ArticlePDF Available

Abstract

S’appuyant sur des données qualitatives et quantitatives, les auteures visent à circonscrire la manière dont les pratiques de visionnement connecté s’inscrivent dans la vie quotidienne des jeunes femmes (18-24 ans) au Québec et s’articulent aux différents espaces, particulièrement l’espace domestique. Partant de l’idée que les usages du téléviseur, et aujourd’hui des dispositifs de visionnement connecté, constituent un indicateur de la transformation de la présence des femmes dans les espaces domestiques et publics, les auteures proposent de poursuivre les réflexions de Lynn Spigel du début des années 90 dans le nouvel écosystème médiatique où les pratiques de réception de la télévision sont en pleine transformation. Elles examinent le caractère genré (ou non) des usages et des modalités d’appropriation du visionnement connecté, notamment en ce qui concerne le potentiel d’autonomie couramment associé à ce dispositif quant aux espaces et au temps de visionnement, aux activités menées en parallèle ou aux modalités de découverte et de choix des contenus. La discussion croise deux traditions de recherche, soit celles des usages de la télévision et d’Internet, et s’inscrit dans la lignée des travaux de la critique féministe de la télévision (feminist television criticism). Les données sont ainsi analysées en tenant compte du rôle que jouent les logiques économique, sociale et éditoriale des opérateurs ou des opératrices des plateformes de visionnement à la demande, dans le maintien ou la reconfiguration des rapport sociaux de genre.
Tous droits réservés © Recherches féministes, Université Laval, Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/
Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
https://www.erudit.org/fr/
Document généré le 5 oct. 2020 12:54
Recherches féministes
Le visionnement connecté dans le quotidien des jeunes femmes
au Québec
Online Viewing in the Day-to-day Lives of Young Women in
Quebec
El visionado conectado en la vida cotidiana de las jóvenes
mujeres en Quebec
Christine Thoër, Anouk Bélanger, Florence Millerand et Nina Duque
(Re)productions et subversions du genre dans les médias
Volume 33, numéro 1, 2020
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1071248ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1071248ar
Aller au sommaire du numéro
Éditeur(s)
Revue Recherches féministes
ISSN
0838-4479 (imprimé)
1705-9240 (numérique)
Découvrir la revue
Citer cet article
Thoër, C., Bélanger, A., Millerand, F. & Duque, N. (2020). Le visionnement
connecté dans le quotidien des jeunes femmes au Québec. Recherches
féministes, 33 (1), 177–196. https://doi.org/10.7202/1071248ar
Résumé de l'article
S’appuyant sur des données qualitatives et quantitatives, les auteures visent à
circonscrire la manière dont les pratiques de visionnement connecté
s’inscrivent dans la vie quotidienne des jeunes femmes (18-24 ans) au Québec
et s’articulent aux différents espaces, particulièrement l’espace domestique.
Partant de l’idée que les usages du téléviseur, et aujourd’hui des dispositifs de
visionnement connecté, constituent un indicateur de la transformation de la
présence des femmes dans les espaces domestiques et publics, les auteures
proposent de poursuivre les réflexions de Lynn Spigel du début des années 90
dans le nouvel écosystème médiatique où les pratiques de réception de la
télévision sont en pleine transformation. Elles examinent le caractère genré
(ou non) des usages et des modalités d’appropriation du visionnement
connecté, notamment en ce qui concerne le potentiel d’autonomie
couramment associé à ce dispositif quant aux espaces et au temps de
visionnement, aux activités menées en parallèle ou aux modalités de
découverte et de choix des contenus. La discussion croise deux traditions de
recherche, soit celles des usages de la télévision et d’Internet, et s’inscrit dans
la lignée des travaux de la critique féministe de la télévision (feminist television
criticism). Les données sont ainsi analysées en tenant compte du rôle que
jouent les logiques économique, sociale et éditoriale des opérateurs ou des
opératrices des plateformes de visionnement à la demande, dans le maintien
ou la reconfiguration des rapport sociaux de genre.
Recherches féministes, vol. 33, nº 1, 2020 : 177-196
Le visionnement connecté dans le quotidien
des jeunes femmes au Québec
CHRISTINE THOËR, ANOUK BÉLANGER, FLORENCE MILLERAND ET NINA DUQUE
Les travaux féministes sur la télévision émergent au début des années 80, à
un moment où s’ajoute à l’attention accordée au texte télévisuel un nouvel intérêt pour
les conditions de sa réception (Brunsdon 1993; McCabe et Akass 2006; Proulx et
Maillet 1998). S’appuyant sur des approches qualitatives et notamment
ethnographiques, les chercheuses et les chercheurs qui s’intéressent à la réception
autant qu’aux contenus visent à mieux comprendre les usages que font les femmes des
textes télévisuels au quotidien de même qu’à documenter les contextes et les cadres
spatiotemporels de leur écoute (Ang 1996; McCabe et Akass 2006).
Marquées par la tradition critique des études culturelles (cultural studies),
plusieurs recherches insistent sur l’importance de prendre en considération les
contextes économique, technologique et politique dans lesquels s’inscrit l’activité
télévisuelle (Ang 1996; Lotz 2017). C’est l’un des apports (et défi) des études
s’inscrivant dans la perspective de la critique féministe de la télévision (feminist
television criticism), celui de faire varier le point de mire, de conserver une perspective
critique, tout en se concentrant sur le quotidien des spectatrices (Ang 1996).
Lynn Spigel (1992), qui analyse l’introduction de la télévision dans les foyers,
relève ce défi et montre que, si la télévision offre de nouvelles ouvertures aux femmes
vivant dans les banlieues américaines (divertissement, ouverture sur le monde, base
de socialisation entre femmes), elle contribue aussi à leur maintien dans une certaine
place au sein de l’espace privé. En effet, si la télévision rassemble la famille autour
de ses contenus, ses usages reflètent tout de même les rapports sociaux de genre qui
caractérisent la vie domestique (Spigel 1992). Les discours promotionnels entourant
la télévision, de même que les formats et les contenus télévisuels proposés aux
femmes, contribuent à articuler l’expérience du quotidien marquée par l’importance
d’un travail domestique, répétitif et discontinu, au flot télévisuel (Modleski 1983;
Probyn 1992; Spigel 1992). L’articulation entre travail domestique et loisir dans le
quotidien des femmes est aussi au cœur des nouveaux modèles d’aménagement
proposés pour permettre aux femmes de suivre la programmation pendant qu’elles
s’occupent du repas (élimination des murs entre salle à manger, salon et cuisine,
nouveaux designs des téléviseurs comme dans le cas de l’appareil de télévision
encastré au-dessus du four (TV stove) dans la cuisine) (Spigel 1992). Au-delà du
divertissement, les émissions ciblant les femmes visent également l’acquisition de
compétences en matière de gestion du foyer et de consommation, y compris celle de
la télévision elle-même. On voit ainsi la manière dont l’introduction de la télévision
favorise l’interconnexion entre travail domestique et loisir (Spigel 1992). Toutefois,
si l’on prête à la télévision la capacité d’adoucir l’investissement des femmes dans les
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 178
tâches ménagères, c’est une émancipation limitée, car elle ne les en libère pas vraiment
(Spigel 2001; Brunsdon, D’Acci et Spigel 1997).
Avec l’arrivée du magnétoscope au cours des années 80, puis des chaînes
câblées et du DVD, dispositifs qui offrent plus de souplesse quant aux moments de
visionnement et augmentent la capacité du téléspectateur ou de la téléspectatrice à
faire des choix parmi une offre télévisuelle en expansion (Ang 1996), l’articulation
entre pratiques télévisuelles et rapports de pouvoir au sein du foyer est réexaminée
(Gray 1992; Morley 1986). Les études montrent que l’engagement des femmes dans
l’activité télévisée s’effectue encore principalement en rapport étroit avec les tâches
ménagères, même si celles-ci se réservent des moments de visionnement, privilégiant
des contenus particuliers comme les comédies romantiques (Gray 1992; Morley
1986). Pour les hommes, le foyer serait perçu comme un espace de loisir où l’activité
télévisuelle occupe une place importante, d’où le pouvoir qu’ils exercent sur le choix
des émissions (qui se manifeste notamment par le contrôle de la télécommande;
Walker (1996)) et leur capacité à la mise en place plus systématique d’une attention
concentrée (Morley 1986).
Des études plus récentes montrent que les différences qui persistent quant aux
choix genrés des contenus ou au contrôle du choix des émissions tendraient à
s’assouplir (Gauntlett et Hill 1999). Ainsi, tenir compte du genre pour comprendre les
usages télévisuels (et plus largement des technologies de l’information et de la
communication), demeure pertinent, mais les chercheuses et les chercheurs invitent à
considérer d’autres dimensions telles que l’appartenance sociale, la culture matérielle
et symbolique des ménages ou l’historique de consommation familiale (Silverstone,
Hirsch et Morley 1991; Bélanger, Proulx et Voisin 1995; Gauntlett et Hill 1999).
La situation se complexifie dans le contexte actuel où la télévision ne se limite
plus au médium, mais inclut tout un ensemble d’appareils connectés et de plateformes
(Lotz 2017). Au Québec, par exemple, l’accès aux contenus télévisuels se fait de plus
en plus par les plateformes en ligne, notamment pour les adolescentes et les
adolescents ainsi que les jeunes adultes (CEFRIO 2017 et 2019). Ce qui change,
poursuit Lotz (2017), avec la « télévision distribuée par internet » (Internet distributed
television), c’est qu’elle permet la distribution (et l’accès à la demande) de contenus
personnalisés grâce à une stratégie de curation s’appuyant sur de puissants
algorithmes. Ainsi, l’« activité télé » prend désormais de multiples formes (Jost 2019).
Dans la même logique, il importe de souligner que les pratiques
audiovisuelles, notamment à l’adolescence et au début de l’âge adulte, combinent une
diversité de contenus qui ne se limitent pas aux contenus télévisuels : ces pratiques
incluent nombre de vidéos pour une part produites par les jeunes mêmes, et dont
l’accès se fait par l’intermédiaire de différentes plateformes comme YouTube, TikTok
ou les médias socionumériques. S’entremêlent de plus au visionnement différentes
pratiques de communication et de consommation d’information en ligne, notamment
sur les réseaux socionumériques qui participent de l’expérience spectatorielle (Sonet
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 179
2015; Thoër et autres à paraître), celle-ci étant désormais multiplateforme (Holt et
Sanson 2014 : 1).
Ce dispositif de visionnement connecté est généralement associé à une plus
grande autonomie de la spectatrice ou du spectateur (Perticoz et Dessinges 2015) à
l’égard de la grille-horaire de programmation, quant à la durée des séquences de
visionnement et de leur inscription dans les temps sociaux, les usages des jeunes
« s’émancipant de l’obligation de linérarité et de mono-occupation » (Octobre 2017 :
2). La figure d’un usager ou d’une usagère « en contrôle », qui peut regarder quand et
où bon lui semble les contenus de son choix en provenance du monde entier, est au
cœur des discours promotionnels des plateformes de visionnement à la demande
(VAD), notamment, de Netflix (Jenner 2018; Tryon 2012).
Rares sont les études empiriques ayant examiné ces transformations des
pratiques audiovisuelles dans une perspective féministe. Peu de travaux s’inscrivant
dans cette perspective ont d’ailleurs porté sur la réception et les usages de la télévision
(Coulomb Guly 2014). D’une part, les recherches féministes sur la télévision, qui se
développent d’abord dans les milieux anglophones et émergent au tournant des
années 2000 dans la francophonie (voir Josianne Jouët (2003) ainsi que Charlotte
Brunsdon, Julie D’Acci et Lynn Spigel (1997)), se concentrent sur la construction du
sujet féminin par les contenus télévisuels plutôt que par les usages (Ang 1996; Press
1991). D’autre part, les travaux analysant les pratiques numériques à travers le prisme
du genre ont mis l’accent sur les usages d’Internet, marginalisant l’étude d’autres
dispositifs dont la télévision et les dispositifs de visionnement connecté (Bergström et
Pasquier 2019)1. Concernant les usages d’Internet, si les discours d’émancipation qui
caractérisent le Web depuis ses débuts restent prégnants, les espaces numériques étant
perçus « comme propices à l’expression d’une pluralité de normes, de pratiques et
d’identités sexuées » (Bergström et Pasquier 2019 : 2), les études empiriques
indiquent que l’accès aux technologies numériques et leurs usages restent fortement
genrés, les univers numériques contribuant ainsi à renforcer les inégalités sociales de
genre (Bergström et Pasquier 2019; Jouët 2003).
Examiner la façon dont les usages télévisuels s’inscrivent dans la vie
quotidienne des femmes dans l’environnement médiatique actuel est donc nécessaire
(Cavalcante, Press et Sender 2017) particulièrement dans un contexte où, comme le
soulignent ces auteures, le caractère genré des espaces de consommation télévisuelle
doit être remis en question. En effet, avec l’omniprésence des médias dans tous les
temps sociaux, la division public/privé des espaces se révèle de plus en plus brouillée
(Cavalcante, Press et Sender 2017 : 5) : « Contemporary audience scholars must be
prepared for a new media environment in which our earlier equation of specific media
with particular “ sphères ” of life such as the public and private no longer makes
sense. »
1 Seuls certains travaux sur les pratiques des fans de séries télévisées ont mis en évidence
d’autres formes d’engagement avec les textes télévisuels (McCabe et Akass 2006).
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 180
Dans le présent article, nous voulons circonscrire la manière dont les pratiques
de visionnement connecté des jeunes femmes au Québec s’inscrivent dans la vie
quotidienne et s’articulent aux différents espaces, notamment l’espace domestique. La
discussion proposée permet ainsi de croiser deux traditions de recherche, soit celles
des usages de la télévision et d’Internet, et d’analyser l’articulation entre dispositif,
femmes et espaces.
Notre analyse s’inscrit en partie dans la lignée des travaux de la critique
féministe de la télévision (Lotz et Ross 2004; McCabe et Akass 2006), en situant ces
pratiques et ces modalités d’appropriation dans le contexte de la « plateformisation »
des industries culturelles (Gillespie 2010 et 2018; van Dijck, Poell et de Waal 2018;
Lotz 2017). Cela nous permet de considérer certains liens entre les logiques
économique, sociale et éditoriale des opérateurs et des opératrices des plateformes de
VAD et la (trans)formation des rapports sociaux de genre à l’égard des contenus
audiovisuels visionnés en ligne. Enfin, nous avons ciblé de jeunes adultes âgés de 18
à 24 ans, tranche d’âge figurant parmi les plus engagées dans les pratiques de
visionnement connecté au Québec (CEFRIO 2019).
Nos analyses s’appuient ainsi sur une collecte de données qualitatives et
quantitatives réalisée sur plusieurs années, auprès de jeunes adultes âgés de 18 à
24 ans, vivant à Montréal, d’origine culturelle variée, et dont le français était l’une des
langues parlées à la maison. Les données qualitatives proviennent d’une recherche
réalisée de 2015 à 2018 sur les pratiques de visionnement connecté des jeunes de 12
à 25 ans. Nous analysons ici les données qualitatives, issues de quatre groupes de
discussion formés en 2015 avec 19 participantes et participants âgés de 18 à 24 ans
(8 femmes et 11 hommes), recrutés par réseaux de connaissances et des annonces sur
différents sites Web, dont les conversations portaient sur les contenus audiovisuels
regardés en ligne et les expériences de visionnement associées. Les participantes et
les participants devaient regarder de manière connectée au moins deux contenus de
divertissement en ligne par semaine, critère largement dépassé. En décembre 2015 et
en janvier 2016, nous avons mené des entrevues semi-dirigées avec 10 de ces
participantes et participants (6 femmes et 4 hommes) pour documenter avec précision
les pratiques personnelles en matière de visionnement connecté. En 2018, nous avons
réalisé 16 nouvelles entrevues (9 femmes et 7 hommes) pour examiner l’évolution des
pratiques, avec les personnes ayant pris part aux entrevues précédentes, et d’autres
recrutées au moyen d’annonces sur divers sites Web. En 2020, nous avons conduit, en
partenariat avec le CEFRIO, une enquête en ligne auprès d’un échantillon tiré d’un
groupe témoin d’internautes (n = 1 000) de jeunes âgés de 18 à 24 ans, vivant au
Québec et dont une des langues parlées régulièrement au foyer était le français. Cette
enquête, dont l’objectif était de mettre en évidence les pratiques de visionnement de
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 181
séries transnationales, comportait une section plus générale sur les pratiques du
visionnement connecté2.
Dans l’analyse qui suit, nous discutons de manière comparée les données
concernant les jeunes femmes et les jeunes hommes afin de déterminer les variations
selon le genre dans les usages du visionnement connecté et les modalités de son
inscription dans la vie quotidienne. Nous abordons les modalités et les contextes de
visionnement connecté des jeunes femmes, les activités menées en parallèle du
visionnement connecté et les modalités de découverte et de sélection des contenus sur
les plateformes de VAD, puis discutons ces résultats dans la conclusion en les
resituant dans la littérature sur les logiques économique, sociale et éditoriale des
opérateurs et des opératrices des plateformes de VAD.
Une écoute de plus en plus mobile et individuelle
Pour les jeunes ayant participé à notre recherche, le visionnement connecté
est le plus souvent individuel, et cela s’avère plus marqué pour les jeunes femmes
(75 % regardant toujours ou assez souvent seules du contenu contre 65 % des jeunes
hommes; p = 0,01)3. En raison de la multiplicité des contenus audiovisuels accessibles
à la demande sur Internet ainsi que de la fragmentation des choix et de la variation des
rythmes de visionnement, il devient de plus en plus difficile de mettre en place des
moments de visionnement communs selon ce que la télévision traditionnelle offrait
au sein des foyers des années 1950 à 2000. La montée de l’écoute individualisée
explique peut-être que les jeunes femmes que nous avons rencontrées en parlent
comme d’un loisir individuel reflétant leurs goûts personnels plutôt qu’une pratique
sociale liée à la construction identitaire de genre. La tendance est davantage présente
chez les jeunes femmes, en particulier parce qu’elles sont plus nombreuses que les
jeunes hommes à regarder des contenus sur des appareils mobiles au sein du foyer,
notamment le téléphone cellulaire qui les accompagne partout. Par exemple, si
hommes et femmes utilisent la tablette (24 %) et la télévision (39 %) dans des
proportions à peu près similaires pour regarder des séries4, 84 % des jeunes femmes
2 L’enquête en ligne a été menée auprès de 1 000 personnes âgées de 18 à 24 ans
(575 femmes et 420 hommes; 500 venaient de l’agglomération montréalaise, 100, de la
région de la Capitale-Nationale et 400, d’autres régions du Québec). Les résultats ont été
pondérés (sexe et scolarité) sur la base des données populationnelles de l’Institut de la
statistique du Québec. Cette enquête nous a permis de repérer les variations dans les
pratiques de visionnement connecté selon différentes variables (âge, sexe, scolarité, origine
ethnoculturelle des parents, contexte familial et dispositif de visionnement).
3 Les chiffres mentionnés par sexe correspondent à des distributions de fréquence
statistiquement significatives (test du khi-deux) dans un intervalle de 95 % ou de 99 %.
Nous indiquons la valeur « p » pour chacun des résultats présentés.
4 Dans une journée type, les séries constituent le contenu audiovisuel regardé de manière
connectée par le plus grand nombre de jeunes adultes (81 %) avec les vidéos courtes
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 182
regardent ces contenus sur leur téléphone cellulaire et 72 %, sur leur ordinateur
portable, le taux de jeunes hommes à se servir de ces deux appareils étant
respectivement de 69 % et de 52 % (p = 0,01). Les jeunes hommes sont par contre
plus nombreux à regarder des séries sur leur ordinateur fixe dans leur chambre (25 %
versus 9 % des jeunes femmes; p = 0,01) ou à partir d’une console de jeu
(respectivement 38 % versus 21 % des jeunes femmes; p = 0,01), ce qui s’explique,
entre autres, parce qu’ils utilisent ces dispositifs pour jouer en ligne, pratique dans
laquelle ils s’engagent en plus grand nombre que les jeunes femmes (51 % versus
30 %; p = 0,01).
L’écoute mobile est donc plus fréquente chez les jeunes femmes au sein du
foyer où tous les espaces sont investis pour le visionnement, comme la salle de bains,
la cuisine, la chambre, ainsi que les tiers espaces ou même la circulation entre ces
espaces. En entretien, les jeunes femmes étaient aussi plus nombreuses à rapporter des
mises en place personnalisées dans ces différents espaces. Dans la chambre, elles
s’aménagent une installation confortable sur le lit avec coussins et couvertures; dans
la salle de bains, plusieurs avaient bricolé une installation permanente pour poser leur
téléphone; dans la cuisine, le téléphone ou l’ordinateur portables occupaient
régulièrement certaines places parmi les électroménagers pour être accessibles
pendant les temps consacrés à la cuisine, comme on peut le voir sur les figures 1 et 2.
Les pratiques de visionnement connecté mobile des jeunes femmes accompagnent
d’ailleurs plus souvent ces dernières dans des activités régulières : nous y reviendrons
dans la section « Le visionnement connecté, compagnon des activités du quotidien ».
Figure 1 Visionnement d’une vidéo sur YouTube en préparant le repas
(79 %). La moitié des jeunes adultes ont aussi déclaré que les séries constituaient le contenu
regardé en ligne le plus souvent (57 % des femmes et 44 % des hommes; p = 0,01), par
comparaison avec les vidéos de youtubeurs ou de youtubeuses qui constituent le premier
contenu regardé en ligne pour 25 % des jeunes femmes et 17 % des jeunes hommes.
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 183
Figure 2 Visionnement sur l’ordinateur portable en faisant la vaisselle
Bien que les installations à l’un ou l’autre endroit d’une demeure nécessitent
différents appareils mobiles, le visionnement peut être très focalisé. La petite taille
des écrans nécessite de les positionner à proximité de soi, souvent en contact direct
avec le corps lorsque les jeunes femmes sont allongées sur le lit (le téléphone ou
l’ordinateur posé sur le ventre, tenu à la main), ce qui contribue à l’immersion dans la
série ou dans l’univers des youtubeurs et des youtubeuses et à l’intimité de
l’expérience (Bociurkiw 2008). La dimension générationnelle et l’idée d’avoir plus
d’autonomie en matière de choix des contenus se trouve à l’avant-plan de leurs
discours dans les entretiens, notamment pour celles qui habitent chez leurs parents,
alors que la dimension de genre n’est pas manifeste dans leurs discours. Elles parlent
d’elles-mêmes, il va de soi, mais à aucune occasion n’ont-elles invité la variable du
genre, par exemple en disant : « Comme femme, je pense que… » Les jeunes adultes,
hommes et femmes, rapportent en effet peu de contrôle sur le choix des contenus
visionnés à la télévision familiale en soirée, en particulier les émissions diffusées en
direct, celui-ci relevant le plus souvent des parents. On reste ainsi relativement près
des rapports familiaux et de genre évoqués dans les premiers travaux sur la réception
de la télévision, notamment l’autorité parentale (et surtout du père) sur le choix (Ang
1996; Morley 1986).
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 184
Si le visionnement individuel domine chez les jeunes adultes, il peut aussi se
faire à deux ou à plusieurs, avec des membres de la famille notamment pour les 18 à
20 ans qui sont plus nombreux à habiter chez leurs parents, avec des amis ou des amies
ou encore en couple, avec peu de variations selon le sexe, si ce n’est que les jeunes
femmes regardent plus de séries avec leur mère que les jeunes hommes (29 % versus
17 %; p = 0,01) et avec la fratrie (25 % versus 16 %; p = 0,01). Il arrive aussi que tous
et toutes ne regardent pas le même écran ni le même contenu. Les dispositifs de
visionnement connecté offrent la possibilité d’occuper un espace, d’être au milieu des
autres en étant en solo, par exemple avec les écouteurs qui permettent de supprimer le
son et de suivre avec les sous-titres pour éviter de déranger l’entourage. Malgré tout,
l’activité rassemble (Blanc 2015; D’heer et Courtois 2016) et continue de structurer
la vie quotidienne du foyer (Morley 1999). Ce ne sont toutefois plus le contenu et
l’espace qui font œuvre de partage ici, mais seulement l’espace dans lequel chacune
et chacun choisit son dispositif et son contenu.
Le visionnement connecté, compagnon des activités du quotidien
Bien que tous les participants et les participantes à notre enquête décrivent un
visionnement s’insérant en parallèle des activités quotidiennes, les jeunes femmes
rapportent une plus grande diversité de pratiques entremêlées au visionnement
connecté ainsi que d’espaces et de temps du quotidien où celui-ci s’inscrit. Le
visionnement connecté constitue d’ailleurs, pour plusieurs jeunes femmes, une forme
de compagnonnage de leurs activités quotidiennes, notamment en se levant, en se
préparant, en mangeant ou en s’endormant : « Pour que ce soit une vraie pause
déjeuner, ou une vraie pause dîner, ça prend nécessairement de marquer le coup, de
manger avec une série » (Bianca, 21 ans).
Toujours à portée de clic grâce aux dispositifs connectés, les vidéos et les
séries que les participantes écoutent parfois plus qu’elles ne les regardent, et dont le
visionnement peut être répété à volonté, construisent une ambiance qui rassure. Les
jeunes hommes rencontrés n’ont pas soulevé cet aspect, donnant écho au rôle affectif
de la télévision d’ambiance (ambient television) (McCarthy 2001) pour les femmes
dans les espaces du foyer. En entretien, les jeunes femmes étaient beaucoup plus
nombreuses à souligner que les activités de visionnement connecté accompagnent
leurs tâches ménagères (préparation des repas, vaisselle, ménage, pliage du linge).
Rappelons que les femmes ont historiquement combiné écoute télé et tâches
domestiques, et cette écoute actuelle en mode multitâche constitue un aspect résiduel
de la réception traditionnelle des femmes.
Le visionnement en mode multitâche sert aussi, aujourd’hui comme hier, à
réduire le sentiment de culpabilité associé aux nombreuses heures passées à regarder
le télévision, sentiment que n’évoquent pas ou très peu les jeunes hommes :
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 185
J’aime bien (regarder) en mangeant parce que j’ai l’impression que je ne suis
pas contre-productive quand je fais c
̧a. Et je me dis que, de toutes façons,
j’utiliserais mon temps pour manger.
(Sandra, 19 ans)
Plusieurs jeunes femmes ont également recours à des métaphores renvoyant à
l’alimentation pour décrire le « trop plein » qu’elles ressentent après une période de
visionnement en rafale de séries, même si plusieurs soulignent aussi le plaisir et
l’engagement associés à ce mode de visionnement :
Je comparerais la consommation de séries un peu à un trouble alimentaire […]
Moi, je regarde plein d’émissions de suite, tout le temps, puis après si j’en
regarde trop, je me sens pas bien, comme une personne qui va se faire vomir
après avoir trop mangé, dans ce sens-là. Parce que c’est pas qu’on est accro,
mais j’ai besoin de... Je peux pas arrêter.
(Groupe de jeunes femmes, 20-25 ans)
L’utilisation de ces métaphores alimentaires rappelle les différences de genre
dans le rapport au corps, à la beauté et à l’alimentation.
Les modalités de découverte et la diversité des contenus regardés en ligne
Notre enquête montre que les jeunes du même âge restent la première source
de découverte de contenus. Cependant, la famille est aussi source de découverte de
contenus, et ce, plus particulièrement pour les jeunes femmes qui s’appuient en plus
grand nombre (39 % versus 21 % pour les hommes; p = 0,01) sur les
recommandations de la famille. Les jeunes femmes sont aussi davantage nombreuses
à s’inspirer des suggestions qu’elles voient passer sur les réseaux socionumériques
concernant les séries (51 % versus 32 % pour les jeunes hommes; p = 0,01), dont les
publications des productions aimées (« likées ») par leurs amis et amies. Elles trouvent
également des contenus par l’entremise des suggestions de leurs youtubeuses et
youtubeurs préférés dans une plus grande proportion que les hommes (37 % versus
21 % pour les hommes; p = 0,01). À noter que ces derniers sont plus nombreux à faire
des recherches sur des sites spécialisés et des espaces d’échange en ligne.
Tous les participants et participantes soulignent aussi que les dispositifs de
visionnement connecté leur donnent accès aux contenus issus de « toutes les télés du
monde », même si, en entretien, les séries regardées en ligne au cours du dernier mois
citées sont majoritairement américaines. Les données d’enquête montrent toutefois un
intérêt pour les séries produites hors des États-Unis, celui-ci étant un peu plus marqué
chez les jeunes hommes (63 % déclarant en regarder versus 55 % des jeunes femmes;
p = 0,01) et pour les séries québécoises (regardées par 69 % des jeunes femmes et
57 % des jeunes hommes; p = 0,01).
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 186
YouTube est aussi présenté par les participantes et les participants comme
offrant des contenus plus diversifiés, issus du monde entier et plus authentiques parce
qu’ils sont produits par et pour les jeunes (Balleys 2017). La grande fragmentation
des choix de contenus qu’opèrent les jeunes adultes témoigne de cette nouvelle
abondance de l’offre et donne certainement l’impression d’une liberté de choix,
participant à une affirmation de soi et de ses goûts personnels. En entretien, les jeunes
femmes soulignaient particulièrement que YouTube leur permet d’accéder à une
diversité de ressources qu’elles peuvent utiliser dans leur processus de construction
identitaire. Visionner les productions de certaines youtubeuses leur permet
notamment d’être exposées à des modèles autres que ceux qu’elles trouvent dans leur
entourage ou dans les médias traditionnels, notamment en matière d’identité sexuelle :
[Ces youtubeuses], juste le fait qu’elles soient là, moi je suis exposée à elles,
elles ont plus de présence dans ma vie, fait que ça fait plus d’exposition
LGBT, pis c’est agréable parce que c’est tellement pas ça ailleurs (dans les
médias traditionnels).
(Manon, 22 ans)
Ce faisant, les vidéos sur YouTube, comme les séries, même si cette
dimension a été moins mentionnée par les participantes concernant ces contenus,
ouvrent un espace de réflexion permettant d’acquérir une multitude de « savoirs
minuscules » (Pasquier 2002), de découvrir et d’expérimenter différentes options et
stratégies identitaires, ainsi que de trouver des références pour affronter les épreuves
de l’existence (Balleys et autres 2020; Glevarec 2012).
Toutefois, malgré le discours des jeunes adultes sur le riche éventail de
possibilités de choix audiovisuels grâce aux plateformes de VAD, les logiques
économique, sociale et éditoriale des opérateurs ou des opératrices de ces plateformes
limitent la diversité des choix. D’autres facteurs diminuent les capacités de découverte
d’une diversité de contenus, à commencer par le rôle que jouent les algorithmes dans
la sélection des contenus, avec le risque d’enfermer les usagers et les usagères dans
« une bulle de filtres » (Pariser 2011), ce qui n’est guère jugé problématique par les
participantes et les participants à notre recherche, qui apprécient, comme nous l’avons
mentionné, les prescriptions personnalisées de l’algorithme. Rares sont d’ailleurs ceux
et celles qui remettent en question le caractère personnalisé des sélections proposées
sur la base de leur parcours de visionnement alors que ces dernières s’appuient, ainsi
que le soulignent des travaux sur la plateforme Netflix (Delaporte 2018; Jenner 2018),
sur la similarité des goûts avec des communautés d’utilisateurs et d’utilisatrices
(Alexander (2016 : 86), cité dans Jenner (2018 : 129)) :
In a narcissistic manner, they [Netflix viewers] confuse the ‘ You ’ in
‘ Recommended for You ’ with a unique, complex individual, rather than with
a group of strangers who all happened to have similar choices.
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 187
Par ailleurs, l’analyse des modalités de production et de partage du contenu
sur la plateforme YouTube montre les logiques marchandes qui traversent la « culture
de la connectivité » et qui ciblent plus particulièrement les jeunes femmes. Ainsi, une
part non négligeable des contenus qui s’adressent aux publics féminins sont le fait de
maisons de production et d’organismes de diffusion professionnels (Douglas 1995;
van Dijck 2013). Les nouvelles règles de monétisation favorisent en outre les
cybervidéastes de YouTube les plus populaires et les incitent, pour les créatrices qui
ciblent les jeunes femmes, à rechercher des partenariats avec des marques de
vêtements, de maquillage, de régimes alimentaires, de chirurgie esthétique. Les
chaînes YouTube regardées par le plus grand nombre de jeunes femmes dans notre
enquête proposent ainsi des vidéos « style de vie » (Himma-Kadakas et autres 2018),
qui offrent des recommandations quant aux gestes à suivre et aux produits à se
procurer pour faciliter (réussir?) les activités quotidiennes (ma routine du matin, mon
maquillage, ma routine d’entraînement, ma routine du soir), inspirer les activités de
rangement, le ménage, la cuisine, la décoration de la chambre, les usages des
technologies (déballage du nouvel iPhone par exemple) ou encore aider à se projeter
dans la maternité et la vie de mère de famille. Cela résonne avec la longue histoire de
« consommation domestique » des femmes encouragée par la télévision (Hollows
2008 : 154).
Du côté des jeunes hommes, les chaînes YouTube regardées par le plus grand
nombre proposent des vidéos à caractère humoristique ou présentent des jeux vidéo,
ces contenus mettant également en scène une certaine représentation de la masculinité
(Balleys 2016). On voit ainsi que, d’une part, se maintiennent des différenciations de
genre dans les choix des contenus, même si les répertoires du visionnement connecté
se sont modifiés, et que, d’autre part, les contenus visionnés particulièrement sur
YouTube contribuent à réaffirmer les différences plutôt que de remettre en question
les constructions et les rapports de genre (Balleys 2016 et 2017).
Les contenus majoritairement regardés par les jeunes femmes ne sont pas sans
rappeler certains discours caractérisant les débuts de la télévision de jour (Spigel
2013), notamment les émissions de type magazine, qui mêlaient conseils ménagers et
divertissements variés, et qui avaient pour objet, au-delà du divertissement,
l’acquisition de compétences en matière de gestion du foyer et de consommation
(Spigel 1992). Les vidéos regardées par les jeunes adultes renvoient aussi aux carcans
stéréotypiques du soin (care), de la beauté, de l’alimentation, du marché du style de
vie (lifestyle) et de l’authenticité (mentionné, entre autres, par Joanne Hollows et
Laurie Ouellette dans Charlotte Brunsdon et Lynn Spigel (2008)), témoignant des
liens entre le contexte discursif, social, institutionnel de la « télévision distribuée par
Internet » et le quotidien et la construction d’une féminité préférentielle des jeunes
femmes (Milestone et Meyer 2012).
De plus, les tendances au mimétisme entre youtubeuses au sein de
communautés de cybervidéastes de YouTube, que ce soit en fait de thématiques
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 188
abordées, de routines langagières ou gestuelles, ou encore de mise en scène des
produits ou de formats (Balleys 2017; Himma-Kadakas et autres 2018), réduisent la
diversité des discours sur YouTube du fait de leur convergence vers certains modèles
de la féminité (Balleys 2017) :
[Les] adolescentes youtubeuses n’ont donc de cesse de se référer les unes aux
autres, ainsi qu’à une figure « d’autrui généralisé » spécifiquement féminin.
Elles font exister une entité représentant la « majorité normale » de la
population féminine (et non pas son entièreté), qui sert à la fois de support
expressif et identitaire, et d’étalon de mesure de la féminité.
Conclusion
Les études émergeant dans la francophonie sur la communication et la sphère
résidentielle démontrent que les rapports de genre façonnent en partie les usages et
qu’en retour les dispositifs de visionnement contribuent à la dynamique et à la
construction du genre (Jouët 2003). Regarder de manière connectée implique
différentes formes et configurations du visionnement dont on n’a probablement pas
encore fait le tour (Blanc 2015). Il apparaît notamment que les frontières entre les
espaces intimes, privés et publics sont de plus en plus poreuses, ce qui a pour effet
que les dispositifs actuels permettent de moins en moins de saisir les espaces comme
des environnements fixes, s’articulant de manière stable ou homogène à l’expérience
de visionnement connecté et à la construction du genre.
Néanmoins, cette lecture des données, à l’aulne de l’articulation entre
dispositif de visionnement, jeunes femmes et espaces domestiques, nous permet de
relever des articulations individuelles et des tendances tissées en continuation avec
l’histoire de pratiques télévisuelles traditionnellement « féminines ». Les manières
dont le visionnement s’intègre aux tâches ménagères, au multitâche, ainsi qu’à la
consommation liées au marché du style de vie et du soin de façon majoritaire chez les
jeunes femmes est révélateur de ces tendances historiquement genrées (Hollows 2008;
Gill et Hollows 2011). Cela cohabite avec un nouveau sentiment d’autonomie et un
détachement, voire une coupure, par rapport à des modes et à des environnements de
visionnement « familial » qui reconduisent certains rapports sociaux dans
l’expérience spectatorielle.
La diversité des modalités de visionnement connecté place les jeunes femmes
dans une expérience individualisée dont elles parlent comme d’une expérience
personnelle et non sociale. En outre, si les chercheuses constatent une extension du
domaine télévisuel dans tous les espaces-temps du quotidien (Gill et Hollows 2011;
Jost 2019), celle-ci est plus marquée pour les jeunes femmes, et nous observons en
sus une extension de la dimension intime de l’écoute (ce dont parlent Sonia
Livingstone (2007) et Nina Duque (2018) par l’intermédiaire de la permanence et de
l’extension de la chambre à d’autres espaces dans et hors foyer).
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 189
Ce degré extra-intime et intériorisé des dispositifs et des contenus télévisuels
rend les articulations d’autant plus complexes et diversifiées pour la recherche, mais
peut aussi opacifier l’effet des discours sur le genre et sur la liberté de choix portés
par les contenus, les environnements et les plateformes. Nous avons relevé, par
exemple, le discours des plateformes sur la liberté de choix, personnalisé grâce à la
puissance des algorithmes (Delaporte 2018), et l’affirmation de soi qui ne saurait être
dénuée d’ambivalences (Tryon 2012). Ces discours faisant l’apologie du libre choix
individuel en matière de consommation médiatique ouvrent en effet la porte à la
possibilité d’une plus grande individualité qui se trouve parfois remise en question,
certaines chercheuses y décelant les traces d’un discours néolibéral où ne peut
s’affirmer qu’un féminisme dépolitisé par l’entremise du contrôle des choix de
consommation (Evelyn Probyn, citée dans Brunsdon, D’Acci et Spigel (1997 : 127)).
Comme nous l’avons mentionné, les entretiens menés n’ont pas été conçus pour
approfondir ce sentiment de liberté individuelle à l’aulne de ce que l’on désigne
comme des postures postféministes en adoptant une rhétorique du choix libre et en
déplaçant certains problèmes structurels dans la sphère privée. Cependant, et sans
nous réapproprier les propos des jeunes femmes, nous pouvons certainement relever
les liens entre l’individualisation de l’expérience, le sentiment de liberté de choix ainsi
que l’affirmation d’un féminisme néolibéral et postféministe dans la culture populaire
et télévisuelle au cours des vingt dernières années (Brunsdon, D’Acci et Spigel 1997;
Brunsdon et Spigel 2008; Gill 2007; Hollows 2008; Rottenberg 2014).
En effet, les plateformes ne sont pas neutres, leur développement s’inscrivant
dans des dynamiques sociales et économiques (Gillespie 2018). Dans cette logique,
notre discussion souligne que certains aspects des appropriations, bien qu’ils soient
perçus comme « personnels », témoignent d’une appropriation genrée du
visionnement connecté, même si les différences ne sont pas toujours très marquées, à
savoir : les choix sexués des dispositifs (téléphone cellulaire plus investi par les
femmes pour le visionnement connecté), les espaces choisis (l’intimité de la salle de
bains et surtout la mobilité entre les espaces) et, enfin, la diversité des tâches connexes
au visionnement, des espaces-temps investis par cette pratique et des types de
contenus (le style de vie, le « care », la beauté et l’alimentation). Enfin, les modalités
de choix des contenus regardés impliquent moins de recherches actives sur différentes
ressources Web pour les jeunes femmes que pour les jeunes hommes, comme l’ont
également souligné Daniela Varela et Anne Kaun (2019) dans leur étude, ce qui
contribue à réduire la diversité des contenus auxquelles celles-ci peuvent accéder. Les
jeunes hommes sont aussi plus enclins à s’exprimer sur les médias sociaux, auprès
d’un réseau élargi, concernant les contenus regardés, ce qui peut favoriser leur
appropriation et la capacité d’exercer un regard réflexif sur les messages qu’ils
proposent. Selon Jouët (2003), la construction sociale des usages des technologies de
l’information et de la communication reste façonnée par les rapports sociaux de sexe,
et l’on observe de grandes variations dans les formes d’appropriation des espaces en
ligne. Plusieurs recherches ont également fait valoir que le genre est un facteur clivant
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 190
de l’espace numérique (Le Carroff 2015). La capacité des femmes à s’exprimer sur
les médias socionumériques est notamment contrainte par la reproduction de diverses
formes de domination patriarcale ainsi que par la présence marquée d’une culture de
la misogynie, où celles qui investissent ces espaces deviennent à risque en matière de
harcèlement (Mendes, Ringrose et Keller 2018; Bimber 2000).
La plus grande diversité des tâches menées en parallèle du visionnement
connecté observées chez les jeunes femmes renvoie à l’articulation entre travail
domestique et loisir au sein du quotidien des jeunes femmes au cœur des discours sur
l’intégration du téléviseur dans les foyers (Spigel 1992). Si aujourd’hui le
visionnement en mode multitâche s’inscrit dans un « cadre d’usage » (Flichy 2008)
largement construit par le discours (y compris le dispositif) des plateformes (Tryon
2012) qui ne cible pas précisément les jeunes femmes, celles-ci semblent par contre
se l’être tout particulièrement approprié, témoignant d’une dimension résiduelle
(Williams 1986) de la relation historique et traditionnelle entre le téléviseur et la
femme dans l’espace domestique. Relation la femme a développé l’habitude de
s’affairer tout en regardant la télévision, alors que les jeunes hommes ont plus
largement intégré l’idée du confort dans le visionnement, et d’un visionnement
concentré.
Le visionnement connecté traversant tous les espaces, la télévision a effectué
une plongée dans l’intimité, une invasion « hyper intime » pourrions-nous dire, car
elle se retrouve dans la chambre, sur l’oreiller, dans le bain, sur la table, et dans des
formats technologiques qui ne trônent plus au fond d’une pièce, mais qui sont
désormais mobiles et accompagnent chaque personne au point de donner l’impression
de faire partie d’elle plutôt que d’être une entité extérieure qui la construit. La qualité
d’objets domestiques qu’ont pris les dispositifs de visionnement et leur incorporation
peu à peu à l’intimité « [ont] produit un désenclavement de la technologie de l’emprise
masculine et les TIC deviennent un support d’interactions entre les sexes » (Jouët
2003 : 76). Ce caractère invisible de la technologie dans la construction de soi (Singh
2001) s’est fortement exprimé chez les jeunes femmes que nous avons rencontrées.
S’y ajoute une série de désenclavements porteurs d’émancipation cohabitant avec des
formes résiduelles de rapports traditionnels à la télévision et à l’espace domestique.
Les trois dimensions sont imbriquées dans des discours sur l’autonomie et la liberté
de choix qui, nous l’avons noté, ne sauraient être dénués d’ambivalences et de
contradictions. Les rapports sociaux qui sont formés par l’usage et qui façonnent leur
intimité au fil de l’appropriation de dispositifs de visionnement connectés se révèlent
d’autant plus importants à comprendre dans le contexte actuel d’hyperconnectivité, et
ce, dans une perspective harmonisant les usages ordinaires avec les imaginaires du
domaine de la télévision (Bergström et Pasquier 2019).
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 191
RÉFÉRENCES
ANG, Ien
1996 Living Room Wars: Rethinking Media Audiences for a Postmodern World.
Londres, Routledge.
BALLEYS, Claire
2017 « L’incontrôlable besoin de contrôle. Les performances de la féminité par les
adolescentes sur YouTube », Genre, sexualité et société, 17, [En ligne],
[doi.org/10.4000/gss.3958] (30 septembre 2019).
2016 « “ Nous les mecs ”. La mise en scène de l’intimité masculine sur YouTube »,
dans Martin Olivier et Éric Dagiral (dir.), L’ordinaire d’internet. Le web dans
nos pratiques et relations sociales. Paris, Armand Colin : 182-202.
BALLEYS, Claire, Florence MILLERAND, Christine THOËR et Nina DUQUE
2020 « Searching for Oneself on YouTube, Teenage Peer Socialization and Social
Recognition Processes », Social Media + Society, [En ligne], [journals.sage
pub.com/doi/10.1177/2056305120909474] (30 septembre 2019).
BÉLANGER, Pierre, Serge PROULX et Jocelyne VOISIN
1995 « Les usages de la télévision conjugués au féminin et au masculin : rapports
sociaux de genres et récits de pratiques télévisuelles », Quaderni, 26, 1 :
11-31, [En ligne], [doi.org/10.3406/quad.1995.1241] (30 septembre 2019).
BERGSTRÖM, Marie, et Dominique PASQUIER
2019 « Genre & Internet. Sous les imaginaires, les usages ordinaires :
Introduction », RESET, 8, [En ligne], [doi.org/10.4000/reset.1329]
(10 janvier 2019).
BIMBER, Bruce
2000 « Measuring the Gender Gap on the Internet », Social Science Quarterly, 81,
3 : 868-876.
BLANC, Guillaume
2015 « Les pratiques de réception télévisuelle dans les foyers à l’épreuve de
l’audiovisuel numérique », Études de communication, 44 : 63-78, [En ligne],
[doi.org/10.4000/edc.6179] (10 janvier 2019).
BOCIURKIW, Marusya
2008 « Put on your Bunny Ears, Take your TV around the Block: Old and New
Discourses of Gender and Nation in Mobile, Digital, and HDTV »
(Commentary), Canadian Journal of Communication, 33, 3 : 537-544.
BOULLIER, Dominique
2003 La télévision telle qu’on la parle. Trois études ethnométhodologiques. Paris,
L’Harmattan, coll. « Champs visuels ».
BRUNSDON, Charlotte
1993 « Identity in Feminist Television Criticism. Introduction », Media, Culture &
Society, 15 : 309-320.
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 192
1986 « Women Watching Television », MedieKultur: Journal of media and
communication research, 2, 4, 13, [En ligne], [doi.org/10.7146/medie
kultur.v2i4.737] (1er mars 2020).
BRUNSDON, Charlotte, Julie D’ACCI et Lynn SPIGEL
1997 Feminist Television Criticism: A Reader. Londres, Oxford University Press.
BRUNSDON, Charlotte, et Lynn SPIGEL
2008 Feminist Television Criticism: A Reader. Londres, McGraw-Hill Education.
BURGESS, Jean, et Joshua GREEN
2009 YouTube: Online Video and Participatory Culture. Cambridge/Malden,
Polity.
CAVALCANTE, Andre, Andrea PRESS et Katherine SENDER
2017 « Feminist Reception Studies in a Post-Audience Age: Returning to
Audiences and Everyday Life », Feminist Media Studies, 17, 1 : 1-13. [En
ligne], [doi.org/10.1080/14680777.2017.1261822] (10 janvier 2019).
CENTRE FACILITANT LA RECHERCHE ET L’INNOVATION DANS LES
ORGANISATIONS (CEFRIO)
2019 « Portrait numérique des foyers québécois », NETendances, 10, 4, [En ligne],
[cefrio.qc.ca/fr/nouvelles/communique-netendances2019-portrait-
numerique-foyers-quebecois/] (10 janvier 2019).
2017 « Visionnement connecté par les jeunes de 12 à 25 ans au Québec », Cefrio,
[En ligne], [cefrio.qc.ca/media/1347/visionnement-connecte-jeunes-au-que
bec.pdf] (10 janvier 2019).
COULOMB GULY, Marlène
2014 « Inoculer le Genre », Revue française des sciences de l’information et de la
communication, 4, [En ligne], [doi-org.proxy.bibliotheques.uqam.ca/10.40
00/rfsic.837] (10 décembre 2019).
DELAPORTE, Chloé
2018 « Dispositifs innovants, consommation créative? Netflix ou la
recommandation des contenus audiovisuels à l’ère de la prescription
algorithmique », Actes du 21e Congre
̀s du SFSIC, 3 : 29-38, [En ligne],
[www.sfsic.org/attachments/article/3280/Actes%20vol%203%20-%20congr
%C3%A8s%20SFSIC%202018.pdf] (10 janvier 2019).
D’HEER, Evelien, et Cédric COURTOIS
2016 « The Changing Dynamics of Television Consumption in the Multimedia
Living Room », Convergence: The International Journal of Research into
New Media Technologies, 22, 1 : 3-17, [En ligne], [doi-org.proxy.bibliothe
ques.uqam.ca/10.1177/1354856514543451] (10 janvier 2019).
DOUGLAS, Susan J.
1995 Where the Girls Are: Growing up Female with the Mass Media. New York,
Times Books.
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 193
DRUMOND, Gabrielle, Alexandre COUTANT et Florence MILLERAND
2018 « La production de l’usager par les algorithmes de Netflix », Les enjeux de
l’information et de la communication, 19/2, 2 : 29-44, [En ligne], [www-
cairn-info.proxy.bibliotheques.uqam.ca/revue-les-enjeux-de-l-information-et
-de-la-communication-2018-2-page-29.htm] (10 janvier 2019).
DUQUE, Nina
2018 « “ Chiller ” sur YouTube : nouvelles pratiques de visionnement chez les
jeunes Québécois âgés de 12 à 15 ans, La télévision québécoise dans tous ses
états », communication présentée à l’occasion du 86e Congrès de l’Acfas,
Chicoutimi, Université du Québec à Chicoutimi, 7-11 mai.
ESQUENAZI, Jean-Pierre
2014 Les séries télévisées. L’avenir du cinéma? Paris, Armand Colin.
FLICHY, Patrice
2008 « Techniques, usages et représentations », Réseaux, 2-3, 148-149 : 147-174,
[En ligne], [www-cairn-info.proxy.bibliotheques.uqam.ca/revue-reseaux1-
2008-2-page-147.htm] (20 septembre 2019).
GAUNTLETT, David, et Annette HILL
1999 TV Living: Television, Culture and Everyday Life. Londres/New York,
Routledge in association with the British Film Institute.
GILL, Rosalind
2007 « Postfeminist Media Culture: Elements of a Sensibility », European Journal
of Cultural Studies, 10, 2 : 147-166.
GILL, Rosalind, et Joanne HOLLOWS
2011 Feminism, Domesticity and Popular Culture. Londres, Routledge.
GILLESPIE, Tarleton
2018 Custodians of the Internet: Platforms, Content Moderation, and the Hidden
Decisions that Shape Social Media. New Haven, Yale University Press.
2010 « The Politics of ‘ Platforms ’ », New Media & Society, 12, 3: 347-364. [En
ligne], [doi.org/10.1177/1461444809342738] (20 septembre 2019).
GLEVAREC, Hervé
2012 La sériephilie. Sociologie d’un attachement culturel. Paris, Ellipses
coll. « Culture pop ».
GRAY, Ann
1992 Video Playtime: The Gendering of a Leisure Technology. Londres, Routledge.
HIMMA-KADAKAS, Marju, et autres
2018 « The Food Chain of YouTubers: Engaging Audiences with Formats and
Genres », Observatorio (OBS*), [En ligne], [doi.org/10.15847/obsOBS000
1385] (20 septembre 2019).
HOLLOWS, Joanne
2008 Domestic Cultures. Maidenhead, Open University Press.
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 194
HOLT, Jennifer, et Kevin SANSON (dir.)
2014 Connected Viewing: Selling, Streaming, and Sharing Media in the Digital
Era. New York/Londres, Routledge/Taylor & Francis Group.
JENNER, Mareike
2018 Netflix and the Re-invention of Television. New York, Springer Berlin
Heidelberg.
JOST, François
2019 « Extension du domaine télévisuel », Télévision, 10, 1 : 17-31, [En ligne],
[www.cairn.info/revue-television-2019-1-page-17.htm]
(20 septembre 2019).
JOUËT, Josianne
2003 « Technologies de communication et genre : des relations en construction »,
Réseaux, 120, 4 : 53-86, [En ligne], [doi.org/10.3917/res.120.0053]
(10 janvier 2019).
LE CARROFF, Coralie
2015 « Le genre et la prise de parole politique sur Facebook », Participations, 12,
2 : 109-137.
LIVINGSTONE, Sonia
2007 « From Family Television to Bedroom Culture: Young People’s Media at
Home », dans Eoin Devereux (dir.), Media Studies: Key Issues and Debates.
Londres, Sage Publications : 302-321, [En ligne], [eprints.lse.ac.uk/2772/1/
From_family_television_to_bedroom_culture_(LSERO).pdf]
(20 septembre 2019).
LOTZ, Amanda D.
2017 Portals: A Treatise on Internet-distributed Television. Ann Arbor, University
of Michigan Library.
LOTZ, Amanda D., et Sharon Marie ROSS
2004 « Bridging Media-specific Approaches: The Value of Feminist Television
Criticism’s Synthetic Approach », Feminist Media Studies, 4, 2 : 185-202,
[En ligne], [doi.org/10.1080/1468077042000251247] (20 septembre 2019).
MCCABE, Janet, et Kim AKASS
2006 « Feminist Television Criticism: Notes and Queries », Critical Studies in
Television: The International Journal of Television Studies, 1, 1 : 108-120,
[En ligne], [doi.org/10.7227/CST.1.1.15] (10 janvier 2019).
MCCARTHY, Anna
2001 Ambient Television. Console-ing Passions: Television and Cultural Power.
Londres, Duke University Press.
MENDES, Kaitlynn, Jessica RINGROSE et Jessalynn KELLER
2018 Digital Feminist Activism: Girls and Women Fight Back against Rape
Culture. Oxford, Oxford University Press.
MILESTONE, Katie, et Anneke MEYER
2012 Gender and Popular Culture. Cambridge, Polity Press.
LE VISIONNEMENT CONNECTÉ DANS LE QUOTIDIEN DES JEUNES FEMMES 195
MILLERAND, Florence, Christine THOËR et Nina DUQUE
2019 « Le “ divertissement connecté ” au sein du foyer : une enquête auprès des
jeunes Québécois », Revue internationale Enfances – Familles – Générations,
[En ligne], [journals.openedition.org/efg/4845] (10 janvier 2019).
MODLESKI, Tania
1983 « The Rhythms of Reception: Daytime Television and Women’s Work »,
dans Ann E. Kaplan (dir.), Regarding Television. Fredericksburg, University
Publications of America : 67-75.
MORLEY, David
1999 Family Television: Cultural Power and Domestic Leisure. A Comedia Book.
Londres, Routledge.
1986 Family Television: Cultural Power and Domestic Leisure. Londres/Comedia,
Routledge.
OCTOBRE, Sylvie
2017 « L’enfant et les techno-cultures : mutations culturelles et transformations
sociales », Pratiques [En ligne], 175-176, [En ligne], [doi-org.proxy.bibliothe
ques.uqam.ca/10.4000/pratiques.3554] (1er septembre 2019).
PARISER, Eli
2011 The Filter Bubble: What the Internet is Hiding from You. New York, Penguin
Press.
PASQUIER, Dominique
2002 « Les “ savoirs minuscules ”. Le rôle des médias dans l’exploration des
identités de sexe », Éducation et sociétés, 10, 2 : 35-44, [En ligne], [doi.org/
10.3917/es.010.0035] (1er janvier 2019).
PERTICOZ, Lucien, et Catherine DESSINGES
2015 « Du télé-spectateur au télévisionneur. Les séries télévisées face aux
mutations des consommations audiovisuelles », Études en communications,
44 : 115-130.
PRESS, Andréa L.
1991 Women Watching Television: Gender, Class, and Generation in the American
Television Experience. Philadelphie, University of Pennsylvania Press.
PROBYN, Evelyn
1992 « La télévision et ses lieux : pour une théorie féministe de la réception
télévisuelle », Cinémas : Revue d’études cinématographiques, 2, 2-3 : 193-
207, [En ligne], [doi.org/10.7202/1001084ar] (1er janvier 2019).
PROULX, Serge, et Micheline LABERGE
1995 « Vie quotidienne, culture télé et construction de l’identité familiale »,
Réseaux, 13, 70 : 121-140.
PROULX, Serge, et Delphine MAILLET
1998 « La construction ethnographique des publics de télévision », dans Serge
Proulx (dir.), Accusé de réception : le téléspectateur construit par les sciences
sociales. Paris, L’Harmattan : 175-191.
THOËR, BÉLANGER, MILLERAND ET DUQUE 196
ROTTENBERG, Catherine
2014 « The Rise of Neoliberal Feminism », Cultural Studies, 28, 3 : 418-437.
SILVERSTONE, Roger, Eric HIRSCH et David MORLEY
1991 « Listening to a Long Conversation: An Ethnographic Approach to the Study
of Information and Communication Technologies in the Home », Cultural
Studies, 5, 2 : 204-227.
SINGH, Suprya
2001 « Gender and the Use of the Internet at Home », New Media & Society, 3, 4 :
395-415, [En ligne], [doi.org/10.1177/1461444801003004001]
(1er octobre 2019).
SONET, Virginie
2015 « L’écran du smartphone dans tous ses états », Écrans & Médias MEI, 34 :
189-199.
SPIGEL, Lynn
2013 « Women’s Work », dans Tanner Mirrlees et Joseph Kispal-Kovacs (dir.),
The Television Reader. Critical Perspectives in Canadian and US Television
Studies. Don Mills, Oxford University Press : 50-69.
2001 Welcome to the Dreamhouse. Popular Media and Postwar Suburbs.
Durham/Londres, Duke University Press.
1992 Make Room for TV: Television and the Family Ideal in Postwar America.
Chicago, University of Chicago Press.
THOËR, Christine, Florence MILLERAND, Caroline VRIGNAUD et Nina DUQUE
À paraître « Le spectateur “ connecté ” : les pratiques de visionnement de contenus
audiovisuels en ligne chez les jeunes au Québec », Globe.
TRYON, Chuck
2012 « “ Make any Room your TV Room ”: Digital Delivery and Media
Mobility », Screen, 53, 3 : 287-300, [En ligne], [doi.org/10.1093/screen/
hjs020] (1er janvier 2019).
VAN DIJCK, Jose
2013 The Culture of Connectivity: A Critical History of Social Media. Oxford,
Oxford University Press.
VAN DIJCK, Jose, Thomas POELL et Martijn DE WAAL
2018 The Platform Society: Public Values in a Connective World. New York,
Oxford University Press.
VARELA, Daniela, et Anne KAUN
2019 « The Netflix Experience: A User-Focused Approach to the Netflix
Recommendation Algorithm », dans Theo Plothe et Amber M. Buck (dir.),
Netflix at the Nexus: Content, Practice, and Production in the Age of
Streaming Television. New York, Peter Lang Publishing Group : 197-211.
WALKER, Alexis J.
1996 « Couples Watching Television: Gender, Power, and the Remote Control »,
Journal of Marriage and Family, 58, 4 : 813-823.
WILLIAMS, Raymond
1986 Television: Technology and Cultural Form. Londres/New York, Routledge.
ResearchGate has not been able to resolve any citations for this publication.
Article
Full-text available
YouTube is the preferred online platform for today’s teenagers. As such, this article explores the relationship between socialization processes in adolescent peer culture and the meanings behind the production and reception of YouTube videos by teenage audiences. Two fields of enquiry comprise the data analyzed in this article. First, through content analysis, we studied the production of videos on YouTube by teenagers between the ages of 14 and 18. The discursive construction of an audience is expressed by YouTubers through intimate identity performances using specific, dialogical, and conversational modes. The second study investigated the reception of these videos by teenagers between the ages of 12 and 19 through the use of focus groups and in-depth interviews. The results explained the way young people develop a sense of closeness with YouTubers. When examined collectively, our studies reveal how teenage YouTube practices, both as production and reception of content, constitute a twofold social recognition process that incorporates a capacity to recognize oneself in others—like figures with whom one can identify with—and a need to be recognized by others as beings of value. The “intimate confessional production format,” as we have termed it, reinforces this bond.
Article
Full-text available
Cadre de la recherche : Internet constitue un mode d’accès aux contenus de divertissement audiovisuels (films, séries, vidéos YouTube, etc.) de plus en plus populaire, notamment chez les jeunes. Objectifs : Cet article présente les résultats d’une recherche sur les pratiques de visionnement en ligne de contenus audiovisuels chez les jeunes Québécois de 12 à 25 ans, afin de comprendre comment ces pratiques s’articulent à la vie familiale. Méthodologie : La stratégie méthodologique est de type mixte combinant des données qualitatives (14 groupes de discussion rassemblant 82 participants, 29 entrevues individuelles) et quantitatives (enquête par questionnaire auprès de 1504 jeunes Québécois âgés de 12 à 25 ans). Résultats : Les résultats de la recherche révèlent une très forte individualisation dans les pratiques et une autonomie accrue des jeunes à l’égard des contenus regardés et des temps de visionnement. Les pratiques offrent des occasions de partage et d’expression des liens familiaux, allant jusqu’à participer à la formation de pratiques familiales spécifiques autour de rituels de visionnement. Conclusions : Si la famille constitue le premier lieu de socialisation des jeunes à la télévision, elle joue également un rôle dans la formation des pratiques de visionnement des contenus audiovisuels sur Internet. En retour, ces pratiques numériques semblent contribuer encore davantage à l’acquisition de l’autonomie chez les jeunes, y compris chez les plus jeunes. Contribution : En apportant de nouvelles connaissances sur le divertissement connecté chez les jeunes et sa place dans la vie familiale, l’article rend visible la pertinence sociale et scientifique des recherches sur les usages sociaux des technologies chez les jeunes.
Book
Individuals all over the world can use Airbnb to rent an apartment in a foreign city, check Coursera to find a course on statistics, join PatientsLikeMe to exchange information about one’s disease, hail a cab using Uber, or read the news through Facebook’s Instant Articles. In The Platform Society, Van Dijck, Poell, and De Waal offer a comprehensive analysis of a connective world where platforms have penetrated the heart of societies—disrupting markets and labor relations, transforming social and civic practices, and affecting democratic processes. The Platform Society analyzes intense struggles between competing ideological systems and contesting societal actors—market, government, and civil society—asking who is or should be responsible for anchoring public values and the common good in a platform society. Public values include, of course, privacy, accuracy, safety, and security; but they also pertain to broader societal effects, such as fairness, accessibility, democratic control, and accountability. Such values are the very stakes in the struggle over the platformization of societies around the globe. The Platform Society highlights how these struggles play out in four private and public sectors: news, urban transport, health, and education. Some of these conflicts highlight local dimensions, for instance, fights over regulation between individual platforms and city councils, while others address the geopolitical level where power clashes between global markets and (supra-)national governments take place.
Article
Résumé Cet article discute de la stratégie de prescription du service de vidéo à la demande Netflix, que nous proposons de qualifier d'« économie de la jouissance ». Il décrit le mécanisme par lequel on stimule un mode de consommation de contenus particulier sur ce service. Ce mécanisme repose sur l’utilisation d’algorithmes qui sont à la base d’un système de recommandation dont l'efficacité est axée sur un parcours de la prescription cohérent. Cet article explore des propositions de méthodes interdisciplinaires pour fournir de l’intelligibilité aux logiques algorithmiques. L’appareillage conceptuel et méthodologique présenté vise à repérer le parcours de la prescription effectué par les concepteurs des dispositifs techniques. À partir d’une approche compréhensive et critique, cet article présente une analyse des choix techniques réalisés par les concepteurs et de la mise en discours des usages attendus qui servent à argumenter et à encourager certaines pratiques chez les usagers.
Article
Le terme « numérique » appliqué à la télévision n’est apparu qu’au moment où l’on a commencé à parler de Télévision numérique terrestre, c’est-à-dire bien après que ce système de codage de l’information eut fait son apparition dans l’univers télévisuel. Cet article examine donc les différentes mutations apportées à la représentation télévisuelle par les images de synthèse et les effets spéciaux dans les années 1990, la diffusion avec la TNT au début du xxie siècle et la délinéarisation des chaînes dans la dernière décennie. En s’appuyant sur les pratiques et les usages, il met en avant les écarts existants parfois entre les possibilités techniques et l’appropriation par les usagers, notamment en fonction des genres télévisuels. Il montre ensuite les emprunts des sites de partage à la télévision et leur éventuelle « relinéarisation », avant d’examiner ce que changent les plateformes à la consommation des contenus.