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La recomposition des espaces de travail et l’impact sur l’innovation collective

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Abstract and Figures

http://doi.org/10.2307/j.ctv18b5cx8.24
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Comprendre la recomposition des espaces de travail et l’impact sur l’innovation
collective : une proposition d'ancrage dans les idéologies contemporaines
Guillaume Blum, Thomas Coulombe-Morency
À paraître dans V. Lehmann et V. Colomb (Eds), Innovation collective : enjeux,
dispositifs, acteurs. Presses de l'Université du Québec
S’il est un paradoxe dans notre société matérialiste et consumériste, c’est de mettre de
côté l’environnement matériel pour mieux se concentrer sur les activités nobles de
l’esprit. Inscrite dans la perspective cartésienne de la dichotomie du corps et de l’esprit,
cette vision des choses « déchosifiées » amène souvent à s’intéresser aux phénomènes
et enjeux humains en dehors de leurs considérations spatiales et incorporées. Or « la
réalité se présente à la conscience de l’individu sous deux visages: celui du monde
extérieur et celui du monde intérieur. Un monde de matière et un monde immatériel ; un
monde d’objets physiques, d’événements et un monde de signification, de sens » (Vallée,
1985, p. 223). Ainsi, on oublie souvent de prendre en considération l’impact de
l’environnement physique dans l’analyse des dynamiques humaines et sociales, ce qui
s’avère également vrai dans le cadre des contextes d’innovations collectives.
Symétriquement, on oublie que notre univers matériel est la résultante des idées,
représentations, valeurs, idéologies de leurs époques respectives. Dans le cadre des
espaces organisationnels, tout se passe comme si l’univers matériel et l’univers
immatériel étaient confrontés à deux solitudes. Or dans les faits, nous connaissons tous
les impacts d’environnements de travail difficile ou au contraire, propice à des formes de
productivité, d’échange, de partage.
Le chapitre vise à établir des pistes de réflexion préliminaires sur l’impact qu’ont les
espaces de travail sur l’innovation collective et la création de savoirs en réfléchissant aux
origines des transformations des espaces de travail dans l’univers organisationnel, à ses
impacts sur les individus et sur leur travail collectif et en élaborant une ébauche de
réflexion sur les liens entre idéologies contemporaines et la matérialisation de ces
dernières dans les espaces. Il vise à permettre 1) aux utilisateurs de rendre visibles des
phénones invisibles induits par les espaces de travail sur leurs pratiques d’innovation
collective ; 2) aux concepteurs d’espaces de travail de prendre une distance critique sur
leurs pratiques et notamment sur les idéologies et valeurs sous-tendant leurs choix. Ce
chapitre présente notamment le paradoxe suivant : derrière la volonté de favoriser
l’innovation collective, par l’impact invisible de ces pratiques issues d’idéologies
contemporaines, les espaces de travail limitent les possibilités effectives de celle-ci.
Ce travail repose sur le croisement de deux types de réflexion basés sur des observations
1) sur les espaces de travail, observés depuis plusieurs années à travers des visites, des
interventions dans le cadre d’espaces de travail collaboratifs ainsi que des visites
d’espaces de travail dans les organisations contemporaines ; 2) sur une recherche de
compréhension des idéologies présentes dans les organisations menant à des actions et
des prises de décision, organisant la vie des acteurs de l’organisation dans leur quotidien,
et donc dans le cas présent, dans leur espace.
Blum, G., & Coulombe-Morency, T. (2020). La recomposition des espaces de travail et l’impact sur l’innovation collective. Dans V.
Lehmann & V. Colomb (Éds.), L’innovation collective. Quand créer avec devient essentiel. (p. 231252). Presses de l’Université du
Québec.
Pré-impression. La version finale de ce travail est publiée dans :
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L’innovation collective
Dans le cadre de ce texte, l’innovation est définie comme « le processus de création,
invention et exploitation des idées nouvelles par et pour les humains dans la sphère
socioéconomique » (Bédard, Ebrahimi et Saives, 2010, p. 387). L’innovation collective
s’intéresse donc spécifiquement à la dimension sociale, impliquant des humains
travaillant collectivement dans ce type de processus. Bien que s’appliquant à l’ensemble
du processus d’innovation collective, le regard est posé plus spécifiquement sur les
phases amont, notamment celles reliées à la création de connaissances. Ce travail à
plusieurs peut se faire à distance mais on parlera alors plus d’innovation collaborative
à travers des outils dits, eux aussi, collaboratifs ou il peut se faire de manière plus
« organique », donc dans le cadre d’interactions dans l’espace physique. L’innovation
collective est donc observée comme un processus reposant sur une certaine qualité
d’interactions entre individus, afin de favoriser la qualité des échanges, la capacité à créer
un espace favorisant la notion de « flux », c’est-à-dire un moment où « ce que nous
sentons, ce que nous souhaitons et ce que nous pensons sont en totale harmonie »
(Csikszentmihalyi, 1997, p. 29, traduction libre). Ce phénomène de flux permet donc de
mettre en œuvre le contexte spécifique à un travail innovant, en mettant en offrant les
conditions de la création d’un « ba » (Nonaka et Konno, 2007). Le concept japonais de
ba fait référence à un espace partagé, qui peut être physique, virtuel ou mental. Le ba est
une plateforme d’émergence de connaissances collectives. Il est défini « comme un
contexte partagé en mouvement. À travers les interactions avec les autres et
l’environnement, aussi bien le contexte du ba que ses participants croissent. Les
nouvelles connaissances sont créées à travers ces changements dans des contextes et
significations » (Nonaka et Toyama, 2005, p. 428, traduction libre). Dans cette
perspective, l’innovation collective et la création de savoirs naissent des échanges entre
les individus, favorisés à la fois par leur « proximité cognitive et affective », mais
également par l’organisation des espaces de travail.
Un des paradoxes fondamentaux dans la conception de ces espaces relève de l’écart
entre cette justification pour laquelle ils sont mis en place favoriser l’innovation
collective et l’absence généralement totale de participation des (futurs) usagers dans
la conception de ces espaces, reposant sur un supposé « savoir expert » (en fait plus
basé sur des tendances et des modes que sur des faits), donc de dimension collective.
Il serait pourtant aisé dans de nombreux cas de mener des activités de co-design, ce qui
n’est généralement pas le cas, ou alors pour justifier les choix déjà établis. Autrement dit,
les spécialistes organisant l’espace pour favoriser l’innovation collective ne sont pas des
praticiens de cette dernière. Il n’est donc pas surprenant de constater que l’organisation
des espaces de travail sur les bases généralement avancées ne favorise pas l’innovation
collective.
Pour arriver à ce constat, nous présenterons dans un premier temps les tendances
actuelles dans les sphères sociopolitique, technologique et économique, et les valeurs
idéologiques contemporaines associées à ces tendances. Dans un second temps, nous
présenterons les conséquences pratiques sur les espaces de travail associées à ces
valeurs idéologiques. Dans une dernière partie, nous chercherons à déterminer les
impacts de cette matérialisation des valeurs idéologiques sur les besoins des individus
et leur capacité à travailler de manière collective.
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1. Dynamiques des idéologies contemporaines
S’attaquer aux spécificités idéologiques d’une époque, qui plus est contemporaine, n’est
pas une mince affaire. Nous avons sélectionné celles que nous trouvions les plus
saillantes, car intégrées de manière invisible dans l’aménagement des espaces de travail,
que nous avons regroupées en trois sphères, soit : 1) les sphères économiques, 2)
technologiques et 3) sociopolitiques, donnant lieu à des croyances et des valeurs
largement partagées, correspondant à l’idéologie dominante (voir la figure 1). Bien que
nous décrivions succinctement chacune de ces valeurs indépendamment les unes des
autres, elles sont interreliées puisqu’elles définissent l’idéologie contemporaine.
Figure 1 - Grandes tendances idéologiques contemporaines
Concernant la sphère sociopolitique, la tendance contemporaine correspond à la
démocratie comme mode d’organisation sociale et forme politique de représentation,
c’est-à-dire à un régime politique où le peuple exerce lui-même sa souveraineté, ce qui
se concrétise la plupart du temps par une assemblée de représentants élus. Ce régime
pousse à deux valeurs: la transparence et l’autonomisation.
La transparence est le phénomène que Michael Schudson (2015) décrit comme un droit
de savoir, s’appliquant d’abord au fonctionnement démocratique des États-Unis,
s’élargissant aux autres institutions et aux autres États. Dans cette perspective, le secret
est considéré comme malsain et relevant d’une exception qu’il convient le plus possible
d’éviter. Aujourd’hui, le phénomène touche l’individu, invité à faire preuve de
transparence et à partager données, opinions, etc. ainsi que des institutions jusqu’ici
épargnées telle la justice et le secret de l’instruction, ce qui n’est pas sans risque
(Olivennes et Chichportich, 2018). Ainsi, en 2009, Éric Schmidt alors P-DG de Google
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avait déclaré « Si vous souhaitez que personne ne soit au courant de certaines choses
que vous faites, peut-être que vous ne devriez tout simplement pas les faire. C’est une
question de discernement » (Manach, 2010).
Parallèlement, l’idée de démocratie suppose des individus autonomes et donc une forme
d’autonomisation est poussée à l’ensemble des activités sociales comme valeur
politique. Associée à l’action de «se rendre autonome », l’autonomisation est un
processus social multidimensionnel qui aide les individus à prendre le contrôle de leur
propre vie. C’est un processus qui incite les personnes à utiliser leur vie, leur
communauté et leur société en agissant sur des questions qu’elles considèrent comme
étant importantes. On amène donc au niveau de l’individu un projet politique sous-tendu
par la démocratie (Perkins et Zimmerman, 1995).
La sphère technologique, pour sa part, est dominée par une dynamique très forte des
enjeux touchant au numérique. Celle-ci engendre d’énormes transformations
contemporaines, notamment sur le plan de la numérisation des processus, des modes
de communications, des outils de travail, etc. Ces transformations ont d’ailleurs été
qualifiées par certains de troisièmes révolutions industrielles (parfois également de
quatrième, cinquième ou pourquoi pas neuvième révolution industrielle). Cela se traduit
par l’émergence de trois idéologies associées: la désintermédiation, le solutionnisme
technologique et la virtualisation.
La désintermédiation est le phénomène social se traduisant par la réduction ou la
suppression des groupes ou institutions intermédiaires, s’instituant comme forme
idéologique et comme mode d’organisation dominant correspondant à la deuxième
phase de la 3e révolution industrielle (Blum, 2018).
Le solutionnisme technologique (Morozov, 2014) correspond à une forme de pensée
linéaire, cherchant à comprendre la réalité à travers le prisme « problème observé -
solution (technologique) à mettre en œuvre ». Toute activité est donc traduite sous la
forme d’un problème qui devra être solutionnable par la technologie. Et tout ce qui n’est
pas traduisible dans ce cadre est évacué comme non pertinent. Cela pousse à une
simplification réductrice de la réalité comme un jeu de problèmes à résoudre et de
solutions à apporter.
La virtualisation consiste à privilégier les activités relevant du numérique sur celles
relevant du monde physique, non pour des caractéristiques supérieures avérées, mais
par préférence idéologique. On trouvera les racines de cette préférence dans la
séparation cartésienne entre ce qui relève de l’esprit et ce qui relève du corps, entre le
pur et l’impur. Il est par exemple beaucoup plus facile aujourd’hui de trouver du
financement pour le lancement d’une entreprise numérique (développant par exemple un
logiciel ou un service web) que pour une entreprise développant un produit matériel
innovant à coûts et chiffres d’affaires équivalents. On privilégiera toute forme d’activité
virtuelle, par exemple la conservation d’archives en format numérique à un support
papier. Une « solution » de communauté en ligne sera privilégiée sur une communauté
« hors ligne », y compris dans des milieux professionnels ne disposant ni du matériel
nécessaire ni de la connectique. En virtualisant tout un ensemble d’activités, on les rend
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“calculables” à travers un processus algorithmique et donc visibles et réutilisables pour
d’autres finalités déconnectées de leurs formats et objectifs initiaux.
Finalement, concernant la sphère économique, la tendance actuelle relève du
capitalisme financier, c’est-à-dire un mode d’organisation économique basé sur la
propriété privée des moyens de production visant une finalité financière: le profit. Dans
le capitalisme financier, le produit ou le service est le moyen de réaliser un profit, ce qui
correspond à une forme d’inversion des fins et des moyens.
Là où le capitalisme industriel investissait dans les moyens de production, dans
l'optimisation de celle-ci et visait un rendement des investissements à moyen ou long
terme, le capitalisme financier repose sur trois caractéristiques institutionnalisées en
valeurs sociales dans les sociétés soumises à ce régime économique (Bédard et al.,
2011). 1) Une forme privilégiée d’immatérialité en privilégiant les investissements
immatériels spéculatifs sur les actifs tangibles, car plus souples et facilement
déplaçables. L’immatérialité économique peut se rapprocher de la virtualisation
précédemment évoquée, avec une distinction importante: là où la virtualisation focalise
sur la forme de technologie numérique privilégiée à la forme matérielle, l’immatérialité se
focalise sur les caractéristiques économiques permettant un échange libéré des
contraintes d’espace et de temps. 2) La seconde caractéristique consiste en une
recherche de la maximisation des profits sans recherche de compromis ou d’équilibre
avec d’autres objectifs (bien-être au travail, augmentation des salaires, etc.), avec toutes
les dérives humaines et sociales pouvant découler de l’absence de recherche de
compromis entre intérêts divergents des multiples parties prenantes. 3) La recherche
d’immédiateté, avec une échéance des rendements sur le court, voire le très court terme.
Cette dernière caractéristique est à rapprocher de la notion de présentisme (Hartog,
2003), c’est-à-dire cette caractéristique de la société contemporaine à être centrée sur
le moment actuel, l’instantanéité, sans capacité ni à prendre en considération le passé,
ni à se projeter dans l’avenir et donc à créer du sens.
2. Traduction matérielle sous forme de pratiques des grandes valeurs idéologiques
dans les environnements de travail
À partir de ces tendances, observons à présent les impacts concrets dans les
environnements de travail à travers un ensemble de pratiques en découlant. Ces
pratiques ont d’abord été identifiées 1) comme touchant aux environnements de travail
2) sur la base des observations réalisées et 3) ayant un impact sur les dynamiques
humaines au travail. De manière non exhaustive, nous avons identifié sept pratiques
reliées à ces courants idéologiques: les environnements à aire ouverte, l’autogestion des
espaces, l’augmentation des travailleurs autonomes et des espaces de coworking,
l’analyse des usages des espaces en termes de client, l’analyse financière des espaces,
le bureau flexible et le télétravail. Les descriptions de ces pratiques concrètes dans
l’organisation des espaces de travail et leurs liens avec les idéologies contemporaines
sont décrites dans cette section et synthétisées sur la Figure 2.
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Figure 2 : Traduction matérielle des valeurs idéologiques dans les environnements de
travail sous forme de pratiques
L’environnement à aire ouverte découle du concept de transparence, soit l’une des
représentations les plus évidentes de la traduction matérielle des valeurs idéologiques
dans les environnements de travail. Ce concept a d’ailleurs été développé en 1950 par
les deux frères et consultants allemands Eberhard et Wolfgang Schnelle. Ce type
d’aménagement a connu un véritable succès aux États-Unis et s’est largement répandu
en Europe depuis 1980 (Pierrette et al., 2014). Les intentions se trouvant derrière cette
nouvelle forme d’aménagement dans des contextes de travail sont triples. En effet, les
aménagements à aires ouvertes cherchent 1) à améliorer la communication entre les
collègues pour conséquemment faciliter les travaux et les projets d’équipe (donc
l’innovation collective), 2) à optimiser et sauver de l’espace et 3) à rapprocher les
employés de leurs employeurs (Pierrette et al., 2014). S’il n’existe pas de définitions, de
tailles, ni de recommandations spécifiques pour ce type d’aménagement, car la
disposition de ces espaces de travail dépend directement des entreprises ou des
organismes qui les gèrent, on peut tout de même y observer certaines caractéristiques
récurrentes telles que : la présence de vitre, l’absence de cloison et/ou de séparation,
l’absence d’avantages physiques pouvant témoigner d’une certaine hiérarchie (pas
d’espace supplémentaire ou de bureaux plus gros pour les responsables ou les plus
hauts placés).
L’autogestion des espaces de travail correspond à la responsabilité donnée aux
utilisateurs de l’espace de travail de l’entretenir par eux-mêmes, de se responsabiliser
sur son entretien, son rangement, son micro-aménagement, son micro-management,
etc. L’un des enjeux centraux souvent observés est relié aux espaces communs, telles
la cuisine, les salles de réunions. Il s’agit par exemple d’activité de réservation de salle,
de réservation d’espaces, de collecte de données sur l’utilisation temporelle des
espaces, etc. Ces activités passent souvent par un système de gestion de l’information
spécialisé dans la gestion des espaces de travail tel Cosoft ; Coworkify ; CoWork.io ;
CoworkingNext, etc. Ce phénomène trouve ses origines dans la volonté
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d’autonomisation des employés, qui deviennent « responsables de leurs espaces » et
dans la désintermédiation à savoir la suppression d’un groupe d’individus en charge
spécifiquement de cette dernière.
Du fait des phénomènes d’autonomisation des individus poussant l’idée d’une maîtrise
de sa destinée indépendante d’un employeur pouvant être perçue comme dictatoriale ou
autoritaire, et du phénomène de désintermédiation poussant à mettre en relation directe
sur un “marché de l’emploi et des compétences” les fournisseurs de service
indépendants avec leurs donneurs d’ordre, on observe, depuis plusieurs années, une
croissance du nombre de travailleurs autonomes (ce qui peut être fait en France sous le
statut d’autoentrepreneur) et, conséquemment, des espaces de coworking. Bien que ce
phénomène soit plus fort pendant les périodes de crise, il reste fort y compris pendant
les périodes proches du plein emploi. Pour les travailleurs autonomes, un des enjeux
importants est de lutter contre une forme de solitude au travail et de désocialisation.
Ainsi, un certain nombre de travailleurs autonomes s’organisent pour travailler dans des
espaces de coworking de plus en plus nombreux. De fait, dans le centre de Paris, environ
un tiers des prises à bail sont le fait d’entreprises de coworking (Treguier, 2018). En
France, une étude de 2017 montrait une augmentation de +126% des travailleurs
autonomes en 10 ans (Malt et OuiShare, 2017).
L’analyse des usages en termes de client des espaces correspond à une approche ou
l’usager des espaces est considéré comme un client à satisfaire. On assiste à un
phénomène de clientélisation, c’est-à-dire la transformation de l’usager en client,
produisant deux effets, l’un du côté « de l’offre » (en amont) et l’autre du côté de « la
demande » (en aval). En amont, les entreprises, ou gestionnaires d’espaces vont observer
les usagers-clients dans un rapport de type « offre de service ». Le client est alors un
individu à satisfaire, ce qui exclut le plus souvent les dynamiques collectives de la
réflexion, sauf si elles sont portées par les individus. En aval, les usagers-clients entreront
dans un rapport de satisfaction des besoins et attentes là encore de type individualisé.
Ce type d’approche provient de l’analyse et des théories issues du marketing, basées
sur une relation abstraite aux personnes perçues comme des clients, dont il s’agit de
déterminer les attentes sur la base d’un rapport de satisfaction selon des méthodes
quantitative et qualitative. Dans ce contexte, la personne est ramenée à l’état de client,
c’est-à-dire en éliminant ses caractéristiques ne relevant pas d’un rapport marchand au
travail. En procédant de la sorte, c’est la logique collective qui est exclue du champ
d’analyse, au profit des caractéristiques individuelles. Cette forme d’analyse est issue de
deux formes idéologiques. 1) La désintermédiation, car la forme intermédiaire que
constitue le collectif ou le groupe est éliminée au profit d’une forme de réductionnisme
visant à percevoir les groupes comme un ensemble d’individus, et donc à reporter
l’analyse à sa plus simple expression individuelle. 2) Le solutionnisme, car on favorise
une approche outillée par les approches du marketing offrant des solutions toutes faites
à des problèmes d’utilisabilité des usages sans recourir à des experts de la question.
L’autre écueil tiré d’une perspective réductrice issue du monde de la gestion correspond
à la prise en considération des espaces de travail sur la base de leur analyse financière.
Cela suppose de ne considérer comme caractéristique visant à prendre des décisions
que les critères relevant d’une forme de quantification monétaire s’inscrivant dans une
forme de rationalité économique, et leur perspective de rendement financier entre autres
à travers une optimisation en matière de coût par mètre carré. Cela revient à percevoir
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les espaces comme une source de coût à rentabiliser, sous la forme d’un ratio du type
augmentation de la quantité de travail / coût marginal associé. On choisira alors le niveau
optimal, c’est-à-dire les dépenses ayant un impact positif sur le rendement au travail, et
on éliminera les dépenses n’ayant pas de retour sur investissement assez rapide. Bien
sûr, il est rare de voir cette perspective clairement affichée ou mise en avant, mais au
moment ultime de décision, c’est souvent ce critère plus qu’un autre qui fixera les choix
à prendre sur l’organisation des espaces. Avec toutes les conséquences, souvent bien
plus importantes en matière de coût relié à des espaces mal pensés organisés
inadaptés. Cette perspective trouve son origine dans la tendance du capitalisme
financier, et plus spécifiquement à travers les critères de maximisation des profits et
d’immédiateté, débouchant sur l’absence de prise en considération par exemple du
coût réel sur la durée (par exemple, lors d’un agrandissement, lorsque les espaces de
travail ont des conséquences sur l’efficacité au travail, etc.).
Une autre pratique forte que l’on retrouve dans l’organisation des espaces de travail est
celle du « flex office » ou du bureau flexible (également nommé bureau nomade), qui
consiste à offrir un espace de travail sans lieu ou bureau fixe associé, attribué à des
individus, mais des espaces dépersonnalisés ou plutôt « pré-personnalisés » selon
plusieurs ambiances normalisées et uniformisées (uniformisantes?) que les individus
choisissent selon leurs humeurs, leurs besoins et leurs disponibilités. Ainsi, selon le
moment de la journée, un individu sera amené à travailler proche d’une fenêtre, dans la
salle de réunion avec une équipe projet, dans la zone café de l’entreprise, dans l’espace
détente puis dans des espaces d’isolement. Encore une fois, si l’idée peut paraître bonne
à première vue, cette pratique ne prend pas, ou que peu, en considération les besoins
humains de territorialisation et d’encastrement dans des lieux, et a des impacts sur les
dynamiques collectives. Par exemple, l’usage de photos de proches, de personnalisation
des espaces de travail à travers l’usage de tableaux, d’objets personnels, répond à un
besoin humain d’appropriation de l’espace. Or, cette appropriation n’est plus possible
dans le cas de bureaux flexibles, puisque l’espace n’est plus spécifiquement associé à
une personne qui sera amenée à se déplacer dans le courant du mois, de la semaine, de
la journée. Avec pour impact une forme de dépersonnalisation de l’environnement de
travail, et donc d’insensibilisation ou de distanciation subjective. Cette pratique rend
également plus difficiles les dynamiques collectives, en « éparpillant l’équipe façon
puzzle » au sein de l’organisation, en créant des liens uniquement au besoin (par exemple
lors d’une rencontre de travail). Or, pour travailler efficacement ensemble, une équipe a
besoin de se connaître, de savoir décoder des signaux tacites, qui nécessitent une
proximité cognitive et souvent affective avec les autres membres de son équipe, ce qui
suppose de se voir lorsqu’il n’est pas (formellement) nécessaire de se voir. Les fameuses
réunions de couloir, les discussions fortuites permettant le développement des
conditions nécessaires à ces dynamiques de créations collectives. Cette pratique du
bureau flexible repose sur 1) l’autonomisation, car les individus doivent être capables de
s’organiser par eux-mêmes; 2) la désintermédiation, car puisque la structure s'aplanit, ils
ne relèvent plus autant d’une équipe, mais s’intègrent dans une entreprise réseau,
dynamique, se construisant et se déconstruisant au gré des jours et des projets; 3) la
maximalisation des profits, car la pratique découle d’abord d’un constat de sous-
utilisation des espaces et d’amélioration du taux d’occupation (plafonnant généralement
à 60% en cas d’utilisation traditionnelle) ; et enfin 4) l’immatérialité, car ce dernier point
est nécessaire pour permettre un bureau sans espace fixe et donc sans entreposage de
biens.
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La dernière pratique mise en avant, se retrouvant dans le monde du travail, est celle du
télétravail, correspondant à la possibilité laissée aux employés de travailler à distance
hors de leur lieu de travail. Bien que cette pratique ait toujours existé, elle est de plus en
plus mise en avant par les entreprises comme une pratique souhaitable. Cette pratique
repose sur les idées 1) d’autonomisation des individus à qui on peut faire au moins une
relative confiance pour mener à bien leur travail sans surveillance directe (ou matérialisée
à travers les espaces de travail) ; 2) de virtualisation permettant de retrouver son
environnement de travail indépendamment du lieu physique où le travailleur se trouve à
partir du moment où il dispose d’une connexion internet ; 3) de l’immatérialité, car en
privilégiant les investissements immatériels sur les actifs tangibles, on préférera investir
dans le système d’information que dans des bureaux en centre-ville dont le coût est
directement mesurable et tangible chaque mois.
Ces sept pratiques matérialisant les idéologies contemporaines dans les espaces de
travail ne fonctionnent bien sûr pas en vase clos, mais sont également interreliées. Par
exemple, le bureau flexible favorise (et repose sur) le télétravail, mais suppose également
des formes d’autogestion des espaces qui sont souvent reliés à une forme d’analyse
financière des espaces (généralement, un bureau assigné n’est pas utilisé plus de 60%
du temps) et disposent souvent de nombreuses aires ouvertes. Les usagers y sont perçus
comme des clients des espaces. Ces pratiques ont des impacts importants.
3. Les impacts des pratiques de matérialisation des valeurs idéologiques dans les
environnements de travail sur les dynamiques sociales et humaines.
Si la dernière section expliquait la traduction matérielle sous forme de pratiques des
valeurs idéologiques dans les environnements de travail, cette section-ci présente une
compréhension des impacts de ces pratiques sur les dynamiques sociales et humaines.
Dans le cadre du présent chapitre, ces dynamiques seront comprises sous l’angle de la
réponse aux besoins humains et seront explorées à l’aide d’une interprétation de la
classification proposée par Abraham Maslow.
La théorie de Maslow (1943) est une théorie de la motivation issue du domaine de la
psychologie classifiant cinq types de besoins humains non hiérarchisés, contrairement à
la représentation populaire, mais erronée, véhiculée par les ouvrages de marketing, de
leadership et de management (Dye et al., 2005). Il est en effet courant de voir ces besoins
ordonnés sous la forme d’une pyramide, il serait impossible d’atteindre le dernier
niveau se caractérisant par l'épanouissement et le développement personnel si les
besoins fonctionnels de base n’étaient pas satisfaits (et pareillement pour chaque étape
préalable à la suivante). Cette représentation erronée en dit long en elle-même sur les
représentations idéologiques de l’occident contemporain. La hiérarchisation traduit en
effet les valeurs dominantes occidentales depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Cette
forme erronée à d’importants impacts, notamment sur les pratiques de management
dans les entreprises, les gestionnaires chercheront prioritairement à répondre aux
besoins considérés comme les plus fondamentaux, car permettant la réalisation des
autres besoins, toujours selon cette fausse représentation. En promouvant une
représentation non représentative de la réalité et de la diversité humaine, cette pyramide
des besoins se traduit en démarche prescriptive sans fondement scientifique. Par
exemple, elle ne permettra pas de comprendre que des manifestants du mouvement des
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gilets jaunes mettent en jeux leurs besoins physiologiques face à la violence des forces
de l’ordre, pour satisfaire leurs besoins d’estime et d’appartenance.
Or, la catégorisation de Maslow permet d’illustrer clairement le propos en suggérant une
classification de base qui est simple, attrayante, ordonnée et intuitive. Elle a toutefois fait
l’objet de critique notamment sur les éléments suivants : 1) il existe très peu de données
empiriques pour supporter les conclusions de cette théorie ; 2) elle assume que tous les
employés manifestent les mêmes types de besoins ; et enfin 3) elle est davantage une
théorie de la satisfaction au travail qu’une théorie de motivation au travail (Graham et
Messner, 1998). À partir de sa catégorisation non hiérarchisée, nous adapterons les
besoins sur des bases fonctionnelles, émotionnelles et psychologiques, en détaillant
plusieurs caractéristiques importantes dans le cadre de l’analyse des espaces de travail
(voir la Figure 3).
Figure 3 - Caractéristiques des besoins fonctionnels, émotionnels, psychologiques
dans le cadre de l’analyse des espaces de travail
Ainsi, pour obtenir une meilleure compréhension des impacts de la matérialisation des
valeurs idéologiques dans les environnements de travail sur les dynamiques individuelles
et collectives (ici représenté sous la forme des besoins humains), ces deux variables ont
été croisées et ont été illustrées dans deux figures. La figure 4 représente les impacts
positifs et la figure 5 les impacts négatifs de la matérialisation des valeurs idéologiques
dans les environnements de travail sur ces dynamiques. Ces deux figures permettent
d’un coup d’œil de cerner la nature des impacts de chacune des matérialisations
idéologiques. Afin d’en faciliter la lecture, nous partirons de l’exemple des impacts
positifs et négatifs des environnements à aire ouverte.
11
Figure 4 - Impacts positifs de la matérialisation des valeurs idéologiques dans les
environnements de travail sur les dynamiques individuelles et collectives
Figure 5 - Impacts négatifs de la matérialisation des valeurs idéologiques dans les
environnements de travail sur les dynamiques individuelles et collectives
12
Il est intéressant de s’attarder à la pratique de la conception des environnements à aire
ouverte notamment en raison du fait qu’elle est une des traductions matérielles sous
forme de pratique des idéologies décrites les plus communes et les plus connues. Parmi
les impacts positifs observés sur les dynamiques humaines et sociales de travail, on
compte des effets sur le partage de la lumière naturelle, l’apparition d’une
démocratisation des espaces (la justice) et le développement d’un lien avec une
communauté. L'apparition du décloisonnement des espaces au sein d’un environnement
de travail, peut être interprétée comme le reflet d’un mouvement critique sur la hiérarchie
au travail et la technocratie. Elle a comme prémisse le développement d’un modèle
d’environnement physique de travail plus organique, naturel et humain qui est davantage
axé sur l’amélioration de la performance, la réduction de la hiérarchie et l’ouverture aux
idées des employés (Vitaud, 2017). Cela s’inscrit dans une vision plus horizontale du
travail, par opposition à la vision verticale traditionnelle de la hiérarchie. En ce sens, le
nouveau partage des espaces témoigne aussi d’une conception nouvelle des équipes de
travail, davantage conceptualisée comme une communauté de travail ou la contribution
de chacun est valorisée. Entre autres bénéfices, elle a des répercussions concrètes sur
l’accessibilité à la lumière naturelle puisque l’absence de limites spatiales (de murs)
permet une meilleure diffusion de celle-ci au sein de l’espace. Dans cette optique, la
lumière naturelle n’est plus le privilège des dirigeants et devient accessible à l’ensemble
des employés sans égard à leur statut.
Un paradoxe : à (mal) chercher l’innovation collective, tue-t-on cette dernière ?
Ces environnements de travail ne sont pas exempts d’impacts négatifs (voir la figure 5).
Notamment, ils ont été critiqués comme nuisibles à certains besoins des travailleurs.
Parmi les critiques on retrouve, le niveau de bruit, une diminution de l’intimité, une
modification des habitudes et des routines de travail de même qu’une diminution
qualitative des relations interpersonnelles entraînant une baisse de la collaboration. Selon
les résultats d’un sondage ayant été conduit par la Haute École de Lucerne en 2010 (dans
Pierrette et al., 2015) le bruit, au sein des environnements de travail à aire ouverte, serait
considéré comme étant le facteur le plus irritant d’après les employés du Secrétariat
d'État à l'économie en Suisse. Les résultats de ce sondage s’arriment d’ailleurs à une
multitude d’autres recherches - et de nos propres observations - qui ont démontré que
l'environnement acoustique était considérablement moins satisfaisant dans les bureaux
ouverts que dans les bureaux privés. Pour s’en prémunir, nombre de travailleurs
choisissent alors l’usage de casques d’écoute, créant un sentiment d’indivualisation du
travail. Les collègues ont alors un incitatif « à ne pas déranger », ce qui diminue le niveau
d’échanges et de relation à l’autre, en plus d’isoler les individus en transformant des
collectifs en somme de personnes, impactant le niveau des relations interpersonnelles.
Autre point gatif des environnements à aire ouverte, la question de l’intimité. Les
recherches de Pierrette et al. (2015) soulignent, en prenant le soin de citer les propos
d’Alexandre des Isnards et de Thomas Zuber (2008) que les employés se sentent
espionnés par leurs employeurs et leurs collègues lorsqu’ils doivent travailler dans de
telles conditions. Ce problème complexifie aussi toute tentative de personnalisation des
bureaux, sous peine de rendre l’environnement de travail surchargé et incohérent. En
effet, si chacun surpersonnalise son bureau, cela crée un chaos visuel pénible pour tous.
Il est donc difficile de trouver un compromis entre l’appropriation de l’espace et le
maintien d’un environnement de travail non chaotique, ce qui peut être source de tension
et de directive sur le maintien de la cohérence des espaces. Par exemple, la méthode
13
dite des 5S (Seiri, Seiton, Seiso, Seiketsu, Shitsuke en japonais, soit en français
Débarrasser, Ranger, Nettoyer, Maintenir l'ordre, Être rigoureux) repose sur une vision
fonctionnelle des espaces de travail qui permettrait une optimisation des espaces
professionnels. Elle est utilisée pour imposer aux individus une doctrine dans certains
environnements de travail sur l’absence de « documents » ou « d’objets » inutiles dans le
cadre de la tâche courante. Finalement, pour revenir à ce qui touche aux relations
interpersonnelles, la réponse est mitigée. De fait, selon plusieurs études en sociologie, il
existerait un lien important pouvant être fait entre limites spatiales et augmentation des
relations interpersonnelles et de la collaboration dans des contextes de travail. Or les
conclusions d’une récente recherche ayant été conduite dans deux grands
établissements prônant l’utilisation d’un environnement à aire ouverte (Bernstein et
Turban, 2018) soulignent plutôt que les interactions sociales auraient diminué de manière
significative (environ 70%) dans les deux cas, et que cette dernière aurait entraîné une
augmentation des interactions électroniques.
Le paradoxe de l’aire ouverte ayant un impact à la fois positif et négatif sur les pratiques
de collaboration et donc d’innovation collective et de création de savoirs se lève si on
distingue entre collaboration pauvre - relevant du superficiel - et collaboration forte basée
sur une confiance, une connaissance fine de l’autre (Blum, 2014). Ce qu’Eloi Laurent
(2018) distingue également sous les qualificatifs de collaboration et de coopération. On
peut alors comprendre sur la base de nos observations que les aires ouvertes vont
favoriser les collaborations pauvres au détriment des collaborations plus fortes. Les liens
seront alors plus superficiels, moins enracinés dans les relations individuelles et la fine
connaissance de l’autre, ce qui tend entre autres - à privilégier des types de liens faibles
sur des liens forts (Granovetter, 1973). Or si Granovetter montre l’importance des liens
faibles, en complément aux liens forts, il y a ici un phénomène de substitution. Il y a un
phénomène de « déliaison » entre les gens, comme si les individus pouvaient travailler
sur des bases purement fonctionnelles sans prise en compte de la nécessité de connaître
aussi l’autre (et non uniquement son travail). En l’absence de ces liens forts, il sera alors
très difficile de créer un sentiment de flux et donc un ba, soit l’espace nécessaire à la
création collective. Afin de chercher à recréer du lien (artificiellement), il y a une tentative
d’usage de mobilier « cosy », sans que cela ne soit efficace. On a donc des locaux
paraissant agréables lorsqu’ils sont observés « de l’extérieur » (effet « wow »), mais vides
de sens lors de leurs usages. C’est d’autant plus paradoxal que l’augmentation des
capacités d’innovation collective est souvent mise de l’avant pour justifier les espaces à
aire ouverte.
Conclusion
Le diable est souvent caché dans les détails. Plutôt que d’être pour ou contre les aires
ouvertes, le télétravail, et toutes les autres nouvelles pratiques d’organisation des
espaces, il faut plutôt prendre le temps de réfléchir à la matérialisation et aux
particularités de ces pratiques. À la manière dont elles seront intégrées. À la cohérence
des idées qui les sous-tendent avec les valeurs et objectifs de l’organisation. La
recomposition d’un espace de travail avec des enjeux discutés comme la possibilité
d’une aire ouverte peut être une formidable occasion de réflexion sur les modes
d’organisation. Prise indépendamment de la structure organisationnelle et managériale,
elle donnera potentiellement lieu à des catastrophes managériales, et notamment en
matière de capacité d’innovation collective et de création de savoirs. Pour donner leurs
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pleins potentiels, les différentes formes discutées doivent être cohérentes avec les
valeurs et structures de l’organisation. Les espaces de travail devraient donc être conçus
et réfléchis avec les principaux usagers du milieu. Cette démarche assurerait un meilleur
arrimage entre les fonctions de l’espace, les besoins, les attentes ainsi que les visions
des usagers. Ce paradoxe a d’ailleurs été relevé dans l’introduction : l’innovation, perçue
comme devant être collective, est mise en place par des experts en l’absence totale de
collaboration avec les usagers. Elle est une finalité sans être un moyen pratiqué par les
experts la promouvant.
Ce chapitre visait à approfondir les formes d’organisation des espaces de travail, pour
montrer que derrière des pratiques pouvant être interprétées comme superficielles ou
relevant de courants, de « modes », ces dernières correspondaient à des traductions
matérielles de grands courants idéologiques contemporains. Nous avons montré que ces
« courants incarnés » ont des impacts positifs et négatifs sur nos besoins personnels et
collectifs, sur notre capacité à travailler et donc - in fine - sur l’orientation du travail lui-
même.
Évidemment, ce chapitre, fruit d’une réflexion ancrée dans des évolutions
contemporaines et sur une pratique et une observation des espaces, reste largement
améliorable et serait souvent sujet à un approfondissement qui devra être poursuivi dans
le futur, pour un approfondissement de la réflexion collective sur ce sujet important. Nous
espérons avoir sensibilisé le lecteur aux liens importants entre l’organisation des espaces
de travail et les valeurs cachées sous-jacentes, et aux nombreuses conséquences à la
fois sur le travail et sur les activités d’innovation collective et de création de savoirs.
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Organizations’ pursuit of increased workplace collaboration has led managers to transform traditional office spaces into ‘open’, transparency-enhancing architectures with fewer walls, doors and other spatial boundaries, yet there is scant direct empirical research on how human interaction patterns change as a result of these architectural changes. In two intervention-based field studies of corporate headquarters transitioning to more open office spaces, we empirically examined—using digital data from advanced wearable devices and from electronic communication servers—the effect of open office architectures on employees' face-to-face, email and instant messaging (IM) interaction patterns. Contrary to common belief, the volume of face-to-face interaction decreased significantly (approx. 70%) in both cases, with an associated increase in electronic interaction. In short, rather than prompting increasingly vibrant face-to-face collaboration, open architecture appeared to trigger a natural human response to socially withdraw from officemates and interact instead over email and IM. This is the first study to empirically measure both face-to-face and electronic interaction before and after the adoption of open office architecture. The results inform our understanding of the impact on human behaviour of workspaces that trend towards fewer spatial boundaries. This article is part of the theme issue ‘Interdisciplinary approaches for uncovering the impacts of architecture on collective behaviour’.
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It is currently accepted that noise is one of the most important annoyance factors in open-space offices. However, noise levels measured in open spaces of the tertiary sector rarely exceed 65 dB(A). It, therefore, appears necessary to develop a tool that can be used to assess the noise environment of these offices and identify the parameters to be taken into consideration when assessing the noise annoyance. This article presents a questionnaire to be filled by people working in such environment, and a case study in different open plan offices. The majority of the 237 respondents consider that the ambient noise level in their environment is high and that intelligible conversations between their colleagues represent the main source of noise annoyance. This annoyance was significantly correlated with their evaluation of sound intensity, which could not be represented by A-weighted level measurements. Practitioner Summary: This article presents a short questionnaire aimed to evaluate the employees' comfort in an open-plan office and to propose optimal modifications of the office. Answers collected from 237 respondents showed that intelligible conversations represent the main source of noise annoyance; moreover, overall noise level is not related to this annoyance.
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Purpose – This paper aims to build on recent work in the field of management and historiography that argues that management theorizing needs to be understood in its historical context. Design/methodology/approach – First, the paper attempts to show how a steady filtering of management theory and of the selection and work of management theorists lends itself to a narrowly focused, managerialist, and functionalist perspective. Second, the paper attempts to show how not only left‐wing ideas, but also even the rich complexity of mainstream ideas, have been “written out” of management accounts. The paper explores these points through an examination of the treatment of Abraham Maslow in management texts over time. Findings – The paper's conclusion is a simple one: management theory – whether mainstream or critical – does a disservice to the potential of the field when it oversimplifies to a point where a given theory or theorist is misread because sufficient context, history, and reflection are missing from the presentation/dissemination. Originality/value – This paper highlights the importance of reading the original texts, rather than second or third person accounts, and the importance of reading management theory in the context in which it was/is derived.
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This introduction to the special issue briefly reviews the meaning and significance of the empowerment concept and problems associated with the proliferation of interest in empowerment. We identify some of the topics not included in this issue and relate those to the many broad and diverse areas of psychological empowerment theory and community-based research and intervention that are covered. We present synopses of each article along with some of the themes and lessons cutting across the frameworks, studies, and applications. These include a wide diversity of settings, fairly representative of empowerment interventions, and, at the same time, improved clarity (if not unanimity) of definitions and measurement, which has been a problem in much empowerment research and intervention.
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This article introduces the Japanese concept of "Ba" to organizational theory. Ba (equivalent to "place" in English) is a shared space for emerging relationships. It can be a physical, virtual, or mental space. Knowledge, in contrast to information, cannot be separated from the context—it is embedded in ba. To support the process of knowledge creation, a foundation in ba is required. This article develops and explains four specific platforms and their relationships to knowledge creation. Each of the knowledge conversion modes is promoted by a specific ba. A self-transcending process of knowledge creation can be supported by providing ba on different organizational levels. This article presents case studies of three companies that employ ba on the team, division, and corporate level to enhance knowledge creation.
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Building principals, as well as most educators, are typically satisfied with their overall jobs. However, some specific aspects of work are not rated as favorably as others. This study investigated the relationship of factors, such as gender, size of enrollment, and years of experience, to principalship job satisfaction. A survey sample of American midwestern elementary, middle, and senior high school principals responded to the Principals Job Satisfaction Survey (PJSS). The PJSS was based on Herzberg’s Motivation-Hygiene Theory. Eight components of job satisfaction were compared with four principalship descriptive variables. PJSS was mailed to 500 principals and 226 survey forms were returned and useable, which resulted in a 45.2 percent return rate. Chi-square analyses revealed the relationships and differences between the independent and dependent variables. It was found that American midwestern principals were generally satisfied with their current job, colleagues/co-workers and level of responsibility. However, they were less satisfied with their pay, opportunities for advancement, and fringe benefits.
Article
The theory of the knowledge-creating firm explains the differences among firms not as a result of market failure, but as a result of the firm's visions of the future and strategy. This paper proposes a framework to capture the dynamic process of knowledge creation in which knowledge is created through the dynamic interaction between subjectivity and objectivity. Knowledge is created through the synthesis of thinking and actions of individuals, who interact with each other within and beyond the organizational boundaries. Copyright 2005, Oxford University Press.