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Volume 8 (2020) Article Chercheurs Juniors
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©2020 GéoDév.ma Vol. 8, 2020
L’émergence d’une destination de tourisme rural
et rôle des résidents étrangers
Le cas du pays d’Ouarzazate
Résumé de thèse
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Nada Oussoulous
Introduction
Depuis son apparition, le tourisme n’a cessé de bouleverser les systèmes traditionnels des
économies, des sociétés et des territoires qui subissent ces changements. Le développement de
l’activité touristique entraîne, en général, des transformations au niveau des modes de vie, dans
un contexte de mondialisation généralisée. A partir de cette réalité, notre thèse a cherché à
analyser ces transformations que connait la région d’Ouarzazate qualifiée ici comme un
« arrière-pays » des deux pôles touristiques marocains (Marrakech et Agadir).
Dans cette thèse nous nous sommes interrogés sur les effets d’un élément étranger au territoire
étudié, et qui est l’élément déclencheur de ces changements. Il s’agit des porteurs de projets
touristiques étrangers qui s’installent dans la région du Drâa, et qui sont des petits promoteurs
touristiques qui investissent dans des modes d’hébergement s’éloignant des modèles classiques.
Ces acteurs étrangers viennent s’ajouter et s’imbriquer dans un modèle touristique local et
spontanée construit par les populations locales de cette région.
La question principale est de savoir dans quelle mesure, l’action de ces investisseurs dans une
région marginale, peu touchée par les politiques publiques touristiques, contribue à la
structuration de tout un territoire.
Pour répondre à cette question, trois concepts majeurs ont été mis à contribution : la mobilité
en général, le tourisme et le patrimoine, et ce afin de comprendre les nouvelles dynamiques
touristiques et territoriales qui affectent les régions de l’intérieur du pays. Si ces trois concepts
ont évolué jusqu’ici séparément, aujourd’hui, ils se chevauchent et débouchent sur de nouveaux
processus de mise en tourisme et de patrimonialisation faisant intervenir de nouveaux acteurs
qui peuvent être des étrangers. Le tout débouchant sur une véritable restructuration d’une
destination touristique émergente dans le contexte d’un nouveau tourisme.
1
Thèse réalisée en co-tutelle et en co-diplomation entre les Universités Mohammed V de Rabat et Paul Valéry de Montpellier,
sous la direction des professeurs Mohammed Berriane et Bernard Moizo. Ses structures d’accueil ont été le laboratoire de la
E3R devenu le LITOPAD, le LMI Mediter (IRD), le GRED et le collège doctoral de l’Agence Universitaire de la Francophonie
Elle a fait l’objet d’un compte rendu dans le volume 7 de la revue GéoDév.ma : Mohammed Aderghal, (2019), « Nada
Oussoulous, (2019), L’émergence d’une destination de tourisme rural et rôle des résidents étrangers : Le cas du pays
d’Ouarzazate », Compte rendu de thèse
Volume 8 (2020) Article Chercheurs Juniors
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1. La question de recherche
Les concepts et la problématique : l’émergence d’une nouvelle destination dans un nouveau
contexte touristique
L’arrivée des porteurs de projets étrangers dans l’arrière-pays d’Ouarzazate fait partie des
nouvelles mobilités nord-sud qu’accompagne une activité d’entreprenariat dans le secteur
touristique à travers la création de projets qui, sauf exception, sont de taille petite ou moyenne.
Afin de comprendre ces nouveaux processus, il fallait d’abord comprendre le sens de ces
mobilités.
La thèse s’articule autour de quatre principales questions.
La première concerne l’émergence des destinations touristiques des arrière-pays suite à une
demande touristique de plus en plus importante et ce malgré le choix du tourisme classique des
stations balnéaires et des grandes villes par les politiques publiques. Pour comprendre le
tourisme qui se développe dans l’arrière-pays étudié, on a fait appel aux concepts de l’après et
du post-tourisme (Bourdeau 2012 ; Condevaux et al 2016) ; de la mobilité et l’hyper mobilité
(Knafou 2004) ; et des espaces ordinaires et extraordinaires (Di Meo 1996).
La deuxième question concerne le nouvel acteur étranger qui s’installe dans ces arrière-pays et
y mobilise l’activité touristique à côté des acteurs locaux. Nous avons cherché à saisir le profil
de ces acteurs et la nature de sa mobilité en essayant de l’expliquer en faisant appel aux concepts
de « Lifestyle migration » (Benson 2007, 2010, 2011 ; Benson et K. O’Reilly 2009), « Quest
migration » (Therrien et Pellegrini 2015), ou encore « Amenity migration » (Cognard 2010,
2011 ; De Haas 2014 ; Le Bigot 2017). Le recours à ces concepts et leur croisement avec les
cas étudiés nous a permis de rendre un peu plus intelligible la complexité de ces mobilités, de
donner du sens à nos répondants et de les situer dans le mouvement mobilitaire mondialisé.
La troisième question concerne les effets de la présence des résidents étrangers sur l’élément
patrimonial. Sachant que l’élément patrimonial représente une vraie richesse des régions sud
du Maroc, il a connu une valorisation par le biais d’un nouveau regard porté par les porteurs de
projets étranger sur un héritage tombé dans l’oubli et la négligence. Afin de comprendre le lien
entre le tourisme, les acteurs étrangers et la patrimonialisation on a fait appel aux concepts de
la patrimonialisation importée et de l’imaginaire touristique (Smith 2006 ; Di Méo 2007 ; Linck
2012 ; Sol 2004 ; Amirou 1995).
Enfin, la combinaison de ces trois dynamiques a abouti à une mise en tourisme originale de
l’arrière-pays étudié. Cette question se formule autour de l’émergence et la confirmation ou non
de l’arrière-pays de Ouarzazate comme destination touristique à part entière et autonome vis-à-
vis de son avant-pays. Pour cela, une évaluation des effets économiques, sociaux et
environnementaux des projets portés par les acteurs locaux et étrangers, a été suivie d’un focus
sur les dernières mutations qu’a connu le territoire afin de répondre à la question de l’émergence
ou de la dépendance de l’arrière-pays à son avant-pays touristique Marrakech et Agadir. Pour
cette analyse on a fait appel à plusieurs concepts en lien avec les mutations territoriales et la
qualification du territoire comme un « projet de territoire » ou « un territoire de projet »
(Berriane, 2006) et à des concepts autour d’une probable « gentrification rurale » (Berriane et
al, 2010 ; Coslado, 2013).
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Le terrain de recherche : Le chapelet d’oasis du pays d’Ouarzazate
Le terrain retenu pour les besoins de cette recherche correspond à la zone des oasis du Draa et
des vallées du versant sud du Haut Atlas central. Il s’agit de la région autour d’Ouarzazate
nommée et délimitée dans l’ouvrage Maroc, région, pays, territoires (Troin et al 2002) comme
le pays d’Ouarzazate. C’est un espace à cheval sur des zones montagneuses et oasiennes,
éloigné du littoral, en situation d’arrière-pays et qui fait l’objet d’une demande et d’une offre
touristique pour un tourisme qui sort des sentiers battus.
Carte 1-- Présentation de la zone d'étude
Partant de Marrakech et d’Agadir, les deux principales destinations touristiques du pays, les
premiers flux de touristes qui ont touché le pays d’Ouarzazate, étaient les surplus de la demande
que recevaient ces deux villes. Ouarzazate a longtemps dépendu en termes de clientèle à ces
deux pôles. Cependant la région se démarque nettement des deux destinations phares du
tourisme marocain, Marrakech et Agadir, par ses paysages culturels riches et pluriels. Ces
potentialités sont l’objet d’un processus de patrimonialisation remarquable mais posent en
même temps des problèmes de préservation, étant menacées par une valorisation qui peut
appauvrir leur authenticité.
La méthodologie de recherche : L’approche qualitative
Le travail de recherche a opté volontairement pour une approche de type qualitatif car l’aspect
récent du phénomène et son caractère plus ou moins informel ne permettaient pas une approche
basée sur des statistiques encore indisponibles. La base est donc un corpus d’entretiens réalisés
durant 3 années de terrain. L'identification des répondants s’est faite au fur et à mesure de la
maîtrise du terrain et de la progression de la réflexion. Nous avons réalisé 82 entretiens dont 40
avec les porteurs de projets étrangers, 15 avec les porteurs de projets marocains, 16 avec les
locaux, 6 avec les institutions publiques et associatives et 5 entretiens dans le cadre du regard
croisé Maroc-Corse.
Les entretiens qualitatifs étaient orientés par un guide d’entretien validé après test. Ils visaient
les acteurs locaux, qui sont les répondants indiqués plus haut. Nous précisons que le même
guide a été adapté pour mener les entretiens avec les hébergeurs marocains locaux ou étrangers
à la région.
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Afin d’expliquer le pourquoi de l’arrivée de nouveaux flux, avec de nouvelles attentes et de
nouveaux comportements et de comprendre ce nouveau tourisme, nous avons visité plusieurs
concepts. D’où l’appel à la littérature sociologique pour expliquer des situations marquées par
l’entre-deux. Afin de se contextualiser par rapport aux études déjà faites nous avons fait appel
aux concepts autour du post tourisme et l’après tourisme, des espaces ordinaires et
extraordinaires. Et pour comprendre les effets de la présence des résidents étrangers sur
l’élément patrimonial, on a fait appel aux concepts de la patrimonialisation importée et de
l’imaginaire touristique.
Le travail a été orienté par quatre grands questionnements que nous présentons ainsi :
• Le pourquoi de la naissance des destinations touristiques dans les arrière-pays à ce moment
précis et de l’apparition d’une nouvelle demande ?
• Les acteurs qui réagissent à cette demande ?
• Comment ils mettent à profit les spécificités locales, notamment le riche héritage de
l’architecture en terre, pour construire une offre ?
• Les mutations du secteur touristique qui découlent de ces processus, vont-elles aboutir à
une construction territoriale ?
Arrivés au terme de la recherche, ce que nous avons retenu de façon synthétique des principaux
résultats répondant à ces questions, se résume dans les points suivants :
2. Nouvelles mobilités et nouveaux porteurs de projets
Nouvelles mobilités : touristes et migrants à la recherche d’une meilleure qualité de vie en
milieu rural
L’analyse de la mobilité des porteurs de projets étrangers s’est faite en croisant les données
recueillies lors des nombreux entretiens avec les nouveaux concepts développés par la
recherche anglo-saxonne. C’est ainsi que nous avons dressé les divers profils des nouveaux
résidants des arrière-pays. Ce sont dans leur majorité des retraités venus à la recherche de leur
imaginaire touristique et en essayant de prolonger leurs expériences de touristes. Ce sont aussi
des individus qui, sans forcément avoir atteint l’âge de la retraite, sont venus à la recherche de
nouvelles expériences de vie ou par ce qu’ils essaient d’échapper à de mauvaises phases de
leurs vies où parce qu’ils sont à la recherche de ruptures et d’une nouvelle vie ailleurs. Ce sont
enfin des individus venus tout simplement à la recherche d’une opportunité à la fois économique
et professionnelle. La mobilité permet alors aux retraités d’échapper à une vie quotidienne
monotone et aux plus jeunes de retrouver une nouvelle vie, moins stressante et qui permet de
profiter d’une meilleure qualité de vie (Berriane, Oussoulous et al. 2016).
Les éléments avancés pour justifier leur présence dans une région rurale font de ces porteurs de
projets à la fois des lifestyle, des amenity et des quest migrants. Un croisement générationnel
permet de conclure que nos nouveaux arrivés appartiennent aux trois figures. Ils sont des lifetyle
migrants dans le sens où ils fuient une situation pour retrouver un nouveau style de vie en milieu
rural. Ce désir du rural idéalisé par les souvenirs de voyage fait qu’ils soient également des
amenity migrants pour qui la ruralité représente un facteur attractif purement paysager. Et qu’ils
soient à la recherche d’un nouveau mode de vie ou à la recherche tout simplement de la vie
paisible qu’offre un milieu rural, ils sont réellement des quest migrants à la quête d’une
meilleure qualité de vie que justifient l’environnement et le vécu sain qu’ils retrouvent dans
leur nouveau territoire.
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Les trois catégories des porteurs de projets étrangers
L’analyse a pu également dresser les divers profils des nouveaux résidants des arrière-pays en
distinguant trois catégories. La première catégorie concerne la majorité et à l’exception de
ceux qui viennent avec un projet préalablement préparé, ils vivent un passage du statut de
touriste à celui du propriétaire d’une demeure « secondaire » : La décision d’acquérir un bien
dans une destination touristique vient suite à plusieurs séjours sans que cela n’aboutisse toujours
à une installation définitive. La deuxième catégorie correspond à ceux ayant transformé leur
résidence secondaire au Maroc en établissement d’hébergement ou de restauration : Cette
catégorie se lance progressivement dans la fonction d’hébergement en tâtonnant et sans être
passée par une étude de marché préalable, ni par l’établissement d’un business plan. Et la
dernière catégorie passe directement à l’état d’entrepreneurs professionnels de l’hébergement
touristique en commençant par une étude de marché et le montage du projet avant de s’installer
dans la région ; l’installation dans ce cas ne précède pas le projet, mais le suit.
Par la suite, une fois installés, ces acteurs de la mise en tourisme du milieu rural présentent deux
cas de figures. Le premier concerne ceux qui ne souhaitent pas régulariser leurs situations de
résidents étrangers. Tout en gérant leurs projets, ils continuent à circuler entre le Maroc et leur
pays d’origine. Mais ayant des affaires dans le pays et étant, en fait installés pour gérer ces
affaires, ils correspondent selon nous à des immigrés venus du Nord et renvoient à la question
délicate de ce qui est touriste et ce qui est migrant. Le second correspond à ceux parmi ces
nouveaux résidents qui choisissent de réguler leur situation en tant qu’étrangers résidents. Ce
profil correspond souvent à des étrangers vivant en couple mixte.
Après avoir suivi l’arrivée et l’installation ou non des nouveaux porteurs de projets, qu’en est-
il du contact élaboré avec la population locale, des perceptions mutuelles et comment ces
nouveaux acteurs vivent leur installation dans la région d’Ouarzazate ?
Du vivre ensemble au vivre séparé ?
S’ils partagent les lieux avec les locaux, les porteurs de projets étrangers sont loin de partager
avec ces derniers des moments ; bien que visibles car en milieu rural, ils restent socialement
invisibles avec des liens réduits avec la société du territoire. Ils sont dans une situation de
coprésence et de cohabitation avec la population locale et une relation de bon voisinage sans
que cela ne débouche sur la formation de communautés entre migrants étrangers. Finalement
plus qu’un « vivre ensemble » nous sommes plutôt dans un « vivre séparé » dans le même
espace de vie. Côté rapports avec les populations locales, la relation reste en général limitée
bien que le sentiment d’acceptation prévaut. Cette volonté de s’isoler est accentuée par la nature
du projet d’hébergement touristique qui nécessite qu’on soit constamment proche de ses clients
pour se démarquer de l’hôtel classique.
3. Une véritable destination touristique avec des impacts réels,
bien que modestes et un processus de patrimonialisation original
L’arrivée de ces résidents étrangers au pays et aux lieux, si elle est portée par le nouveau
tourisme que la recherche a essayé de conceptualiser comme un « après-tourisme », va influer
à son tour sur ce tourisme ne serait-ce que dans sa diffusion spatiale. Malgré l’accent mis par
les politiques publiques sur le tourisme balnéaire, une offre touristique va se développer, créée
et portée en partie par ces nouveaux résidents. Cette offre, bien qu’encore jeune et limitée
marque déjà le paysage, la société et l’économie des oasis.
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Des retombées économiques difficiles à cerner, mais non négligeables
L’un des questionnements transversaux de notre recherche porte sur les impacts des projets
touristiques initiés par des acteurs étrangers sur le milieu rural. Ces espaces ruraux disposent
aujourd’hui de nouveaux avantages économiques. Et même si ces projets ne mobilisent pas de
grands capitaux, l’injection de capitaux frais est appréciable dans des oasis pauvres. En
revanche, l’offre touristique qui se développe dans les régions rurales nécessite de petites
capacités contrairement au tourisme de masse qui mobilise des groupes souvent de grande taille.
Ainsi, le produit proposé par les acteurs sur place est peu consommateur d’espace et permet de
garder à l’oasis ses paysages et son attractivité, en évitant les silhouettes dérangeantes des
grands hôtels classiques.
Ce tourisme peu consommateur d’espace et d’eau est parfaitement compatible avec la fragilité
des espaces oasiens. La demande est également assez modeste ; par contre elle est plus sûre et
plus régulière que la demande classique sur les grands hôtels. Les retombées financières sont
également modestes si on les compare avec celles du tourisme classique. L’utilité et l’apport
des projets présents dans la région d’étude apparaissent à travers l’insertion de la population
locale dans ce circuit d’activité. Ce type de projets touristiques, qu’il s’agisse de maisons
d’hôtes ou d’autres petites ou moyennes structures, ont des capacités de création d’emplois et
contribuent directement au développement économique et social de la région. Et on sait que les
oasis, ont de tout temps compté sur des ressources externes comme les transferts de
l’émigration, établie soit dans les villes du Maroc nord ou en Europe. Le tourisme vient
compléter et diversifier ces ressources externes et il est tout à fait compréhensible que les
populations oasiennes n’aient pas reçu cette activité qui rapporte un argent frais avec
indifférence.
Une retombée sociale : l’effet d’entrainement sur les acteurs locaux
Ces acteurs étrangers ne sont pas les seuls à participer à cette mise en tourisme et suite à cette
acceptation des résidents étrangers par les locaux, un partage de l’espace et de l’activité entre
eux et des acteurs locaux s’est établi. Les deux types d’acteurs s’engagent activement au niveau
de cette nouvelle activité faisant de ces milieux en situation précaire des marges productives,
en valorisant les spécificités territoriales et en construisant et en diffusant une image de la
nouvelle destination. C’est dans le cadre de cette négociation que ces projets profitent à la fois
aux porteurs de projets étrangers et à ceux originaires de la région ; mais ce sont les étrangers
qui en tirent un profit plus important que celui tiré par les porteurs de projets marocains arrivés
dans leur sillage par mimétisme partiel.
Effets environnementaux : les risques d’atteinte à l’environnement sont réels
Les effets sur l’environnement, s’ils sont encore limités, sont assez inquiétants si rien n’est fait
pour encadrer et réguler les implantations car celles-ci ne prennent pas en compte le milieu
oasien connu par sa fragilité. En fait la nouvelle activité rentre en concurrence ouverte avec la
vie agricole et ce sur trois fronts. La surconsommation d’eau pour les besoins de loisirs
(piscines) dans un milieu connu pour son stress hydrique en est un. Les prélèvements sur les
terres agricoles, biens rares, suite aux implantations des maisons d’hôtes en pleine parcelles
agricoles en est un autre (Carte 2). Le troisième front renvoie à la mobilité d’une main d’œuvre
agricole qui fuie le secteur primaire pour rejoindre celui des services menaçant les savoir-faire
oasiens de disparition. Toutes ces tendances si elles ne sont pas régulées à travers une bonne
gouvernance peuvent menacer l’oasis et sa culture, de déclin, voire de disparition.
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Carte 2-Localisation des établissements d’hébergement rénovés et nouvellement construits dans
la palmeraie de Skoura
Une cartographie des implantations de quelques établissements montre que ces derniers
s’approchent au maximum de la palmeraie Avec cette tendance nous assistons à un
renversement des anciens principes de l’aménagement d’une oasis et celui de leur système de
valeurs. Aujourd’hui la plupart des nouvelles constructions ont tendance à s’implanter sur des
parcelles agricoles, malgré la valeur économique et patrimoniale de l’espace agricole pour le
système oasien et les populations locales, alors que le modèle de fonctionnement traditionnel
de l’oasis évitait le mitage des terres agricoles sous l’effet des constructions qui se tenaient bien
à l’écart de ces terres.
Effets sur le patrimoine : un processus de patrimonialisation spontanée mobilisé par le bas ?
Au terme de cette recherche, nous avons conclu que les porteurs de projets étrangers
déclenchent et participent à un processus de patrimonialisation importée. Nous assistons à un
processus linéaire qui fait que le regard porté à l’objet patrimonial entraîne des sensations
positives qui donnent naissance à plusieurs actions. Ces actions se manifestent à travers la
réalisation d’un contact qui devient de plus en plus intime et à travers lequel on essaie de
sensibiliser à la sauvegarde de ce patrimoine. Cette patrimonialisation importée est une
conséquence à la fois du tourisme et de la mobilité en général qui a permis aux porteurs de
projets étrangers de participer à ce processus. Cette patrimonialisation fait aussi que les
populations locales portent un nouvel intérêt et valorisent un bien présent depuis
longtemps mais non perçu comme patrimoine, cet intérêt ayant été révélé par la demande
touristique.
Enfin, le tourisme à travers la reconstruction à l’identique ou la restauration d’anciennes
demeures pour une réutilisation touristique, peut certes sauver quelques édifices qui sont
rénovés et perpétuer les techniques traditionnelles de la construction en terre. Il peut injecter
des moyens financiers importants à travers les nombreux chantiers de restauration et de
constructions. Il peut changer la perception des locaux vis-à-vis de leur héritage qu’ils
patrimonialisent sous l’effet de la demande. Il peut faire rayonner ce type d’habitat dans le
monde à travers sa dissémination par le biais de la demande et des messages de promotion
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touristiques. Mais il faut souligner aussi qu’en faisant cela, le tourisme est également gagnant
et ne s’implique absolument pas par simple philanthropie.
Mais si l’effort de patrimonialisation, n’est pas accompagné et contrôlé, le processus risque
d’aboutir à des résultats peu satisfaisants. En attendant, les restaurations ou les nouvelles
constructions en terre qui mixent les matériaux traditionnels avec le béton sont une menace
pour la transmission des savoir-faire et un risque de défiguration de cette architecturale locale.
Quant à la patrimonialisation importée à travers le regard de l’étranger, par son caractère
fortement sélectif, elle menace l’authenticité de cet héritage et sa fonction identitaire.
4. Quel avenir pour cette nouvelle destination ?
Des politiques publiques de rattrapage
Face à ces dynamiques impulsées par le bas on est frappé par des politiques publiques quasi-
absentes, et au mieux hésitantes (Oussoulous, 2017). Ces dernières interviennent à trois
niveaux. Il s’agit premièrement de la gestion de la présence d’un acteur étranger, présence qui
est régie par des lois et des dahirs portant sur la présence des étrangers au Maroc. Le deuxième
niveau d’intervention concerne les nouvelles stratégies de développement touristique en milieu
rural. D’autres politiques sont destinées au monde rural peuvent se croiser avec le tourisme. Il
s’agit de tout l’arsenal destiné à ces zones marginalisées à travers le piler II du Plan Maroc
2
vert
et notamment la composante de valorisation des produits du terroir.
… et une reconfiguration territoriale en cours
La question principale de notre recherche concerne la probable émancipation de de la région
d’Ouarzazate, considéré longtemps comme un arrière-pays des deux grands pôles touristiques
du Maroc : Marrakech comme destination intérieure et Agadir comme destination balnéaire.
Carte 3-Esquisse d’émancipation de l’arrière-pays d’Ouarzazate par rapport à son avant-pays
Sur la carte 3, on voit la situation à la fois privilégiée, mais aussi dépendante de la destination
touristique émergeante du pays d’Ouarzazate vis-à-vis du triangle Agadir-Marrakech-
2
Le plan « Maroc vert » vise à soutenir l'agriculture sous deux axes. Le premier concerne l'agriculture moderne à valeur ajoutée
et à haute productivité répondant aux exigences du marché (Pilier I), le deuxième axe a pour but d'améliorer les conditions de
vie du petit agriculteur et de lutter contre la pauvreté dans les zones rurales en augmentant les revenus agricoles dans les zones
les plus vulnérables (Pilier II). http://www.maroc.ma/fr/content/plan-maroc-vert
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Essaouira. Si le passage à Ouarzazate par Marrakech et Agadir a été obligatoire, aujourd’hui
l’intérêt qui est manifesté principalement à la région d’Ouarzazate fait d’elle l’objectif principal
du voyage. On peut donc assister à des flux venus directement vers la destination Ouarzazate
sans avoir à passer par les deux portes d’entrée Marrakech et Agadir. Si cette tendance perdure,
on peut s’attendre à ce que le produit « Pays d’Ouarzazate » s’impose de plus en plus dans
l’avenir comme une destination majeure et à part entière.
Mais aujourd’hui, si nous sommes en présence d’un territoire touristique émergeant, le Pays
d’Ouarzazate, malgré des dynamiques très fortes, a quelque mal à s’émanciper en tant
qu’arrière-pays de la tutelle de Marrakech et d’Agadir. Ce qui s’esquisse aussi c’est un début
d’hiérarchisation au sein même de la destination. Ouarzazate couplée à Skoura constitue
désormais un pôle principal qui redistribue à son tour des flux vers les sites plus au Sud comme
Agdz, Zagora et Mhamid.
De ce fait, malgré les déficiences des politiques publiques, la combinaison de tout ce qui a été
décrit tout le long de notre trvail débouche sur l’émergence d’une destination touristique
correspondant à un véritable projet de territoire en construction. Or, non seulement la
destination Pays d’Ouarzazate commence à s’imposer comme un produit à part entière, mais ce
produit semble participer à la promotion des deux destinations concurrentes que sont Agadir et
Marrakech, dont il essaie de s’émanciper. Cependant le fait que les deux destinations
historiques contrôlent une bonne partie des flux qui viennent, car attirés par Ouarzazate, réduit
ses capacités à s’émanciper et à s’autonomiser sur le plan touristique.
Conclusion
Résultat des nouvelles mobilités nord-sud qui ont marqué le début de ce siècle, mais aussi des
mutations de la demande touristique internationale, on relève aujourd’hui l’apparition dans les
arrière-pays du Maroc et de plusieurs pays riverains de la Méditerrané de nouveaux résidents.
Mais ces nouveaux résidents tout en ayant des rapports assez particuliers à l’autre, par leur
présence, induisent des effets qui peuvent être bénéfiques pour les arrière-pays, mais qui
peuvent aussi comporter des risques pour des milieux assez fragiles. Nous avons essayé de
résumer l’ensemble des résultats qui éclairent quelque peu les nouvelles tendances touristiques
visant des régions rurales. Cependant de nombreuses questions restent posées et nécessitent des
recherches futures : Ces nouvelles tendances sont-elles amenées à perdurer ? Et si oui sur quoi
elles peuvent déboucher ? L’activité touristique va-t-elle aider à réduire les départs et
l’émigration des jeunes vers des zones supposées offrir de meilleures conditions d’emplois ?
Va-t-elle continuer à concurrencer l’activité agricole au point de la faire reculer et avec elle le
système oasien ? Et dans ce cas qu’adviendra-t-il de la demande touristique ? Et ces nouveaux
résidents ? Continueront-ils à arriver et à s’installer ? Leur ancrage territorial va-t-il se réaliser ?
Et leur intégration à la société locale va-t-elle déboucher sur un nouveau modèle sociétal
cosmopolite ? Ou atteindra-t-on un seuil de tolérance et de rejet ? Et le processus de
patrimonialisation ? Va-t-il se continuer sur le même modèle avec ses réussites et ses échecs ?
Ou bien l’Etat va-t-il se décider à édicter des normes et exiger un respect total de ces normes ?
L’ultime évolution future à envisager est celle des éventuelles mutations de la demande. En
effet, la demande actuelle peut être caractérisée comme une demande élitiste avec des touristes
avisés et curieux et intéressés par les cultures de l’autre. Or, l’histoire du tourisme et de
l’évolution des sites touristiques les plus connus a montré que la demande élitiste pionnière qui
lance les nouvelles destinations, est souvent suivie par une demande de masse. Est-ce que ce
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sera le cas dans le pays d’Ouarzazate ? Et si oui, est-ce que la capacité d’hébergement et les
aménagements vont suivre et s’adapter à une demande de masse ? Et dans ce cas comment va
se comporter le milieu oasien connu pour être fragile ?
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