température-humidité : il est de ce fait possible que la production de miel soit massivement affectée par des effets
(non additifs) d’interaction entre la génétique et l’environnement (section 5.1), ce qui expliquerait la faible héritabilité.
De façon similaire, il n’est pas exclu que la forte densité de colonies dans certaines régions suisses entraîne parfois
une compétition entre colonies (potentiellement entre des colonies situées au même emplacement) pour les
ressources les années où celles-ci sont peu abondantes.
Pour d’autres caractères, par exemple la douceur, la tenue au cadre chez SAR, les faibles héritabilités peuvent
correspondre à une grande homogénéité des colonies composant la population pour ce caractère. Cette explication
est également avancée par les testeurs, qui évaluent souvent des colonies phénotypiquement homogènes avec un
très haut niveau de douceur : la moitié des colonies a une note comprise entre 3,5 et 4 (sur une échelle globale de
1 à 4). Dans ce cas, il est possible que la sélection ait valorisé au maximum les ressources génétiques présentes
dans la population de départ, et qu’il n’existe plus de voie d’amélioration possible, à moins de changer d’échelle
d’évaluation pour traduire le plus finement possible les différences observées entre les colonies.
Dans le cas de l’infestation à varroa, mesurée au printemps, en été, ou exprimée comme taux d’accroissement entre
ces deux périodes, l’héritabilité a été estimée à zéro dans les deux populations. Ceci peut s’expliquer par certains
facteurs environnementaux majeurs mais difficiles à appréhender par les apiculteurs (section 4.1).
Partie 4: Leviers d’amélioration génétique
4.1 Pistes de progrès génétique et limites pour certains caractères
Le progrès génétique permis par la sélection des reproducteurs peut être optimisé de plusieurs façons (fig. 9). En
premier lieu, de meilleurs phénotypes ou protocoles d’évaluation de ces phénotypes peuvent être développés afin
de travailler sur des caractères présentant une meilleure héritabilité. Par ailleurs, la précision de la sélection
(corrélation entre la mesure réalisée et la valeur génétique vraie) ainsi que l’intensité de sélection (pression exercée
par le choix des meilleurs reproducteurs pour un caractère donné) peuvent être accrues. Pour accroître la pression
de sélection, il est important de contrôler la voie mâle et donc de s’assurer de la fiabilité des fécondations réalisées,
par exemple au moyen de l’insémination artificielle. Enfin, l’intervalle de génération peut être réduit afin de produire
davantage de générations sur une même période, permettant à la population de progresser plus rapidement. Des
intervalles de générations courts limitent également le risque de perdre des reines évaluées comme amélioratrices
avant de les utiliser pour produire la génération suivante de reines.
Progrès génétique annuel (en % d’écart-type phénotypique)
E(ΔG) = ∗∗ℎ
avec i intensité de sélection
ρ précision de sélection
h racine de l’héritabilité
T intervalle de génération
Figure 9: Facteurs impactant le progrès génétique annuel. Celui-ci augmente avec l’intensité de la sélection, la précision de
l’évaluation,l’héritabilité du caractère et des intervalles de génération courts.
En ce qui concerne l’infestation à Varroa, la variabilité phénotypique analysée avec les modèles proposés ne permet
pas de déterminer de variabilité génétique associée, qui pourrait être exploitée par le biais de la sélection. Il est
possible que la variabilité génétique soit masquée par des effets environnementaux susceptibles d’affecter
différemment les colonies d’un même rucher. Lors de l’évaluation phénotypique, l’hypothèse de base est que toutes
les colonies présentes sur le même rucher sont soumises aux mêmes conditions environnementales. Cependant,
des transferts de varroas entre colonies au sein du même rucher ou entre colonies de différents ruchers sont
susceptibles de se produire lors d’épisodes de dérive ou de pillage (DeGrandi-Hoffman et al. 2016; Frey et
Rosenkranz 2014; Frey et al. 2011; Peck et Seeley 2019). La situation est favorisée par la densité de colonies à
l’échelle régionale et une faible distance entre les colonies au sein du même rucher.
Concepts de sélection appliqués à l’abeille
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Ces phénomènes sont susceptibles de se produire à l’échelle de plusieurs kilomètres autour du rucher de testage,
ne sont pas visibles par l’apiculteur lors de l’évaluation des colonies et susceptibles de biaiser les valeurs génétiques
prédites.
4.2 Mise en pratique à l’échelle de l’exploitation apicole
La sélection est un processus complexe qui requiert la connaissance de l’identité des reines et des performances
des colonies associées. Les techniques d’élevage et de fécondations contrôlées doivent être maîtrisées afin de
réaliser des accouplements entre les reproducteurs à l’issue du processus de sélection. Suivant l’héritabilité, la
sélection aura un effet plus ou moins important sur l’amélioration des performances.
Sur l’exploitation apicole, la stratégie consiste à d’abord définir l’objectif de sélection. Ensuite, des critères
correspondants à cet objectif, pour lesquels une variation peut être observée parmi les candidats à la sélection,
doivent être choisis. Préalablement à l’évaluation des colonies pour ces caractères, les reines doivent être identifiées
pour éviter de sélectionner des colonies ayant remplacé leur reine entre le testage et le moment de l’utilisation pour
la reproduction. Afin de pouvoir comparer les performances de colonies situées dans différents ruchers, une
connexion génétique entre ces ruchers doit être établie, par exemple au moyen de groupes de colonies-sœurs
réparties entre les ruchers. Par ce biais, les colonies peuvent être comparées les unes aux autres en permettant de
corriger leurs performances de l’effet global du rucher (lié à sa localisation, son apiculteur…). Une fois les meilleures
colonies identifiées indépendamment du rucher grâce au calcul de valeurs génétiques prédites, elles seront utilisées
comme sources de reproducteurs pour la production de reines ou de mâles.
Partie 5: Perspectives
5.1 Effets d’interaction génotype-environnement: apports d’une sélection locale
Les effets génétiques additifs ne sont pas les seuls susceptibles d’impacter le phénotype. En effet, il existe également
des effets d’interaction entre la génétique et l’environnement, c’est-à-dire que des origines génétiques différentes
seront classées différemment suivant les environnements. Cela peut par exemple résulter d’une expression
différentielle de certains gènes dans des environnements particuliers. Un projet de recherche européen a mis en
évidence le fait que de tels mécanismes peuvent contribuer à la survie des colonies : en comparant la survie de
colonies déplacées avec celle de colonies évaluées dans leur environnement d’origine, une survie supérieure de ces
dernières a été obtenue (Büchler et al. 2014). De ce fait, l’utilisation de génétique sélectionnée localement permet
une adaptation des colonies à leur environnement. Ainsi, la sélection locale permet de prendre en compte des effets
génétiques autres que des effets additifs, et ainsi de potentiellement favoriser les allèles favorables aux phénotypes
d’intérêt dans un environnement donné. Cependant, un tel «progrès» sur des effets génétiques non additifs n’est
possible qu’à environnement constant. Dans le cadre du changement climatique, il est difficile d’anticiper les
variations environnementales à venir et donc de juger à quel point des lignées élevées localement seront toujours
adaptées à leur environnement d’origine dans le futur. On ne connait pas non plus la rapidité avec laquelle les
abeilles sont capables de s’adapter à un nouvel environnement.
Par ailleurs, les effets d’environnement ne se limitent pas uniquement aux conditions physiques de l’emplacement
des colonies mais incluent également les pratiques apicoles, qui sont susceptibles de varier énormément entre
apiculteurs et donc d’affecter l’expression de certains caractères, comme l’essaimage : la gestion différente des
colonies selon les apiculteurs (interaction génétique-apiculteur) peut avoir un effet majeur sur l’expression de ce
caractère.
5.2 Utilisation des ressources génétiques sélectionnées: prise en compte de l’effet
d’hétérosis
Outre les effets d’interaction génétique-environnement, d’autres effets génétiques non additifs peuvent contribuer à
la performance de colonies. Lorsque deux populations d’origines génétiques très distinctes sont croisées, la
performance des descendants de première génération (Hybride F1) peut être supérieure à la moyenne des
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performances des deux parents : il s’agit de l’effet d’hétérosis (également appelé «vigueur hybride»). Ceci peut
s’expliquer par le fait que la diversité allélique de l’hybride, résultant des allèles reçus des deux parents, est très
importante comparée à celle de ces derniers. Ainsi, la probabilité de posséder des allèles favorables pour la colonie
est augmentée par rapport aux parents.
En revanche, à partir de la seconde génération F2 (issue d’un croisement F1 x F1), la diversité allélique diminue. De
ce fait, pour continuer à profiter de l’effet d’hétérosis, il convient de revenir à chaque fois à la génération parentale
pour produire les reines des colonies de production. Ainsi, l’élevage de reines de production peut s’effectuer en
parallèle de programmes de sélection sur deux populations parentales, et bénéficier de croisements entre ces deux
populations pour obtenir de meilleures performances pour certains caractères. Cela n’est néanmoins pas
systématique et dépend du caractère considéré. Par ailleurs, la «supériorité» de l’hybride peut aussi potentiellement
correspondre à une modification favorable pour la colonie, comme un comportement de défense accru, mais qui
pourra être défavorable pour la pratique apicole : cela va dépendre des lignées parentales utilisées. L’effet
d’hétérosis sera d’autant plus important que les populations parentales sont génétiquement distinctes. L’utilisation
de l’effet correspond à la valorisation de lignées sélectionnées par l’obtention de produits de croisement terminaux.
Discussion générale et conclusion
Les travaux de Mendel, décrits en préambule, ont une valeur historique dans la compréhension des mécanismes
génétiques, mais ils ne peuvent pas être appliqués de manière générale. Le déterminisme génétique des caractères
est dans l’immense majorité des cas plus complexe qu’un modèle à deux gènes et quatre allèles. Des modèles
similaires de déterminisme génétique simple ont été historiquement proposés pour des caractères complexes,
comme le comportement hygiénique (Rothenbühler 1964), mais ne sont en réalité pas applicables : il convient de
les remettre en perspective de leur contexte historique. Il est donc extrêmement hasardeux de vouloir mettre en
place un programme de sélection sur la base de ces principes. De même, une simplification extrême de certains
mécanismes (ex : Varroa sensitive hygiene VSH, évacuation de couvain infesté par les abeilles), liée à la confusion
entre caractères à déterminisme simple et caractères quantitatifs, peut conduire à l’impression d’un progrès
génétique généralisable, à portée de main. Il est bien établi, dans l’immense majorité des cas, que les caractères en
question sont polygéniques et nécessitent d’appliquer les concepts de la génétique quantitative à la sélection. Les
résultats obtenus (héritabilités, progrès génétiques) sont spécifiques des populations étudiées et ne peuvent pas
être généralisés à d’autres populations. Seule une évaluation attentive de données obtenues localement permet
d’identifier pour quels caractères un progrès génétique est atteignable dans une population donnée.
La sélection est une démarche complexe et n’offre pas une solution immédiate à tout problème. Par exemple, en
vue d’atteindre un objectif de production sur une exploitation, il est préférable de prioriser d’autres approches
zootechniques, qui correspondent à la gestion des colonies par le biais d’un itinéraire technique apicole (contrôles
de l’état des colonies, gestion du cheptel, transhumances, traitements…). L’intégration d’un atelier de production
d’essaims à l’exploitation limite du même coup le besoin de sélectionner des colonies n’essaimant pas, par exemple.
De même, une augmentation de la production de miel sur l’exploitation est plus facilement atteinte en augmentant le
nombre de colonies ou en se déplaçant dans des régions avec davantage de ressources mellifères qu’en
sélectionnant des colonies produisant davantage. En revanche, une fois la conduite de l’exploitation adaptée à
l’objectif de production, un progrès génétique peut être obtenu sur le plus long terme, en cumulant d’année en année
les gains génétiques réalisés : la sélection constitue alors une solution pérenne pour l’exploitation et un levier de
progrès des performances. Elle nécessite cependant un encadrement rigoureux pour être efficace : il est essentiel
de documenter le travail réalisé (recueil des données de performance…) et de favoriser les partenariats recherche-
apiculteurs/trices pour le pilotage de ces démarches (intégration du calcul d’héritabilités, de valeurs génétiques,
d’estimation de progrès génétique). Ce type d’approche devrait permettre à la sélection de jouer un rôle de premier
plan dans l’obtention de cheptel apicole adapté aux conditions locales et aux attentes des apiculteurs.
Concepts de sélection appliqués à l’abeille
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Impressum
Éditeur
Agroscope
Schwarzenburgstrasse 161
3003 Bern
www.agroscope.ch
Renseignements
Matthieu Guichard
matthieu.guichard@agroscope.admin.ch
Relecture
Sibylle Willi
Mise en page
Müge Yildirim
Copyright
© Agroscope 2020
ISSN
2296-7230 (online)
DOI
https://doi.org/10.34776/at333f