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Revue générale de droit
La résurgence des communs en droit des biens contemporain :
étude sur les cohabitats écologiques et les ruelles vertes
Yaëll Emerich et François Peter-Edmond Rivard
Volume 50, numéro 1, 2020
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1070094ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1070094ar
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Éditeur(s)
Éditions Wilson & Lafleur, inc.
ISSN
0035-3086 (imprimé)
2292-2512 (numérique)
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Citer cet article
Emerich, Y. & Rivard, F. P. (2020). La résurgence des communs en droit des
biens contemporain : étude sur les cohabitats écologiques et les ruelles vertes.
Revue générale de droit, 50 (1), 245–284. https://doi.org/10.7202/1070094ar
Résumé de l'article
Les enjeux environnementaux dans le contexte du logement mettent en exergue
une résurgence des communs en droit des biens contemporain. Si les (biens)
communs sont parfois assimilés aux choses communes et sont, en ce sens, en
dehors du champ de l’appropriable — ce que la terminologie anglo-saxonne des
communs/commons souligne en évitant le terme property — ils peuvent
également renvoyer à des biens appropriables de façon commune ou collective,
que cette collectivité soit de droit privé ou de droit public. À partir d’exemples
choisis, à savoir une étude des cohabitats écologiques et des ruelles vertes, le
présent article met en évidence une résurgence du collectif et des communs, tant
dans l’espace privé que dans l’espace public, gommant ainsi l’opposition
traditionnelle entre public et privé. Plus particulièrement, on assiste à un
renouveau des droits d’usage collectifs grâce aux communs, ainsi qu’à une
transformation de la propriété vers ce que l’on pourrait dénommer une propriété
polyfonctionnelle, qui comporte une dimension collective en plus d’avoir une
dimension individuelle. Le fait que la propriété privée a largement été pensée à
travers le prisme de l’individualisme ne peut masquer la fonction sociale de la
propriété et ses origines plus collectives. En outre, aux côtés de l’accès à la
propriété, la question de l’accès au logement, grâce à des droits d’usage ou de
détention collectifs, devient fondamentale.
La résurgence des communs en droit
des biens contemporain :
étude sur les cohabitats écologiques
et les ruelles vertes
Yaëll emeriCh
* avec la collaboration
de François Peter-Edmond Rivard**
RÉSUMÉ
Les enjeux environnementaux dans le contexte du logement mettent en exergue une
résurgence des communs en droit des biens contemporain. Si les (biens) communs
sont parfois assimilés aux choses communes et sont, en ce sens, en dehors du champ
de l’appropriable — ce que la terminologie anglo-saxonne des communs/commons
souligne en évitant le terme property — ils peuvent également renvoyer à des biens
appropriables de façon commune ou collective, que cette collectivité soit de droit
privé ou de droit public. À partir d’exemples choisis, à savoir une étude des cohabitats
écologiques et des ruelles vertes, le présent article met en évidence une résurgence
du collectif et des communs, tant dans l’espace privé que dans l’espace public, gom-
mant ainsi l’opposition traditionnelle entre public et privé. Plus particulièrement, on
assiste à un renouveau des droits d’usage collectifs grâce aux communs, ainsi qu’à
une transformation de la propriété vers ce que l’on pourrait dénommer une propriété
polyfonctionnelle, qui comporte une dimension collective en plus d’avoir une dimen-
sion individuelle. Le fait que la propriété privée a largement été pensée à travers le
prisme de l’individualisme ne peut masquer la fonction sociale de la propriété et ses
origines plus collectives. En outre, aux côtés de l’accès à la propriété, la question de
l’accès au logement, grâce à des droits d’usage ou de détention collectifs, devient
fondamentale.
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* Professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université McGill. Ce texte est le fruit d’une
réflexion menée dans le cadre de l’Association Henri-Capitant, Journée Lyon-Québec, 7 octobre
2019, Faculté de droit de l’Université McGill. Cette recherche a été accomplie grâce au soutien
financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH/SSHRC).
** Candidat au Bachelor of Civil Law/Juris Doctor (CL/JD) 2020 de la Faculté de droit de l’Uni-
versité McGill.
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MOTS-CLÉS :
Communs, logement, environnement, cohabitats, ruelles vertes, propriété polyfonc-
tionnelle.
ABSTRACT
Environmental issues in the context of housing reveal a resurgence of the commons
in contemporary property law. If the commons are sometimes identified with
common things and are in this sense outside the field of the appropriable—which
the Anglo-Saxon terminology of ‘commons’ emphasizes by avoiding the term pro-
perty—they can also refer to property that can be appropriated in a common or
collective way, whether this community operates under private or public law. Using
selected examples, namely a study of ecological cohousing and green alleyways,
this paper reveals a resurgence of the collective and the commons, both in private
and public space, thus erasing the traditional opposition between the public and
the private. More specifically, we are witnessing a renewal of collective usage rights
through the commons as well as a transformation of ownership towards what
could be called polyfunctional ownership that has a collective as well as an indi-
vidual dimension. The fact that private property has largely been thought of
through the prism of individualism cannot mask the social function of property
and its more collective origins. Moreover, alongside access to ownership, the ques-
tion of access to housing, through collective rights of use or holding, becomes
fundamental.
KE Y-WO RDS:
Commons, housing, environment, cohousing, green alleyways, polyfunc tional ownership.
SOMMAIRE
Introduction .............................................................. 247
I. La montée des communs dans l’espace privé : l’exemple
des cohabitats écologiques.......................................... 251
A. Les modèles urbains du cohabitat : l’évolution vers de nouvelles
écocollectivités?.............................................. 251
1. Le cohabitat écologique ............................... 251
2. Les écoquartiers ....................................... 254
B. Les structures juridiques du cohabitat : propriété collective
et droits d’usage ou de détention collectifs.................... 256
1. Cohabitat écologique avec accès à la propriété ......... 256
a. Coopérative d’habitation........................ 257
b. Copropriété .................................... 259
c. Structures mixtes et liberté contractuelle ........ 261
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2. Cohabitat écologique sans accès à la propriété ......... 264
a. Le recours possible à la fiducie civiliste .......... 264
b. Le modèle des community land trusts (CLT ) ...... 268
II. La montée des communs dans l’espace public : l’exemple
des ruelles vertes.................................................... 270
A. La ruelle : la forme montréalaise et son évolution .............. 270
1. La définition administrative de la ruelle ................ 272
2. La ruelle entre espace public et espace privé ........... 272
B. La ruelle verte : une nouvelle identité pour cet espace ......... 273
1. Ruelles vertes et conflits d’usages ...................... 274
2. Ruelles vertes et collectivités........................... 276
III. La montée des communs entre droits d’usage collectifs et propriété
commune : vers une propriété polyfonctionnelle? .................... 277
A. Droits d’usage collectifs et montée des communs ............. 278
B. Les communs et la propriété.................................. 281
Conclusion ............................................................... 284
INTRODUCTION
Comment le droit des biens peut-il se transformer et s’adapter aux
enjeux environnementaux dans le contexte du logement et de l’ha-
bitat? Le droit des biens apparaît parfois comme un droit poussiéreux
et abstrait, détaché des personnes qui en sont les acteurs, et en partie
pensé en dehors de son cadre territorial local. Comme le souligne
le professeur Nicholas Blomley, « [l]e droit a tendance à masquer la
spécificité spatiale et la différence locale au nom d’une uniformité
ordonnée et cohérente en apparence » [notre traduction]1. Volontiers
pensé en silo, à l’opposé du droit des contrats et de la liberté qu’il
permet aux parties, le droit civil des biens est souvent présenté comme
encadré par l’ordre public et par le sacro-saint droit réel, antithèse du
droit personnel. Pire encore, le droit des biens est fréquemment ima-
giné de façon technique et détaché de sa fonction sociale.
Que se passe-t-il si l’on recentre le droit civil des biens sur les per-
sonnes, souvent oubliées par un droit des biens traditionnellement
axé sur les objets matériels? Se pencher sur les développements
urbains permet d’inscrire le droit dans l’espace et de saisir la r elation
1. Nicholas Blomley, « From ‘What?’ to ‘So What?’: Law and Geography in Retrospect » dans
Jane Holder et Carolyn Harrison, dir, Law and Geography, Oxford (R-U), Oxford University Press,
2003, 17 à la p 25 [Blomley, « Law and Geography »].
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de l’humain avec la nature. « Habiter » (pour reprendre l’expression de
Henri Lefebvre)2 et construire un espace de vie deviennent alors des
aspirations centrales. Les grands enjeux contemporains en droit des
biens — au premier rang desquels figurent certainement les enjeux
environnementaux et ceux liés au logement — remettent à l’avant-
scène la fonction sociale du droit des biens en général et de la propriété
en particulier. On peut, en outre, y déceler une certaine contractuali-
sation du droit des biens — dans le sens large selon lequel la volonté
des parties s’invite de plus en plus en droit des biens —, ce qui pourrait
engendrer à terme l’apparition d’un droit spécial des biens.
Le droit des biens contemporain gagnerait à s’immerger davantage
dans les réflexions issues du droit de l’urbanisme. Les travaux en géo-
graphie urbaine (et notamment ceux de Nicholas Blomley) ont déjà
montré le rôle du droit dans la production des espaces de vie sociale3.
La question se pose, notamment, de savoir comment l’espace peut
être utilisé dans l’organisation de ces relations4, ce qui rehausse la
valeur d’usage des espaces urbains, au détriment de leur seule valeur
d’échange5. Cela peut conduire à proposer des projets sociaux autres
et différents, y compris des projets urbains écologiques, dont l’objectif
central est l’organisation d’un espace à habiter propice au développe-
ment durable. À une approche purement entrepreneuriale du déve-
loppement urbain6, on peut ainsi opposer une approche davantage
sociale et collective.
Comme le souligne Henri Lefebvre :
On ne sait plus ce que c’est qu’habiter. On ne sait même plus
ce qu’est un espace habitable […]. La disparition de cette per-
ception à mon avis fait partie des symptômes qui à la fois
2. Mich el Régnier, « Entretien avec H enri Lefebvre », Documentaire : Urbanose : série de 15 films-
documents, Québec, Office national du film du Canada, 1972.
3. Voir Blomley, « Law and Geography », supra note 1 à la p 28.
4. Nicholas B lomley, « T he Boundaries of Propert y: Complexity, Relational ity, and Spatiality »
(2016) 50:1 Law & Soc’y Rev 224, cité par Cian O’Callaghan, Cesare Di Feliciantonio et Michael
Byrne, « Governing Urban Vacancy in Post-Crash Dublin: Contested Property and Alternative
Social Projects » (2017) Urban Geography 1 à la p 5.
5. Voir Jamie Peck et H eather Whiteside, « Financializing Detroit » (2016) 92:3 Economic Geo-
graphy 235 à la p 240. Voir aussi O’Callaghan, Di Feliciantonio et Byrne, supra note 4 à la p 6.
6. Sur l’approche entrepreneuriale, voir David Harvey, The Condition of Postmodernity: An
Enquiry Into the Origins of Cultu ral Change, Oxford (R-U), Black well, 1989, cité dans Damian Col lins
et Nicholas Blomley, « Private Needs and Public Space: Politics, Poverty and Anti-Panhandling
By-Laws in Canadian Cities » dans Commission du droit du Canada, dir, New Perspecti ves on the
Public-Private Divide, Vancouver, UBC Press, 2003, 40 à la p 54.
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paralysent la connaissance et l’imagination […]. L’idée d’ha-
biter s’est perdue dans la fonctionnalisation de l’habitat7.
Pourtant, « la vie sociale a été construite sur la polyfonctionnalité et
ne peut pas avoir d’autre base qu’une base polyfonctionnelle »8.
Lorsqu’on transforme l’espace ou, en termes plus juridiques, l’im-
meuble pour un certain usage ou, mieux, pour une pluralité d’usages,
l’espace peut alors renouer avec sa fonction symbolique.
Dans la cité idéale corbuséenne, l’organisation de la cité est trop
essentielle pour être laissée aux particuliers : c’est une affaire publique,
sinon d’État. C’est le sens des principes que Le Corbusier énonce dans
La ville contemporaine (1922)9. Aussi convient-il d’envisager la place du
public dans l’organisation de cet espace — approprié ou non —
repensé à l’aune des enjeux environnementaux. Pourtant, le droit des
biens contemporain est marqué par un retour en force du collectif et
des biens communs, tant dans le champ de l’espace privé que dans
celui de l’espace public.
À la conception fonctionnaliste de la ville de Le Corbusier, qui sépare
les projets dans des espaces précis, Henri Lefebvre oppose, dans Le
droit à la ville (1968), un mélange des fonctions et des usages dans
l’espace — ce qu’il nomme une approche polyfonctionnelle10. Le pré-
sent article transpose l’idée d’un espace polyfonctionnel à la propriété,
pour envisager une propriété polyfonctionnelle — à savoir, une pro-
priété plurielle, intégrant une dimension individuelle et une dimension
collective.
Dans un monde qui atteint un point de bascule quant aux enjeux
climatiques, la protection de la nature devient fondamentale11.
Devant les problèmes complexes soulevés par cette conjoncture, ce
sont tous les champs du droit qui doivent être mis à contribution. La
7. Régnier, supra note 2.
8. Ibid.
9. Le Corb usier et Pierre Jeanneret, Œuvre complète, vol 1 (1910–1929), Zurich (Suisse), Éditions
d’architecture Erl enbach, 1935. Voir aussi Peter Hall, « The City o f Towe rs » dans Cities of Tomorrow:
An Intellectual History of Urban Planning and Design Since 1880, 4e éd, Hoboken (NJ), Wiley-
Blackwell, 2014, 237 à la p 241.
10. Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968. Voir aussi Henri Lefebvre, La pro-
duction de l’espace, Paris, Anthropos, 1974.
11. Voir Priyadarshi R Shukla et al, Climate Chang e and Land: An IPCC Special Report on Climate
Change, Desertification, Land Degradation, Sustainable Land Management, Food Security, and
Greenhouse Gas Fluxes in Terrestrial Ecosystems, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évo-
lution du climat (GIEC), 2019, en ligne : <ipcc.ch>.
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« responsabilité » du droit des biens — qui touche, notamment, les
terres, l’eau et les modes d’appropriation ou de non- appropriation
— mérite d’être interrogée. L’idée de cette thématique est donc de
poursuivre la réflexion sur la nécessaire adaptation du droit des biens
aux enjeux environnementaux12, dans le contexte particulier de
l’immeuble et du logement. Si Carbonnier parlait déjà de la commu-
nauté de voisinage comme d’une réalité sociologique13, il s’agit de la
remettre à l’honneur et de l’étendre pour repenser un espace commun
à « habiter » (et non seulement habitable), qui tienne compte de la
relation particulière entre l’humain et la nature.
La notion de biens communs14 mérite alors d’être examinée. Si les
(biens) communs sont parfois assimilés aux choses communes et sont,
en ce sens, en dehors du champ de l’appropriable — ce que la termi-
nologie anglo-saxonne des communs/commons souligne en évitant le
terme property —, ils peuvent également renvoyer à des biens appro-
priables de façon commune ou collective, que cette collectivité soit de
droit privé ou de droit public. À partir d’exemples choisis, nous tente-
rons de montrer que les enjeux environnementaux dans le contexte
du logement mettent en relief une résurgence du collectif et des com-
muns, tant dans l’espace privé que dans l’espace public, gommant ainsi
l’opposition traditionnelle entre le public et le privé. Plus particulière-
ment, selon la thèse défendue, le contexte du logement révèle, d’une
part, un renouveau des droits d’usage collectifs au moyen des com-
muns et, d’autre part, une propriété fonctionnelle — on pourrait dire
polyfonctionnelle — qui comporte une dimension collective, en plus
d’avoir une dimension individuelle15. Après avoir constaté la montée
des communs dans l’espace privé, avec l’exemple des cohabitats éco-
logiques (I), nous soulignerons la montée des communs dans l’espace
12. Voir Yaëll Emerich, « Vers une reconceptualisation du droit des biens face aux défis envi-
ronnementaux » (2017) 119:2 R du N 321 [Emerich, « Droit des biens face aux défis environne-
mentaux »]. Voir aussi Yaëll Emerich et Alexis Hudon, « Les assises conceptuelles du droit de
l’environnement en droit des biens : entre patrimoine collectif et relation fiduciaire » (2017) 47:2
RG D 519.
13. Jean Carbonnier, Droit civil : Les biens, t 3, 19e éd, Paris, Presses universitaires de France,
2000 à la p 276.
14. Sur la notion de biens communs, voir notamment Marie Cornu, « Biens communs
(approche juridique) » dans Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld, dir, Dictionnaire des
biens communs, Paris, Presses universitaires de France, 2017, 101 à la p 107.
15. Sur l’idée d’une propriété fonctionnelle susceptible d’être utilisée comme technique de
protection d e la nature, voir Emerich, « Droit des biens face aux défis env ironnementaux », supra
note 12.
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public, avec l’exemple des ruelles vertes (II), avant de nous pencher
sur les conséquences de cet accroissement sur le droit commun des
biens (III).
I. LA MONTÉE DES COMMUNS DANS L’ESPACE PRIVÉ :
L’EXEMPLE DES COHABITATS ÉCOLOGIQUES
Les enjeux environnementaux dans le contexte du logement
mettent en lumière une multiplicité de modèles et, partant, une forme
de contractualisation du droit des biens, la liberté contractuelle s’invi-
tant de plus en plus dans un droit qui a souvent été pensé, en droit
civil, comme l’antithèse de la loi des parties16. Après avoir décrit les
modèles urbains du cohabitat (A), nous analyserons les structures juri-
diques de celui-ci (B).
A. Les modèles urbains du cohabitat : l’évolution
vers de nouvelles écocollectivités?
Nous verrons d’abord les cohabitats écologiques qui sont issus des
communautés elles-mêmes (1), puis les écoquartiers ou opérations
urbanistiques (2).
1. Le cohabitat écologique
Si on trouve historiquement plusieurs formes de cohabitat17, on
assiste, dans le contexte moderne, à un retour en force de celui-ci. Une
de ses formes modernes a été mise sur pied au Danemark en 1972 par
27 familles à la recherche d’un esprit de communauté autre que celui
16. Voir Jean Carbonnier, Droit civil : Les biens, t 3, 11e éd, Paris, Presse s universitaires de France,
1983 à la p 59; Yaëll Emerich, La propriété des créa nces : approche comparative, Paris, LGDJ, 2008
aux nos 325 et s. Sur l’impo rtance du cadre législatif en droit des biens et l a présence d’un ordre
public du droit des biens, voir notamment William Dross, « Que reste-t-il de l’arrêt Maison de
Poésie? » (2015) 2 RTD civ 413 aux para 4–5. Et au sujet des réflex ions sur le numerus clausus, voir
William Dross, « L’ordre public permet-il que soit créé un droit réel perpétuel? » (2013) 1 RTD
ci v 141.
17. On peut notamment penser à la forme collective d’habitation en droit romain (voir
BC Stoop, « Roman Law Antecedents of the Horizontal Division of Ownership » (1999) 5 Fun-
damina 107), ou aux formes d’habitats collec tifs dans le contexte autochtone (voir Adele Perry,
« From “the Hot-Bed of Vice” to the “Good and Well-Ordered Christian Home”: First Nations
Housing and Re form in Nineteenth-Cent ury British Columbia » (2003) 50:4 Ethnohistor y 587 aux
pp 595 et s, qui se penche sur les nations autochtones du Plateau).
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offert par les banlieues constituées d’immeubles d’habitation (apart-
ment block)18. Ces familles ont décidé de mettre au point un nouveau
modèle d’habitation, qui allait redéfinir la notion de voisinage, en com-
binant l’autonomie offerte par une habitation privée et les avantages
de la vie en communauté19. Depuis l’établissement des premiers coha-
bitats dans les années 70, il est devenu clair que cette façon de se loger
présente de nombreux atouts environnementaux, en plus de ses avan-
tages sociaux20.
S’agissant du cohabitat, la terminologie cohabiter — du latin habitus,
qui signifie « manière d’être »21 — renvoie à une « manière d’être
ensemble ». Selon le Groupe d’intervention en habitat écologique, le
cohabitat désigne un « groupe de personnes qui choisit de vivre
ensemble, pour des raisons de valeurs partagées se traduisant par
la volonté de collaborer à un mode de vie commun »22. On peut donc
y voir une forme d’organisation collective de l’habitat, partagée par
un groupe d’individus et aménagée autour d’espaces de vie com-
muns23 (ces espaces peuvent, par exemple, inclure une cuisine ou une
salle à manger commune, une salle de jeux, un jardin ou encore un
atelier commun). Ce cohabitat peut prendre la forme juridique d’une
propriété commune ou d’un droit d’usage partagé.
Quant au cohabitat écologique, il s’agit plus précisément d’une
forme d’organisation collective de l’habitat destiné à préserver l’envi-
ronnement. Ce type de cohabitat rassemble une communauté (autre-
ment dit, un groupe de personnes ayant un ou plusieurs intérêts
communs) regroupée autour d’objectifs communs de préservation de
l’environnement, par exemple en imprimant une destination écolo-
gique à l’immeuble, réalisant du même coup une forme de contrac-
tualisation du droit des biens.
18. Kathr yn McCamant et Charles Dur rett, Creating Cohousing: Building Sustainable Commun-
ities, Gabriola Island (C-B), New Society Publishers, 2011 à la p 5.
19. Ibid.
20. Ibid à la p 34.
21. William Freund, Grand dictionnaire de la langue latine, Didot Frères, traduit par Jean-
François-Napoléon Theil, Paris, 1858, sub verbo « habitus ».
22. Groupe d’i ntervention en habitat écolo gique (Archibio), Possibilités, conditions et modalités
de développeme nt du cohabitat écologique au Québec, Qu ébec, Société d’habitation du Québe c,
2010, à la p 11. Définition inspirée des travaux de Diana Leafe Christian, voir notamment Vivre
autrement : écovillages, communautés intention nelles et cohabitats, Montréal, Écosociété, 2006.
23. Jacob Allderdice, « The Cohousing Option » (2016) 61:4 Canadian Architect 29 à la p 29.
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Selon Kathryn McCamant et Charles Durrett, qui sont les architectes
ayant introduit le concept de cohabitat aux États-Unis, ces commu-
nautés peuvent être dites durables lorsqu’elles atteignent la durabilité
sur les plans environnemental, social et économique24. Si ces commu-
nautés portent attention à la construction de bâtiments écologiques, à
l’utilisation d’énergies renouvelables et à la réduction de l’utilisation de
l’eau, elles misent également sur des valeurs de partage au quotidien25.
En outre, elles peuvent tirer des bénéfices économiques du cohabitat
grâce à une optimisation des dépenses énergétiques, au partage de
voitures ou encore à l’utilisation de buanderies communes26. Bien que
les priorités des cohabitats soient variables, plusieurs communautés
mettent l’accent sur des préoccupations environnementales, qui se
traduisent par divers gestes écologiques (utilisation d’énergies renou-
velables, recyclage et compost, jardins communautaires, etc.)27.
Au Québec, il existe plusieurs principes de base du cohabitat :
outre des sources de revenus distincts, une structure décisionnelle
non hiérarchique et une gestion commune, plusieurs équipements
sont communs (espaces verts, potagers, garderie, etc.) et l’aménage-
ment favorise le contact entre les membres (espaces ouverts, lieux de
rencontre, zones vertes). De façon générale, le processus participatif
est encouragé, les membres s’investissant dans la conception et le
développement de la communauté afin qu’elle corresponde à leur
vision commune28.
Typiquement, les logements privés sont compacts, plusieurs élé-
ments étant déplacés vers les espaces communs, ce qui libère de la
superficie pour les espaces verts29. En plus d’offrir un prix plus abor-
dable pour les logements et les services offerts, le cohabitat permet
un regroupement autour de valeurs coopératives et communau-
taires30.
24. McCamant et Durrett, supra note 18 à la p 273.
25. Ibid aux pp 273–74.
26. Ibid.
27. Ibid aux pp 34–35.
28. Groupe d’inter vention en habitat écologique (Archibio), supra note 22 à la p 13.
29. Anne P Glass, « Aging in a Community of Mutual Support: The Emergence of an Elder
Intentional Cohousing Community in the United States » (2009) 23:4 J Housing for Elderly 283,
citée par Christyne Lavoie et al, « Multiplier les modèles d’habitation innovants pour une meil-
leure santé des aînés et des communautés » (2016) 143 Intervention 61 à la p 70.
30. Ibid à la p 72.
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L’échelle du cohabitat écologique — et la communauté de voisinage
en cause — est plus ou moins large et peut s’étendre à un quartier
entier en milieu urbain (on parle souvent alors d’écoquartier) ou à une
communauté rurale entière (désignée souvent alors comme éco-
village)31. On s’intéressera ici plutôt au logement urbain.
2. Les écoquartiers
Dans un sens large, on peut aussi parler de cohabitat pour désigner
les opérations urbanistiques que couvre la plupart du temps le terme
« écoquartier ». Dans ce cas toutefois, l’impulsion vient non pas d’une
collectivité locale, mais d’une action urbanistique, entreprise le plus
souvent par la municipalité32. Il s’agit donc d’une communauté
imposée dans le cadre d’un projet politique, plutôt qu’une commu-
nauté spontanée.
En 2015, un recensement des initiatives immobilières durables qué-
bécoises en a répertorié une quarantaine33. Dans la majorité des cas,
il s’agit de nouveaux ensembles résidentiels34, dans lesquels promo-
teurs et municipalités sont parties prenantes35 et qui exigent des cer-
tifications (Novoclimat ou Leadership in Energy and Environmental
Design, LEED), dont l’objectif est d’intégrer des technologies vertes aux
immeubles.
S’agissant de cette démarche, certains problèmes ont été réper-
toriés. En effet, plusieurs de ces interventions sont basées sur une
31. Définitions d’écoquartier et d’écovillage : Guy Mercier, Francis Roy et Étienne Berthold,
« Les écoquartiers de Québec ou la fortune d’une idée aussi engageante que malléable » dans
Pascal Tozzi, dir, Villes et quartiers durables : la place des habitants, Bordeaux (France), Carrières
sociales, 2016, 259 à la p 259. Voir aussi Olivier Riffon, « Représentations du développement
durable : analyse des dynamiques d’acteurs et des processus pour la durabilité en milieu muni-
cipal au Québe c », thèse d e doctorat en développe ment régional, Université du Qu ébec à Chicou-
timi et Université du Québec à Rimouski, 2016 [non publiée] à la p 17.
32. Contra Annie-France Major, Évaluation des quartie rs durables : un référentiel pour les muni-
cipalités québécoises, essai de maîtrise en environnement, Université de Sherbrooke, 2014 [non
publié] à la p 16.
33. Charl es Breton, Portrait des quartiers du rables québécois et étude de cas, Chaire industrielle
de recherche sur la construction écoresponsable en bois (CIRCERB), 2015 à la p 13.
34. Ibid à la p 15.
35. Major, supra note 32 à la p 15. La Ville de Québ ec agit comme telle dans le réaménag ement
en écoquar tier de la Pointe-aux-Lièvres : Sylvie Lab erge, « Les écoquar tiers de demain », La Maison
du 21e siècle (17 décembre 2017). Également, Rivière-du-Loup agit comme promotrice du projet
Kogan : David Paradis et Pierre-Yves Chopin, « Le domaine Kogan de Rivière-du- Loup : Une Ville
aux rênes de son écoquartier », Urbanité (Printemps 2015) 14.
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Emerich Résurgence des communs 255
approche technoscientifique, selon laquelle les solutions sont rarement
débattues au sein des milieux politiques locaux, mais sont plutôt mises
entre les mains de professionnels de l’urbanisme et d’experts, qui
encouragent certaines modifications aux normes et à la réglementation
municipales. On pourrait voir cette professionnalisation de l’habitat
comme le reliquat d’une vision corbuséenne de la ville. Le risque de ce
schéma est de déresponsabiliser les acteurs et de « miner les efforts
d’engendrer des nécessaires changements de comportements »36.
Outre le fait que les processus d’octroi de ces certifications sont
parfois critiqués37, celles-ci exigent l’intégration de technologies vertes
à l’immeuble et font oublier que la vraie durabilité des ensembles
immobiliers provient d’une modification des comportements. En outre,
cette technologie a un coût et nécessite non seulement un investis-
sement compris dans le prix de conception, mais également des
dépenses futures. La plupart des projets immobiliers comptent sur les
efforts futurs des résidants pour que le projet soit durable38. À l’instar
des communautés intentionnelles de cohabitat, il faut aussi prévoir
une durabilité sociale pour ces projets, sous peine de verser dans des
problématiques d’éco-embourgeoisement39, au détriment des plus
démunis, moins susceptibles de pouvoir accéder à ce type de projets.
36. Cécile Féré, « Villes rêvées, v illes durables? », recension de Villes rêvées, villes durables d’Éri c
Charmes et Taoufik Souami, (2010) 85:2 Géocarrefour 182 au para 15, citée par Riffon, supra
note 31 à la p 220. Voir aussi Breton, supra note 33 aux pp 18 et 56.
37. Le pr ésident et chef de la directi on de la Société de développe ment Angus (SDA) relativise
lui-même l’identification du Technopôle Angus à un écoquartier, étant donné que « n’importe
qui peut s’autoproclamer écoquar tier » : Magdaline B outros, « Le modèle des écoquartiers : une
‘utopie réaliste’ », Le Devoir, Montréal (18 mars 2019), en ligne : <ledevoir.com>.
38. Dans l’évaluation de la durabilité réelle d’un écoquartier, plusieurs mesures dépendent
directement du comportement futur des résidants. Voici quelques valeurs pour exprimer ce
point : la densité dépend de l’occupa tion des logements par des ind ividus seuls, par des couples
ou par des familles; responsabilité des copropriétaires relativement aux terrains à intérêt éco-
logique dont ils ont la propriété; usages par îlot dépendant de la volonté d’un copropriétaire
d’utiliser son unité p our travailler; usage rée l, par les copropriétaires, d es transports en commun
prévus dans le quar tier ou à proximité ou usage du ser vice d’autopartage (paiement de l’adhé-
sion); nombre de copropr iétaires qui marchent dans le quar tier; utilisation de matériaux et pro-
duits recyclés, réutilisés ou ayant une certification écologique (ou locaux) dans la rénovation
des unités des copropriétaires; quantité de déchets ménagers produite par chaque coproprié-
taire; quantité d’eau utilisé e par chaque copropriétaire; util isation des eaux pluviales par ch aque
copropriétaire; consommation d’énergie par chaque copropriétaire; surface arborée gardée ou
non par les copropriétaires; plantes semées par les copropriétaires. Voir Major, supra note 32
aux pp 41–42. Voir aussi le Projet Cité verte à Québec, qui affiche la consommation associée au
système commun de biomasse et espère que cet affichage mène à des comportements respon-
sables : Laberge, supra note 35.
39. L’éco-embourgeoisement — ou gentrification environnementale — se définit comme
« la mise en œuvre d’un agenda [sic] de planification ou d’une intervention, légitimée par une
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B. Les structures juridiques du cohabitat :
propriété collective etdroits d’usage
ou de détention collectifs
Plusieurs structures juridiques peuvent être utilisées au Québec
pour constituer un cohabitat, certaines permettant un accès indirect
(coopérative ou société) ou direct (copropriété) à la propriété, d’autres
ne permettant aucun accès à la propriété (fiducie ou organisme à but
non lucratif, OBNL). En plus de la constitution d’une coopérative (ou
d’une société), il y a celle d’une copropriété (divise ou indivise), laquelle
permet que certains biens soient détenus individuellement, alors que
d’autres le sont par le groupe, la déclaration de copropriété (ou le
contrat) réglant les conditions d’acceptation des nouveaux coproprié-
taires éventuels. Finalement, le cohabitat peut prendre la forme d’une
fiducie (ou d’un OBNL), ce qui permet de lui donner une destination
perpétuelle (ou quasi perpétuelle dans le cas des OBNL), la propriété
étant alors reléguée au second plan au profit de contrats de location
consentis par la fiducie (ou l’OBNL)40.
Le plus souvent, on assiste cependant à la mise en place de mon-
tages juridiques complexes faisant appel à une pluralité de concepts
traditionnels du droit des biens et laissant une large part à l’imagina-
tion des parties. On s’intéressera ici, en plus du modèle de la coopéra-
tive qui est largement utilisé en pratique, aux formes de cohabitat qui
touchent le plus directement le droit des biens, à savoir la copropriété
et la fiducie. On distinguera les formes de cohabitat avec accès à la
propriété (1) de celles sans accès à la propriété, qui sont plutôt fondées
sur des droits collectifs d’usage ou de détention (2).
1. Cohabitat écologique avec accès à la propriété
On étudiera le modèle de la coopérative d’habitation (a), celui de la
copropriété (b), ainsi que les structures mixtes qui laissent une large
place à la liberté des parties (c).
éthique environnementale, qui peut mener au déplacement et à l’exclusion des populations
économiquement plus vulnérables. » Guillaume Béliveau Côté, « L’éco-embourgeoisement »
(3 avril 2018), en ligne : VRM — Le réseau de re cherche et de connaissances sur la ville e t l’urbain
<vrm.ca/leco-gentrification/>. Sur l’éco-embourgeoisement, voir notamment Lysiane Roch,
« Contrer la gentrification [sic] environnementale » (2018) 37:1 R Ligue des droits et libertés 32.
40. Sur les différentes formes juridiques possibles du cohabitat, voir Groupe d’intervention
en habitat écologique (Archibio), supra note 22 à la p 15.
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Emerich Résurgence des communs 257
a. Coopérative d’habitation
Comme le souligne le doyen François Frenette, la coopérative d’ha-
bitation est « une personne morale qui regroupe des personnes qui
ont des besoins en matière d’habitation et qui, en vue de les satisfaire,
s’associent pour exploiter une entreprise conformément aux règles
d’action coopérative »41. Typiquement, la coopérative est propriétaire
de l’immeuble et consent à ses membres des droits d’usage42 ou de
jouissance personnels au moyen d’un contrat de bail de logement. Il
existe aujourd’hui plus de 1 300 coopératives d’habitation au Québec43.
Si, aux termes de la loi, l’objectif de la coopérative d’habitation est
de « faciliter à ses membres l’accès à la propriété ou l’usage d’une
maison ou d’un logement »44, en pratique, l’accès direct au droit de
propriété est rare45. Cela s’explique, notamment, par des difficultés
liées au financement des projets46 et par la présumée antinomie entre
le modèle propriétaire, réputé encourager le profit économique, et le
modèle coopératif fondé sur des bases inverses47. La professeure
Béatrice Balivet a déjà souligné à propos du droit français qu’il peut
exister un parcours ou une trajectoire allant du statut de locataire de
logements publics à celui de propriétaire de ceux-ci48.
Pour prendre un exemple de coopérative d’habitation « verte » au
Québec, nous citerons le projet immobilier « Coteau vert », situé dans
41. François Frenette, Vincent Roy et Jean Bouchard, « La coopérative d’habitation à capita-
lisation indiv iduelle : retour sur les vo ies de son accomplissement en droit c ivil québécois » (2012)
114:3 R du N 501 à la p 505. Voir aussi Loi sur les coopératives, RLRQ c C-67.2, art 3, qui définit la
coopérative comme « une personne morale regroupant des personnes ou sociétés qui ont des
besoins écono miques, sociaux ou culturels com muns et qui, en vue de les satisfaire, s’associent
pour exploiter une entreprise conformément aux règles d’action coopérative. »
42. Dans la décision Boudreault c Blanchette, REJB 2003-41264, 2003 CanLII 17076 (QC CS), le
juge a interprété un droit d’usage personnel comme une servitude personnelle et, donc, un
droit réel innom mé. Le raisonnement du juge est à crit iquer toutefois, car il a créé de la conf usion
en utilisant le terme « servitude personnelle » pour désigner des droits réels innommés.
43. Ministère de l’Économie et de l’Innovation, Répertoire des coopératives, œuvrant dans le
domaine de l’habitation, en ligne : <www.economie.gouv.qc.ca/bibliotheques/repertoires/
cooperatives/> (consulté le 9 septembre 2019).
44. Loi sur les coopératives, supra note 41, art 220.
45. Frenette, Roy et Bouchard, supra note 41 à la p 507.
46. Ibid à la p 509.
47. Ibid.
48. Voir Béatrice Balivet, « L’accession sociale à la propriété immobilière en France : la fin du
modèle de la propriété individuelle? » dans Yaëll Emerich et Laurence Saint-Pierre Harvey, dir,
Accès à la terre et enjeux sociaux : précarité, territorialité, identité, Montréal, Thémis, 2018, 21 aux
pp 24 et s.
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l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal. Il s’agit d’une
coopérative d’habitation de 95 logements familiaux comptant 300 rési-
dants. Ses membres se sont dotés d’une politique de développement
durable, par laquelle ils souhaitent favoriser la protection de l’environ-
nement, le développement économique durable et le renforcement
du tissu social de la communauté49. Un comité environnement a éga-
lement été mis sur pied par l’assemblée générale de la coopérative,
afin d’assurer l’implantation de mesures environnementales dans le
fonctionnement de la coopérative et des comités, d’informer et de
sensibiliser les membres et résidants sur les questions environnemen-
tales, et d’établir les priorités quant au développement durable de la
coopérative50.
Le véhicule juridique de la coopérative ne convient toutefois pas à
tous les types de projets. En effet, le recours à la coopérative ne permet
généralement pas un accès direct à la propriété, et la non-spéculation
constitue l’un des principes du système coopératif51. La Loi sur les
co opératives prévoit qu’un membre ne peut profiter de la plus-value
de l’immeuble52 et, en cas de liquidation de la coopérative, participer
au partage du reliquat de l’immeuble53. Comme le soulignent les pro-
fesseurs Frenette et Brochu :
La plus-value qu’aurait pu prendre la fraction en capital cor-
respondant au remboursement de la dette hypothécaire payée
par le membre sortant reste […] à l’acquit de la coopérative
parce que le but poursuivi par le membre n’était pas de faire
un investissement, mais plutôt de participer à un effort col-
lectif facilitant l’accès à l’usage d’un logement. Le fait que cette
plus-value reste acquise à la coopérative d’habitation signifie
non seulement que le départ d’un membre ne déclenche pas
49. « Environnement », en ligne : Coteau vert <coteauvert.com/environnement/>.
50. « Fonctionnement et comités », en ligne : Coteau vert <coteauvert.com/notre-
fonctionnement/>.
51. Nicolas Rousseau, « Habiter autrement pour vivre différemment », La Tribune d’Auvergne-
Rhône-Alpes (2 décembre 2014) à la p 80.
52. Loi sur les coop ératives, supra note 41, art 4(5) :
Les règles d’action coopérative sont les suivantes :
l’affectation des trop-perçus ou excédents à la réserve et à l’attribution de ristournes aux
membres au prorata des opérations effectuées entre chacun d’eux et la coopérative ou à
d’autres objets accessoires prévus p ar la loi [nos italiques].
Voir aussi François Frenette et François Brochu, « Les coopératives d’habitation à capitalisation
individuelle » (2004) 106:2 R du N 205 à la p 208, n 8.
53. Loi sur les coopé ratives, supra note 41, art 221.2.10.
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un mouvement de spéculation, mais aussi que le membre rem-
plaçant ne subit pas le contrecoup d’une flambée des prix
[nos italiques]54.
Bien que ce mode de fonctionnement puisse être valorisé par les
membres d’une communauté, on peut aussi préférer un accès plus
direct à la propriété, notamment sous la forme de la copropriété. À cet
égard, la coopérative d’habitation à capitalisation individuelle constitue
une forme de compromis. La Confédération québécoise des coopéra-
tives d’habitation décrit cette formule comme se situant entre la loca-
tion et la propriété individuelle, permettant ainsi de répondre aux
besoins d’émancipation des ménages à revenu moyen55. La structure
juridique de cette coopérative doit posséder une certaine polyvalence.
En effet, comme l’expliquent Mes Frenette, Roy et Bouchard, le mon-
tage juridique à privilégier est « le recours simultané et successif à la
propriété superficiaire, à la copropriété divise d’un immeuble et à l’usu-
fruit comme moyen d’adjoindre un droit de capitaliser à l’habitation
coopérative »56. Si le mécanisme a le mérite d’exister, la complexité du
montage en rend toutefois l’usage difficile en pratique.
b. Copropriété
En droit civil québécois, la copropriété désigne la « propriété que
plusieurs titulaires ont en commun sur un même bien, chacun d’eux
étant investi, privativement, d’une quote-part du droit »57. La copro-
priété peut être divise, lorsque « le droit de propriété est réparti entre
les copropriétaires par fractions comprenant une partie privative et
une quote-part des parties communes »58. Elle peut aussi être indivise,
lorsqu’« un bien qui, n’étant pas matériellement divisé, appartient à
chacun des copropriétaires pour une part abstraite »59. Dans ce cas,
chaque membre de la copropriété détient donc directement un droit
54. Frenette et Brochu, supra note 52 à la p 224.
55. Confédération québécoise des coopératives d’habitation, Faciliter l’accès à la propriété,
Longueuil, Assemblée générale annuelle de la Fédération des coopératives d’habitation mon-
térégiennes (FECHAM), 28 novemb re 2015, en ligne : <cooperativehabitation.coop/monteregie/
wp-content/uploads/sites/4/2015/12/Presentation-coop-proprietaires-CQCH.pdf>.
56. Frenette, Roy et Bouchard, supra note 41 à la p 512.
57. Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, Dictionnaire de droit privé — Les
biens, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2012, sub verbo « copropriété ».
58. Ibid sub verbo « copropriété divise ».
59. Ibid sub verbo « copropriété indivise ».
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de propriété dans l’immeuble ainsi qu’un droit d’usage exclusif sur son
appartement par l’entremise de la convention d’indivision60.
En matière de copropriété divise, outre la destination écologique
de l’immeuble et la présence d’un écofonds, le choix écologique se
traduit par la limitation des parties privatives de la copropriété au
bénéfice d’espaces communs plus importants, qui peuvent être utilisés
comme espaces verts ou jardins partagés, par la promotion des tech-
nologies écologiques61 et, parfois, par la mise en place de services
d’autopartage au bénéfice de la collectivité62.
Pour donner un exemple de cohabitat prenant la forme juridique
d’une copropriété divise, nous mentionnerons le projet montréalais
de rénovation écologique de l’architecte Emmanuel Blain-Cosgrove et
du promoteur Christopher Sweetnam-Holmes, visant à transformer un
édifice industriel en logements rénovés écologiques et abordables.
Typiquement, dans le cadre de projets de rénovation écologique, les
promoteurs participent à leur réalisation et répondent à la valeur domi-
nante du projet, à savoir l’écologie. La convention de copropriété
donne une destination écologique à l’immeuble et prévoit, notam-
ment, la création d’un écofonds, dont l’objectif est de financer les
améliorations écologiques apportées au bâtiment, telles que l’instal-
lation d’un chauffe-eau solaire ou d’éoliennes. L’écofonds est proche
du fonds de prévoyance de la copropriété ordinaire; il s’y ajoute, mais
ne remplace pas le fonds de prévoyance du droit commun63. Pour
éviter le phénomène d’éco-embourgeoisement — autrement dit, pour
éviter que l’aspect écologique du projet signifie l’exclusion des plus
démunis —, la convention de copropriété prévoit un plafonnement
du prix à la revente64. Ce projet n’a cependant jamais vu le jour, puisque
les aspirants résidants n’avaient pas les fonds nécessaires pour financer
le coût final prévu.
60. Art 1017 CcQ. Voir Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, Montréal, Wilson &
Lafleur, 2014, aux pp 170–71. Voir aussi Groupe d’intervention en habitat é cologique (Archibio),
supra note 22 à la p 34.
61. Ibid à la p 33.
62. Au Québ ec, pour l’instant, l’autopar tage passe par la venue de compa gnies d’autopartage
pour lesquelles sont réservées des places de stationnement dans les projets. Voir notamment
Knights Bridge, « Un garage Communauto pour les condos Le Jardinier à Hochelaga »
(24 août 2017), en ligne : <devkb.ca>.
63. Aux termes d e l’article 1071 CcQ, le fonds de prévoyance est destiné à pour voir aux répa-
rations majeures et au remplacement des parties communes.
64. Sur ce projet, voir Groupe d’intervention en habitat écologique (Archibio), supra note 22
à la p 31.
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Le modèle de la copropriété indivise peut également être utilisé, au
moyen d’un montage sociétaire65, celui de la société en commandite66.
Dans ce cas, la société n’ayant pas de patrimoine distinct (contraire-
ment au droit français)67, ce sont les occupants du logement qui sont
propriétaires en indivision. Mentionnons cependant un courant mino-
ritaire de la jurisprudence, qui reconnaît un patrimoine d’affectation à
la société68, les occupants du logement ayant, dans ce cas, des droits
de propriété indirects par la voie de parts sociales. La situation est alors
similaire au cas d’une société par actions accordant aux actionnaires
des baux qui leur garantissent la jouissance de leur appartement
respectif.
c. Structures mixtes et liberté contractuelle
La poussée récente d’autres modèles que le simple montage copro-
priétaire ou la coopérative d’habitation preneuse à bail se fonde sur
une superposition des institutions traditionnelles du droit, en vue de
remplir les besoins de cohabitat de manière plus flexible. Cette flexi-
bilité fait entrer la volonté dans l’équation de l’accès au logement69 et
remue les bases conceptuelles du droit des biens.
Cohabitat Québec est le premier projet de ce genre au Québec. Il
s’agit d’une initiative de longue haleine qui a culminé avec la construc-
tion du premier habitat de ce type. Situé dans le quartier Saint-
Sacrement, le projet correspond à l’objectif fixé par le plan d’urbanisme
65. Ibid à la p 34.
66. Art 2236 CcQ : « La société en commandite es t constitué e entre un ou plusieurs comman-
dités, qui sont se uls autorisés à administrer la soc iété et à l’obliger, et un ou plusieurs comman di-
taires qui sont tenus de fournir un apport au fonds commun de la société. »
67. Selon la jurisprudence, les sociétés du Code civil du Québec n’ont en principe pas la per-
sonnalité mora le : Ville de Québec c Compagnie d’immeubles Allard, 1996 CanLII 5712 (QC CA),
[1996] RJQ 1566, EYB 1996-65332.
68. Voir Roy c Carrier senc, 2006 QCCS 2663; Laval (Ville de) c Polyclinique médicale Fabreville,
sec, 2007 QCCA 426 au para 24 : « Une société en commandite, comme toute autre société, a un
patrimoine propre qui, tant qu’il est suffisant, est distinct de celui des personnes dont elle est
constituée; elle jouit alors d’une entité propre, sans pourtant être une personne morale au
sens de la loi » [caractères gras ajoutés par la Cour]. Voir aussi, sur ce point, Alexandra Popovici,
« Quebec’s Partnership : une société distincte » (2013) 6 J Civ L Studies 339; Générosa Bras
Miranda, « La propriété collective, est-ce grave docteur? Réflexions à partir d’une relecture de
l’arrêt Allard » (2003) 63:1 R du B 231.
69. Sur la p lace de la volonté et du contractualisme e n droit des biens, voir notamment Lio nel
Andreu, dir, Liberté contractuelle et droits ré els, coll « Colloques & E ssais », Bayonne (France), Institut
universitaire Varenne, 2015. Voir aussi Claude Bufnoir, Propriété et contrat, nouv éd, Poitiers
(France), Université de Poitiers, 2005.
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de la Ville de Québec, à savoir planifier l’aménagement urbain dans
une perspective de développement durable70. Comme le souligne
Christyne Lavoie, « ce modèle nécessite une certaine aisance finan-
cière », puisqu’il exige d’être (co)propriétaire. Il se base également sur
des « valeurs coopératives et communautaires »71. Parmi ces valeurs,
on note l’entraide, y compris la mise en commun des ressources et des
compétences, le respect du partage et de l’équilibre dans les tâches
communautaires, ainsi que le respect de l’environnement. Ce dernier
point comprend, notamment, l’utilisation de technologies vertes,
l’organisation efficace des transports ainsi que le fait de privilégier
les achats locaux ou de groupe72. Du point de vue de la structure du
projet, c’est une coopérative de solidarité73 qui s’est chargée de la pro-
motion du projet et qui a ensuite assujetti l’immeuble au régime de la
copropriété divise74. Par la suite, le syndicat de copropriété a confié à
la coopérative des pouvoirs et devoirs75. La coopérative conserve un
droit de préemption lors de la vente d’une unité76. Dans ce schéma, la
coopérative existe donc parallèlement à la copropriété.
À Montréal, mentionnons un autre projet mixte alliant copropriété
et coopérative : il s’agit de la Communauté Milton Parc (CMP), qui
constitue également un exemple de rapprochement avec les com-
munity land trusts (CLT) de la common law77. Dans ce cas, les co opé-
ratives sont les propriétaires des terrains, sauf certains espaces
communs, comme les ruelles dont la CMP est propriétaire. La CMP est
70. Vill e de Québec, Règlement sur le Plan dire cteur d’aménagement et de dévelop pement, RVQ
990, Annexe A (Les arrondissements); Groupe d’intervention en habitat écologique (Archibio),
supra note 22 à la p 32.
71. Lavoie et al, supra note 29 à la p 70.
72. « Nos valeurs », en ligne : Cohabitat Québec <www.cohabitat.ca/valeurs/>.
73. Hubert Reid, Dictio nnaire de droit québécois et canadien, 5e éd, M ontréal, Wilson & Lafleur,
2015 , sub verbo « coopérative » : « Personne morale regroupant des personnes qui ont des besoins
éco et sociaux comm uns et qui, en vue de les satisfaire, s’assoc ient pour exploiter une entrep rise
conformément aux règles d’action coopérative » (Loi sur les coopératives, supra note 41, art 3);
ibid sub verbo « coopérative de so lidarité » : « coopérative qu i regroupe à la fois des membres qui
sont des utilisateurs des services offerts par la coop et des membres qui sont des travailleurs
œuvrant au sein de celle-ci. Elle peut aussi comprendre toute personne ou société qui a un
intérêt éco ou social dans l’atteinte de l’objet de la coopérative ».
74. Déclaration de copropriété divise (Syndicat de la copropriété Cohabitat Québec) (mise à
jour le 28 octobre 2017), art 3.
75. Ibid, art 35.
76. Ibid, ar t 69.
77. Voir à la sec tion I.B.1.c ci-dessous, sur la structure fiduciaire et le rapprochement avec les
community land trusts (CLT).
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Emerich Résurgence des communs 263
une structure de gouvernance composée des représentants des
co opératives qui louent des logements abordables. « Les coopératives
Milton Parc » est en fait un syndicat de copropriété qui administre les
immeubles de l’ensemble des coopératives d’habitation du quartier
du même nom.
Les coopératives se sont entendues sur une « clause de destina-
tion »78 qui lie l’ensemble des résidants des coopératives coproprié-
taires. La déclaration de copropriété prévoit notamment « l’accès à des
logements de qualité pour les personnes à revenu modéré ou à faible
revenu », la conservation du tissu urbain, du patrimoine architectural
et du caractère sociodémographique du quartier, ainsi que des méca-
nismes en cas de revente pour prévenir la spéculation.
En utilisant le modèle de la copropriété divise, conjugué à celui de
la coopérative, la CMP a réussi à protéger 135 immeubles contre la spé-
culation, préservant ainsi ceux-ci pour ses habitants à moyens ou
faibles revenus79. Comme le soulignent Lucia Kowaluk et Carolle Piché-
Burton, « [l]a Déclaration de la CMP est unique puisqu’elle contient des
restrictions liées à la responsabilité sociale et à la non-spéculation. Il y
a une similitude avec les restrictions établies dans une fiducie foncière
(land trust), un statut légal accepté et utilisé ailleurs en Amérique du
Nord »80. La Communauté Milton Parc ne s’est pas dotée d’un mandat
écologique comme l’ont fait d’autres initiatives, telles que Cohabitat
Québec ou des CLT au Canada et aux États-Unis. Néanmoins, certaines
initiatives d’écologisation (greening) de la Communauté Milton Parc
78. Déclaration de copropriété (Syndicat de la copropriété Communauté Milton Parc) (mise
à jour le 2 août 1994), art 5 :
Les immeubles serviront à l ’habitation locative et, à un de gré moindre, au commerce, de
façon à favoriser à perpétuité à la fois un contrôle sur l’ensemble des immeubles et un
accès à des unités d’habitation de qualité pour des gens à revenu modéré et à faible
revenu. Ainsi, la Communauté pourra promouvoir les intérêts des résidents actuels et
futurs et la promotion des mêmes intérêts, soit à préserver le caractère et l’unité à la fois
physique, architectural et socio-économique du quar tier Milton Parc.
La Déclaration de copropriété a pour but d’assurer le maintien, de façon aussi intégrale
que possible, des différents traits du microcosme dans lequel les immeubles se situent.
Diverses restrictions imposées par la Déclaration aux droits et à l’exercice des droits des
copropriétaires tendent à garantir le respect de ce but dans le quotidien des actes que
ces derniers sont appelés à poser. Au détail comme dans leur ensemble, ces restrictions
se justifient à ce titre et à nul autre.
79. Ernest Vaudr y et Susan Altschul, « Using Civil Law Trusts for Affordable Housing: A Com-
munity Land Trust Model » (2004) 106:1 R du N 75 à la p 86.
80. Lucia Kowaluk et Caro lle Piché-Burton, Commu nauté Milton Parc : l’histoire d’hier et le fonc-
tionnement d’aujourd’hui, Communauté Milton Parc, 2012 à la p 22.
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ont vu le jour depuis les années 199081. Par exemple, des panneaux
solaires ont été installés sur le toit de la coopérative Les Tourelles
en 2005, servant ainsi à chauffer l’eau de tous les logements de cet
immeuble82. La large place laissée à l’imagination des parties illustre
bien ici la contractualisation croissante du droit des biens, dans le sens
où les parties peuvent aménager, par voie contractuelle, les contours
des droits réels créés, en raffinant le régime juridique qui leur est appli-
cable, à la condition de ne pas porter atteinte aux règles d’ordre public
du droit des biens83.
2. Cohabitat écologique sans accès à la propriété
Le cohabitat écologique peut également être constitué sans accès
à la propriété, au moyen de la fiducie civiliste (a), laquelle s’appuie sur
le modèle des CLT (b).
a. Le recours possible à la fiducie civiliste
Le cohabitat peut également prendre la forme d’un OBNL ou d’une
fiducie, ce qui permet de lui donner une destination quasi perpétuelle
dans le cas des OBNL ou perpétuelle dans celui de la fiducie. La pro-
priété est alors reléguée au second plan au profit de contrats de louage
consentis par la fiducie ou par l’OBNL84. L’avantage de cette structure
est de faciliter la détention ou l’usage collectif d’un immeuble, tout en
conférant au montage une durée potentiellement perpétuelle.
Selon le Code civil du Québec, « la fiducie résulte d’un acte par lequel
une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre
patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière
et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et
à administrer »85 (art 1260 CcQ). Selon l’article 1261 CcQ, un patrimoine
fiduciaire désigne « un patrimoine d’affectation autonome et distinct
de celui du constituant, du fiduciaire ou du bénéficiaire, sur lequel
aucun d’entre eux n’a de droit réel. » La fiducie québécoise s’organise
81. Ibid à la p 29.
82. Ibid.
83. Sur la contractualisation du droit des biens, voir notamment Antoine Tadros, « La liberté
d’aménager les droits réels principaux » dans Andreu, supra note 69 à la p 87.
84. Sur les différentes formes juridiques possibles du cohabitat, voir Groupe d’intervention
en habitat écologique (Archibio), supra note 22 à la p 15.
85. Art 1260 CcQ.
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donc sur un modèle détaché à la fois du patrimoine personnel, puisque
le patrimoine fiduciaire crée un patrimoine objectif distinct du patri-
moine personnel, et de la propriété, puisque aucun des acteurs de la
fiducie n’est propriétaire.
Bien qu’il s’agisse d’un modèle présent aux États-Unis depuis 45 ans,
sous la forme des CLT (community land trusts ou fiducies foncières
communautaires)86, au Québec, il ne semble pas exister, à ce jour,
d’exemple de cohabitat fondé stricto sensu sur le véhicule fiduciaire87.
L’un des principaux défis réside dans le financement de tels projets.
Plusieurs institutions bancaires ont en effet refusé de financer des pro-
jets fondés sur la fiducie d’utilité sociale, notamment en raison du flou
entourant la validité d’une fiducie dans laquelle le bénéficiaire est
considéré comme n’étant pas suffisamment identifié88.
On peut toutefois critiquer une telle frilosité. Il nous semble, en effet,
que la fiducie d’utilité sociale pourrait être l’un des vecteurs utilisés
dans ce cadre. Aux termes de l’article 1270 CcQ, « [l]a fiducie d’utilité
sociale est celle qui est constituée dans un but d’intérêt général,
notamment à caractère culturel, éducatif, philanthropique, religieux
ou scientifique. Elle n’a pas pour objet essentiel de réaliser un bénéfice
ni d’exploiter une entreprise. » Le but premier d’une telle fiducie n’est
pas d’avantager une ou plusieurs personnes déterminées, mais de
« favoriser le public en général » ou « une partie importante de ce
public »89.
Le fait qu’il n’existe pas de bénéficiaire déterminé ne devrait pas être
un obstacle. En l’occurrence, la possibilité d’identifier une collectivité
devrait suffire. Encore faudrait-il cependant que la pratique accepte
d’y recourir. L’un des intérêts de l’utilisation du véhicule fiduciaire est
86. Voir, à ce sujet, John Emmeus Davis, « Common Ground: Community-Owned Land as a
Platform for Equitable and Sustainable Development » (2017) 51:1 USF L Rev 1 à la p 6.
87. Aucun exemple de fiducie communautaire/d’utilité sociale/fiducie foncière n’ex iste encore
au Québec en matière de logement. Il existe cependant des cas dans le domaine agricole; voir
par ex Hubert Lavallée, « La fiducie foncière communautaire, une solution d’avenir » (2016) 785
Relations 22. Voir ci- dessous sur ce point.
88. Benoît Genest, Limiter la spéculation immob ilière et favoriser l’accès abordable à la propriété
en contexte d’innovation sociale québécoise — Identifier et implanter les bons outils juridiques et
managériaux, guide préparé dans le cadre de la maîtrise en management, HEC, Montréal, 2018
[non publié] à la p 28.
89. Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du
Québec, t 1, Un mouvement de société, Québe c, Publications du Québec, art 1270, cité par Valérie
Boucher, « Fiducie » dans JurisClasseur Québec, coll « Droit civil », Biens et publicité des droits,
fasc 20, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, au para 127. Voir ibid au para 128.
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la possibilité que la fiducie perdure dans le temps. La fiducie d’utilité
sociale se différencie de la fiducie personnelle et d’utilité privée,
notamment par la possibilité de modifier son but90. La volonté du
constituant a un rôle secondaire par rapport à la fonction de la fiducie
d’utilité sociale. Cela permet de se soustraire à l’article 1294 al 1 CcQ,
qui prévoit l’extinction d’une fiducie lorsque « la poursuite du but de
la fiducie » est rendue « impossible ou trop onéreuse »91.
En outre, le problème du cumul des fonctions dans l’administration
de la fiducie peut aussi être résolu par le partage des fonctions entre
plusieurs personnes. Pour prendre un exemple, Cadet Roussel est une
fiducie foncière agricole d’utilité sociale, qui cherche à retirer du
marché spéculatif des terres agricoles. L’OBNL Protec-Terre a constitué
la fiducie et agit comme fiduciaire. Pour éviter le cumul des fonctions,
et conformément à l’article 1275 CcQ92, l’OBNL partage cette fonction
avec les fermiers, aussi bénéficiaires directs, et des personnes externes
au projet, qui sont des bénéficiaires indirects. Les fiduciaires se
chargent de juger si les candidats — qui peuvent provenir de la société
civile en général — souhaitent cultiver la terre suivant l’affectation
de la fiducie93. La fiducie d’utilité sociale a la « société civile » comme
bénéficiaire, pour laquelle elle élit des représentants. Ce mécanisme
« remplit une fonction ou assure un service universel […] profit[ant] à
l’ensemble du corps social »94. Rien n’empêche d’adapter un tel méca-
nisme au domaine du logement urbain, par exemple en ayant un OBNL
qui agit comme fiduciaire et comme l’un des bénéficiaires — les occu-
pants des logements étant également bénéficiaires.
Certains projets écologiques s’inspirent toutefois de ce modèle95.
Le projet de Fiducie foncière régionale de l’Estrie mise sur la fiducie,
mais aussi sur la location à long terme de l’usage du sol d’un terrain,
90. Art 1294 CcQ.
91. Voir Mario Naccarato, « Note lexico graphique : cy-près » (2005) 46:3 C de D 771 aux pp 776
et s.
92. Art 1275 CcQ : « Le constituant ou le bénéficiaire peut être fiduciaire, mais il doit agir
conjointement avec un fiduciaire qui n’est ni constituant ni bénéficiaire ».
93. Soit l ’élimination de la sp éculation sur certaines ter res agricoles et l’éradication de l ’usage
des pesticides; voir Genest, supra note 88 à la p 29.
94. Ibid.
95. « Rendre la propriété plus abordable et écologique », Écosociété (9 novembre 2014), en
ligne : <ecosociete.org/articles/42>.
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en utilisant l’emphytéose96. L’avantage de recourir à la structure
emphytéotique permet, notamment, de diminuer le coût de l’accès
au logement, puisque la propriété peut porter uniquement sur la sur-
face de l’immeuble et non sur le fonds de terre97. Par contre, le recours
à l’emphytéose ne permet pas une protection perpétuelle des habi-
tants de ces logements, contrairement à la structure fiduciaire ou
propriétaire.
Plusieurs auteurs se sont déjà intéressés à la fiducie en droit civil
québécois comme équivalent des CLT de la common law dans le
contexte du logement abordable. Comme le souligne Jacques Beaulne,
la fiducie, qui peut être un instrument efficace pour créer une réserve
de conservation de la faune ou pour gérer et mettre en valeur des sols
contaminés, peut également permettre de procurer à des personnes
un logement abordable98. Le meilleur exemple québécois se rappro-
chant des CLT est la Communauté Milton Parc. Comme nous l’avons
vu, bien qu’il ne s’agisse pas d’une fiducie au sens du Code civil, cette
communauté s’est dotée d’objectifs similaires à ceux des CLT qu’on
trouve ailleurs au Canada et aux États-Unis99.
Le contexte rural offre des exemples similaires. TerraVie est un OBNL
ayant rédigé un guide pour la constitution de « fiducies foncières
rurales habitables », que cet organisme essaie maintenant de mettre
en œuvre. Situé à Montcalm dans les Laurentides, cet OBNL invite
les personnes intéressées à construire des habitations écologiques sur
le territoire qu’il préserve perpétuellement en fiducie et à signer
une « convention d’habitations résidentielles écologiques » avec lui.
Terra Vie est un « écovillage » qui fonctionnera par un enchevêtrement
96. Fiducie foncière régionale de l’Estrie, « Diaporama : Fiducie foncière régionale de l’Estrie »
(8 août 2016), publié sur Fiducie foncière régionale de l’Estrie, en ligne : Facebook <facebook.com/
pg/FFRESTRIE/>; art 1195 CcQ :
L’emphytéos e est le droit qui permet à une p ersonne, pendant un cert ain temps, d’utiliser
pleinement un i mmeuble appartenant à autr ui et d’en tirer tous ses avantages, à la condi -
tion de ne pas en compromettre l’existence et à charge d’y faire des constructions,
ouvrages ou plantations qui augmentent sa valeur d’une façon durable.
L’emphytéose s’établit par contrat ou par testament.
97. Art 1011 CcQ. La propriété superficiaire est celle des constructions, ouvrages ou planta-
tions situés sur l’immeuble appartenant à une autre personne, le tréfoncier. Voir Frenette, Roy
et Bouchard, supra note 41 à la p 512.
98. Jacques Beaulne, Dro it des fiducies, 3e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015 à la p 101.
99. Vaudry et Altschul, supra note 79 à la p 86.
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de coopératives se trouvant sur le territoire de la fiducie10 0. Rien n’em-
pêcherait d’adapter un tel modèle en zone urbaine, dès lors que l’on
souhaite préserver une partie du ou des fonds de terre à des fins
écologiques.
b. Le modèle des community land trusts(CLT)
Plusieurs structures juridiques s’offrent aux groupes d’individus dési-
rant mettre sur pied des modèles de cohabitation dans le cadre de la
common law. En plus d’être utilisés dans un contexte environnemental,
les CLT, fiducies foncières communautaires, servent couramment à
procurer à des personnes un logement abordable101.
Ce type de CLT (que l’on pourrait traduire par fiducie d’utilité
sociale)102 suit les règles générales du droit des trusts, sauf certaines
règles particulières103. Dans les provinces et territoires de common law,
les CLT sont assujettis à la supervision de l’État104, mais ils ne sont « pas
soumis à la règle qui défend la perpétuité des trusts […] ce qui signifie
qu’un tel trust peut exister indéfiniment »105. De plus, les charitable
trusts sont assujettis à la doctrine « cy-près », selon laquelle les tribu-
naux ont le pouvoir de rediriger les objectifs du trust lorsque les buts
initialement établis deviennent impossibles à atteindre. Les charitable
trusts sont constitués au profit d’une fin caritative plutôt qu’à celui d’un
ou de plusieurs bénéficiaires. Finalement, le charitable trust ne se ter-
mine pas en cas d’incertitude quant à son objet106.
Il est possible d’utiliser la forme du CLT pour détenir un fonds de
terre au bénéfice d’une communauté d’individus, tout en poursuivant
100. Marco Silvestro, Les écovillag es comme stratégie holiste de développement durabl e et d’éco-
nomie sociale, document préparé p our le Collectif de recher che sur les pratiques solidaires é mer-
gentes et le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), Université du Québec à
Montréal, [non publié] à la p 6.
101. Beaulne, supra note 98 à la p 101.
102. Voir, à ce sujet, Alexander R Arpad, « Private Transactions, Public Benefits, and Perpetual
Control Over the Use o f Real Property: Inte rpreting Conservation E asements as Charitable Trusts »
(2002) 37:1 Real P’ty, Probate & Trust J 91.
103. Jeanine Gama Sá, « Le trust : de la protection patrimoniale au Moyen Âge à la protection
internationale de l’environnement au XXIe siècle » (2008) 21:1 RQDI 97 à la p 119.
104. C’est la grande différence avec le Québec, où le procureur général n’est pas investi de
pouvoirs en ce sens : Kathryn Chan, « The Role of the Attorney General in Charity Proceedings
in Canada and in England and Wales » (2010) 89:2 R du B can 373 à la p 389.
105. Gama Sá, supra note 103 à la p 119.
106. Ibid.
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un objectif environnemental. Dans ce cas, le fonds de terre appartient
au CLT et le trust, par l’entremise du trustee, peut consentir des baux à
long terme (habituellement pour une période de 99 ans). L’objectif de
protection environnementale peut, notamment, être garanti par la
voie du droit de suite en cas de saisie107. En outre, le recours au CLT
permet de limiter le profit lors de la revente, assurant ainsi des prix plus
abordables aux nouveaux acheteurs108.
Comme le souligne le professeur Mark Roseland, le principal intérêt
du modèle du CLT est sa flexibilité, puisque, au-delà des caractéris-
tiques communes aux CLT, chaque land trust définit ses objectifs, ses
priorités et sa structure109. L’exemple le plus connu de CLT est celui de
Burlington, au Vermont, créé en 1984. Trente-cinq ans plus tard, le
Champlain Housing Trust loge plus de 5 000 personnes à un prix abor-
dable. En effet, le prix des logements offerts par le CLT est environ 25 %
en deçà de la valeur marchande de Burlington110.
D’autres structures peuvent également être utilisées en common
law. Par exemple, la communauté de Harbourside, en Colombie-
Britannique, a bâti à l’intention des aînés un quartier d’immeubles
divisés en stratatitles. Le choix de cette structure plutôt que celle d’une
coopérative est notamment dû au fait qu’il est plus facile d’obtenir du
financement avec le modèle des stratatitles ou condominiums111. Équi-
valent de la copropriété divise civiliste, le condominium est une forme
de propriété qui permet de combiner propriété individuelle (des por-
tions privées) et propriété commune (des espaces partagés), chaque
unité d’habitation possédant un titre de propriété individuel112.
Il est intéressant de noter que le modèle du cohabitat est plus fré-
quent dans les provinces canadiennes de common law qu’au Québec.
Cela s’explique d’abord par la plus grande facilité à élaborer ce type
de projet, en raison d’une plus grande flexibilité des instruments
107. Aneliese Palmer, « Strategies for Sustainable Growth in Community Land Trusts » (2019)
Harvard Joint Center for Housing Studies 1 à la p 3.
108. Ibid à la p 2.
109. Mark Roseland, « Linking Affordable Housing and Environmental Protection: The Com-
munity Land Trust as a Sustainable Urb an Development Institution » (1992) 1:2 R Can recherche
urbaine 163 à la p 175.
110 . « Rendre la propriété plus abordable et écologique », supra note 95.
111. Harbourside Cohousing, « How Is Cohousing Different from a Cooperative or a Conven-
tional Strata Title / Condominium? », en ligne : <harbourside.ca/pdf/>.
112. Ibid.
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juridiques et, notamment, du trust113. Le droit québécois semble éga-
lement plus strict en matière de dézonage et de réglementation des
bâtiments114 . On a pu aussi avancer qu’en matière de projets sociaux,
l’État a traditionnellement un rôle plus prononcé au Québec que dans
les provinces de common law, où la société civile prend fréquemment
le relais115. On peut également avancer, outre les défis financiers, la
réticence du droit civil québécois, et du droit civil en général, envers
l’institution de la copropriété, censée être le contraire de la propriété
privée116 — ce qui pourtant l’est de moins en moins. Un autre facteur
à considérer est l’acclimatation de la fiducie civiliste. Si, dans le contexte
du cohabitat, les biens communs sont présents dans l’espace privé,
comme nous l’avons montré dans cette première partie, ils se mani-
festent également dans l’espace public, ce qui peut être observé avec
l’exemple des ruelles vertes.
II. LA MONTÉE DES COMMUNS DANS L’ESPACE
PUBLIC : L’EXEMPLE DES RUELLES VERTES
De son passé industriel, Montréal a hérité d’un réseau de ruelles,
lesquelles font aujourd’hui partie de l’habitat de la ville. La ruelle mon-
tréalaise multifonctionnelle est l’espace urbain tout désigné pour étu-
dier l’incidence des changements d’usage sur le droit. Que la ruelle soit
propriété publique ou propriété privée, les normes qui l’encadrent sont
dictées par une multiplicité d’acteurs. Avant de nous pencher sur le
phénomène des ruelles vertes (B), il convient de se familiariser avec la
notion même de ruelle (A).
A. La ruelle : la forme montréalaise et son évolution
Avec l’industrialisation au tournant des XIXe et XXe siècles, Montréal
se développe à un rythme effréné. Des lotisseurs construisent de
nouveaux quartiers avec un espace appelé ruelle — phénomène
113. Groupe d’intervention en habitat écologique (Archibio), supra note 22 à la p 21.
114 . En ce sens, ibid à la p 21.
115. En ce sens, ibid.
116 . Voir Christian Larroumet, « L’intérêt collectif et les droits individuels des copropriétaires
dans la copropriété des immeubles bâtis » (1976) I JCP 2812 au para 6. Au sujet de la flexibilité
des mécanismes de stratatitle et de condominium en common law, voir Cathy Sherry, « Strata
Title: The New Fe udalism » dans Michael Vols et Jul ian Sidoli, dir, People and Buildings: Compara-
tive Housing Law, La Haye (Pays-Bas), Eleven, 2018, 67 à la p 78.
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morphologique commun aux centres urbains qui se densifient.
Aujourd’hui, la Ville de Montréal compte environ 4 300 ruelles117, qu’on
trouve principalement dans les anciennes municipalités maintenant
fusionnées de Hochelaga, Rosemont, Mercier, Notre-Dame-de-Grâce,
Villeray et celles qui forment aujourd’hui le Plateau-Mont-Royal11 8 .
Cette forme urbaine répond d’abord à un besoin sanitaire dans des
aménagements caractérisés par des habitations contiguës qui néces-
sitent lumière et aération119 . La ruelle est aussi la voie de passage uti-
lisée par les différents services offerts aux résidants : « le lieu des
vendeurs ambulants, de la collecte des déchets, de la fourniture en
matière de chauffage »120. La ruelle est enfin l’endroit où vont jouer les
enfants et où passent de nombreux câbles électriques, de satellite ou
de téléphone — ce qui est encore le cas aujourd’hui121. Avec le temps,
la fonction de la ruelle dédiée aux services est passée au second plan122
au profit d’un usage de stationnement des véhicules123 . Pourtant, plu-
sieurs des anciennes fonctions perdurent. La ruelle sert à des usages
plus intimes que ceux qui ont lieu dans la rue et, dès lors, s’affiche
comme un espace à la rencontre du public et du privé, où les limites
entre les propriétés privées et les propriétés publiques s’estompent.
117. Service des parcs, Ville de Montréal, 1995, cité par Lucie Lemaire, Les ruelles de Montréal
depuis 1850 : entre appropriation et urbanisme participatif dans le Plateau-Mont-Royal, mémoire
de maîtrise, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, 2016 à la p 71; voir aussi
Carole Gaumont, « Le verdissement montréalais : pour lutter contre les îlots de chaleur urbains,
le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique », Conseil régional de l’environne-
ment de Montréal, 2007, à la p 41, qui accepte ce compte.
118 . Mario Robert, « Brève histoire des ruelles de Montréal », Chronique Montréalité no 14
(6 octobre 2014), en ligne : Archives de Montréal <archivesdemontreal.com/2014/10/06/chronique-
montrealite-no-15-breve-histoire-des-ruelles-de-montreal/>.
119. Une distinction dans les fonc tions précises existe entre les ruelles ouvrières et les ruelles
bourgeoises. Elle n’est cependant pas pertinente pour notre étude, puisque la destination de
service demeure inchangée. Voir ibid.
120. Lemaire, supra note 117 à la p 50.
121. Ibid à la p 92.
122 . Ibid à la p 50 : « Jusque dans les a nnées 1950, la collec te des déchets se faisait par la ruelle,
à l’aide de petits camions-bennes. Par la suite, les camions de plus en plus grands ne purent
circuler dans les ruelles. Cette fonction est alors passée du côté de la rue. »
123. Ibid : « À par tir des années 1910, l’arrivée de la voiture transforme en partie l’usage de ces
ruelles. […]. Dans les années 1960, la voiture se démocratise. Ainsi, les garages et les places de
stationnement investissent progressivement la ruelle ».
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1. La définition administrative de la ruelle
Bien que la ruelle conserve une même apparence d’un arrondisse-
ment à l’autre, la dénomination « ruelle » ne s’applique pas de manière
uniforme. La ruelle montréalaise est définie par la Ville de Montréal
comme une « voie d’accès secondaire, publique ou privée, à l’usage
des terrains riverains déjà desservis [par] une voie publique »124. À cela
se greffe une pluralité de définitions de la ruelle d’un arrondissement
à l’autre. Au plan d’urbanisme, la ruelle est définie a contrario de la
« voie publique », laquelle est « un espace public réservé à la circulation
des véhicules et des piétons et donnant accès aux terrains riverains,
excluant une ruelle »125. Ces diverses définitions sont l’indice d’un
espace en redéfinition.
2. La ruelle entre espace public et espace privé
Historiquement, les lotisseurs des îlots des quartiers montréalais
construits pour loger l’afflux d’ouvriers dans la métropole ont couram-
ment vendu l’ensemble des lots qui entouraient la ruelle. Le plus sou-
vent, le lotisseur la cédait à la Ville aux fins de « ruelle publique »126.
Toutefois, dans de nombreux cas difficilement chiffrables, celle-ci est
demeurée propriété du lotisseur127.
En 1901, la Cité de Montréal adopte un règlement aux termes
duquel :
7. – Lorsqu’une rue, ruelle, voie ou place publique non acquise
par la Cité aura été en tout ou en partie ouverte au public
depuis dix ans, […] telle rue, ruelle, voie ou place publique soit
décrite et enregistrée comme rue publique dans le registre
tenu à cette fin128 .
124. Montréal ( Ville de), « Acqui sition de ruelle (pour régular iser certaines situations) », en ligne :
Banque d’information 311 <ville.montreal.qc.ca/banque311/content/acquisition-de-ruelles-
pour-regulariser-certaines-situations>.
125. Ville de Montréal, Règlement 04-047, Plan d’urbanisme, Par tie III – Document complémen-
taire à la p 10, en ligne : <ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/PLAN_URBANISME_FR/
MEDIA/DOCUMENTS/191217_PARTIE3_2.PDF>.
126. Voir par ex Selvaggi c Montréal ( Ville de), 2016 QCCS 417 au para 35.
127. Lemaire, supra note 117 à la p 77.
128 . Cité de Montréal, Règlement no 270, Règlement concernant les rues, chemins et voies
publiques (27 décembre 1901). Encore aujourd’hui, l’art 191 de l’annexe C de la Charte de la Vi lle
de Montréal, métrop ole du Québec, RLRQ c C-11.4, permet à la Ville de déclarer publiques toutes
rues, ruelles, voies et places publiques ouver tes au public depuis plus de cinq ans.
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Emerich Résurgence des communs 273
Pour les quartiers dans les limites de la Cité à cette époque — soit
Hochelaga et une partie du Plateau-Mont-Royal —, la ruelle est donc
publicisée. Dans les autres quartiers, en vertu des articles 401, 584 et
2216 CcBC, les ruelles intègrent le domaine public après la faillite des
lotisseurs129. Dans ce dernier cas, la propriété passe alors aux mains du
curateur public, puis de la municipalité130 .
À partir des années 1970 jusqu’à aujourd’hui, certaines ruelles mon-
tréalaises ont fait l’objet de nombreux projets de revitalisation dans le
cadre desquels elles ont changé de mains. Une des premières options
offertes aux propriétaires riverains d’une ruelle a été de la racheter
pour une somme symbolique131. Toutefois, l’engouement pour ce pro-
gramme s’est essoufflé rapidement. Par sa situation physique, la ruelle
— parfois enclavée ou partiellement enclavée — ne permet pas une
modification drastique de ses usages, les résidants se rendant compte
que les usages de la ruelle privée restent sensiblement les mêmes que
ceux de la ruelle publique. De plus, s’ils agréent au transfert, la Ville
impose des taxes sur cette partie de terrain. L’évolution des usages
de cette partie reste possible, même par l’entremise de la propriété
publique132. Cependant, l’institution qu’est la ruelle semble davantage
axée sur l’usage que sur la propriété133.
B. La ruelle verte : une nouvelle identité pour cet espace
En quête de redéfinition, la ruelle montréalaise offre aujourd’hui une
morphologie nouvelle à la ville. Comme le souligne Lucie Lemaire, « [l]
a ruelle se propose d’évoluer d’une identité de service vers une essence
sociale »134. La ruelle verte est devenue le symbole de cette revitali-
sation entreprise par la Ville dans les années 1970 et qui modifie les
anciens quartiers ouvriers montréalais. Si son espace est avant tout
celui d’une communauté (1), la ruelle verte est le lieu d’une variété
d’usages potentiellement conflictuels (2).
129. Voir par ex Bédard c Bonraisin, 2016 QCCS 2727 au para 45.
130. Jean Hétu, « Revue de la jurisprudence 2016 en droit municipal » (2017) 119:1 R du N 231 à
la p 235.
131. Lors des phases 1 et 2 du programme Place au Soleil. Voir Lemaire, supra note 117 aux
pp 78 et s.
132. Ibid.
133. Ibid à la p 79 : « L’institu tion donne raison à l’occupation, l’usage, l’appropriation et non la
réelle propriété. »
134 . Ibid à la p 73.
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Revue générale de droit
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1. Ruelles vertes et conflits d’usages
Le Programme des ruelles vertes est mis en place en 1997 par les
arrondissements et confié à des organismes locaux. L’aménagement
de la ruelle verte — qui comprend souvent une excavation pour retirer
le béton — ne tient qu’à un permis d’occupation de la voie publique.
La façon dont la Ville gère les ruelles change d’un arrondissement à
l’autre, mais généralement un comité vert est formé. Celui-ci dépose
auprès de l’arrondissement une demande d’aménagement d’une ruelle
verte démontrant une certaine consultation et un accord des habitants
de l’îlot. Toutefois, le projet ne doit être approuvé que par une majorité
des propriétaires riverains. On compte aujourd’hui plus de 230 ruelles
vertes à Montréal135.
Pour Lucie Lemaire, la ruelle verte est cet « espace sans définition
précise, [qui] agit comme une soupape dans l’espace urbain »136. On
peut y voir l’évolution du modèle urbain d’une vision corbuséenne vers
une vision polyfonctionnelle, puisque, selon le modèle de gestion de la
ruelle verte, de multiples acteurs peuvent se prononcer sur ses usages,
qui deviennent alors pluriels.
Les ruelles offrent également l’occasion de reconsidérer l’effet du
bâti sur l’application du droit — et de son imaginaire parfois discor-
dant. C’est ainsi qu’en 1981, dans l’affaire Ayotte-Toupin c Montréal (Ville
de), l’absence de trottoirs dans les ruelles indique, aux yeux du
juge Hannan, que la destination spécifique des ruelles n’est pas la cir-
culation piétonnière137. Un tel point de vue est inspiré par une vision
fonctionnaliste ou corbuséenne selon laquelle les équipements urbains
ne peuvent servir qu’une seule fonction. Pourtant, comme l’a fait
remarquer une commentatrice de cette affaire, « les piétons utilisent
[les ruelles] et rien ne leur en interdit l’accès ou l’usage », et « en réalité,
les ruelles semblent aussi être un lieu de circulation piétonnière et pas
seulement occasionnelle »138. Ainsi le mobilier urbain ne dicte plus seul
la fonction de l’espace.
135. Fabienne Couturier, « Montréal : la révolution des rue lles », La Presse, sect Maison , Montréal
(9 juillet 2016), en ligne : La Presse+ <plus.lapresse.ca>.
136. Lemaire, supra note 117 à la p 76.
137. Micheline McNicoll, « La responsabilité civile délictuelle des municipalités en matière
d’entretien des rues e t des trottoirs pendant l’h iver » (1982) 23:1 C de D 135 à la p 169, cite Ayotte-
Toupin c Montréal (Ville de), SOQUIJ AZ-81021412, JE 81-756 (QCCS).
138 . Ibid à la p 170.
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Plusieurs caractéristiques de la ruelle font d’elle un espace d’entre-
deux139. La ruelle se situe d’abord aux abords du privé et de l’intime.
Sur le plan des vues, le fait que la ruelle se trouve à l’arrière des mai-
sons force nécessairement l’élaboration de normes touchant la vie
privée des habitants et fait naître la volonté que cette intimité soit
respectée : « la ruelle occup[e] une place privilégiée avec le privé, le
familier, l’intime »140.
La ruelle se situe aussi à la frontière du privé et du public. Si la ruelle
est parfois distinguée des terrains riverains par des clôtures grillagées
ou opaques, certaines ruelles ne comportent pas du tout de clôtures
pour marquer la frontière entre le domaine public et le domaine privé.
Or, « [c]es limites vont donc influencer les usages et les ambiances de
la ruelle »141.
La ruelle se situe aussi potentiellement à l’interstice de la légalité et
de l’illégalité. Autant les ruelles peuvent faire l’objet d’aménagements
rassemblant les habitants riverains et servant de lieu de rencontres,
autant certaines d’entre elles « sont appropri[ées] par [des] personnes
marginalisées »142, victimes de l’actuelle aseptisation de l’espace public,
qui les repousse vers des espaces plus privés que la rue143.
S’agissant de l’accès à la ruelle, celle-ci est un lieu utilisé surtout par
les habitants du rez-de-chaussée, qui sont, en pratique, le plus souvent
les propriétaires, qui se réservent l’accès au jardin et son usage et, du
même coup, à la ruelle144. Ainsi, même si la question de la propriété
de la ruelle passe au second plan par rapport à son usage, il n’est pas
anodin que l’usage réel des ruelles soit généralement le fait des
propriétaires- occupants, ce qui fait resurgir la symbolique de la pro-
priété.
139. Lemaire, supra note 117 aux pp 83–97.
140. Ibid à la p 53.
141. Ibid à la p 87.
142. Ibid à la p 96.
143. Catherine Chabot, Verdir Montréal – Cadre d’action, stratégies de réalisation et innovation
des groupes communautai res, Université du Québec à M ontréal et Institut national de l a recherche
scientifique, Maîtrise en études urbaines, 2016 à la p 18.
144 . Voir, à ce sujet, Jean Stafford, L’impact socio-économique de l’aménagement des ruelles à
Montréal, Montréal, Laboratoire de recherche en sciences immobilières, Université du Québec
à Montréal, 1985. Voir aussi Marie-Pierre Marcoux, « Habiter la ruelle : critères d’intervention et
prototypes d’habitation pour la densification durable d’un cœur d’îlot type à Limoilou », essai
de maîtrise en architecture, Université Laval, 2011 [non publié] à la p 21.
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Il découle de cette ambivalence du statut de la ruelle une possibilité
de conflits d’usages145. En effet, les ruelles constituent « un patchwork
de pratiques sociales que la norme ne permet pas de faire dans la rue »,
créant un « lieu de contact, de tension et de conflits »146 .
2. Ruelles vertes et collectivités
Les ruelles vertes jouent un rôle important dans la morphologie
montréalaise et entrent dans la mouvance de méfiance à l’égard de la
propriété privée que décrivent les professeurs Harold Bérubé et Anna
Giaufret :
À l’aube du 21e siècle, ces espaces verts ne sont plus confinés
à des aires délimitées par les pouvoirs publics, décoratives ou
vouées au loisir, mais prennent la forme de jardins potagers,
d’espaces nourriciers dans lesquels travaillent des commu-
nautés de quartier147.
Ces espaces sont toutefois sujets à une réglementation précise. Par
exemple, sur le Plateau-Mont-Royal, en vertu de l’article 13 du règle-
ment RA 2008-15, « [i]l est interdit de jeter, déposer, ou laisser sur le sol
du domaine public […] des matériaux, de la terre […] des marchandises
ou d’autres biens ou effets »148. L’arrondissement se réserve donc le
droit de démanteler les ruelles vertes lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet
d’un permis d’obstruction de la voie publique. La ruelle entre les ave-
nues Laval et de l’Hôtel-de-Ville, à la hauteur de la rue Napoléon, a ainsi
été démantelée après dix ans de participation communautaire en vue
de la verdir et de l’animer149. On voit donc ultimement que la collecti-
vité joue un rôle essentiel dans la présence et la continuité même de
la ruelle comme espace collectif ou bien commun à une collectivité
déterminée.
145. Lemaire, supra note 117 à la p 93.
146 . Ibid à la p 96.
147. Anna Giaufret et Harold Bérubé, « Sociabilité et espaces verts à Montréal : de l’espace
réservé à l’espace poreux » dans Annick Germain, Valérie Amiraux et Julie-Anne Boudreau, dir,
Vivre ensemble à Montréa l. Épreuves et convivialité, Montréal, Atelier 10, 2017, 53 à la p 54.
148 . Ville de Montréal, Arrondissement Ville-Marie, Règlement CA-24-085, Règlement sur le
civisme et la propreté, art 27 : « Il est interdit de planter un arbre, un arbuste ou une plante sur le
domaine public. »
149. Marie-Michèle Sioui, « Plateau-Mont-Royal : une ruelle “illégale” démantelée », La Presse,
Montréal (14 septembre 2015), en ligne : <lapresse.ca>.
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La ruelle verte devient « un territoire se reliant à des individus ou à
des communautés »150 . Pour devenir meilleur « acteur » de l’habitat, les
théoriciens de la propriété privée ont souvent admis comme condition
le fait qu’on soit propriétaire151. La propriété publique, quant à elle,
doit traditionnellement combler les besoins de base. C’est l’ensemble
des usagers qui profitent passivement de la propriété publique. Grâce
à sa situation physique et à son historicité trouble, par rapport à la
ruelle typique de propriété publique, la ruelle verte constitue un
espace particulier dans lequel nous devenons des « agents du recen-
sement, de la transformation et de l’entretien de ces espaces »152. La
ruelle verte, à l’interstice du public et du privé, s’épanouit donc dans
le collectif.
Ainsi, l’exemple des cohabitats révèle la résurgence des communs
dans l’espace privé, alors que celui des ruelles vertes illustre la montée
des communs dans un espace traditionnellement public. Il convient à
présent de s’interroger sur l’effet de ce double mouvement sur le droit
commun des biens.
III. LA MONTÉE DES COMMUNS ENTRE DROITS
D’USAGE COLLECTIFS ET PROPRIÉTÉ COMMUNE :
VERS UNE PROPRIÉTÉ POLYFONCTIONNELLE?
Le contexte spécifique et local des cohabitats écologiques et des
ruelles vertes — et, plus largement, le lien entre habitat et logement
« vert » — souligne deux traits importants du droit commun des biens :
d’une part, un renouveau des droits d’usage collectifs au moyen des
biens communs (A) et, d’autre part, la possibilité de penser une pro-
priété (poly)fonctionnelle, intégrant une dimension collective en plus
de sa dimension individuelle (B).
150. Giaufret et Bérubé, supra note 147 à la p 59.
151. Voir Stephanie M Stern, « Reassessing the Citizen Virtues of Homeownership » (2011) 100
Columbia L Rev 101. Voir aussi Geoffrey D Korff, « Reviving the Fo rgotten American Dream » (2008)
113 Penn State L R ev 417 aux pp 440– 41; Rober t F Mann, « The (Not so) Lit tle House on the Prairie:
The Hidden Costs of the Home Mortgage Interest Reduction » (2000) 32:4 Ariz St LJ 1347 à la
p 1354 .
152. Giaufret et Bérubé, supra note 147 à la p 63.
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A. Droits d’usage collectifs et montée des communs
Les biens communs (ou, selon la terminologie anglo-saxonne, les
communs) font parfois référence à des choses susceptibles d’appro-
priation, ce qui les rapproche des res nullius du droit romain, et parfois
à des choses non susceptibles d’appropriation, les biens communs
étant alors assimilés aux choses communes ou res communes du droit
romain153.
En droit romain, les res nullius désignent des choses susceptibles
d’appropriation « qui n’appartiennent actuellement à personne »154.
Aux côtés des res nullius, on trouve les res communes, qui sont des
choses « affectées à l’usage commun de tous les hommes »155. En droit
civil québécois, les « choses communes » sont définies au pre-
mier alinéa de l’article 913 CcQ : « Certaines choses ne sont pas suscep-
tibles d’appropriation; leur usage, commun à tous, est régi par des lois
d’intérêt général et, à certains égards, par le présent code »156 . Tradi-
tionnellement, la chose commune est définie comme une chose non
susceptible d’appropriation puisque ouverte à l’utilisation par tous157.
Pourtant, il est aujourd’hui évident que ce rejet de l’appropriation, qui
visait initialement une utilisation de ressources abondantes, « ne
153. Sur cette terminol ogie, voir Blandine Mallet-Bricout, « Propriété, affectation, destination.
Réflexion sur l es liens entre propriété, usage et finalité » (2014) 48:2 RJTUM 537 au para 71, n 99.
Voir aussi Madeleine C antin Cumyn, « La notion de ch ose commune et les conflits d’usage » (2007)
12:2 Lex Electronica à la p 2, n 2. Pour un usage de « biens communs » comme « choses com-
munes », voir Morin c Morin, 1997 CanLII 10213 (QC CA), SOQUIJ A Z- 98011038, JE 98-37, [19 98] RJQ
23, [1998] RDI 37 à la p 16. Voir aussi Administratio n portuaire de Québec c Thib eault, 2018 QCCA 72.
154. Raymond Monier, Vocabulaire de droit romain, Paris, Éditions D omat Montchrestien, 1948,
sub verbo « res nullius ». Voir aussi Paul Frédéric Girard, Manuel él émentaire de droit romain, 4e éd,
Paris, Arthur Rousseau, 1906 à la p 338.
155. Moni er, supra note 154 sub verbo « res communes ». Voir aussi Girard, supra note 154 à la
p 338; Caroline Guibet L afaye, « Récuser le commu n pour justifier la propriété pr ivée » (2016) 72:4
Revista Portuguesa de Filosofia 1231 à la p 1243.
156. L’art 714 du Code civil français affirme similairement à l’art 913 CcQ qu’« [i]l est des choses
qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous. »
157. Judith Rochfeld, « Entre propriété et accès : la résurgence du commun » dans Florence
Bellivier et Christine Noiville, dir, La bioéquité : batailles autour du partage du vivant, coll « Fron-
tières », Paris, Autrement, 2009, 69 aux pp 70–71. Voir aussi Cantin Cumyn, supra note 153 à la
p 2. Voir aussi Emerich et Hudon, supra note 12 aux pp 524 et 537; Normand, supra note 60 aux
pp 68 et s; Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 8e éd, Montréal, Yvon Blais, 2018 aux
para 21–24.
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Emerich Résurgence des communs 279
garantit plus l’usage de chacun »158, puisque celles-ci ont tôt ou tard
trouvé preneur159.
Les biens communs — ou les communs — peuvent être distingués
des choses communes, en ce qu’ils sont parfois susceptibles d’appro-
priation160. Les biens communaux de l’ancien droit français161 peuvent
servir à illustrer cette forme de propriété collective d’un bien privé162.
Les biens communs peuvent également être distingués des biens
publics163. En raison d’une conjoncture historique qui a milité en faveur
d’une gestion de l’accès à ces ressources, le bien public a été associé
« à une appropriation par une personne publique »164. Pourtant, il a
déjà été souligné que le droit romain possédait une conception de la
« chose publique » caractérisée par deux éléments : d’une part, « le droit
de propriété de l’État ou d’une autre personne publique sur la chose
elle-même » et, d’autre part, « une destination spéciale de la chose au
but public »165. Ainsi, la possibilité d’appropriation des biens communs
n’empêche pas leur affectation.
Concernant les biens publics, la théorie du droit français est celle du
droit de garde et de surintendance, selon laquelle le rôle de l’État se
limite à ces seules fonctions. Selon plusieurs, il serait dès lors « impos-
sible de dire que l’État a le droit d’user et de disposer de ses choses
publiques de la manière la plus absolue : l’usage appartient au public
et non à l’État »166 . Le domaine public étant inclusif par définition,
l’autorité publique ne peut exclure quiconque de l’usage de ces choses.
C’est ainsi que Proudhon, adoptant une définition de la propriété
158. Rochfeld, supra note 157 à la p 74.
159. Voir, à ce sujet, Emerich et Hudon, supra note 12 à la p 537. Voir aussi Frédéric Zenati-
Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne — Essai de synthèse des modèles proprié-
taires » dans Les mod èles propriétaires au XXIe siècle. Ac tes du colloque international orga nisé par
le CECOJI en hommage au profe sseur Henri-Jacques Lucas, Paris, LGDJ, 2012, 225 aux pp 229–30.
160. Voir Mallet-Bricout, supra note 153 au para 71, n 99. Voir aussi Cantin Cumyn, supra note 153
à la p 2, n 2.
161. Voir Grégoire Leray, L’immeuble et la pro tection de la nature, Paris, LGDJ, 2019 à la p 187.
162. Art 542 C civ : « Les biens communaux sont ceux à la propriété ou au produit desquels les
habitants d’une ou plusieurs communes ont un droit acquis. » Voir aussi Guibet Lafaye, supra
note 155 à la p 1244.
163. Voir ibid aux p p 1243–1244, qui croit qu’ils se recoup ent partiellement. Voir aussi Em erich
et Hudon, supra note 12 à la p 541.
164. Rochfeld, supra note 157 à la p 75.
165. N Karadgé Iskrow, « Nature juridique des choses publiques » (1930) R Dr public 670 à la
p 673.
166. Ibid à la p 675.
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ancrée dans le droit d’exclure, ne reconnaissait pas la propriété de l’État
sur les choses affectées à l’usage public167.
Comme le souligne le professeur Giorgio Resta, le nœud des
recherches sur le domaine public provient de « sa position inconfor-
table […] à la frontière entre le droit privé et le droit public » [notre
traduction]168. En effet, le modèle propriétaire qui se caractérise par
son individualité et son exclusion a eu une influence certaine et durable
sur la vision que nous avons du domaine public. Au XIXe siècle, l’État
est devenu garant de l’intérêt général, pouvant agir comme un pro-
priétaire privé sur les biens publics169.
Selon la professeure Judith Rochfeld, « ces biens publics seront consi-
dérés comme mieux gérés par l’État ou par ses dérivés — à même d’en
assurer la production, la distribution et la gestion satisfaisantes »170.
Ce rôle augmenté de l’État ne vient cependant pas sans heurts. Seule
la propriété publique — théoriquement — permet un accès illimité à
des ressources nécessaires au développement humain171. Le domaine
public « confie aux autorités de l’État la tâche d’équilibrer les intérêts
concurrents touchés lors du transfert du secteur public au secteur
privé » [notre traduction]172.
Plusieurs auteurs prétendent aujourd’hui que la logique binaire pro-
priété publique–propriété privée est dépassée17 3 et que des biens
167. Voir Jean-B aptiste V Proudhon, Traité du domaine public, ou De la disti nction des biens consi-
dérés principalement par rapport au domaine public, Bruxelles, Librairie de jurisprudence de
H Tarlier, 1835 aux pp 85–86. Voir aussi Iskrow, supra note 165 à la p 675.
168. Giorgio Resta, « Systems of Public Ownership » dans Michele Graziadei et Lionel D Smith,
dir, Comparative Property Law: Global Perspectives, Cheltenham (R-U), Edward Elgar Publishing,
2017, 216 à la p 217.
169. Les « choses publiques affectées à l’usage public » ont perdu leur caractère commun et
ont graduellem ent été supplantées au XIXe siècle par une visi on de la propriété publique comm e
rôle de l’État : ibid à la p 227.
170. Rochfeld, supra note 157 à la p 75.
171. Ibid aux pp 81 et s.
172 . Resta, supra note 168 à la p 242.
173 . Art 915 CcQ : « Les biens appartiennent ou aux personnes ou à l’État, ou font, en certains
cas, l’objet d’une affectation. » Voir particulièrement Rochfeld, supra note 157; Judith Roshfeld,
« L’inappropriable, l’inaliénable et le droit » dans Vincent Negri, dir, Le patrimoine archéologique
et son droit : questions juridiques, éthiques et culturelles, Bruxelles, Bruylant, 2015, 133. Voir aussi
Béatrice Parance et Jacques de Saint-Victor, Repenser les biens communs, Paris, CNRS Éditions,
2014; Alberto Lucarelli et Jacqueline Morand-Deviller, « Biens communs et fonction sociale de
la propriété : le rôle des collectivités locales » (2014) 111 Petites affiches 14; Maria R Marella, « La
propriété reco nstruite : conflits soci aux et catégories juridiques » (2016) 16 hors série Tracés R de
sciences humaine s 195; Sara h Vanuxem et Caro line Guibet-Lafaye, Repenser la p ropriété, un essai
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Emerich Résurgence des communs 281
peuvent être détenus en commun, en dehors du champ de l’appro-
priable174. Le professeur Resta suggère que la propriété publique et la
propriété privée se trouvent plutôt sur un continuum — dépendant
de l’équilibre qu’un régime juridique particulier trouve entre les inté-
rêts publics et les intérêts privés — et qu’elles ne se rapportent pas à
l’ontologie des choses175. La catégorie de « biens communs » permet-
trait « une sorte de moralisation de l’idée de bien public »176 . Dans cette
perspective, les biens communs nuancent la propriété individuelle et
exclusive comme « paradigme du rapport de l’homme aux choses »177.
Ainsi, contrairement aux choses communes, les biens communs
peuvent être appropriés. En outre, contrairement aux biens ordinaires,
les biens communs atténuent le « statut traditionnel des biens, c’est-
à-dire leur appropriation individuelle et privative »178, en leur donnant
un « titulaire incarnant un intérêt collectif »179 qui n’est pas l’État. Cela
rejoint en partie la conception de la common law, selon laquelle les
biens communs n’appartiennent pas nécessairement à l’État180. Or,
comme le soulignent les professeurs Alison Clarke et Paul Kohler, « la
caractéristique qui définit les biens communs est que chaque membre
de la collectivité a le droit de ne pas en être exclu » [notre traduction]181.
Il se pourrait alors que cette dimension commune des biens reprenne
une place importante en droit des biens contemporain.
B. Les communs et la propriété
Selon la professeure Balivet :
D’ici 2050, 75 p. cent de la population mondiale vivra en zone
urbaine en appartements. Cette évolution vers l’habitat col-
lectif n’est pas neutre. Organiser une vie paisible en collectivité
de politique écologique, coll « Droits de l’environnement », Aix-en-Provence (France), Presses
universitaires d’Aix-Marseille, 2015.
174. David Har vey, « The Future of the Commons » (2011) 109 Radical History Rev 101 à la p 101;
Resta, supra note 168 à la p 220.
175. Ibid à la p 219.
176. Rochfeld, supra note 157 à la p 77.
177. Ibid à la p 73.
178 . Ibid à la p 72.
179. Ibid.
180. Voir Alison Clarke et Paul Kohler, « What We Mean by ‘Propert y’ » dans Propert y Law: Com-
mentary and M aterials, Cambridge (R-U), Cambridge University Press, 2005, 17 à la p 37.
181. Ibid à la p 36.
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282
Revue générale de droit
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implique de prendre en considération l’intérêt des autres occu-
pants de l’immeuble, ainsi que l’intérêt collectif, lequel trans-
cende la somme des intérêts individuels des copropriétaires182.
Dans une vision élargie et dans un questionnement plus profond
sur la propriété individuelle et exclusive, la notion de « patrimoine
commun » s’articule « avec un droit d’accès au profit de tiers inté-
ressés »183. L’idée de la propriété-fonction184 peut servir à illustrer cette
reconnaissance de l’intérêt concurrent d’une collectivité dans un bien
approprié.
Ces situations permettent de mettre au jour ce que la professeure
Judith Rochfeld a appelé le « commun contractuel », soit la mise en
commun « par un accord des volontés […] des biens et des ressources
normalement passibles d’une réservation privative »185. Cet usage du
droit des contrats pour une justice distributive, souvent avec l’usage
d’une propriété directe ou indirecte, attribue au droit de propriété une
nouvelle mission qui va au-delà de la propriété moderne purement
individualiste.
Si le modèle d’une propriété individualiste domine le paysage juri-
dique des pays de tradition civiliste depuis la Révolution et la mise en
valeur des droits subjectifs de la personne186, la propriété est en réa-
lité protéiforme. Les dévolutions récentes permettent de prendre
davantage en compte la propriété commune comme une propriété
véritable187. Traditionnellement, le droit civil est réticent face à l’ins-
titution de la copropriété, censée être le contraire de la propriété
privée et vue comme une exception temporaire188. Cependant, de
plus en plus, la copropriété a tendance à se développer comme une
182. Balivet, supra note 48 à la p 42.
183. Rochfeld, supra note 157 à la p 78. Au sujet de l’opportunité du patrimoine commun, voir
Ler ay, supra note 161 aux pp 179–223. Sur le lien patrimoine commun et patrimoine collectif,
voir aussi Emerich et Hudon, supra note 12 aux pp 548 et s et 551 et s.
184. Sur la propriété fonctionnelle, voir notamment Pierre Crocq, Propriété et garantie, coll
« Bibliothèque de droit privé », no 248, Paris, LGDJ, 1995. Voir également Paul Babie et Jessica
Viven-Wilk sch, dir, Léon Duguit and the Social Obli gation Norm of Propert y: A Translation and Glob al
Exploration, Singapour, Springer Verlag, 2019.
185. Rochfeld, supra note 157 à la p 80.
186. Voir, à ce sujet, Zenati-Castaing, supra note 159 à la p 228.
187. Voir Parance et de Saint Vic tor, supra note 173 aux pp 20–21.
188. Sur ce point, voir notamment Larroumet, supra note 116 au para 6.
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Emerich Résurgence des communs 283
institution ayant vocation à durer dans le temps189. Le mouvement
est similaire en common law, où la propriété commune jouit d’une
faveur sans précédent190.
Le fait que la propriété privée a largement été pensée à travers le
prisme de l’individualisme ne peut masquer le fait qu’elle a une fonc-
tion sociale lui permettant de s’adapter à différents enjeux, notamment
environnementaux. Dans le cadre des enjeux liés au logement, la pro-
priété peut également être pensée comme un mode d’appropriation
collectif, qui permet de mieux embrasser sa fonction sociale191. Cette
mission sociale — qui renoue avec les origines plus collectives de la
propriété, que l’on trouve, notamment, en droit romain192 — com-
prend aujourd’hui indéniablement un aspect environnemental193.
Dans ce contexte, la propriété peut avoir une pluralité de fonctions.
Ce que semble mettre en évidence la présente étude, menée dans
le contexte particulier de l’habitat et du logement vert, est que la pro-
priété s’adapte une nouvelle fois à son objet, ici à un habitat polyfonc-
tionnel, pour reprendre la terminologie de Lefebvre. Si l’on transpose
cette polyfonctionnalité de l’objet/espace à la propriété même, la
possibilité d’une propriété (poly)fonctionnelle surgit, à savoir une
189. C’est ainsi, par exemple, que le partage de l’indivision peut être reporté, aux termes de
l’article 1013 CcQ. Sur cette tendance, voir notamment Gaële Gidrol-Mistral, « L’environnement
à l’épreuve du droit des biens » (2017) 62:3 RD McGill 687 à la p 730. Voir Leray, supra note 161 à
la p 181 : « La principale caractéristique du commun était son accès universel, elle tend
aujourd’hui à céder le pas face à une vocation de préservation. »
190. Voir notamment Anna di Robilant, « Common Ownership and Equality of Autonomy »
(2012) 58:2 RD McGill 263 à la p 265. Voir aussi Ugo Mat tei et Alessandra Quart a, The Turning Point
in Private Law: Ecology, Technology and the Commons, coll « Elgar Studies in Legal Theory »,
Cheltenham (R-U), Edward Elgar, 2019.
191. Sur la fonction sociale de la propriété, voir Léon Duguit, Les transformations générales d u
droit privé depuis le Code de N apoléon, Paris, Librairie Félix Alcan, 1912, aux pp 156 et s. Voir aussi
Louis Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, Paris,
Dalloz, 1927 à la p 41; Jean-Pascal Chazal, « La propriété : dogme ou instrument politique? Ou
comment la doctrine s’interdit de penser le réel » (2014) 12 RTD civ 763; Philippe Malinvaud,
Introduction à l’étude du droit, 16e éd, Paris, LexisNexis, 2016 à la p 370; Gregory S Alexander et
Eduardo M Peñalver, « Properties of Community » (2009) 10:1 Theoretical Inquiries in Law 127.
Voir également Yaëll Emerich, Droit commun des biens : perspective transsystémique, Montréal,
Yvon Blais, 2017 aux pp 194 et s.
192. Voir, à ce sujet, Vince nzo Mannino, « Le “bien commun” : la fausse imp asse du droit romain
et du droit savant » dans Parance et de Saint-Victor, supra note 173, 35.
193. Sur ce point, voir notamment Séverine Dusollier, « Pour un régime positif du domaine
public » dans Benjamin Coriat, dir, Le retour des commu ns : la crise de l’idéol ogie propriétaire, Paris,
Les Liens qui Libèrent, 2015, 223.
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284
Revue générale de droit
(2020) 50 R.G.D. 245-284
propriété plurielle intégrant une dimension collective en plus d’une
dimension individuelle.
La propriété polyfonctionnelle montre également ce que le couple
public-privé nous cache depuis si longtemps : l’exclusion n’est pas la
clé de voûte de la domanialité publique, qui doit plutôt se définir par
l’inclusion194.
CONCLUSION
Lorsqu’on observe l’habitable à partir du local et, plus largement, si
l’on se penche sur la question de l’habitat à travers le prisme des enjeux
environnementaux, on assiste à une montée des droits collectifs
d’usage et des biens communs. Cela se manifeste tant dans l’espace
traditionnellement privé que dans l’espace traditionnellement public.
Les exemples des cohabitats écologiques et des ruelles vertes sou-
lignent, en outre, à quel point la volonté prend davantage de place
dans l’organisation de l’espace habitable, donnant ainsi droit de cité
au droit des contrats, au sein du droit des biens, pour en aménager les
contours et modeler un espace à « habiter ». De nouveaux modes de
détention et d’usage peuvent ainsi voir le jour.
Dans le contexte des enjeux environnementaux contemporains, des
groupes communautaires se mettent à l’œuvre pour créer un logement
vert, dans des formes de propriété collective ou de droits partagés
d’usage. Aux côtés de la question de l’accès à la propriété, celle de
l’accès au logement, par l’entremise des droits d’usage ou de détention
collectifs, devient fondamentale.
Les enjeux collectifs font partie d’une propriété en transforma-
tion, qui tend à intégrer de plus en plus une dimension collective
aux côtés de sa dimension individuelle. Répondant à une pluralité de
fonctions sociales, la propriété apparaît ainsi comme étant (poly)fonc-
tionnelle. Or, si elle remplit une pluralité de fonctions, se pourrait-il
que la propriété se présente, de plus en plus souvent, comme étant
obligationnelle?
194. Au sujet de l’État agissant comme propriétaire privé, voir Seth Davis, « The Private Law
State » (2017–2018) 63:4 RD McGill 727 aux pp 730 et 751.
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