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Une nuit, sur la terrasse du Masaya (Nicaragua)

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  • Schematics Ltd

Abstract

Un « spécial éruption » organisé par «Aventure et Volcans » pour descendre sur la terrasse du Masaya et observer l’activité du lac de lave, c’est irrésistible ! Profitant des vacances scolaires nous y partons en famille du 10 au 15 février 2020. Moi-même, mon neveu Emmanuel, son épouse Anat, leur fils Yonathan. Tous fous de volcans. Une tyrolienne a été installée par Rodolfo Alvarez, un ingénieur argentin vivant au Nicaragua. La terrasse est ainsi accessible « facilement » après un plongeon d’environ 250 m dans le vide. Équipement et installation totalement artisanaux, donc adrénaline garantie. Publié dans LAVE, revue de l'association volcanologique Européenne.
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&7;52/.*11* 2)2/+2/9&5*<&86200*7
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Une nuit, sur la terrasse du Masaya (Nicaragua)
Michel DETAY
Anat, Emmanuel et Yonathan LANZMANN
#1C 63>(.&/>5837.21D25,&1.6>3&5« Aventure et Volcans» 3285)*6(*1)5*685/&7*55&66*)8&6&;&*72'6*59*5
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#1*7;52/.*11*&>7>.167&//>*3&5 2)2/+2/9&5*<81.1,>1.*85&5,*17.19.9&17&8.(&5&,8&&7*55&66**67&.16.
&((*66.'/*C +&(./*0*17D&35?6813/21,*21)F*19.5210)&16/*9.)*=48.3*0*17*7.167&//&7.21727&/*0*17&57.6&
1&8:)21(&)5>1&/.1*,&5&17.*
Le Masaya est un volcan actif de la ceinture
de feu circum-pacifique localisé sur le front vol-
canique d’Amérique centrale, au Nicaragua. Bien
que dans un environnement de convergence de
plaques (Cocos et Caraïbe), il est caractérisé par
des magmas basaltiques. Il s’agit d’un volcan
bouclier tholeiitique qui a été l’objet de quelques
rares éruptions pliniennes basaltiques (au moins
trois éruptions entre environ 6 et 1,8 ka). Il est
inclus dans la caldeira Las Seirras (Pléistocène)
mesurant 12 km par 6 km. Celle-ci abrite de
nombreux édifices volcaniques (3.7(5&7*5) : le San
Fernando, le Santiago, le Nindiri et le Masaya. Le
Santiago constitue l’édifice actif le plus récent
du complexe. Il s’est formé à la suite d’une
séquence d’explosions et d’effondrements
(1858- 1859). Il alterne des phases d’activité
d’intense dégazage et la présence éphémère d’un
lac de lave. Depuis décembre 2015 un lac de
lave, de 60× 40 m, est à nouveau présent.
Le cratère Santiago forme une ellipse de
460× 490 m. Ses murs sont quasi-verticaux,
205m de hauteur dans sa partie Est et 170 m
dans les parties Sud et Nord. Le lac de lave se
situe à une centaine de mètres de la terrasse du
Santiago. Son niveau oscille dans le temps de
quelques dizaines de mètres.
Une modélisation 3D du cratère Santiago
permet de bien appréhender la géométrie du
site.
Les préparatifs
L’aventure commence ... il y a longtemps
quand Michel racontait en famille ses expé-
riences de lac de lave à l’Erta Ale (Éthiopie) ou
au Nyiragongo (RDC). Aussi, nous rêvions tous
d’approcher ensemble un lac de lave au plus près
et descendre sur les terrasses.
1
1. Voir www.detayphoto.com
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Première étape d’approche: se former aux
techniques de la spéléologie. En effet, les
manœuvres sont les mêmes : il faut savoir des-
cendre et remonter le long d’une corde.
Trois semaines avant le départ nous com-
mençons à nous activer sérieusement pour obte-
nir les autorisations d’utiliser des drones (ce qui
est interdit au Nicaragua). En effet, nous vou-
lions prendre des images stéréoscopiques en uti-
lisant deux drones en parallèle. Grâce aux
contacts de Tanguy de Saint-Cyr et en ameutant
la terre entière (ambassade du Nicaragua en
France, ministère du tourisme au Nicaragua,
observatoire volcanologique au Nicaragua
(INETER)...) nous finirons par obtenir les auto-
risations quelques jours avant le départ.
Le 8 février, nous nous retrouvons à Paris.
Un samedi, car il fallait procéder à l’inspection et
à l’inventaire du matériel et pouvoir se précipiter
au « Vieux campeur» pour des derniers achats si
nécessaire. Forts de nos harnais, mousquetons,
longes sur mesure, casques, lampes, masques à
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LAVE N° 198 - JUIN 2019 =#$ "
gaz, masques pour les yeux et autres « prussik»
nous remplissons nos sacs dans la limite des
23 kg autorisés (ce qui est, de loin, le plus diffi-
cile). Nous emmenons deux drones (Phantom 4)
et tout le cortège de batteries lithium-ion clas-
sées comme « marchandises dangereuses » et
qu’il n’est pas simple de transporter en avion.
Le voyage
Un voyage de 24 h: Paris New York – San
Salvador – Managua – Granada.
Le début du coronavirus nous préoccupe.
Nous ne cédons cependant pas à la panique et
ne renonçons pas au voyage. Une sécurité tou-
jours plus contraignante dans les aéroports avec
des contrôles systématiques des bagages, à
chaque aéroport. Un calvaire avec tout notre
équipement et autant d’escales.
Arrivés à Managua nous passons la douane
avec nos autorisations et nous nous retrouvons
presque surpris d’être arrivés à bon port avec
nos affaires malgré les deux correspondances et
trois changements d’avion. Nous sommes
accueillis par Pedro Caceres, un guatémaltèque
fort sympathique. Encore une heure de voiture
pour rejoindre Granada. Un tel superbe.
Nous voici arrivés en Amérique centrale.
L’attente est le maître du temps
Le 11 février nous partons avec Pedro au
Masaya. À l’entrée du Parc national, un premier
contrôle : une heure de palabre, on nous
demande la liste exhaustive du matériel que nous
transportons, ... Nous entrons enfin dans le parc.
Un second contrôle avec des hommes en armes.
Nous arrivons enfin au parking qui borde le cra-
tère et qui rend le volcan si populaire, car si facile
d’accès. Rodolfo nous y rejoint. Nous faisons
quelques vols de drone au-dessus du cratère
Santiago et sur le Masaya. Le volcan dégaze for-
tement et il est difficile de faire des images sans
gaz. Première déconvenue: le drone ne répond
pas. Le nuage volcanique doit perturber les com-
munications et il perd le Nord. Le signal GPS est
perdu. Emmanuel tente de le faire revenir en
automatique, mais il part à l’opposé. Il arrivera à
le récupérer .1 *:75*0.6 avec moins de 10% de
batterie.
Nous allons voir l’installation de la tyrolienne
avant d’être refoulés par un garde armé qui pré-
tend que nous n’avons pas le droit d’être là.
Interrogations, discussions, nous sommes censés
disposer de toutes les autorisations. Et pourtant.
Nous passons la nuit dans le parc dans des
bungalows pour touristes. Il fait chaud, mais tout
va bien, mis à part la visite éclair de la directrice
adjointe du parc qui continue de dire que nous
ne descendrons pas dans le cratère... Réveillés à
5h du matin, par les gardes qui arrosent les
plantes et allument les lumières, une longue jour-
née commence. Une longue journée d’attente où
ordres et contre-ordres se succèdent. Rodolfo
Alvarez et Wilfried Strauch (:*(87.9*.5*(725&7*
2+  167.7872 .(&5&,8*16* )* 678).26 "*55.725.&/*6
INETER) sont bloqués à l’entrée du parc: refus
$8*)*/&7;52/.*11*9*56/&3/&7*+250*
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de les laisser passer au prétexte que nous n’avons
pas l’autorisation de descendre dans le cratère.
Nous faisons confiance à leurs capacités de
conviction. Cependant, à la tombée de la nuit,
nous retournons à l’entrée du parc pour faire le
point: l’accès est interdit. Personne ne sait nous
dire pourquoi, mais on réalise que tout cela est
bien confus. Les autorisations sont verbales,
données par les uns, mais irrecevables par les
autres. Trois organismes interviennent, les luttes
de pouvoir entre les uns et les autres ne laissent
aucun espoir. On nous explique que la solution
est entre nos mains et qu’il faut faire appel à la
diplomatie « vous n’avez qu’à solliciter l’ambas-
sadeur de France». Nous voyons cela comme un
bel exemple de défaussage, on cherche à nous
faire porter le chapeau, c’est le monde à l’envers.
Qui sommes-nous pour intervenir auprès de
l’ambassadeur voire de la première dame du
pays? On se moque de nous. Nous vivons assez
mal cet épisode d’incompréhension réciproque.
Demi-tour donc et retour à l’hôtel à Granada.
Nous noierons notre agacement dans du vieux
rhum nicaraguayen. La nuit porte conseil.
Grâce au décalage horaire, nous nous
réveillons très tôt. Michel écrit un long émail à
l’ambassade. Bien sûr, le site de «France
Diplomatie» au Nicaragua ne fonctionne pas et
Michel reçoit son émail en retour. Il finira par
l’envoyer à Tanguy pour qu’il le fasse suivre.
Dans le même temps, Emmanuel est au télé-
phone avec Tanguy qui nous renvoie vers le
consul de France au Nicaragua auquel il vient
d’écrire.
Pour rajouter de la pression, nous nous
déplaçons pour aller physiquement rencontrer le
consul chez lui. encore longue attente.
Progressivement, nous nous apercevons que
nous sommes, de fait, en plein cœur des récits de
Gabriel García Márquez C  &16 )* 62/.78)*D
voire C F0285 &8: 7*036 )8 (-2/>5& D (en cohé-
rence avec le coronavirus). L’Amérique latine
nous englobe dans un pas lent. Le réel et l’ima-
ginaire se confondent, le présent, le passé, le
possible, le probable, le rêve et la réalité sont
entremêlés. Nous attendons des heures. On finit
par ne plus savoir ce que l’on attend. L’attente
est le maître du temps ici.
Nous finirons par quitter le consul pour
retourner à l’hôtel. On tente le tout pour le tout.
Emmanuel écrit un long émail à madame
Rosario Murillo, vice-présidente du pays et
épouse de Daniel Ortega. Notre avion de retour
part demain matin ! Au moment d’envoyer
l’émail, Tanguy nous écrit « attendez». Il a
obtenu l’autorisation via l’ambassade du
Nicaragua en France qui a envoyé un câble à la
présidence.
La descente
Branle-bas de combat. Il est 17h et nous pre-
nons l’avion demain matin pour rentrer en
France. Retour au parc (une heure), re-formali-
tés, ... re-premier barrage suivi d’un second bar-
rage et arrivée à la plateforme de la tyrolienne.
Préparatifs rapides et descente de nuit, les cœurs
battants et les chronomètres en marche.
.(-*/3&66&17/*1E8))8+5&(7.211*0*17
Un détail vient corser l’action : il faut passer
un nœud sur la ligne de vie. Une action somme
toute facile à réaliser sur la terre ferme, mais plus
délicate de nuit, en l’air avec 250 m de vide sous
les pieds, dans les gaz volcaniques et les vents de
scories et les cheveux de Pélée dans les yeux,
sans rien voir et avec un talkie-walkie pour don-
ner l’ordre de s’arrêter juste avant et reconnecter
le descendeur juste après le nœud ... Michel qui
ne tient plus en place décide de passer le pre-
mier. Les uns après les autres, chacun son tour,
nous passerons tous très bien.
Rodolfo nous prépare un barbecue sur la ter-
rasse bien qu’Emmanuel et Michel considèrent
qu’ils ne sont pas pour manger, chaque
seconde compte. Finalement à minuit nous
approcherons le lac de lave assez actif. Trop actif
même, car le nuage de gaz est omniprésent et
génère des volutes thermiques qui empêchent de
prendre des photographies et des films de qua-
lité. On voit clairement deux lacs qui ne sont en
réalité que deux zones actives d’un seul et même
lac. La convection est forte. Des scientifiques
ont mesuré des vitesses de 50 à 59 km/h en
2017, ce qui est considérable. Les cheveux de
Pélée sont omniprésents, comme des colonies
d’oursins qui ne demandent qu’à vous piquer.
Rodolfo est venu avec un balai et nettoie
consciencieusement les lèvres du cratère et les
promontoires où nous nous allongeons au bord
du vide. Toujours en sécurité avec des longes
raccordées à de gros rochers. Le spectacle est
 "% # #"!#  " !! # !%
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Orientation bibliographique
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00&18*/5*0217&17)*/&3/&7*+250*"287*6/*6.0&,*6B.(-*/*7&;
magnifique. Impossible de faire voler les drones,
le cratère en entonnoir empêche le GPS de se
localiser. L’ambiance est magique. Nous ne fer-
merons pas les yeux de toute la nuit, émerveillés
par ce moment.
Nous supplions qu’Éole nous propose une
fenêtre pour photographier sans gaz. Ce
moment ne viendra pas. Il faut faire son deuil
des films et des photos. Le jour se lève à 5 h. La
remontée aussi. Michel arpente la terrasse pour
photographier les figures caractéristiques des
pahoehoe formant la terrasse. Il reste beaucoup
de tunnels de lave et de belles figures à photo-
graphier au soleil levant, mais l’avion est à midi
et il faut, à regret, quitter les lieux. o
&,*(.(2175*
*1-&87 2'6*59&7.21)8/&()*/&9*
&80./.*8 /F*16*0'/* )8(5&7?5* !&17.&,2)8 &6&;&
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*1'&6 /*/&()*/&9*&8+21))8(5&7?5*!&17.&,2
0&,*B"&1,8;)*!7;5
 "% # #"!#  " !! # !%
Le cratère du Masaya et son lac de lave photographié par un drone. Image © Michel Detay.
LE MASAYA
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