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Jérôme Souty, Motel Brasil : une anthropologie des love hotels: Riveneuve éditions, 2015, 340 pages

Authors:
Mondes du Tourisme
13 | 2017
Tourismeetinnovations
Jérôme SOUTY, Motel Brasil : une anthropologie des love
hotels
Riveneuve éditions, 2015, 340 pages
ThomasApchain
Éditionélectronique
URL : http://journals.openedition.org/tourisme/1420
DOI : 10.4000/tourisme.1420
ISSN : 2492-7503
Éditeur
Éditions touristiques européennes
Référenceélectronique
Thomas Apchain, « Jérôme SOUTY, Motel Brasil : une anthropologie des love hotels », Mondes du Tourisme
[En ligne], 13 | 2017, mis en ligne le 30 décembre 2017, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/tourisme/1420 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tourisme.1420
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Jérôme SOUTY, Motel Brasil : une
anthropologie des love hotels
Riveneuve éditions, 2015, 340 pages
Thomas Apchain
RÉFÉRENCE
Jérôme SOUTY, Motel Brasil : une anthropologie des love hotels, Riveneuve éditions, 2015,
340 pages
1 L’ouvrage de Jérôme Souty, anthropologue français installé à Rio de Janeiro, conduit le
lecteur à la découverte d’un lieu singulier et méconnu : le motel brésilien. Développés
vers la fin des années 1960, les motels brésiliens se distinguent nettement, dès leur
création, de leurs cousins américains en cela que, contrairement aux seconds que l’on
associe surtout à une mythologie de la route et des grands espaces, ils sont, sans
possible équivoque, des love hotels. Fréquentées depuis les années 1970 par les Brésiliens
de tout âge et de toutes origines sociales, les suites de ces motels, auxquelles on accède
depuis sa voiture, sont le lieu privilégié pour une sexualité qui s’exprime en toute
discrétion. C’est une sexualité liminaire qui se pratique en ces lieux, parfois tarifée,
souvent adultère mais qui, en tous les cas, comporte une dimension extra-ordinaire
comme en témoigne l’idée, vendue par les promoteurs et consommée par les couples,
d’y venir pimenter sa sexualité ou même d’y « tromper sa femme avec sa propre femme »
(p. 126).
2 Si Jérôme Souty parvient à convaincre de l’importance d’étudier le développement de
ces motels, d’abord en indiquant l’ampleur du phénomène (le nombre de motels à
travers le pays et leurs chiffres d’affaires contrastant alors radicalement avec le peu
d’études s’y consacrant), c’est surtout grâce à la manière dont il présente le motel
comme un lieu clef pour comprendre la société brésilienne dans son ensemble. C’est
dans une filiation directe avec Gilberto Freyre que Jérôme Souty situe son travail, le
choix du père de l’anthropologie brésilienne d’étudier l’histoire esclavagiste du Brésil à
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travers l’espace de vie des maîtres et des esclaves (la casa grande et la senzala) étant ici
transposé au motel. Cette fois, il s’agit d’étudier, à partir du motel choisi comme « unité
socio-architecturale » (p. 12), la société brésilienne contemporaine. À cheval entre
anthropologie de la modernité, de la consommation, de la sexualité, de l’intime et du
corps, l’ouvrage de Jérôme Souty nous permet une compréhension approfondie et
originale de l’histoire récente et contemporaine de la société brésilienne
(démocratisation, libération sexuelle, modernisation) entre changements et
permanences. Du fait de l’objet de l’ouvrage, Jérôme Souty est contraint de rompre
légèrement avec les méthodes traditionnelles de l’anthropologie et de recourir à des
données de natures différentes (entretiens formels ou informels, films, publicités,
presse, littérature, descriptions esthétiques et architecturales) qui s’ajoutent à un
ensemble d’observations personnelles. C’est peut-être à propos de cette méthodologie
particulière que l’on peut adresser à l’auteur notre principale critique, non pas qu’il y
ait quelconque fragilité des données, qui forment un corpus tout à fait pertinent, mais
par la place prépondérante qu’y tient Rio de Janeiro, ce qui, à un certain point de
l’analyse, peut constituer un obstacle à la généralisation de certains arguments.
3 L’un des défis majeurs endossé par l’ouvrage consiste donc à situer cette innovation
socio-architecturale par rapport à la société brésilienne et sa modernisation. Comment
qualifier le motel ? De nombreuses caractéristiques du dispositif (l’accession au lieu
sans l’intermédiaire de relations commerciales humaines, la logique fonctionnaliste
industrielle, l’isolation) pourraient inciter à classer le motel dans la catégorie
postmoderne du « non-lieu » développée notamment par Marc Augé. Mais cette
hypothèse est rapidement écartée par Jérôme Souty. En effet, plutôt qu’un lieu qui se
laisserait totalement définir par sa nature impersonnelle et anhistorique idée que
contredisent l’investissement émotionnel et la construction d’un imaginaire spécifique
au motel en général ou à certains motels en particulier –, le motel se rapprocherait
donc de ce que Michel Foucault nommait « hétérotopie », le pendant concret et localisé
d’une utopie par définition imaginaire et non localisée. Mais l’analogie cesse de
fonctionner quand se pose la question de savoir si, conformément à la définition de
Foucault, le motel serait bel et bien une « utopie qui se serait réalisée ». En effet, le
motel n’est ni le produit d’une volonté politique ou idéologique explicite ni le foyer à
partir duquel auraient eu lieu des bouleversements sociaux. Davantage, il en est un
reflet, un témoin qui donne une clef importante pour la compréhension de ces
changements.
4 Cette distinction est décisive pour la suite de l’analyse proposée par Jérôme Souty, dont
l’un des intérêts principaux consiste sans doute à nous mettre en garde face à
l’interprétation rapide et répandue qui ferait du motel, et de son extraordinaire
popularité, le symbole d’une révolution sexuelle réussie ou d’une « commodification »
du sexe sans égale dans d’autres pays (à l’exception significative du Japon, mentionnée
par l’auteur). En effet, si du point de vue chronologique le motel brésilien correspond
bien à une révolution économique (le motel est, jusque dans son étymologie, associée
au développement de l’industrie automobile et il est, dans son usage, lié à l’expansion
de la société de consommation) et à une révolution sexuelle, il ne saurait en être
considéré ni comme un vecteur, ni comme un symbole. En réalité, Jérôme Souty
retourne cette représentation du motel en affirmant que son succès n’est, non pas un
marqueur d’une révolution sexuelle réussie, mais au contraire justifié par la pudeur.
Ainsi, ce qui rend si populaire et si fréquente la pratique du motel, ce ne sont pas les
succès de la révolution sexuelle mais bien ses échecs. Le motel, en effet, représente le
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lieu peut s’exprimer une sexualité d’ordinaire bridée par la morale religieuse, le
contrôle familial, la rigueur des catégories de genre, etc. Jérôme Souty note d’ailleurs
que si le motel est bien un espace liminaire dans lequel l’exercice de la sexualité peut
incorporer une plus grande ambiguïté des rôles, il n’en est pas moins un espace dans
lequel sont largement reproduites les inégalités de genre travers notamment la
position de l’homme, qui est toujours l’instigateur de la pratique, qui règle toujours la
note, etc.). En outre, si le Brésil s’affiche parfois comme le paradis de la liberté sexuelle,
l’image peut être nuancée et contredite, comme le fait Jérôme Souty à travers le rappel
du retard de la législation brésilienne sur les mœurs (contraception, avortement...) et
de la permanence de la rigueur avec laquelle les interactions sexuelles restent
conditionnées par des normes sociales et culturelles.
5 À travers son étude du motel, Jérôme Souty dresse donc un portait original de la société
brésilienne et montre comme elle est travaillée par une opposition structurelle, entre
un « imaginaire érotique national » (p. 312) et la réalité des pratiques, entre « les
mœurs tels qu’elles s’affichent (…) et l’acceptation familiale, individuelle de ces
mœurs » (p. 313). Dans cette perspective, les pratiques du motel sont comparées au
culte du corps : l’affirmation d’un ethos de la sensualité brésilienne n’est ni un vecteur
ni un symbole d’une liberté des mœurs mais, au contraire, un impératif qui pèse sur les
corps de chacun (à coup de musculation, de stéroïdes et de chirurgie esthétique).
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