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L’empathie en gériatrie, utilité et faisabilité ?
Empathy in geriatric care: usefulness and feasibility?
Éric MAEKER1, Bérengère MAEKER-POQUET2
RÉSUMÉ
En explorant le concept d’empathie, sa définition, ses
effets dans le soin, ses possibilités d’enseignement et de
mise en œuvre, cet écrit se propose d’examiner l’utilité
et la faisabilité d’une pratique empathique en gériatrie
et sert deux principaux objectifs. Le premier est de pro-
poser un bref état des lieux concernant l’empathie et en
particulier sa mise en œuvre dans les soins grâce à sa
déclinaison clinique. Le second est d’apporter de la pers-
pective sur la complexité de la question par la présenta-
tion d’un aperçu des nimbes théoriques entourant sa dé-
finition, des zones de vigilance à sa mise en œuvre et des
doutes raisonnables à son utilisation.
Mots clés : Âgé - Communication - Communication
Non verbale - Empathie - Humanisme - Relation
professionnel-patient - Relation professionnel-famille
ABSTRACT
By exploring the concept of empathy, its definition, its
effects in care, its possibilities for teaching and imple-
mentation, this paper aims to examine the usefulness
and feasibility of an empathetic practice in geriatric care
and serves two main purposes. The first is to offer a brief
overview of empathy and in particular its implementa-
tion in care thanks to its clinical application. The second
is to bring perspective on the complexity of the issue by
presenting an overview of the theoretical fuzziness sur-
rounding its definition, what to watch for during its im-
plementation and the reasonable doubts in its use.
Rev Geriatr 2020 ; 45 (7) : 401-5.
Keywords: Aged - Communication - Nonverbal
communication - Empathy - Humanism - Professional-
patient relationship - Professional-Family relationship
• L’empathie est un concept au « carrefour » de plusieurs
disciplines, qui peine à trouver un consensus dans sa défini-
tion.
• Ses effets dans les soins appellent à renforcer les aptitudes
empathiques des étudiants et des professionnels en activité.
• La communication empathique est une porte d’entrée vers
une amélioration des aptitudes empathiques des soignants.
• Ce type de communication repose sur plusieurs compé-
tences.
• Des zones de vigilance et des doutes raisonnables quant
à l’utilisation d’une communication empathique sont à pren-
dre en considération.
INTRODUCTION
L’empathie est un concept récent, situé au carrefour
de plusieurs disciplines, scientifiques ou non, qui
peine à trouver une définition consensuelle. Malgré
l’explosion des publications sur ce sujet ces deux dernières
décennies, elle reste encore stigmatisée dans notre société.
De plus, le sens commun, abondamment repris par les mes-
sages commerciaux, en écorche davantage la quintes-
sence(1).
1 Gériatre, psychogériatre, membres fondateurs de l’association Emp@thies, pour
l’humanisation des soins. empathies.fr, France.
2 Infirmière diplômée d’État, membres fondateurs de l’association Emp@thies,
pour l’humanisation des soins. empathies.fr, France.
Article reçu le 06/12/2019 et accepté le 05/03/2020
Auteur correspondant : Docteur Éric Maeker, 12 rue Jean Jaurès, 62223 Anzin-
Saint-Aubin, France.
Courriel : eric.maeker@gmail.com
401Rev Geriatr 2020 Septembre ; 45 (7).
À la vue du foisonnement d’écrits (articles scientifiques, li-
vres, sites internet, etc.), l’analyse de cette littérature se
complexifie. Pourtant, il est fondamental que les soignants
se l’approprient, sachent la définir, en connaissent les re-
coins, car les effets de l’empathie sur les soins sont nom-
breux et scientifiquement établis.
Le défi de taille pour les soignants consiste à intégrer l’em-
pathie dans leur pratique quotidienne. À ce jour, pour nom-
bre d’entre eux, leur parcours de formation n’apporte que
très peu d’éléments à ce sujet. De plus, les premiers contacts
avec la maladie et la mort sont peu propices à son appren-
tissage, en particulier à un âge où le manque d’expérience
avec ces questions et le manque d’occasions d’y réfléchir
appellent à un accompagnement spécifique.
Afin de soutenir la notion d’empathie auprès de l’ensemble
des soignants, cet article se propose d’en explorer succinc-
tement la définition en s’attachant à présenter la notion
d’empathie clinique. Seront successivement abordés les ef-
fets bénéfiques attendus dans les soins, suivis d’une propo-
sition de mise en œuvre par la communication empathique.
Les zones de vigilance et les doutes raisonnables à son
application seront examinés pour conclure sur une propo-
sition de mise en œuvre concrète par la communication em-
pathique.
QU’EST-CE QUE L’EMPATHIE ?
L’empathie évolue de notions philosophiques anciennes et
s’enracine dans la pratique depuis les années 1950 environ
suite aux travaux de Carl Rogers(2,3). Le mot lui-même est
un néologisme du XXesiècle construit à l’image du mot sym-
pathie et qui se compose du préfixe grec ancien en et de
pathos signifiant respectivement à l’intérieur et ce que l’on
ressent, la souffrance, la maladie. Ainsi au niveau étymo-
logique, l’empathie se traduit par « éprouver en soi la souf-
france (d’autrui) ». Depuis, le concept a traversé différentes
disciplines scientifiques pour devenir transdisciplinaire.
En psychologie et psychothérapie, Carl Rogers(2,3) étudie et
intègre la « compréhension empathique » comme l’une des
attitudes nécessaires et suffisantes pour favoriser le dévelop-
pement de la personne. Elles sont les racines mêmes de
l’accompagnement centré sur la personne et regroupent : la
congruence du thérapeute, la considération positive incondi-
tionnelle du client, la compréhension empathique ainsi que
la présence du thérapeute que Rogers introduit tardivement.
Rogers théorise et étudie l’empathie dans un paradigme phé-
noménologique (c’est-à-dire par l’analyse scientifique de l’ex-
périence vécue). Il la définit initialement comme une atti-
tude : « Être empathique, c’est percevoir le cadre de
référence interne d’autrui aussi précisément que possible et
avec les composants émotionnels et les significations qui lui
appartiennent comme si l’on était cette personne, mais sans
jamais perdre de vue la condition du “comme si”. » Avec
« comme si », Rogers insiste sur l’idée d’une nécessaire dis-
tinction de soi et des autres. Cette capacité est fondamentale
pour éviter aux thérapeutes de se dévoyer dans la subjectivité
de leur client et de devenir entièrement eux en quelque sorte.
Il évolue dans sa définition en 1975, en considérant l’empa-
thie plus sous l’angle d’un processus plutôt que d’un état.
En neurosciences, les récents progrès de l’imagerie fonc-
tionnelle et dynamique permettent d’établir les mécanismes
cérébraux qui sous-tendent l’empathie. Les connaissances
actuelles s’accordent sur le fait que l’empathie est issue d’in-
teractions complexes entre différentes aires cérébrales plu-
tôt que par une seule. Seule une partie de ces aires est sous
le contrôle de la conscience, une grande partie siège dans
les parties profondes et ancestrales du cerveau. Pour sûr,
l’évolution des technologies améliorera la précision des
connaissances et imprimera de nouvelles évolutions au
concept d’empathie dans les années à venir. Trois compo-
santes sous-tendent l’empathie : affective (ou émotionnelle),
cognitive (ou raisonnée) et motivationnelle (se soucier de
l’autre). L’union des trois établit la capacité de comprendre
l’état psychique d’une personne, ou plus simplement de « se
mettre à sa place »(4). La composante affective s’établit dans
le partage émotionnel entre individus dans leur qualité et
leur intensité. Elle joue un rôle fondamental dans la commu-
nication non verbale et échappe, dans un premier temps,
au contrôle de la conscience. Les risques de détresse et de
contagion émotionnelle lui sont liés. La part motivationnelle
se réfère à la motivation de se soucier de l’autre. Sans vo-
lition, point d’empathie(5). L’aspect cognitif mobilise les plus
hauts niveaux des fonctions cognitives, incluant l’imagina-
tion, pour se représenter de façon mentale et raisonnée de
ce qu’une personne pense et ressent. Pour ainsi dire, l’em-
pathie s’inscrit dans une prise de perspective et intègre le
vécu, la subjectivité d’autrui.
La médecine et le soin se concentrent plus sur le côté relation-
nel de l’empathie(6), comme Rogers d’ailleurs. Dans ces do-
maines, même en l’absence de définition consensuelle, il est
important de considérer les effets positifs de l’empathie dans
le concept de la relation thérapeutique, et aussi de souligner
que l’empathie clinique semble en être le point central(7).
L’imbroglio résultant de la collision des concepts de sympa-
thie, de compassion, de « care » et d’empathie est à l’origine
d’un manque de définition consensuelle. Ce problème s’ac-
centue avec l’explosion du nombre d’articles médicaux et
paramédicaux publiés sur le sujet et qui passe quasiment
d’une centaine au millier par an entre 1990 et 2015. De plus,
la diversité des grilles d’évaluation de l’empathie utilisée dans
les études génèrent également leur part de confusion. Et en
l’absence de consensus, il est difficile de comparer les résul-
tats des différentes études et d’en préciser les conclusions.
402 Rev Geriatr 2020 Septembre ; 45 (7).
L’empathie en gériatrie, utilité et faisabilité ?
Empathy in geriatric care: usefulness and feasibility?
En résumé, l’empathie est une capacité volontaire de res-
sentir et de se représenter l’état interne d’une personne tout
en se distinguant de celle-ci.
LES BÉNÉFICES DE L’EMPATHIE
Les bénéfices de l’empathie dans le soin sont solidement
établis par plusieurs études médico-scientifiques et consti-
tuent la motivation à son enseignement(1,4).
Pour l’usager des soins, l’empathie : améliore sa satisfac-
tion, son acceptation des soins, son adhésion aux traite-
ments prescrits ; renforce positivement les résultats des mé-
dications entreprises (en particulier pour le diabète) ;
diminue le ressenti de la douleur, de l’anxiété et de la dé-
pression (de la personne soignée et du soignant). Dans le
cadre d’une psychothérapie, elle en prédit le succès.
Pour les soignants, l’empathie : diminue le nombre de
plaintes pour faute professionnelle, stimule la coopération,
minimise les conflits au sein d’un groupe et enrichit les
échanges. Il est ainsi plus facile pour le professionnel d’ex-
plorer le vécu, les représentations, les antécédents de la
personne soignée. L’empathie constitue à la fois le risque
et l’un des traitements de l’épuisement professionnel(8). Elle
majore les risques lorsqu’elle est insuffisamment comprise
et régulée, elle les diminue avec son apprentissage et sa
maîtrise.
Pour les deux, l’empathie stimule fortement la relation thé-
rapeutique, la communication et fertilise un meilleur concept
de soi (au sens d’une réduction de la déshumanisation et de
la dépersonnalisation).
Pour les équipes, certaines publications établissent un lien
entre une approche empathique du management et la qua-
lité des soins prodigués ainsi que le bien-être des profession-
nels au travail(9).
In fine, l’empathie constitue une compétence majeure des
professionnels de la santé, tant ses apports sur la qualité des
soins et sur les résultats des prises en charge sont scientifi-
quement documentés.
MISE EN ŒUVRE DE L’EMPATHIE
CLINIQUE GRÂCE À UNE
COMMUNICATION EMPATHIQUE
Il est nécessaire d’établir une passerelle entre l’empathie
théorique et l’empathie clinique. La mise en œuvre des ap-
titudes empathiques des soignants s’intègre dans une
communication empathique(10). De plus, l’apprentissage
d’une communication empathique renforce les aptitudes
empathiques globales des soignants et constitue ainsi une
porte d’entrée pour les soignants(11). Enfin, il est acquis que
la communication empathique est une compétence qui peut
être enseignée et apprise(12,13).
Les livres de psychologie ont déjà jeté les bases d’un tel
mode de communication(14). Il semble toutefois préférable
d’offrir aux soignants des pistes de réflexion, des axes de
recherche, des outils flexibles et maniables qu’ils expérimen-
teront et adapteront en fonction du contexte, et aussi de
leur personnalité, au lieu de leur enseigner une technique
figée.
Sans entrer dans le détail, cinq compétences sont incon-
tournables pour développer une communication empathi-
que : la volonté d’établir une relation interpersonnelle, la
suspension du jugement, l’écoute, le non verbal et l’intelli-
gence émotionnelle. La volonté d’établir une relation inter-
personnelle est le reflet de la composante motivationnelle
de l’empathie. Elle souligne l’engagement qu’accepte le soi-
gnant en établissant une relation interpersonnelle symétri-
que dans laquelle il n’aura d’autre choix que celui de s’im-
pliquer personnellement autant que professionnellement.
Elle se reflète aussi dans sa congruence(15). La suspension
du jugement est le second composant primordial(16). Ici, le
professionnel s’abstient d’émettre ou même de penser en
termes de catégorisation, d’étiquetage, de moralisation (de
bien ou de mal), voire à l’extrême de diagnostic. En effet,
la communication empathique est un outil qui peut aider à
porter un diagnostic (en récupérant des informations fiables
lors de l’entretien par exemple) que si elle ignore tout dia-
gnostic (c’est-à-dire tout jugement explicite). C’est là son
paradoxe. Cette attitude d’abstention au jugement constitue
pour les soignants un réel défi, puisque la majeure partie de
leur exercice consiste justement à établir des jugements
concernant les personnes soignées sur : leurs comporte-
ments, leurs niveaux d’autonomie et de dépendance, leur
état de santé, leurs compliance et observance des prescrip-
tions, etc. La troisième composante intéresse la capacité
d’écoute. Elle représente sûrement l’une des compétences
constitutives des plus difficiles à développer(17). Elle peut
s’expérimenter au quotidien et se définit en plusieurs ni-
veaux entre le plus faible, l’absence d’écoute et le plus élevé,
l’écoute active(18). Le quatrième composant, la communica-
tion non verbale, qui représente plus de 90 % de la commu-
nication humaine, demande à être comprise, maîtrisée et
mise en œuvre tout autant que la communication ver-
bale(19,20). Elle comprend le regard, le ton de voix et la pro-
sodie, les mimiques du visage, la gestuelle, la posture du
corps, le toucher ainsi que la distance physique entre les
corps(21). En dernier lieu, la communication empathique
s’établit essentiellement grâce aux émotions, grâce à la part
affective de l’empathie. Nommer les émotions est une étape
cruciale. Rogers s’était d’ailleurs heurté à des résumés im-
productifs de sa théorie disant qu’il suffisait de « refléter les
émotions ». Cette part affective, souvent écartée par le
403Rev Geriatr 2020 Septembre ; 45 (7).
L’empathie en gériatrie, utilité et faisabilité ?
Empathy in geriatric care: usefulness and feasibility?
monde médical, constitue une zone de fragilité pour les pro-
fessionnels, car tout manque de justesse dans le contrôle
empathique (affectif) conduira à un épuisement émotionnel
et professionnel. Elle constitue la première zone de vigi-
lance.
ZONES DE VIGILANCE
Dans une société où l’expression des émotions est forte-
ment réprimée, la peur de la vulnérabilité qu’engendre la
connexion aux émotions est centrale. Les partisans d’une
empathie cognitive prônent la répression pure et simple de
sa part affective pour libérer le raisonnement du praticien
de toute source d’erreur(22), alors même que le partage
émotionnel est la source inaltérable de toute communica-
tion humaine, en particulier non verbale. Pour sûr, si le
soignant s’embourbe dans la frayeur ressentie par une per-
sonne soignée alors qu’il s’apprête à faire un geste tech-
nique ou annoncer un diagnostic sévère, comment pour-
rait-il le réaliser ? Il est ici question de contrôle empathique
à l’image de la maîtrise de soi dont les professionnels font
preuve. Dans le soin gériatrique, s’ils développent leur
compréhension des mécanismes de l’empathie, leur « ex-
périence empathique », leur intelligence émotionnelle(23), ils
s’assureront d’une maîtrise empathique suffisante pour
« garder la tête froide »(24).
Les subtilités sont nombreuses en communication empathi-
que et l’expérimentation permet de les appréhender avec
justesse(25). Pour entendre une opportunité empathique et
savoir y répondre, une formation et un entraînement sont
indispensables. Par ailleurs, un travail sur soi, son vécu, ses
représentations, ses attentes, ses désirs et ses motivations à
soigner accompagne cette nécessaire formation. Les études
établissent qu’un professionnel ayant suivi une psychothé-
rapie présente des scores plus élevés aux tests de mesure
d’empathie. Cela dit, est-il acceptable, voire même oppor-
tun, de demander aux soignants de suivre une psychothé-
rapie ? Les soignants sont-ils d’ailleurs appelés à devenir
psychothérapeute ?
L’application d’une seule technique, sans investissement de
soi, a été comparée dans la littérature à la « vallée de
l’étrange » en robotique, qui postule que plus un modèle hu-
manoïde est ressemblant, plus ses défauts apparaissent re-
poussants jusqu’à un certain stade où ce sentiment de dé-
goût disparaît(26). Un parallèle est fait entre le manque
d’authenticité des professionnels de santé et leur communi-
cation empathique(5).
La promptitude à établir des jugements et l’envahissement
de la pensée par des préjugés biaisent l’espace cognitif du-
rant un échange ou une simple rencontre. Ces biais altèrent
les capacités d’écoute puisque, convaincus de connaître à
l’avance, les professionnels sont moins enclins à explorer la
subjectivité d’autrui.
La surcharge d’activité et le temps favorisent ces raccourcis.
Le système de santé, en certains lieux sursaturés, est peu
propice à la rencontre, à la création d’une relation théra-
peutique stable. Pourtant, même dans un service d’urgence
médicale les bénéfices de l’empathie sont documentés(27).
Le curriculum caché implique les apprentissages réalisés lors
de stages auprès de mentors, tuteurs et autres profession-
nels établis en qualité de modèle. Il peut se révéler positif
ou peser sur les compétences à acquérir(28). Comment l’em-
pathie est-elle perçue par les professionnels établis ?
Comment transmettront-ils les aptitudes empathiques ? De
quels outils pourraient-ils bénéficier pour renforcer à la fois
leurs propres aptitudes empathiques et pour en faciliter l’en-
seignement ? Où se situent les freins et les facilités ?
Enfin, il est pertinent de s’interroger sur l’engagement ins-
titutionnel. Quelques référentiels de bonne pratique et étu-
des pointent l’empathie comme une compétence utile et
nécessaire au management, à la bientraitance. Il est fonda-
mental d’approfondir les connaissances en ces domaines.
Nombre de ces zones découlent d’un défaut de formation
et de contrôle empathique. Celui-ci est coûteux pour les pro-
fessionnels. Leur environnement hautement stressant et
chargé d’émotions négatives les expose alors à la fatigue
émotionnelle ainsi qu’à l’épuisement psychoaffectif. Cette
situation entrave la prestation de soins médicaux de qualité
et majore le risque d’erreurs autant que les conflits au sein
des équipes. Plusieurs types de formations spécifiques amé-
liorent les aptitudes empathiques. Plusieurs méthodes sont
testées par des études, dont l’apprentissage par l’expéri-
mentation à l’aide par exemple de simulations immersives
et expérientielles centrées sur des groupes de patients vul-
nérables et offrant des possibilités de réflexion guidée, l’ap-
prentissage de la communication empathique ou non vio-
lente(11,14), l’art, la médecine narrative, etc. Enfin, pour
rappel, le fait d’avoir suivi une psychothérapie personnelle
augmente la maîtrise empathique.
L’un des plus grands défis pour les soignants consiste à trou-
ver le juste équilibre entre les attitudes empathiques et le
détachement par lequel ils régulent de manière efficace leurs
réponses affectives et libèrent davantage leur préoccupation
empathique pour les autres.
DOUTES RAISONNABLES À L’UTILISATION
DE L’EMPATHIE EN GÉRIATRIE
Pour les personnes souffrant de délire, la réalité est chan-
geante et leurs émotions peuvent être non congruentes à
l’expérience vécue, observée de l’extérieur par un profes-
sionnel de la santé. Les troubles neurocognitifs surajoutés
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L’empathie en gériatrie, utilité et faisabilité ?
Empathy in geriatric care: usefulness and feasibility?
embrouillent d’autant plus cette réalité mouvante. Il est in-
certain qu’une communication empathique reflétant l’état
émotionnel de la personne expérimentant ces troubles
puisse lui être constamment bénéfique(29).
Les perturbations qu’engendrent les troubles neurocognitifs,
surtout à un stade évolué, sur les capacités émotionnelles
telles que la gestion, la compréhension et l’expression de
celles-ci constituent un barrage à l’empathie. Malgré cela,
la méthode de la Validation développée par Naomi Fiel est
basée sur l’empathie et s’adresse à ces personnes(30).
Pour finir, bien que l’histoire de l’humanité se perpétue dans
un monde où la violence décline(31), l’engagement empathi-
que des sociétés et des civilisations pourrait être incontour-
nable pour la survie de l’espèce elle-même(32,33).
CONCLUSION
Cet écrit sert deux objectifs. Le premier est de proposer un
bref état des lieux concernant l’empathie et en particulier sa
mise en œuvre dans les soins grâce à sa déclinaison clinique.
Le second est d’apporter de la perspective sur la complexité
de la question par la présentation d’un (très court) aperçu
des nimbes théoriques entourant sa définition, des zones de
vigilance à sa mise en œuvre et des doutes raisonnables à
son utilisation. La conviction que soutient cet écrit s’appuie
sur les données de la science médicale et place l’empathie
au cœur de la relation thérapeutique, au cœur même de l’art
médical humaniste(34). Elle rappelle que l’empathie s’établit
comme une valeur fondamentale et humaniste de la méde-
cine et dépasse toute posture. Elle encourage un renforce-
ment des enseignements portant sur ces sujets d’envergure.
Et finalement, elle invite à expérimenter et étudier au quo-
tidien la communication empathique sans en éluder ni la
profondeur psychologique, ni philosophique(35).■
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en
rapport avec cet article.
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