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La forêt de SARE
L’histoire des 42 000 chênes têtards
Cyrille VAN MEER
Janvier 2019
Cyrille VAN MEER
La forêt de SARE
L’histoire des 42 000 chênes têtards
Je suis devenu l'ami d'un vieux chêne...
Il est en partie mort.
Tu te rends compte :
mort en partie, mais pas tout entier !
Miguel de Unamuno (1864/1936)
La forêt de SARE
Du ravin d’Urio, proche des grottes de Sare, jusqu’aux pentes du
flanc Est de la Rhune s’étend une bien étrange forêt. Depuis le XVIIème
siècle, le chêne, le Roi de la forêt, y a subi un écimage systématique et
répété à intervalles réguliers. La forêt certes survivait mais elle était
peuplée d’arbres mutilés, accusant un gros tronc très court surmonté
d’une petite cime condamnée à ne produire qu’un fagot de menues
branches et petits rondins avant la taille suivante. Quant au tronc lui-
même, il ne produira jamais un bois d’œuvre de qualité. Les insectes et
les champignons lignivores, profitant des blessures répétitives, ont
atteint le cœur de l’arbre et l’ont carié sur pied, parfois évidé en totalité.
Cette pratique de couper la tête et les branches s’appelait le traitement
en arbre têtard ou haut taillis. Les hêtres, les aulnes et jusqu’aux
aubépines subissaient le même sort. Ce n’était pas par ailleurs une
exception locale. Les forêts du Pays basque, du Béarn et jusqu’aux
confins de la Bigorre et du Nébouzan étaient gérées de cette manière.
La particularité de Sare est d’avoir poursuivi ce traitement jusqu’aux
années 1940 et surtout d’avoir conservé cette forêt historique. Ces
chênes, après avoir recouvré la liberté de croissance, sont devenus, près
de cent ans plus tard, des arbres remarquables. Quiconque pénètre dans
la forêt de Sare perçoit cette architecture végétale bizarre. Il paraît alors
utile de détailler l’historique de ces chênes à la lumière de textes relatant
le passé, d’interprétations du paysage et du milieu naturel, parfois
même d’intuitions. Ne sont ici rassemblées que quelques pistes
permettant d’entrevoir l’histoire de chênes fruitiers nourrisseurs de
porcs, la vie obscure des charbonniers noyés dans les fumerolles, celle
des agriculteurs et du soustrage, celle des éleveurs avec leurs brebis, ce
peuple rural véritable gestionnaire de l’espace et à qui l’on doit le
paysage de la forêt d’aujourd’hui. Mais avant d’entrer plus avant dans
la forêt de Sare, quelques définitions et éclaircissements sur les
pratiques forestières du XVIème siècle s’imposent :
- Qu’est-ce qu’un têtard ? C’est un arbre, issu parfois d’un semis
naturel mais le plus souvent d’un chêne pédonculé planté auquel on
coupe la cime à 3 m du sol.
- Pourquoi leur couper la tête ? Sur un même espace forestier,
l’homme fauche le soustrage et fait pacager ses animaux. Ces deux
usages compromettent la régénération naturelle, aucun semis de chêne
ne pouvant résister à la faux et/ou à la dent des brebis, chèvres et
chevaux. En exploitant la tête de l’arbre au lieu de le couper à la base,
la « souche » très apparente se trouve surélevée à 3 m de hauteur
permettant la croissance de rejets hors d’atteinte de la faux et du bétail.
- Qu’est-ce que le soustrage ? Il consiste dans la fauche puis
l’enlèvement des fougères, ajoncs, herbes. Ces végétaux séchés sont
alors utilisés comme litière des animaux puis constituent un excellent
fumier.
- Pourquoi le bétail pâture-t-il en forêt ? C’est un usage très ancien :
le libre parcours du bétail sur les terres communes.
Présentation de la forêt communale de SARE
Sare – Sara. « Seul le site forestier a pu donner son nom au
village ». (Jean Espilondo – Ekaina).
Située au sud de la commune, la forêt de 1350 ha est coupée par
deux vallées orientées Nord-Sud menant au col de Lizarrieta (441m) ou
au col de Lizunia.
C’est un massif de collines et de basses montagnes culminant à
l’altitude de 698 m au sommet de l’Ibanteli.
Le climat est très favorable aux forêts, avec une température
moyenne de 13°, l’absence de neige et de gel, des précipitations
annuelles abondantes de1843 mm.
Les sols sont limoneux, issus de la décomposition de grès et de
flysch. Ils sont naturellement acides et d’une richesse chimique faible.
La forêt de Sare se singularise par l’abondance des espaces sans
arbres. Ils représentent un quart de la surface de la forêt. Inclus dans le
périmètre forestier, ce sont des étendues autrefois boisées, des espaces
parfois fauchés par les agriculteurs lorsqu’ils sont mécanisables, parfois
pentus et embroussaillés d’ajoncs périodiquement incendiés.
Les hêtres, chênes américains, robiniers, feuillus divers et
résineux exotiques constituent la forêt de production de bois.
Mais ce sont les chênes têtards (haritz kapetatuak), qui constituent
le paysage forestier exceptionnel, la trace historique de l’ancestrale
forêt. Les peuplements sont composés majoritairement de gigantesques
et vieux arbres traités en têtards sur 241 ha auxquels il faut ajouter des
chênes têtards en bouquets ou en moindre densité, dispersés ou mêlés à
d’autres types de peuplements forestiers. On pourrait aujourd’hui
estimer la population de têtards à 15 000 arbres vivants, répartis sur 500
ha.
La vieille forêt est demeurée sans aucune régénération. Cela a
entraîné le maintien de ces vieux arbres têtards, ces colosses de trois
cents ans dont le nombre se réduit peu à peu. Ils meurent d’épuisement,
en toute discrétion, ils s’effondrent avec fracas sous leur propre poids
ou sont brisés et renversés par les tempêtes.
La généralisation de l’arbre têtard au XVIIème siècle
Du XIème au XVème siècle, la croissance démographique et de
nouveaux besoins font peser sur la forêt, une pression d’exploitation qui
ira toujours grandissant. La nécessité de bois de construction et de
marine, la sidérurgie, le pâturage, mettent à mal la forêt installée sur les
terres collectives. Les habitants sont très attachés à leurs droits d’usage
mais ceux-ci divergent. La récolte sans mesure du bois indispensable à
la sidérurgie s’oppose à la forêt paysanne, à la production de glands
pour les éleveurs de porcs. Le soustrage et le pâturage éliminent la
régénération et ne tiennent guère compte de la gestion à long terme
assurant la pérennité de la ressource bois pour les charbonniers. C’est
au XVIème et XVIIème siècles, face à la menace de disparition de la
forêt, que se dessine une véritable gestion forestière.
En 1548, las Juntas Generales de Gipuzkoa resolvieron « que
para la industria carbonera los árboles no podían ser talados sino
solamente trasmochados ». Encyclopédie ETOR, Itsosoa vol.3
1
En 1625, estando el Ayuntamiento (Lesaka, Navarra) preocupado
por el daño que se hacia en los cortes de madera, se hizo un
reconocimiento del monte « por sus mercedes y muchos vecinos » y
aprobaron unas nuevas ordonanzas para que « nadie, de qualquier
calidad ni condición que sea corte del tronco o pie ningún roble ».
Seguramente a partir de este momento se generalisó el
trasmochado de los robles. Jesús Garitacelaya, 1993.
2
Tous les massifs forestiers proches, orientés vers la production du
charbon de bois, subissaient la même pression de surexploitation. Le
village de Sare pouvait avoir une coutume similaire à celle des villages
navarrais voisins Vera de Bidasoa, Etchalar et Urdax.
1
Trad. En 1548, les Juntas Generales de Gipuzkoa décidèrent « que
pour l’industrie charbonnière, les arbres ne pouvaient être abattus mais
seulement taillés ». Encyclopédie ETOR, Itsosoa vol. 3
2
Trad. En 1625, la Municipalité, le Gouvernement local (Lesaka,
Navarra), préoccupés par les dommages causés par les coupes de bois,
firent une inspection de la montagne « pour leurs Seigneuries et beaucoup
d’habitants », avant de promulguer de nouvelles ordonnances interdisant
à « quiconque (quelle que soit sa condition) l’abattage des chênes ».
C’est très probablement à ce moment que se généralisa la taille des
chênes. Jesús Garitacelaya / 1993.
Voilà donc établie une période autour des années 1600 à partir de
laquelle couper les arbres au pied est interdit et où l’exploitation en
têtard devient le traitement ordinaire des forêts.
En 1672, Louis de Froidour rend compte de sa visite en Pays
basque : « … on commet partout le même abus qu’en Béarn en la coupe
de la cime et des branches des arbres ». Sans doute fait-il référence à
l’Ordonnance signée de Colbert (1669) qui contestait ces pratiques :
« Ceux qui auront éhoupé, ébranché, & deshonoré des arbres, payeront
la mesme amende au pied le tour, que s'ils les avoient abatus par le pied
». Le respect de l’intégrité de l’arbre figure toujours dans le Code
forestier : voir l'article L163-8 de l'ordonnance du 26 janvier 2012 :
« Le fait d'avoir, dans les bois et forêts, éhoupé, écorcé ou mutilé des
arbres, ou d'en avoir coupé les principales branches, est puni comme
l'abattage sur pied ».
Son jugement s’avère plus clément en 1685 sur les forêts de
têtards :
« C’est la meilleure et la plus avantageuse économie qu’on puisse
y établir parce que les habitants y trouvent en tout temps du bois pour
tous leurs usages, du pacage, du soustrage et du glandage dans la saison
des glands ». Quelle similitude, 300 ans auparavant, avec la définition
actuelle de l’agroforesterie : « ... systèmes d’utili- sation des terres dans
lesquels des plantes ligneuses pérennes sont délibérément conduites
avec des cultures et/ou des animaux sur une même surface ».
En Labourd, Navarre, Gipuzkoa, Béarn, et bien au-delà,
l’agroforesterie se pratiquait : partout l’arbre têtard dominait dans le
paysage forestier des plaines, collines et basses montagnes.
L’arbre têtard permet de concilier cinq activités sur un
même territoire
- Le bois à charbon. L’exploitation maximale de la ressource forestière
est essentiellement orientée vers la production de charbon de bois, seul
combustible connu pour fondre le minerai et travailler le fer dans les
forges. Les exploitations pillent le massif forestier. C’est la disette de
bois qui a provoqué l’arrêt des forges à la fin du XVIIIème siècle.
-Les bois de construction. Pour les maisons, ponts, églises, ils sont
prélevés dans les arbres de futaie maintenus dans les stations aux sols
les plus riches et les plus accessibles, mais pour les chantiers navals, les
branches des arbres têtards auraient pu aussi fournir des formes
adaptées. L’aménagement forestier de 1857 n’évoque pas les bois de
marine. C’était une pratique bien antérieure remontant probablement
aux XVème, XVIème, XVIIème siècles, oubliée ou jamais mise en
œuvre dans cette forêt.
- L’élevage des porcs. Il est compatible avec la forêt paysanne et mieux
encore avec le traitement en chêne pommier tel que le visualisait en
1672 Louis de Froidour : « Ce qu’il y a de plus commun sont les porcs
qui y sont petits mais excellents… pour la nourriture des porcs, ils ont
même de grands territoires plantés ou pour mieux dire ils ont de grands
vergers de chênes qu’ils émondent, qu’ils ébranchent et qu’ils cultivent
en la manière qu’ils croient être la meilleure pour faire produire aux
arbres une plus grande quantité de glands. »
- Le pâturage des brebis, chèvres, bovins et chevaux. C’est aux
XVIIème et XVIIIème siècles que les troupeaux se multiplient alors
même que l’exploitation forestière est la plus intensive.
- Le soustrage. Le développement de l’agriculture sur des terres
réputées froides et pauvres nécessite la production de fumier. La forêt
fournit les feuilles, ajoncs, bruyères, herbe, fougères, utilisés pour la
litière des animaux.
Dans un espace limité où la population animale augmente, la
gestion collective de la montagne se heurte à des contradictions
d’usages. Les intérêts des charbonniers dépendants de la ressource
forestière et de sa régénération s’opposent à ceux de l’agriculteur
(besoin de soustrage) et de l’éleveur, tous deux unis contre la forêt ou
toute autre végétation ligneuse. Pour autant ces derniers ne sont pas des
ennemis de l’arbre qu’ils apprécient pour ses bienfaits nourriciers
(feuillage, glands, faines, semis) à destination des porcs et des brebis.
Le compromis va s’établir par la domestication de l’arbre sur toute
l’étendue de la forêt. Le chêne sera planté, mis à distance, aligné et
taillé. La généralisation du têtard, depuis les années 1600 associée aux
plantations d’arbres protégés individuellement, était bien le seul moyen
d’assurer la cohabitation d’objectifs si divergents mais complé-
mentaires dans une économie d’autosuffisance.
De la soumission au Régime forestier à nos jours
30 mai 1849. La soumission au Régime forestier est prononcée
par Arrêté de Louis Napoléon Bonaparte et la forêt passe sous la tutelle
de l’administration forestière.
Article 1 : La forêt communale de Sare est soumise au traitement
par émondage.
Sans doute pour faire accepter la soumission au Régime forestier,
le traitement en têtard est maintenu. Le nombre d’arbres à couper au
pied annuellement est fixé à 345, celui des arbres à émonder à 2570 (P.
Balié). La forêt comportait alors 42 000 têtards.
1857. Moins de dix ans plus tard, les forestiers ont bien mesuré
que l’économie du charbon de bois est dépassée. Toutes les grandes
forges ont cessé leur activité.
Le 1er aménagement forestier propose la conversion des forêts de
têtards en taillis sous futaie sur 500 ha. Cela implique l’interdiction au
moins momentanée du bétail et du soustrage sur une partie de la forêt,
le temps que des semis s’installent et grandissent. Cette nécessité est
vécue comme une entrave aux libertés d’usage et la révolte des éleveurs
et agriculteurs soutenus par les élus est immédiate. Les représailles
contre les actions forestières sont incessantes : coupe des clôtures,
introduction d’animaux, incendies. Dès 1888, face à l’échec des
régénérations, les forestiers, incapables d’assurer leur mission,
reviennent par défaut à l’exploitation des arbres en têtards. Il n’aura pas
été possible de pratiquer une vraie politique de cantons défensables (les
bois en défens sont des secteurs forestiers en cours de régénération dont
l’accès est temporairement interdit au bétail).
1860. La maladie de l’encre (Phytophtora sp.), provenant de
Papouasie, s’attaque au châtaignier et entraîne la raréfaction de cette
essence si appréciée. L’exploitation de son écorce, riche en tanin, très
convoitée par les tanneurs, a probablement participé au déclin de
l’essence.
1885. A cette date, une forêt de 200 000 têtards existe encore sur
les communes de Sare, Saint-Pée, Urrugne, avec l’exploitation annuelle
de 10 à 15 000 arbres.
A Sare, les aménagements de 1857 et 1888 n’ont été appliqués
que partiellement mais ont cependant permis des plantations
importantes de chêne pédonculé que l’on retrouve aujourd’hui à l’état
de futaie non étêtée (Xabalo, Lizuniaga).
1904. La forêt se maintient. L’inventaire indique 41 657 têtards.
1906. Apparaît alors un épisode dramatique pour la forêt, l’arrivée
de l’oïdium (Erysiphe alphitoides) venu des Etats-Unis. Cette maladie
foliaire fait des ravages sur tous les chênes entraînant des mortalités
massives chez le chêne tauzin qui y est particulièrement sensible. Pour
les chênes pédonculés, majoritaires dans cette forêt, cette maladie a
probablement initié de forts affaiblissements des arbres évoluant
ensuite en dépérissements complexes favorisés par la monoculture du
chêne pédonculé et la fragilité des chênes introduits par plantation sur
des stations peu favorables.
Il y eut également dans la période 1914/1922, une très forte
demande en écorce pour les tanneries.
1933. Entre 1906 et 1933, ces grands dépérissements réduisent le
nombre de chênes têtards de 40%. Ces mortalités ont été provoquées
par l’oïdium mais aussi par les feux sauvages allumés dans des parcelles
qui s’embroussaillaient suite à la perte de vigueur de la forêt. Un nouvel
aménagement (1931) prévoit encore 2 séries d’étêtement. La maladie
demeure particulièrement virulente sur les jeunes rejets apparus après
la taille. L’inventaire de la forêt de 1928 indique 27 529 têtards mais ce
chiffre continue de chuter, 25 000 têtards en 1933.
1940. Face à l’impossibilité de poursuivre les tailles qui entraînent
la mort des arbres, les forestiers sonnent enfin l’abandon du traitement
en têtard.
1930-1950. Le chêne américain cultivé dans les pépinières
forestières est introduit avec succès, d’une part derrière des clôtures
protectrices créant ainsi de nouveaux peuplements complets, d’autre
part en plants disséminés pour remplacer les arbres morts dans les
peuplements dégradés de têtards.
1950-1990. Avec l’aide du Fonds forestier national, de nombreux
reboisements résineux et feuillus sont réalisés hors du massif forestier.
Malgré la vocation affichée de production, ils se retrouvent souvent
confinés dans les zones les plus lointaines, voire inaccessibles, là où ils
gênent le moins les éleveurs de Sare : Axuria, Amestia, La Rhune, St-
Ignace. Malgré les incendies nocturnes qui ravagent les plantations, ces
reboisements, aujourd’hui, constituent l’essentiel de la forêt de
production de Sare. Les chênes américains isolés, mêlés aux têtards
historiques, deviennent gigantesques et éliminent les chênes pédonculés
à la fois par la concurrence en lumière puis lors de leur chute. On
reproche souvent à « l’administration » de n’avoir planté que des
résineux. Pourtant le chêne américain, absent de la forêt en 1930,
couvre aujourd’hui 16% de la superficie, preuve que le feuillu a été
privilégié, exotique, mais chêne quand même.
1990. Les plantations à grand écartement d’essences feuillues
diverses et notamment de châtaigniers (essence très appréciée des
éleveurs pour ses fruits) apparaissent. Les protections individuelles des
plants permettent de maintenir la liberté de parcours des brebis. Ces
méthodes proches des pratiques ancestrales de plantation de hautes tiges
protégées permettent une reconquête par l’arbre de l’espace de la vieille
forêt si longtemps délaissée. Ces techniques novatrices seront visitées
par des forestiers venus de Navarre, mais aussi du Maroc et même de
Chine, tous confrontés aux pratiques du surpâturage en forêt et à la
difficile cohabitation arbre-bétail.
2008. L’aménagement forestier établi pour la période 2009-2028
est accepté par délibération du Conseil Municipal du 30/10/2008. Il fixe
deux objectifs : production de bois et bonnes pratiques pastorales. Ces
objectifs demeurent toujours aussi ambigus et opposés, mais sans doute
fallait-il proposer ce compromis pour que l’aménagement soit validé.
De cette longue histoire, parfois un peu noircie par le feu, on peut
retenir que si les éleveurs et agriculteurs se sont unis pour faire reculer
la régénération de la forêt, la coutume puis les élus ont essayé de
compenser ces dommages par de coûteuses plantations nécessitant des
protections contre le bétail. Bien souvent ces reboisements ont été
réalisés hors de la vieille chênaie existante qui a été maintenue
intensément pâturée.
Les têtards dans les forêts de Sare - Règles de culture
anciennes
- La coupe de la cime d’arbres existants a constitué au XVIIème siècle
un premier maillage irrégulier d’arbres têtards, complété ensuite par des
plantations de hautes tiges de chêne jusqu’à atteindre environ 150/160
arbres à l’hectare soit un écartement de 8 m entre les arbres. Cette
densité permet aux rejets ligneux de croître une quinzaine d’années, de
fournir des petits rondins transformables en charbon, avant que les
cimes se rejoignent et génèrent une ombre défavorable à la pousse de
l’herbe ou du soustrage. Le jardinage pied à pied permet de garnir les
vides et le remplacement des arbres morts ou dépérissants. Des arbres
de tous âges intimement mêlés constituent bientôt le peuplement de
têtards, d’une hauteur ridiculement petite pour de si gros arbres (tronc
de 3m surmonté d’un jeune taillis, taille moyenne maximale d’une
dizaine de mètres).
- Lorsque l'arbre atteint un diamètre proche de 15 cm, 15 ans après la
plantation si la croissance est très bonne ou 30 ans après si la croissance
est plus faible, le premier étêtage intervient de façon radicale. La coupe
se situe en moyenne à 3 m de hauteur. Cette initiative crée une section
sur laquelle vont se développer les rejets. L’arbre est déjà âgé de 25 à
40 ans.
- La rotation des coupes se perpétue tous les 10 à 18 ans selon la fertilité
de la station. Seules les branches exploitables pour le charbon sont
abattues. Il demeure donc beaucoup de petits rameaux permettant à
l’arbre de conserver un certain équilibre physiologique. Une rotation de
12 à 13 ans ne propose que peu de bois à exploiter mais les rejets
démarrent avec vigueur. Si la rotation atteint 18 ans ou plus, le volume
de bois récolté est plus considérable mais les blessures sont importantes,
les polypores apparaissent, les rejets sont plus faibles et la survie même
de l’arbre peut être menacée. Les premiers aménagements signalent ce
risque de mortalité engendré par des tailles trop tardives. Le compromis
de 15 ans concilie un volume de bois suffisant et des rejets vigoureux.
Il semble l’usage le plus fréquent, souvent repris dans les
aménagements et probablement issu des pratiques anciennes.
Cependant, et cela a été observé sur des sections de tronc de chêne à
Sare, la rotation des coupes en période de pénurie est parfois ramenée à
8 ans.
La production de bois des têtards
A Sare en 1849, le premier règlement d’exploitation annonçait
2416 têtards exploités chaque année. Cela représentait un volume de
bois de 1700 stères. La production d’un arbre têtard bien venant est
d’environ 0,7 stère de bois, petits rondins et charbonnette tous les 15
ans. La puissance de production la plus forte, jusqu’à 1,5 stère, est
atteinte quand l’arbre approche de 60 cm de diamètre. La production
peut donc atteindre 90 à 150 stères par ha tous les 15 ans.
L’exploitation du bois, la transformation en charbon puis le
transport laissent entrevoir une densité de population importante vivant
en forêt. Les forêts sont lointaines, pentues, les chemins difficiles. Le
charbon de bois est façonné sur place, en forêt. Le charbonnier dont la
technicité ancestrale remonte à l’âge du fer (-700) construit une meule
de bois recouverte de terre, la « txondorra ». Cette production exige une
surveillance de tous les instants dès que la combustion est engagée (Sare
a été à l’initiative de renouer avec ces gestes du passé en invitant les
derniers charbonniers à présenter leur savoir lors de journées
pédagogiques à destination des scolaires).
Le charbon recueilli est transporté à dos de mulet vers Sare mais
également vers la Navarre toute proche, Urdax et Vera de Bidasoa où
l’on rencontre d’imposantes forges dont l’activité s’est poursuivie bien
après celle de Sare.
C’est au XVIème siècle que l’exploitation de la forêt est
maximale. Toute l’économie forestière des grandes forêts collectives
est tournée vers le charbon de bois à destination de l’industrie
sidérurgique. L’histoire établit l’abandon des mines de fer de Sare
(minerai local complété avec des importations de Biscaye) et la
destruction des forges de Sare vers 1700, suite au manque de charbon
consécutif à l’inévitable épuisement des forêts (Ekaina, 1993). Le
massif forestier, même appauvri permet de fabriquer encore beaucoup
de charbon dont une partie sera utilisée à Sare où il demeure au
XVIIIème et XIXème siècles une activité importante de petite
métallurgie et de transformation du fer. Cette production de charbon de
bois continuera d’alimenter également des sites proches comme Vera
de Bidasoa. L’activité de toutes les fonderies décline à la fin du
XVIIIème siècle, entraînant leur fermeture (Urdax en1840).
L’activité charbonnière est une réalité économique. En atteste le
contrat passé entre Sare et la fonderie de Vera : Le 5/11/1797 le canton
de Sare accorde à la veuve Larretchea de Vera, propriétaire de deux
forges, d’extraire 8000 quintaux de charbon de nos montagnes contre
200 quintaux de fer en barre. Treize mois auparavant, un accord avait
déjà été conclu pour 3753 quintaux de charbon. Le bois avait une valeur
d’échange plus sûre que la monnaie pour obtenir le fer indispensable à
l’économie de Sare ou pour l’échanger ensuite contre des céréales à une
époque où la monnaie dévaluait tous les jours (d’après Henry DOP).
La transformation de quintaux de charbon en volume de bois
permet d’estimer à environ 9764 stères la quantité de bois nécessaire
pour assurer ces deux contrats soit la production de 14 000 têtards, ce
qui correspond à 5 à 6 années de possibilité annuelle !
Dure vie que celle des charbonniers ! « Les revenus des paysans
sans terre et particulièrement des plus démunis d’entre eux, les
travailleurs du bois, étaient au plus bas dans l’échelle nationale. Il n’y
a pas de gens qui mènent une vie plus rude et plus périlleuse que les
bûcherons. Il n’en est guère de moins bien rémunérés. Les coupeurs de
taillis et les charbonniers constituent la catégorie la plus mal lotie
surtout avant 1870. La fonte au bois ne peut exister que si l’on dispose
d’une main d’œuvre forestière à très faible niveau de vie. » (d’après
Léonard J. Pierre)
Quel revenu pour nos charbonniers de Sare dont les conditions de
travail sont encore plus malaisées ? Ces bûcherons grimpent dans les
arbres avec une échelle sommaire façonnée dans une perche d’aulne, ils
exploitent à la hache des petits rejets, en équilibre sur des troncs
glissants. Le danger s’avère permanent, le rendement insignifiant.
Têtards pour bois de marine
D’après les travaux de Alvaro Aragón Ruano, on distinguait deux
types d’arbres têtards en Gipuzkoa :
- Le desmocho. Sa vocation est uniquement de produire du bois à
charbon : faible valeur du matériau bois mais continuité de production
sans investissement jusqu’à la mort de l’arbre.
- Le trasmocho. Véritable arbre à destination de construction navale,
taillé tous les 10/12 ans, il est parfois entravé pour produire des pièces
de bois préformées, puis abattu en totalité à 75 ans. Il atteint une haute
valeur au moment de sa coupe mais il faut renouveler l’investissement
par la plantation d’un nouvel arbre.
On a semble-t-il parfois concilié les deux objectifs sur un même
arbre. On réservait sur les têtards une à deux branches qu’on laissait
grossir l’espace de deux ou trois rotations afin d’obtenir des bois de
dimensions et de forme satisfaisant les exigences des chantiers navals
(d’après Antton Goicoechea). On valorisait ainsi le bois sans
condamner l’arbre. L’observation de quelques très vieux arbres de la
forêt de Sare, en forme de lyre ou de candélabre, laisserait à penser,
avec beaucoup de doute, que cette technique a pu être utilisée.
Plantations de grands plants du XVII au XXème siècle
A chaque rotation d’étêtage, les arbres tombés, morts, peu
productifs ou dépérissants étaient exploités en totalité, tronc et
branches, puis remplacés par des plants âgés de 10 ans, de 3 m de
hauteur, élevés dans des pépinières en forêt.
Il existe dans la forêt, 4 anciennes pépinières entourées de murs
en pierre dont deux très bien conservées, celles de Xabalo et de Lizunia.
L. de Froidour, dans les règlements de l’Ordonnance royale de
1677, inscrit à l’article 36 :
« … nécessité de faire des pépinières pour produire de bons plants,
gland, châtaigne, noix, faine…plançons bien droits, bien venants, de la
plus belle qualité, grosseur de 2 pouces de diamètre, il convient
d’environner les plançons d’épines et autres arbustes de pareille nature
pour les défendre contre les bestiaux. »
Tout est clairement écrit par de Froidour sur l’exigence de la
qualité des plants, élément essentiel de la réussite d’une plantation.
Les techniques ancestrales de production de grands plants dans les
pépinières forestières se sont perpétuées et ont été consignées dans les
aménagements forestiers successifs.
Le semis du gland est suivi d’un repiquage à 1 an, puis 2ème
repiquage 3 ans plus tard, puis 3ème repiquage 3 ans plus tard, puis
arrachage 3 ans plus tard d’un plant alors âgé de 10 ans. Son diamètre,
préconisé par L. de Froidour, correspond à 2 pouces soit 5,5 cm, et sa
hauteur est de 3 m. La taille partielle des branches latérales permet un
transport plus aisé des plants et une meilleure reprise.
L’ouverture des trous de plantation se fait à l’automne, la
plantation se réalise durant l’hiver avec aussitôt la protection du plant
par la mise en place d’un tuteur auquel sont attachés de gros ajoncs et
des aubépines coupés à proximité.
Fin de l’exploitation en têtard
« Lorsque l’oïdium est apparu, en 1906, la plupart des têtards
émondés mouraient dans le cours de l’année ou celui de l’année
suivante » (Balié). Deux techniques ont été testées par les forestiers,
d’abord l’émondage bipartite, la cime étant exploitée en deux passages,
le second décalé de 3 ans. Puis le taillis fureté, qui semblait apporter le
plus d’espoirs, a été essayé. Il consiste à n’enlever que les branches
d’une circonférence supérieure à 25 cm. S'il n'y avait que des grosses
branches (circonférence au-delà de 25 cm) on épargnait le tiers de
celles-ci. D’un jardinage forestier pied à pied dans la forêt de têtards,
on aboutit à un jardinage de branches sur la cime de l’arbre. Toutefois,
malgré les perspectives entrevues, les arbres continuèrent à mourir quel
que soit le système de taille et les exploitations furent suspendues.
Avec l’abandon complet des tailles dans les années 1940, le
traitement en têtard prend fin et les arbres poursuivent leur
développement sans entrave.
C’est ainsi que tous les têtards que l’on voit dans la forêt de Sare
sont des chênes dont la taille n’a pas été effectuée depuis l’arrivée de
l’oïdium. Leurs branches sont alors âgées d’une centaine d’années, ce
qui exclut toute velléité de revenir écimer ces arbres. Amputer les
branches charpentières de ces vieillards provoque le plus souvent leur
mort.
Une forêt complètement transformée par les plantations de
chêne pédonculé
Si le chêne pédonculé a été choisi, c’est essentiellement pour sa
production fruitière. Le chêne pédonculé fructifie tous les ans et en
abondance alors que le chêne sessile produit moins de glands et de
manière irrégulière. Ces deux espèces sont très proches en apparence
mais n’ont pas les mêmes exigences écologiques. Le simple bon sens
rural a fait récolter les glands destinés aux pépinières sous les arbres qui
en produisaient beaucoup. Il y a donc eu une totale substitution
d’essences par la plantation systématique du chêne pédonculé qui a
colonisé tout l’espace boisé y compris les stations ne lui convenant pas.
Conséquence : régression du chêne sessile que l’on ne rencontre plus
que par rares pieds isolés. Sans bétail ni traitement généralisé en têtard,
en pratiquant des prélèvements de bois modérés, la forêt de Sare aurait
été une hêtraie-chênaie sessiliflore, or nous avons un verger de chêne
pédonculé.
A partir de 1930, les chênes rouges d’Amérique non sensibles à la
maladie de l’oïdium qui sévissait, ont été utilisés en regarnis dans les
peuplements clairsemés de chênes pédonculés têtards. La technique
était la même, les ouvriers arrachaient quelques plants dans la pépinière
puis par-ci par-là dans les vides, entre les arbres existants, ils
disséminaient cette essence. Ces chênes américains n’ont jamais été
traités en têtards. Croissant en port libre et en pleine lumière, ils sont
devenus gigantesques, branchus, dominant et étouffant les vieux chênes
pédonculés. Par leur capacité de régénération dynamique, ils pourraient
bien devenir l’essence principale de la forêt.
Le bétail
Deux grands témoins forestiers ont relaté leur vision du pâturage
dans les forêts : de Froidour, en 1672, a surtout observé en Pays basque
des troupeaux de porcs alors que les aménagistes de Sare, St-Pée,
Urrugne (deux cents ans plus tard), évoquent l’hégémonie des moutons.
Les porcs
« Le principal revenu des forêts est le grand débit que l’on fait des
porcs à Bayonne et surtout des jambons. Le pays n’a point de ressources
quand le gland vient à manquer » (de Froidour, 1672).
La forêt de Sare convient très bien aux porcs qui, maintenus en
population raisonnable, ne sont pas des ennemis de la forêt. Ils mangent
le gland mais, en fouissant le sol, ils en enterrent beaucoup. Sous le
climat local, il est bien rare que les fleurs de chêne soient détruites par
le gel et les glandées s’avéraient généreuses. Lorsqu’ une gelée tardive
sévissait, compromettant la fructification, on pouvait alors craindre de
grandes difficultés pour la survie même des troupeaux. En fin
observateur, le lieutenant général des Forêts Louis de Froidour (1625-
1685) propose dans le règlement de l’Ordonnance royale l’introduction
du châtaignier qui fleurit hors des périodes de gel et fournit rapidement
des fruits en quantité abondante. Effectivement, les châtaigniers tout
comme les hêtres (les faines produisent une huile comestible)
contribuent au nourrissage des animaux mais permettent aussi
l’alimentation de la population confrontée, du XVème au XIXème
siècle, à une période appelée le petit âge glaciaire caractérisée par des
hivers très froids. En 1693 et 1694, on estime que près de 1 700 000
Français meurent de faim.
Une adjudication de droit au panage en forêt de Sare eut lieu en
1929. D’après les règlements, les porcs ne sont pas limités en nombre
mais ne peuvent séjourner en forêt que du mois d’octobre à fin
décembre.
Larçabal Xomin, adjoint au conseil municipal, passionné par les
plantes, la forêt, les plantations, me délivrait son témoignage : « autour
de 1940, plusieurs centaines de porcs, pour 40 à 50 familles, allaient à
la glandée dans la forêt. Un adjudicataire prenait aux enchères le droit
aux glands et redistribuait ce droit en faisant payer chacun selon le
nombre de cochons… »
Les brebis
L’essor démographique et l’intensification de l’élevage ovin au
XVIIème et XVIIIème entraînent la création de nouvelles exploi-
tations. Un vrai mitage du manteau forestier se met en place par la
multiplication de bergeries disséminées toujours plus loin dans les
landes et forêts. A Sare, le climat très doux, la très faible altitude, la
proximité des parcours très proches des fermes, permettent pendant
toute l’année le pâturage d’un maigre fourrage à des brebis rustiques de
race Manech et Sasi ardia. Leur efficacité de nettoyeuses ne peut être
contestée, pas un seul jeune chêne d’origine naturelle n’existe en forêt.
Dès le 1er aménagement de 1857, apparaît l’incompréhension des
forestiers de voir la régénération naturelle broutée tous les ans : « La
forêt n’est qu’une immense pâture dominée par des arbres. Les moutons
vivent littéralement de la forêt. »
Dans les années 1990, ces brebis étaient encore 2000 à pâturer une
grande partie de l’année. Aujourd’hui elles ont quitté la forêt sauf
quelques troupeaux et pour une courte période. La brebis partie, la
dynamique de la végétation se remet en marche, rien n’est plus naturel
que l’embroussaillement du sol qui n’est qu’une phase transitoire avant
sa reconquête par la forêt.
Jusqu’aux années récentes se sont succédés des arrêtés
préfectoraux autorisant le pâturage en forêt de Sare. Le dernier, celui de
2009 autorisait 9016 bêtes à laine et 373 équins à pâturer toute l’année
dans… les cantons défensables et… sous la réserve d’annulation en cas
d’abus. Il n’y a pas de cantons défensables en forêt de Sare (à peine 1
% de la forêt est clôturée) et n’est-ce pas déjà très abusif d’autoriser le
pâturage de 9000 brebis en forêt. Les chefs de services forestiers ont
permis ces autorisations pour lesquelles ils transmettaient un avis
favorable au préfet. Pourtant, ils savaient que ces arrêtés condamnaient
l’avenir. Déjà 150 ans auparavant, le premier aménagement forestier
s’insurgeait contre le pâturage en forêt et ses dommages.
Les pottoks
Les pottoks sont autorisés à vivre eux aussi de la forêt. A certaines
périodes de l’année où la nourriture se fait rare, l’instinct de survie leur
permettra même de franchir les clôtures des plantations pour accéder à
une végétation disponible. Le forestier constate, dépité, mais renonce à
toute confrontation directe avec les propriétaires de chevaux ou brebis.
Les chèvres
La robustesse, l’indépendance de cet animal permettent de
l’oublier dans la montagne puis de venir récupérer quelques chevreaux
le moment venu. Dans les années 1990, de grands troupeaux, réfugiés
dans les coins reculés de Saiberri, menaient de régulières incursions et
dévastaient tous les coûteux reboisements tant par leur faculté à franchir
les clôtures pour pénétrer dans les plantations qu’à celles de coucher,
écorcer et brouter les châtaigniers plantés et protégés avec des
protections individuelles.
Après informations puis avertissements adressés aux éventuels
propriétaires, l’animal fut classé nuisible par plusieurs arrêtés pré-
fectoraux sur des motifs de sécurité publique et de santé animale. Faute
de pouvoir refouler les brebis et les pottoks, de sanctionner les
incendiaires et autres coupeurs de clôture, des représailles marginales
pouvaient s’introduire dans une faille du monde pastoral : un bétail
enfin déclaré nuisible et effectivement détruit en partie mais… sur des
critères pudiquement sanitaires. Un peu frustrant, mais un premier
résultat quand même ! La chèvre pourchassée fut donc, pendant quel-
ques années, le bouc émissaire de tout le bétail broutant la forêt !
Le chevreuil
Inexistant en 1975, il s’est rapidement adapté aux petits bosquets,
haies et buissons des collines. Dans la forêt, il ne s’est vraiment installé
qu’au fur et à mesure que la pression pastorale diminuait permettant aux
ronces et arbustes de lui assurer le couvert. Même s’il commet quelques
dommages dans les plantations, le forestier le considère d’un œil
bienveillant. Enfin un vrai animal sauvage de l’écosystème forestier !
Le soustrage
« Les landes sont des paysages créés par l’homme, elles résultent d’un
déboisement important et ancien » (Lauburu, 1987). « … il y a peu de
paille et peu de foin dont on puisse faire du fumier. Les paysans font
tous les ans des récoltes et des moissons de fougère, de bruyère et de
tuye qu’ils vont faucher dans les landes et montagnes qui servent à cet
usage. Chacun sait les endroits où il doit en couper… pour les réduire
en fumier » (L. de Froidour, 1672).
Deux cents ans plus tard, rien n’a changé. Dans les aménagements
forestiers de 1857, les forestiers confirment et condamnent cette
pratique : « … Le soustrage le moins bon mais le plus commun est celui
de la fougère. Le meilleur est le mélange d’herbes et de jeunes ajoncs
mais comme on ne le trouve pas en quantité suffisante, on est obligé de
recourir à la fougère qu’on récolte surtout dans la forêt ou elle est très
abondante. Le soustrage en forêt est très nuisible car il rend toute
régénération naturelle impossible. … Que cette pratique agricole soit
imparfaite et arriérée cela n’est pas douteux, qu’elle soit destinée à
disparaître cela n’est pas douteux non plus…cette pratique est très
préjudiciable au sol forestier qu’elle appauvrit et dont elle favorise le
dessèchement ».
Dans l’aménagement de Sare de 1931, il est précisé qu’en 1922,
dans les fougeraies les plus riches, 46 lots faisaient l’objet d’un bail. En
dehors de ces lots il était récolté à titre gratuit 130 charretées de
soustrage dans les petites fougeraies « …à la faux à partir du 1er
septembre avec obligation de couper tous les ajoncs qui dépassent 60
centimètres ».
De nos jours, l’agriculteur n’a pas renoncé à la fougère comme
l’espéraient les forestiers de 1857. La pratique s’est cependant
profondément modifiée par la mécanisation. A l’origine le soustrage se
faisait sous les peuplements clairs. Les petits espaces pentus en forêt,
faiblement boisés, fauchés à la faux puis à la motofaucheuse, ont été
délaissés. La récolte s’est concentrée sur les plateaux et pentes
accessibles aux tracteurs. Certains n’hésitent pas à amputer les branches
des chênes isolés pour permettre la progression des engins jusqu’au
pied de l’arbre.
L’exportation pendant des décennies, des siècles parfois, d’éléments
minéraux concentrés dans des végétaux riches en azote, phosphore et
potassium, sans aucun retour, la continuelle extraction par le soustrage
annuel mais aussi par l’exploitation des jeunes branches de têtards,
entraînent inexorablement un processus d’appauvrissement continu du
sol. La mécanisation, les rondes des tracteurs revenant sur toute la
parcelle tous les ans pour couper, tourner, mettre en ligne, façonner les
boules, charger sur des remorques engage un fort tassement du sol dont
on sait qu’il est très néfaste aux arbres, aux régénérations, aux
plantations, à la vie même du sol.
Peuplement de chênes têtards (Hiruetaco erreca – 2005)
Chêne pédonculé têtard (Arretola – 2005)
Pottoks sous plantation de châtaigniers (Nabarlatz – 2010)
Soustrage et brebis (Amestia – 2010)
Incendie, peuplement de têtards et plantations (Lizuniaga – 2002)
Bergerie en forêt (Mochoinhardiborda – 2005)
Exploitation chêne rouge d’Amérique (Lizuniaga – 1990)
Exploitation par câble - Pin laricio de Corse (Axuria – 2005)
Larve et imago
Osmoderma eremita (Pique-prune)
Laetiporus sulphureus (Polypore soufré)
Le plus vieux chêne de la forêt (mort en 2008)
La table des faceries (Lizuniako Mugarria – Borne frontière 36)
Tour des palombières de Sare (Saiberri, 2010)
Sare, l’enfer des palombes, 10208 prises en 1942
Mur d’enceinte de la pépinière de Lizuniaga
Le cœur de la forêt de Sare (Hiruetaco erreca – 2018)
Les feux
Avec l’intensification de l’élevage ovin au XVIIème siècle, le feu
va encore faire reculer la forêt. Toujours plus de soustrage et de
parcours autour des nouvelles bergeries. On pourra noter qu’à cette
même période des mesures de protection existaient déjà. En Navarre, la
destruction par le feu de la végétation était condamnée par des amendes
et même du fouet pour les récidivistes (J. Goyenetche)
L’appellation d’incendie volontaire est taboue. Elle fait sans doute
trop référence à la notion de destruction et de crime. Les autorités lui
préfèrent pudiquement un terme agricole : l’écobuage. Pourtant, la
définition de cette activité ne correspond pas aux pratiques pastorales
en vigueur c’est-à-dire à la mise à feu volontaire de végétaux sur pied
quelle que soit la pente et la nature de la végétation. La fumée à peine
dispersée, revoilà le bétail, humant le sol nu et le bois calciné. Les
plantations communales sont détruites, les arbres mutilés, les cendres et
les limons sont emportés par les eaux pluviales jusqu’à l’océan…
Pas très loin de Sare, en Basse-Navarre, à Estérençuby, le 10
février 2000, un feu sauvage dit d’écobuage provoqua la mort de cinq
randonneurs et deux autres furent gravement brûlés. Aussitôt fut
constitué un comité de soutien aux deux incendiaires, associant
villageois, éleveurs, élus et syndicalistes agricoles. Aujourd’hui, un
incendiaire voudrait être reconnu aussi comme un jardinier, chargé de
l’entretien de la basse montagne. Il utiliserait le feu pour assurer le
maintien du paysage.
Il semblerait que les incendiaires de la propriété collective aient
toujours bénéficié de bienveillance. Les délinquants, identifiés
pudiquement comme inconnus, courent dans les montagnes en toute
impunité et la réglementation prévoyant 10 ans d’interdiction de
pâturage après incendie n’a jamais été appliquée. Les dommages à
l’environnement, les menaces du Code forestier et les sanctions prévues
par le Code pénal n’auront guère dissuadé les «nettoyeurs de la nature»
et ceux qui les soutiennent.
A Sare, une commission d’écobuage délivre les autorisations
d’incinération de végétaux. Sur les terrains communaux soumis au
Régime forestier, lorsqu’une demande d’écobuage est déposée, le
Maire engage sa responsabilité et met en œuvre les moyens nécessaires
pour exécuter l’opération et éviter toute extension.
Mais même avec ce soutien de la municipalité, il arrive encore que
des feux totalement imprévus apparaissent la nuit. Ils n’ont souvent pas
pour cause des enjeux pastoraux puisque toutes les demandes
d’écobuage sont autorisées par la Commission. Quand les plantations
brûlent parce qu’un feu a été allumé à proximité, la nuit, par grand vent
du sud, il se trouvera bien quelqu’un pour prétendre qu’il n’y a pas assez
de pistes, que la plantation était embroussaillée, que ce n’était pas là
qu’il fallait planter. Pourtant, la réalité, c’est que l’incendie s’avère bien
d’origine volontaire, malveillante, et vise une plantation voulue par la
commune qui a délibéré, financé, parfois obtenu des subventions pour
la réaliser.
En 1993, sur l’Ibanteli, le spectacle de l’incendie nocturne est
fascinant. Dans le chaos de blocs rocheux, les arbres têtards
s’enflamment, les cimes s’effondrent dans les craquements des arbres
disloqués. Mais une fois le brasier maîtrisé, lorsque les pompiers
rejoignent leur véhicule et quand s’éloignent les gyrophares, le forestier
est toujours là, resté seul dans l’obscurité, assis sur un bloc, plein
d’empathie pour les vieux chênes brûlés. Dans la nuit noire agitée par
les assauts du vent, arbres et forestier se comprennent et partagent la
même incompréhension de cet acte criminel. L’incendiaire, qui ne
possède peut-être même pas lui-même un troupeau, n’est pas très loin,
satisfait de son œuvre et bien étranger à l’ébranlement émotionnel du
végétal et du forestier. Avec son briquet, il a juste nettoyé la montagne.
Il reviendra demain et bien d’autres fois encore, jusqu’au jour où trop
âgé pour courir la nuit, il sera remplacé par un autre afin que ne
s’éteignent pas les traditions ancestrales.
Les palombières de Sare
Il est surprenant de découvrir que les chasses traditionnelles aux
pantières furent établies dans la forêt de Sare en 1487 (J. Luquet). Le
peuplement forestier comporte autour du site d’immenses hêtres de
futaie atteignant 40 mètres de hauteur, un mètre de diamètre et un âge
estimé à plus de deux cents ans. Cela laisse à penser qu’un traitement
forestier spécial a été appliqué dans un but cynégétique. Les prises d’il
y a seulement quelques décennies font rêver les passionnés des
pantières. En 1942 : 10 208 palombes furent capturées dans les filets de
Sare et encore une cinquantaine de douzaines jusqu’aux années 1990
puis au mieux quelques douzaines aujourd’hui.
La biodiversité dans les forêts de têtards
Les organismes saproxyliques comportent des cortèges d’espèces
appartenant à des groupes taxonomiques divers et dont la mission
essentielle est de décomposer le bois mort des branches, troncs,
souches, permettant ainsi de restituer au sol les éléments nutritifs
contenus dans le bois. Les principaux acteurs sont les insectes et les
champignons. Une espèce de coléoptère forestier sur deux et un
champignon forestier sur trois sont des espèces saproxyliques.
La forêt de Sare est une vieille forêt au sens qu’elle présente sur
plusieurs centaines d’hectares une continuité spatiale et temporelle de
très vieux arbres âgés de plusieurs siècles. C’est donc une forêt
ancienne : Les cartes de Cassini (autour de 1800) indiquent un massif
forestier regroupé en 3 grandes unités (Urio, Ibanteli, Palombières). La
continuité de l’état arboré était déjà bien antérieure, maintenue à travers
les âges par le traitement en têtards depuis le XVIème siècle.
Préalablement encore, c’était déjà une chênaie fruitière. Cette richesse
d’espèces saproxyliques est due surtout au traitement en têtard qui a
maintenu au fil des siècles ces très vieux chênes. Cette forêt nous
permet de visualiser en abondance des arbres à grandes cavités, des
niches écologiques variées, des polypores rares disparus des forêts
intensivement exploitées.
Par contre, la forêt de Sare, maintenue par des plantations du seul
chêne pédonculé, ne peut pas être considérée comme exprimant la
naturalité. Malgré l’absence d’exploitation forestière, elle subit toujours
les activités agricoles et la pérennité du chêne est menacée. On la
qualifiera alors, de vieille forêt refuge d’espèces en situation précaire
(Brustel, 2011). Les botanistes, au moment de l’élaboration du
document Natura 2000, ont été surpris de trouver une forêt si éloignée
du naturel, voire cauchemardesque en termes d’état de conservation des
habitats forestiers. La forêt est surpâturée, la flore a perdu toute typicité,
les peuplements sont réduits à un verger en ruine de chênes pédonculés
têtards.
Quelle biodiversité originale existe-t-il dans cette forêt ?
Les insectes
La découverte et l’inventaire de sa très riche faune d’espèces
saproxyliques ont propulsé la forêt de Sare aux premiers rangs des sites
d’intérêt exceptionnel au niveau européen. Le nombre d’espèces
qualifiées de bioindicateurs s’y trouve remarquablement élevé. Parmi
les plus emblématiques figure Osmoderma eremita, plus connue sous
l’appellation vernaculaire de Pique-prune. C’est une espèce rare et
menacée (IUCN. 2009). Elle bénéficie du statut d’espèce protégée en
France et figure à l’annexe II de la Convention de Berne, et aux annexes
II et IV de la Directive Habitats de l’Union Européenne. Elle est
qualifiée d’espèce « parapluie ». En effet, sa conservation permet
d’assurer le maintien des autres espèces vivant dans le même
écosystème.
Ses exigences larvaires nécessitant de grandes cavités dans les
arbres ont entraîné sa disparition des forêts de production et l’espèce
forestière s’est réfugiée dans les parcs, les arbres champêtres, parfois
l’arbre unique isolé sur la place de village. A Sare, l’Osmoderma est
très commune. Le suédois Thomas Ranius, en charge de l’étude et de la
conservation de cet insecte en Europe, et bien d’autres entomologistes
encore, sont venus visiter cette étrange forêt qui constitue un des plus
grands réservoirs forestiers de cette espèce. Une surdensité bien utile
pour le maintien d’un capital génétique fort, et peut être représentative
de ce qui pouvait exister dans les forêts naturelles.
Autre exemple de cette richesse entomologique, Aulonothroscus
laticollis, minuscule coléoptère, ne bénéficie d’aucun statut de
protection. Cette petite espèce de la famille des Throscidae aurait pu
passer inaperçue, totalement inconnue en Europe occidentale. Sa
découverte si loin de son aire d’origine, la Pologne (dans la réserve de
Bialowieska), la Finlande, la Russie, nous montre à quel point les
espèces ont dû se déplacer pour survivre aux périodes glaciaires qui se
sont succédées et surtout combien se sont raréfiés leurs habitats.
Ces deux exemples, et toutes les espèces patrimoniales
inventoriées, parmi lesquelles Lacon lepidopterus et Anitys rubens,
confirment que la forêt de Sare est très riche d’espèces rares et
exigeantes. Leur survie est liée aux très vieux arbres porteurs de cavités,
caries, polypores, et c’est là le résultat du type de gestion des arbres à
travers les siècles.
Quel est le devenir de cette biodiversité ?
Du fait de l’abandon des tailles de têtards depuis 1900 et de
l’absence de plantations de chêne, la vieille forêt de chêne pédonculé
de Sare est à présent tout entière en phase de déclin et d’effondrement.
Il n’y a aucun jeune chêne dans la forêt. Il ne pourra donc y avoir de
transfert des espèces rares vivant dans ces vieux arbres cariés vers des
plus jeunes présentant à leur tour des habitats susceptibles de les
accueillir.
Le chêne pédonculé va régresser fortement car il a beaucoup de
difficultés à se régénérer même si la présence de millions de semis au
printemps pourrait laisser croire le contraire. Seul le tauzin, souvent issu
d'un drageon, regagne du territoire.
Quelles actions pour conserver cette biodiversité ?
Sare et Fontainebleau sont deux forêts connues pour abriter des
coléoptères rares, notamment les espèces vivant sur les vieux arbres.
Dans ces deux forêts, l’origine de la protection des vieux peuplements
n’a pas été la biodiversité. Pour Fontainebleau ce sont les artistes, les
peintres de l’Ecole de Barbizon (1825-1875) qui ont obtenu de Louis-
Philippe puis de Napoléon III la création des réserves artistiques pour
un temps à l’abri de la sylviculture. Pour Sare, l’incapacité de préserver
la régénération de la dent du bétail a bloqué la gestion forestière et
empêché les forestiers de transformer la forêt de têtard en futaie et taillis
sous futaie. Bien involontairement, ce sont des artistes ou des éleveurs
qui ont protégé, il y a 150 ans, les vieux arbres et par voie de
conséquence la biodiversité qui leur est liée. Aussi bien à Fontainebleau
qu’à Sare, la biodiversité n’est devenue une valeur, un intérêt
scientifique ou patrimonial que par la création des réserves biologiques
(en 1953) à Fontainebleau, ou par l’inscription aux sites Natura 2000
(en 1992) pour Sare.
Natura 2000 et le document d’objectifs : Le DOCOB, un
outil pour mener des actions ?
Le site La Rhune-Choldokogaina a été doté d’un document
d’objectifs (DOCOB) en 2007.
La forêt de Sare y est incluse en totalité et les forestiers se sont
empressés de proposer de nombreuses actions à destination de
renouveler la forêt ancienne et d’y maintenir ainsi les espèces protégées.
Un montant de 607 000 € de travaux était proposé, couvrant
essentiellement 104 ha de plantations d’essences locales. Le projet
prévoyait en outre de clôturer 82 ha pour y privilégier la régénération
naturelle. Six ans plus tard, un seul contrat forestier financé par l’Etat a
été obtenu sur 2 ha (Ibanteli) avec des chênes sessiles protégés
individuellement, soit 2% seulement de l’objectif plantation. Un
incendie volontaire a détruit ce petit reboisement de chênes en 2015.
Un bilan d’actions Natura 2000 vraiment très décevant pour la forêt.
Tailler de nouveaux arbres en têtards ?
Provoquer un vieillissement anticipé par la mutilation de l’arbre
est parfois proposé comme une action permettant l’apparition rapide de
nouveaux habitats d’espèces sur des arbres jeunes et dont la finalité
serait le transfert de la biodiversité des vieux chênes vers des arbres
capables de prendre le relais. Hâter la nature, pourquoi pas, mais il n’y
a pas de jeunes chênes à écimer dans la forêt et l’oïdium, cause de
l’abandon de ces pratiques, est toujours présent. Des tailles en têtard ont
été effectuées avec succès en 2005 sur des hêtres, à la fois dans un but
paysager et pour dégager l’horizon afin de permettre le comptage des
oiseaux migrateurs au Col de Lizarrieta à l’automne.
Autres richesses
Les arbres têtards avec leur continuité dans le temps, leurs
dimensions, leurs écorces épaisses offrent des supports pour beaucoup
d’autres organismes moins étudiés tels les polypores, les lichens, les
mousses, les fougères. Les cavités d’arbres proposent des abris pour les
chats sauvages, genettes, rapaces nocturnes. Les épiphytes et jardins
suspendus sur les troncs de têtards sont remarquables tant par leur
composition végétale variée que par leur esthétique. Les plantes
broutées au sol se sont réfugiées en hauteur, atteignant parfois des
dimensions considérables. Ce sont les pluies abondantes qui permettent
à ces végétaux de se maintenir hors sol : houx, if, alisier blanc, lierre,
ronces, myrtilles, bourdaines, polypodes…
Fin de l’histoire du chêne pommier
L’ordonnance royale de 1677 signée de Colbert et le règlement
organisant la gestion des forêts de chênes pommiers correspondaient
aux nécessités du XVIIème siècle. Deux cents ans plus tard, bien après
les fermetures des forges, en 1857, la volonté des forestiers d’orienter
la forêt de têtards de Sare vers une nouvelle économie – une forêt
productrice de bois d’œuvre – imposa de profonds bouleversements
dans les usages, notamment la nécessité d’installer des clôtures pour
préserver les semis forestiers. Celles-ci furent aussitôt perçues comme
une entrave aux libertés. A l’instant d’orienter la forêt vers l’avenir, les
élus choisirent le soutien à l’agriculture. Un choix difficile entre un
usage pastoral indispensable à la survie des éleveurs et un bien
commun, la forêt, propriété de tous les habitants de la commune, dont
la gestion s’anticipe sur le long terme pour le profit de tous les habitants
y compris les générations futures.
Les responsables donnèrent la priorité au pastoralisme, mais ils
prirent souvent des mesures compensatoires, pour préserver la
ressource forestière. Parmi les principales, on peut rappeler :
- le traitement généralisé en têtard et la plantation de hautes tiges dès
le XVIème siècle ;
- puis les plantations de chêne à la fin du XIXème siècle ;
- puis les reboisements de production de chêne américain, de hêtre, de
résineux sur de vastes superficies de 1930 à 1989 ;
- puis l’usage des protections individuelles à partir de 1988 avec des
techniques proches des pratiques anciennes qui permirent les planta-
tions d’arbres à grand écartement sans exclusion du bétail.
Toutes ces actions sont bien plus onéreuses que l’utilisation d’une
régénération naturelle. Des prêts importants furent sollicités pour
réaliser des reboisements auprès du Fonds forestier national.
Le bilan financier de cette forêt de Sare peut s’apprécier sur le
dernier bilan quinquennal forestier 2009/2013.
Les coupes de bois s’exercent uniquement sur les forêts
artificielles d’essences exotiques. La recette obtenue est alors souvent
largement amputée par le remboursement des dettes anciennes
contractées pour planter ces forêts artificielles. La vieille forêt de têtards
reste préservée et n’est pas exploitée, les arbres qui s’y trouvent n’ayant
guère de valeur économique. Entre les onéreux travaux de reboisements
sylvo-pastoraux inscrits au budget chaque année et les recettes limitées
au strict revenu forestier issu de la production de bois, la forêt pourrait
apparaître, aujourd’hui, au seul plan financier, pour la collectivité,
davantage une charge qu’une richesse.
On pourrait nommer ces déficits la rançon de l’histoire et
reconnaître aux élus de vouloir conserver un patrimoine boisé original,
détaché de l’objectif de la production forestière.
Pour autant, il ne faudrait pas occulter d’autres recettes sur ce
même territoire relevant du Régime forestier, notamment le soutien à
l’agriculture au travers de la production de soustrage, de glands, de
fourrage, de parcours pour le bétail permettant le versement des primes
agro-environnementales.
Avec la prise en compte de ces revenus perçus par les usagers, le
bilan financier de la forêt pourrait à l’évidence se percevoir bien
différemment.
La forêt de demain
Avec un climat doux et 1843 mm de pluie annuels, les
potentialités de production forestière de la forêt de Sare sont
extraordinaires et la création d’une vraie forêt productrice de bois reste
envisageable pour les générations futures. Cependant, malgré le
contexte de déprise pastorale inéluctable, les propositions d’inter-
ventions forestières à grande échelle demeurent limitées. Agir, planter
mais pour quels objectifs, avec quelles techniques et quels finance-
ments puisque les difficultés pour la forêt se maintiennent :
- le chêne sessile, qui ferait l’unanimité, est très difficile à réinstaller.
- le bétail est toujours là, sans contrainte.
- les fougères nécessaires aux agriculteurs sont exploitées.
- la contestation des essences exotiques à croissance rapide et de la forêt
de production persiste. Pourtant, l’essentiel de la récolte de bois est
issu d’essences exotiques plantées des années 1930 à 1990. Sans les
chênes rouges d’Amérique et les résineux, il n’y aurait quasiment
aucune exploitation forestière sur les 1300 ha de territoire forestier.
- Les plantations sylvo-pastorales ne donneront pas de bois de qualité.
- Les destructions par incendie se poursuivent. Le dernier reboisement
forestier à forte densité en chêne et hêtre réalisé à Ibanteli en 2010,
d’une superficie modeste de 5 ha, a été détruit par un incendie
volontaire en 2015, tout comme 2 ha contigus de plantations sylvo-
pastorales de chêne.
- Le consensus de « planter là où ça ne gêne pas » n’est pas le plus
pertinent. Souvent les vides existants que l’on se propose de reboiser
recouvrent les stations forestières les plus ingrates. Le coût des
plantations est alors exorbitant alors même que l’échec est probable
surtout avec des plantations de chênes sessiles ou pédonculés.
A défaut d’intervention massive, l’évolution naturelle pourrait se
dérouler selon le schéma suivant. Au cours du siècle à venir, avec la
baisse du pâturage, sur les stations où subsiste encore une ambiance
forestière, le houx et le hêtre s’installent entre les têtards. Les jeunes
hêtres et dans une moindre mesure les châtaigniers vont noyer les
vétérans et entraîner un gommage du paysage, un retour à la futaie se
substituant aux têtards au fur et à mesure de leur déclin. La hêtraie
mènera à la disparition des têtards et à un fort recul du chêne pédonculé.
La dynamique de la régénération du chêne américain reste imprévisible.
Son expansion pourrait être rapide car il a été disséminé partout dans la
vieille forêt et il risque de gagner de vitesse l’implantation de la hêtraie.
- Sur les stations les plus pauvres, les versants sud les plus dégradés, les
landes non fauchées, le tauzin, le chêne rouge, le châtaignier, le hêtre
vont coloniser de proche en proche à un rythme dépendant de la baisse
réelle de la pression pastorale et des éléments pionniers installés,
producteurs de graines ou de drageons. Mais il faudra des décennies et
même plusieurs siècles d’embroussaillement, de fruticées
3
, avant que
ces espaces ressemblent un tant soit peu à de la forêt. Sans l’aide de
plantations artificielles, tout cet espace de landes arborées de versant va
demeurer très longtemps confus et improductif tandis que de nombreux
incendies volontaires viendront encore ralentir le processus de
reforestation naturelle.
Epilogue
Les activités vivrières du XVIème à la fin du XIXème siècle, de
type agro-sylvo-pastoral, obéissaient à une logique de productions
cumulées, d’activités exercées en gestion commune, solidaire ou
contrainte par des usages aux objectifs opposés générant des conflits.
C’était une gestion intensive et partagée du territoire dans le cadre
d'activités rassemblant des hommes unis par trois points communs : le
labeur très dur, l’isolement, et le dénuement complet. Ces activités sont
aujourd’hui obsolètes.
Ces arbres gigantesques que nous appelons des têtards, sont tous
abandonnés depuis au moins 100 ans. Ce sont des arbres âgés et
fragiles. Leur cime parfois immense est posée sur un tronc carié. La
forêt de têtards, c’est la mémoire de ces activités agro-sylvo-pastorales
qui s’estompe un peu plus à chaque tempête.
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Formations végétales constituées d’arbustes, arbrisseaux et buissons.
A Sare, cette forêt historique d’arbres remarquables existe encore.
Somme toute, la gestion de la forêt n’aura pas été aussi néfaste,
conservant un paysage arboré sans égal et des potentialités élevées,
malgré un contexte conflictuel où charbonniers, agriculteurs, éleveurs,
ont défendu leurs usages et où les décideurs se sont refusés à désavouer
ouvertement quiconque.
On doit reconnaître à Sare, la volonté farouche de préserver à
travers les siècles son patrimoine « nature ». D’autres forêts
communales voisines auront été parfois considérées plutôt comme une
réserve foncière permettant, là, la création d’un lac de loisirs,
l’urbanisation, là, des défrichements agricoles, une décharge, le
stockage de boues des stations d’épuration, là encore l’abandon des
chemins forestiers aux lobbies des 4x4, quads et moto-cross.
A Sare, dans un milieu rural qui perçoit la forêt comme une
extension des propriétés agricoles, le forestier se sent parfois isolé. Il ne
s’intéresse guère aux activités pastorales et au bétail qu’il considère
comme indésirable dans la forêt qui lui est confiée. La même confusion
d’usages et de règlementation est toujours entretenue depuis 1849. Il
ne s’agit pas d’une vraie forêt, d’un écosystème forestier, mais plutôt
d’une pâture arborée, cependant soumise tout entière – bois et landes –
au Régime forestier, ce dernier étant justement un ensemble de
garanties définies par le Code forestier destinées à préserver la forêt et
sa pérennité.
Les usages anciens restent encore prioritaires, le forestier perçoit
que son action demeure limitée, il aura même douté de son utilité. Mais
depuis quelques années, la pression pastorale diminue,
l’embroussaillement se généralise, tandis que des semis apparaissent et
grandissent. La forêt tente la reconquête de son territoire.
La forêt de Sare, un espace agro-sylvo-pastoral en mutation, un
patrimoine vivant riche d’Histoire et d’histoires, de biodiversité, de
paysages et d’arbres remarquables.
DOCUMENTS
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de chênes têtards. Arborescences N° 20
Balié P. 1933. Les forêts de chêne têtard du Pays basque. Revue des
Eaux et Forêts / Octobre 1933
Bartoli M. & Geny B. 2015. Histoire des forêts du Béarn jusqu’en
1789. Découverte du règlement forestier de Louis de Froidour (1673).
Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn
Dassance L. 1949. Les forêts au Pays basque français. VIIème congrès
d’études basques. EJ, vol III, N° 2-3, 1949
Densusianu O. 1927. La Soule au 18ème siècle d’après la description de
Louis de Froidour. Extrait du Bulletin N° 2, 1928. Société des Sciences,
Lettres et Arts de Bayonne. Louis de Froidour en Pays Basque
Dop H. 1957. La révolution dans le Pays basque. Sare et son Canton.
Sa vie municipale sous le Directoire et le Consulat. P. 143. Imp. Le
Courrier
EKAINA, 1993. Collectif d’auteurs. SARE / Tome 1
Froidour (Louis de), 1672. Mémoire du Pays de Labourd. Relation
d’un voyage fait au pays de Labourd. Extrait du Bulletin N° 2, 1928.
Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne.
Lauburu, 1987. La végétation du Pays basque. Fiche pédagogique pour
les parents et les enseignants
Léonard J. Pierre 2015. Les conditions socio-économiques d’une forêt
énergétique, XIXe- XXe siècles. Regards sur la forêt. GHFF.
L’Harmattan
Pascouau M., 1994. Vers la réconciliation de la forêt et du pastoralisme
en Pays basque. Revue Forestière Fr. XLVI - n° sp. 1994
Crédit photographique - Photos © Cyrille VAN MEER
Ce texte retrace l’histoire d’un territoire sur lequel se sont
confrontées deux vocations opposées : la forêt et l’agriculture. Soumise
à l’exploitation forestière intensive pour fournir le charbon de bois,
source d’énergie indispensable à l’industrie sidérurgique, et à la
pression pastorale et agricole grandissante, la forêt dut s’adapter pour
survivre. Une véritable agroforesterie, mise en place au XVIIème siècle
par le traitement en arbre têtard et plantations de hautes tiges, permit à
cette forêt pâturée d’évoluer vers un pâturage arboré. Bois, soustrage,
pâturage, glandage, toutes ces productions indispensables aux
populations rurales furent alors préservées.
La forêt communale de Sare comptait, il y a 150 ans, quarante-
deux mille chênes têtards. La taille des branches se poursuivit jusqu’aux
années 1940. A cette date on cessa de décapiter les arbres et on leur
rendit la liberté de croître. Mais pas de se régénérer, pâturage et
soustrage se poursuivirent sous leur ombrage.
Durant trois décennies, jusqu’en 2015, Cyrille VAN MEER fut le
forestier de l’ONF auprès de la forêt communale de Sare. Au-delà de
l’historique du secteur, il délivre sa vision sur les pratiques forestières
et agricoles, la biodiversité et le devenir de ces espaces.