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Institut Louis Favoreu
Groupe d'Études et de Recherches
sur la Justice Constitutionnelle
Équipe associée au CNRS (UMR 7318)
Aix-en-Provence
Annuaire
International
de Justice
Constitutionnelle
XXXV
2019
(extraits)
ECONOMICA PRESSES UNIVERSITAIRES
49, rue Héricart
D'AIX-MARSEILLE
75015 Paris
3, Avenue R. Schuman
13628 Aix-en-Provence cedex 01
2020
Annuaire international de justice constitutionnelle, XXXV-2019
CHRONIQUES
ROUMANIE
Ramona Delia POPESCU et Elena Simina TANASESCU*
I.-!La vie de l’institution – Statistiques!; II.-!La jurisprudence constitutionnelle!;
A.-!Effets juridiques des décisions de la Cour constitutionnelle, 1.-!Immixtion de la Cour
constitutionnelle dans les affaires pendantes devant les tribunaux ordinaires, 2.-!Modulation
des effets juridiques des décisions de la Cour constitutionnelle selon des objectifs établis à
l’avance, B.-!Décisions sur les initiatives de révision constitutionnelle, 1.-!Initiative populaire
de révision constitutionnelle, 2.-!Initiatives institutionnelles de révision constitutionnelle,
C.-!Souveraineté nationale et référendum, D.-!Qualité de la loi, E.-!Paradigmes juridiques,
F.-!Droits fondamentaux, G.-!Création des organes spécialisés de l’administration publique
(autorités administratives indépendantes)
*
La présente chronique opère une sélection drastique parmi les décisions
rendues par la Cour constitutionnelle roumaine (CCR) et publiées dans le Journal
officiel pendant l’année 2019, notamment parmi les très nombreuses décisions
d’inconstitutionnalité (59).
Pendant l’année 2019, la Cour constitutionnelle a été appelée à arbitrer
plusieurs conflits juridiques de nature constitutionnelle, qui sont apparus soit au
sein du pouvoir exécutif entre le président de la Roumanie et le gouvernement, soit
entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, c’est-à-dire entre le président de la
Roumanie et le Parlement. Le président de la Roumanie a été le principal titulaire de
saisines d’inconstitutionnalités des lois formulées avant leur promulgation.
Toutefois, avec le changement de la couleur politique du gouvernement (produit au
début du mois d’octobre 2019 suite à l’adoption d’une motion de censure), nous
assistons à l’émergence des conflits entre le Parlement et le gouvernement. En effet,
en décembre!2019 le Parlement a initié quatre conflits juridiques de nature
constitutionnelle entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, générés par la
procédure de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur plusieurs
projets de loi, y compris sur la loi annuelle du budget de l’État, qui ont été résolus
par la Cour constitutionnelle au début de l’année 2020.
* Professeurs à l’Université de Bucarest.
948 CHRONIQUES
I.-!LA VIE DE L’INSTITUTION – STATISTIQUES
Avec une charge de travail dans une légère augmentation en 2019 (952
décisions) par rapport aux 2018 (877) la CCR a prononcé 56 décisions
d’inconstitutionnalité!: 30 décisions en contrôle a priori, 23 décisions en contrôle a
posteriori, et 3 décisions prononcées d’office et relatives à la révision de la
Constitution. On constate la diminution d’un quart des décisions
d’inconstitutionnalité dans le contrôle a priori, respectivement 30 (22 décisions
d’inconstitutionnalité totale et 8 décisions d’inconstitutionnalité partielle) en 2019
par rapport à 43 (25 inconstitutionnalités totales et 18 inconstitutionnalités
partielles) en 2018.
En 2019 aussi le taux de réussite du contrôle a priori est resté supérieur (30
décisions d’inconstitutionnalité totale ou partielle sur 48 au total, soit 62,5!%) à
celui du contrôle a posteriori (23 décisions d’inconstitutionnalité totale ou partielle
sur 804 au total, soit 2,86!%).
Les statistiques montrent que certains sujets de saisine sont devenus
extrêmement actifs en 2019!: le président de la Roumanie a saisi la CCR 22 fois dans
le cadre du contrôle a priori, alors que la Haute Cour de justice et de cassation ne l’a
jamais fait. L’Avocat du peuple est devenu plus actif, avec 12 saisines dans le cadre
du contrôle a posteriori par rapport à 14, par exemple, en 2012, ce qui fut un pic dans
son interaction avec la Cour constitutionnelle. Le nombre de saisines déposées par
l’Avocat du peuple a augmenté de plus de la moitié par rapport à 2018 (5 affaires en
2018), mais la Cour n’a statué jusqu’à présent que dans une seule affaire (décision
n°!785/2019).
Sur demande de l’opposition parlementaire la Cour s’est prononcée 6 fois sur
la constitutionnalité des arrêtés parlementaires, à la fois sur des aspects extrinsèques,
de procédure, et sur des aspects intrinsèques, relatifs au contrôle exercé par le
Parlement. Elle a rejeté toutes ces saisines.
Toujours pendant 2019, en vertu de l’art. 146 lettre i) de la Constitution, la
Cour a statué sur la procédure de l’organisation d’un référendum initié par le
président de la Roumanie. En outre elle a connu deux initiatives institutionnelles de
révision de la Constitution, qu’elle a déclarées inconstitutionnelles, et qui ne sont
pas encore adoptées par le Parlement afin d’arriver au stade de la nécessaire
confirmation référendaire. Elle a également validé une initiative populaire de
révision de la Constitution, dont le contenu a été repris par les deux initiatives
institutionnelles mentionnées auparavant.
En outre, la Cour a été saisie dans 8 affaires sur des conflits juridiques de
nature constitutionnelle entre les autorités publiques, ce qui dépasse son record en la
matière (7 affaires en 2008). Seulement dans trois de ces affaires elle a identifié de
tels conflits.
Enfin, les élections présidentielles organisées vers la fin de l’année 2019 ont
fourni à la Cour l’occasion de trancher des litiges concernant les candidatures et la
campagne électorale, ainsi que de valider le résultat final. Le tableau ci-dessous
montre l’évolution du volume d’activité de la Cour pendant la période 2015-2019.
De plus, analysant la jurisprudence de la Cour, on constate une augmentation
du délai dans lequel la Cour décide sur les saisines, dans le cas des exceptions
d’inconstitutionnalité la décision intervenant, en moyenne, deux ans après le renvoi.
ROUMANIE 949
Attributions
2015
2016
2017
2018
2019
Contrôle préalable des lois art. 146 a) et des
initiatives de révision
8
22+1
16
74
48+3
Contrôle des traités internationaux art. 146 b)
0
0
0
0
0
Contrôle des règlements des chambres
parlementaires art. 146 c)
3
4
3
2
2
Contrôle postérieur des lois art. 146 d)
887
765
829
788
804
Contrôle des conflits juridiques de nature
constitutionnelle entre les autorités de l’État
art. 146 e)
2
0
4
4
3
Contentieux électoral présidentiel art. 146 f)
0
0
0
0
84
Constat des circonstances qui justifient
l’intérim dans la fonction de président de la
Roumanie art. 146 g)
0
0
0
0
0
Avis consultatif sur la proposition de
suspension du président de la Roumanie art.
146 h)
0
0
0
0
0
Procédure référendaire art. 146 i)
0
0
0
2
1
Initiative législative populaire art. 146 j)
1
0
0
0
1
Contestation sur la constitutionnalité d’un
parti politique art. 146 k)
0
0
0
0
0
Autres attributions fixées par la loi organique
art. 146 l)
3
3
7
7
6
Total des décisions
904
795
859
877
952
II.-!LA JURISPRUDENCE CONSTITUTIONNELLE
A.-!Effets juridiques des décisions de la Cour constitutionnelle
Depuis quelques années, la Cour constitutionnelle a commencé à rendre des
décisions qui ressemblent à une coupe au scalpel!: soit elles tendent à interférer avec
les petits détails des affaires judiciaires dont proviennent les questions de
constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle, contredisant généralement
l’interprétation donnée par les tribunaux ordinaires aux lois pertinentes, soit elles
sont destinées à atteindre un objectif spécifique et, pour ce faire la juridiction ressent
le besoin d’être explicite quant à l’effet juridique attendu de ses propres décisions.
1.-!Immixtion de la Cour constitutionnelle dans les affaires pendantes
devant les tribunaux ordinaires
Dans la première catégorie, on peut citer la décision n°!874/2018, publiée en
janvier!2019, et la décision n°!220/2019. Dans les deux cas, les affaires soulevées
devant la Cour portaient sur des questions où le système judiciaire avait une opinion
différente de celle de la juridiction constitutionnelle sur les dispositions législatives
critiquées. Dans les deux situations, les détails de la procédure peuvent sembler
insignifiants et les affaires en cause peuvent paraître pernicieuses, mais l’impact des
décisions adoptées par la Cour constitutionnelle est significatif car, d’une part, la
Cour a fini par étendre sa compétence et interférer avec les affaires pendantes devant
les tribunaux ordinaires, en changeant leur issue, et, d’autre part, le résultat final de
l’intervention de la Cour constitutionnelle a eu comme résultat final la rétroactivité
950 CHRONIQUES
des lois critiquées. Dans les deux cas, la Cour constitutionnelle a agi plutôt comme
une cour de cassation, sans être établie comme telle par la Constitution.
Ainsi, les tribunaux ordinaires ont lu les dispositions transitoires du nouveau
Code de procédure civile (Cpc) dans le sens que les affaires qui n’avaient pas été
définitivement jugées lors de son entrée en vigueur devaient suivre la procédure
civile précédente, tandis que la Cour constitutionnelle estimait que les nouvelles
règles de procédure civile devaient être appliquées immédiatement, y compris aux
affaires qui étaient en cours de solution lorsque le nouveau code est entré en vigueur.
Étant donné que la Haute Cour de cassation et justice (HCCJ) a émis une
interprétation générale du nouveau Code, qui ne faisait que reproduire la disposition
transitoire pertinente du nouveau Cpc, et qu’elle a affirmé que les nouvelles règles
procédurales ne s’appliquent qu’aux affaires commencées après l’entrée en vigueur du
nouveau Cpc, la Cour constitutionnelle a décidé que non seulement la disposition du
Cpc était inconstitutionnelle, mais aussi l’interprétation fournie par la HCCJ
(décision n°!874/2018). Tout irait bien si l’interprétation fournie par la Cour
constitutionnelle n’était pas, en fait, rétroactive et sans aucun support dans la
Constitution, et si la Cour constitutionnelle avait la compétence d’unifier la
jurisprudence des tribunaux ordinaires, mais en l’occurrence la Constitution ne
prévoit rien sur l’application dans le temps de régimes juridiques transitoires et
l’approche de la juridiction constitutionnelle finit par rendre le nouveau Cpc
rétroactif, alors que la compétence d’unifier la pratique des tribunaux ordinaire est
donnée par la Constitution à la HCCJ.
De même, dans la décision n°!220/2019, la Cour constitutionnelle a observé
que certaines dispositions du nouveau Code de procédure pénale (Cpp) avaient été
invalidées dans sa précédente décision n°!540/2016. Toutefois, au lieu de déclarer
que toute tentative de considérer ces dispositions comme toujours valables devrait
être invalidée du fait de sa décision antérieure, la Cour a étendu rétroactivement les
effets de sa décision n°!540/2016 aux décisions de justice définitives prononcées 30
jours avant la publication de ladite décision au Journal officiel, car trente jours sont le
délai procédural pour la révision (voie de recours extraordinaire en droit pénal) de ces
décisions de justice. Dans ce contexte il convient de mentionner l’opinion dissidente
signée par un juge, qui a démontré qu’il s’agit d’une application rétroactive de la
décision n°!540/2016 et non pas de l’inconstitutionnalité du nouveau Cpp.
2.-!Modulation des effets juridiques des décisions de la Cour
constitutionnelle selon des objectifs établis à l’avance
La deuxième catégorie de décisions, dans le cadre desquelles la Cour
constitutionnelle se donne un objectif précis, peut à nouveau être divisée en deux
sous-catégories!: les décisions portant sur les lois qui approuvent la législation
déléguée, et les décisions relatives aux effets des décisions antérieures qui ont
invalidé les lois.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à l’invalidation totale
des lois pour des raisons extrinsèques a été constante au fil du temps!: une loi jugée
inconstitutionnelle dans son intégralité dans le cadre d’un contrôle a priori pour
violation des règles de procédure législative cesse d’exister en tant qu’acte juridique,
alors que le Parlement est obligé d’entamer un nouveau processus législatif, c’est-à-
dire de commencer par une nouvelle initiative législative. Cette jurisprudence
constante s’applique à tous les types de lois, y compris à celles approuvant les
ordonnances d’urgence, actes de législation déléguée émis par le gouvernement. Elle
a été validée dans la décision n°!214/2019, où la Cour a déclaré que «!le Parlement
ROUMANIE 951
doit mettre fin à tout processus législatif dans cette matière et, dans le cas où il
entamerait un nouveau processus législatif, il devra se conformer aux considérants de
la présente décision!». Cependant, dans la décision n°!412/2019, la Cour a offert une
solution différente, sans justifier ce renversement de jurisprudence. En effet, ce n’est
que dans cette affaire que la Cour constitutionnelle a statué que la législation
déléguée (ordonnance d’urgence) subsiste bien que la loi censée l’approuver ait été
totalement invalidée dans un contrôle a priori pour des raisons extrinsèques. À cette
fin, la Cour a déclaré que, dans le cas spécifique des lois approuvant la législation
déléguée, leur invalidation totale pour des raisons extrinsèques requiert la reprise de
la procédure législative uniquement à partir de la phase parlementaire et non pas à
partir du stade de l’initiative (ordonnance d’urgence) car, uniquement dans cette
situation spécifique, l’initiative consiste dans la législation déléguée qui n’est pas
touchée par l’invalidation concernant la loi d’approbation. Pour autant que le
raisonnement de la Cour soit séduisant, il aurait été certainement plus convaincant
s’il était dûment motivé, notamment en vue d’une jurisprudence antérieure,
constante dans le sens contraire. Deux juges ont remarqué ce renversement
nonmotivé de jurisprudence dans une opinion séparée.
Enfin, toujours pour atteindre des objectifs spécifiques, la Cour
constitutionnelle module les effets de ses propres décisions d’une manière qui oblige
le législateur à adopter des lois spécifiques, pratiquement telles que rédigées par la
Cour. Un exemple révélateur est la décision n°!466/2019 qui concerne le nouveau
Code pénal (Cp). Ainsi, dans les décisions n°!405/2016 et n°!368/2017, la Cour
constitutionnelle a invalidé certaines dispositions du nouveau Code pénal. Le
législateur a tenté d’adopter des versions révisées des dispositions pénales concernées,
mais ces révisions ont été jugées inconstitutionnelles en 2018. Cela a permis à la
Cour de préciser les effets de ses propres décisions dans les termes suivants!: «!si, dans
le cas d’un réexamen d’une loi demandé par le président de la Roumanie le
Parlement conserve toute sa marge d’appréciation, dans le cas d’un réexamen d’une
loi imposé par une invalidation prononcée par la Cour constitutionnelle la marge
d’appréciation du Parlement est limitée, car le législateur est tenu de ré-analyser la
substance normative de la loi exclusivement afin de la rendre conforme à la décision
de la Cour. […] L’abandon de la procédure législative n’est pas une option
disponible car elle équivaut à la violation de l’obligation constitutionnelle du
Parlement de se conformer aux exigences d’une décision antérieure de la Cour
constitutionnelle.!» En d’autres termes, dans cette situation spécifique, le législateur
ne devrait plus suivre une jurisprudence bien établie auparavant, selon laquelle
l’invalidation totale d’une loi pour des raisons extrinsèques doit mettre un terme au
processus législatif en cours, et peut ouvrir la possibilité d’un nouveau départ
législatif, alors que l’invalidation partielle d’une loi par le juge constitutionnel rend
possible l’intervention ponctuelle du législateur, mais uniquement dans le sens précisé
par le juge constitutionnel. Désormais, le législateur doit nécessairement adopter une
nouvelle solution législative, selon les instructions qui lui sont faites par la Cour
constitutionnelle dans la précédente décision d’invalidation partielle. Une telle
modulation des effets des décisions risque de transformer la Cour constitutionnelle
d’un législateur négatif dans un législateur positif.
B.- Décisions sur les initiatives de révision constitutionnelle
2019 a été l’année où trois initiatives de révision constitutionnelle sont
arrivées devant la Cour constitutionnelle.
952 CHRONIQUES
1.-!Initiative populaire de révision constitutionnelle
La première était issue d’une initiative populaire, résultat d’une campagne
anticorruption menée par certains partis d’opposition, et visait à interdire aux
personnes condamnées par des décisions définitives de justice d’être éligibles dans les
fonctions publiques. Ainsi, le texte constitutionnel sur le «!droit d’être élu!» (ou,
plus exactement, le droit de se porter candidat à des charges publiques élues)
changerait comme suit!: «!Ne peuvent pas être élus dans les organes de
l’administration locale, à la Chambre des députés, au Sénat et à la fonction de
président de la Roumanie, les citoyens condamnés à des peines privatives de liberté
pour délits commis avec intention, jusqu’à la survenance d’une situation qui enlève
les conséquences juridiques de la condamnation.!» Dans la décision n°!222/2019 la
Cour a évalué les conditions formelles de l’initiative populaire de révision
constitutionnelle (nombre de signatures et leur répartition géographique), et la
conformité du texte proposé avec les limites matérielles de la révision
constitutionnelle (selon l’article 152 de la Constitution). Ainsi, la Cour a dû décider
si l’initiative populaire imposait une restriction proportionnée et justifiée au droit de
se porter candidat en tant que droit fondamental politique. La Cour a déclaré que le
changement proposé est légitime, car il vise à renforcer «!la moralité, l’intégrité et
l’honnêteté qui doivent être prouvées par toute personne qui cherche à accéder à des
fonctions publiques!», et la restriction du droit d’être élu est proportionnelle avec le
but poursuivi car l’interdiction faite n’est pas permanente, mais limitée dans le
temps jusqu’à ce qu’une des situations qui suppriment les conséquences de la
condamnation se produise.
2.-!Initiatives institutionnelles de révision constitutionnelle
Les deuxième et troisième initiatives de révision constitutionnelle ont été
introduites presque simultanément par des différents partis politiques
parlementaires, suite au référendum organisé par le président de la Roumanie le
26!mai 2019. Elles tenaient compte de la proposition qui a fait l’objet de l’initiative
populaire (concernant la limitation temporaire de l’accès des personnes condamnées
aux charges publiques), ainsi que des amendements supplémentaires qui pouvaient
être déduits des questions posées lors du référendum. Ainsi, par exemple, une des
initiatives parlementaires a proposé de limiter le pouvoir du Président d’accorder la
grâce, en la retirant de façon permanente par rapport aux potentiels bénéficiaires qui
auraient été condamnés pour corruption. La Cour a considéré qu’une telle révision
méconnaît les «!clauses d’éternité!» prescrites par la Constitution, car «!ses effets
enfreignent le principe d’égalité, une des principales garanties des droits
fondamentaux et, indirectement, la dignité humaine en tant que source de droits
fondamentaux et libertés!». De l’avis de la Cour (décision n°!465/2019), la
suppression du pouvoir du Président d’accorder la grâce aux personnes condamnées
pour corruption placerait ces personnes en position d’infériorité, «!sans justification
raisonnable et objective!» et équivaudrait à une discrimination. Les mêmes
arguments ont été invoqués par la Cour lorsqu’elle a rejeté l’amendement proposé
par le troisième projet de révision constitutionnelle, qui visait à interdire l’amnistie
collective et la grâce individuelle des personnes condamnées pour corruption
(décision n°!464/2019).
Un autre amendement proposé par ces deux derniers projets parlementaires
de révision constitutionnelle concernait le régime juridique de la législation
déléguée (les ordonnances gouvernementales). Les actes de législation déléguée, en
ROUMANIE 953
particulier les ordonnances d’urgence du gouvernement, sont devenus très fréquents
au cours des deux dernières décennies. Leur utilisation excessive, en particulier dans
des domaines sensibles tels que l’organisation du système judiciaire et le droit pénal,
a été critiquée – entre autres – par les rapports rendus chaque année par la
Commission européenne dans le cadre du!Mécanisme de coopération et de
vérification (ci-après MCV) mis en place après l’adhésion de la Roumanie à l’Union
européenne en vertu de la décision 2006/928/CE. En ce qui concerne la portée de
l’amendement – visant à interdire l’adoption des ordonnances d’urgence dans le
domaine du droit pénal et de l’organisation judiciaire – la Cour constitutionnelle a
estimé qu’il n’y avait pas eu de violation des limites faites par la Constitution au
pouvoir constitutionnel dérivé. Néanmoins, ces projets de révision souhaitaient
introduire une forme directe de contrôle de constitutionnalité des ordonnances
gouvernementales, «!à la demande du Président, d’un nombre de 50 députés et 25
sénateurs, de la Haute Cour de cassation et de justice et de l’Ombudsman!». Bien
que la Cour n’ait pas formulé une objection de principe par rapport à cet
amendement, elle a fait quelques remarques concernant le libellé du texte proposé.
Ainsi, la Cour a souligné que, compte tenu en particulier du caractère urgent des
ordonnances d’urgence, leur contrôle devrait être expressément prévu comme étant
possible uniquement a posteriori, c’est-à-dire qu’il doit être exercé seulement après
l’entrée en vigueur des ordonnances d’urgence.
Il convient d’observer que, malgré le fait que la Cour constitutionnelle a
validé la plupart des révisions proposées, les trois initiatives n’ont pas continué leur
parcours parlementaire et semblent avoir été oubliées dans les tiroirs ou les couloirs
parlementaires
1
.
C.- Souveraineté nationale et référendum
Dans la décision n°!146/2019 (contrôle a priori relatif à la loi modifiant des
actes normatifs en matière électorale) la Cour a constaté l’inconstitutionnalité de
l’introduction dans la formule de calcul du nombre total d’électeurs inscrits dans les
listes électorales pour l’élection du président de la Roumanie du nombre total des
électeurs inscrits dans les listes spéciales. Dans la législation électorale roumaine les
listes spéciales sont prévues uniquement dans le contexte des élections pour le
Parlement européen. Ces listes comprennent les électeurs citoyens européens qui ont
uniquement la nationalité d’un État!membre de l’Union européenne (et ne sont pas
aussi citoyens roumains, car dans ce dernier cas de figure ils seraient inscrits sur les
listes nationales). La référence aux listes spéciales dans le contexte de l’élection
présidentielle, organisée avec la participation seulement des électeurs de nationalité
roumaine, est contraire au principe de la souveraineté nationale, parce que seulement
les citoyens roumains ont le droit de vote et le droit d’être élu dans les autorités
nationales représentatives.
Dans une autre affaire (décision n°!143/2019) la Cour constitutionnelle a
considéré que la manière dont la loi prévoit le calcul du nombre total des
participants à un référendum – dont on ne saurait pas assez souligner l’importance
car il constitue le repère en fonction duquel est déterminé le quorum requis pour la
validation formelle dudit référendum – est contraire au principe constitutionnel de
l’État de droit. En l’occurrence, le nombre total des participants était considéré
inclure aussi les personnes qui avaient rendu un vote blanc, leur présence étant
1
À présent les trois initiatives sont enregistrées à la Chambre des Députés avec les numéros suivants!:
PL-x nr. 237/2019, PL-x nr. 331/2019 et PL-x nr. 332/2019.
954 CHRONIQUES
inscrite dans les procès-verbaux des bureaux de vote, alors que leur participation
concrète à la décision prise par référendum était inexistante. La Cour
constitutionnelle a trouvé que cette modalité de calcul peut vicier le quorum requis
pour la validité du référendum, en augmentant artificiellement le nombre de
participants au vote.
D.- Qualité de la loi
L’une des principales tendances de la jurisprudence constitutionnelle en 2019
a été l’accent mis par la Cour sur la qualité de la loi, principalement d’un point de
vue formel (inconstitutionnalité «!extrinsèque!»). Tous les éléments de la procédure
législative ont été examinés, et la Cour a souvent décidé l’inconstitutionnalité des
lois uniquement pour violation de ces règles formelles.
Dans la décision n°!145/2019, dans le cadre d’un contrôle a priori, la Cour a
déclaré une loi inconstitutionnelle dans son intégralité pour violation des règles de la
procédure législative. Ainsi, la loi modifiant d’autres lois relatives à l’ordre public et
à la sécurité nationale a été adoptée sans l’avis consultatif du Conseil supérieur de la
défense nationale, que la Cour a considéré une étape obligatoire dans la procédure
législative. La juridiction constitutionnelle a fait valoir qu’il manquait un élément
essentiel de la procédure législative, notamment dans le domaine de la sécurité
nationale et que, par conséquent, la loi était inconstitutionnelle dans son ensemble.
Dans un autre cas (décision n°!139/2019) la Cour a constaté un autre motif
d’inconstitutionnalité!extrinsèque!: l’absence d’évaluation de l’impact économique et
social de la loi, ainsi que l’absence de l’avis consultatif du Conseil économique et
social, tous les deux obligatoires en vertu de la loi sur la technique législative mais
que la juridiction constitutionnelle a converti dans une violation du principe de
légalité inscrit à l’article 1 alinéa (3) de la Constitution.
Dans une décision plus controversée (n°!137/2019), la Cour a évalué le rôle
du mécanisme européen de surveillance mis en place par la Commission européenne
(Mécanisme de coopération et de vérification) lors de l’adhésion de la Roumanie à
l’Union européenne en vertu de la décision 2006/928/CE. L’objet du contrôle était la
loi approuvant l’ordonnance d’urgence du gouvernement qui a rendu opérationnelle
la nouvelle – et très controversée – section spéciale créée dans le cadre du Parquet
Général pour l’investigation des faits criminels commis par les magistrats. Les
auteurs de la requête ont fait valoir qu’en approuvant l’ordonnance, la loi ne tenait
pas compte du rapport MCV relatif à l’année 2018 rendu par la Commission
européenne, d’un avis consultatif rendu dans la même année par la Commission de
Venise au sujet de ladite section spéciale, et du rapport ad hoc de mars!2018 sur la
Roumanie de la part du GRECO!; donc, la loi serait en violation de plusieurs articles
de la Constitution, et notamment du principe de l’État de droit (article!1,
paragraphes!4 et!5) et des obligations qui reviennent à la Roumanie en tant qu’État
membre de l’UE (article!148, paragraphe!2). La Cour constitutionnelle a fait savoir
que la décision 2006/928/CE, qui a créé le MCV, ne prévoit pas d’obligations
concrètes pour la Roumanie (à l’exception de celle qui exige la création d’une agence
d’intégrité), et qu’elle crayonne des lignes directrices de caractère général et à valeur
principalement politique. Par conséquent, la Cour a constaté qu’un tel acte n’a pas
de pertinence constitutionnelle pour la Roumanie, pas plus que les rapports publiés
par la Commission européenne dans le cadre du MCV, et la loi critiquée ne
méconnaît pas la Constitution.
Enfin, dans la décision n°!214/2019 la Cour a sanctionné la manière
défectueuse selon laquelle le gouvernement a réglementé dans un unique acte
ROUMANIE 955
normatif!(ordonnance d’urgence) deux domaines distincts, sans aucun rapport entre
eux. Ainsi, en l’espèce, la protection de l’environnement et le régime des étrangers
visent des finalités différentes, de sorte que leur réglementation par un acte normatif
unique non seulement n’était pas nécessaire, mais elle empiétait aussi sur l’exigence
de technique législative qui consiste dans la règle du caractère unique de la
réglementation. Bien qu’il s’agisse d’une exigence de technique législative consacrée
par une loi ordinaire, la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle a
constitutionnalisé certaines exigences de légistique formelle et la décision
n°!214/2019 s’inscrit dans cette tendance.
E.- Paradigmes juridiques
Continuant la tendance amorcée en 2018, lorsqu’elle a étendu arbitrairement
sa compétence, passant des actes normatifs et des conflits juridiques de nature
constitutionnelle aux «!paradigmes juridiques!», la Cour constitutionnelle a statué
en 2019 sur deux conflits juridiques de nature constitutionnelle qui ont porté sur
des affaires qu’elle a définies comme des «!paradigmes juridiques!» relatives à
l’organisation et au fonctionnement du système judiciaire. La Cour a abordé les
questions qui lui ont été posées d’une manière qui non seulement perturbe
l’efficacité de la lutte contre la corruption, mais aussi remet en cause la fonction
essentielle du système judiciaire, c’est-à-dire l’administration de la justice.
Dans la première décision (n°!26/2019), la Cour a découvert un conflit
juridique de nature constitutionnelle entre le ministère public (Procureur général) et
le Parlement dans le «!paradigme juridique!» qui a permis aux tribunaux et aux
procureurs d’être liés non seulement par des lois mais aussi par d’autres documents
juridiques. En l’occurrence il s’agissait des deux protocoles (secrets) de coopération
conclus entre un service de renseignement et le ministère public, et qui portait sur la
procédure standard à suivre au cas où un mandat judiciaire d’interception des
communications devait être mis en œuvre avec le soutien de ce service de
renseignement. Sur la base d’une «!ressemblance apparente!» d’un tel protocole avec
un acte administratif, la Cour a déduit que ledit service de renseignement avait été
autorisé à interférer avec les affaires judiciaires, et que le ministère public avait
outrepassé les pouvoirs législatifs du Parlement. Dans deux opinions dissidentes, un
et, respectivement, deux autres juges ont estimé que les critères d’identification d’un
conflit juridique de nature constitutionnelle n’étaient pas remplis dans cette affaire,
tandis que dans une opinion concordante, un juge a considéré que les deux
protocoles examinés par la Cour étaient de nature différente car ils étaient fondés sur
des lois différentes émises par le Conseil suprême de la défense nationale.
Dans la seconde décision (n°!417/2019) la Cour a découvert un conflit
juridique de nature constitutionnelle entre le Parlement et la Haute Cour de
cassation et de justice (HCCJ) dans le «!paradigme juridique!» qui consiste dans le
fait qu’entre 2003 et 2019 la HCCJ a considéré que tous les juges qui ont tranché
des affaires pénales au niveau de la HCCJ étaient ope legis spécialisés pour juger des
affaires pénales dans le domaine de la lutte contre la corruption. En effet, la loi
n°!78/2000 pour la prévention, la découverte et la sanction des délits de corruption
exige que les affaires de corruption soient traitées par des juges «!spécialisés dans le
jugement de la corruption!». De nombreuses révisions de cette loi, ainsi que de la loi
générale sur l’organisation judiciaire, ainsi qu’une formation intensive des magistrats
dans le domaine des délits de corruption ont permis l’interprétation faite par tous les
tribunaux de Roumanie, et non seulement par la HCCJ, à savoir que tous les juges
qui ont été spécialisés dans les affaires pénales sont également, ope legis, spécialisés
956 CHRONIQUES
dans les affaires de corruption. Malgré cette réalité factuelle, la Cour
constitutionnelle a non seulement trouvé un nouveau «!paradigme juridique!»
qu’elle a considéré comme inconstitutionnel sans mentionner la disposition
constitutionnelle ainsi violée, mais elle a également détaillé les effets juridiques que
sa propre décision devrait entraîner. En l’occurrence, la juridiction constitutionnelle
a constaté que toutes les décisions de justice restées définitives, rendues entre!2003
et!2019 par des panels de 3 juges qui ont été spécialisés seulement en droit pénal et
non pas dans la lutte contre la corruption, sont affectées par cette
inconstitutionnalité et peuvent être attaquées encore une fois par une voie de recours.
Tout comme en 2018, lors de la décision n°!685/2018 traitant du «!paradigme
juridique!» des panels de 5 juges de la HCCJ, la décision n°!417/2019 a gravement
affecté le principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata). Cette décision a été
adoptée à la majorité de 5 juges!; les 4 autres ont signé des opinions dissidentes.
Deux juges ont signé une opinion dissidente expliquant pourquoi les juges
spécialisés dans les affaires pénales peuvent également être considérés comme
spécialisés dans les affaires de corruption. Deux autres juges ont signé une opinion
dissidente expliquant pourquoi les paradigmes juridiques ne font pas partie
intégrante de la compétence de la Cour constitutionnelle, et pourquoi la situation
abordée dans cette décision ne remplit pas les critères établis dans la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle de Roumanie pour l’identification d’un conflit juridique
de nature constitutionnelle.
F.- Droits fondamentaux
En 2019, l’examen fondé sur les droits fondamentaux a été moins riche que
pendant les années précédentes, la Cour constitutionnelle étant plus soucieuse de
corriger l’inconstitutionnalité extrinsèque des lois et de statuer sur les conflits de
compétence entre les autorités publiques.
Le droit de propriété des personnes morales a fait l’objet de l’attention de la
Cour constitutionnelle dans la décision n°!382/2019. La juridiction a rappelé que le
droit de propriété n’est pas absolu, mais les restrictions portées à l’exercice du droit
de propriété ne peuvent pas avoir pour conséquence la suppression du droit lui-
même. La loi qui transfère automatiquement la propriété des biens qui se trouvent
dans le patrimoine d’une personne morale, après la radiation de ladite personne
morale des registres commerciaux, dans la propriété privée de l’État a été déclarée
inconstitutionnelle parce qu’elle crée un déséquilibre entre les intérêts en jeu.
Dans le domaine des droits sociaux et économiques, la Cour a analysé les
dispositions de la loi sur l’éducation nationale concernant les transports en commun
des élèves, selon lesquelles les enfants non scolarisés dans leur commune / ville
d’origine ont droit au remboursement des frais de voyage uniquement s’ils sont en
possession d’un abonnement et non pas pour chaque trajet individuellement.
Cependant, ces abonnements / cartes de voyage ne sont pas disponibles dans tous les
cas, par conséquent, l’imposition d’une telle condition constituerait une
discrimination et est donc inconstitutionnelle (décision n°!657/2019).
G.- Création des organes spécialisés de l’administration publique
(autorités administratives indépendantes)
Les décisions n°!144/2019 et n°!331/2019 marquent un nouveau revirement
de jurisprudence non expliqué (notamment par rapport à la décision n°!16/2007) en
matière de création des organes spécialisés (autorités administratives indépendantes).
ROUMANIE 957
Ainsi, selon la nouvelle jurisprudence, qui réinterprète les articles!116 et!117 de la
Constitution, les organes spécialisés (autorités administratives indépendantes)
subordonnés au gouvernement ou aux ministères peuvent être créés soit par un acte
normatif de réglementation primaire (loi, ordonnance simple ou ordonnance
d’urgence du gouvernement), soit par des actes de réglementation secondaire
(décision du gouvernement, arrêté du ministre) mais qui doivent être fondés sur un
acte de réglementation primaire qui consacre expressément cette compétence du
gouvernement ou des ministères. Dans le cas d’espèce, la Cour constitutionnelle a
décidé que le Conseil national pour le développement des ressources humaines de
l’administration publique, organe spécialisé avec rôle consultatif qui se trouve sous la
coordination du Premier ministre, peut être créé à la fois par la loi et par un arrêté
du gouvernement.